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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE En ce qui concerne la requête no 29381/09 les requérants vivent en couple à Athènes. Quant à la requête no 32684/09 les première et deuxième requérantes d’une part et les troisième et quatrième requérantes d’autre part vivent en couple depuis longtemps à Athènes. Les cinquième et sixième requérants entretiennent une relation mais pour des raisons professionnelles et sociales ne vivent pas ensemble. Il ressort de leurs relevés bancaires que le sixième requérant règle les cotisations de sécurité sociale du cinquième requérant. La septième requérante est une association à but non lucratif visant entre autres au soutien psychologique et moral des personnes homosexuelles. Le 26 novembre 2008 la loi no 3719/2008 intitulée « Réformes concernant la famille les enfants et la société » entra en vigueur. Elle instituait pour la première fois en Grèce une forme officielle de partenariat autre que le mariage le « pacte de vie commune » (σύμφωνο συμβίωσης). Selon son article premier un tel pacte ne peut être conclu que par deux personnes majeures de sexe opposé. Selon le rapport explicatif de la loi no 3719/2008 le pacte de vie commune reconnaît une réalité sociale à savoir la vie commune hors mariage permettant ainsi aux intéressés d’inscrire leur relation dans un cadre juridique plus souple que celui de l’institution du mariage. Le rapport ajoute que le nombre d’enfants nés en Grèce de couples vivant en union libre a augmenté au fil du temps et représentait à l’époque 5% environ du nombre total des enfants nés dans le pays. Il relève aussi que le statut des femmes se retrouvant sans aucun soutien après de longues périodes de vie commune et plus généralement le phénomène des familles monoparentales constituent des problèmes majeurs exigeant une intervention législative. Il précise toutefois que le mariage religieux conserve une valeur incomparable et avec le mariage civil constitue le meilleur choix pour les couples souhaitant fonder une famille en s’entourant de toutes les garanties juridiques économiques et sociales. Le rapport fait aussi référence à l’article 8 de la Convention qui protège, sous l’angle du droit à la vie privée et familiale, la vie commune hors mariage, et relève qu’un certain nombre d’États européens reconnaissent juridiquement une forme de partenariat enregistré pour des couples hétérosexuels ou homosexuels. Sans plus d’explications, le rapport note que le pacte est réservé aux adultes de sexe opposé. Il conclut que le « pacte de vie commune » constitue une nouvelle forme de partenariat et non pas une sorte de « mariage souple ». Selon le rapport l’institution du mariage n’est pas affaiblie par la nouvelle loi puisqu’elle relève d’un régime juridique différent de celui du « pacte de vie commune ». Un vif débat précéda la mise en œuvre de la loi no 3719/2008. L’Église de Grèce prit officiellement position contre elle. Dans un communiqué publié le 17 mars 2008 par le Saint Synode elle qualifia le pacte de vie commune de « prostitution ». Quant au ministre de la Justice il déclara devant la commission parlementaire compétente : « (...) Nous pensons que nous ne devrions pas aller plus loin. Il ne faut pas inclure les couples de même sexe. En effet nous sommes persuadés que les exigences et besoins de la société hellénique ne commandent pas d’aller au-delà ; en tant que législateur le parti politique au pouvoir est tenu de rendre des comptes au peuple grec. Il a ses propres convictions et a débattu de ce problème ; je crois que c’est la voie à suivre ». La Commission nationale des droits de l’homme, dans ses observations datées du 14 juillet 2008 sur le projet de loi, fit référence notamment à la notion de vie familiale, expliquant que le contenu n’en était pas statique mais se modifiait en fonction de l’évolution des mœurs (paragraphes 21-24 ci-dessous). Le 4 novembre 2008, le Conseil scientifique (Επιστημονικό Συμβούλιο) du Parlement organe consultatif dépendant du président du Parlement dressa un rapport sur le projet de loi en cause. Il y observait notamment, en faisant référence à la jurisprudence de la Cour, que la protection de l’orientation sexuelle entrait dans le champ d’application de l’article 14 de la Convention et que la notion de « famille » n’incluait pas uniquement les relations entre individus au sein de l’institution du mariage mais qu’elle pouvait englober de manière plus générale des rapports équivalant de facto à une vie familiale et établis en dehors des liens du mariage (page 2 du rapport). Lors du débat parlementaire du 11 novembre 2008 à propos du pacte de vie commune, le ministre de la Justice se borna à déclarer que « la société aujourd’hui n’[était] pas encore assez mature pour accepter la cohabitation des couples de même sexe ». Plusieurs orateurs insistèrent sur la violation par la Grèce de ses obligations internationales et, notamment, des articles 8 et 14 de la Convention du fait que les couples homosexuels étaient exclus du dispositif. Le 27 septembre 2010 la Commission nationale des droits de l’homme adressa une lettre au ministre de la Justice réitérant sa position sur le caractère discriminatoire de la loi no 3719/2008. Dans cette lettre, la commission considérait qu’il serait opportun d’élaborer un projet de loi étendant le pacte de vie commune aux personnes de même sexe. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Les droit et pratique internes La loi no 3719/2008 Les articles pertinents de la loi no 3719/2008 se lisent comme suit : Article 1 Conclusion « Le contrat entre deux personnes physiques majeures de sexe opposé par lequel elles organisent leur vie commune (« pacte de vie commune ») est conclu par un acte notarié en leur présence. Le contrat prend effet à partir du dépôt d’une copie de l’acte notarié auprès de l’officier d’état civil du lieu de résidence des deux partenaires. Il est enregistré dans un dossier spécial de l’état civil. » Article 2 Modalités « 1. Pour conclure un pacte de vie commune il est nécessaire d’avoir la capacité juridique pleine et entière. La conclusion d’un pacte de vie commune n’est pas autorisée : a) si l’une ou l’autre des personnes intéressées ou les deux ont déjà contracté mariage ou conclu un pacte de vie commune b) entre des parents par le sang (...) ou par alliance (...) et c) entre l’adoptant et l’adopté. La violation des dispositions du présent article entraîne la nullité du pacte de vie commune. » Article 3 Nullité du pacte « Les contractants ou quiconque faisant valoir un intérêt légitime à caractère familial ou pécuniaire peuvent invoquer la nullité du pacte de vie commune en vertu de l’article précédent. Le procureur peut demander d’office l’annulation du pacte de vie commune si celui-ci porte atteinte à l’ordre public. » Article 4 Résiliation « 1. Le pacte de vie commune est résilié : a) par un accord entre les contractants qui prend la forme d’un acte notarié conclu en leur présence, b) par une déclaration unilatérale devant notaire, après notification à l’autre partie par un huissier de justice et c) de plein droit en cas de mariage des contractants entre eux ou entre l’un d’entre eux et un tiers. La résiliation du pacte de vie commune prend effet à partir du dépôt de l’acte notarié ou de la déclaration unilatérale auprès de l’officier de l’état civil où le pacte de vie commune a été enregistré. » Article 5 Nom « Le pacte de vie commune ne modifie pas le nom (de famille) des contractants. Chacun peut si l’autre y consent utiliser le nom de l’autre ou l’ajouter au sien dans les rapports sociaux. » Article 6 Relations pécuniaires « Les relations pécuniaires des contractants, notamment en ce qui concerne les biens acquis pendant la durée du pacte de vie commune (acquêts), peuvent être réglementées par le pacte de vie commune ou par un acte notarié ultérieur. À défaut d’accord sur les acquêts après la résiliation du pacte chacun des contractants a une prétention sur la contribution de l’autre. Cette prétention ne naît pas en la personne des héritiers de l’ayant droit elle ne peut pas être cédée ni transmise par succession héréditaire mais elle est dirigée contre les héritiers de la partie redevable. La prétention est prescrite dans un délai de deux ans à compter de la résiliation du pacte. » Article 7 Obligation alimentaire après la résiliation « 1. Dans le pacte de vie commune ou dans un acte notarié ultérieur l’un des contractants peut s’engager à verser une pension alimentaire à l’autre ou les deux contractants peuvent prendre un engagement réciproque en ce sens uniquement pour le cas où après la résiliation du pacte l’un ou l’autre des contractants ne pourrait assurer son entretien par ses propres revenus ou biens. Celui qui n’est pas en mesure, au vu de ses autres obligations, de verser une pension alimentaire sans compromettre son propre entretien n’a pas l’obligation de la verser. Cette obligation ne pèse pas sur les héritiers de la personne redevable. En ce qui concerne le droit à pension alimentaire, la personne y ayant droit en vertu du pacte de vie commune prend rang à égalité avec l’époux divorcé de la personne redevable. Après la résiliation du pacte de vie commune la personne redevable d’une pension alimentaire ne peut pas se prévaloir d’une telle obligation afin d’être dispensée en tout ou en partie de son obligation de contribuer [à l’entretien de] son époux ou à ses enfants mineurs ou de leur verser une pension alimentaire. Sans préjudice des paragraphes 2 et 3 l’obligation contractuelle visée au paragraphe 1 l’emporte sur l’obligation d’entretenir d’autres personnes que le bénéficiaire [de la pension alimentaire] qui après la résiliation du pacte se trouve dans l’impossibilité de subvenir à ses besoins par ses propres moyens. » Article 8 Présomption de paternité « 1. L’enfant né pendant la durée du pacte de vie commune ou dans les trois cents jours après sa résiliation ou son annulation est présumé avoir comme père l’homme avec qui la mère a conclu le pacte. Cette présomption est renversée par une décision judiciaire irrévocable. Les articles 1466 et suivants du code civil ainsi que les articles 614 et suivants du code de procédure civile sont appliqués par analogie. La nullité ou l’annulation du pacte n’a pas d’incidence sur la paternité des enfants. » Article 9 Nom des enfants « L’enfant né au cours du pacte de vie commune ou dans les trois cent jours après sa résiliation ou annulation porte le nom choisi par ses parents par une déclaration commune et irrévocable qui est consignée dans le pacte ou dans un acte notarié ultérieur établi avant la naissance du premier enfant. Le nom choisi est commun à tous les enfants et est obligatoirement le nom de l’un des parents ou une combinaison de leurs noms. En aucun cas il ne peut comprendre plus de deux noms. Si la déclaration est omise l’enfant aura un nom composé constitué du nom de ses deux parents. Si le nom de l’un des parents ou des deux, est composé le nom de l’enfant sera formé par le premier des deux noms. » Article 10 Autorité parentale « 1. L’autorité parentale sur un enfant né pendant la durée du pacte de vie commune ou dans les trois cents jours après sa résiliation ou son annulation appartient aux deux parents et est exercée conjointement. Les dispositions du code civil relatives à l’autorité parentale sur les enfants nés dans les liens du mariage s’appliquent par analogie. Si le pacte de vie commune est résilié pour les raisons mentionnées aux articles 2 et 4 de la présente loi l’article 1513 du code civil s’applique par analogie pour ce qui est de l’autorité parentale. » Article 11 Successions « 1. Après la résiliation du pacte de vie commune pour cause de décès le survivant a un droit héréditaire ab intestat qui s’élève à un sixième de la succession s’il concourt avec des héritiers de premier degré au tiers s’il concourt avec des héritiers d’autres degrés et à la totalité de l’héritage si aucun parent du de cujus n’est appelé en tant qu’héritier ab intestat. Le survivant a droit à une réserve légale sur l’héritage à hauteur de la moitié de la part qui lui correspondrait ab intestat. (...) Les articles 1823 et suivants 1839 et suivants et 1860 du code civil s’appliquent par analogie. » Article 13 Champ d’application « La présente loi s’applique à tout pacte de vie commune conclu en Grèce ou devant une autorité consulaire grecque. Dans tous les autres cas le droit applicable est le droit désigné par les règles du droit international privé. » Le code civil Les articles pertinents du code civil sont ainsi libellés : Article 57 « Celui qui est atteint dans sa personnalité d’une manière illicite a le droit d’exiger la suppression de l’atteinte et en outre sa non-répétition à l’avenir (...). En outre le droit à des dommages-intérêts suivant les dispositions relatives aux actes illicites n’est pas exclu. » Article 59 « Dans les cas prévus par les deux articles précédents, le tribunal peut, par un jugement rendu à la demande de la victime de l’atteinte, et compte tenu de la nature de celle-ci, condamner en outre la personne fautive à réparer le préjudice moral de la victime. Cette réparation prend la forme d’un versement d’une somme d’argent d’une mesure de publicité et de toute autre mesure indiquée en fonction des circonstances. » Article 914 « Celui qui, en violation de la loi, cause par sa faute un dommage à autrui est tenu à réparation. » Article 932 « Indépendamment de l’indemnité due à raison du préjudice patrimonial causé par un acte illicite, le tribunal peut, selon son appréciation, allouer une réparation pécuniaire raisonnable pour préjudice moral. Peut notamment bénéficier de cette règle celui qui a subi une atteinte à sa santé à son honneur ou à sa pudeur ou qui a été privé de sa liberté. En cas de mort d’homme la réparation peut être allouée à la famille de la victime au titre du pretium doloris. » Article 1444 « (...) Le droit à une pension alimentaire cesse si son titulaire se marie de nouveau ou s’il entretient une relation stable avec une autre personne ou vit en union libre (...). » La loi d’accompagnement du code civil Les articles 104 et 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lisent comme suit : Article 104 « Conformément aux dispositions du code civil relatives aux personnes morales l’État est responsable des actes ou omissions de ses organes concernant des rapports de droit privé ou son patrimoine privé. » Article 105 « L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actions ou omissions illégales commises par ses organes dans l’exercice de la puissance publique, sauf dans le cas où l’action ou l’omission en cause a méconnu une disposition existante dans le but de servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. » Ces dispositions établissent le concept d’acte dommageable spécial de droit public créant une responsabilité extracontractuelle de l’État. Cette responsabilité résulte d’actions ou omissions illégales qui peuvent être non seulement des actes juridiques mais également des actes matériels de l’administration y compris des actes non exécutoires en principe. La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission. Les arrêts nos 1141/1999, 909-910/2007, 1011/2008, 3088/2009, 169/2010 et 2546/2010 du Conseil d’État constituent des exemples jurisprudentiels de mise en jeu de la responsabilité extracontractuelle de l’État en cas d’inconstitutionnalité d’une loi. En particulier, dans son arrêt no 1141/1999 concernant la révocation législative du droit accordé à des parents de familles nombreuses de faire circuler des autobus d’usage public, la haute juridiction administrative rejeta le recours en réparation au motif que la loi appliquée n’était pas inconstitutionnelle. Dans ses arrêts nos 909-910/2007 et 169/2010, le Conseil d’État reconnut que la responsabilité civile de l’État était engagée du fait de l’installation de panneaux publicitaires aux abords des voies publiques en violation de la Convention de Vienne sur les panneaux de signalisation routière. Dans son arrêt no 1011/2008 relatif à une demande d’indemnisation en raison de la limitation par voie législative du droit du propriétaire à faire construire sur sa propriété, il débouta le demandeur, estimant que la responsabilité civile de l’État ne pouvait être mise en cause si la disposition prise au mépris d’une norme ayant une force juridique supérieure était destinée à servir l’intérêt public. Dans son arrêt no 3088/2009, il reconnut que l’État était tenu d’indemniser les intéressés à raison de l’omission du législateur de reconnaître par la voie normative les qualifications professionnelles d’une catégorie de diplômés d’instituts supérieurs technologiques. Enfin dans son arrêt no 2546/2010, la haute juridiction administrative considéra que l’État était civilement responsable pour avoir procédé à l’indemnisation de cinq agriculteurs nommément désignés dans une loi pour cause d’intempéries ayant détruit leurs récoltes tout en omettant de dédommager un sixième agriculteur lésé dans les mêmes conditions. Le rapport de la Commission nationale des droits de l’homme Instituée en 1998 cette Commission est placée sous l’autorité du Premier ministre. Elle a notamment pour objet l’élaboration et la publication de rapports relatifs à la protection des droits de l’homme soit de sa propre initiative soit à la demande du gouvernement du Parlement ou d’organisations non gouvernementales. Le 14 juillet 2008 la Commission adopta à l’unanimité un rapport contenant ses propositions sur le projet de loi intitulé « Réformes concernant la famille les enfants et la société ». Elle y affirmait ne pas parvenir à saisir la raison pour laquelle le projet de loi était ainsi intitulé alors qu’il autorisait une nouvelle forme de vie commune. De plus elle ajoutait que le projet de loi modifiait de manière fragmentaire hâtive et insuffisamment justifiée des dispositions du code civil afférentes au droit de la famille sans qu’une consultation publique avec les acteurs sociaux académiques et professionnels ait préalablement eu lieu. Dans son rapport la Commission relevait également que certaines phrases dans le rapport explicatif du projet de loi sous-entendaient que ses rédacteurs concevaient le pacte de vie commune comme une institution juridique inférieure au mariage. Elle ajoutait que, malgré la référence explicite du rapport explicatif à l’adoption de pactes de vie commune par d’autres États européens et destinés à des couples homosexuels, celui-ci n’offrait aucune justification sur l’exclusion de ces derniers du champ d’application du projet de loi. À cet égard en particulier, la Commission rappelait que, depuis 2004, elle avait invité les autorités compétentes à reconnaître juridiquement le pacte de vie commune aux couples constitués de personnes du même sexe. Dans sa proposition elle se fondait sur l’évolution du droit international sur ce sujet et en particulier se référait à la jurisprudence de la Cour relative aux articles 8 et 14 de la Convention. Elle considérait que l’État grec avait manqué une occasion unique de remédier aux discriminations subies par les couples homosexuels quant à la possibilité de former des partenariats civils reconnus par la loi. Elle soulignait que la législation faisait référence à l’union libre une forme de vie commune qui représentait une alternative au mariage pour des personnes de sexe opposé. Elle estimait que l’introduction dudit pacte était plus opportune pour les couples de même sexe que pour les couples de sexe opposé. B. Le droit comparé, européen et international Eléments de droit comparé Selon les éléments de droit comparé dont dispose la Cour sur l’introduction de formes officielles de vie commune autres que le mariage au sein des ordres juridiques des États membres du Conseil de l’Europe neuf États (la Belgique le Danemark l’Espagne la France, l’Islande les Pays-Bas la Norvège le Portugal et la Suède) reconnaissent le mariage entre personnes de même sexe. En outre dix-sept États membres (l’Allemagne l’Andorre l’Autriche la Belgique l’Espagne la Finlande la France la Hongrie l’Islande l’Irlande le Liechtenstein le Luxembourg les Pays-Bas la République tchèque le Royaume-Uni la Slovénie et la Suisse) autorisent des formes de partenariats civils pour les couples de même sexe. Le Danemark, la Norvège et la Suède reconnaissent le droit au mariage aux personnes de même sexe sans prévoir en même temps la possibilité de conclure un partenariat civil. Enfin la Lituanie et la Grèce sont les seuls États au sein du Conseil de l’Europe qui outre le mariage (possible uniquement pour les couples hétérosexuels) prévoient une autre forme de partenariat enregistré qui est destinée uniquement aux couples de sexe opposé. Les textes pertinents du Conseil de l’Europe Dans sa Recommandation 924 (1981) relative à la discrimination à l’égard des homosexuels, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) dénonce les différentes formes de discrimination à l’égard des homosexuels dans certains États membres du Conseil de l’Europe. Dans sa Recommandation 1474 (2000) sur « la situation des lesbiennes et gays dans les États membres du Conseil de l’Europe » elle invite les États membres entre autres à adopter des législations prévoyant le partenariat enregistré. En outre, dans la Recommandation 1470 (2000) relative au sujet plus spécifique de la « situation des gays et lesbiennes et de leurs partenaires en matière d’asile et d’immigration dans les États membres du Conseil de l’Europe », elle prie le Comité des Ministres de demander aux États membres, notamment, « de revoir leur politique en matière de droits sociaux et de protection des migrants de manière à ce que les couples et les familles homosexuels soient traités selon les mêmes règles que les couples et les familles hétérosexuels (...) ». Dans sa Résolution 1728 (2010) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe adoptée le 29 avril 2010 et intitulée « Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre » l’APCE invite les États membres « à garantir la reconnaissance juridique des couples de même sexe lorsque la législation nationale prévoit une telle reconnaissance comme déjà recommandé par l’Assemblée en 2000 » en prévoyant entre autres : « 16.9.1. les mêmes droits et obligations pécuniaires que ceux établis pour les couples hétérosexuels; 9.2. le statut de « proche »; 9.3. lorsque l’un des partenaires d’un couple de même sexe est étranger des mesures permettant à ce partenaire de bénéficier des mêmes droits de résidence que ceux dont bénéficierait un partenaire étranger dans un couple hétérosexuel; 9.4. la reconnaissance des dispositions adoptées par d’autres États membres qui produisent des effets similaires ». Dans sa Recommandation CM/Rec(2010)5 portant sur « des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre » le Comité des Ministres recommande aux États membres : « 1. d’examiner les mesures législatives et autres existantes de les suivre ainsi que de collecter et d’analyser des données pertinentes afin de contrôler et réparer toute discrimination directe ou indirecte pour des motifs tenant à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre ; de veiller à ce que des mesures législatives et autres visant à combattre toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre à garantir le respect des droits de l’homme des personnes lesbiennes gays bisexuelles et transgenres et à promouvoir la tolérance à leur égard soient adoptées et appliquées de manière efficace ; (...) » Dans la même Recommandation il est précisé ce qui suit : « 23. Lorsque la législation nationale confère des droits et des obligations aux couples non mariés les États membres devraient garantir son application sans aucune discrimination à la fois aux couples de même sexe et à ceux de sexes différents y compris en ce qui concerne les prestations de pension de retraite du survivant et les droits locatifs. Lorsque la législation nationale reconnaît les partenariats enregistrés entre personnes de même sexe les États membres devraient viser à ce que leur statut juridique ainsi que leurs droits et obligations soient équivalents à ceux des couples hétérosexuels dans une situation comparable. Lorsque la législation nationale ne reconnaît ni ne confère de droit ou d’obligation aux partenariats enregistrés entre personnes de même sexe et aux couples non mariés les États membres sont invités à considérer la possibilité de fournir sans aucune discrimination y compris vis-à-vis de couples de sexe différent, aux couples de même sexe des moyens juridiques ou autres pour répondre aux problèmes pratiques liés à la réalité sociale dans laquelle ils vivent. » Le droit de l’Union européenne Les articles 7, 9 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, signée le 7 décembre 2000 et entrée en vigueur le 1er décembre 2009, sont ainsi libellés : Article 7 « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. » Article 9 « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice. » Article 21 « 1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. Dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulières desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite. » Le commentaire relatif à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, rédigé en 2006 par le « Réseau UE d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux », énonce ce qui suit au sujet de l’article 9 de la Charte (traduction non officielle) : « En dépit des tendances et évolutions apparues récemment dans le droit interne d’un certain nombre de pays visant à plus d’ouverture et à une meilleure acceptation des couples homosexuels, quelques États conservent des politiques publiques et/ou réglementations qui excluent explicitement le droit pour les couples homosexuels de se marier. Il existe à l’heure actuelle une très faible reconnaissance juridique des relations entre personnes de même sexe en ce sens que le mariage n’est pas ouvert aux couples homosexuels. En d’autres termes, le droit interne de la majorité des États part de l’idée que les futurs époux sont de sexe différent. Néanmoins, dans un petit nombre de pays, par exemple aux Pays-Bas et en Belgique, le mariage de personnes de même sexe est autorisé par la loi. D’autres pays, comme les pays scandinaves, ont adopté une législation sur le partenariat enregistré, ce qui signifie notamment que la plupart des dispositions concernant le mariage, à savoir ses conséquences juridiques en matière de partage des biens, de droits de succession, etc., sont aussi applicables à ce type d’union. En même temps, il importe de signaler que la dénomination « partenariat enregistré » a été choisie intentionnellement pour établir une distinction avec le mariage et que ce type de contrat a été créé comme un mode différent de reconnaissance des relations personnelles. Cette nouvelle institution n’est donc accessible par définition qu’aux couples qui ne peuvent se marier, et le partenariat entre personnes de même sexe n’a pas le même statut et n’emporte pas les mêmes avantages que le mariage. (...) Afin de tenir compte de la diversité des législations concernant le mariage, l’article 9 de la Charte renvoie aux lois nationales. Comme son libellé le montre, cette disposition a une portée plus large que les articles correspondants des autres instruments internationaux. Etant donné que, contrairement aux autres instruments de défense des droits de l’homme, l’article 9 ne mentionne pas expressément « l’homme et la femme », on pourrait dire que rien ne s’oppose à la reconnaissance des relations entre personnes de même sexe dans le cadre du mariage. Cependant, cette disposition n’exige pas non plus explicitement que les lois nationales facilitent ce type de mariage. Les juridictions et comités internationaux ont jusqu’à présent hésité à ouvrir le mariage aux couples homosexuels. (...) » Un certain nombre de directives offrent aussi un intérêt en l’espèce. La directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial fixe les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres. En son article 4, qui s’inscrit dans le chapitre « Membres de la famille », cette directive dispose ce qui suit : « 3. Les États membres peuvent, par voie législative ou réglementaire, autoriser l’entrée et le séjour, au titre de la présente directive, sous réserve du respect des conditions définies au chapitre IV, du partenaire non marié ressortissant d’un pays tiers qui a avec le regroupant une relation durable et stable dûment prouvée, ou du ressortissant de pays tiers qui est lié au regroupant par un partenariat enregistré, conformément à l’article 5, paragraphe 2 (...) ». En outre, l’article 5 de la même directive se lit ainsi : « 1. Les États membres déterminent si, aux fins de l’exercice du droit au regroupement familial, une demande d’entrée et de séjour doit être introduite auprès des autorités compétentes de l’État membre concerné soit par le regroupant, soit par les membres de la famille. La demande est accompagnée de pièces justificatives prouvant les liens familiaux et le respect des conditions prévues aux articles 4 et 6 et, le cas échéant, aux articles 7 et 8, ainsi que de copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille. Le cas échéant, pour obtenir la preuve de l’existence de liens familiaux, les États membres peuvent procéder à des entretiens avec le regroupant et les membres de sa famille et à toute enquête jugée nécessaire. Lors de l’examen d’une demande concernant le partenaire non marié du regroupant, les États membres tiennent compte, afin d’établir l’existence de liens familiaux, d’éléments tels qu’un enfant commun, une cohabitation préalable, l’enregistrement du partenariat ou tout autre moyen de preuve fiable. (...) » La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 concerne le droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Son article 2 contient la définition suivante : « Aux fins de la présente directive, on entend par : (...) 2) « membre de la famille » : a) le conjoint ; b) le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d’un État membre, si, conformément à la législation de l’État membre d’accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l’État membre d’accueil ; c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt et un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ; d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ; »
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1951 et réside à Silistra. Le 15 avril 1995, un accident de la circulation se produisit avec la voiture du requérant sur la route reliant Silistra à Ruse. L’intéressé et une autre personne, une dénommée S.V., furent retrouvés inconscients sur les lieux de l’accident par deux autres automobilistes. Une enquête pénale contre X fut ouverte le 17 avril 1995. Le 7 août 1995, le requérant fut inculpé d’avoir causé à S.V. des lésions corporelles lors de l’accident de circulation du 15 avril 1995 qu’il avait provoqué sous l’emprise de l’alcool. Par la suite, l’affaire fut renvoyée au service de l’instruction par le procureur régional à deux reprises pour des compléments d’enquête : le 17 juillet 1998 et le 26 avril 1999. Au cours de l’instruction préliminaire, les organes de l’enquête effectuèrent une inspection des lieux de l’accident, ordonnèrent plusieurs expertises, mirent en œuvre deux reconstitutions et interrogèrent quatorze témoins. En mai 2000, le requérant fut renvoyé en jugement devant le tribunal de district de Silistra pour avoir causé des lésions corporelles graves à S.V. lors de l’accident de circulation qu’il avait provoqué sous l’emprise de l’alcool. Par un jugement du 6 juin 2000, le tribunal de district de Silistra acquitta le requérant des charges soulevées à son encontre au motif qu’il n’était pas prouvé que c’était lui qui conduisait la voiture accidentée. S.V. interjeta appel devant le tribunal régional de Silistra. A la suite d’une publication dans la presse écrite en date du 15 octobre 2001 au sujet des poursuites pénales intentées à l’encontre du requérant, tous les juges du tribunal régional de Silistra se déportèrent de l’affaire. Le 19 novembre 2001, la Cour suprême de cassation décida de confier l’examen de l’affaire pénale au tribunal régional de Ruse. Le tribunal régional de Ruse examina l’affaire pénale entre le 24 janvier 2002 et le 26 janvier 2004. Deux audiences furent reportées pour absence de la partie civile et une autre audience fut ajournée à cause de l’absence du requérant. Les experts désignés par le tribunal régional en novembre 2002 rendirent leur rapport en juin 2003. Par un jugement du 26 janvier 2004, le tribunal régional de Ruse confirma l’acquittement du requérant. S.V. se pourvut en cassation. Par un arrêt du 9 décembre 2004, la Cour suprême de cassation infirma le jugement du tribunal régional et lui renvoya l’affaire pour réexamen. La haute juridiction enjoignit au tribunal inférieur d’ordonner une nouvelle expertise pour répondre à la question de savoir qui était le conducteur de la voiture accidentée. Le 13 janvier 2005, le tribunal régional de Ruse ordonna la nouvelle expertise aux mêmes experts qui avaient déjà formulé leurs conclusions lors de l’examen précédent de l’affaire. Les experts présentèrent leurs conclusions à l’audience du 17 mars 2005. Sur la base des données du dossier, des dépositions des témoins des événements, des blessures constatées sur les corps du requérant et de S.V. et compte tenu de leur positionnement au moment de leur découverte par les témoins, les experts estimèrent que c’était le requérant qui conduisait le véhicule au moment de l’accident et que S.V. se trouvait sur le siège avant droit. La défense du requérant demanda au tribunal d’ordonner aux experts un complément d’expertise afin de déterminer quelles auraient été les lésions corporelles sur le requérant si l’on supposait qu’il se trouvait sur le siège avant droit ou à l’arrière du véhicule. Le tribunal régional refusa d’ordonner le complément d’expertise demandé pour le motif que les experts avaient déjà répondu aux questions de savoir comment étaient causés les différentes lésions corporelles du requérant et de S.V. et quels étaient les sièges qu’ils occupaient au moment de l’accident. Le 17 mars 2005, le tribunal régional de Ruse prononça son jugement. Il reconnut le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à un an et six mois d’emprisonnement avec sursis. Le tribunal admit que l’établissement des faits avait été rendu difficile par l’absence de témoins directs et par le fait que le requérant et S.V. n’avaient aucun souvenir de l’accident. Toutefois, les conclusions des experts sur la nature et l’origine des blessures du requérant et celles de S.V., ainsi que les dépositions des témoins qui étaient les premiers à retrouver la scène de l’accident, permettaient de conclure que c’était le requérant qui conduisait le véhicule et qui avait perdu son contrôle et que S.V. se trouvait sur le siège avant droit lorsque la voiture avait quitté la route. Les preuves médicales démontraient également que la concentration d’alcool dans le sang de l’intéressé allait au-delà des limites autorisées par la législation interne. Le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 7 avril 2006, la Cour suprême de cassation rejeta son pourvoi et souscrivit pleinement aux conclusions factuelles et juridiques du tribunal inférieur. La haute juridiction estima que le tribunal régional avait amplement motivé son jugement, qu’il avait pris en compte toutes les preuves pertinentes pour établir les faits et qu’il avait pleinement respecté les règles procédurales et matérielles du droit interne.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, des conjoints, sont nés respectivement en 1940 et 1934 et résident à Naples. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants peuvent se résumer comme suit. A. L’expropriation du terrain. Les requérants étaient propriétaires d’un immeuble sis à Naples. Le 26 juin 1987, la société de la Métropolitaine de Naples (ci-après société M.N.) signifia aux requérants la délibération du Commissaire du Gouvernement qui autorisait l’occupation temporaire d’urgence de leur immeuble en vue de la construction du métro. Le 16 juillet 1987, la société M.N occupa l’immeuble des requérants. L’occupation d’urgence du terrain avait été autorisée pour une période de cinq ans. Par un acte notifié le 10 février 1989, les requérants introduisirent une action en dommages-intérêts à l’encontre de l’administration de Naples et de la société M.N. Ils faisaient valoir que l’occupation de l’immeuble était abusive étant donné qu’elle avait commencé avant la délibération du 26 juin 1987 et que les travaux de construction s’étaient terminés sans qu’il fût procédé à l’expropriation formelle de l’immeuble et au paiement d’une indemnité. Les requérants demandaient la restitution de l’immeuble ou les dommages-intérêts. Le 25 octobre 1993, une expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, la valeur vénale du terrain était de 218 323 ITL le mètre carré, à savoir 113 EUR le mètre carré. Par un jugement du 29 février 2000, le tribunal de Naples observa tout d’abord que l’occupation de deux parcelles du terrain devait être considérée illégale ab initio et, s’agissant de l’autre portion (34 mètres carrés de terrain), il déclara que la propriété de celle-ci était passée à l’administration par effet de la construction de l’ouvrage public. S’agissant des deux parcelles de terrain occupées sans titre, le tribunal condamna l’administration à verser aux requérants un dédommagement correspondant à la valeur vénale de la partie de l’immeuble occupée. S’agissant de la troisième portion du terrain, qui fit l’objet d’une expropriation indirecte, le tribunal de Naples fit application de la loi no 662 de 1996, entre-temps entrée en vigueur. En conséquence, le tribunal condamna l’administration de Naples et la société M.N. à payer aux requérants 9 597 479 lires italiennes (ITL) (4956,68 EUR) à indexer à partir de 1987, pour le dommages afférents aux portions de l’immeuble occupées sans titre ; 6 812 847 ITL (3 519,54 EUR) pour la perte de propriété de la troisième partie du terrain, 1 019 159 ITL (5 26,35 EUR) à titre d’indemnité d’occupation légitime et 64 959 402 ITL (3 3548,73 EUR) pour les dommages afférents à la dépréciation de l’immeuble. Le 28 mai 2001, les requérants interjetèrent appel de ce jugement devant la cour d’appel de Naples. Le 6 décembre 2002, la cour d’appel de Naples confirma la décision du tribunal. Cet arrêt devint définitif au plus tôt le 10 mars 2003. B. La procédure « Pinto ». Le 17 avril 2002, les requérants déposèrent près la cour d’appel de Rome une demande en réparation pour la durée de la procédure, au sens de la loi Pinto. Les requérants sollicitaient la réparation des dommages moraux et patrimoniaux. Ils demandaient la somme de 24 000 000 ITL (12 395 EUR, environ) pour chaque requérant. Par une décision du 21 juin 2002, la cour d’appel de Rome accorda une somme de 3 000 EUR pour chaque requérant, au titre du dommage moral uniquement. Contre cette décision, les requérants ne se sont pas pourvus en cassation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt GuisoGallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009. Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » sont décrits dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1981, 1980 et 1979. Le premier requérant réside à Canale, les deux autres à Savone. Le 3 décembre 2010, à 16 heures 37, un véhicule automobile, dont la plaque d’immatriculation paraissait suspecte, fut signalé. Le conducteur refusa d’obtempérer aux injonctions des policiers. Finalement bloqués par un embouteillage, les trois occupants du véhicule descendirent du véhicule et abandonnèrent deux sacs à dos dans leur fuite. Un dispositif de surveillance conduisit à l’arrestation des trois requérants, à 16 heures 46 pour D. Navone, 16 heures 49 pour G. Lafleur et 17 heures 20 pour D. Re. Ils furent conduits au poste de police et placés en garde à vue. La notification de leurs droits fut reportée jusqu’à l’arrivée de trois interprètes de langue italienne. Les investigations permirent d’établir que le véhicule était équipé de fausses plaques d’immatriculation, qu’il appartenait à un autre ressortissant italien défavorablement connu des services de police et que les objets retrouvés provenaient de vols. A. Déroulement de la garde à vue de D. Navone D. Navone fut placé en garde à vue le 3 décembre 2010 à 18 heures. Le requérant ne comprenant pas le français, la notification intervint à 21 heures 20 en présence d’un interprète en italien. Il ne souhaita pas faire prévenir quiconque et demanda à voir un médecin. S’agissant de la possibilité de s’entretenir avec un avocat, un procès-verbal d’interrogatoire, rédigé à 22 heures, indique que le requérant déclara ce qui suit : « Vous me demandez de vous dire le déroulement de cette journée du 3 décembre 2010. Je refuse de vous répondre et je ne dirai rien tant que je n’aurai pas vu mon avocat ». Un procès-verbal rédigé le lendemain, à 10 heures, rapporte quant à lui les propos suivants : « Je n’ai pas souhaité voir un avocat hier mais suis prêt à m’expliquer sur les faits qui me sont reprochés ». Dans le cadre de l’audition qui suivit, D. Navone fit des déclarations en réponse à des questions des policiers sur ses relations avec les autres requérants et le déroulement de la journée. Il reconnut avoir été le seul à commettre les vols, sur lesquels il donna des détails, désignant G. Lafleur comme ayant été le conducteur et l’accusant, ainsi que D. Re, d’avoir fait le guet pendant ses deux cambriolages. La prolongation de sa garde à vue lui fut notifiée à 17 heures 45, en présence d’un interprète en italien. Le requérant déclara ne pas souhaiter s’entretenir avec un avocat à cette occasion. A nouveau interrogé de 20 heures 45 à 21 heures 15, puis de 23 heures 30 à 23 heures 40, il précisa le déroulement des faits et réagit à des déclarations faites par D. Re, au sujet de trois montres découvertes près du lieu de son interpellation, ainsi que par G. Lafleur, concernant des bijoux volés. La fin de la garde à vue lui fut notifiée le 5 décembre à 15 heures 20. B. Déroulement de la garde à vue concernant G. Lafleur G. Lafleur fut placé en garde à vue le 3 décembre 2010 à 17 heures 50. Le requérant ne comprenant pas le français, la notification intervint à 20 heures en présence d’un interprète en italien. Il souhaita faire prévenir son épouse, demanda à voir un médecin et déclara ne pas souhaiter consulter d’avocat. Il ressort d’un procès-verbal qu’il fut interrogé une première fois le 3 décembre de 20 heures 15 à 21 heures, pour s’expliquer sur le déroulement de la journée du 3 décembre, ainsi que sur les objets volés et retrouvés dans des sacs jetés au sol durant la fuite. Durant le second interrogatoire, qui se déroula le 4 décembre de 9 heures 40 à 11 heures, il répondit aux questions des enquêteurs, pour détailler certains faits et réagir à sa mise en cause par D. Navone. La prolongation de sa garde à vue lui fut notifiée à 17 heures 32, en présence d’un interprète en italien. Informé de son droit de s’entretenir avec un avocat pendant une durée ne pouvant excéder une heure, il déclara vouloir en bénéficier. Une avocate de Monaco, Me Filippi, fut contactée à 18 heures 35 concernant tant G. Lafleur que D. Re. Un procès-verbal indique son arrivée à 19 heures, suivie d’un entretien pendant une durée non établie, entre 19 heures 10 et 20 heures, à l’issue duquel Me Filippi fit observer qu’elle n’avait pu avoir accès au dossier. Un procès-verbal rédigé à 21 heures 30 indique la reprise de l’interrogatoire du requérant, sans la présence de l’avocate. D. Navone fut interrogé jusqu’à 23 heures 10 pour apporter des précisions sur les faits. Après avoir déclaré « c’est vrai que nous avons fait ces deux vols », il déclara avoir été le seul conducteur du véhicule durant la journée et répondit aux questions des policiers. La fin de la garde à vue lui fut notifiée le 5 décembre à 14 heures 55. C. Déroulement de la garde à vue de D. Re D. Re fut placé en garde à vue le 3 décembre 2010 à 18 heures 10. Le requérant ne comprenant pas le français, la notification intervint à 20 heures 05 en présence d’un interprète en italien. Le requérant souhaita faire prévenir son épouse et se faire examiner par un médecin. Informé de son droit de s’entretenir avec un avocat pendant une durée ne pouvant excéder une heure, il désigna Me A. Di Blasio, avocat italien exerçant à Savone, ville située à environ 135 kilomètres de Monaco. A 21 heures 10, le premier interrogatoire du requérant débuta, pour se terminer à 22 heures 45. Au cours de cette audition, à 21 heures 40, l’épouse du requérant, qui avait été jointe par téléphone une première fois à 20 heures 25, communiqua les coordonnées téléphoniques de Me Di Blasio. Les policiers tentèrent de joindre ce dernier entre 21 heures 40 et 21 heures 50, sans succès. Informé de cette difficulté à 21 heures 55, le requérant indiquant vouloir attendre le lendemain matin, afin que les services de police ou son épouse contactent cet avocat. Pendant ce premier interrogatoire, le requérant indiqua ses antécédents judiciaires et expliqua le déroulement de sa journée, jusqu’à l’arrivée à Monaco et l’intervention d’un agent de police pour faire arrêter le véhicule dans lequel il était passager. Tout en précisant, en réponse aux questions posées, que durant tout le voyage, du départ de Savone, jusqu’à leur arrestation, les deux autres requérants et lui étaient restés ensemble, il indiqua ne pas savoir qui avait mis de fausses plaques sur la voiture et n’être au courant ni du cambriolage dans une villa d’Eze ni des sacs abandonnés en sortant de la voiture. Il déclara se souvenir uniquement de ce que leur véhicule avait heurté une voiture lors de la fuite. Le requérant fut à nouveau entendu le 4 décembre de 10 heures à 11 heures 45. Il déclara maintenir l’intégralité de ses premières explications, avant d’être invité à indiquer s’il connaissait les deux autres requérants et à raconter leur rencontre, ainsi qu’à décrire de manière précise sa journée du 3 décembre. Il précisa ne plus savoir qui conduisait le véhicule, tout en relevant que les policiers lui indiquaient que les caméras de surveillance permettaient de savoir qu’il s’agissait de G. Lafleur, qui avait également été désigné par D. Navone. Il raconta ensuite le déroulement des faits concernant le refus d’obtempérer et la fuite, tout en s’expliquant sur sa mise en cause par D. Navone. Les policiers tentèrent à nouveau de joindre Me Di Blasio à 12 heures 30, sans succès. La prolongation de sa garde à vue, décidée par le juge des libertés à 17 heures, lui fut notifiée à 17 heures 58, en présence d’un interprète en italien et, suite à la nouvelle notification de ses droits à 17 heures 32, il déclara vouloir faire prévenir son épouse. Informé de son droit de s’entretenir avec un avocat pendant une durée ne pouvant excéder une heure, et Me Di Blasio ne pouvant être joint, il décida de s’entretenir avec un avocat commis d’office. L’interrogatoire du requérant reprit à 18 heures 30, jusqu’à 19 heures 15. Déclarant avoir beaucoup de choses à compléter par rapport à ses précédentes déclarations il nia les faits, tout en précisant, en réponse à l’une des questions relative au point de savoir s’il pouvait affirmer qu’il n’était porteur d’aucun objet volé : « je pense que non ». Interrogé sur la présence de trois montres découvertes à proximité du lieu de son arrestation, il déclara que D. Navone les lui avait données dans la voiture. L’avocate de Monaco, Me Filippi, qui avait également été contactée pour G. Lafleur à 18 heures 35 (paragraphe 14 ci-dessus), eut un entretien avec le requérant pendant une durée non établie, entre 19 heures 10 et 20 heures, à l’issue duquel elle fit observer qu’elle n’avait pu avoir accès au dossier. La fin de la garde à vue fut notifiée à D. Re le 5 décembre à 14 heures 30. D. Sur la procédure ultérieure concernant les trois requérants Le 5 décembre 2010, une information judiciaire fut ouverte sur les réquisitions du procureur général à l’encontre des trois requérants des chefs de vols, recels de biens découverts dans le véhicule, établissement d’un certificat faisant état de faits matériellement inexacts (fausse plaque d’immatriculation) et usage, ainsi que des chefs de refus d’obtempérer, défaut de maîtrise et délit de fuite pour G. Lafleur et de recel de montres pour D. Re. Les trois requérants furent inculpés et mis en détention provisoire le même jour. Le 24 décembre 2010, ils déposèrent trois requêtes aux fins de nullité et de mise en liberté, visant notamment l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention. Ils invoquèrent le droit de soulever les nullités à l’instar du droit reconnu au procureur général, en raison du défaut d’information sur leur droit de garder le silence et de l’impossibilité pour leurs avocats d’avoir accès au dossier et d’assister à leurs auditions. D. Navone et G. Lafleur contestèrent avoir renoncé à l’assistance d’un avocat. D. Re soutint qu’il avait été interrogé avant que les policiers n’aient tenté de joindre l’avocat désigné par lui, et que si celui-ci n’avait pu être finalement contacté, il n’avait pas été informé de la possibilité de demander la désignation d’un avocat commis d’office. Ils soulevèrent également l’absence d’indication de l’identité des interprètes et le défaut de serment par ces derniers. Par un arrêt du 13 janvier 2011, la chambre du conseil de la cour d’appel déclara les requêtes en nullité recevables. Sur le moyen tiré de l’absence d’entretien avec un avocat, la cour releva qu’après avoir d’abord renoncé à s’entretenir avec un avocat, D. Navone et G. Lafleur avaient ensuite demandé qu’un avocat soit commis d’office, ce qui fut immédiatement réalisé, une avocate s’étant rendue sur place pour s’entretenir avec eux. Concernant D. Re, elle estima que les difficultés à joindre l’avocat désigné par lui ne pouvaient faire obstacle à son audition par l’officier de police judiciaire et que, par ailleurs, la même avocate commise d’office s’était finalement entretenue avec lui. La Cour releva en outre que l’identité des interprètes apparaissait sur les procès-verbaux et qu’ils n’avaient légalement pas à prêter serment dans le cadre d’une garde à vue. S’agissant du défaut de notification du droit de garder le silence et de l’impossibilité pour l’avocat d’avoir accès au dossier, de préparer l’audition et d’y assister, la cour d’appel rejeta les arguments des requérants en s’exprimant comme suit : « Attendu que les requérants se fondent sur l’arrêt rendu le 14 octobre 2010 par la Cour européenne des Droits de l’Homme (arrêt BRUSCO c/ France) pour, qu’appliquant en l’espèce les principes qui s’en dégageraient, la Chambre du conseil constate que le droit de garder le silence n’a pas été notifié aux gardés à vue et qu’ils n’ont pu bénéficier de l’assistance effective d’un avocat ayant accès au dossier d’enquête et pouvant ainsi les conseiller utilement en vue de leurs auditions qui auraient dû se dérouler en sa présence ; Attendu qu’il convient d’observer que l’arrêt BRUSCO a été rendu dans un cas d’espèce bien particulier, l’intéressé ayant été entendu pendant sa garde à vue sous la foi du serment alors qu’il existait déjà contre lui des charges importantes, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire ; Que cet arrêt n’était pas définitif au moment des débats devant la Chambre du conseil ; Attendu que si le texte même des articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme s’impose bien aux Etats adhérant à cette convention, et donc à la principauté de Monaco, en ce que « tout accusé a notamment droit à l’assistance d’un défenseur de son choix », l’extension jurisprudentielle qui conduirait à appliquer ce principe et ses modalités pratiques si largement déclinées dès la phase d’enquête, en amont du processus judiciaire, doit par contre être examinée avec circonspection ; Qu’en effet, cette interprétation très extensive, par des décisions d’espèce, récentes et non encore définitives, susceptibles d’évolution, voire de revirement, n’est pas de nature à constituer un corpus de normes juridiques qui puisse être appliqué immédiatement de façon abrupte et précipitée par les juridictions de l’ordre interne au risque de bouleverser, par la seule voie jurisprudentielle, le droit procédural positif et de porter ainsi atteinte à la sécurité juridique et à la bonne administration de la justice ; Attendu qu’il est notable de constater à cet égard que l’un des pays adhérant à la Convention Européenne des Droits de l’Homme s’est empressé de modifier sa législation relative à la motivation des arrêts de la Cour d’Assises à la suite d’un arrêt rendu le 13 janvier 2009 par la formation simple de la chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme alors que par un arrêt du 16 novembre 2010 de la Grande chambre de cette Cour l’exigence d’une telle motivation a été réduite à celle des « questions précises posées au Jury en termes non équivoques » (arrêt TAXQUET c/ Belgique) ; Attendu que la prudence commande en conséquence de ne pas faire en l’espèce application des recommandations préconisées par l’arrêt BRUSCO et de rejeter les moyens invoqués sur ce fondement par les requérants (...) ». Les requérants formèrent une déclaration de pourvoi au greffe général le 18 janvier 2011 et ils déposèrent leurs requêtes le 2 février 2011. Par un arrêt du 7 avril 2011, la Cour de révision cassa et annula l’arrêt du 13 janvier 2011 en ce qu’il avait jugé que l’audition de D. Re par l’officier de police judiciaire pouvait intervenir en raison des difficultés à joindre l’avocat, alors que le requérant aurait dû se voir notifier son droit de ne faire aucune déclaration et en dehors de l’assistance, qu’il avait demandée, d’un avocat, fut-il commis d’office, par application de l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle renvoya la cause à l’une de ses prochaines sessions, devant une formation autrement composée. Concernant les deux autres requérants, la Cour de révision rejeta leurs pourvois dans les termes suivants : « (...) d’une part, (...) le libre exercice du droit de se défendre seul, conféré par l’article 6 § 3 c de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à tout accusé au sens de cette convention, est exclusif de celui de ne faire aucune déclaration et rend dès lors inutile la notification expresse de ce dernier droit ; que l’arrêt constate que MM. Lafleur et Navone ont tout d’abord renoncé à s’entretenir avec un avocat lors de la notification de leur placement en garde à vue, puis ont demandé qu’un avocat soit commis d’office, ce qui a été immédiatement réalisé, maître Sarah Filippi s’étant rendue dans les locaux de la sûreté publique et ayant pu s’entretenir avec les intéressés ; (...) d’autre part, (...) il ne résulte pas du dossier de la procédure qu’après avoir été informée, le 4 décembre 2010 à 19 heures, de l’existence de raisons plausibles de soupçonner M. Lafleur d’avoir commis ou tenté de commettre les délits de vols, recels de vol, faux et usage, maître Filippi ait demandé, avant de s’entretenir avec son client en vue d’assurer sa défense, communication d’un dossier (...) ». Quant au moyen des requérants relatif aux interprètes, la Cour de révision le déclara non fondé en confirmant la position de la cour d’appel. Le 1er mars 2011, le tribunal correctionnel rejeta la demande de mise en liberté présentée par les requérants. Par un jugement du 12 avril 2011, suite à une ordonnance de renvoi du juge d’instruction en date du 24 février 2011, le tribunal correctionnel déclara G. Lafleur et D. Navone coupables des faits reprochés au regard de leurs déclarations concordantes. Il les condamna à dix-huit mois d’emprisonnement pour les délits, outre quarante-cinq euros d’amende pour la contravention de défaut de maîtrise d’un véhicule commise par G. Lafleur. L’affaire fut renvoyée au 7 juin 2011 concernant D. Re, le tribunal ayant fait droit à une demande de disjonction de la procédure présentée par l’avocat des requérants. Par un arrêt du 18 mai 2011, faisant suite à celui du 7 avril 2011, la Cour de révision jugea que le procès-verbal rédigé le 3 décembre 2010 dans le cadre du premier interrogatoire de M. Re devait être déclaré nul et retiré de la procédure. Elle rejeta la demande de nullité des actes postérieurs. Le 7 juin 2011, le tribunal correctionnel déclara D. Re coupable des faits reprochés, compte tenu notamment de sa mise en cause par les autres requérants après leur arrestation et de sa fuite à travers la Principauté, à l’exception de ceux relatifs à la fausse plaque d’immatriculation. Il le condamna à dix-huit mois d’emprisonnement. Les requérants interjetèrent appel de ces jugements. Par un arrêt du 27 juin 2011, la cour d’appel confirma pour l’essentiel les jugements, compte tenu du fait, d’une part, que D. Navone et G. Lafleur avaient reconnu avoir commis les faits qui leur étaient reprochés, des objets volés ayant par ailleurs été retrouvés dans leur voiture ou près du lieu de leur arrestation et, d’autre part, que D. Re était mis en cause de manière concordante par les deux autres prévenus et qu’il n’avait pu donner d’explication sérieuse sur la présence de trois montres, dont une déclarée volée par une victime identifiée, à proximité du lieu de son arrestation. Elle condamna les trois requérants à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, créées par la loi no 1.343 du 26 décembre 2007, se lisaient comme suit à l’époque des faits : Article 60-5 « En lui notifiant la garde à vue, l’officier de police judiciaire fait connaître à la personne concernée les droits qui lui sont reconnus par les articles 60-6 à 60-9. À cette fin, il lui remet copie des dits articles, au besoin en les faisant traduire dans une langue qu’elle comprend. Procès-verbal de l’accomplissement de cette formalité est signé par l’officier de police judiciaire et l’intéressé. Si ce dernier ne sait ou ne veut signer, il en est fait mention au procès-verbal. L’officier de police judiciaire met aussitôt l’intéressé en état de faire usage de ses droits. » Article 60-6 « Toute personne gardée à vue est immédiatement avisée par l’officier de police judiciaire des faits objet des investigations sur lesquels elle a à s’expliquer et de la nature de l’infraction. Le deuxième alinéa de l’article 60-5 reçoit application. » Article 60-7 « La personne placée en garde à vue a le droit de faire prévenir aussitôt par téléphone de la mesure dont elle est l’objet la personne avec laquelle elle vit habituellement, l’un de ses parents en ligne directe, l’un de ses frères et sœurs ou son employeur. Si l’officier de police judiciaire estime que cette communication est de nature à nuire aux investigations, il en réfère au procureur général ou au juge d’instruction qui décide s’il y a lieu, ou non, de faire droit à cette demande. Le deuxième alinéa de l’article 60-5 reçoit application. » Article 60-9 « Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le Président du tribunal sur la base d’un tableau de roulement établi par le Bâtonnier. L’avocat désigné est informé par l’officier de police judiciaire de la nature et de la cause de l’infraction. Procès-verbal de l’accomplissement de cette formalité est signé par l’officier de police judiciaire et l’avocat. À l’issue de l’entretien qui doit pouvoir se dérouler dans des conditions garantissant la confidentialité et qui ne peut excéder une heure, l’avocat présente, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure. Lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, et dès le début de celle-ci, la personne peut également demander à s’entretenir avec un avocat, dans les conditions et selon les modalités prévues à l’alinéa précédent. » Une note du Procureur général en date du 30 mai 2011, donnant instruction, dans l’attente d’une future révision du droit applicable aux gardes à vue, de suivre des dispositions complémentaires, était rédigée dans les termes suivants : « Objet : Mesures concernant la garde à vue Les récentes décisions des cours et des tribunaux, tenant compte de la jurisprudence de la CEDH, conduisent à anticiper une future modification de la loi portant sur la garde à vue. Ainsi, et dans un souci de sécurité juridique des procédures, il y a lieu de compléter l’exécution des mesures de garde à vue par les dispositions suivantes. 1/ L’assistance d’un avocat Dès le début de la garde à vue, la personne a le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat. L’avocat, désigné ou commis d’office, est informé par l’Officier de police judiciaire (OPJ) de la nature et des circonstances de l’infraction. Ces informations seront communiquées dès son arrivée à l’avocat. Dès le début de la mesure, l’avocat peut s’entretenir avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien et dont la durée ne peut excéder une heure. L’avocat peut assister la personne gardée à vue tout au long de la mesure. Il peut consulter les procès-verbaux d’audition de la personne qu’il assiste. Si l’avocat ne se présente pas dans un délai d’une heure après avoir été avisé, l’OPJ peut décider de débuter l’audition. Toutefois, si l’avocat se présente après l’expiration de ce délai, et que l’audition a déjà débuté, celle-ci est interrompue à la demande de la personne gardée à vue afin de lui permettre de s’entretenir avec son avocat. Si la personne gardée à vue ne souhaite pas l’entretien, l’avocat peut assister à l’audition en cours, dès son arrivée. Le procès-verbal d’audition mentionnera la présence de l’avocat, et, le cas échéant, les interventions de ce dernier qui devront être conformes aux dispositions du second alinéa de l’article 174 du Code de Procédure Pénale. L’OPJ rendra compte sans délai au magistrat mandant de toute difficulté survenant dans l’exécution de la mesure. 2/ Le droit de ne faire aucune déclaration La personne gardée à vue est également informée qu’elle a « le droit de ne faire aucune déclaration ». La mention de l’information de ce droit, formulée comme suit : « Vous m’informez que j’ai le droit de ne faire aucune déclaration » figurera dans le procès-verbal de placement en garde à vue sans qu’il soit besoin de faire ensuite figurer la réponse. Le procès-verbal de fin de garde à vue fera apparaître également l’information donnée par l’OPJ de ces droits, ainsi que l’exécution de ceux-ci. Ces mesures se rajoutent à celles déjà en vigueur pour l’organisation de la garde à vue. A cet égard, il est rappelé que le délai légal de 24 heures court à compter de l’instant à partir duquel le suspect ne dispose plus de sa liberté d’aller et venir. La présente note sera mise en œuvre dès sa diffusion. » Une loi no 1.399 portant réforme du code de procédure pénale en matière de garde à vue, adoptée le 25 juin 2013, a notamment modifié l’article 60-9 dudit code et ajouté les articles 60-9 bis, 60-9 ter et 60-9 quater, qui se lisent comme suit : Article 60-9 « La personne gardée à vue est informée qu’elle a le droit de ne faire aucune déclaration. Mention en est faite dans le procès- verbal. Elle est également informée que si elle renonce au droit mentionné au premier alinéa, toute déclaration faite au cours de la garde à vue pourra être utilisée comme élément de preuve. La personne gardée à vue a le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue. Toutefois, elle peut toujours renoncer à cette assistance de manière expresse, à la condition d’avoir été préalablement informée de son droit de ne faire aucune déclaration. Mention en est faite dans le procès-verbal. Si la personne gardée à vue n’est pas en mesure de désigner un avocat ou si l’avocat choisi ne peut être joint, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le président du tribunal de première instance sur la base d’un tableau de roulement établi par le Bâtonnier de l’ordre des avocats-défenseurs et avocats de Monaco. L’avocat est informé par l’officier de police judiciaire de la qualification juridique et des circonstances de l’infraction. Procès-verbal en est dressé par l’officier de police judiciaire et signé par l’avocat. Si l’avocat ne se présente pas dans un délai d’une heure après avoir été avisé, l’officier de police judiciaire peut décider de débuter l’audition. Si l’avocat se présente après l’expiration de ce délai, alors qu’une audition est en cours, celle-ci est interrompue à la demande de la personne gardée à vue afin de lui permettre de s’entretenir avec son avocat dans les conditions prévues à l’article 60-9 bis et que celui-ci prenne connaissance des documents prévus à l’article 60-9 bis alinéa 2. Il incombe à l’officier de police judiciaire d’informer la personne gardée à vue du droit d’interrompre l’audition. Si la personne gardée à vue ne demande pas à s’entretenir avec son avocat, celui-ci peut assister à l’audition en cours dès son arrivée. » Article 60-9 bis « Dès le début de la garde à vue l’avocat peut s’entretenir avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien dont la durée ne peut excéder une heure. L’avocat peut assister la personne gardée à vue tout au long des auditions en vue de la manifestation de la vérité. Il peut consulter les procès-verbaux d’audition de la personne qu’il assiste, ainsi que le procès-verbal établi en application de l’article 60-5 et se faire délivrer copie de celui-ci. En cas d’atteinte manifeste au bon déroulement de l’audition, l’officier de police peut, à tout moment, y mettre un terme. Il en avise le procureur général ou le juge d’instruction qui peut saisir, le cas échéant, le président du tribunal de première instance aux fins de désignation immédiate d’un nouvel avocat choisi ou commis d’office. Si la victime est confrontée à la personne gardée à vue, elle peut se faire assister d’un avocat désigné par elle-même, ou d’office, dans les conditions de l’article 60-9. Sans préjudice de l’exercice des droits de la défense, il ne peut être fait état auprès de quiconque des informations recueillies pendant la durée de la garde à vue. Le procès-verbal d’audition visé à l’article 60-11 mentionne la présence de l’avocat aux actes auxquels il assiste. » Article 60-9 ter « La personne gardée à vue ne peut être retenue plus de vingt-quatre heures. Toutefois, cette mesure peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures. Dans ce cas, le procureur général ou le juge d’instruction doit requérir l’approbation de la prolongation de la garde à vue par le juge des libertés, en motivant sa demande en y joignant tous documents utiles. Le juge des libertés statue par ordonnance motivée immédiatement exécutoire et insusceptible d’appel après s’être fait présenter, s’il l’estime nécessaire, la personne gardée à vue. Sa décision doit être notifiée à la personne gardée à vue avant l’expiration des premières vingt-quatre heures du placement en garde à vue. Une nouvelle prolongation de quarante-huit heures peut être autorisée dans les mêmes conditions, lorsque les investigations concernent, soit le blanchiment du produit d’une infraction, prévu et réprimé par les articles 218 à 219 du Code pénal, soit une infraction à la législation sur les stupéfiants, soit les infractions contre la sûreté de l’État prévues et réprimées par les articles 50 à 71 du Code pénal, soit les actes de terrorisme prévus et réprimés par les articles 391-1 à 391-9 du Code pénal, ainsi que toute infraction à laquelle la loi déclare applicable le présent alinéa. » Article 60-9 quater « Si une personne a déjà été placée en garde à vue pour les mêmes faits, la durée des précédentes périodes de garde à vue s’impute sur la durée de la mesure. »
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1965 et réside à Covilhã (Portugal). A. La procédure civile devant le tribunal de Covilhã Le 25 septembre 2003, une procédure d’inventaire fut ouverte devant le tribunal de Covilhã, suite au décès de la mère de la requérante (affaire interne no 2035/03.2TBCVL). Par une ordonnance du 16 juin 2005, le tribunal suspendit l’instance dans l’attente de la conclusion d’une autre procédure d’inventaire. La suspension fut levée le 7 novembre 2008. Aux dernières informations reçues, lesquelles remontent au 17 décembre 2012, la procédure était toujours pendante. B. Les autres procédures Le 27 mai 2004, la requérante porta plainte pour insulte, devant le parquet près le tribunal de Fundão, contre le gestionnaire du syndic de sa copropriété (affaire interne no 203/2004.9TAFND). A une date non précisée, elle demanda à intervenir en qualité d’assistente (auxiliaire du ministère public) dans le cadre de la procédure. Le 29 juin 2005, le parquet rendit une ordonnance de classement sans suite au motif que la requérante avait omis de présenter son accusation privée (acusação particular). Le 23 mars 2006, la requérante porta plainte pour coups et blessures, devant le parquet près le tribunal de Covilhã, contre une voisine (affaire interne no 118/2006.6PBCVL). L’affaire fut renvoyée devant le tribunal de Covilhã. Par un jugement du 30 mai 2007, le tribunal acquitta la voisine de la requérante. Cette dernière interjeta appel de la décision. A une date non précisée, le tribunal déclara le recours irrecevable au motif que la requérante ne s’était pas constituée en qualité d’assistente dans le cadre de la procédure. Le 2 décembre 2007, la requérante saisit le parquet près le tribunal de Covilhã d’une plainte, contre un voisin, pour coups et blessures (affaire interne no 314/2007.9PBCVL). Par une ordonnance du 26 février 2008, le parquet classa l’affaire sans suite. La requérante n’indique pas avoir fait appel de cette ordonnance. Le 17 février 2009, la requérante porta plainte devant le parquet près le tribunal de Covilhã contre un de ses professeurs, à l’université, pour coups et blessures affaire interne no 58/2009.7PBCVL). Par une ordonnance du 3 février 2011, le parquet prononça une ordonnance de classement sans suite. La requérante n’indique pas avoir fait appel de cette ordonnance. Le 3 décembre 2009, la requérante fut condamnée pour injures par le tribunal de Covilhã, lequel lui ordonna de verser 400 euros de dommages et intérêts à la victime (affaire interne n° 16/2009.1PBCVL). Elle allègue ne pas avoir pu faire appel de ce jugement.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérantes sont des ressortissantes italiennes, nées respectivement en 1914, 1945, 1949 et 1947 et résidant à Molinara (Bénévent). Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérantes, peuvent se résumer comme suit. L’expropriation du terrain. Les requérantes étaient propriétaires d’un terrain d’environ 7 000 mètres carrés sis à Molinara et enregistré au cadastre, feuille no 39, parcelles 606 et 607. Le 1erseptembre 1984, le maire de Molinara décida l’occupation d’urgence du terrain des requérantes pour une période maximale de deux ans afin d’y construire un ouvrage public. Le 22 septembre 1984, la municipalité de Molinara occupa une partie du terrain des requérantes et entama les travaux de construction. Par un acte d’assignation notifié le 3 décembre 1987, les requérantes assignèrent la municipalité de Molinara devant le tribunal civil de Bénévent. Elles faisaient valoir que l’occupation du terrain était illégale au motif qu’elle s’était prolongée au-delà du délai autorisé et que les travaux de construction de l’ouvrage public s’étaient terminés sans qu’il fût procédé à l’expropriation formelle du terrain et au paiement d’une indemnité. Elles alléguèrent qu’à la suite de l’achèvement de l’ouvrage public, leur droit de propriété avait été neutralisé et que, par conséquent, il ne leur était pas possible de demander la restitution du terrain litigieux, mais seulement des dommages-intérêts. Les requérantes réclamaient une somme correspondant à la valeur vénale du terrain. Le 26 juillet 1989, une expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, la valeur vénale du terrain en 1985 était de 8 850 000 ITL (4 571 EUR environ). En 2001, une autre expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, le terrain avait été régulièrement occupé jusqu’en 1984. Après cette date, l’occupation du terrain était devenue illégale. Par une décision déposée au greffe le 7 août 2003, le tribunal de Bénévent jugea que les requérantes devaient se considérer comme privées de leur terrain à partir du 22 septembre 1984, en application du principe de l’expropriation indirecte. Par conséquent, le tribunal condamna la municipalité à verser aux requérantes 9 635,37 EUR, plus intérêts à compter du 22 octobre 1984, date de la transformation irréversible du terrain. Le 13 octobre 2003, la municipalité interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Naples. Elle faisait valoir notamment que l’indemnisation devait être calculée sur la base de la loi no 662 de 1996, entrée en vigueur en cours de procédure. Par une décision déposée au greffe le 31 août 2004, la cour d’appel de Naples réforma la décision du tribunal de Bénévent et estima que les requérantes avaient droit à une indemnisation qui devait être calculée en fonction de la loi no 662 de 1996. Elle réduisit l’indemnisation accordée par le tribunal de Bénévent, jugea que les requérantes devaient se considérer comme privées de leur terrain à compter du 22 septembre 1986 et condamna la municipalité de Molinara à verser aux requérantes 4 051,12 EUR, plus intérêts à compter de la date indiquée. La procédure « Pinto ». Le 5 juin 2001, les requérantes introduisirent un recours au sens de la loi Pinto devant la cour d’appel de Rome, afin d’obtenir une indemnité pour la durée de la procédure. Par une décision déposée au greffe le 2 octobre 2001, la cour d’appel de Rome constata le dépassement du délai raisonnable. Elle accorda 7 000 000 ITL (3 615 EUR environ) à chaque requérante à titre de dommage moral. Contre cette décision, les requérantes ne se sont pas pourvues en cassation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt GuisoGallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009. Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » sont décrits dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, §§ 23-31.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Mustafa Tunç et Mme Fecire Tunç sont nés respectivement en 1946 et 1952 et résident à Istanbul. Ils sont le père et la mère de Cihan Tunç, né en 1983 et décédé le 13 février 2004. M. Yüksel Tunç, fils des requérants et frère de Cihan Tunç, est né en 1978 et réside à Istanbul. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. La genèse de l’affaire Le 13 février 2004, vers 5 h 50, alors qu’il effectuait son service militaire à Kocaköy, sur le site de la société pétrolière privée NV Turkse Perenco (« Perenco ») dont la gendarmerie nationale assurait la sécurité, le sergent Cihan Tunç fut blessé par un tir d’arme à feu. Il faisait partie des gendarmes de garde et était en faction au point de garde appelé « tour no 3 ». L’incident survint au point appelé « tour no 2 ». Cihan Tunç fut transporté à l’hôpital immédiatement après l’incident par plusieurs militaires, dont le sergent A.A. et le soldat M.S., dernière personne à avoir vu Cihan Tunç avant l’incident. Peu après l’arrivée de Cihan Tunç, son décès fut constaté à l’hôpital militaire de Diyarbakır. Le parquet militaire de Diyarbakır fut informé immédiatement après l’incident et une enquête judiciaire fut ouverte d’office. Un procureur militaire se rendit à l’hôpital où Cihan avait été admis et y fut rejoint, sur ses instructions, par une équipe d’experts en recherche criminelle de la gendarmerie nationale. En outre, il dépêcha une autre équipe sur les lieux de l’incident et demanda au procureur (civil) de Kocaköy de s’y rendre lui aussi afin de superviser les premières recherches et de prendre les mesures qui pouvaient se révéler nécessaires à la préservation des éléments de preuve. B. Les premières mesures d’instruction A l’hôpital Quelques heures après l’incident, un examen externe de la dépouille et une autopsie furent pratiqués à l’hôpital, sous la supervision du procureur militaire. Plusieurs clichés du corps furent pris. Les vêtements du défunt lui furent retirés et furent soumis à des analyses en laboratoire qui devaient permettre de déterminer la distance de tir. Il fut procédé au relevé des empreintes digitales du défunt et de celles de M.S., la dernière personne à avoir vu Cihan Tunç vivant. En outre, on effectua des prélèvements sur leurs mains en vue de vérifier la présence de résidus de tir. Enfin, les poches du défunt furent vidées et un inventaire en fut établi. Le procureur requit ensuite du médecin légiste L.E. qu’il examine le corps dans le but de déterminer la cause de la mort et faire éventuellement toutes observations sur les circonstances du décès. Le médecin légiste fit les constatations suivantes : taille du corps, 1,75 mètre ; orifice d’entrée de la balle avec collerette érosive sur la partie droite du cou ; orifice de sortie de 4 x 2 centimètres sur la partie gauche du dos, sous l’extrémité inférieure de l’omoplate. Il ne releva aucune trace de coup ou de violence sur le corps. Il indiqua que la mort était survenue à la suite d’une hémorragie due à une blessure par balle, et que celle-ci avait touché la trachée et le poumon gauche. Il mentionna en outre qu’il s’agissait probablement d’un tir à bout portant (yakın atış). Il se fonda à cet égard sur la présence de certains résidus. Dans son rapport, la partie pertinente sur ce point se lit ainsi : « Aucune coloration cutanée due à une brûlure ou à la fumée n’a été observée sur la partie droite du visage ou sur la zone du cou. Des traces de grains de poudre ont seulement été observées sur la partie droite du visage, sur la courbe inférieure du menton. » L’ensemble de ces éléments furent consignés dans un document intitulé « Procès-verbal d’examen post mortem et d’autopsie ». Par ailleurs, le procureur militaire procéda à l’audition du soldat M.S. et du sergent A.A. (paragraphes 32 à 34 et 42 à 45 cidessous) qui étaient arrivés à l’hôpital à bord du véhicule ayant transporté Cihan Tunç. Sur le site de Perenco Parallèlement, une équipe d’experts du laboratoire de recherche criminelle de la gendarmerie nationale et le procureur de Kocaköy se rendirent sur les lieux quelques heures après les faits. D’après le rapport du procureur de Kocaköy, le site disposait au total de six points de garde : un mirador, appelé « tour haute », et cinq cabines de garde. Le lieu où l’incident s’était produit était une construction de 2 mètres sur 2 avec une hauteur sous plafond de 2,33 mètres et des ouvertures placées à 1,50 mètre du sol. Toujours selon le rapport, deux cartouches et une douille avaient été retrouvées à l’intérieur de la cabine de garde, posée à même le sol en terre. Le plafond présentait un impact semblable à celui d’un tir. De petits débris de ciment provenant du plafond avaient été trouvés sur le sol, également marqué d’importantes traces de sang. Le rapport mentionnait également qu’un examen sommaire de l’arme du défunt, un fusil de type G-3 qui avait été mis sous clé en attendant l’arrivée du procureur, avait permis d’affirmer que celle-ci avait été utilisée peu de temps auparavant. Cette arme ainsi que l’arme du soldat M.S., un fusil MG-3 qui semblait ne pas avoir été utilisé, avaient été envoyées au laboratoire pour y être soumises à des analyses scientifiques. Enfin, le rapport précisait qu’un procès-verbal détaillé avait été dressé, deux croquis tracés, des clichés photographiques pris et un enregistrement vidéo réalisé. C. Les résultats des examens scientifiques Le 16 février 2004, le laboratoire criminel de la gendarmerie rendit son rapport d’expertise (rapport no 2004/90/chimique). Celui-ci indiquait que l’analyse, par la technique dite du « spectromètre d’absorption atomique », des prélèvements effectués sur les mains du défunt et sur celles de M.S. avait révélé la présence de plomb, de baryum et d’antimoine sur les mains du défunt, et de baryum et d’antimoine sur celles de M.S. Après avoir précisé que ces éléments étaient des résidus de décharge d’armes à feu, le rapport rappelait que les résidus de poudre contenaient des particules de taille micrométrique, que celles-ci passaient très facilement d’une surface à une autre et qu’une migration de ces résidus sur les mains au moment des premiers secours était chose fréquente. Le rapport précisait en outre que les examens effectués sur les vêtements de Cihan Tunç indiquaient qu’il avait été victime d’un tir à bout portant. Le 17 février 2004, le laboratoire criminel de la police nationale de Diyarbakır rendit lui aussi son rapport d’expertise (rapport no BLS-2004/464) à l’issue des examens balistiques effectués sur la douille et sur les deux armes retrouvées sur les lieux de l’incident. Les expertises indiquaient que les deux fusils fonctionnaient normalement et confirmaient que la douille retrouvée provenait de l’arme de Cihan Tunç. D. Les auditions Dans le cadre des investigations menées par le parquet militaire et de l’enquête interne de la gendarmerie, de nombreux militaires furent entendus le jour de l’incident. L’audition de M.S. Dans sa déposition devant le procureur militaire, M.S. déclara : « Cihan est arrivé dans la tour où j’étais de garde quinze à vingt minutes avant l’heure de la relève, car c’est là que la passation de garde devait se faire (...) Il m’a dit qu’il n’avait pas le moral. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu : « Laisse tomber, occupe-toi de tes affaires, de toute façon tu ne pourrais pas comprendre. » Sa réponse m’a ennuyé, j’ai eu le sentiment qu’il me prenait pour un idiot. J’ai allumé une cigarette et [Cihan] est entré dans la tour (...) il a commencé à jouer avec le levier d’armement de son fusil. Je suis entré et lui ai dit d’arrêter (...) Il m’a dit de m’occuper de mes affaires et d’aller fumer (...) Je suis alors sorti (...) J’étais à cinq ou six mètres de la tour lorsque j’ai entendu une détonation. Je me suis précipité à l’intérieur. [Cihan] gisait sur le sol (...) son fusil était sur sa main droite et le canon sur son épaule. J’ai enlevé le fusil et essayé de faire reprendre conscience [à Cihan] en le secouant, du sang a commencé à couler (...) Le sergent A.A. est arrivé [avec d’autres soldats] ». Aux questions posées par le procureur, M.S. répondit qu’il n’avait pas eu d’altercation ou de problème avec Cihan Tunç, ni lors de la garde ni auparavant. Il affirma qu’à aucun moment il n’avait tenté de lui prendre l’arme des mains. Il assura qu’il n’avait pas tiré sur son camarade. En réponse à une autre question, il indiqua que, lorsque Cihan Tunç avait chargé puis déchargé l’arme à plusieurs reprises, il avait vu les cartouches pleines être éjectées par le côté du fusil. Lors de son interrogatoire par l’enquêteur interne de la gendarmerie, il déclara : « Le sergent A.A. est passé vers 5 heures, durant sa ronde, pour faire un contrôle. Cihan Tunç est arrivé un peu plus tard, aux alentours de 5 h 50 (...) il est entré dans la cabine de la tour et a commencé à jouer avec son arme, il l’a chargée puis déchargée à trois ou quatre reprises, il a enlevé puis remis le chargeur. Je lui ai demandé d’arrêter et lui ai dit que nous serions tous les deux sanctionnés si un supérieur nous surprenait (...) Il s’est arrêté un moment. Je me tenais à sept ou huit mètres de lui. Ensuite, j’ai entendu deux ou trois fois le bruit du levier d’armement depuis l’extérieur puis celui de la détonation de l’arme (...) [Cihan] gisait au sol, l’arme sur sa poitrine. J’ai essayé de lui faire reprendre conscience. A ce moment-là, le sergent A.A. et les soldats devant nous remplacer sont arrivés. Nous avons transporté Cihan près du conteneur puis nous l’avons emmené à l’hôpital de Diyarbakir dans une Renault appartenant à la société Perenco. (...) » A la question « comment expliquez-vous que deux cartouches ont été retrouvées sur les lieux de l’incident ? », M.S. répondit qu’il n’avait pas d’explication. Il ajouta qu’il s’agissait peut-être des cartouches qui étaient tombées au moment où Cihan Tunç chargeait et déchargeait l’arme. Répondant à une autre question, il indiqua qu’il ne pouvait pas dire si le chargeur se trouvait sur l’arme au moment de l’incident car il n’aurait pas prêté attention à cela. L’enquêteur demanda également à M.S. quelles étaient la position de l’arme et celle de Cihan Tunç. Plus particulièrement, il demanda si celui-ci était assis ou debout pendant qu’il maniait son fusil. M.S. indiqua que, lorsqu’il était à l’intérieur de la cabine avec Cihan Tunç, celui-ci avait pointé l’arme vers le plafond et l’avait chargée, qu’il avait ensuite enlevé le chargeur puis actionné le levier pour faire sortir la cartouche chargée. Lorsqu’il était sorti de la cabine, il aurait vu Cihan Tunç s’asseoir sur une caisse de munitions. Toujours à l’extérieur, il aurait encore entendu deux fois le bruit du levier d’armement puis une détonation. Enfin, l’enquêteur interrogea M.S. sur l’endroit où se trouvaient les armes. D’après M.S., son fusil se trouvait sur la grille, à l’intérieur de la cabine, et le trépied en était replié. Quant à l’arme de Cihan, elle se serait trouvée sur sa poitrine. Dans ces deux dépositions, le lieu où l’incident s’est produit est indifféremment désigné par les termes « point de garde no 4 » (4 nolu nöbet mevzisi) ou « tour no 2 » (2 nolu kule). Les autres auditions Dans sa déposition devant le procureur militaire, le sergent A.A. indiqua qu’il avait entendu un coup de feu et qu’il s’était précipité avec plusieurs soldats vers l’endroit d’où la détonation lui était parvenue. Ils auraient trouvé Cihan Tunç gisant au sol. Après avoir cherché à sentir le pouls du blessé, A.A. aurait ordonné qu’il fût transporté à la cantine puis à l’hôpital. S’agissant des points de garde, le sergent A.A. indiqua que seuls trois points de garde étaient utilisés. Il précisa que le premier point était situé à l’entrée du site (nizamiye) et que le deuxième point, appelé « tour basse », était, bien qu’en réalité en quatrième position à partir de l’entrée, aussi appelé « tour no 2 », car les deux points qui le précédaient n’étaient pas utilisés. Quant au troisième point, il était appelé « tour no 3 » ou « tour haute ». A.A. précisa en outre qu’il ne connaissait pas de problème à Cihan Tunç ou à M.S. En réponse à une question du procureur, il rapporta le récit que lui aurait fait M.S. au sujet des évènements. Ce récit correspond à la déposition faite par M.S. A.A. fit une déposition similaire devant l’enquêteur interne de la gendarmerie. Le capitaine S.D. et le sergent-chef C.Y. indiquèrent avoir été avertis de l’incident alors qu’ils se trouvaient à la caserne de Kocaköy. A leur arrivée sur le site, ils auraient très brièvement inspecté les lieux en se gardant de perturber la scène de l’incident. Ils y auraient vu une douille vide et deux cartouches de fusil G-3, l’une par terre et l’autre sur la grille. Ils auraient également observé la présence de sang sur le sol. Le sergent A.K. déposa devant l’enquêteur dans les termes suivants : « Cihan était de garde au point de garde no 2 (...) Lors de ma ronde, vers 5 h 15, (...) tout était normal. J’ai d’ailleurs échangé quelques mots avec Cihan qui était de garde à la tour haute (...) Lorsque je suis arrivé sur les lieux de l’incident, M.S. était en train d’essayer de relever Cihan. » S’agissant de la position du chargeur, le sergent A.K. précisa qu’il n’y avait pas fait attention sur le moment. Il se souvint néanmoins que, après avoir porté Cihan jusqu’à la cantine, le soldat S.K. était allé chercher l’arme pour la lui remettre et qu’il avait alors remarqué que le chargeur n’était pas en place sur le fusil. A la question « comment se fait-il que l’incident ait eu lieu au point de garde no 4, où était posté M.S., alors que Cihan Tunç avait été affecté à la tour haute ? », il répondit : « Je ne sais pas. Il est possible que Cihan ait quitté son poste pour venir là parce que la fin de la garde approchait. Lorsque j’ai fait ma ronde, vers 5 h 15, Cihan se trouvait à son poste à la tour haute. » Le soldat S.K. confirma la déclaration d’A.K. en indiquant que l’arme et le chargeur se trouvaient à l’intérieur de la cabine mais que le chargeur n’était pas sur l’arme. Le soldat E.C. affirma que, à son arrivée sur les lieux, M.S. tentait de relever Cihan Tunç. Il confirma lui aussi que le chargeur ne se trouvait pas sur l’arme. Les éléments additionnels suivants ressortent des autres dépositions. Cihan Tunç serait arrivé une semaine auparavant dans l’unité de protection du site de Perenco, composée au total de seize personnes. Il n’aurait pas eu de problème connu et n’aurait pas eu de différend avec les autres soldats. Au moment de l’incident, c’est le soldat S.S. qui était en faction au premier point de garde situé à l’entrée du site. Après l’arrivée du sergent A.A. et des autres soldats sur les lieux de l’incident, M.S. fut envoyé chercher du secours à la cantine. E. L’ordonnance de non-lieu Le 30 juin 2004, considérant qu’aucun élément ne permettait d’engager la responsabilité d’un tiers quant au décès de Cihan Tunç, le parquet rendit une ordonnance de non-lieu. Le procureur y exposait les éléments recueillis au cours de l’enquête. Il estimait que le coup était parti alors que le jeune homme, buste plié, était penché vers sa droite et que le canon de son fusil était dirigé vers son cou. Il précisait que cela permettait d’expliquer notamment l’impact de balle présent au plafond. L’ordonnance ne précisait cependant pas la raison pour laquelle le coup serait soudainement parti. Le 16 juillet 2004, le procureur, en réponse à une demande de l’avocate des requérants, adressa à celle-ci un courrier contenant une copie de l’ordonnance et une lettre dans laquelle il indiquait que, en application de la loi relative à l’exercice de la profession d’avocat, l’ensemble du dossier était à sa disposition et qu’elle pouvait l’examiner et se faire délivrer copie de toute pièce qu’elle jugerait utile d’obtenir. Les requérants firent opposition à cette ordonnance, alléguant que plusieurs zones d’ombre subsistaient quant aux circonstances du décès de Cihan. Ils affirmaient notamment que la trajectoire suivie par la balle n’avait pas été clairement définie. F. Le complément d’instruction Le 14 octobre 2004, le tribunal militaire de l’armée de l’air de Diyarbakır fit droit à l’opposition des requérants et ordonna au parquet de procéder à un complément d’instruction. Il considéra notamment que la trajectoire de la balle et la position de tir devaient être clairement établies à partir des points d’entrée et de sortie de la balle sur le corps ainsi que de l’impact de balle au plafond. Il indiqua en outre qu’aucun motif plausible de suicide n’avait été identifié. Il ajouta que, au demeurant, la position du corps au moment du tir était inhabituelle pour un suicide. Enfin, il indiqua qu’aucune explication n’avait été fournie quant aux résidus de tir retrouvés sur les mains de M.S., la dernière personne à avoir vu Cihan Tunç avant l’incident. Le 24 novembre 2004, le procureur militaire se rendit sur le site de Perenco en compagnie de trois experts en recherche criminelle. Le groupe se rendit au poste de garde où l’incident s’était produit. Une fois l’examen de l’ensemble des pièces du dossier effectué, il fut procédé à une reconstitution avec un individu d’une corpulence similaire à celle du défunt. Des mesures visant à la détermination de la trajectoire de la balle furent effectuées notamment à l’aide d’un fil tendu entre le point d’impact sur le plafond et le canon d’un fusil G-3. Des clichés photographiques furent réalisés. Les experts constatèrent que le sol était en béton alors que les procès-verbaux antérieurs faisaient état d’un sol en terre. D’après les renseignements fournis à ce sujet par les responsables du site, divers endroits, dont plusieurs chemins en terre, avaient, depuis l’incident, été ainsi cimentés dans le souci de préserver la propreté des tenues des soldats. Lors de cette opération, les sols n’avaient pas été surélevés. Ce point fut confirmé par les mesures qui établirent que la hauteur sous plafond était toujours de 2,33 mètres. A la lumière de l’ensemble des éléments recueillis, les experts parvinrent à la conclusion suivante : Cihan Tunç était assis ou accroupi et tenait son fusil de la main droite ; lorsqu’il avait tenté de se relever en s’appuyant sur son arme, alors que ses genoux étaient toujours pliés, sa main avait pressé la détente et le coup était parti. Au cours de sa visite sur le site, le procureur interrogea le soldat E.C. Celui-ci indiqua que, lorsqu’il était arrivé, M.S. était accroupi derrière Cihan Tunç, qu’il essayait de relever en le tenant sous les bras. L’ensemble de ces éléments furent consignés dans un procès-verbal daté du 24 novembre 2004. Le 8 décembre 2004, le procureur clôtura les investigations et renvoya le dossier au tribunal militaire, accompagné d’un rapport relatif au complément d’instruction demandé (rapport no 2004/632E.O), dans lequel il présentait les mesures prises et répondait aux insuffisances relevées par le tribunal. Concernant les traces sur les mains, il rappelait que le dossier contenait un rapport d’expertise indiquant que les résidus de tir étaient très volatils et qu’ils avaient pu migrer des vêtements ou des mains du défunt sur les mains de M.S. immédiatement après l’incident. Il ajoutait que plusieurs dépositions renforçaient d’ailleurs cette hypothèse dans la mesure où elles confirmaient que M.S. avait été en contact physique avec le défunt lorsqu’il avait tenté de le relever. S’agissant de l’affirmation du tribunal selon laquelle la position de tir ne correspondait guère à celle d’un individu ayant le dessein de se suicider et de son argument quant à l’absence de mobile, le procureur précisait que l’ordonnance de non-lieu ne contenait aucun élément affirmant qu’il s’agissait d’un suicide et que la thèse du suicide n’avait d’ailleurs pas été envisagée. Quant à la détermination de la trajectoire de la balle au regard de l’impact sur le plafond et des orifices d’entrée et de sortie du projectile sur le corps, il indiquait que la thèse suivante avait été retenue : Cihan Tunç était assis sur une caisse de munitions et jouait avec le levier d’armement et le chargeur du fusil ; alors qu’il tenait l’arme délestée de son chargeur en biais sur son coté droit, il s’était plié en avant et penché vers sa droite pour se relever en prenant appui sur le fusil, la main sur la partie de l’arme proche de la détente, et le coup était parti ; la balle était entrée par la droite de son cou et ressortie sous l’extrémité inférieure de l’omoplate gauche avant de percuter le plafond ; Cihan Tunç ne s’était donc pas suicidé, il avait été victime d’un accident. Le procureur ajoutait qu’il avait procédé à une reconstitution sur les lieux le 24 novembre 2004 afin de vérifier la crédibilité de cette thèse, eu égard aux points d’entrée et de sortie de la balle, au point d’impact sur le plafond et à la corpulence du défunt, et que les conclusions de la reconstitution confirmaient ce déroulement des faits. Il joignit à son rapport le procès-verbal de reconstitution. Le 17 décembre 2004, le tribunal militaire rejeta l’opposition des requérants. Une lettre datée du 21 décembre 2004 fut adressée à l’avocate des requérants pour l’informer de cette décision. Ni la date d’envoi ni la date de réception de cette lettre ne sont précisées dans le dossier. Les requérants soutiennent que la lettre en question leur est parvenue fin décembre 2004. Le Gouvernement ne se prononce pas sur cette question. G. Autres éléments fournis par les requérants Les requérants ont produit un rapport d’expertise privé, réalisé à leur demande par un expert britannique, le docteur Anscombe, et daté du 11 octobre 2005. Cet expert a rédigé son rapport en anglais, sur la base de l’examen d’un certain nombre de pièces du dossier traduites en anglais. Les parties pertinentes en l’espèce de ce rapport se lisent comme suit : « Expert en médecine légale, je suis accrédité par la commission consultative pour la médecine légale du ministère de l’Intérieur (...). Aux fins de l’établissement du présent rapport, je me suis vu remettre des traductions en anglais de documents concernant Cihan Tunç, à savoir : Un rapport d’enquête et d’autopsie daté du 13 février 2004 ; Un rapport d’instruction préparatoire (document no 2004/632EO) intitulé « élargissement de l’enquête » ; Deux rapports d’expertise datés respectivement du 16 et du 17 février 2004 et portant les numéros de référence 2004/464 et 2004/90/chimique ; Trois photographies en couleurs de Cihan Tunç. L’une a été prise du vivant de l’intéressé. Les deux autres, sur lesquelles il semble se trouver dans un cercueil, ont été prises post mortem ; Un cliché d’un fusil G-3. (...) Le défunt a été conduit dans un hôpital militaire voisin. Une autopsie de son corps a été pratiquée le jour de son décès. Une telle promptitude est exemplaire. (...) Il apparaît que, au cours de l’examen initial du cadavre, celui-ci a été déshabillé et photographié, que des prélèvements ont été effectués pour être analysés dans un laboratoire médicolégal, que le contenu de ses poches a été répertorié, etc. Il apparaît que ces opérations ont été correctement réalisées et, en particulier, que les prélèvements effectués étaient judicieux compte tenu de la nature de l’incident. Le rapport [d’autopsie] indique que, à l’issue de ces opérations, un médecin – le docteur E. – a été « appelé », ce qui signifie pour moi qu’il n’a pu procéder à un premier examen du corps du défunt qu’à ce moment-là. Il serait très inquiétant que j’aie raison sur ce point, car, en particulier lorsqu’il est confronté à un décès par balle, le médecin légiste doit obtenir autant d’informations que possible sur la scène de l’incident et l’état du défunt, ce qui implique qu’il puisse inspecter et examiner les vêtements de celui-ci dans l’état où ils se trouvaient au moment du décès. (...) Les autres observations auxquelles l’examen a donné lieu sont quelque peu succinctes et incomplètes. Par ailleurs, les principales conclusions de l’autopsie figurent dans le rapport. La conclusion à laquelle le rapport aboutit quant à la cause du décès est raisonnable au regard des constats opérés à l’occasion de l’autopsie (en d’autres termes, il n’existe pas de contradictions entre les constats opérés et les conclusions qui en ont été tirées). (...) Cihan Tunç présente une blessure d’entrée de balle au cou et une blessure de sortie derrière l’épaule gauche. Les clichés montrent que l’orifice d’entrée de balle est d’une taille inférieure à l’orifice de sortie, et il est à mon avis impossible que le premier et le second aient été « intervertis ». Si l’on admet que la balle a traversé le corps de Cihan Tunç pour se loger dans le plafond, il faut à mon sens nécessairement en conclure que l’intéressé était penché au moment où l’arme a fait feu, faute de quoi la balle n’aurait pas pu suivre cette trajectoire. Le rapport d’autopsie indique que des résidus de poudre non brûlée ont été retrouvés sur la partie droite du visage et sur la courbe inférieure du menton, mais qu’aucune coloration cutanée due à une brûlure ou à la fumée n’a été constatée. Cela prouve que la bouche de l’arme était proche du corps de Cihan Tunç sans pour autant le toucher. [La dispersion] des résidus de décharge dépend dans une certaine mesure du type d’arme et de munitions utilisées. Cela étant, la distance probable de tir (c’est-à-dire la distance entre la bouche du canon et le corps de l’intéressé) devait être comprise entre 15 et 30 cm. Selon mes informations, un fusil G-3 – l’arme que le défunt est supposé avoir utilisée – mesure 102,3 cm de longueur. La photographie dont je dispose montre que la distance entre la détente et la bouche du fusil correspond approximativement à deux tiers de la longueur du fusil. A supposer que, au moment de l’incident, Cihan Tunç ait été penché sur l’arme et qu’il ait eu le bras assez long, il a pu atteindre de justesse la détente (en tendant le doigt). Selon moi, il n’existe que deux autres hypothèses possibles : soit le fusil n’a pas fonctionné correctement, faisant feu accidentellement pour une raison ou pour une autre (par exemple en tombant au sol), soit quelqu’un d’autre a tiré avec cette arme. Mais cette dernière hypothèse suppose que cette personne était allongée sur le sol au moment de l’incident, qu’elle pointait l’arme vers le haut et que Cihan Tunç était penché sur la bouche du fusil, son cou en étant éloigné de 15 à 30 centimètres. L’autopsie n’a décelé aucun signe permettant de conclure que l’intéressé s’était battu. » H. Autre élément fourni par le Gouvernement Le 21 avril 2004, la fondation Mehmetçik, qui est une émanation des forces armées et dont le but est de soutenir les familles des soldats décédés en service, octroya 4 916 700 000 anciennes livres turques (soit un peu plus de 3 000 euros) à la famille du défunt en guise de soutien matériel. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent comme suit : Article 9 « Le pouvoir judiciaire est exercé au nom de la nation turque par des tribunaux indépendants. » Article 138 « Les juges sont indépendants dans l’exercice de leurs fonctions ; ils statuent selon leur intime conviction, conformément à la Constitution, à la loi et au droit. Aucun organe, aucune autorité, aucune instance et aucun individu ne peut donner des ordres ou des instructions aux tribunaux ou aux juges dans l’exercice de leur pouvoir juridictionnel ni leur adresser des circulaires ni leur faire des recommandations ou des suggestions. » Article 139 « Les juges et procureurs sont inamovibles et ne peuvent être mis à la retraite avant l’âge prévu par la Constitution, à moins qu’ils n’y consentent ; ils ne peuvent être privés de leurs traitements, indemnités et autres droits relevant de leur statut, pas même pour cause de suppression d’un tribunal ou d’un poste. » Article 145 « La juridiction militaire est assurée par les tribunaux militaires et les tribunaux de discipline militaire. Ces tribunaux sont chargés de statuer sur les affaires relatives aux infractions qui ont été commises par des militaires et qui ont le caractère d’infraction militaire ou qui ont été commises soit contre des militaires soit dans des locaux militaires soit dans le cadre du service militaire et des missions qui s’y rapportent. (...) La loi réglemente, eu égard aux nécessités de la fonction militaire, la création et le fonctionnement des organes de la juridiction militaire, les questions de statut des juges militaires, les rapports des juges militaires assumant des fonctions de procureur militaire avec le commandement dans le ressort duquel se trouve le tribunal où ils exercent, l’indépendance des tribunaux et la garantie dont jouissent les juges. L’article 2 de la loi no 353 relative aux tribunaux militaires disposait à l’époque des faits : « Les tribunaux militaires se composent, sauf dispositions contraires de la présente loi, de deux magistrats militaires et d’un officier (subay üye). » Les termes « et d’un officier » ont été annulés par la Cour constitutionnelle statuant sur recours en annulation dans une décision du 7 mai 2009, publiée au Journal officiel le 7 octobre 2009. La Cour constitutionnelle a estimé que le juge officier, contrairement aux magistrats militaires, ne présentait pas toutes les garanties requises dans la mesure où il n’était pas dispensé de ses obligations militaires durant son mandat et qu’il était soumis à l’autorité de ses supérieurs. Par ailleurs, elle a considéré comme incompatible avec l’article 9 de la Constitution la situation dans laquelle aucune disposition n’empêchait les autorités militaires de nommer un officier différent pour chaque affaire. A la suite de cet arrêt, la législation a été modifiée. L’article 2 de la loi no 353 se lit désormais comme suit : « Les tribunaux militaires se composent, sauf dispositions contraires de la présente loi, de trois magistrats militaires. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1972 et réside à Diyarbakır. Le 1er février 2000, il fut arrêté dans le cadre d’une opération menée contre l’organisation illégale Hizbullah. Il était soupçonné d’y être membre et d’avoir commis plusieurs crimes au nom de cette organisation. Il fut placé en détention provisoire le 10 février 2000. Le 24 mai 2000, il fut inculpé de tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel et son procès commença devant la cour de sûreté de l’État de Diyarbakır. Après la suppression des cours de sûreté de l’État en 2004, le procès du requérant se poursuivit devant la cour d’assises spéciale de cette ville (« la cour d’assises spéciale »). Le 30 décembre 2009, la cour d’assises spéciale reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à la peine d’emprisonnement à vie. Tout au long de la procédure, au terme des audiences tenues devant elle, la cour de sûreté de l’État et la cour d’assises spéciale ordonnèrent le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu de la nature de l’infraction reprochée ainsi que de l’état des preuves. A partir de l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale, la cour d’assises spéciale se fonda aussi sur l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée et sur le fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale. Le 26 janvier 2011, la Cour de cassation confirma la condamnation du requérant. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS En droit turc, la détention provisoire est régie par les articles 100 et suivants du code de procédure pénale (« CPP »), entré en vigueur le 1er juin 2005. Selon l’article 100 de ce code, la mise en détention provisoire d’une personne n’est possible que s’il existe de forts soupçons que la personne concernée ait commis l’infraction reprochée et s’il existe un motif de détention, à savoir un risque de fuite ou bien un risque d’altération des preuves ou de pression sur les témoins et victimes. Cela étant, pour certains délits particulièrement graves parmi lesquels figure celui reproché au requérant, l’article 100 § 3 de ce code indique que l’on peut présumer l’existence des motifs de détention susmentionnés lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis l’infraction. L’article 141 du code de procédure pénale prévoit la possibilité pour un justiciable de demander réparation du préjudice découlant de l’application d’une mesure préventive à son égard. Cette disposition a repris celle de la loi no 466 du 7 mai 1964 (abrogée) sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou détenues. L’article 141 § 1 d) du code de procédure pénale ajoute une nouveauté par rapport à la loi no 466 : la possibilité pour les personnes jugées en détention provisoire et n’ayant pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable de demander la réparation de leur préjudice. L’article 141 § 1 d) se traduit comme suit : « 1) Dans le cadre d’une enquête ou d’un procès relatifs à une infraction, les personnes qui : (...) d) même régulièrement placées en détention provisoire au cours de l’enquête ou du procès, ne sont pas traduites dans un délai raisonnable devant l’autorité de jugement et concernant lesquelles une décision sur le fond n’est pas rendue dans ce même délai, (...) peuvent demander à l’État l’indemnisation de tous leurs préjudices matériels et moraux. » L’article 142 § 1 du code de procédure pénale relatif aux conditions de la demande d’indemnisation se lit comme suit : « La demande d’indemnisation peut être demandée dans les trois mois suivant la notification à l’intéressé que la décision ou le jugement est devenu définitif et dans tous les cas de figure dans l’année suivant la date à laquelle la décision ou jugement est devenu définitif. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE L’ONG requérante milite contre l’utilisation des animaux à des fins commerciales, scientifiques ou récréatives. Elle s’efforce d’obtenir un changement de la législation et des politiques publiques dans ce domaine et, à cette fin, d’influer sur l’opinion publique et sur le point de vue des parlementaires. La publicité télévisuelle interdite En 2005, la requérante lança une campagne intitulée « My Mate’s a Primate » (« Primate mon ami »), dirigée contre l’enfermement et l’exhibition de primates et leur utilisation dans la publicité télévisée. Dans le cadre de cette campagne, elle souhaitait diffuser à la télévision une publicité de vingt secondes. Le message envisagé s’ouvrait sur l’image d’une cage où l’on apercevait peu à peu, émergeant de l’ombre, une fillette enchaînée. Venait ensuite un écran blanc, où l’on pouvait lire consécutivement les trois messages suivants : « Un chimpanzé a l’âge mental d’un enfant de quatre ans », « Alors que nous partageons avec eux 98 % de notre patrimoine génétique, les chimpanzés sont toujours enfermés dans des cages et maltraités pour notre divertissement », « Pour en savoir plus et découvrir comment vous pouvez nous aider à mettre un terme à cela, commandez votre kit d’information – 10 £ ». Le message se refermait sur l’image d’un chimpanzé dans la même position que la fillette. Cette publicité fut soumise au Centre de vérification de la publicité télévisée (Broadcast Advertising Clearance Centre, « le BACC ») pour qu’il en contrôle la conformité avec les lois et codes pertinents. Le 5 avril 2005, le BACC refusa d’autoriser la diffusion de la publicité au motif que, les objectifs de la requérante étant « totalement ou principalement de nature politique », l’article 321 § 2 de la loi de 2003 sur les communications (« la loi de 2003 ») interdisait pareille diffusion. Cette décision fut confirmée le 6 mai 2005. En revanche, le message était visible sur Internet et l’est encore. La High Court ([2006] EWHC 3069) Le 19 octobre 2005, la requérante demanda à la High Court d’émettre une déclaration d’incompatibilité au titre de l’article 4 de la loi de 1998 sur les droits de l’homme (« la loi sur les droits de l’homme »), arguant que l’interdiction de la publicité politique à la télévision et à la radio imposée par la loi de 2003 était incompatible avec l’article 10 de la Convention. Le seul point en litige était à son avis celui de savoir si cette interdiction pouvait être considérée comme « nécessaire dans une société démocratique ». Le Directeur général du Département de la culture, des médias et des sports (« le DCMS ») communiqua à la High Court au nom de l’Etat une déclaration sous serment datée du 16 décembre 2005 dans laquelle il expliquait en quoi l’impartialité était un élément fondamental du cadre réglementaire applicable à la télédiffusion et pourquoi la publicité politique était considérée comme incompatible avec cette valeur. Il déclarait qu’il n’était pas possible en pratique d’imposer une interdiction moins restrictive. S’appuyant à cet égard sur la description du processus de contrôle mis en place en 1999 (paragraphes 37-55 ci-dessous), il soulignait que les organes compétents qui avaient été consultés s’étaient prononcés en faveur de l’interdiction et estimait que cela répondait aux arguments de la requérante. Il considérait qu’eu égard à la nature particulière des médias que constituaient la radio et la télévision il se justifiait de contrôler les messages diffusés sur ceux-ci et que la requérante disposait d’autres vecteurs pour faire passer ses idées. Enfin, citant d’autres Etats appliquant des dispositions similaires (le Danemark, l’Irlande, la Norvège et la Suède), il concluait que, dans les pays qui avaient autorisé la diffusion de publicités politiques payantes, la mise en œuvre du système posait encore « d’importants problèmes pratiques », en particulier quant à l’aptitude à garantir à tous les partis un accès égal aux médias là où le paysage politique se caractérisait par le multipartisme, que les partis ou les diffuseurs contournaient les règles relatives aux limites temporelles ou financières imposées en matière de publicité politique payante et qu’on ne savait pas bien comment définir en quoi consistait la publicité « politique ». Le 4 décembre 2006, la High Court, composée du Lord Justice Auld et du juge Ousley, rejeta la demande de la requérante. Les deux juges considérèrent que l’interdiction avait été définie de manière large, le juge Ousley observant qu’elle couvrait « un continuum d’activités politiques d’intensités différentes, depuis l’activité politique des partis en période électorale jusqu’à la défense par des organismes non politiques, à tout moment, d’intérêts particuliers correspondant à des préoccupations du public ». Ils conclurent que, même si la liberté d’expression dans le domaine politique était précieuse, l’ingérence était justifiée. Les deux juges décidèrent de ne pas s’appuyer sur l’arrêt VgT Verein gegen Tierfabriken c. Suisse (no 24699/94, CEDH 2001VI), qui pour eux ne valait que pour les circonstances particulières de cette affaire. Le Lord Justice Auld nota que la loi de 2003 présentait bon nombre d’améliorations par rapport au système examiné dans l’affaire VgT, notamment une plus grande souplesse des contrôles de la durée et de la teneur des messages politiques et électoraux. Les deux juges s’appuyèrent sur les critiques de l’arrêt VgT formulées dans l’arrêt R (ProLife Alliance) v. BBC ([2003] UKHL 23), le juge Ousley indiquant qu’il n’était pas possible de discerner quel était le fondement de l’arrêt VgT. Ils exprimèrent des doutes sur la pertinence pour la cause de l’arrêt Murphy c. Irlande (no 44179/98, CEDH 2003IX), où il n’était pas question de publicité politique ; en outre, ils jugèrent peu convaincante l’observation faite dans cet arrêt selon laquelle la marge d’appréciation de l’Etat pouvait être plus étroite en matière de restrictions à la publicité politique qu’en matière de restrictions à la publicité religieuse. Les deux juges soulignèrent que les tribunaux devaient se montrer prudents lorsqu’ils examinaient les choix politiques et législatifs opérés par le Parlement. A cet égard, le Lord Justice Auld s’exprima ainsi : « (...) dans ces domaines où il s’agit d’exercer un jugement en matière sociale et politique, on peut normalement supposer que les autorités exécutives et législatives d’un Etat partie – en particulier les secondes – comprennent mieux ou plus sûrement les besoins démocratiques du pays et leurs aspects pratiques que les juges de Strasbourg ou même les tribunaux internes. Il s’agit là de la notion de retenue qui, quel que soit le nom qu’on lui donne, incite le juge à se garder, lorsqu’il les applique, de s’immiscer trop volontiers dans les politiques du gouvernement ou les actions législatives du Parlement. Cette retenue est un facteur d’élargissement et non de resserrement de la marge d’appréciation des Etats contractants dans ce contexte, tout comme elle peut l’être dans le contexte d’autres questions importantes et sensibles propres aux traditions d’un Etat contractant, auxquelles les autorités nationales – comme les autorités irlandaises dans l’affaire Murphy – sont particulièrement sensibles et qu’elles sont tout à fait à même d’apprécier. En l’espèce, le Parlement du Royaume-Uni a choisi de mettre en place une interdiction de la publicité politique qui ne s’applique qu’à la radio et à la télévision, ces médias étant perçus comme ayant un pouvoir plus important que les autres et comme étant dès lors plus susceptibles d’être utilisés pour fausser le processus démocratique par des groupes disposant d’importants moyens financiers. Le Parlement aurait peut-être pu procéder autrement, mais est-ce au tribunal d’en juger, face au large soutien, y compris d’instances hautement compétentes, dont a bénéficié le projet du Parlement ? » Le Lord Justice Auld conclut ensuite que le Parlement avait agi dans les limites de son pouvoir d’appréciation. Le juge Ousley indiqua pour sa part que la High Court ne s’était pas appuyée uniquement sur les éléments qui lui avaient été communiqués car « l’expérience, la compétence et le jugement du Parlement que la loi laissait transparaître [permettaient] de démontrer le caractère justifié de l’interdiction ». A cet égard, il s’exprima ainsi : « Sont ici en jeu des intérêts concurrents que le législateur peut et doit mettre en balance en tenant compte de la manière dont il prévoit que les groupes et les partis feront usage de l’accès plus large à la radio et à la télévision que la demanderesse s’efforce d’obtenir pour elle et pour d’autres. (...) A cet égard, il est clair que le Parlement a exprimé un avis mûrement réfléchi après avoir passé au crible les implications de l’article 321 en matière de droits de l’homme. J’attache un poids important à un avis ainsi formé, et considère qu’il démontre la nécessité de la restriction. Il s’agit ici non pas d’un acte de l’exécutif ou d’un règlement, mais d’une loi adoptée par le Parlement sans aucune voix contre, alors même que les députés avaient connaissance tant de l’opposition du Professeur Barendt, qui avait exprimé des préoccupations relativement au respect des droits de l’homme, que des réserves formulées par la Commission mixte des droits de l’homme (Joint Committee on Human Rights) et par la Commission électorale compte tenu de la jurisprudence VgT. C’est aussi eu égard au sujet concerné que j’accorde un tel poids à l’avis mûrement pesé du Parlement. L’impact de la télédiffusion sur les questions, le cadre et l’intensité du débat politique est un élément que peu d’autorités sont mieux à même d’apprécier que celles qui ont affaire quotidiennement à des électeurs et à des groupes d’intérêt, qu’il s’agisse d’utiliser leur influence, d’y répondre ou d’y résister. Celles-ci sont bien placées pour savoir quels types de groupes pourraient utiliser à leur avantage certaines modifications de l’interdiction en cause. Il est incontestable que le Parlement, par l’intermédiaire des députés et des membres de la Chambre des lords actifs en politique, est bien plus apte que les juges à apprécier ces questions. Il ne s’agit pas d’un domaine dans lequel on peut dire que les juges ont plus d’expérience et de compétences. Ce constat vaut a fortiori pour les juges d’une autre nationalité. J’estime que ces facteurs confèrent une forte valeur probante à l’avis d’un organe démocratiquement élu qui a jugé qu’une restriction donnée était nécessaire dans l’intérêt public. En substance, une autre manière de formuler ma pensée serait de dire que le sujet justifie que soit laissée au Parlement une ample marge d’appréciation. Sans aucun doute, le Parlement aurait pu choisir une formulation de nature à apporter une forme de réponse à toutes les interrogations sur le point de savoir où se situe la ligne de partage entre les types d’annonceurs ou d’annonces. Cela étant, il était légitime que le Parlement tienne compte des complexités et de l’arbitraire inhérents à une telle réponse, quel que soit le nom que l’on choisisse de lui donner, et décide donc qu’interdire totalement la diffusion de publicité à la radio et à la télévision était la seule solution juste et réalisable en pratique. » En conclusion, que l’adoption de l’interdiction en cause découlât de sa nécessité dans un domaine où le Parlement était le plus compétent ou d’un jugement du Parlement dans un domaine où il fallait laisser à celui-ci un plus large pouvoir d’appréciation, le juge Ousley considéra que les juges devaient respecter la décision du législateur. Notant l’absence de consensus européen en la matière, le Lord Justice Auld estima que les expertises versées au dossier étaient de peu d’utilité et releva que l’Etat les avait communiquées à titre purement informatif, sans y faire référence dans son argumentation. Notant pour sa part qu’avaient été transmis à la High Court quelques documents, non exhaustifs, sur la manière dont certains autres Etats membres du Conseil de l’Europe ou du Commonwealth traitaient la question, le juge Ousley estima que ces documents n’avaient guère d’autre utilité que de démontrer que, s’il existait un consensus général pour considérer qu’il était justifié d’interdire la publicité politique en période électorale, il n’y avait en revanche pas de consensus net sur le point de savoir si cette interdiction était nécessaire en dehors des périodes électorales. Observant que différents Etats avaient décidé que des restrictions étaient nécessaires compte tenu des particularités de leur système de télédiffusion et de leur sensibilité politique, il estima que l’absence de consensus reflétait peut-être ces différences de situation dont il était légitime selon lui que le législateur tînt compte pour apprécier la nécessité d’une interdiction de cette ampleur dans la société démocratique qu’il représentait. Tant le Lord Justice Auld que le juge Ousley soulignèrent la raison sous-tendant l’interdiction, à savoir la protection de l’intégrité du processus démocratique contre le détournement de la radio et de la télévision en faveur d’un programme politique donné par des groupes disposant d’importants moyens financiers. Pour le juge Ousley, l’interdiction était une restriction visant à renforcer le processus démocratique plutôt qu’à s’opposer à la diffusion de certains contenus. Les deux juges considérèrent qu’il était légitime de traiter différemment la radio et la télévision, leur impact potentiel étant plus puissant. Le juge Ousley estima à cet égard qu’il n’était pas sérieusement contestable que ces médias fussent plus puissants et plus répandus que les autres. Quant au point de savoir si la télévision coûtait plus cher que les autres médias, il considéra qu’il suffisait d’admettre que les publicités diffusées à la radio et à la télévision présentaient un avantage dont les annonceurs et les diffuseurs étaient conscients et pour lequel les premiers étaient prêts à payer aux seconds des sommes considérables, nettement hors de portée des groupes ordinaires souhaitant participer au débat public. Enfin, les deux juges rejetèrent l’argument selon lequel l’interdiction était disproportionnée en ce qu’elle s’appliquait aussi en dehors des périodes électorales et aux groupes qui, comme la requérante, n’étaient pas associés à des partis politiques ou à des campagnes électorales. Le Lord Justice Auld souligna qu’une limitation de l’interdiction aux périodes électorales n’aurait pas été une « distinction fondée sur la logique ou des principes ». Les deux juges considérèrent que la publicité politique diffusée à la radio et à la télévision en dehors des périodes électorales était susceptible d’avoir une influence tout aussi évidente sur le processus démocratique. A cet égard, le juge Ousley nota que ces médias étaient omniprésents, que des questions suscitant la controverse dans une société démocratique pouvaient se poser à tout moment, et que l’influence acquise à prix d’argent pouvait affecter la promotion d’une loi, la décision d’organiser des élections, voire le résultat de celles-ci. Les deux juges considérèrent qu’il eût été irréalisable, arbitraire et potentiellement injuste de tenter d’établir une distinction entre les sujets politiques liés aux partis et les autres sujets d’importance publique ; suivant leur analyse, en effet, la distorsion du débat politique pouvait prendre de nombreuses formes et porter sur une large gamme de questions d’intérêt public, certains sujets seraient difficiles à classer par catégories, et une telle distinction risquerait de permettre à des partis politiques de « sous-traiter » leur publicité politique à des « groupes dissidents ou sympathisants » auxquels les restrictions ne s’appliqueraient pas. En conséquence, la High Court refusa de prononcer une déclaration d’incompatibilité. La Chambre des lords ([2008] UKHL 15) Le 12 mars 2008, la Chambre des lords, composée de Lord Bingham, Lord Scott, la baronne Hale, Lord Carswell et Lord Neuberger, rejeta à l’unanimité le recours que la requérante lui avait soumis. Lord Bingham rendit le jugement de la majorité. Il reconnut que dès lors que l’interdiction restreignait la liberté d’expression en matière politique le degré de justification imposé à l’Etat était « élevé » et la marge d’appréciation par conséquent étroite. Il définit ainsi l’objectif de l’interdiction : « 28. L’idée fondamentale qui sous-tend le processus démocratique est que si des vues, opinions ou politiques concurrentes font l’objet d’un débat et d’un examen publics, avec le temps le bien l’emportera sur le mal et la vérité sur le mensonge. Il faut présumer que, si on lui donne du temps, le public fera un bon choix lorsque, dans le cadre du processus démocratique, il sera appelé à choisir. Mais il est hautement souhaitable que le débat se déroule autant que possible dans des conditions équitables. C’est le cas lorsque, dans le cadre de la discussion publique, différents avis sont exprimés, contredits, commentés et débattus. Il est du devoir des diffuseurs de réaliser cet objectif de manière impartiale en présentant des programmes équilibrés dans lesquels tous les points de vue licites peuvent être exprimés. » Selon Lord Bingham, cet objectif n’était pas réalisé lorsque « (...) des groupes qui ne sont pas des partis politiques mais qui disposent de moyens importants sont en mesure d’utiliser leur pouvoir financier pour augmenter la visibilité de points de vue qui peuvent être vrais ou faux, séduisants ou répulsifs pour des esprits progressistes, bénéfiques ou néfastes. Le risque est que le public puisse être amené à admettre des thèses qui sont essentiellement politiques non parce que le débat public a montré leur justesse mais parce que, par le biais d’une répétition constante, il a été conditionné à les accepter. Parmi les droits d’autrui qu’une restriction à l’exercice du droit à la liberté d’expression peut légitimement viser à protéger figure à mon avis celui à être prémuni contre les méfaits potentiels de la publicité politique partiale. » Or pour Lord Bingham cet argument n’avait pas été exposé dans toute sa force dans l’arrêt VgT précité. Selon lui, une interdiction globale était nécessaire pour parer au risque de voir des organismes aux objectifs discutables faire diffuser des publicités, éventualité qui avait été écartée dans l’arrêt VgT mais prise en compte dans l’arrêt Murphy (précité), et le fait que l’interdiction était cantonnée à la radio et à la télévision s’expliquait, comme l’avait observé le juge Ousley, par la puissance et l’omniprésence particulières de la télévision et de la radio, facteur que la Cour avait reconnu dans l’arrêt Jersild c. Danemark (23 septembre 1994, § 31, série A no 298) et dans l’arrêt Murphy, même si elle semblait l’avoir ignoré dans l’arrêt VgT. Lord Bingham considéra par ailleurs qu’il n’était pas nécessaire d’examiner en détail la question de savoir si une interdiction moins restrictive (encadrant la durée, la fréquence et le coût des publicités ou encore leur nature et leur qualité) permettrait d’éviter les méfaits redoutés, estimant notamment qu’un système moins restrictif pourrait être contourné par la formation de petits groupes poursuivant des objectifs politiques analogues, qu’il serait difficile à appliquer de manière objective et cohérente, et qu’il serait encore plus difficile aux diffuseurs de respecter leur obligation d’impartialité. Lord Bingham rappela que la Commission mixte des droits de l’homme avait demandé une solution de compromis, mais que le Gouvernement avait estimé qu’il ne pouvait en être trouvé aucune qui fût juste et réalisable et qui permît de répondre au problème. Il ajouta qu’il n’apercevait « aucune raison de remettre en cause cette appréciation admise par le Parlement ». Selon lui, il fallait attacher à l’évaluation du Parlement « un poids important », et ce pour trois motifs. Premièrement, il était raisonnable de penser que des hommes politiques démocratiquement élus seraient « particulièrement sensibles » aux mesures nécessaires pour préserver l’intégrité de la démocratie. Deuxièmement, si le Parlement considérait que l’interdiction pouvait « peut-être, bien que ce fût improbable » se heurter à l’article 10, il avait résolu de l’adopter tout de même, en raison de l’importance qu’il y attachait, et son jugement ne devait pas être « écarté à la légère ». Troisièmement, la loi ne pouvait être conçue pour traiter des cas particuliers mais devait poser des règles générales, et c’était au Parlement de décider où placer la barre et, même s’il en découlait inévitablement que des cas difficiles se retrouveraient du mauvais côté de la barre, « on ne [devait] pas en déduire que la règle n’avait aucune valeur si, prise globalement, elle [était] bénéfique. » Pour Lord Bingham, le fait que la requérante disposait d’autres moyens de communication était un « facteur d’un certain poids », ce qui distinguait le cas de l’espèce de l’affaire Bowman c. Royaume-Uni (19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998I), où la disposition litigieuse avait été qualifiée d’obstacle total à la communication de ses idées par la requérante. Enfin, Lord Bingham déclara qu’il n’y avait pas de consensus clair au sein des Etats membres sur la façon de légiférer en matière de diffusion de publicités politiques sur les chaînes de radio et de télévision. Ajoutant que la Cour avait considéré que les Etats devaient se voir reconnaître une marge d’appréciation plus large dans ce type de cas et qu’ils étaient probablement mieux à même de juger des garanties et contrepoids nécessaires pour protéger, dans le respect de l’article 10, l’intégrité de leurs propres démocraties, il rejeta le recours, souscrivant à l’avis du juge Ousley et, pour l’essentiel, à celui du Lord Justice Auld. Contrairement à Lord Scott, qui avait exprimé l’avis que les juridictions internes pouvaient interpréter différemment de la Cour les droits garantis par la Convention, il considéra qu’en l’absence de circonstances particulières ces juridictions devaient suivre la jurisprudence de la Cour dès lors que celle-ci était claire et constante. Lord Scott marqua son plein accord avec le raisonnement de Lord Bingham et ajouta deux commentaires. Premièrement, du fait de son ampleur « remarquable », l’interdiction risquait selon lui de donner lieu à d’autres recours fondés sur l’article 10. Cette interdiction pouvait empêcher la requérante de faire diffuser des publicités dénuées de contenu politique ou au contenu entièrement neutre et de « contrer » des publicités commerciales autorisées heurtant ses principes, en conséquence de quoi il y avait peut-être des aspects des articles 319 et 321 qui étaient incompatibles avec l’article 10 ; toutefois, même si les juges disposaient d’une certaine latitude pour décider de l’opportunité de prononcer une déclaration d’incompatibilité en vertu de l’article 4 de la loi sur les droits de l’homme, ils ne devaient le faire en principe que si les circonstances de l’affaire faisaient apparaître que la disposition législative en cause avait « porté à un droit du requérant garanti par la Convention (...) une atteinte incompatible avec ce droit » : il ne suffisait pas de fournir des exemples hypothétiques de manières dont une disposition donnée était susceptible d’être incompatible avec un droit garanti par la Convention. Lord Scott conclut donc que l’interdiction n’était pas incompatible avec les droits résultant pour la requérante de l’article 10. Deuxièmement, il n’était pas possible d’après lui de déduire de l’arrêt VgT que la Cour serait en désaccord avec la Chambre des lords dans le cas d’espèce. Il rappela à cet égard que, dans l’arrêt Murphy, elle ne s’était écartée ni de près ni de loin du raisonnement qu’elle avait suivi dans l’arrêt VgT, et il ajouta que les arrêts de la Cour se rapportaient toujours étroitement aux circonstances de la cause. Selon lui, il n’existait donc en l’espèce qu’une simple possibilité de divergence entre la conclusion de la Chambre des lords et celle de la Cour. La baronne Hale commença son opinion en déclarant que l’on avait occulté une évidence « grosse comme une maison » (« an elephant in the house ») lors de l’examen de l’affaire, à savoir la prééminence de la publicité, non seulement dans les élections mais aussi dans la formation de l’opinion politique, aux EtatsUnis. Elle souligna que des sommes colossales étaient dépensées en période électorale aux Etats-Unis, sommes qu’il fallait bien trouver quelque part, et qu’il n’y avait pas de limite aux montants que les groupes de pression pouvaient dépenser dans ce pays pour faire passer leur message dans les médias ayant l’impact le plus puissant et le plus large. Elle indiqua ensuite que la raison sous-jacente à l’interdiction était le souci de garantir que ce ne soient pas les plus gros payeurs qui choisissent le gouvernement et ses politiques : « Notre démocratie ne repose pas seulement sur l’adage « une personne, une voix ». Elle repose sur l’idée que tous les individus sont d’égale valeur (...) Chacun doit pouvoir se forger son propre avis sur les questions importantes de l’actualité. Pour cela, il faut que les informations et les idées soient échangées librement. Nous devons admettre que certaines personnes disposent de ressources plus importantes que d’autres pour faire passer leurs idées ; mais nous voulons éviter les distorsions criantes qu’un accès libre de toute restriction à la radio et à la télévision ne manquerait pas d’entraîner. Il n’est donc pas simplement question en l’espèce des restrictions admissibles à la liberté d’expression. Il s’agit de ménager un juste équilibre entre les deux composantes les plus importantes d’une démocratie : la liberté d’expression et l’égalité des électeurs. » Souscrivant pleinement au raisonnement de Lord Bingham, la baronne Hale estima que l’interdiction telle qu’elle avait été appliquée en l’espèce n’était pas incompatible avec les droits de la requérante garantis par l’article 10. Elle s’exprima comme suit : « 51. Il s’agit d’une réponse équilibrée et proportionnée au problème : [la requérante] peut chercher à faire passer ses idées de toute autre manière, mais pas d’une façon qui risque si fortement de fausser le débat public en faveur des riches. Il faut appliquer la même règle pour toutes les publicités de même type, quelles que puissent être la cause qu’elles défendent et les ressources des annonceurs qui souhaitent les diffuser. Nous n’avons pas à établir de distinction entre les causes que nous approuvons et celles que nous réprouvons. Nous ne pouvons pas non plus, en pratique, établir de distinction entre les petits groupes qui se battent pour récolter chaque centime et les grands qui disposent de sommes colossales. Le plafonnement ou le rationnement ne fonctionnent pas dans ce domaine (...) » Elle émit des doutes quant à la possibilité d’appliquer en l’espèce l’arrêt VgT, estimant que, comme tous les arrêts de la Cour, celui-ci se rapportait étroitement aux circonstances particulières de la cause : « 52. (...) Quoique les organisations soient similaires, les publicités étaient assez différentes : « mangez moins de viande » n’est pas le même message que « aidez-nous à mettre un terme à la souffrance animale ». Des arguments importants auxquels il a été accordé peu de poids dans l’arrêt VgT ont été retenus dans l’arrêt Murphy. A tout le moins, la nécessité de ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents est plus forte dans le domaine politique que dans le domaine religieux. Le discours politique est certes important mais, dans une démocratie, les droits politiques d’autrui le sont tout autant. La question est de savoir si l’interdiction, telle qu’elle a été appliquée aux faits de l’espèce, était proportionnée au but légitime consistant à protéger les droits démocratiques d’autrui. Comme Lord Bingham l’a montré, le gouvernement et le Parlement ont récemment examiné avec soin la question de savoir si une interdiction plus limitée aurait pu fonctionner et ils ont conclu que ce n’était pas le cas. La solution choisie a reçu le soutien de tous les partis. Les parlementaires de tous bords politiques sont d’avis que cette interdiction est nécessaire dans notre société démocratique. N’importe quel tribunal y regarderait à deux fois avant d’émettre un avis différent sur une question telle que celle-ci. On pourrait arguer qu’il est possible de modifier la règle à la marge, par exemple pour qu’elle interdise toute publicité quelle qu’elle soit émanant d’un organisme politique, ou toute publicité, de qui qu’elle provienne, sur des questions faisant l’objet d’une controverse publique. Mais telle n’est pas la question qu’il s’agit de trancher en l’espèce. » Enfin, la baronne Hale estima comme Lord Bingham (et contrairement à Lord Scott) qu’il appartenait en définitive à la Cour de donner la bonne interprétation des droits garantis par la Convention repris dans la loi sur les droits de l’homme. Selon elle, les juridictions internes devaient adopter une « approche prudente » et ne pas « devancer » les interprétations de la Cour mais simplement « suivre la jurisprudence de Strasbourg au fur et à mesure de son évolution, ni plus ni moins ». Lord Carswell et Lord Neuberger rejetèrent tous deux le recours pour les motifs exposés par Lord Bingham. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi de 1998 sur les droits de l’homme (« la loi sur les droits de l’homme ») La loi sur les droits de l’homme est entrée en vigueur en Angleterre, au pays de Galles et en Irlande du Nord le 2 octobre 2002. En son article 4, elle permet aux tribunaux de prononcer une déclaration d’incompatibilité lorsqu’il est impossible d’interpréter un texte législatif ou réglementaire de manière compatible avec les dispositions de la Convention. L’article 19 de cette loi, intitulé « Déclarations de compatibilité », dispose : « 1. Un ministre (...) qui porte un projet de loi devant l’une ou l’autre des chambres du Parlement doit, avant que le projet n’arrive en deuxième lecture, a) émettre une déclaration indiquant que, selon lui, les dispositions du projet de loi sont compatibles avec les droits garantis par la Convention (« déclaration de compatibilité ») ; ou b) émettre une déclaration indiquant que, bien qu’il ne soit pas en mesure de prononcer une déclaration de compatibilité, le gouvernement souhaite néanmoins que le Parlement examine le projet de loi. Cette déclaration doit être revêtir une forme écrite et être publiée de la manière que le ministre juge appropriée. » B. Le contexte législatif de l’interdiction Le contexte du projet de loi de 2002 sur les communications (« le projet de loi de 2002 ») a) La loi de 1954 sur la télévision (« la loi de 1954 ») Avant la loi de 1954, la BBC était le seul télédiffuseur du Royaume-Uni, et elle ne diffusait jamais de publicité payante. La loi de 1954 a ouvert le marché aux diffuseurs commerciaux, dont le financement est assuré par les revenus de la publicité, et elle a mis en place un organe de contrôle, l’autorité indépendante de la télévision (Independent Television Authority – « l’ITA »), chargée de faire appliquer notamment l’interdiction de la publicité politique payante, qu’elle posait en ces termes : « Est interdite la publicité insérée par ou pour tout organisme dont les objectifs sont totalement ou principalement de nature religieuse ou politique ainsi que la publicité ayant une finalité religieuse ou politique ou un rapport quelconque avec un conflit du travail. » Les textes ultérieurs ont maintenu cette interdiction. b) La Commission sur les normes applicables à la vie publique (« la Commission Neill ») La Commission Neill fut instituée par le gouvernement britannique pour examiner la question plus large du financement des partis politiques. En octobre 1998, après s’être rendue en Allemagne, au Canada, aux EtatsUnis, en Irlande et en Suède, elle lui remit son cinquième rapport. Au chapitre 13 de ce rapport, elle recommandait le maintien de l’interdiction de la publicité politique à la télévision et à la radio, et en décrivait ainsi les avantages : « 13.7 Le fait d’empêcher les partis politiques et les autres organisations ayant des motivations politiques d’acheter du temps d’antenne à la télévision et à la radio a pour effet de limiter le montant total qu’ils peuvent dépenser et ainsi les sommes d’argent qu’ils doivent réunir. Il est admis de façon quasi universelle que ces effets sont positifs. Les campagnes électorales sont moins coûteuses au Royaume-Uni que dans bien d’autres pays et, pendant ces campagnes, les téléspectateurs et les auditeurs ne sont pas soumis à un flot continu de propagande des partis politiques (dont la majeure partie, si elle était autorisée ici, serait sans aucun doute négative). Les partis sont ainsi moins dépendants des riches donateurs. Les dirigeants politiques ne sont pas obligés de dépenser un temps et une énergie considérables à collecter des fonds pour financer la diffusion de leur campagne à la télévision et à la radio. En outre, et ce n’est pas le moindre des avantages de l’interdiction, les diffuseurs fournissent aux partis du temps d’antenne gratuit. Ainsi, tous les grands partis politiques, et non pas seulement les plus riches, ont la possibilité d’exprimer leur point de vue. Presque tous ceux qui ont observé les campagnes électorales aux Etats-Unis considèrent que, de ce point de vue, le système britannique est meilleur. Nous estimons que le dispositif actuel rend service au pays et qu’il doit être maintenu. » Le rapport indiquait que la restriction à la liberté d’expression découlant de l’interdiction pouvait se justifier. Il concluait ainsi : « 13.11 (...) le gouvernement peut parfaitement continuer à partir du principe que l’interdiction de la publicité politique à la télévision et à la radio est juridiquement défendable. Nous renvoyons en particulier à l’argument du ministère [dans l’affaire X et l’Association Z c. Royaume-Uni, no 4515/70, décision de la Commission du 12 juillet 1971, Annuaire 14, p. 538] (...) qui justifiait l’interdiction totale par la nécessité de protéger le droit démocratique des citoyens britanniques à ne pas être soumis aux heures de grande écoute à des flots de propagande politique du parti ayant les plus riches bailleurs de fonds. Si un tribunal devait à l’avenir dire le contraire, cela pourrait avoir un effet spectaculaire sur le financement des partis politiques. S’ils étaient libres d’agir ainsi, les partis se sentiraient certainement obligés d’utiliser la possibilité de faire de la publicité à la télévision et à la radio pour vanter leurs thèses (ou dénigrer celles de leurs adversaires). Aux Etats-Unis, un pourcentage important des dépenses des partis politiques en période électorale est consacré à la publicité télévisée. C’est la pression incitant à faire de la publicité qui, autant que tout autre facteur, est à l’origine de leur besoin d’argent et, partant, de l’escalade entre Démocrates et Républicains (...) » Le rapport ajoutait que s’il fallait réexaminer la loi ce devrait être pour s’assurer que sa portée était suffisamment large : « 13.12 Un autre risque possible à l’avenir, mentionné dans certains éléments de preuve, est que, au fur et à mesure que les progrès de la technologie amènent dans leur sillage des moyens nouveaux et variés de diffuser l’information (la télévision par câble, la télévision numérique et sa cohorte de chaînes, l’Internet, etc.), il apparaisse de nouvelles méthodes conçues pour chercher à contourner les restrictions à la publicité politique actuellement posées par la loi. Il faudra être vigilant pour faire en sorte que cela n’arrive pas. Il faudrait réexaminer la législation actuelle pour s’assurer que sa portée est suffisamment large. » En 1999, le gouvernement entreprit un réexamen complet de la règlementation en matière de télédiffusion et lança une consultation concernant, entre autres, la mise en place de mesures moins restrictives que l’interdiction de la publicité politique alors en vigueur. En juillet 1999, il répondit comme suit à la proposition de la Commission Neill tendant notamment au maintien de l’interdiction de la publicité politique : « 9.2 L’interdiction de la publicité politique payante à la télévision et à la radio est un facteur majeur de limitation du montant que les partis politiques peuvent dépenser dans le cadre de leurs campagnes électorales et, partant, des sommes qu’ils doivent réunir. Cette mesure recueille donc le soutien de toutes les tendances politiques, et le gouvernement approuve vivement la recommandation de la Commission Neill visant à son maintien. » La consultation sur le projet de loi de 2002 a) Le Livre blanc sur les communications En décembre 2000, le gouvernement publia un Livre blanc sur les communications où était présenté un projet de loi visant à appliquer de nouveaux contrôles aux chaînes de radio et de télévision en Angleterre et au pays de Galles et maintenant dans ce cadre l’interdiction de la publicité politique. Pendant la période de consultation qui s’ensuivit, la Cour rendit son arrêt dans l’affaire Vgt Verein gegen Tierfabriken (précité). b) La publication et l’examen du projet de loi de 2002 En mai 2002, après ladite période de consultation, le gouvernement publia le projet de loi de 2002, ouvrant ainsi une nouvelle période de consultation de trois mois. Le projet de loi prévoyait que les programmes des services de télédiffusion ne devaient pas contenir de publicités politiques, c’est-à-dire de publicités insérées par ou pour un organisme de nature politique ou visant directement un but politique. Etaient publiés avec le projet de loi des notes explicatives (prenant en compte l’arrêt VgT et indiquant qu’il avait fait naître un doute sur le point de savoir si l’interdiction était compatible avec la Convention) et un document d’orientation résumant les propositions du projet de loi et les décisions politiques connexes et exprimant notamment le point de vue que le projet ménageait un bon équilibre entre la liberté d’expression et la nécessité de protéger le public contre certains types de contenus diffusés à la radio et à la télévision. La Commission mixte des droits de l’homme, commission parlementaire permanente chargée d’examiner les implications des projets de loi pour le respect des droits de l’homme, examina le texte de 2002 et entendit en juin 2002 le professeur Barendt, qui de 1990 à 2010 fut titulaire de la chaire Goodman de droit des médias au University College de Londres, la première de la sorte à avoir été créée au Royaume-Uni. Répondant à la question de savoir s’il y avait des restrictions à la publicité politique que l’on pouvait imposer tout en respectant l’article 10, le professeur Barendt déclara souscrire aux conclusions de l’arrêt VgT. Il expliqua que refuser à un organisme sans but lucratif doté d’un programme politique (tel qu’Amnesty International) l’autorisation de faire diffuser une courte publicité alors qu’il a les moyens de la payer lui semblait être une « atteinte monstrueuse et injustifiable à la liberté d’expression ». Il n’y avait pour lui aucune justification à permettre par exemple la diffusion de publicités pour des automobiles et des produits associés à la conduite et à interdire les publicités de groupes opposés à l’automobile. Il ne préconisait pas d’autoriser un accès illimité à la radio et à la télévision, mais pensait qu’il fallait adopter des règles limitant le nombre de messages publicitaires pouvant y être achetés. Selon lui, la distorsion du débat politique pouvait être « évitée par l’imposition de limites financières, comme celles déjà imposées dans le cadre du financement et des dépenses des partis politiques ». Le 19 juillet 2002, la Commission mixte des droits de l’homme publia un rapport sur le projet de loi de 2002. En ce qui concerne l’interdiction de la publicité politique, elle y reconnaissait que celle-ci pouvait être jugée incompatible avec l’article 10 sur la base de l’arrêt VgT. Cependant, elle appelait à faire preuve de la plus grande prudence au cas où l’on envisagerait de l’abroger, compte tenu de l’importance des raisons qui la motivaient et de la difficulté à concevoir une solution plus limitée. Ayant pris note de l’approche de la Cour suprême canadienne et de l’existence de traditions différentes en matière de liberté d’expression aux Etats-Unis et en Australie, elle déclarait préférer l’approche européenne, qui accordait à ses yeux « le poids nécessaire à l’objectif légitime consistant à assurer l’égalité des chances en matière d’expression politique, tout au moins à la radio et à la télévision », et qui justifiait selon elle l’interdiction. Elle poursuivait ainsi : « 63. (...) il y a des considérations plus larges, qui commandent à notre avis d’exercer la plus grande prudence si l’on envisage de modifier le régime juridique actuellement en vigueur au Royaume-Uni (où l’accès à la télévision et à la radio de ceux qui entendent promouvoir des causes politiques se limite presque entièrement au système extrêmement réglementé des messages politiques provenant des partis). Parmi ces considérations plus larges on peut citer la crainte de l’accaparement du processus démocratique par les riches et les puissants, situation à laquelle la Cour a fait allusion dans l’arrêt VgT (...) Les risques de pareille dérive sont accrus lorsqu’il est impossible d’empêcher la concentration de plusieurs médias entre les mêmes mains dans un pays. Nous sommes conscients également que le compromis suggéré en filigrane par la Cour – à savoir une interdiction plus limitée appliquée de manière plus ciblée – serait extraordinairement difficile à traduire sous la forme d’un texte de loi. En particulier, il est difficile d’imaginer comment on pourrait concevoir des moyens d’attribuer du temps d’antenne ou de plafonner les dépenses dans le cadre de la publicité pour un « point de vue politique » (par opposition à la publicité pour un parti politique, quelle que soit la définition qui pourrait en être donnée dans la loi) (...) » Tout en doutant de l’applicabilité générale de l’arrêt VgT et en jugeant utile d’attendre que la jurisprudence dans ce domaine évolue avant de décider de la conduite législative à tenir, la Commission mixte des droits de l’homme expliquait qu’une interdiction totale de la publicité politique à la radio et à la télévision était susceptible selon elle d’être jugée incompatible avec l’article 10, comme le Gouvernement l’avait lui-même reconnu dans les notes explicatives afférentes au projet de loi de 2002. Elle recommandait au Gouvernement d’« explorer les moyens d’inclure dans le projet de loi des restrictions de ce type applicables en pratique et compatibles avec les dispositions de la Convention ». Le Parlement mit en place en son sein une commission (la Commission mixte sur le projet de loi sur les communications – Joint Committee on the Draft Communications Bill) chargée d’examiner le projet de loi. Celle-ci adopta le 25 juillet 2002 un rapport dans lequel elle souscrivait aux principes qui sous-tendaient l’interdiction proposée : « 301. (...) Le gouvernement est d’avis qu’il existe des motifs puissants de reconduire l’interdiction de la publicité politique à la radio et à la télévision, qui existe depuis fort longtemps, mais il reconnaît qu’une décision récente de la Cour européenne des droits de l’homme a fait naître un doute quant à la compatibilité de cette interdiction avec la Convention. Le professeur Eric Barendt estime qu’une interdiction totale de la publicité politique n’est pas compatible avec le respect des droits de l’homme et que l’objectif recherché serait mieux atteint au moyen d’une limitation des dépenses pouvant être engagées pour la publicité politique. La Commission mixte des droits de l’homme considère qu’une interdiction d’acheter du temps d’antenne à des fins politiques serait probablement compatible avec le respect des droits garantis par la Convention. Nous souscrivons aux principes sous-jacents à l’interdiction de la publicité politique envisagée (...) et engageons vivement le gouvernement à examiner attentivement les méthodes propres à permettre de maintenir cette interdiction selon des modalités qui ne soient pas susceptibles d’être contestées pour incompatibilité avec les droits garantis par la Convention. » La Commission indépendante sur la télévision (Independent Television Commission) était responsable de la télévision commerciale à l’époque. Le 10 octobre 2002, elle invita le gouvernement à maintenir l’interdiction en cause : « La Commission indépendante sur la télévision partage les objections de principe du gouvernement à l’égard de la publicité politique et espère que l’interdiction, jusqu’ici efficace, sera conservée. Selon nous, un dispositif de « contrôle » de la publicité politique géré par l’OFCOM [Office of Communications – Office des communications]/les diffuseurs et qui reposerait sur des critères de respect de l’impartialité et de rejet d’un déséquilibre en faveur de certains s’effondrerait très rapidement, car il serait inapplicable en pratique (...) Si l’interdiction absolue était levée, les diffuseurs (...) feraient à tout le moins l’objet de contestations en cas de refus de passer des annonces politiques. Nous nous trouverions alors sur une pente glissante (...) interdire certains partis politiques nommément désignés est plutôt inefficace lorsque (...) il n’est pas difficile de créer des organisations servant de paravent. Il en va ainsi de nombre de questions ponctuelles sensibles, comme le droit à la vie. La décision rendue par les juges de Strasbourg dans l’affaire suisse n’apporte pas d’indications précises sur le point de savoir quand une publicité politique peut être interdite. Il y a donc au moins un risque que toute « demi-mesure », en plus d’être inefficace, soit également jugée incompatible avec la Convention. » c) La présentation du projet de loi de 2002 devant le Parlement et les débats y afférents Le 19 novembre 2002, le gouvernement soumit au Parlement le projet de loi de 2002, qui reprenait, intacte, l’interdiction de la publicité politique. Le ministre qui présenta le projet de loi fit, au titre de l’article 19 § 1 b) de la loi de 1998 sur les droits de l’homme, la déclaration suivante : « Je ne suis pas en mesure de déclarer (mais ce uniquement en raison de [l’interdiction de la publicité politique]) que, à mon avis, les dispositions du [projet de loi de 2002] sont compatibles avec le respect des droits garantis par la Convention. Néanmoins, le gouvernement souhaite que la Chambre [des communes] examine le projet de loi. » C’était la première fois depuis l’adoption de la loi sur les droits de l’homme que le gouvernement suivait pareille procédure, dont l’utilisation signifiait non pas qu’il considérait que le projet de loi de 2002 était incompatible avec la Convention, mais simplement qu’eu égard à l’arrêt VgT il n’était pas en mesure de déclarer clairement que ce texte était compatible avec elle. Le 22 novembre 2002, le ministre responsable du DCMS publia un mémorandum en réponse au rapport de la Commission mixte des droits de l’homme de juillet 2002. On pouvait y lire ceci : « (...) le gouvernement est conscient que l’affaire [Vgt] fait peser un doute sur le point de savoir si l’interdiction de la publicité politique (que le projet de loi reconduirait) est compatible avec la Convention. Nous prenons note de l’avis de la Commission, qui estime que l’objectif légitime consistant à assurer l’égalité des chances en matière d’expression politique à la radio et à la télévision justifie d’appliquer des restrictions à la publicité politique et qu’il s’agit de faire preuve de la plus grande prudence si l’on envisage de modifier la législation en vigueur (...) Ayant à l’esprit les observations de la Commission, le gouvernement a suivi sa recommandation tendant à ce que soient examinées les possibilités d’inclure dans le projet de loi des restrictions concrètement applicables et compatibles avec la Convention. Nous avons notamment envisagé un autre régime reposant sur des interdictions spécifiques, prohibant par exemple toute publicité politique provenant des partis et toute publicité politique, de quelque sorte que ce soit, en période électorale ou référendaire, et prévoyant d’autres règles visant à éviter la prédominance d’un point de vue donné, à signaler par des avertissements visuels ou sonores les publicités politiques et à en contrôler l’ampleur tant en ce qui concerne le temps d’antenne qu’en ce qui concerne la proportion de ses revenus publicitaires qu’un diffuseur peut être autorisé à en retirer. Nous avons conclu qu’un tel système pourrait difficilement être rendu applicable en pratique et qu’en tout état de cause il serait nettement moins efficace que l’interdiction totale actuelle et ouvrirait la porte à la diffusion d’un volume important de publicité politique. » Le 3 décembre 2002, le ministre responsable du DCMS expliqua au Parlement pourquoi il n’avait pas été possible d’émettre une déclaration de compatibilité. Il s’exprima comme suit : « Même si la Commission aura bien sûr l’occasion de débattre de cette question de manière approfondie, j’ai souhaité expliquer la situation devant toute la Chambre. La décision de soumettre aux débats un projet de loi contenant une disposition de ce type est évidemment exceptionnelle, et elle n’a été prise qu’après que les différents arguments juridiques et les autres solutions possibles avaient fait l’objet d’une réflexion poussée et d’un examen approfondi. Pendant de nombreuses années, les gouvernements qui se sont succédé ont maintenu l’interdiction complète de la publicité de nature politique à la télévision et à la radio. L’intention du gouvernement en l’occurrence est de maintenir l’interdiction actuelle – que la Commission Neill a approuvée dans son rapport de 1998 sur le financement des partis politiques – et de définir plus précisément le mot « politique », de sorte que l’OFCOM puisse continuer à appliquer l’interprétation large de ce terme utilisée par les autorités de régulation en place. (...) Cependant, [l’arrêt VgT], qui [concernait] une interdiction apparemment similaire, est une source possible de complications. Cela a du reste été relevé par la [Commission mixte des droits de l’homme]. En réponse à l’arrêt de la Cour et aux préoccupations de la [Commission mixte des droits de l’homme], nous avons examiné de très près l’interdiction actuelle pour voir si l’une ou l’autre modification mineure ne rendrait pas plus certaine sa compatibilité avec le respect des droits de l’homme. Malheureusement, toute modification tournée vers cet objectif permettrait quand même la diffusion d’une quantité importante de publicité politique, et je crois pouvoir dire que tous les partis s’entendent à reconnaître que ce ne serait pas un résultat souhaitable. En empêchant ceux qui représentent des intérêts puissants de biaiser le débat politique, l’interdiction actuelle protège le débat public et démocratique ainsi que l’impartialité des diffuseurs. Après avoir examiné tous les faits et recueilli de nombreux avis juridiques, j’ai conclu que des arguments très forts pouvaient être avancés pour dire que l’interdiction contenue dans ce projet de loi est conforme à la Convention (...) Le gouvernement applique un certain nombre de critères pour apprécier la compatibilité avec la Convention des textes de loi qu’il propose et, compte tenu de l’existence de [l’arrêt VgT], je dois demander à la Chambre d’examiner le présent projet de loi accompagné d’une déclaration au titre de l’article 19 § 1 b) de la loi de 1998 sur les droits de l’homme. Cela ne signifie pas que nous pensons que ce projet est incompatible avec la Convention, et nous serions en mesure de présenter une défense solide s’il devait être contesté sur le plan juridique. Bien sûr, si cette défense devait être mise en échec devant les juridictions internes, il nous faudrait reconsidérer notre position. Au-delà de cela, nous prenons nos obligations internationales très au sérieux et, si les juges de Strasbourg venaient à adopter un arrêt considérant que l’interdiction n’est pas conforme à la Convention, nous nous efforcerions de la modifier conformément à un tel arrêt. En l’état actuel des choses, cependant, le gouvernement estime qu’il convient de demander à la Chambre de maintenir l’interdiction de la publicité politique. » Le 10 décembre 2002, le ministre responsable du DCMS répondit à une question d’un député au sujet de la compatibilité de l’interdiction avec la Convention en joignant à sa réponse une « note explicative » détaillée exposant les raisons pour lesquelles le gouvernement souhaitait maintenir l’interdiction. Il y était expliqué que, même si l’affaire VgT suscitait un doute quant à la compatibilité de l’interdiction avec la Convention, cette interdiction était largement approuvée par tous les partis politiques et vivement soutenue par la Commission Neill, que la commission d’examen prélégislatif et la Commission mixte des droits de l’homme souscrivaient aux principes qui la sous-tendaient, et qu’elles avaient vivement engagé le gouvernement à rechercher les moyens de garantir sa compatibilité avec la Convention. Il y était également précisé que le gouvernement avait recueilli l’avis de personnes compétentes et qu’une interdiction plus certainement conforme à la Convention ne pouvait passer que par un changement radical d’approche qui ouvrirait la voie « à tout le moins à une quantité importante de publicité provenant de groupes de pression et de groupes de plaidoyer ». Il était indiqué en outre que des « arguments très solides » permettaient de dire que l’interdiction était compatible avec la Convention, raison pour laquelle le gouvernement demandait au Parlement de maintenir l’interdiction sans y rien changer. Il était précisé que la volonté de voir comment l’interdiction pourrait être maintenue tout en étant conforme à la Convention avait débouché sur l’examen d’autres solutions : « A notamment été envisagé un autre régime, reposant sur des interdictions spécifiques, prohibant par exemple toute publicité politique provenant des partis et toute publicité politique en période électorale ou référendaire et prévoyant d’autres règles visant à éviter la prédominance d’un point de vue donné sur telle ou telle chaîne, à signaler par des avertissements visuels ou sonores les publicités politiques et à en contrôler l’ampleur tant en ce qui concerne le temps d’antenne qu’en ce qui concerne la proportion de ses revenus publicitaires qu’un diffuseur peut être autorisé à en retirer. A la lumière des avis juridiques recueillis, la conclusion a été tirée qu’un tel système pourrait difficilement être rendu applicable en pratique et qu’en tout état de cause il serait nettement moins efficace que l’interdiction totale actuelle et ouvrirait la porte à la diffusion d’un volume important de publicité politique sur bon nombre de chaînes. » Enfin, la note explicative retraçait les avis que le DCMS avait reçus de son conseil quant à la compatibilité de l’interdiction avec la Convention malgré l’arrêt VgT : « 20. Le gouvernement a sollicité l’avis de son conseil quant aux incidences de l’affaire suisse sur la compatibilité avec la Convention de l’interdiction de la publicité politique posée dans la loi de 1990 sur la télédiffusion. Le conseil a indiqué que, sans cette affaire, il aurait été presque certain que l’interdiction de la publicité politique prévue par la législation britannique était conforme à l’article 10. Il a également exprimé l’avis que l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire suisse n’était pas convaincant et qu’il existait des arguments solides pour justifier qu’une juridiction interne et la Cour elle-même ne suivent pas cette décision dans le présent contexte. Les principaux éléments qui ont amené le conseil du gouvernement à conclure en ce sens ont trait aux facteurs suivants : a) l’importance fondamentale du maintien de l’impartialité à la radio et à la télévision, du fait de leur portée, de leur immédiateté et de leur influence ; b) le fait qu’autoriser la diffusion de publicités émanant d’organismes politiques ou de nature politique irait à l’encontre du principe d’impartialité, permettrait à des groupes puissants d’acquérir de l’influence en achetant du temps d’antenne et priverait les diffuseurs de protection face aux annonceurs politiques cherchant à exercer une influence éditoriale sur d’autres programmes de radio ou de télévision ; c) les considérations liées aux restrictions de spectre, la troisième phrase de l’article 10 § 1 (qui permet de soumettre les entreprises de radiodiffusion ou de télévision à un régime d’autorisations) et la directive « Télévision sans frontières », chacun de ces éléments militant en faveur d’un traitement spécial de la radio et de la télévision ; d) les avis récemment exprimés en faveur de l’interdiction par des organes indépendants (par exemple la Commission Neill et la Commission mixte des droits de l’homme) ; e) le caractère injustifié de la critique reprochant à l’interdiction de s’appliquer aux organismes politiques au lieu de s’attacher à la nature de chaque publicité, étant donné que toute publicité provenant d’un tel organisme aura tendance à promouvoir les intérêts de celui-ci (ne serait-ce qu’en accroissant sa notoriété ou en lui permettant de collecter plus de fonds), que ce serait une tâche intrinsèquement ardue et incertaine que de tenter de déterminer si la teneur d’une publicité donnée est ou non « trop politique », et que, à la lumière des facteurs militant en faveur de l’interdiction, le Parlement agit dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation lorsqu’il choisit de s’attacher à la nature de l’annonceur plutôt qu’à celle du message afin de poursuivre son objectif de maintien de l’impartialité. L’explication du conseil sur le point de savoir pourquoi il considérait que le raisonnement suivi dans l’affaire suisse n’était pas convaincant s’appuyait sur les points suivants : a) la conclusion « déconcertante » de la Cour de Strasbourg selon laquelle les préoccupations auxquelles l’interdiction était censée répondre (par exemple empêcher les groupes puissants d’exercer une influence indue) ne correspondaient pas à un besoin « impérieux » puisqu’elle ne s’appliquait pas aux autres types de médias ; b) le fait que la Cour eût reconnu qu’une interdiction de la publicité politique pouvait être admissible dans certaines circonstances ; or, selon le conseil, il ressortait d’autres précédents que des règles générales (« d’application stricte ») pouvaient être justifiées, même si des cas difficiles pouvaient se produire à la marge ; c) le poids selon lui insuffisant attaché par la Cour au fait que d’autres formes de publicité (journaux, tracts ou affichage, par exemple) étaient disponibles. » Le 10 décembre 2002, la Commission mixte des droits de l’homme demanda par écrit au gouvernement une explication plus complète des raisons motivant le maintien de l’interdiction. Le 20 décembre 2002, elle publia un rapport dans lequel elle regrettait que le gouvernement n’eût pas expliqué pourquoi il n’avait pas inscrit dans le projet de loi une interdiction moins stricte. Le 9 janvier 2003, le ministre responsable du DCMS lui répondit en se référant à la lettre et à la note explicative envoyées à un député en décembre 2002 (paragraphe 52 ci-dessus). Le 10 février 2003, la Commission mixte des droits de l’homme répondit qu’elle était désormais convaincue de la légitimité de la démarche du gouvernement. Elle s’exprima notamment comme suit (quatrième rapport de la session 20022003) : « 40. Dans notre premier rapport, nous mentionnions six facteurs que nous estimions à titre provisoire devoir être pris en compte par le Parlement dans le cadre de l’examen de l’opportunité d’adopter un texte emportant un risque reconnu d’incompatibilité avec le respect d’un droit garanti par la Convention. A la lumière de ces éléments et de la correspondance susmentionnée, nous estimons établi : – qu’en cas de litige relatif à l’interdiction de la publicité et du parrainage politiques à la radio et à la télévision prévue à l’article 309 du projet de loi, le gouvernement arguerait qu’il n’y a pas lieu de suivre l’arrêt [Vgt] ou, à titre subsidiaire, qu’on ne peut déduire automatiquement de cet arrêt que l’article 309 est incompatible avec le respect du droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention, et que cette argumentation présenterait une perspective raisonnable de succès ; – que le gouvernement s’estimerait tenu de modifier la loi si la [Cour], après examen des arguments des parties, jugeait cette disposition incompatible avec l’article 10, et qu’il reconsidérerait sa position si une juridiction du Royaume-Uni prononçait une déclaration d’incompatibilité au titre de l’article 4 de la loi de 1998 sur les droits de l’homme ; – et que dans l’intervalle, tant qu’il n’a pas eu l’occasion de défendre devant les tribunaux ses arguments relatifs à la compatibilité de l’interdiction avec l’article 10, le gouvernement a de bonnes raisons de penser que les motifs politiques militant en faveur d’un maintien de cette mesure l’emportent sur les raisons de l’atténuer, en particulier parce qu’il serait difficile de produire une solution de compromis applicable. » Le 13 janvier 2003, la Commission électorale, organe indépendant créé par le Parlement pour suivre tout un ensemble de questions électorales et politiques, publia un rapport intitulé Party Political Broadcasting: Report and Recommendations (Diffusion à la radio ou à la télévision de messages politiques de partis : rapport et recommandations). Elle y considérait que les arguments en faveur de l’interdiction étaient convaincants. Elle expliquait que l’une de ses préoccupations principales était d’éviter que ceux qui disposent de ressources financières importantes ne confisquent le débat politique, l’électorat ne recevant plus que des informations provenant d’un nombre très restreint de (grands) partis politiques bien financés. Elle indiquait qu’il serait difficile pour les diffuseurs de maintenir équilibre et impartialité et ajoutait que l’observation de la situation prévalant dans d’autres pays n’était guère de nature à dissiper les inquiétudes relatives à l’impact de la publicité payante. Elle se référait notamment, à cet égard, à ce qui se passait aux Etats-Unis et en Allemagne, où, même si les partis politiques bénéficiaient de tarifs préférentiels pour la publicité, seuls les plus grands d’entre eux disposaient des ressources nécessaires pour faire diffuser leurs messages. Elle concluait que, nonobstant l’arrêt VgT, l’interdiction envisagée pouvait se justifier au regard de l’article 10 § 2 de la Convention (pages 16-17 du rapport) : « (...) il est à noter que l’arrêt [VgT] concernait la publicité politique payante en général et non la publicité émanant de partis politiques dans un contexte où l’interdiction de la publicité payante s’accompagne d’un régime d’annonces gratuites pour l’essentiel non contrôlées par les diffuseurs. Pareil [régime] n’a fait l’objet d’aucune décision de la Cour de Strasbourg ou de nos propres juridictions appliquant la loi sur les droits de l’homme (...) [il] constitue indubitablement un contrepoids à l’interdiction de la publicité payante. S’il ne la compense pas entièrement (...) nous considérons néanmoins qu’il joue un rôle important en ce sens étant donné qu’il s’applique principalement en période électorale. A notre avis, le système britannique est apte à résister à un examen au regard tant de la Convention que de la loi sur les droits de l’homme, tout au moins tant qu’il comporte un volet solide de diffusions gratuites et sans contrôle. » La Chambre des lords a examiné l’arrêt VgT dans l’affaire R (ProLife Alliance) v. BBC ([2003] UKHL 23). Lord Hoffmann l’y a qualifié de « décision circonspecte, quoique quelque peu opaque », tout en notant que la Cour « n’[excluait] pas qu’une interdiction de la « publicité politique » pût être compatible avec les exigences de l’article 10 de la Convention dans certaines situations ». Lord Walker y a quant à lui estimé que cet arrêt, « avec tout le respect dû à la Cour, [n’énonçait] pas de manière claire ou exhaustive les raisons sur lesquelles [reposait] ce qui [semblait] être une conclusion d’une portée considérable », et que son véritable sens était donc « plutôt insaisissable ». C. La loi de juillet 2003 sur les communications (« la loi de 2003 ») L’interdiction de la publicité politique La loi de 2003 a été adoptée par le Parlement sans aucune opposition. Elle a remplacé les autorités de contrôle existantes par une autorité unique de régulation des médias, des télécommunications et des communications radio appelée Office des communications (Office of Communications – « l’OFCOM »). Cependant, le BACC (Broadcast Advertising Clearance Centre – Centre de vérification de la publicité télévisée) a continué jusqu’au 31 décembre 2007 à être responsable de l’examen avant transmission et de l’autorisation des publicités proposées à la diffusion. L’article 319 § 1 de la loi de 2003 donne pour mission à l’OFCOM d’élaborer et de réviser des normes visant à atteindre certains objectifs déterminés énoncés à l’article 319 § 2. Il s’agit notamment de faire en sorte que les actualités soient présentées à la télévision et à la radio avec l’impartialité requise, que les exigences d’impartialité énoncées à l’article 320 soient respectées et que la télévision et la radio ne diffusent pas de publicités enfreignant l’interdiction de la publicité politique. Cette interdiction est énoncée à l’article 321 § 2) de la loi, ainsi libellé : « 2. Aux fins de l’article 329 § 2 g), une publicité enfreint l’interdiction de la publicité politique : a) si elle est insérée par ou pour un organisme dont les objectifs sont totalement ou principalement de nature politique, b) si elle vise un but politique, ou c) si elle est liée à un conflit du travail. L’article 321 § 3 énumère les objectifs qui « sont de nature politique ou visent un but politique » : « a) influer sur l’issue d’une élection ou d’un référendum tenus au Royaume-Uni ou ailleurs, b) provoquer une modification de la législation sur tout ou partie du territoire du Royaume-Uni ou d’un autre pays, ou influer d’une autre manière sur le processus législatif de tout pays ou territoire, c) influer sur les politiques ou décisions des organes de gouvernement local, régional ou national, que ce soit au Royaume-Uni ou ailleurs, d) influer sur les politiques ou décisions de personnes investies de fonctions publiques en vertu des lois du Royaume-Uni ou d’un autre pays ou territoire, e) influer sur les politiques ou décisions de personnes exerçant des fonctions qui leur ont été attribuées en vertu d’accords internationaux, f) influencer l’opinion publique sur une question qui, au Royaume-Uni, est l’objet d’une controverse publique, g) promouvoir les intérêts d’un parti ou d’un autre groupe de personnes constitué, au Royaume-Uni ou ailleurs, à des fins politiques. » L’interdiction s’applique donc non seulement aux publicités ayant un contenu politique, mais aussi aux organismes qui sont totalement ou principalement de nature politique, quel que soit le contenu des publicités qu’ils souhaitent faire diffuser. L’article 321 § 7 de la loi prévoit une exception pour les publicités de service public insérées par ou pour un ministère et pour les messages de certains partis politiques diffusés dans le cadre de campagnes politiques ou référendaires (paragraphe 64 ci-dessous). Les partis politiques pour lesquels de telles publicités peuvent être diffusées sont déterminés par l’OFCOM, qui ne peut les sélectionner que parmi ceux inscrits auprès de la Commission électorale. Les trois mécanismes conçus pour faire respecter l’obligation d’impartialité à la radio et à la télévision L’impartialité politique a toujours été l’une des caractéristiques fondamentales du régime législatif applicable à la télédiffusion. Elle est assurée par trois mécanismes. Le premier est l’interdiction de la publicité politique payante. Le deuxième est l’obligation d’impartialité imposée par la loi à tous les diffuseurs. L’article 320 de la loi de 2003 est intitulé « Obligations particulières en matière d’impartialité ». Ses paragraphes 1 et 2 sont ainsi libellés : « 1. Les obligations imposées par le présent article sont les suivantes : a) dans le cas des services de télévision et de radio (...), l’obligation d’exclure des programmes toute expression des vues ou opinions de la personne fournissant le service sur l’un quelconque des sujets mentionnés au paragraphe 2 ci-dessous, b) dans le cas des services de programmes télévisés, de télétexte, de radio nationale et de programmes sonores numériques nationaux, l’obligation pour la personne fournissant le service de préserver l’impartialité requise relativement à tous ces sujets, c) dans le cas des services de radio locale, de programmes sonores numériques locaux ou de programmes radiodiffusés dans le cadre d’une licence, l’obligation d’éviter d’accorder dans les programmes diffusés une importance exagérée aux vues et opinions de certaines personnes ou organisations sur l’un quelconque de ces sujets. Ces sujets sont : a) les sujets controversés sur les plans politique ou social, et b) les sujets relevant de la politique des pouvoirs publics en vigueur. » Le troisième mécanisme est la fourniture par les diffuseurs d’un temps d’antenne gratuit pour les campagnes politiques, électorales et référendaires des partis. Il fait partie du paysage réglementaire depuis le début de la télédiffusion. Les premières publicités politiques gratuites ont été diffusées à la radio en 1924 et à la télévision en 1951. L’article 333 de la loi de 2003 dispose que les licences octroyées à certains diffuseurs doivent imposer la diffusion de publicités gratuites et le respect des règles de l’OFCOM. Ces règles régissent la diffusion des messages politiques des partis (possibilité offerte aux grands partis à l’occasion des principaux événements du calendrier politique), des messages électoraux des partis (possibilité offerte en période électorale à tous les grands partis ainsi qu’aux petits partis inscrits qui briguent un sixième ou plus des sièges en jeu lors d’un scrutin législatif) et des messages diffusés dans le cadre des campagnes référendaires (possibilité offerte à chaque organisation s’étant vu reconnaître [par la Commission électorale] la qualité de participant officiel à la campagne préparatoire au référendum). D. Les travaux de la plate-forme européenne des instances de régulation (European Platform of Regulatory Authorities – « l’EPRA ») L’étude menée par l’EPRA en mai 2006 Cette étude a été réalisée par le secrétariat de l’EPRA à partir des informations reçues des 31 pays ou territoires suivants : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique (2), la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’île de Man, l’Irlande, Israël (2), l’Italie, la Lettonie, l’exRépublique yougoslave de Macédoine, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, la Suède et la Suisse (2). Elle recommandait l’exercice de la plus grande prudence pour toute comparaison des règles régissant la publicité politique, soulignant que, compte tenu de l’absence de définitions précises dans les différents ordres juridiques et de la grande diversité des traditions nationales, il pouvait y avoir une certaine ambiguïté quant au sens à attribuer au terme « politique », qui pouvait s’appliquer à des éléments aussi divers que les messages politiques de partis diffusés en période électorale et l’expression d’un intérêt public par une organisation non gouvernementale. L’étude résumait comme suit les réponses à la question « La diffusion de publicité politique payante à la radio et à la télévision est-elle interdite dans votre pays ? » : « Pays interdisant la publicité politique payante La publicité politique payante est interdite par la loi dans la grande majorité des pays d’Europe occidentale (Allemagne, Belgique, Danemark, France, Irlande, Malte, Norvège, Portugal, Royaume-Uni, Suède et Suisse). Plusieurs pays d’Europe centrale et orientale, dont la République tchèque et la Roumanie, l’interdisent également. La justification classiquement avancée à l’appui de cette interdiction est que les partis riches ou bien ancrés pourraient acheter beaucoup plus de temps d’antenne que les partis plus récents ou minoritaires, et que cette situation aurait un caractère discriminatoire. Un autre motif invoqué pour restreindre ou interdire ce type de publicité est qu’elle risquerait de susciter des divisions et des préoccupations dans la société. Il a également été suggéré, moins fréquemment toutefois, que cette interdiction préserverait la qualité du débat politique. Pays autorisant la publicité politique payante La publicité politique payante est autorisée dans bon nombre de pays d’Europe centrale et orientale (Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Hongrie, l’exRépublique yougoslave de Macédoine, Pologne) ainsi que dans les pays baltes – Estonie, Lettonie et Lituanie. Dans un petit nombre de pays, la publicité politique n’est autorisée qu’en période électorale. C’est le cas par exemple en Bosnie-Herzégovine (soixante jours avant le scrutin) et en Croatie. On oublie souvent que plusieurs pays d’Europe occidentale, tels que l’Autriche, la Finlande, le Luxembourg (actuellement, mais cela va changer prochainement) ou encore les Pays-Bas autorisent également la publicité politique payante. En Italie, la publicité politique payante, c’est-à-dire l’achat d’espaces libres, a aussi été autorisée sur les chaînes nationales jusqu’en 2003, sous réserve que les chaînes en question diffusassent également des « espaces de communication politique » (...), c’est-à-dire des programmes de débat avec la participation de personnalités du monde politique ; aujourd’hui, elle n’est plus autorisée que sur les chaînes locales, où elle ne doit pas coûter plus de 70% du prix des publicités commerciales, tandis que les chaînes nationales ne peuvent diffuser ce type de messages que gratuitement. En Grèce, où la publicité politique personnelle est soumise à une interdiction complète et permanente, la publicité politique payante pour les partis politiques n’est pas interdite. En Espagne, si l’interdiction de la publicité politique est permanente en ce qui concerne les chaînes de télévision, le code électoral autorise la publicité électorale payante sur les chaînes de radio commerciales, ce uniquement en période électorale. Le principal argument en faveur de la publicité politique payante est qu’elle peut permettre à de nouveaux candidats de se faire connaître. On dit souvent aussi que le droit à la publicité politique fait partie intégrante du droit à la liberté d’expression et d’information. » (Traduction du greffe) Au sujet de la portée de l’interdiction de la publicité politique, l’étude indiquait ceci : « En règle générale, la publicité politique ne concerne pas exclusivement les périodes électorales, les partis politiques ou les candidats aux élections. Des messages relatifs à d’autres sujets faisant l’objet de débats de société importants, par exemple les droits des animaux, les questions environnementales, l’avortement, etc. (souvent qualifiés de propagande politique ou de messages de plaidoyer) sont parfois considérés comme poursuivant un but politique ou comme présentant un caractère politique et, dès lors, comme relevant de la publicité politique. Pays appliquant une interdiction large C’est le cas par exemple de l’Espagne, de la France, de l’île de Man, de l’Irlande, d’Israël, de Malte et du Royaume-Uni. En Irlande, l’interdiction s’applique à toutes les publicités dont on peut dire qu’elles sont de nature politique et à tous les groupes qui poursuivent un but politique. Elle est donc appliquée de la façon la plus large qui soit et ne se limite pas aux campagnes électorales ou référendaires. En Israël, elle s’applique en permanence aux partis politiques comme aux groupes d’intérêt et aux réseaux de plaidoyer. Sur l’île de Man, le terme « politique » ne veut pas seulement dire « relatif à un parti politique » mais a un sens plus large. L’interdiction touche par exemple les campagnes de plaidoyer visant à influer sur la législation ou sur l’action exécutive du gouvernement ou des autorités locales. En France, l’interdiction s’applique non seulement aux partis politiques et aux candidats aux élections mais aussi à toute organisation dont les messages publicitaires viseraient un objectif politique. Les associations (la plupart des groupes d’intérêt et des réseaux de plaidoyer sont constitués sous cette forme) n’ont pas le droit de faire diffuser de messages publicitaires. Les associations à but non lucratif peuvent faire diffuser des « messages d’intérêt général » mais ceux-ci ne doivent pas comporter de message politique. En Espagne, l’interdiction s’applique en permanence sans qu’il soit précisé quels groupes elle vise. A Malte, elle s’applique en permanence sauf pour les programmes approuvés de messages politiques. Le paragraphe 1 f) de l’annexe III interdit la publicité de nature politique et il a toujours été compris comme s’appliquant au sens strict aux partis politiques. Cependant, l’autorité compétente a aussi adopté une interprétation plus large, appliquant l’interdiction à d’autres groupes, par exemple des syndicats, qui poursuivaient des buts pouvant être qualifiés de politiques au sens large du terme. Pays appliquant une interdiction plus restreinte En Suisse, du fait de [l’arrêt VgT] (...) certaines formes de publicité « politique » sont désormais autorisées. Les ONG et les réseaux de plaidoyer peuvent faire passer des publicités ayant une certaine teneur politique, mais pas avant les élections ni pendant les campagnes précédant les votations. Cependant, l’interdiction est maintenue à l’égard de la publicité émanant de partis politiques ou de candidats aux élections. De même, au Danemark, en conséquence dudit arrêt, l’interdiction permanente de la publicité politique à la télévision ne concerne que les publicités pour les partis ou les mouvements politiques ou pour les candidats aux élections ainsi que les publicités pour les syndicats ou les mouvements religieux. Elle ne s’applique pas aux mouvements politiques au sens large tels que les réseaux de plaidoyer pour des causes environnementales ou sociales, sauf lorsque ces groupes sont désignés pour siéger dans des organes ou des assemblées politiques. De plus, la législation danoise n’autorise pas la diffusion de publicités contenant un message politique pendant les périodes de campagne électorale, où il est estimé nécessaire d’appliquer une interdiction totale afin d’empêcher que les électeurs ne soient indûment influencés et d’assurer l’égalité des droits démocratiques des candidats indépendamment des moyens économiques ou financiers de chacun. En revanche, la publicité politique et les campagnes politiques ne sont pas interdites dans les autres médias, par exemple à la radio. En Norvège, l’interdiction s’applique en permanence et à tous les groupes et partis visant des buts politiques. Cependant, elle est interprétée à la lumière de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à cet article. En Suède, la publicité politique n’est interdite que sur les services de télédiffusion qui sont soumis à une obligation d’impartialité. En principe, les licences régissant la diffusion des chaînes commerciales de télévision numérique terrestre (TNT) ne prévoient pas cette obligation, et ces chaînes sont donc libres de diffuser de la publicité politique. Jusqu’au 1er mars 2006, cette liberté ne s’appliquait pas aux chaînes de TNT spécialisées du groupe TV4. Cependant, les nouvelles licences de ces chaînes ne prévoient plus d’obligation d’impartialité, ce qui signifie que celles-ci sont désormais également libres de diffuser de la publicité politique. En Italie, le terme « politique » est utilisé dans un sens très étroit, et les [messages des] groupes d’intérêt relèvent de ce que l’on appelle les messages « sociaux ». Tous les diffuseurs peuvent faire passer sur les ondes des messages ayant une utilité sociale (ce concept n’est pas défini), même à titre payant, sous réserve que le prix de ces messages ne dépasse pas 50 % de celui des publicités commerciales. Ces messages (payants ou gratuits) ne sont pas pris en compte pour le calcul des durées horaires et journalières et ne peuvent, au total, représenter plus de quatre minutes par jour. Dans certains pays, l’interdiction concerne essentiellement les élections et les périodes électorales (République tchèque, par exemple) ou les partis politiques et les candidats aux élections (Belgique, par exemple). Les messages de plaidoyer ne sont pas mentionnés. » (Traduction du greffe) L’étude montrait que certains Etats autorisaient la publicité politique sous réserve de certaines restrictions tandis que d’autres n’appliquaient aucune restriction : « Pays appliquant des restrictions à la publicité politique payante La plupart des pays qui autorisent la publicité politique prévoient aussi certaines restrictions légales pour éviter que cette pratique ne soit discriminatoire. Peuvent ainsi être encadrés la durée et la fréquence des messages (l’exRépublique yougoslave de Macédoine, Bosnie-Herzégovine), le moment de leur diffusion (l’ex-République yougoslave de Macédoine : ni pendant les journaux ni pendant les programmes pour enfants), leur prix (Bosnie-Herzégovine : les listes de tarifs doivent être soumises pour examen à l’autorité de régulation quinze jours avant l’ouverture de la période électorale), le montant maximal que la loi permet de dépenser pour les campagnes électorales (Grèce, Lettonie : dans ce dernier pays, pendant les élections législatives ou européennes les partis ne peuvent pas dépenser plus de 0,20 LVL (0,284 EUR) x le nombre d’électeurs au dernier scrutin), les indications permettant de reconnaître les messages (Chypre, l’ex République yougoslave de Macédoine : il doit être correctement et visiblement indiqué tout au long de sa diffusion qu’il s’agit d’un « message publicitaire politique payant »). En Hongrie, les diffuseurs doivent accorder à tous les partis des conditions égales (même prix, même période de programmation, etc.), mais il n’y a pas de restrictions spécifiques quant au volume de la publicité politique. Enfin, il est à noter que dans plusieurs pays, par exemple dans l’exRépublique yougoslave de Macédoine, les chaînes de radio et de télévision du service public ne sont pas autorisés à diffuser des messages publicitaires politiques payants et que seuls les diffuseurs privés le sont. Pays n’appliquant pas de restrictions à la publicité politique payante C’est le cas par exemple de l’Autriche, de l’Estonie, de la Finlande et de la Pologne. Dans ce dernier pays, la question des restrictions à la publicité politique est gérée par les diffuseurs, qui ont chacun leurs propres règles internes en la matière. Analyse et commentaires Même si elle reflète une tendance réelle, l’affirmation souvent répétée selon laquelle il y aurait un fossé entre les pays de l’Est et ceux de l’Ouest en matière d’interdiction de la publicité politique n’est pas forcément exacte. Les pays d’Europe occidentale qui autorisent cette pratique sont souvent oubliés dans les études comparatives. Etant donné la diversité des positions sur le sujet, le Conseil de l’Europe ne se prononce pas sur la question de savoir si la publicité politique payante doit ou non être acceptée, se bornant à indiquer dans sa recommandation [no R (99) 15] que « si la publicité payante est autorisée, elle devrait être assujettie à certaines règles minimales (...) ». La plupart des pays qui autorisent la publicité politique payante ont mis en place certaines limites, de sorte que cette pratique n’est pas nécessairement discriminatoire dans tous les cas. Il est possible que tous les partis se voient offrir les mêmes possibilités. Cependant, cette « égalité des chances » n’est réelle que lorsqu’ils disposent tous des fonds nécessaires pour acheter le même temps d’antenne. » Enfin, l’étude résumait ainsi la situation : « L’absence de définitions explicites et la grande diversité des traditions nationales risquent d’être source de malentendus entre les partenaires européens dans les discussions touchant à la publicité politique. Généralement, dans l’expression « publicité politique », le terme « publicité » est utilisé dans son acception la plus large, au sens de propagande. Le plus souvent, les dispositions nationales en matière de publicité ne sont pas applicables car elles requièrent un paiement ou une autre forme de contrepartie. Cependant, dans certains pays, la publicité politique est soumise aux dispositions légales générales relatives à la publicité. (...) De manière assez surprenante, quelques pays n’imposent aucune restriction à la publicité politique payante. Cependant, cela ne semble pas poser de problèmes particuliers ni être source de préoccupations. (...) Dans la grande majorité des pays, les partis et/ou les candidats se voient généralement octroyer du temps d’antenne gratuit pour présenter leur programme, souvent mais non exclusivement sur les chaînes des diffuseurs de service public. Il est intéressant de noter que, dans quelques pays, il n’existe pas de système de ce type : la télévision ne diffuse pas de programmes officiels pendant les campagnes électorales. (...) On dit parfois que si les candidats et les partis bénéficient d’un accès équitable à du temps d’antenne gratuit pendant les campagnes électorales, la publicité politique payante devient moins (voire plus du tout) nécessaire. Cette affirmation ne peut être systématiquement vérifiée en pratique, l’existence d’un programme d’attribution de temps d’antenne gratuit n’empêchant pas certains pays d’autoriser la publicité politique payante (...) Dans bon nombre de pays d’Europe (occidentale), le sujet le plus brûlant actuellement semble être celui des « messages de plaidoyer », c’est-à-dire des messages diffusés à des fins politiques mais émanant d’organisations qui sont non pas des partis politiques, comme des groupes d’intérêt ou des groupes sociaux. Depuis l’adoption par la Cour de l’arrêt [VgT], quelques pays ont restreint la portée de l’interdiction de la publicité politique, dont ils permettent désormais la diffusion – hors période électorale. (...) » Le résumé se terminait par la question suivante : « Les interdictions totales actuelles (qui portent aussi sur les messages de plaidoyer) reposent-elles sur une justification « pertinente et suffisante » qui leur permettrait de résister à un examen au regard de la Convention ? Ou constituent-elles au contraire une restriction disproportionnée à la liberté d’expression ? » L’exposé préparé pour le Groupe de travail de l’EPRA sur la publicité politique (GT 1, 30e réunion de l’EPRA, octobre 2009) Analysant la jurisprudence récente afférente à la Convention, l’auteur de cet exposé considérait que l’arrêt VgT avait ouvert une perspective originale sur l’article 10, qui semblait imposer désormais à l’Etat l’obligation positive d’intervenir pour mettre en œuvre une forme de droit de diffusion sur l’espace publicitaire. Il comparait cet arrêt à l’arrêt Appleby et autres c. Royaume-Uni (no 44306/98, CEDH 2003VI), où était soulignée l’importance de l’accès aux autres médias, et à l’arrêt Murphy (précité), où étaient rejetés les arguments fondés sur l’arrêt VgT. Les autres études comparatives Alors que l’étude menée par l’EPRA en 2006 portait aussi sur certains Etats non membres du Conseil de l’Europe, la Cour a examiné la situation dans 34 Etats membres, dont sept (Monaco, la Russie, SaintMarin, la Serbie, la Slovénie, la Turquie et l’Ukraine) n’étaient pas couverts par cette étude. Depuis 2006, 25 Etats contractants ont modifié leur réglementation dans ce domaine, souvent dans une mesure relativement importante. Dix-neuf des 34 Etats examinés interdisent, d’une manière ou d’une autre, la publicité politique payante. Outre le Royaume-Uni, sept d’entre eux (l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Irlande, le Portugal, la République tchèque et la Suède) appliquent une interdiction qui, soit en raison de la définition large du mot « politique », soit parce qu’elle s’applique en dehors des périodes électorales, soit pour ces deux raisons à la fois, peut passer pour large. Cependant, même au sein de ces sept Etats, la définition et l’interprétation du mot « politique » varient, de sorte que l’interdiction pourrait probablement être appliquée (Irlande) ou a été appliquée (Allemagne, Espagne, France, Portugal, République tchèque), de manière à permettre l’attribution d’un temps d’antenne à certaines ONG (telles que la Croix-Rouge ou Greenpeace), à certaines organisations intergouvernementales (par exemple le HCR) et à certaines organisations à but non lucratif. Dans la grande majorité des Etats contractants étudiés, la tendance est d’autoriser certains organismes à faire diffuser des publicités présentant un certain intérêt social. E. Les textes du Conseil de l’Europe La recommandation no R (99) 15 du Comité des Ministres relative à des mesures concernant la couverture des campagnes électorales par les médias est ainsi libellée : « 5. Publicité politique payante Dans les Etats membres où les partis politiques et les candidats ont le droit d’acheter de l’espace publicitaire à des fins électorales, les cadres de régulation devraient faire en sorte que : – la possibilité d’acheter de l’espace publicitaire soit accordée à tous les partis concurrents, dans les mêmes conditions et sur la base de tarifs égaux ; – le public sache que le message constitue une publicité politique payante. Les Etats membres pourraient étudier l’introduction dans leurs cadres de régulation d’une disposition limitant le volume d’espace publicitaire politique que les partis politiques ou les candidats peuvent acheter. » On trouve dans l’exposé des motifs de cette recommandation les observations suivantes : « Publicité politique payante La publicité politique payante dans les médias du secteur de la radiodiffusion a été traditionnellement interdite dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe, tout en étant en même temps acceptée dans d’autres. Un de ses principaux avantages est la possibilité pour toutes les forces politiques de diffuser largement leurs messages/programmes. En revanche, elle peut donner un avantage indu aux partis ou candidats qui peuvent acheter un temps d’antenne important. Etant donné les différentes positions prises à ce sujet, la recommandation ne tranche pas la question de savoir s’il faut ou non accepter cette pratique, se bornant à indiquer que si la publicité payante est autorisée, elle devrait être assujettie à certaines règles minimales : premièrement, accorder des conditions égales (en matière d’accès et de tarifs) à tous les partis demandant un temps d’antenne ; deuxièmement, le public devrait savoir que le message est une publicité payante. On peut également considérer nécessaire d’imposer des limites au volume de publicité payante pouvant être achetée par un seul parti. La recommandation ne précise pas toutefois s’il est souhaitable de faire ainsi et ne fixe pas non plus de limites précises à cette forme de publicité achetée, car l’on a estimé que la décision à ce sujet devait être prise au niveau national. » Le 7 novembre 2007, le Comité des Ministres a adopté une recommandation (Rec(2007)15) portant révision de la recommandation no R (99) 15. Le projet d’exposé des motifs comportait le passage suivant : « 78. Etant donné les différentes positions prises à ce sujet, la Recommandation /Rec(2007) (...) ne tranche pas la question de savoir s’il faut ou non accepter cette pratique, se bornant à indiquer que si la publicité payante est autorisée, elle devrait être assujettie à certaines règles minimales, en particulier qu’il soit accordé des conditions égales (en matière d’accès et de tarifs) à tous les partis demandant un temps d’antenne. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1936 et réside à Bénévent. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Le requérant était propriétaire d’un terrain sis à Bénévent et enregistré au cadastre, feuille 33, parcelle 149. Par un arrêté du 24 août 1987, l’administration provinciale de Bénévent approuva le projet de construction d’un ouvrage public sur le terrain du requérant. Par un arrêté du 12 janvier 1989, le maire de Bénévent autorisa les sociétés A. et P. à occuper d’urgence une partie de ce terrain, à savoir 3 104 mètres carrés, pour une période maximale de cinq ans en vue de son expropriation, afin de procéder à la construction de l’ouvrage public. Le 20 février 1989, le terrain fut matériellement occupé. La procédure principale Par un acte d’assignation du 18 octobre 1994, notifié le 21 octobre 1994, le requérant introduisit une action en dommages-intérêts à l’encontre des sociétés A. et P. devant le tribunal de Bénévent. Il faisait valoir que l’occupation du terrain était illégale au motif que celle-ci s’était poursuivie au-delà de la période autorisée, sans qu’il fût procédé à l’expropriation formelle et au paiement d’une indemnité. A la lumière de ces considérations, il demandait à titre principal la restitution du terrain et à titre subsidiaire un dédommagement pour la perte de celui-ci, ainsi qu’une indemnité d’occupation. Au cours du procès, une expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, la partie du terrain effectivement occupée avait une surface globale de 3 582 mètres carrés et sa valeur marchande en 1989 était de 38 864,70 EUR. Par un jugement notifié les 12 et 13 octobre 2004, le tribunal de Bénévent déclara que le requérant avait été privé de son terrain en raison de la transformation irréversible de celui-ci, en vertu du principe de l’expropriation indirecte. A la lumière de ces considérations, le tribunal condamna les sociétés A. et P. à verser au requérant un dédommagement de 38 864,70 EUR, égal à la valeur marchande en 1989 de la partie du terrain occupée, plus réévaluation et intérêts. En outre, le tribunal rejeta la demande d’indemnité d’occupation, au motif que seule la cour d’appel était compétente à cet égard. Par un acte notifié au requérant le 5 novembre 2004, la société A. interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Naples. Par un arrêt du 10 novembre 2006, la cour d’appel de Naples confirma le jugement de première instance quant au dédommagement et accorda au requérant 38 864,70 EUR, plus réévaluation et intérêts à partir du 12 janvier 1996, date de la fin de l’occupation légitime. La procédure « Pinto » Par un recours déposé au greffe le 5 avril 2002, le requérant saisit la cour d’appel de Rome au sens de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée de la procédure devant le tribunal de Bénévent décrite ci-dessus. Il demanda à la cour d’appel de dire qu’il y avait eu une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner l’État italien au versement de 6 584 EUR à titre de dédommagement des préjudices matériels et moraux subis. Par une décision du 24 mars 2003, déposée au greffe le 10 avril 2003, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle rejeta la demande relative au dommage matériel au motif que celle-ci n’était pas étayée, accorda 1 000 EUR comme réption du dommage moral et 700 EUR pour frais et dépens. Cette décision fut notifiée à l’administration le 22 mai 2003 et acquit l’autorité de la chose jugée le 21 juillet 2003. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt GuisoGallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009. Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » sont décrits dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les faits de chaque requête, tels qu’ils ont été exposés par les parties et d’après les informations fournies au jour de l’adoption de la présente décision (article 47 du règlement), peuvent se résumer comme suit. La procédure de faillite Par un jugement déposé le 11 février 1985, le tribunal de Syracuse déclara la faillite personnelle du requérant. Plusieurs demandes tardives d’admission à l’actif de la faillite furent introduites à des dates non précisées. Au courant de la procédure, un litige fiscal, engagé par le syndic de la faillite, se termina par un arrêt de la commission fiscale d’appel rendu à une date non précisée en 1990. En 2002, une procédure en révocation, parallèle à celle de faillite, fut également clôturée. La procédure fut close pour répartition finale de l’actif de la faillite le 26 septembre 2011. La procédure introduite au sens de la « loi Pinto » Le 16 juillet 2004, le requérant introduisit un recours devant la cour d’appel de Messine au sens de la « loi Pinto » se plaignant de la durée de la procédure de faillite et des incapacités dérivant de celle-ci. Par une décision déposée le 5 mars 2005, la cour d’appel condamna le ministère de la Justice au paiement de 12 000 euros (EUR) pour dédommagement moral en faveur du requérant. Le requérant s’étant pourvu en cassation, il fut débouté par un arrêt déposé le 16 janvier 2007. La Cour de cassation souligna que la procédure avait été particulièrement complexe. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les éléments de droit interne pertinent sont exposés dans les affaires Campagnano c. Italie, no 77955/01, CEDH 2006IV ; Albanese c. Italie, no 77924/01, 23 mars 2006, Vitiello c. Italie, no 77962/01, 23 mars 2006 et Cennamo c. Italie (déc), no 6310/07, 6 décembre 2011.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1955 et réside à Quarteira (Portugal). A. Les faits à l’origine de la procédure contre l’État Le requérant était le gérant-associé de la société de droit portugais S. qui avait pour activités principales le transport et le stockage de marchandises dans le port de Sines. Entre le 23 juin 1994 et le 26 mai 1995, la société S. accepta le dépôt de conteneurs de cigarettes, provenant des Etats-Unis. Faisant droit aux demandes présentées par la société, les autorités douanières autorisèrent la sortie des conteneurs en direction des ports de Leixões et de Lisbonne. Elles n’exigèrent néanmoins pas de garantie du principal obligé ou du transporteur. Le 23 juin 1995, l’entrepôt de la société fut perquisitionné par la douane et la police. Ayant constaté la disparation des conteneurs de cigarettes, les autorités mirent sous scellé l’entrepôt et saisirent la marchandise et les équipements de la société. Une enquête fut ouverte contre la société par le parquet près le tribunal de Santiago do Cacém des chefs de soustraction de marchandises à la surveillance douanière et faux et usages de faux. Elle fut classée sans suite par une décision du tribunal de Santiago do Cacém du 17 mai 1995, confirmée par un arrêt de la cour d’appel d’Évora du 9 novembre 1999. Le 23 juillet 1997, la société reçut le décompte de la dette douanière relative aux années 1995, 1996 et 1997, laquelle s’élevait à plus de sept millions d’euros. Le 12 février 1998, elle contesta le montant qui lui était réclamé. Le recours fut conclu par une décision du 27 janvier 2009 (son issue n’est pas précisée). Par un jugement du 1er octobre 1999, le tribunal de Santiago do Cacém déclara la faillite de la société S. Le 17 septembre 2003, le requérant porta plainte contre un agent des douanes, l’accusant de corruption active. Par une ordonnance du 12 février 2008, l’affaire fut toutefois classée sans suite. Consécutivement aux faits décrits ci-dessus, le 29 novembre 2007, le requérant fut inscrit dans la liste des plus gros débiteurs du fisc. Son nom fut retiré de cette liste le 17 mars 2011, la dette douanière ayant été considérée comme prescrite. Le requérant allègue être toutefois toujours considéré comme débiteur de dettes fiscales au Portugal. B. L’action en responsabilité civile extracontractuelle (procédure interne no 465/03) devant le tribunal administratif de Lisbonne Le 16 septembre 2003, le requérant saisit le tribunal administratif de Lisbonne d’une action en responsabilité civile extracontractuelle contre l’Etat, réclamant réparation pour les dommages subis en raison des divers actes pratiqués par les autorités douanières à l’encontre de la société S. entre les années 1994 et 1997. Par une ordonnance préparatoire du 14 décembre 2009, faisant droit à l’exception qui avait été soulevée par l’Etat, le tribunal déclara la demande du requérant irrecevable pour tardiveté. Il estima que les actes de l’administration douanière contestés avaient été pratiqués entre les années 1994 et 1995, le délai de trois ans prescrit par la loi pour introduire une action en indemnisation ayant dès lors été dépassé. Le tribunal considéra que le requérant n’avait pas étayé le caractère criminel des actes dénoncés pour lui permettre de bénéficier des délais de prescription plus longs prévus en matière pénale. Le requérant interjeta appel de cette ordonnance devant le tribunal central administratif du Sud, contestant la prescription de son droit à une indemnisation. Par un arrêt du 10 novembre 2011, le tribunal confirma l’ordonnance, déboutant ainsi le requérant de sa prétention.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérantes sont nées respectivement en 1968 et 1948 et résident à Siirt. Elles sont respectivement la veuve et la mère d’Abdullah Aydan (A. Aydan), décédé le 6 septembre 2005. A. Décès d’A. Aydan Le 6 septembre 2005, vers 13 h 30, au centre ville d’Eruh, A. Aydan fut atteint par des tirs provenant d’une jeep militaire stationnée à proximité d’un groupe de personnes qui manifestaient non loin de l’arrêt de bus devant lequel il se tenait. A. Aydan fut d’abord conduit à l’hôpital civil de Siirt. A 13 h 50, un rapport médical fut établi à cet hôpital. Les conclusions de ce rapport sont ainsi libellées : « Traumatisme crânien (perforation). Etat général mauvais. Inconscient. (...) Une perforation de deux centimètres de largeur située à dix centimètres au-dessus de l’oreille droite et derrière l’os temporal droit (...) Aucune autre perforation crânienne. Présence de tissus cérébraux s’échappant de la perforation. Le pronostic vital est engagé. Le patient est transféré au service de chirurgie cérébrale. Rapport établi après examen médical du patient. » A 16 h 50, A. Aydan fut transféré à l’hôpital civil de Dicle (Diyarbakır). Il y décéda à 18 h 30. Le même jour, un procès-verbal constatant le décès fut dressé par le policier affecté aux urgences de l’hôpital et par un médecin. Le même jour, à 19 h 30, une autopsie fut pratiquée à l’hôpital de la faculté de médicine de Dicle. Les conclusions de ce rapport sont ainsi libellées : « Il ressort de l’examen médicolégal, du rapport de l’hôpital et des constats macroscopiques décrits ci-dessus effectués lors de l’autopsie d’A. Aydan – individu dont l’identité a été précisée ci-dessus et qui a trouvé la mort au cours d’une opération consécutive à une blessure au cerveau causée par une arme à feu – que le décès de celui-ci résulte d’une hémorragie et des dommages cérébraux provoqués par des balles qui lui ont fracturé le crâne (...) » Selon le Gouvernement, le jour de l’incident, la section de Siirt du Parti populaire démocratique (Demokratik Halk Partisi), l’Association de solidarité familiale des détenus et des prisonniers de Siirt et des organisations non gouvernementales organisèrent une manifestation pour donner lecture d’une déclaration de presse en faveur de M. Öcalan, chef du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Environ 200 personnes y participaient. Au cours de cette manifestation, des slogans furent scandés. Malgré les sommations des forces de l’ordre, les manifestants refusèrent de se disperser. Ils endommagèrent des véhicules et des commerces sur leur passage. Ils s’attaquèrent violemment aux forces de l’ordre et perturbèrent la circulation. Au cours de ces événements, un véhicule appartenant au commandement de la gendarmerie fut bloqué par les manifestants. Ces derniers attaquèrent le véhicule avec des pierres et des bâtons. Trois militaires se trouvant à l’intérieur du véhicule furent blessés. Le chauffeur du véhicule tira en l’air avec un MP-5. L’arme étant en position de tir automatique, il y eut plusieurs tirs en l’air. C’est à ce moment-là qu’A. Aydan fut blessé par une balle à la tête. A. Aydan décéda le soir même. Les requérants contestent cette version des faits. B. L’enquête menée par les autorités nationales Toujours le 6 septembre 2005, la direction de la sûreté de Siirt sollicita auprès du parquet de cette ville l’autorisation de procéder à des examens criminalistiques sur le décès d’A. Aydan. Le procureur de la République de Siirt (« le procureur ») invita le commandement de la gendarmerie de Siirt à lui communiquer l’identité des personnes qui se trouvaient dans la jeep militaire ainsi que les caractéristiques des armes à feu qu’elles détenaient. Le même jour à 18 heures, trois policiers firent un croquis des lieux et dressèrent un procès-verbal d’inspection de ceux-ci, qui comportait les observations suivantes : « (...) il est établi que les événements se sont déroulés sur la route d’Eruh, à une distance de 180 cm du terre-plein central, où a été retrouvée une douille de calibre 9 mm provenant d’un pistolet-mitrailleur MP-5. Cinq autres douilles provenant également d’un MP-5 ont été retrouvées sur le terre-plein (...) On a découvert un impact de balle sur la portière arrière gauche du véhicule d’un particulier garé devant le dispensaire, deux sur la portière avant gauche de ce véhicule et un projectile déformé sous le siège avant droit de celui-ci, dont la vitre de la portière avant gauche était brisée (...) » Le même jour, le parquet de Siirt recueillit les dépositions de trois témoins du drame. Le premier, M. T.Y., déclara avoir vu un groupe de personnes scandant des slogans se diriger vers l’arrêt d’Eruh, où il attendait un bus, ainsi qu’une jeep militaire. Il indiqua également qu’il avait entendu cinq ou six coups de feu provenant de ce véhicule et que, après que la foule se fut dispersée, il avait vu un blessé gisant au sol. Il déclara qu’il n’avait pas la certitude que les manifestants avaient jeté des pierres en direction du véhicule, mais ajouta que c’était possible étant donné que les manifestants avaient des pierres dans les mains. Le deuxième témoin, M. V.K., chauffeur de taxi, déclara qu’il avait entendu dire qu’il y avait un blessé à l’arrêt de bus d’Eruh et qu’il l’avait conduit à l’hôpital avec deux autres personnes. Le troisième témoin, M. M.O., déclara qu’il avait vu un groupe de manifestants scandant des slogans en faveur de l’organisation PKK/KONGRA-GEL, qu’il avait entendu un coup de feu après que ceux-ci eurent jeté des pierres en direction de la jeep, et qu’il avait ensuite aperçu un blessé au sol. Toujours le 6 septembre 2005, trois gendarmes, G.Y., A.B. et S.Ü., qui se trouvaient à bord de la jeep militaire, se rendirent à l’hôpital civil de Siirt pour un examen médical. Il ressort des rapports médicaux établis sur l’état de santé de ces personnes que tous trois présentaient des séquelles légères dues à des jets pierres et ne nécessitant pas d’arrêt de travail. Selon un rapport établi le 10 septembre 2005 par le commandement de la gendarmerie, G.Y., A.B. et S.Ü. se trouvaient à bord de la jeep. Ils étaient armés de deux revolvers HK 33 E avec leurs chargeurs, d’un pistolet Astra avec son chargeur, ainsi que de deux MP-5, dont un équipé d’un silencieux, avec leurs chargeurs. Le 14 septembre 2005, le parquet recueillit la déposition du suspect G.Y., qui déclara notamment : « (...) Le jour de l’incident, sur instruction de mon commandant, je suis parti en compagnie de deux gendarmes chercher un dossier auprès du commandement de la gendarmerie (...) Je conduisais le véhicule (...) Nous nous trouvions en face du dispensaire lorsqu’un véhicule, dont je n’ai pas relevé le numéro d’immatriculation, s’est arrêté soudainement devant nous, m’obligeant à freiner d’urgence. Au même moment, 150 à 200 individus ont encerclé notre véhicule et commencé à nous jeter des pierres et à nous attaquer avec des barres et des couteaux. Certains d’entre eux portaient des armes à feu. (...) Des pierres nous ont atteints et blessés. Ces individus nous ont attaqués aux cris de « mort aux soldats turcs, liberté à Apo » (...) Ils scandaient des slogans en kurde, que je ne comprenais pas. Je les ai sommés d’arrêter. Lorsque la vitre de notre véhicule a été totalement détruite, je me suis saisi de mon arme et j’ai procédé à une deuxième sommation. L’attaque se poursuivant, j’ai effectué un tir de semonce à travers la vitre cassée du côté du chauffeur, mais mon arme était en position automatique et a tiré en rafale. J’ignore le nombre de balles qui ont été tirées. Après ce tir, le véhicule qui se trouvait devant nous a commencé à se déplacer. Je me suis éloigné de cet endroit pour me rendre au commandement central, l’unité militaire la plus proche. J’ai informé nos commandants de ces faits (...) Par la suite, nous avons appris qu’une personne avait été blessée par balles. Je n’ai pas vu comment elle avait été blessée. J’avais tiré en l’air. Je ne pense pas qu’elle ait été blessée par mon tir (...) Je suis certain d’avoir tiré en l’air, je n’ai pas visé la foule. Je pense que la personne a été blessée par des balles tirées par des manifestants, dont certains étaient armés. (...) » Le même jour, le parquet recueillit les dépositions d’A.B. et S.Ü. Ils confirmèrent les dépositions de G.Y., déclarant toutefois ne pas être certains de la présence sur les lieux de manifestants armés. Le 12 octobre 2005, le laboratoire attaché au service criminel de la direction de la sûreté de Diyarbakır établit un rapport d’expertise d’où il ressortait que sept douilles de type parabellum ainsi qu’un projectile déformé provenaient d’un MP-5 modèle K doté d’un système de tir automatique ou semi-automatique. Le 27 octobre 2005, deux policiers qui avaient réalisé un enregistrement vidéo de la manifestation firent une déposition dans laquelle ils déclarèrent n’avoir vu dans la foule aucune personne munie d’une arme à feu ou d’une arme blanche. Quatre policiers établirent des procès-verbaux d’où il ressortait qu’aucun manifestant en possession d’une arme à feu ou d’une arme blanche n’avait été vu sur les lieux du drame. C. La procédure pénale menée contre G.Y. L’acte d’accusation et les audiences de première instance Le 22 novembre 2005, le procureur de la République déposa auprès de la cour d’assises de Siirt (« la cour d’assises ») un acte d’accusation contre G.Y. pour homicide résultant de l’emploi d’une force meurtrière allant au-delà de la légitime défense, infraction réprimée par les articles 85 § 1, 27, 53 et 54 § 1 du code pénal. Estimant que G.Y. aurait pu se défendre de manière plus mesurée afin de disperser le groupe de manifestants, il requit la condamnation de celui-ci. Il précisa qu’il était établi que G.Y. avait excédé les limites de la légitime défense en se servant d’un pistolet-mitrailleur pouvant tirer en rafale. Il conclut que l’acte de G.Y. pouvait être qualifié d’homicide volontaire. A l’audience du 17 février 2006, la cour d’assises entendit G.Y. ainsi que deux autres témoins de l’incident, T.Y. et V.K. G.Y. réitéra pour l’essentiel les déclarations qu’il avait faites devant le parquet, mais il les rectifia en précisant qu’il n’avait vu qu’une seule personne portant une arme à feu dans la foule. Il ressort de la déposition de T.Y. que celui-ci attendait un bus à l’arrêt d’Eruh lorsqu’il aperçut un groupe d’une vingtaine de manifestants ainsi qu’une jeep militaire et entendit deux ou trois coups de feu. T.Y. déclara également qu’il avait vu par la suite une personne blessée gisant au sol et qu’il l’avait conduite à l’hôpital, précisant qu’il ignorait si les manifestants avaient lancé des pierres ou en étaient munis. En outre, T.Y. déclara ne pas avoir remarqué si le véhicule était arrêté ou non. V.K. indiqua qu’il avait conduit A. Aydan à l’hôpital avec T.Y. A l’audience du 5 mai 2006, la cour d’assises entendit dix autres témoins, dont deux des gendarmes qui se trouvaient à bord de la jeep militaire au moment des faits, A.B. et S.Ü. Ce dernier déclara notamment que, le jour de l’incident, ses camarades et lui se dirigeaient vers une garnison où ils devaient se procurer un document lorsqu’ils durent stopper leur jeep parce que le véhicule qui la précédait s’était arrêté. Il ajouta qu’un groupe d’environ 150 manifestants s’étaient mis à jeter des pierres sur la jeep et à la secouer aux cris de « mort aux soldats turcs », et que G.Y., le conducteur de celle-ci, les avait sommés d’arrêter avant d’effectuer un tir en rafale. A.B. confirma la déposition de S.Ü. Un des témoins, I.A., déclara qu’il était à la terrasse d’un café lors de l’incident et qu’il avait vu dix à douze personnes lancer des pierres en direction d’un véhicule militaire. La vitre du véhicule avait été brisée. La distance entre les manifestants et le véhicule était de 20 ou 25 mètres. Le véhicule avait ralenti et des coups de feu avaient été tirés sans que le véhicule s’arrêtât. Le témoin A.Y. déclara faire partie des personnes qui avaient fait la déclaration de presse. Il affirma qu’au moment où il retournait vers le bâtiment du DTP (Parti pour une société démocratique, pro-kurde, gauche) pour déposer le microphone, il avait vu six ou sept personnes qui jetaient des pierres en direction d’un véhicule militaire. Les vitres du véhicule avaient été brisées. Il n’y avait aucun autre véhicule près de la jeep militaire. La jeep avait freiné devant le centre médical et un coup de feu avait été tiré. Ensuite, le véhicule était parti. Par ailleurs, le témoin déclara ne pas avoir vu les personnes qui avaient jeté les pierres toucher le véhicule. Il déclara ne pas avoir entendu de sommation. Le témoin R.O. déclara avoir participé à la déclaration de presse. Il affirma avoir vu quatre ou cinq personnes lancer des pierres en direction du véhicule militaire, dont les vitres avaient été brisées. Le véhicule avait ralenti et des tirs en rafale avaient été dirigés parallèlement au sol vers la foule. Le véhicule était parti. Il déclara ne pas avoir entendu de sommation. Le témoin N.A. affirma qu’il était à la terrasse d’un café lors de l’incident et qu’il avait entendu plusieurs coups de feu et vu six ou sept personnes sur les lieux. Le témoin K.A déclara qu’il était également dans un café lors de l’incident et qu’il avait vu sept ou huit personnes lancer des pierres en direction d’un véhicule militaire, qui avait été touché. Il affirma que le véhicule ne s’était pas arrêté et qu’il n’avait pas vu comment les coups de feu avaient été tirés. Le témoin H.T. déclara s’être trouvé près du lieu de l’incident. Il affirma qu’il avait vu le véhicule militaire et que celui-ci ne s’était pas arrêté. Il dit avoir vu le blessé entouré de cinq ou six personnes. Le témoin F.E. déclara qu’elle s’était trouvée près du lieu de l’incident. Elle ajouta n’avoir vu personne lancer des pierres en direction du véhicule militaire et avoir entendu trois ou quatre coups de feu. Le témoin S.O. déclara qu’elle était en train de faire des courses aux environs du lieu de l’incident lorsque celui-ci s’était produit. Elle déclara avoir vu un groupe de huit ou neuf personnes sur les lieux et avoir entendu plusieurs coups de feu. A l’audience du 30 mai 2006, la cour d’assises entendit H.A. en tant que témoin. Celui-ci n’était pas un témoin oculaire. A l’audience du 15 juin 2006, la cour d’assises entendit H.E. en tant que témoin. Celui-ci déclara avoir vu le véhicule militaire alors qu’il se rendait à l’arrêt de bus d’Eruh. Il affirma ne pas avoir vu la manière dont les coups de feu avaient été tirés et ajouta que le véhicule ne s’était pas arrêté lors de l’incident. L’arrêt de la cour d’assises Le 6 juillet 2006, se basant sur les éléments du dossier, la cour d’assises décida de dispenser G.Y. de sanction pénale. Elle motiva notamment sa décision comme suit : « (...) Les témoins cités par la partie intervenante [les requérantes] ont été entendus par notre cour. Toutefois, leurs déclarations n’ont pas été jugées crédibles vu les enregistrements vidéo montrant que des véhicules et des commerces avaient été endommagés par les manifestants et eu égard aux déclarations sincères des témoins de l’accusé, qui ont déclaré avoir être attaqués violemment par des jets de pierres provenant des manifestants (...) Il est établi que l’accusé a tiré en dirigeant le canon de son arme en l’air sans viser une cible en particulier (...) (...) L’une des questions juridiques qui se posent est celle de savoir si le comportement de G.Y. – c’est-à-dire l’usage d’une force qui a excédé les limites de la légitime défense et causé le décès d’une personne qui ne faisait pas partie du groupe des manifestants qui l’attaquaient – a été provoqué par une émotion, une crainte ou une panique excusables, et s’il relève de l’exception prévue par l’article 27 § 2 du code pénal. (...) En l’espèce, la cour conclut que l’usage d’une arme à feu par G.Y. était légitime au regard du droit national. L’existence d’une attaque injustifiée et soudaine dirigée à l’encontre de celui qui se défend ou des droits d’autrui est l’une des conditions de la légitime défense. Il ressort des CD versés au dossier que, le jour du drame, à 13 h 30, un appel public à manifester a été lancé et qu’une foule de manifestants s’est dirigée vers le lieu où se sont déroulés les faits en cassant les vitrines de magasins et d’immeubles publics ainsi que des vitres de véhicules. L’existence d’une attaque injustifiée dirigée contre l’accusé ainsi que contre deux autres soldats a été clairement établie et ne prête pas à controverse entre les parties à l’instance. Selon les témoignages d’A.B. et de S.Ü., après l’arrêt de la jeep militaire consécutif à l’immobilisation du véhicule qui la précédait, un groupe de 150 à 200 manifestants ont commencé à lancer des pierres sur la jeep aux cris de « mort aux soldats turcs », brisant toutes ses vitres et blessant ses occupants. L’accusé a alors sommé les manifestants de s’arrêter, les menaçant de faire feu s’ils n’obtempéraient pas. Comme ceux-ci continuaient à jeter des pierres et à secouer la jeep, G.Y. a fait feu avec un MP-5, tuant une personne. La cour doit statuer sur le point de savoir si cet acte, qui a causé la mort d’une personne étrangère à ces événements, relève du régime général de la légitime défense et des dispositions prévues à l’article 27 § 2 du code pénal. Pour la cour, il ne fait aucun doute que l’accusé aurait dû riposter de manière plus mesurée à une attaque dont l’intensité allait croissant. G.Y. aurait agi dans la légalité s’il avait utilisé une arme moins dangereuse qu’un MP-5 contre les manifestants qui attaquaient la jeep ou s’il avait réglé cette arme en position de tir au coup par coup et s’il avait procédé à une sommation avant de faire feu. Toutefois, considérés ensemble, l’état psychologique de l’accusé lors de l’incident, l’arrêt soudain du véhicule, la destruction des vitres de celui-ci, les tentatives de certains manifestants visant à en extraire les témoins ainsi que les blessures de l’accusé et des témoins causées par les jets de pierres permettent de conclure que l’accusé n’a pas eu l’intention de commettre un homicide volontaire mais seulement de faire cesser l’attaque – même si la riposte a excédé les limites de ce qui était nécessaire pour la réalisation de cet objectif – et que, en application des articles 25 et 27 du code pénal, les actes excédant les limites de la légitime défense sont conformes à la loi, que l’accusé n’a eu aucune intention de violer le droit à la vie de la victime qui n’avait aucun lien avec l’incident et qui attendait à l’arrêt de bus (...) Le comportement reproché à l’intéressé s’inscrit dans le cadre de la légitime défense car celui-ci a agi sous le coup d’une émotion, d’une crainte ou d’une panique excusables. Ce comportement relève de l’article 27 § 2, raison pour laquelle l’accusé doit être dispensé de peine. Au vu des éléments du dossier, il est établi que l’accusé n’a pas eu l’intention de tuer la victime, qu’il a agi dans le but de se défendre et de protéger les autres soldats qui se trouvaient à bord de la jeep, ce qui l’a conduit à dépasser les limites de la légitime défense sous le coup d’une émotion, d’une crainte ou d’une panique excusables au sens de l’article 27 § 2 du code pénal no 5237. En conséquence, la cour rend la décision suivante : Il n’y a pas lieu de condamner G.Y. à une peine, en application des articles 223 § 3 c) et 27 § 2 du code pénal no 5237, selon lesquels l’émotion, la crainte ou la panique sont excusables en situation de légitime défense (...) » L’arrêt de la Cour de cassation Le 24 juillet 2006, les requérantes se pourvurent en cassation. Elles soutenaient notamment que l’enquête menée au sujet de l’incident était partielle, dans la mesure où les preuves à charge n’avaient pas été recueillies. En particulier, elles alléguaient que les personnes qui avaient lancé des pierres en direction de la jeep militaire n’étaient autres que quatre ou cinq enfants. Par ailleurs, l’accusé n’aurait pas tiré en l’air par crainte ou sous le coup de l’émotion, mais aurait tiré en direction des gens avec son arme automatique. De même, il était selon elles établi que le conducteur du véhicule était S.Ü. et non l’accusé. Par conséquent, l’argument de l’accusé selon lequel il avait tiré en utilisant sa main gauche serait complètement dénué de fondement, dans la mesure où il serait impossible de tirer de la main gauche avec une arme automatique. En outre, il serait établi que la victime avait été touchée par balle à 13 h 30 et avait reçu les premiers soins médicaux à 13 h 50. Or il ressortirait des enregistrements vidéo de l’incident que la déclaration de presse avait été organisée à 13 h 30 et avait duré jusqu’à 13 h 42. Il n’existerait aucun élément donnant à penser que les manifestants s’étaient dirigés vers le lieu de l’incident. Par ailleurs, de nombreux points de contrôle auraient été installés à partir de 11 heures dans le quartier. Aucun procès-verbal de police n’aurait fait état d’agression des gendarmes par les manifestants. Les incidents violents se seraient produits après que le bruit eut couru qu’une personne avait été tuée par les forces de l’ordre. Les allégations selon lesquelles la jeep militaire avait été attaquée par des manifestants jetant des pierres ne seraient fondées sur aucune preuve. En outre, aucune pierre ou aucune trace de freinage n’auraient été retrouvées sur le lieu de l’incident. Les requérantes en déduisaient que l’accusé avait tiré sur la foule sans arrêter le véhicule. Elles dénonçaient également le retard dans le recueil des dépositions de l’accusé et de ses compagnons. Ce retard était selon elles préjudiciable à l’enquête dans la mesure où le laps de temps écoulé avait permis aux policiers de faire disparaître les preuves à charge et aux gendarmes de créer leur propre version des faits. Le 18 juillet 2007, le procureur de la République adressa à la Cour de cassation son avis sur le fond de l’affaire. Selon lui, le comportement adopté par l’accusé ne répondait pas aux règles régissant l’utilisation des armes à feu en cas de nécessité, raison pour laquelle il requit l’infirmation de la décision de la cour d’assises. Les parties pertinentes de cet avis se lisent comme suit : « Le ministère public requiert l’infirmation de la décision de la cour d’assises au motif que l’acte de l’accusé ne peut être toléré et tombe sous le coup des articles 81, 27 § 2, 266 et 85 § 1 du code pénal no 5237. En effet, le comportement adopté par l’accusé, qui visait à prévenir une éventuelle attaque de la foule, n’a pas été conforme aux règles régissant l’utilisation des armes à feu en cas de nécessité. Il n’a pas procédé à un tir de sommation en l’air non dirigé vers la foule car il a agi sous le coup d’une émotion, d’une crainte ou de la panique. Il a excédé les limites de la légitime défense en tirant sur A. Aydan, qui n’était pas mêlé à la foule, ainsi que sur les véhicules garés au bord du trottoir, en vue de protéger les deux soldats qui se trouvaient dans la jeep et de repousser l’attaque, même s’il n’avait aucune intention de tuer la victime, alors pourtant qu’il se trouvait dans une situation où il aurait pu se servir une première fois de son arme sans toucher les manifestants puis, le cas échéant, viser les parties non vitales de leur corps si l’attaque était impossible à repousser (...) » Le 3 juillet 2008, la première chambre criminelle de la Cour de cassation confirma la décision de première instance au motif que l’acte reproché à l’accusé avait dépassé les limites de la légitime défense mais avait été provoqué par une émotion, une crainte ou une panique excusables au sens de l’article 27 § 2 du code pénal. Un des juges s’opposa à cette conclusion et demanda que l’accusé fût condamné pour homicide involontaire dans la mesure où il était établi que, vu les impacts des balles, l’accusé avait tiré non pas en l’air mais parallèlement au sol. L’opposition formée par le procureur de la République près la Cour de cassation Le 31 juillet 2008, le procureur de la République près la Cour de cassation forma opposition et requit auprès de l’Assemblée plénière criminelle de cette juridiction l’annulation de l’arrêt du 3 juillet 2008. Les passages pertinents de son avis se lisent comme suit : « (...) Un conflit a surgi entre le parquet et la première chambre criminelle de la Cour de cassation sur la question de savoir si les faits de la présente cause entrent dans le champ d’application du premier ou du deuxième paragraphe de l’article 27, raison pour laquelle il convient de faire opposition à cet arrêt en application de l’article 308 du code de procédure pénale. Motifs de l’opposition : (...) L’accusé a lancé un avertissement à la foule. L’attaque se poursuivant, il a tiré par la vitre gauche du véhicule dans l’exercice de ses fonctions. Il n’a pas agi conformément aux règles d’utilisation des armes à feu avant de tirer. Ayant omis de désactiver le tir automatique de son pistolet-mitrailleur, il a tiré une rafale de sept balles. Il prétend avoir tiré en l’air, mais trois impacts de balle ont été découverts sur un véhicule appartenant à un particulier. A. Aydan, qui se trouvait près de celui-ci à ce moment-là (...) et qui n’avait aucun lien avec les manifestants, a été mortellement blessé par une balle qui l’a atteint au-dessus de l’oreille droite et qui est ressortie par la région pariétale gauche. Contrairement à ce qui est énoncé dans l’arrêt de la Cour de cassation, la jeep militaire n’était pas encerclée par la foule lors du drame. L’acte d’accusation du parquet de Siirt [voir paragraphe 33 ci-dessous] a établi que le groupe de manifestants comprenait trente-sept personnes, qui ont fait l’objet d’une enquête pénale, et que ceux-ci avaient lancé des pierres en se rapprochant de la jeep militaire. Or il est fait état dans l’arrêt en question de 150 à 200 personnes. A la suite de cette attaque, l’accusé a tiré avec son arme de service et s’est s’éloigné des lieux après dispersion de la foule. L’usage d’une arme à feu dans la situation où se trouvait l’accusé, sergent-major, est réglementé par les articles 11 et 25 de la loi no 2803 relative aux fonctions de la gendarmerie, les articles 38-40 de la loi sur les pouvoirs et les fonctions de la gendarmerie, l’article 16 de la loi no 2559 relative aux fonctions et aux pouvoirs de la police, les articles 87-90 de la loi portant règlement intérieur des forces armées turques ainsi que les articles 649 et 661 du règlement de service interne des forces armées turques. En application des dispositions en question, l’accusé pouvait se servir de son arme en dernier recours. Il aurait d’abord dû effectuer un tir de sommation en l’air, puis faire feu en visant le sol. Si l’attaque et la résistance avaient continué, il aurait pu tirer sans viser afin de les faire cesser. En l’espèce, il était du devoir de l’accusé de faire cesser l’attaque qui se poursuivait. Il n’a pas averti les manifestants de manière perceptible lorsque son véhicule s’est arrêté et qu’il s’est trouvé au milieu de la foule qui l’attaquait à coups de pierres. Il a fait feu sans avoir désactivé le tir automatique de son pistolet–mitrailleur. Pourtant, il aurait pu effectuer un tir de sommation alors que l’attaque se poursuivait. Au lieu de tirer en l’air, il a tiré sept balles en rafale, comme le montrent les impacts découverts sur un véhicule stationné au bord du trottoir. A. Aydan, qui se trouvait sur le trottoir et n’avait aucun lien avec la foule, a été atteint à la tête par l’une de ces balles. Il y a lieu d’en conclure que l’accusé a agi au mépris des règles régissant l’exercice de ses fonctions et sans se conformer aux dispositions qui lui donnaient le droit de faire usage de son arme en vue de repousser l’attaque. L’accusé a usé illégalement de son droit de faire usage de son arme car il n’a pas observé les règles encadrant cet usage. Dès lors, il a dépassé sans le vouloir les limites de la légitime défense. (...) En l’espèce, les conditions d’application de l’article 27 § 2 du code pénal n’étaient pas réunies. Eu égard au déroulement des événements, on ne peut pas admettre que l’accusé a excédé les limites de la légitime défense sous l’effet d’une émotion, d’une crainte ou de la panique. (...) Pour que le premier paragraphe de l’article 27 du code pénal puisse trouver à s’appliquer, il suffit que le dépassement des limites de la légitime défense n’ait pas été volontaire. Compte tenu du déroulement des faits de l’espèce et du caractère non intentionnel de la faute commise, l’application de l’article 27 § 2 ne se justifiait pas et l’accusé aurait dû être condamné en application de l’article 85 § 1 du code pénal, auquel renvoie l’article 27 § 1 du même texte. Il s’ensuit que l’arrêt confirmatif de la première chambre criminelle de la Cour de cassation doit être rétracté et que la décision de la cour d’assises doit être infirmée. » L’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation Par un arrêt du 31 mars 2009, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation rejeta l’opposition du procureur de la République. Les passages pertinents de cet arrêt sont ainsi libellés : « (...) Pour répondre à la question de savoir si l’accusé a excédé les limites de la légitime défense pour des motifs objectifs d’irresponsabilité, il convient de déterminer si les conditions de la légitime défense étaient réunies eu égard au déroulement des faits. Dans les circonstances de la cause, il est établi que l’accusé avait le droit de se défendre et de protéger les autres soldats qui se trouvaient dans la jeep contre l’attaque menée par une foule dont la victime faisait partie. Il n’est pas douteux (...) et que, sans viser quiconque en particulier, l’accusé a fait feu sur la foule où se trouvait la victime avec un pistolet-mitrailleur réglé en position de tir automatique, alors qu’il aurait pu tirer dans les jambes des manifestants pour les blesser. En revanche, l’exigence selon laquelle « la riposte doit être donnée de manière à repousser l’attaque », c’est-à-dire la condition de « proportionnalité entre l’attaque et la riposte » n’a pas été satisfaite en l’espèce. En d’autres termes, l’équilibre entre l’attaque et la riposte a été rompu, incontestablement au profit de la défense. Il s’ensuit qu’il y a eu violation du principe de proportionnalité en l’espèce. Il convient d’examiner si la condition tenant au « dépassement des limites » prévue par le premier paragraphe de l’article 27 du code pénal se trouve remplie en l’espèce car la défense, initialement légitime, est devenue illégale du fait de la méconnaissance du principe de proportionnalité. Les conditions d’application de cette disposition ne trouvent pas à s’appliquer car il a été clairement établi que l’accusé a volontairement dépassé les limites de la légitime défense en tirant au hasard sur la foule. En ce qui concerne la question de savoir si le deuxième paragraphe dudit article relatif au dépassement des limites de la légitime défense sous l’effet d’une émotion, d’une crainte ou d’une panique excusables pouvait s’appliquer en l’espèce, force est de constater que tel est bien le cas dès lors que l’on tient compte de la violence des attaques subies par l’accusé et ses deux compagnons d’armes à Siirt – ville de la région du Sud-Est de la Turquie qui connaît des violences terroristes depuis des années –, des menaces de mort qui les ont accompagnées, de leur intensité croissante en dépit des sommations et de la situation dans la région. Les conditions prévues au deuxième paragraphe de l’article 27 du code pénal sont réunies en l’espèce car il était prévisible que l’accusé dépasse les limites de la légitime défense du fait de son état psychologique caractérisé par la confusion et la crainte éprouvées face aux événements. Dès lors, il convient de rejeter l’opposition du procureur de la République près la Cour de cassation vu la pertinence de la position adoptée par la première chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’arrêt qu’elle a rendu pour confirmer la décision du tribunal de première instance selon laquelle l’accusé doit être dispensé de peine en application de l’article 223 § 3 du code de procédure pénale et de l’article 27 § 2 du code pénal en ce qu’il a dépassé les limites de la légitime défense sous l’effet d’une crainte, d’une confusion ou d’une panique excusables (...) » Le 8 octobre 2009, cet arrêt fut déposé au greffe de la cour d’assises. D. L’action pénale engagée contre les personnes ayant participé aux événements du 6 septembre 2005 Il ressort du dossier que trente-six personnes furent arrêtées le 6 septembre 2005 à 14 h 40. Selon le procès-verbal d’incident et d’arrestation, les forces de l’ordre, qui étaient informées de l’organisation d’un rassemblement illégal et de la lecture d’une déclaration de presse, avaient pris des mesures de sécurité à partir de 11 heures. D’après le procèsverbal, un groupe composé de 200 personnes s’était réuni vers 13 h 20 devant le bâtiment de l’association des droits de l’homme, boulevard de Doğan. A la suite de la déclaration de presse, un groupe de personnes [dont les personnes détenues] s’étaient séparées du groupe ayant organisé la déclaration de presse et, le visage caché par des puşi (sorte de foulard traditionnel), s’étaient dirigées vers le boulevard d’Aydınlar en scandant des slogans. Les forces de l’ordre, qui avaient élevé une barricade, avaient arrêté les manifestants. Sur ce, les manifestants s’étaient dispersés dans les autres rues. Ayant vu qu’une barricade avait été érigée rue de Cumhuriyet, ils avaient attaqué les policiers en lançant des pierres. Le groupe avait été dispersé au moyen de gaz lacrymogène et de jets d’eau. Par ailleurs, un certain nombre de manifestants avaient pénétré dans le bâtiment du DEHAP (Parti démocratique du peuple). Ces personnes avaient été arrêtées par la force. Seize bâtons en bois, quatre barres de fer et une masse d’un kilogramme avaient été saisis. Le procès-verbal ne fait aucune référence aux circonstances dans lesquelles des tirs ont atteint A. Aydan. E. La procédure indemnitaire engagée par les requérantes Le 27 septembre 2005, les intéressées demandèrent au ministère de l’Intérieur réparation du préjudice tant moral que matériel résultant de la mort d’A. Aydan. A une date non précisée, leur demande fut rejetée. Le 5 septembre 2006, les requérantes introduisirent devant le tribunal administratif de Diyarbakır (« le tribunal administratif ») une action en réparation pour dommages matériel et moral contre le ministère de l’Intérieur (action no 1). Elles demandaient à cette juridiction de condamner le ministère à payer 400 000 livres turques (TRY) à ce titre. Le 22 février 2007, le tribunal administratif décida de transmettre l’acte introductif d’instance à la préfecture de Siirt (« la préfecture ») en application de la loi no 5233 relative à l’indemnisation des dommages résultant d’actes de terrorisme ou de mesures de lutte contre le terrorisme (la loi no 5233) et du code de procédure administrative. Le 13 août 2007, les requérantes se pourvurent contre cette décision devant le Conseil d’Etat. Le 27 avril 2009, le Conseil d’Etat infirma la décision du 22 février 2007. Il considéra notamment que le tribunal de première instance aurait dû examiner s’il existait un lien de causalité entre un acte de l’administration et le décès ou, le cas échéant, si les conditions d’octroi d’une indemnité résultant de la réalisation d’un risque social étaient réunies. Cette procédure est toujours pendante devant les juridictions internes. Entre-temps, le 23 août 2007, la préfecture de Siirt rejeta la demande des intéressées, transmise par le tribunal administratif de Diyarbakır (paragraphe 37 ci-dessus), au motif que leur action ne relevait pas de la loi no 5233. Le 7 septembre 2007, les requérantes introduisirent devant le tribunal administratif une autre action en réparation de leur préjudice tant moral que matériel, réclamant 400 000 TRY à ce titre (action no 2). Le 26 novembre 2007, dans le cadre de l’action no 1, le tribunal administratif débouta les intéressées sans examen au fond de leurs prétentions au motif que, en application de la loi no 5233, la demande relative à l’indemnisation du dommage moral et celle relative à la réparation du préjudice matériel auraient dû faire l’objet d’actes introductifs d’instance distincts. Le 29 décembre 2009, dans le cadre de l’action no 2, le tribunal administratif débouta les intéressées sans examen au fond de leurs prétentions, leur opposant l’autorité de la chose jugée après avoir relevé qu’elles avaient déjà exercé une action ayant le même objet. A une date non précisée, les requérantes se pourvurent devant le Conseil d’Etat. L’affaire (actions nos 1 et 2) est toujours pendante devant cette juridiction. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 27 du code pénal no 5237 est ainsi libellé : « Dépassement des limites [de la légitime défense] Lorsqu’un acte [dépassant les limites de la légitime défense] commis par imprudence est punissable, la peine doit être réduite d’un tiers à un sixième par rapport à la peine réprimant les délits non intentionnels si le dépassement des limites [de la légitime défense] n’est pas intentionnel et s’il s’est produit dans une situation correspondant à une cause objective d’irresponsabilité. Lorsque le dépassement des limites de la légitime défense a été provoqué par une émotion, une crainte ou une panique excusables, l’auteur de l’acte est dispensé de peine. » Le Gouvernement a soumis à la Cour un arrêt du Conseil d’Etat adopté le 24 septembre 2009. Le Conseil d’Etat y infirme un jugement adopté par le tribunal administratif d’Edirne qui avait rejeté pour incompétence une demande tendant à l’obtention d’une indemnité en raison de la durée excessive d’une procédure. Selon le Conseil d’Etat, le tribunal aurait dû examiner la question de savoir s’il existait une faute de service public imputable à l’administration dans l’accomplissement de la fonction judiciaire. La partie requérante a pour sa part présenté à la Cour le jugement du tribunal administratif d’Edirne, qui a examiné l’affaire après l’infirmation du Conseil d’Etat. Dans son jugement du 15 octobre 2010, le tribunal administratif a rejeté la demande d’indemnisation de la durée de la procédure. Selon le tribunal administratif, nonobstant le fait que la procédure a duré huit ans, cette durée n’apparaît pas excessive dans la mesure où les retards survenus lors de la procédure étaient en large partie imputables à la partie demanderesse. L’affaire est toujours pendante devant les tribunaux administratifs. III. PRINCIPES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Les principes de base de l’ONU sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois Ces principes (les « Principes de l’ONU »), adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, qui s’est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990, disposent en leurs parties pertinentes : « 1. Les pouvoirs publics et les autorités de police adopteront et appliqueront des réglementations sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu contre les personnes par les responsables de l’application des lois. En élaborant ces réglementations, les gouvernements et les services de répression garderont constamment à l’examen les questions d’éthique liées au recours à la force et à l’utilisation des armes à feu. Les gouvernements et les autorités de police mettront en place un éventail de moyens aussi large que possible et muniront les responsables de l’application des lois de divers types d’armes et de munitions qui permettront un usage différencié de la force et des armes à feu. Il conviendrait à cette fin de mettre au point des armes non meurtrières neutralisantes à utiliser dans les situations appropriées, en vue de limiter de plus en plus le recours aux moyens propres à causer la mort ou des blessures. Il devrait également être possible, dans ce même but, de munir les responsables de l’application des lois d’équipements défensifs tels que pare-balles, casques ou gilets antiballes et véhicules blindés afin qu’il soit de moins en moins nécessaire d’utiliser des armes de tout genre. (...) Les responsables de l’application des lois ne doivent pas faire usage d’armes à feu contre des personnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, ou pour prévenir une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines, ou pour procéder à l’arrestation d’une personne présentant un tel risque et résistant à leur autorité, ou l’empêcher de s’échapper, et seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs. Quoi qu’il en soit, ils ne recourront intentionnellement à l’usage meurtrier d’armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines. Dans les circonstances visées au principe 9, les responsables de l’application des lois doivent se faire connaître en tant que tels et donner un avertissement clair de leur intention d’utiliser des armes à feu, en laissant un délai suffisant pour que l’avertissement puisse être suivi d’effet, à moins qu’une telle façon de procéder ne compromette indûment la sécurité des responsables de l’application des lois, qu’elle ne présente un danger de mort ou d’accident grave pour d’autres personnes ou qu’elle ne soit manifestement inappropriée ou inutile vu les circonstances de l’incident. Une réglementation régissant l’usage des armes à feu par les responsables de l’application des lois doit comprendre des directives aux fins ci-après : a) Spécifier les circonstances dans lesquelles les responsables de l’application des lois sont autorisés à porter des armes à feu et prescrire les types d’armes à feu et de munitions autorisés ; b) S’assurer que les armes à feu ne sont utilisées que dans des circonstances appropriées et de manière à minimiser le risque de dommages inutiles ; c) Interdire l’utilisation des armes à feu et des munitions qui provoquent des blessures inutiles ou présentent un risque injustifié ; d) Réglementer le contrôle, l’entreposage et la délivrance d’armes à feu et prévoir notamment des procédures conformément auxquelles les responsables de l’application des lois doivent rendre compte de toutes les armes et munitions qui leur sont délivrées ; e) Prévoir que des sommations doivent être faites, le cas échéant, en cas d’utilisation d’armes à feu ; f) Prévoir un système de rapports en cas d’utilisation d’armes à feu par des responsables de l’application des lois dans l’exercice de leurs fonctions. (...) Les pouvoirs publics et les autorités de police doivent s’assurer que tous les responsables de l’application des lois sont sélectionnés par des procédures appropriées, qu’ils présentent les qualités morales et les aptitudes psychologiques et physiques requises pour le bon exercice de leurs fonctions et qu’ils reçoivent une formation professionnelle permanente et complète. Il convient de vérifier périodiquement s’ils demeurent aptes à remplir ces fonctions. Les pouvoirs publics et les autorités de police doivent s’assurer que tous les responsables de l’application des lois reçoivent une formation et sont soumis à des tests selon des normes d’aptitude appropriées sur l’emploi de la force. Les responsables de l’application des lois qui sont tenus de porter des armes à feu ne doivent être autorisés à en porter qu’après avoir été spécialement formés à leur utilisation. Pour la formation des responsables de l’application des lois, les pouvoirs publics et les autorités de police accorderont une attention particulière aux questions d’éthique policière et de respect des droits de l’homme, en particulier dans le cadre des enquêtes, et aux moyens d’éviter l’usage de la force ou des armes à feu, y compris le règlement pacifique des conflits, la connaissance du comportement des foules et les méthodes de persuasion, de négociation et de médiation, ainsi que les moyens techniques, en vue de limiter le recours à la force ou aux armes à feu. Les autorités de police devraient revoir leur programme de formation et leurs méthodes d’action en fonction d’incidents particuliers. (...) » B. Droit comparé Les recherches menées par la Cour sur la législation de vingt-cinq Etats membres du Conseil de l’Europe (Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Irlande, Islande, Italie, Monténégro, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Slovaquie, Suède, Suisse et Ukraine) montrent que le « dépassement de la légitime défense » est explicitement prévu dans le code pénal de dix-neuf Etats. Il s’agit des pays suivants : Allemagne, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Estonie, Finlande, Géorgie, Grèce, Islande, Italie, Monténégro, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Russie, Slovaquie, Suède, Suisse et Ukraine. Dans le droit pénal de la majorité de ces pays (Allemagne, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Espagne, Grèce, Islande, Monténégro, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Suisse et Suède), l’état psychologique de l’agressé, plus précisément les facteurs irrationnels provoqués chez lui par l’attaque est considéré comme un élément subjectif dont il faut tenir compte. Les conséquences du dépassement subjectif de la légitime défense sont en général une absence de condamnation (acquittement ou absence de responsabilité pénale ou de punition). La Grèce applique dans ce cas une dispense de peine. Trois Etats, à savoir la Belgique, la France et la République tchèque, ne reconnaissent pas le « dépassement de la légitime défense » en tant que tel. En revanche, l’Espagne connaît la notion « d’excès de légitime défense », fruit de l’évolution jurisprudentielle, qui n’est pas incluse explicitement dans son droit pénal codifié. En Irlande, l’usage excessif de la force pour se protéger d’une attaque illégale est considéré comme illégal, mais s’il est accompli pour se défendre soi-même en excédant la force nécessaire pour cela, la qualification sera seulement celle d’homicide involontaire (manslaughter). Si la possibilité d’excéder la légitime défense n’est pas érigée en un concept particulier, le juge prend en compte cette situation particulière lors de l’examen des circonstances de l’infraction. Mais cela se rapporte à la qualification intentionnelle ou non de l’infraction et ne se présente donc pas comme une notion en soi. En Angleterre, en cas de dépassement de la légitime défense, la loi sur la justice pénale de 2008 prévoit que la circonstance atténuante de légitime défense ne joue pas, et l’infraction criminelle dont il s’agit est constituée. Toutefois, selon une loi de 2009, en cas de meurtre commis par une personne pour protéger sa vie, la condamnation pour meurtre sera remplacée par celle d’homicide involontaire s’il y a perte de contrôle attribuable à une peur de violences graves. Par ailleurs, l’étude montre un consensus sur la non-exclusion de jure des forces armées du bénéfice du dépassement de la légitime défense lorsque cette possibilité est prévue par le code pénal. Toutefois, la qualité ou la fonction des membres des forces armées sont des éléments qui peuvent être pris en compte lors de l’examen de l’affaire ou qui rendent applicables des textes spécifiques, comme indiqué ci-dessus. C’est le cas notamment en Allemagne, en Autriche et au Pays-Bas. De façon plus générale, les aptitudes propres aux membres des forces armées sont des éléments que le juge prend en compte lors de l’examen de la proportionnalité de leur réaction défensive, comme il le fait dans toutes les affaires.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 22 mai 1972, soutenant être propriétaires des parcelles nos 420, 421, 422, 423, 424, 425 et 426 situées au village de Bağlıca (Şanlıurfa) et enregistrées sur le registre foncier au nom des tiers, les de cujus des requérants introduisirent devant le tribunal de grande instance de Bozova une action en annulation des titres de propriété de ces terrains et demandèrent l’enregistrement de ces derniers à leurs noms. Par un arrêt du 5 novembre 1973, le tribunal de grande instance de Bozova rejeta leur action. Par un arrêt du 9 avril 1974, la Cour de cassation infirma le jugement attaqué. Par la suite, le tribunal de grande instance de Bozova se déclara incompétent ratione materiae et renvoya l’affaire devant le tribunal de cadastre de Bozova. Entre 1977 et 2004, les de cujus des requérants décédèrent et ces derniers poursuivirent la procédure engagée devant le tribunal de grande instance en tant que leurs héritiers. Entre-temps, par un jugement du 24 avril 1991, le tribunal de cadastre de Bozova avait accepté partiellement l’action des requérants. Par un arrêt du 24 mars 1992, la Cour de cassation infirma le jugement attaqué pour ne pas avoir procédé à une analyse approfondie des éléments de preuves. Par un jugement du 22 juin 2007, le tribunal de cadastre de Bozova accepta partiellement l’action des requérants. Les requérants se pourvurent en cassation. Le 17 février 2009, la Cour de cassation infirma ce jugement. La procédure est toujours pendante devant la juridiction de première instance.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1971. Le 24 janvier 2000, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue par des agents de la direction de sûreté de Bursa parce qu’il était soupçonné d’appartenance au Hizbullah, une organisation illégale armée. Le 30 janvier 2000, il fut mis en détention provisoire. A une date non précisée, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul inculpa le requérant, avec d’autres personnes, pour appartenance à l’organisation illégale précitée. A la suite de l’abolition des cours de sûreté de l’Etat, le procès du requérant se poursuivit devant la cour d’assises d’Istanbul. Durant la procédure pénale, plusieurs audiences se tinrent devant les juridictions de première instance, lesquelles ordonnèrent, à la fin de chaque audience, le maintien en détention provisoire du requérant, eu égard à la nature des infractions et au contenu du dossier. Le 4 janvier 2011, le requérant fut mis en liberté provisoire. La procédure pénale est toujours en cours devant la cour d’assises d’Istanbul et le requérant a pris la fuite à l’étranger.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Par un jugement déposé le 14 mars 1988, le tribunal de Ravenne déclara la faillite de la société CO.E.L. S.n.c. dont M. P. De Carolis et Mme L. Lolli étaient associés, ainsi que la faillite personnelle de ces derniers. Il ressort du dossier que la procédure a été close à une date non précisée (postérieure, en tout cas, au 31 octobre 2007). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les éléments de droit interne pertinent sont exposés dans les affaires Campagnano c. Italie, no 77955/01, CEDH 2006IV ; Albanese c. Italie, no 77924/01, 23 mars 2006 et Vitiello c. Italie, no 77962/01, 23 mars 2006.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1936 et 1937 et résident à Castelpagano. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit. Les requérants étaient propriétaires d’un terrain sis à Castelpagano et enregistré au cadastre, feuille 30, parcelle 117. Par un arrêté du 6 septembre 1989, la communauté (comunità montana) d’Alto Tammaro approuva le projet de construction d’une route sur ce terrain. Le 23 octobre 1989, la communauté d’Alto Tammaro procéda à l’occupation matérielle d’une partie du terrain des requérants. Par un arrêté du 10 mai 1990, la municipalité de Castelpagano autorisa la communauté d’Alto Tammaro à occuper ce terrain en vue de son expropriation, afin de procéder à la construction de la route. Par un arrêté du 27 juin 1995, l’administration décréta l’expropriation formelle de la partie du terrain qui avait été occupée. La procédure principale Entre-temps, par un acte d’assignation notifié le 12 septembre 1992, les requérants avaient introduit une action en dommages-intérêts à l’encontre de la communauté d’Alto Tammaro devant le tribunal de Bénévent. Ils faisaient valoir que l’occupation du terrain était illégale dès le début au motif qu’elle s’était produite avant l’adoption de l’arrêté qui l’autorisait. A la lumière de ces considérations, ils demandaient notamment un dédommagement pour la perte de la partie du terrain qui avait été occupée, ainsi qu’une indemnité pour la perte de valeur de la partie restante du terrain et une indemnité pour la destruction au cours des travaux des cultures existant sur le terrain. Au cours du procès, une expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, la partie du terrain qui avait été occupée avait une extension globale de 1 422 mètres carrés et sa valeur vénale en 1989 était de 5 500 ITL (2, 84 EUR, environ) le mètre carré. Par un jugement déposé au greffe le 8 avril 2003, le tribunal de Bénévent rejeta la demande des requérants, au motif que ces derniers ne s’étaient pas opposés à l’occupation de leur terrain de la part de l’administration. Par un acte notifié le 13 octobre 2003, les requérants interjetèrent appel de ce jugement devant la cour d’appel de Naples, faisant valoir qu’ils avaient été privés du terrain en vertu du principe de l’expropriation indirecte et demandant par conséquent un dédommagement pour la perte de leur bien. Par un arrêt déposé au greffe le 17 mai 2005, la cour d’appel déclara que les requérants n’avaient conclu avec l’administration aucun acte de cession et qu’ils avaient été privés de la partie du terrain en raison de sa transformation irréversible, en vertu du principe de l’expropriation indirecte. La cour d’appel releva que les travaux de construction de l’ouvrage public s’étant terminés le 23 octobre 1991, les requérants devaient être considérés expropriés de leur terrain à partir de cette date, par conséquent, le décret d’expropriation du 27 juin 1995 était tardif. A la lumière de ces considérations, la cour d’appel condamna la communauté d’Alto Tammaro à verser aux requérants un dédommagement de 3 976 EUR, correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié, ainsi que 932,94 EUR pour la perte de valeur de la partie restante du terrain et 258, 23 EUR pour la destruction des cultures existant sur le terrain. La cour d’appel accorda aux requérants la somme globale réévaluée de 7 590 EUR, plus intérêts à partir du 23 octobre 1991, date de la transformation irréversible du terrain. En outre, la cour d’appel condamna la communauté d’Alto Tammaro à verser aux requérants la somme de 112 EUR, plus intérêts à partir du 23 octobre 1991, à titre d’indemnité d’occupation. La cour d’appel condamna ainsi la communauté d’Alto Tammaro à verser aux requérants 4 815,47 EUR pour les frais de procédures engagés devant le tribunal de Bénévent et devant la cour d’appel. Il ressort du dossier que cet arrêt est devenu définitif au plus tôt le 17 mai 2006. La procédure « Pinto » Par deux recours distincts déposés au greffe le 17 avril 2002, les requérants saisirent la cour d’appel de Rome au sens de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée de la procédure décrite ci-dessus. Ils demandèrent à la cour d’appel de dire qu’il y avait eu une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner l’État italien au dédommagement des préjudices matériels et moraux subis. S’agissant du recours introduit par le requérant, par une décision déposée au greffe le 24 janvier 2003, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle rejeta la demande relative au dommage matériel au motif que celle-ci n’était pas étayée, accorda 600 EUR comme réption du dommage moral et 750 EUR pour frais et dépens. Cette décision fut notifiée à l’administration le 24 avril 2003 et acquit l’autorité de la chose jugée le 23 juin 2003. Quant au recours introduit par la requérante, par une décision déposée au greffe le 23 juillet 2003, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle rejeta la demande relative au dommage matériel au motif que celle-ci n’était pas étayée, accorda 700 EUR en équité comme réption du dommage moral et 550 EUR pour frais et dépens. Cette décision fut notifiée à l’administration le 27 août 2003 et acquit l’autorité de la chose jugée le 15 novembre 2003. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt GuisoGallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009. Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » sont décrits dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1955 et il est actuellement détenu. Au mois de mars 2000, les gendarmes de la brigade territoriale de Pleine-Fougères recueillirent le témoignage de l’une des filles du requérant, M., née le 9 mars 1986. Elle leur expliqua qu’elle avait fait l’objet d’attouchements et de violences de la part de son père depuis que sa mère avait quitté le domicile conjugal et qu’elle partageait la chambre de son père. Entendue, la mère indiqua ne pas être au courant de tels faits et refusa de porter plainte. L’enquête établit cependant qu’elle avait fait part d’actes de violences et d’abus sexuels sur ses filles au surveillant général d’un lycée. La sœur de M., S., confirma avoir entendu parler de gestes impudiques rapportés par les camarades de sa sœur, camarades qui confirmèrent, à l’instar du chauffeur du bus scolaire, avoir reçu des confidences de M. Les demi-frère, K.P., et demi-sœur, S.P., issus d’un premier mariage de leur mère, furent également interrogés. K.P. déclara avoir reçu un courrier de M. dans lequel elle lui révélait avoir été violée. S.P., née le 8 août 1973, indiqua avoir été violée à plusieurs reprises par le requérant au cours de vacances en Belgique, alors qu’elle n’avait que treize ans, décrivant le climat de violence que le requérant faisait régner au sein de la famille. Elle déposa plainte à l’occasion de sa déclaration. Une fille née d’un autre mariage du requérant, A., née le 20 juin 1977, déclara quant à elle qu’après la séparation de ses parents, elle avait été violée à plusieurs reprises par son père, qui la faisait dormir dans son lit quand elle n’avait que six ans. Elle déposa plainte également. Interpellé et placé en garde à vue, le requérant contesta les faits dans un premier temps, avant de reconnaître avoir eu des attouchements involontaires et sans caractère sexuel. N’ayant pas répondu à une convocation du juge d’instruction du tribunal de grande instance de Saint-Malo chargé de l’affaire, le requérant fut arrêté et conduit devant ce magistrat en vertu d’un mandat d’amener. Le 1er février 2002, à l’issue de l’interrogatoire de première comparution, le juge d’instruction le mit en examen et le plaça en détention provisoire. Par une ordonnance du 23 janvier 2003, le requérant bénéficia d’une mise en liberté assortie d’un contrôle judiciaire. A la fin de l’instruction, le requérant demanda que seuls les faits délictuels concernant sa fille M. soient retenus et qu’un non-lieu soit prononcé pour les faits criminels de viols commis sur sa fille A. et sa belle-fille S. Par une ordonnance du 28 mai 2004, le juge d’instruction renvoya le requérant devant la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine sous l’accusation de viols par ascendant sur la personne de sa fille A., de viols par personne ayant autorité sur sa belle-fille S.P. et d’agressions sexuelles par ascendant sur sa fille M., toutes trois étant mineures de quinze ans au moment des faits reprochés. Il délivra également ordonnance de prise de corps. Le requérant interjeta appel le 3 juin 2004. Par un arrêt du 16 septembre 2004, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes, après avoir rappelé les faits et les déclarations recueillies au cours de l’enquête et de l’instruction, confirma l’ordonnance. Le dispositif de l’arrêt se lit notamment comme suit : « Confirme l’ordonnance dont appel et dit qu’il y a lieu d’accuser [le requérant] d’avoir : - à La Morlaye (60), entre le 01 janvier 1982 et le 31 décembre 1983, en tout cas dans le département de l’Oise et depuis temps non prescrit, commis par violence, contrainte ou surprise, des actes de pénétration sexuelle sur la personne de [A.], * avec ces circonstances aggravantes que [A.] était, à la date des faits ci-dessus spécifiés, mineure de 15 ans comme étant née le 20 juin 1977, et que [le requérant] est son père légitime ; - à La Panne, Royaume de Belgique, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1986, en tout cas en tant que citoyen français et depuis temps non prescrit, commis, par violence, contrainte ou surprise, des actes de pénétration sexuelle sur la personne de [S. P.], * avec ces circonstances aggravantes que [S. P.] était, à la date des faits ci-dessus spécifiés, mineure de 15 ans comme étant née le 08 août 1973, et que [le requérant] avait autorité sur elle comme étant le mari de sa mère chez lesquels elle résidait ; - à Vieux-Viel (35), entre le 01 mars 1999 et le 31 mars 2000, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, commis ou tenté des attentats à la pudeur sur la personne de [M.], mineure de 15 ans comme étant née le 08 mars 1986, * avec ces circonstances aggravantes que les faits ci-dessus spécifiés ont été commis ou tentés avec violence, contrainte ou surprise, et que [le requérant] est son père légitime ; Crimes et délit connexe prévus et punis par les articles 222-22, 222-23, 222-24, 22227, 222-29, 222-30, 222-44, 222-45, 222-47 et 222-48-1 du code pénal et les articles 331 et 332 du code pénal abrogés à compter du 1er mars 1994, et de la compétence de la Cour d’assises aux termes de l’article 214 du Code de procédure pénale (...) » Le 14 décembre 2004, la Cour de cassation rejeta le pourvoi dont elle avait été saisie. Le 23 avril 2007, la première audience de la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine s’ouvrit. Par un arrêt du 25 avril 2007, la cour et le jury déclarèrent le requérant coupable de « viols sur mineure de quinze ans par ascendant légitime, viols sur mineure de quinze ans par personne ayant autorité et agression sexuelle sur mineure de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité » et le condamna à une peine de douze années de réclusion criminelle. La cour décerna mandat de dépôt criminel à l’égard du requérant le jour-même. Par un arrêt du 13 juin 2007, la Cour de cassation désigna la cour d’assises des Côtes d’Armor pour statuer sur l’appel du requérant et l’appel incident du ministère public. Le 27 juillet 2007, le requérant fut mis en liberté sous contrôle judiciaire. Le 24 mars 2009, les débats s’ouvrirent devant la cour d’assises des Côtes d’Armor. Les questions suivantes furent posées à la cour et au jury : « Question no 1 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il coupable d’avoir à LA MORLAYE (Oise), entre le 1er janvier 1982 et le 31 décembre 1983, commis sur la personne de [A.], par violence, contrainte ou surprise des actes de pénétration sexuelle de quelque nature qu’ils soient ? Question no 2 : [A.], née le 20 juin 1977, était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiées à la question No 1, âgée de moins de quinze ans ? Question no 3 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il le père légitime de [A.] ? Question no 4 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il coupable, en tant que citoyen français, d’avoir à LA PANNE (Royaume de Belgique), entre le 1er juillet 1985 et le 15 septembre 1985, commis sur la personne de [S. P.], par violence, contrainte ou surprise, des actes de pénétration sexuelle de quelque nature qu’ils soient ? Question no 5 : [S. P.], née le 8 août 1973, était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés à la question No 4, âgée de moins de quinze ans ? Question no 6 : L’accusé Olivier LEGILLON avait-il, à la date des faits ci-dessus spécifiés à la question No 4, autorité sur [S. P.], comme étant le mari de la mère de cette mineure, celle-ci résidant chez eux ? Question no 7 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il coupable d’avoir à VIEUX-VIEL, département d’Ille-et-Vilaine, entre le 1er mars 1999 et le 31 mars 2000, commis des attentats à la pudeur sur la personne de [M.], mineure de quinze ans comme étant née le 8 mars 1986 ? Question no 8 : Les attentats à la pudeur ci-dessus spécifiés à la question No 7 ont-ils été commis avec violence, contrainte ou surprise ? Question no 9 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il le père légitime de [M.] ? Question subsidiaire no 1 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il coupable d’avoir à VIEUX-VIEL, département d’Ille-et-Vilaine, entre le 1er mars 1999 et le 31 décembre 2000, commis sur la personne de [M.], par violence, contrainte, menace ou surprise, des agressions sexuelles exemptes d’actes de pénétration ? Question subsidiaire no 2 : [M.], née le 8 mars 1986, était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés à la question subsidiaire No 1, âgée de moins de 15 ans ? Question subsidiaire no 3 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il le père légitime de [M.] ? » Il fut répondu « oui à la majorité de dix voix au moins » aux six premières questions et aux trois questions subsidiaires, « non » à la septième question, les questions 8 et 9 étant considérées « sans objet ». Par un arrêt du 27 mars 2009, le requérant fut déclaré coupable et condamné dans les termes suivants : « Considérant qu’il résulte de la déclaration de la Cour et du jury réunis qu’à la majorité de dix voix au moins [le requérant] est coupable d’avoir : - à La Morlaye (Oise), entre le 1er janvier 1982 et le 31 décembre 1983, commis sur la personne de [A.], par violence, contrainte ou surprise des actes de pénétration sexuelle de quelque nature qu’ils soient avec ces circonstances aggravantes que [A.] était, à la date des faits, âgée de moins de quinze ans, comme étant née le 20 juin 1977, et qu’il en est le père légitime ; - en tant que citoyen français, à La Panne (Royaume de Belgique), entre le 1er juillet 1985 et le 15 septembre 1985, commis sur la personne de [S. P.], des actes de pénétration sexuelle de quelque nature qu’ils soient avec ces circonstances- aggravantes que [S. P.] était, à la date des faits, âgée de moins de quinze ans, comme étant née le 08 août 1973, et qu’il avait autorité sur elle comme étant le mari de sa mère et résident chez eux ; - à Vieux-Viel (Ille-et-Vilaine), entre le 1er mars 1999 et le 31 mars 2000, commis sur la personne de [M.], par violence, contrainte, menace ou surprise, des agressions sexuelles exemptes d’actes de pénétration, avec ces circonstances- que [M.] était, à la date des faits, âgée de moins de quinze ans, comme étant née le 08 mars 1986, et qu’il en est le père légitime ; Considérant que les faits ci-dessus déclarés constants par la Cour et le jury constituent les crimes de viol sur mineure de quinze ans par ascendant, viol sur mineure de quinze ans par personne ayant autorité et le délit connexe d’agression sexuelle sur mineure de quinze ans par ascendant prévus et réprimés par les articles 121-1, 121-3, 131-26, 131-27, 131-31, 222-22 al. 1, 222-23, 222-24 § 2, 222-29 § 1, 222-30 § 2, 222-44, 222-45, 222-47, du Code Pénal et 332 du Code Pénal abrogé à compter du 1er mars 1994 (...) CONDAMNE [le requérant] à la peine de QUINZE ANS DE RECLUSION CRIMINELLE » La cour seule décerna mandat de dépôt criminel contre lui. Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans son mémoire ampliatif, le premier moyen de cassation visait expressément l’article 6 § 1 de la Convention et la jurisprudence de la Cour européenne, exposant que le fait d’apposer la mention « oui à la majorité de dix voix au moins » pour répondre aux questions posées constituait une motivation vague et abstraite ne lui permettant pas de connaître les motifs pour lesquels il est répondu positivement ou négativement à celles-ci. Par un arrêt du 3 mars 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’assises du 27 mars 2009. Elle jugea qu’étaient reprises, dans l’arrêt de condamnation, les réponses qu’en leur intime conviction, magistrats et jurés composant la cour d’assises d’appel, statuant dans la continuité des débats, à vote secret et à la majorité qualifiée des deux tiers, avaient donné aux questions posées et soumises à la discussion des parties. Elle estima que, dès lors qu’avaient été assurés l’information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, l’arrêt de la cour d’assises satisfaisait aux exigences légales et conventionnelles invoquées. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Voir Agnelet c. France, no 61198/08, §§ 29 à 34, 10 janvier 2013.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A l’époque de l’introduction de sa requête, Mme Gülay Çetin, une inspectrice des comptes à la retraite née en 1964, se trouvait en détention provisoire à la prison de type L d’Antalya depuis le 22 décembre 2006, lendemain de son arrestation, pour avoir tué son compagnon avec son arme de service. En février 2007, elle commença à se plaindre, entre autres, de problèmes gastriques et digestifs. A cet égard, les documents officiels, qui reposent sur les rapports établis par les deux derniers médecins pénitentiaires en poste, ne font état que de trois consultations (paragraphes 61 et 64 ci-dessous). D’après ces documents, la requérante aurait été examinée pour la première fois à l’infirmerie le 2 mai 2008 (e no 2014), date à laquelle on lui diagnostiqua un ulcère peptique, c’est-à-dire gastroduodénal. Elle y serait retournée le 12 mai suivant (e no 2207) et aurait été mise sous traitement, cette fois-ci pour une gastro-entérite. A l’issue d’un troisième examen, réalisé le 11 juillet 2008 (e no 3629), le médecin aurait à nouveau conclu à un ulcère peptique, accompagné d’une bronchite. En réalité, ces observations médicales n’étaient que la continuité de celles qui les avaient précédées. Le carnet de santé de la requérante montre en effet qu’avant le 2 mai 2008, celle-ci avait déjà passé neuf consultations depuis le 15 février 2007, date à laquelle elle avait commencé à se plaindre (es nos 833, 2161, 2831, 4182, 46, 31, 607, 1017 et 1201). Ces examens avaient été pratiqués par l’un ou l’autre des médecins pénitentiaires : Ö.Ç., H.K., S.Ç. ou R.Y. (médecin du dispensaire local). Les prescriptions afférentes à ces premières consultations, ainsi que celle du 3 juin 2008 (e no 2709, non mentionné dans les rapports officiels – paragraphe 8 in fine ci-dessus), font état elles aussi, pour l’essentiel, de troubles tels que douleurs abdominales, œsophagite par reflux et/ou ulcère peptique ainsi que des prescriptions récurrentes d’antiacides, à savoir, Talcid, Rennie, Lansor, Zoprol, Famodin, Lanzedin, Pulcet et Gaviscon. En août 2008, la requérante commença à souffrir de crises de vomissement en jets. Or, toujours d’après son carnet de santé, ce symptôme qui fait partie des signes évocateurs d’un tableau plus grave échappa au médecin R.Y., qui, après l’avoir examinée le 28 août 2008 (e no 4707), lui prescrivit un antiacide (Pulcet). Par un jugement du 19 septembre 2008, la cour d’assises d’Antalya déclara la requérante coupable d’homicide volontaire et, tenant compte de circonstances atténuantes, elle la condamna à quinze années de réclusion criminelle. Le dossier fut automatiquement transmis à la Cour de cassation, en raison du quantum de la peine infligée. Le 14 novembre 2008, alors que cette procédure était pendante, la requérante fut transférée dans un établissement hospitalier, le centre de recherche de l’hôpital d’Antalya (« l’hôpital »), et examinée au service de gastro-entérologie. On conclut, semble-t-il, à une colopathie fonctionnelle (syndrome du côlon irritable), trouble digestif qui se caractérise par des malaises ou des sensations douloureuses dans le ventre. Le médicament prescrit en conséquence fut donc le Tribudat Forte, curatif pour ce syndrome. Toutefois, les douleurs de la requérante persistèrent et elle fut à nouveau admise à l’hôpital le 24 décembre 2008. Elle y subit une cholécystectomie (ablation de la vésicule biliaire), les médecins ayant diagnostiqué une lithiase vésiculaire (calculs dans la vésicule biliaire), maladie qui, en cas de crise, peut provoquer des douleurs abdominales fortes ainsi que des nausées et des vomissements. Cette opération n’entraîna aucune amélioration de son état de santé. En conséquence, le 3 mars 2009, la requérante fut à nouveau transférée à l’hôpital, où les médecins décidèrent enfin de procéder à une endoscopie gastrique suivie d’une biopsie. Cependant, la requérante n’étant pas à jeun, ils ne pratiquèrent pas l’examen sur-le-champ mais lui fixèrent un autre rendez-vous un mois plus tard, le 3 avril 2009. Le 13 avril 2009, soit plus de deux ans après l’apparition des troubles digestifs de la requérante, on diagnostiqua chez elle un adénocarcinome gastrique (cancer de l’estomac) à caractère métastatique. Il ressort du dossier qu’à cette date déjà, sa maladie se trouvait à un stade avancé (paragraphe 40 ci-dessous). Le 20 avril suivant, la requérante fut admise au service d’oncologie de l’hôpital. Le 27 avril 2009, elle subit une gastrectomie totale, une œsophago-jéjunostomie, ainsi qu’une ablation des aires ganglionnaires environnantes et de l’ovaire gauche, qui présentait une tumeur métastatique de Krukenberg. Elle quitta l’hôpital le 8 juin 2009, au terme d’un suivi postopératoire et d’une chimiothérapie intense de quarante-deux jours. Le 18 juin 2009, l’avocat de la requérante communiqua à la Cour de cassation des rapports médicaux fant état du tableau clinique de sa cliente et demanda que son dossier soit traité en priorité (paragraphe 9 ci-dessus). A partir de cette date, la requérante fut transférée à plusieurs reprises à l’Hôpital universitaire d’Akdeniz, soit pour des séances de chimiothérapie soit pour des contrôles ou des soins palliatifs. Le transfert se fait toujours sous la surveillance des gendarmes, et souvent en fourgon. Pendant cette période, Ümmügülsüm Çetin adressa à la commission parlementaire des droits de l’homme de l’Assemblée nationale une lettre décrivant en détail la situation intenable dans laquelle vivait sa sœur. Elle la priait de faire en sorte que des mesures soient prises afin que la malade bénéficie, entre autres, d’une alimentation adéquate, d’un soutien psychologique et d’un traitement humain de la part du personnel pénitentiaire. Une série de tests passés par la requérante jusqu’à la fin du mois de juillet 2009 révéla la présence d’une néoplasie gastrique maligne, pour laquelle elle subit, entre le 31 août et le 7 septembre, une séance supplémentaire de chimiothérapie. Deux jours plus tard, elle fut à nouveau admise aux urgences en raison d’une fièvre et d’une neutropénie qui nécessitèrent sa réhospitaltion jusqu’au 17 septembre 2009 aux fins d’une antibiothérapie. Selon le dossier, elle dut à nouveau être hospitalisée du 25 septembre au 1er octobre 2009, apparemment pour des soins palliatifs. A une date non précisée, ultérieure à l’observation des métastases (juillet 2009), la requérante adressa à une déléguée parlementaire – médecin de profession – une lettre relatant l’évolution inquiétante de sa maladie dans le milieu carcéral. Le 1er septembre 2009, cette déléguée transmit la lettre à la commission des droits de l’homme de l’Assemblée nationale, accompagnée d’une lettre de soutien dans laquelle elle-même dénonçait le traitement tardif et inadéquat des détenus atteints de maladies graves – comme la requérante – et exhortait la commission à examiner la question d’urgence. Le lendemain, elle fit part à la requérante de cette initiative. Par un arrêt du 8 octobre 2009, la Cour de cassation infirma le jugement de première instance (paragraphe 11 ci-dessus), au motif que les juges du fond avaient omis de préciser quelles étaient les circonstances atténuantes qu’ils avaient reconnues à la requérante. A ce stade de la procédure, lesdits juges avaient déjà, en vertu du pouvoir discrétionnaire que leur confère l’article 101 du code de procédure pénale (« CPP »), rejeté une vingtaine de demandes de libération provisoire formulées par la requérante, en fant notamment référence à « la nature du délit reproché et la date de mise en détention provisoire » et, à quelques reprises, au fait que « les preuves n’[étaient] pas encore réunies » ou que les « motifs à l’origine de la détention [demeuraient] valables ». Le 29 octobre 2009, les oncologues de l’hôpital établirent un rapport d’évaluation dans lequel ils estimaient que le pronostic vital de la requérante était engagé et qu’il fallait planifier des séances de chimiothérapie de cinq jours chacune séparées par des intervalles de trois semaines. Ils précient également que la patiente ne pourrait poursuivre son traitement dans le milieu carcéral que si elle était régulièrement amenée à l’hôpital et si la prison disposait de moyens pour pallier les complications inhérentes à la chimiothérapie. En somme, ils conseillaient de transférer la requérante dans un établissement plus adéquat. Le 16 novembre 2009, la requérante reçut un lot d’aliments spécifiques apporté par ses proches. Lors des audiences du 25 novembre et du 22 décembre 2009, elle demanda à nouveau son élargissement pour raisons de santé. Ces demandes furent rejetées pour les mêmes raisons que précédemment (paragraphe 21 ci-dessus). Le 30 décembre 2009, la requérante passa une tomographie par émission de positrons (TEP). L’examen révéla qu’elle présentait une augmentation de l’activité métabolique entre l’aorte et le foie ainsi qu’un nodule hyper-métabolique au niveau du ligament nuchal, en corrélation avec la progression de son tableau métastatique. Le 11 janvier 2010, la requérante adressa au procureur de la République une lettre dans laquelle, soutenant qu’il lui était impossible de lutter contre sa maladie dans les conditions carcérales, elle demandait que sa situation soit révisée à la lumière d’un nouveau rapport médical à obtenir de l’Hôpital universitaire d’Akdeniz. Le dossier est muet sur la suite donnée à cette demande. Par ailleurs, la requérante pria également l’administration pénitentiaire de fournir à la cantine de la prison des produits riches en vitamines et en protéines, tels que pollen, gingembre et gelée royale. Le 19 janvier 2010, la cour d’assises, après avoir corrigé son jugement (paragraphe 20 ci-dessus), recondamna la requérante à la même peine que précédemment et ordonna à nouveau son maintien en détention provisoire, compte tenu « de la nature et du quantum de la peine prononcée ainsi que de la date de mise en détention ». Le 20 janvier 2010, l’avocat de la requérante forma opposition contre cette décision, arguant que sa cliente se trouvait en phase terminale d’un cancer incurable et qu’elle perdrait sûrement la vie avant que la seconde procédure automatique d’appel n’aboutisse. Il soutenait que l’article 109 du CPP était applicable à l’affaire par analogie et demandait à ce que la détention provisoire de la requérante soit remplacée par un placement sous contrôle judiciaire à domicile. Le lendemain, les juges du fond rejetèrent ce recours, au motif que le maintien en détention de la requérante était « régulier et conforme à la loi ». En réalité, le motif pertinent serait le fait que l’infraction dont elle était accusée était passible d’une peine dont le quantum dépassait la limite de « trois ans au maximum » posée par l’article 109 susmentionné dans sa version en vigueur à l’époque. L’avocat forma contre ce refus une opposition qui fut également rejetée, le 22 janvier, par la 3e chambre de la cour d’assises d’Antalya. Entre-temps, la Cour de cassation se saisit de nouveau de l’affaire, toujours en raison de la gravité de la peine prononcée (paragraphes 11 in fine et 28 ci-dessus). Le 25 janvier 2010, la requérante porta plainte contre le gardien E.Y. et le sous-officier R. pour abus de fonctions, les accusant de l’avoir empêchée de se rendre à la consultation qui avait été fixée par son diététicien au 19 janvier 2010. A cette dernière date, elle devait également comparaître devant le tribunal, mais le sous-officier R. l’avait convaincue d’accepter le rendezvous à l’hôpital en lui assurant qu’elle y serait conduite sans faute après l’audience. Le jour venu, on l’avait d’abord fait voyager dans un fourgon, au mépris des recommandations des médecins, puis, à l’issue de l’audience, E.Y. et R. avaient refusé de l’emmener à l’hôpital, affirmant qu’ils n’avaient pas connaissance du rendez-vous. Ils avaient ensuite appelé l’hôpital, qui avait confirmé que la requérante était bien attendue pour un examen à 13 h 30 ; en attendant l’arrivée d’un véhicule qui l’y conduirait, ils avaient alors décidé de la laisser dans le fourgon. Se sentant incapable de supporter plusieurs heures de plus dans ces conditions, la requérante s’était alors résignée à renoncer à la consultation. La Cour n’a pas été informée de l’issue de cette plainte. Le 12 février 2010, le juge d’application des peines autor la cantine pénitentiaire à fournir à la requérante, moyennant paiement, les aliments spécifiques qu’elle réclamait (paragraphe 26 in fine ci-dessus). Le 1er mars 2010, l’avocat de la requérante redemanda à l’administration pénitentiaire d’approvisionner la cantine en aliments conformes à la diète prescrite pour sa cliente ou, à titre subsidiaire, d’autoriser ses proches à lui en procurer de l’extérieur. Le 6 avril 2010, la requérante passa à nouveau une TEP ; celle-ci révéla une augmentation de l’activité métabolique distincte entre le pancréas et le foie. Le 12 avril 2010, la requérante écrivit au parquet pour solliciter, à la lumière des derniers rapports médicaux sur son état de santé, le traitement prioritaire de son dossier d’appel. Le 20 mai 2010, elle adressa une seconde lettre dans le même sens à la Cour de cassation. Dans l’intervalle, le 14 avril 2010, les oncologues de l’Hôpital universitaire d’Akdeniz lui avaient prescrit un suivi médicamenteux ainsi qu’un programme nutritionnel spécifique, qui fut appliqué dans la mesure du possible. De nouvelles TEP réalisées le 6 juillet et le 6 octobre 2010 révélèrent une légère régression des activités métaboliques, que les médecins qualifièrent de « réponse partielle » à la chimiothérapie. Il ressort du dossier que, jusqu’à cette date, la requérante s’était plainte à plusieurs reprises de ses conditions de détention, notamment des conditions de ses transferts vers les hôpitaux. Interrogée le 25 juin 2010 dans le contexte de l’une de ces plaintes, Ümmügülsüm Çetin déclara que, d’après elle, sa sœur, souffrante et éprouvée, cherchait en réalité à attirer l’attention et qu’il fallait absolument assurer son admission dans un service susceptible de lui fournir un soutien psychiatrique. Les autorités ont pour leur part indiqué que la requérante avait toujours refusé d’être suivie par un service de psychiatrie, sauf pendant son séjour postopératoire. Le 6 août 2010, la requérante demanda son placement dans une unité plus calme. Deux de ses codétenues, qui étaient accompagnées de leurs enfants, furent alors transférées dans d’autres unités. Le 16 août 2010, la requérante écrivit à nouveau à la déléguée parlementaire (paragraphe 19 ci-dessus) pour porter à sa connaissance les dernières évaluations médicales pessimistes la concernant. Il semble qu’à partir de cette lettre, le secrétaire général adjoint du ministère de la Santé se soit enquis de la situation auprès des instances du ministère de la Justice, cependant sa démarche n’aboutit pas. Dans un rapport du 14 septembre 2010, le médecin pénitentiaire indiqua que, conformément à la prescription des oncologues, des rations intermédiaires avaient été ajoutées aux repas de la requérante et les aliments normalement indisponibles à la cantine étaient obtenus de l’extérieur. Le 17 septembre 2010, les oncologues de l’Hôpital universitaire d’Akdeniz établirent un rapport récapitulant le tableau clinique de la requérante. Selon ce document, l’intéressée est demeurée sous surveillance médicale constante à partir du 17 août 2009, date à laquelle son cancer se trouvait déjà en phase quatre. Il ressort par ailleurs du dossier qu’entre le 24 septembre et le 14 décembre 2010, la requérante avait fait l’objet de dix-sept analyses médicales. A cette dernière date, elle adressa à la Cour de cassation une lettre dans laquelle, se plaignant de son état de santé et des souffrances liées à sa détention, elle sollicitait, en joignant à l’appui de sa demande cinq rapports médicaux, l’admission au bénéfice de la grâce présidentielle en vertu de l’article 104 § 2 b) alinéa 13 de la Constitution, qui habilite le président de la République à alléger ou annuler les peines prononcées, pour cause de maladie incurable, d’invalidité ou de vieillesse. Il semble qu’aucune suite n’ait été donnée à cette demande. Par des lettres des 3 et 4 janvier 2011, la requérante et son avocat adressèrent à la cour d’assises d’Antalya et à la Cour de cassation des demandes de libération provisoire, soutenant que, compte tenu des circonstances médicales et du temps que la requérante avait déjà passé en détention, l’article 102 § 2 du CPP commandait l’application de pareille mesure. Cette disposition est ainsi libellée : « Dans les affaires qui relèvent du ressort des cours d’assises, le délai de détention provisoire est de deux ans au maximum. En cas de force majeure, ce délai peut être prolongé par une décision motivée pour une durée totale de trois ans au maximum. » Cette demande fut écartée, apparemment au motif que, vu la gravité de la peine encourue, la requérante risquait de s’enfuir. Le 12 janvier 2011, la requérante passa deux tests d’imagerie par résonance magnétique (IRM). Malgré les huit cures de chimiothérapie qu’elle avait déjà suivies, ces examens mirent en évidence une nouvelle tumeur hétérogène de 45 x 43 mm au niveau de l’utérus ainsi que de nombreuses lésions kystiques au foie. Le 27 janvier 2011, le conseil médical de l’hôpital se réunit pour décider du e ultérieur à suivre, alors que la requérante avait commencé à souffrir de nausées, de vomissements et de douleurs abdominales intenses. La dernière TEP, réalisée le 14 février 2011, révéla que la requérante était atteinte d’iléus (occlusion intestinale), c’est-à-dire d’un arrêt du transit consécutif à un traumatisme péritonéal. En conséquence, le 14 mars 2011, elle fut transférée à l’Hôpital universitaire d’Akdeniz. Le 6 février 2011, elle envoya à Me Yılmaz une lettre personnelle dont certains passages se lisent ainsi : « (...) Comme ma condamnation n’est pas définitive, je ne peux pas bénéficier de l’article 104 de la Constitution. (...) Ça fait deux ans que je ne mange rien, je ne dors pas. Ma résistance physique a chuté. Le docteur de la prison m’avait toujours donné des antiacides. On ne m’a pas envoyée à l’hôpital. [Et voilà que maintenant,] j’ai un cancer de l’estomac. Je serais en phase terminale. Les gardiens me grondaient : ‘pourquoi ne manges-tu pas, tu te rebelles ou quoi ?’. Mais je vomissais tout ce que j’avalais, comme de la boue noire (...). Cela n’a pas été facile de me faire conduire à l’hôpital. Quand le médecin m’a vue avec les menottes, il m’a renvoyée en dnt ‘tu n’as rien, tout est dans ta tête’. (...) Je n’arrêtais pas de souffrir le martyre, j’étais pliée en deux. Les responsables pensaient que j’étais tombée malade à cause de ma condamnation. Pour l’endoscopie, ils ont fixé un rendez-vous pour trois mois plus tard. A la fin des trois mois, [on ne m’y a] pas amenée, faute d’un véhicule et de gendarmes disponibles. Quand on m’a hospitalisée six mois plus tard, [on m’a] retiré la vésicule biliaire par erreur. Mes douleurs continuent. Quand j’y pense, je deviens folle. (...) La condamnée [de droit commun] que je suis n’arrive pas à se faire entendre comme les prisonniers politiques. Chaque jour, je me réveille [pourtant] avec un nouvel espoir. Le 27 avril 2009, on m’a retiré l’estomac et l’ovaire gauche. Il ne me reste plus d’organes. A l’hôpital, ils m’ont dit qu’ils avaient éradiqué tous les tissus malins. (...) De 75 kilos, je suis tombée à 55. Trois-quatre mois plus tard, j’ai été admise à l’hôpital universitaire d’Akdeniz. L’oncologue m’a dit ‘il vous reste deux mois à vivre’. Je pense encore à ces mots. Chaque semaine j’ai subi une chimiothérapie. Pendant un an, je me suis nourrie de purées. J’ai perdu tous mes cheveux, cils et sourcils. Mon système immunitaire est anéanti. La procédure de jugement est trop longue. (...) Ma maladie a beaucoup évolué. Il y aurait des métastases partout aux organes intérieurs. Je n’en peux plus. Maintenant, on me dit que j’ai une autre tumeur de six cm à l’ovaire droit. Ils ne peuvent pas l’opérer. Je n’ai pas vu l’hôpital depuis deux mois. Le responsable de l’infirmerie aurait écrit une note au directeur comme quoi ils attendraient les résultats de pathologie. Ce n’est pas vrai, parce qu’ils m’avaient fait un IRM, mais pas de biopsie. J’ai alors refusé de manger et entamé une grève de la faim. Je dois passer une TEP le 11 février. Le 15 février un médecin va me voir. Malheureusement, comme je suis une condamnée, seuls les assistants m’examinent. Je ne suis pas vue par les professeurs. (...) Je suis devenue un objet d’expérience entre les mains des assistants. (...) Je reste cloîtrée dans ma chambre. Je reçois certains légumes avec l’autortion du tribunal. On est 20 dans le dortoir. Les autres veulent que, malgré mon état, je fasse le ménage sur les deux étages et que je tienne la garde. Elles disent qu’elles n’ont rien à faire de mon certificat médical. Elles ont même exempté une diabétique des tâches [quotidiennes], mais pas moi. (...) Pendant que j’étais à l’hôpital, l’une des détenues a déchiqueté mes vêtements avec un rasoir parce que je ne l’avais pas laissée les porter. Je lutte aussi avec ce genre de problèmes. Elles abusent de moi financièrement. En trois jours, elles m’ont lavé six assiettes, et elles m’ont pris vingt livres pour cela. (...) J’ai besoin d’un soutien psychosocial. Ne vous méprenez pas sur moi, je ne veux pas exploiter ma maladie. Mais j’ai un corps malade. Je ne peux pas purger ma peine (...) » Le 16 février 2011, après avoir accepté de traiter en priorité le dossier de la requérante (paragraphe 34 ci-dessus), la Cour de cassation confirma le jugement du 19 janvier 2010 (paragraphe 27 ci-dessus) ; la condamnation de l’intéressée devint ainsi définitive. Le 21 février 2011, informé d’un article paru dans un quotidien et relatant la situation de la requérante, le secrétaire général adjoint du ministère de la Santé (paragraphe 38 ci-dessus) interrogea à nouveau les autorités du ministère de la Justice sur la question de savoir si des mesures étaient envgées en vue de surseoir à l’exécution des peines des détenus cancéreux ne répondant plus au traitement, comme la requérante. La Cour ignore la réponse donnée à ce sujet. Le 16 mars 2011, l’avocat de la requérante saisit à nouveau le parquet pour qu’il lance la procédure de grâce présidentielle. Le 18 mars 2011, le service d’oncologie de l’Hôpital universitaire d’Akdeniz émit le pronostic définitif suivant : « - Gülay ÇETİN (538473) - Carcinome gastrique + carcinose péritonéale, - En est à sa troisième rechute et est entrée en phase terminale, - A suivre avec des traitements de soutien (...) » Le 21 mars 2011, l’avocat de la requérante saisit à nouveau le parquet d’une demande de sursis à l’exécution de la peine de sa cliente pour raisons de santé. Il s’appuyait sur le rapport médical du 18 mars (paragraphe 49 ci-dessus) et invoquait l’article 16 § 2 de la loi no 5275 du 13 décembre 2004 sur l’exécution des peines et des mesures de sûreté (voir paragraphe 66 ci-dessous), qui prévoyait ceci : « En cas de maladie [autre que mentale], la peine est exécutée dans les services d’un établissement hospitalier réservé aux condamnés. Cependant, si l’exécution d’une peine d’emprisonnement présente, malgré tout, un risque certain pour la vie du condamné, il y est sursis jusqu’à la guérison de l’intéressé. » Le 1er avril 2011, en réponse aux deux requêtes susmentionnées (paragraphes 48 et 50 ci-dessus), le procureur de la République d’Antalya ordonna le transfèrement de la requérante à l’unité carcérale de l’hôpital, pour examen. Par un rapport du 8 avril 2011 (communiqué le 11 avril), le conseil de santé de l’hôpital conclut qu’il y avait lieu de surseoir à l’exécution de la peine de la requérante, aux motifs que sa maladie était incurable au sens de l’article 104 § 2 b) de la Constitution et que tenter de la traiter en milieu carcéral mettrait sa vie en danger. Le 25 avril 2011, le médecin pénitentiaire observa une dégradation significative dans l’état de la requérante ; il fallut cependant faire preuve de beaucoup de persuasion pour la convaincre finalement de se rendre à l’hôpital. A partir de cette date, la requérante se montra de plus en plus réticente à se déplacer. A chaque fois, le personnel pénitentiaire devait déployer des efforts considérables, parfois vains, pour la persuader. Le 27 avril 2011, le procureur demanda l’avis de l’Institut médico-légal, qui est l’autorité compétente pour décider s’il y a lieu ou non de libérer un détenu pour raisons de santé. Le 20 mai 2011, la sœur de la requérante adressa à l’hôpital une lettre dans laquelle elle sollicitait l’autortion de demeurer avec elle jour et nuit dans l’unité carcérale afin de lui prodiguer les soins nécessaires. Le procureur de la République lui accorda l’autortion demandée, pour une durée de trente jours. Les 25 et 30 mai 2011, des rapports d’évaluation établis à l’hôpital confirmèrent l’absence de toute amélioration dans le tableau clinique de la requérante, qui souffrait depuis longtemps d’iléus (occlusion intestinale). Le 8 juin 2011, la requérante fut examinée par la 3e chambre de spécialistes de l’Institut médico-légal, qui présenta son rapport définitif le 15 juin suivant. Selon le rapport, il fallait admettre l’intéressée au bénéfice de l’article 104 § 2 b) de la Constitution et surseoir à l’exécution de sa peine pour une durée de trois mois. Le 9 juin 2011, la requérante retourna à la prison puis fut réadmise à l’unité carcérale de l’hôpital. Un mois plus tard, son état général s’effondra et elle fut transférée en unité de soins intensifs. Le 21 juin 2011, le rapport de l’Institut médico-légal fut mis à disposition sur le serveur officiel (UYAP). Pour une raison qui échappe à la Cour, il ne fut pas immédiatement transmis au parquet compétent pour décider du sort de la requérante. Le 12 juillet 2011, à 6 h 15, la requérante succomba à sa maladie dans le service des soins intensifs, sous la surveillance de la gardienne E.A., responsable de la garde de 20 h 00 – 8 h 00. A cette date, en raison des retards dans la transmission des documents pertinents (paragraphe 58 ci-dessus), il n’avait pas encore été décidé de surseoir à l’exécution de sa peine. Ces documents ne parvinrent au parquet que le 18 juillet 2011. La demande de sursis fut alors classée, pour cause de décès. Dans l’intervalle, le 13 juillet 2011, la direction de la prison ouvrit une enquête administrative vnt à déterminer s’il avait été commis des omissions ou des négligences imputables au personnel pénitentiaire. Les inspecteurs chargés du dossier entendirent l’une des codétenues de la requérante, H.E. Celle-ci déclara qu’elle avait été détenue avec la défunte pendant quatre mois à la prison de type E d’Antalya, que, tout au long de cette période, sa camarade n’avait cessé de vomir tout ce qu’elle mangeait sans bénéficier d’aucun traitement, mais que, une fois le diagnostic de cancer posé, on avait commencé à la soigner et à la conduire régulièrement à l’hôpital. Les inspecteurs entendirent également A.A., l’aide-soignant (Sağlık memuru) de la prison, dont les déclarations, selon eux, se résument ainsi : « Toutes les mesures nécessaires avaient été prises à l’égard de la détenue Gülay Çetin, qu’elles concernent les traitements prescrits pour sa maladie, son traitement à l’hôpital ou encore ses rendez-vous médicaux ; et, du point de vue de la santé, toutes sortes de soutien lui avaient été procurées. » La gardienne E.A., qui surveillait la requérante le jour du décès (paragraphe 59 ci-dessus), indiqua que, dès son admission dans la cellule no A-7, l’intéressée avait commencé à se plaindre de problèmes à l’estomac, qu’elle avait été conduite à l’hôpital justement pour cette raison, que plus tard on lui avait diagnostiqué un cancer, et qu’après cela, le personnel avait veillé à lui apporter un soutien moral. Rien dans le rapport d’enquête n’indique que les médecins H.A. et H.D., en poste à l’époque des faits (paragraphes 61 et 64 ci-dessous), ou les médecins Ö.Ç., H.K., S.Ç. ou R.Y., qui avaient examiné la requérante auparavant (paragraphe 9 ci-dessus), aient été entendus par les inspecteurs. Cependant, le 21 juillet 2011, le médecin pénitentiaire H.A. leur communiqua un rapport concernant les mesures prises quant au traitement de la requérante. Ce document mentionnait seulement les trois consultations pratiquées à l’infirmerie de la prison entre mai et juillet 2008 (paragraphe 8 ci-dessus) et quelques-uns des transferts à l’hôpital de la requérante. Le même jour, la cour d’assises leva la peine infligée à la requérante, pour cause de décès. Le 29 juillet 2011, le directeur de la prison conclut qu’il n’y avait pas lieu de déclencher de procédures disciplinaires à l’encontre du personnel de la prison, dont la conduite avait été selon lui irréprochable. Le 13 octobre 2011, le médecin pénitentiaire H.D. communiqua à son tour un rapport récapitulatif, qui était calqué sur celui rendu précédemment par son confrère (paragraphe 61 ci-dessus). Entre-temps, le parquet d’Antalya ouvrit d’office une enquête. Lorsqu’elle identifia la dépouille mortelle, Ümmügülsüm Çetin déclara qu’elle ne souhaitait pas porter plainte relativement à la mort de sa sœur. Au 29 novembre 2011, le parquet avait déjà entendu les camarades de cellule de la défunte mais il attendait encore, semble-t-il, le résultat des analyses pathologiques demandées après l’autopsie, qui avait été pratiquée le jour même du décès. Selon toute vraisemblance, l’instruction de l’affaire est encore pendante. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS A. Le droit interne Les dispositions pertinentes en matière de détention provisoire (paragraphes 28 et 42 ci-dessus), de grâce présidentielle (paragraphe 41 cidessus) et de sursis à exécution des peines d’emprisonnement pour raisons de santé, en vertu de la loi no 5275 (paragraphe 50 ci-dessus) sont reproduites ci-avant. Par ailleurs, par une loi no 6411, promulguée le 24 janvier 2013, un nouveau paragraphe 6 fut ajouté à l’article 16 susmentionné de la loi no 5275 : « 6. Si, dans les conditions matérielles de l’établissement carcéral concerné, un condamné n’est pas, du fait d’une maladie ou d’un handicap grave dont il est atteint, en mesure de subvenir seul à ses besoins, il sera sursis à l’exécution de sa peine jusqu’à la guérison, selon la procédure prévue au paragraphe 3. » Il faut encore signaler le règlement no 2006/10218 du 20 mars 2006 portant application de la loi no 5275. L’article 54 § 2 dudit règlement, au demeurant calqué sur l’article 16 § 2 de ladite loi, se lit ainsi : « En cas de maladie [autre que mentale], la peine est exécutée dans les services d’un établissement hospitalier réservé aux condamnés. Cependant, si l’exécution d’une peine d’emprisonnement présente, malgré tout, un risque certain pour la vie du condamné, il y est sursis jusqu’à la guérison de l’intéressé. » La procédure de sursis instaurée par l’article 16 § 2 de la loi no 5275 et par l’article 54 du règlement y afférent prévoit donc la libération du condamné pour raisons de santé et, ainsi, supplée le recours présidentiel en grâce médicale. Ces deux procédures constituent des garanties vnt à assurer la protection de la santé et du bien-être des personnes condamnées. Il ressort d’ailleurs de la jurisprudence constante en la matière que cette protection n’est applicable qu’aux personnes ayant fait l’objet d’une condamnation pénale définitive et non aux personnes détenues à titre provisoire, étant entendu qu’en droit turc, une condamnation ne devient définitive qu’après sa confirmation ultime par la Cour de cassation. Or, à ce sujet, nonobstant le libellé de l’article 16 § 2 en question, la Cour observe qu’en droit turc, il existe bien, ne serait-ce qu’en théorie, une base juridique pour faire bénéficier cette deuxième catégorie de personnes dudit article. En effet, l’article 116 § 1 de la loi no 5275 énonce : « Les dispositions des articles 16, (...) de cette présente loi, relatives (...) au sursis à l’exécution d’une peine d’emprisonnement pour motif de santé, (...) aux cas de maladie fant obstacle à l’exécution (...), s’appliquent également aux détenus à titre provisoire, dans la mesure où elles sont compatibles avec le statut de détention provisoire. » Cette différence entre la situation de fait et de droit trouve sans doute son explication dans l’article 186 du règlement précité, à savoir le corollaire de l’article 116 susmentionné de la loi no 5275 : « Les dispositions des articles 1, 4, 6, 9 à 14, 22, 24 à 27, 29 à 31, 40 à 46, 67 à 73, 75 à 96, 99 à 108, 110 à 117, 119 à 132, 143 à 171, 174, 176 à 179, 185, 188, 189 du présent règlement s’appliquent également aux détenus à titre provisoire, dans la mesure où elles sont compatibles avec le statut de détention provisoire. » Force est d’observer qu’aucune référence n’y est faite à l’article 54 susmentionné du règlement, de manière à exclure son application par analogie aux détenus. Il n’en demeure pas moins que dans certaines affaires similaires portant sur des requêtes dirigées contre la Turquie, la Cour a constaté que des personnes détenues à titre provisoire souffrant de maladies incurables ou irréversibles, avaient été libérées, vraisemblablement sur le fondement de considérations humanitaires (voir, parmi d’autres, l’arrêt Hüseyin Yıldırım c. Turquie, no 2778/02, § 88, 3 mai 2007, ainsi que les décisions Tarkan Uğurlu c. Turquie, no 10943/05, 4 janvier 2007, İnan Eren c. Turquie, no 27662/04, 4 janvier 2007, et Eroğlu c. Turquie, no 30472/04, 21 novembre 2006). Il y a lieu également de décrire l’intervention de l’institution médico-légale de l’Etat dans ce domaine. En vertu de l’article 16 § 2 c) de la loi no 2659, c’est la 3e chambre de spécialistes de l’Institut médico-légal (composée d’un médecin légiste, d’un chirurgien généraliste, d’un orthopédiste traumatologue, d’un neurologue, d’un gastroentérologue et d’un spécialiste des maladies respiratoires) qui est compétente (paragraphe 56 ci-dessus) en ce qui concerne la levée ou l’atténuation des peines des condamnés souffrant de maladies, de handicaps ou de sénilité irréversibles ou incurables, susceptibles de justifier la grâce présidentielle visée à l’article 104 § 2 b) de la Constitution et/ou l’application de l’article 16 § 2 de la loi no 5275. En vertu de l’arrêté no 20 du ministère de la Justice en date du 1er janvier 2006, les demandes de grâce doivent être introduites soit auprès du ministère de la Justice soit auprès d’un parquet. L’instance ainsi saisie doit envoyer l’intéressé, pour examen, dans un hôpital public de son choix, afin d’obtenir un rapport confirmant ou infirmant la gravité de son état de santé. Si le rapport délivré est positif, il est transmis pour observation à la 3e chambre de spécialistes de l’Institut médico-légal. Celle-ci se prononce sur la question de savoir si la maladie dont le rapport de l’hôpital public fait état relève effectivement de l’article 104 § 2 b) de la Constitution. Pour ce faire, l’arrêté lui laisse la possibilité de procéder à son propre examen médical de l’intéressé, mais ne l’y oblige nullement. Cette pratique vaut également pour l’application de l’article 16 § 2 de la loi no 5275. On trouvera dans l’arrêt Tekin Yıldız c. Turquie (no 22913/04, § 46, 10 novembre 2005) plus de détails sur la manière dont l’Institut médico-légal intervient dans l’application des mesures prévues par l’article 16 § 2 de la loi no 5275 sur l’exécution des peines et des mesures de sûreté (paragraphe 66 ci-dessus). B. Les travaux du Conseil de l’Europe En la matière, il convient de renvoyer d’abord à la Recommandation no (98)7 du Comité des Ministres aux Etats membres relative aux aspects éthiques et organtionnels des soins de santé en milieu pénitentiaire (8 avril 1998), qui, en sa partie pertinente, est ainsi libellée : « C. Personnes inaptes à la détention continue : handicap physique grave, grand âge, pronostic fatal à court terme Les détenus souffrant de handicaps physiques graves et ceux qui sont très âgés devraient pouvoir mener une vie aussi normale que possible et ne pas être séparés du reste de la population carcérale. Les modifications structurelles nécessaires devraient être entreprises dans les locaux pour faciliter les déplacements et les activités des personnes en fauteuil roulant et des autres handicapés, comme cela se pratique à l’extérieur de la prison. La décision quant au moment opportun de transférer dans des unités de soins extérieures les malades dont l’état indique une issue fatale prochaine devrait être fondée sur des critères médicaux. En attendant de quitter l’établissement pénitentiaire, ces personnes devraient recevoir pendant la phase terminale de leur maladie des soins optimaux dans le service sanitaire. Dans de tels cas, des périodes d’hospitaltion temporaire hors du cadre pénitentiaire devraient être prévues. La possibilité d’accorder la grâce ou une libération anticipée pour des raisons médicales devrait être examinée. » L’annexe 2 à la Recommandation Rec(2000)22 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté est intitulée « Principes directeurs tendant à une utiltion plus efficace des sanctions et mesures appliquées dans la communauté ». Elle prévoit, entre autres, ceci : « Législation Il convient de mettre en place un éventail de sanctions et mesures appliquées dans la communauté qui soit suffmment large et varié et pourrai[t] comporter, à titre d’exemple : (...) – la suspension, assortie de conditions, de l’exécution d’une peine d’emprisonnement ; (...) » Au paragraphe 9 de sa Recommandation 1418 (1999) du 25 juin 1999 sur la protection des droits de l’homme et de la dignité des malades incurables et des mourants, l’Assemblée parlementaire « recommande (...) au Comité des Ministres d’encourager les Etats membres du Conseil de l’Europe à respecter et à protéger la dignité des malades incurables et des mourants à tous égards : a. en consacrant et en protégeant le droit des malades incurables et des mourants à une gamme complète de soins palliatifs, ce en prenant les mesures nécessaires : i. pour que les soins palliatifs fassent partie des droits individuels reconnus par la loi dans tous les Etats membres ; ii. pour assurer un accès équitable à des soins palliatifs appropriés à tous les malades incurables et à tous les mourants ; iii. pour encourager parents et amis à accompagner les malades incurables et les mourants, et pour leur assurer un soutien professionnel. Lorsque la famille et/ou les organismes privés s’avèrent insuffnts ou surchargés, leur action devra être remplacée ou complétée par d’autres formes de soins médicaux professionnels ; iv. pour disposer d’équipes et de réseaux mobiles spécialisés afin que des soins palliatifs puissent être dispensés aux malades incurables et aux mourants à domicile, quand un traitement ambulatoire est possible ; v. pour qu’il y ait coopération entre toutes les personnes appelées à prodiguer des soins à des malades incurables ou à des mourants ; vi. pour que soient élaborées et mises en œuvre des normes destinées à assurer la qualité des soins dispensés aux malades incurables et aux mourants ; vii. pour que – sauf refus de l’intéressé – les malades incurables et les mourants reçoivent un traitement antidouleur et des soins palliatifs adéquats, même si le traitement appliqué peut avoir pour effet secondaire de contribuer à abréger la vie de la personne en cause ; (...) » Il convient enfin de mentionner l’annexe à la Recommandation no R (2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les règles pénitentiaires européennes adoptée le 11 janvier 2006, dont les passages pertinents se lisent ainsi : « (...) 1. Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme. (...) Chaque détention est gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées de liberté. (...) 3. Les Règles s’appliquent aussi aux personnes : (...) b) placées en détention provisoire par une autorité judiciaire ou privées de liberté à la suite d’une condamnation, mais qui sont, pour une raison quelconque, détenues dans d’autres endroits. (...) 1. Les personnes souffrant de maladies mentales et dont l’état de santé mentale est incompatible avec la détention en prison devraient être détenues dans un établissement spécialement conçu à cet effet. 2. Si ces personnes sont néanmoins exceptionnellement détenues dans une prison, leur situation et leurs besoins doivent être régis par des règles spéciales. (...) 1. Les détenus doivent bénéficier d’un régime alimentaire tenant compte de leur âge, de leur état de santé, de leur état physique, de leur religion, de leur culture et de la nature de leur travail. (...) Les autorités pénitentiaires doivent protéger la santé de tous les détenus dont elles ont la garde. (...) 1. Les services médicaux administrés en prison doivent être organisés en relation étroite avec l’administration générale du service de santé de la collectivité locale ou de l’Etat. 2. La politique sanitaire dans les prisons doit être intégrée à la politique nationale de santé publique et compatible avec cette dernière. 3. Les détenus doivent avoir accès aux services de santé proposés dans le pays sans aucune discrimination fondée sur leur situation juridique. 4. Les services médicaux de la prison doivent s’efforcer de dépister et de traiter les maladies physiques ou mentales, ainsi que les déficiences dont souffrent éventuellement les détenus. 5. À cette fin, chaque détenu doit bénéficier des soins médicaux, chirurgicaux et psychiatriques requis, y compris ceux disponibles en milieu libre. (...) 1. Le médecin doit être chargé de surveiller la santé physique et mentale des détenus et doit voir, dans les conditions et au rythme prévus par les normes hospitalières, les détenus malades, ceux qui se plaignent d’être malades ou blessés, ainsi que tous ceux ayant été spécialement portés à son attention. (...) 3. Le médecin doit présenter un rapport au directeur chaque fois qu’il estime que la santé physique ou mentale d’un détenu court des risques graves du fait de la prolongation de la détention ou en raison de toute condition de détention, y compris celle d’isolement cellulaire. (...) 1. Les détenus malades nécessitant des soins médicaux particuliers doivent être transférés vers des établissements spécialisés ou vers des hôpitaux civils, lorsque ces soins ne sont pas dispensés en prison. (...) 1. Dans les présentes règles, le terme « prévenus » désigne les détenus qui ont été placés en détention provisoire par une autorité judiciaire avant leur jugement ou leur condamnation. 2. Tout État est en outre libre de considérer comme prévenu un détenu ayant été reconnu coupable et condamné à une peine d’emprisonnement, mais dont les recours en appel n’ont pas encore été définitivement rejetés. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1977, 1979, 1977 et 1979 et résident à Burgas. A. L’incident du 5 décembre 2000 Le 5 décembre 2000, les quatre requérants se rendirent en voiture près d’un lac artificiel situé près du village d’Asparuhovo, non loin de Karnobat, avec l’intention de pêcher au filet. Au moment où ils se préparaient à embarquer sur le bateau gonflable qu’ils avaient apporté avec eux, ils furent surpris par un gardien armé d’un fusil de chasse. L’homme braqua son fusil sur les requérants et leur commanda de sortir de l’eau et de s’allonger par terre. Peu après, il fut rejoint par un autre gardien. Le premier gardien remit le fusil au deuxième et lui demanda de garder les quatre requérants en ligne de mire. Il prit alors un bâton en bois et porta plusieurs coups aux requérants alors qu’ils étaient à terre. Après, il ordonna à l’un d’entre eux d’enlever la batterie de leur véhicule et de la lui remettre. Le gardien s’empara également d’un kit d’instruments appartenant aux requérants. Une heure plus tard, quatre autres hommes arrivèrent sur les lieux à bord d’un véhicule. L’un d’entre eux, apparemment un responsable, questionna les requérants et les laissa partir après s’être assuré qu’ils ne pêchaient pas à des fins commerciales. Les requérants laissèrent leur bateau et le filet sur place. Le 7 décembre 2000, les requérants furent examinés par un médecin légiste qui constata les lésions suivantes : M. Stoev : trois égratignures sur le visage et l’avant-bras gauche et une fracture de l’os ulnaire de l’avant-bras gauche impliquant une immobilisation de 60 jours ; M. Stoyanov : l’enflure des doigts de la main gauche, une ecchymose à la fesse droite et une rupture du tympan de l’oreille droite impliquant une intervention chirurgicale sous anesthésie ; M. Vangelov : une enflure à la tête et une ecchymose à la fesse gauche ; M. Bogdanov : trois ecchymoses au dos et à la fesse droite, une enflure à l’avant-bras gauche. Le médecin conclut que les blessures étaient dues à des coups portés avec des objets contondants. B. La procédure pénale menée à la suite de l’incident Le 10 décembre 2000, les requérants déposèrent une plainte devant la police de Karnobat à l’encontre des gardiens qui les avaient battus. Ils présentèrent leur version des événements et y joignirent les certificats médicaux délivrés. Une enquête de police (дознание) fut ouverte le jour suivant. La police identifia et interrogea les deux gardiens, dénommés A.N. et Y.Y. Ce dernier déclara qu’il était présent au moment des faits mais qu’il n’avait ni porté de coups, ni été témoin de tels coups. Le 21 décembre 2000, le dossier de l’enquête fut envoyé au procureur de district de Karnobat afin qu’il décide de l’engagement ou non de poursuites pénales pour dommage corporel de gravité moyenne, infraction visée à l’article 129 du code pénal. Les requérants déposèrent des demandes en vue de leur constitution comme parties poursuivantes et parties civiles, sans qu’aucune suite ne fut apparemment donnée à leurs demandes. Le procureur de district considéra que les faits étaient constitutifs de vol avec violence, infraction prévue à l’article 199 du code pénal. Le dossier fut par conséquent transmis au parquet régional de Burgas, qui était compétent pour poursuivre ce type d’infraction. Par une ordonnance du 14 février 2001, le procureur régional constata qu’au vu des éléments rassemblés à ce stade de l’enquête, les requérants avaient été battus avec un bâton par A.N. et contraints de rester à terre pendant une heure, alors que Y.Y. les menaçait avec un fusil. Ce n’est qu’après cet épisode que la batterie et les instruments des requérants avaient été pris et il n’apparaissait pas que la violence et les menaces aient été exercées dans le but de faciliter le vol des biens en question. Le procureur régional décida qu’il n’y avait par conséquent pas lieu d’ouvrir des poursuites pénales pour vol avec violence et renvoya le dossier au procureur de district afin qu’il poursuive la procédure concernant les autres infractions éventuellement constituées – dommage corporel, vol, menace. Le procureur indiqua que compte tenu de la complexité de l’affaire, l’enquête devait être menée sous la forme d’une instruction préliminaire (предварително производство). À la suite du recours des requérants, cette ordonnance fut confirmée le 2 avril 2001 par le procureur près de la cour d’appel de Burgas. Par une ordonnance du 17 avril 2001, le procureur de district de Karnobat ouvrit une instruction préliminaire pour des faits de menaces de meurtre, violences ayant entraîné un dommage corporel de gravité moyenne et vol. L’enquêteur procéda à de nouvelles auditions des requérant et des deux suspects. A.N. nia toute implication dans les événements et expliqua qu’il n’était pas présent sur les lieux de l’incident le 5 décembre 2000. Y.Y. se rétracta de sa déposition initiale, donnée devant la police, et nia également toute implication dans les événements. Des expertises médicales furent effectuées. Le 19 septembre 2001, l’enquêteur organisa une confrontation entre M. Stoev et A.N. M. Stoev déclara que A.N. était présent sur les lieux mais ne lui avait pas administré de coups. A.N. nia connaître le requérant et son implication dans les évènements. Le 15 octobre 2001, le procureur de district décida de suspendre la procédure pénale au motif que les preuves recueillies ne permettaient pas d’identifier l’auteur de l’infraction. Le représentant des requérants contesta cette ordonnance devant le tribunal de district de Karnobat, qui, par une décision du 9 novembre 2001, rejeta son recours comme prématuré, une telle demande ne pouvant être faite qu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la date de sursis de la procédure pénale. Le 22 octobre 2001, le procureur ordonna que des actes d’instruction soient réalisés afin d’identifier l’auteur des faits. Rien ne fut apparemment entrepris jusqu’au 12 novembre 2002, lorsque le représentant des requérants s’adressa au procureur de district pour se plaindre de l’absence d’actes d’enquête et demander la reprise de l’instruction. Le 20 novembre 2002, le procureur rejeta cette demande. Le 25 novembre 2002, les requérants intentèrent un nouveau recours contre l’ordonnance par laquelle le procureur avait ordonné le sursis de l’instruction. Le tribunal de district fit droit à leur recours et ordonna au parquet de reprendre l’enquête. La propriétaire du véhicule qui était arrivé sur le lieu de l’incident fut identifiée et entendue le 17 septembre 2003. Elle déclara ne pas se souvenir qui conduisait sa voiture le jour de l’incident. Le concessionnaire du plan d’eau, Z.V., fut également entendu et indiqua que le gardien à l’époque était un certain G.G. Ce dernier ne fut pas trouvé à son domicile car, selon l’information fournie par le maire de son village, il se trouvait à l’étranger. Il fut également établi que ni Y.Y., ni Z.V. ne disposaient d’autorisations de possession d’armes à feu. Au mois de septembre 2003, l’avocat des requérants s’enquit de l’avancement de l’enquête auprès du procureur de district et demanda à prendre connaissance des pièces du dossier. Le procureur rejeta cette demande au motif que les requérants n’étaient pas constitués parties civiles. Il ajouta que les requérants pouvaient être constitués parties civiles seulement en cas de renvoi en jugement. Sur recours des requérants, cette ordonnance fut confirmée par le procureur régional le 8 décembre 2003. Ce dernier estima toutefois que les requérants, en tant que victimes d’une infraction pénale, avaient le droit de participer à la procédure pénale et d’être représentés par un avocat, mais que leur représentant pouvait prendre connaissance des pièces du dossier uniquement à la fin de l’enquête. Au début de 2005, des identifications sur photographie furent effectuées et les requérants désignèrent certains des individus dont la photo leur avait été présentée comme ayant été présents au moment de l’incident. Le 24 juillet, puis le 2 août 2006, l’avocat des requérants s’adressa au service de l’instruction de Burgas et au parquet de district de Karnobat pour se plaindre du fait que l’instruction préliminaire était au point mort et leur demanda de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires afin de terminer l’enquête. Le 8 novembre 2006, le procureur général autorisa le prolongement du délai de l’instruction compte tenu de la complexité de l’affaire. Une parade d’identification fut organisée et M. Stoev désigna Z.V. comme l’auteur du coup sur son bras. Les trois autres requérants et les trois autres suspects ne se présentèrent pas à la convocation de l’enquêteur. Le 12 décembre 2006, le procureur de district décida de suspendre l’instruction au motif que l’un des témoins oculaires de l’incident, G.G., se trouvait à l’étranger. Le 10 janvier 2007, statuant sur le recours des requérants, le tribunal de district annula l’ordonnance du parquet du 12 décembre 2006 au motif qu’il n’y avait pas d’éléments suffisants indiquant que le témoin en cause était effectivement absent du pays. Le 17 avril 2007, le parquet de district suspendit encore une fois l’enquête en raison de l’absence du témoin G.G. Cette décision fut confirmée le 5 septembre 2007 par le tribunal de district de Karnobat. En avril 2009, le procureur ordonna la reprise de l’instruction compte tenu du délai de plus d’un an qui s’était écoulé depuis la décision de sursis. Les requérants et deux suspects, A.N. et Y.Y., furent convoqués pour une parade d’identification fixée au 30 avril 2009. Le jour en question, les requérants se rendirent devant le commissariat de police où ils retrouvèrent l’un des suspects, A.N. La présence des victimes et du suspect au même endroit avant l’identification constituant une irrégularité procédurale, l’enquêteur prit la décision de ne pas procéder à l’identification. L’autre suspect, Y.Y., ayant quitté le commissariat sans prévenir, aucun autre acte d’instruction ne put être effectué ce jour-là. Le 7 mai 2009, l’avocat des requérants demanda à recevoir copie de plusieurs pièces du dossier pénal : les ordonnances des procureurs, les décisions du tribunal de district et les demandes des requérants. Le 25 mai 2009, le procureur de district rejeta cette demande au motif que la législation interne ne prévoyait pas la possibilité pour les victimes d’obtenir copies des documents en question à ce stade de la procédure. Cette ordonnance fut confirmée le 6 juillet 2009 par le procureur supérieur. Entre temps, par une ordonnance du 26 mai 2009, le procureur de district ordonna un nouveau sursis de l’instruction pénale en raison de l’absence du témoin G.G., qui se trouvait à l’étranger et dont l’interrogatoire revêtait une importance particulière pour l’établissement des faits. Le 16 juin 2009, statuant sur recours des requérants, le tribunal de district annula l’ordonnance du procureur. Il observa que G.G. n’était pas le seul témoin oculaire des événements. Par ailleurs, l’absence de ce témoin avait déjà servi de motif pour suspendre l’enquête pénale et le tribunal estima que la législation interne ne permettait pas un deuxième sursis pour le même motif. Le dossier fut renvoyé au procureur de district. Par une ordonnance du 6 août 2009, le procureur de district ordonna le sursis de l’instruction au motif que les éléments rassemblés ne permettaient pas l’identification des auteurs des faits. À la suite du recours des requérants, cette décision fut confirmée le 2 septembre 2009 par le tribunal de district. Le tribunal constata que seules les blessures infligées à M. Stoev pouvaient être qualifiés de dommage corporel de gravité moyenne et que lors de la confrontation avec A.N., M. Stoev avait déclaré que celuici n’était pas l’auteur des coups portés contre lui. Lors des identifications sur photographies, les quatre requérants avaient désigné des personnes différentes. Par une ordonnance du 7 octobre 2011, le procureur de district ordonna la reprise de l’instruction. Par la même ordonnance, il constata que le délai de prescription de dix ans concernant l’infraction de dommage corporel de gravité moyenne s’était écoulé et mit un terme à la procédure pour ce motif. Il nota qu’après l’ouverture d’une instruction pénale le 17 avril 2001, la procédure avait été menée contre X. et aucune mise en examen n’avait été effectuée jusqu’à l’écoulement du délai de prescription de dix ans. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le code pénal érige en infraction le fait de causer à autrui un dommage corporel léger, moyennement grave ou grave (articles 128 à 130). En vertu de l’article 129 du code pénal, le fait de causer un dommage corporel de gravité moyenne est puni par une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans. Le dommage corporel de gravité moyenne est constitué, entre autres, en cas d’altération durable de la vue ou de l’ouïe, de la faculté de parler, de la mobilité des membres ou du corps, s’il y a eu défiguration ou déformation d’une partie du corps, en cas de détérioration permanente de la santé ou de détérioration temporaire de la santé ayant entrainé un risque pour la vie. En dehors des hypothèses qualifiées de dommage corporel grave ou moyennement grave, le dommage corporel est qualifié de léger. Cette infraction est punie d’une peine d’emprisonnement jusqu’à deux ans ou d’une peine de probation lorsqu’il y a eu détérioration de la santé ; dans les autres cas, le dommage corporel léger est puni d’une peine d’emprisonnement jusqu’à six mois ou d’une peine de probation (article 130). Pour la plupart des infractions graves, qui sont passibles de poursuites par la voie de l’action publique, le procureur est compétent pour engager des poursuites pénales (articles 192 et 411 du code de procédure pénale de 1974, dans sa rédaction au moment des faits pertinents, articles 191 et 212 du nouveau code de procédure pénale, entré en vigueur le 29 avril 2006). Certaines infractions moins graves, tels les dommages corporels légers, ne sont pas en principe poursuivis par la mise en œuvre de l’action publique mais seulement par la victime elle-même, par la voie de la citation directe (по тъжба на пострадалия). La victime doit, dans ce cas, saisir le tribunal dans un délai de six mois après avoir pris connaissance de l’infraction ou de la décision du procureur ordonnant un non-lieu au motif que l’infraction est passible de poursuites par voie de citation directe, à défaut de quoi sa demande est déclarée irrecevable (articles 56-57 du code de 1974, articles 80-81 du code de 2006). En vertu de l’article 171 du code de procédure pénale de 1974, une instruction préliminaire (предварително производство) est effectuée concernant les infractions plus graves, énumérées dans cette disposition, ainsi que dans les affaires qui présentent une complexité factuelle ou juridique. Dans les autres cas, il est procédé à une enquête de police (дознание, полицейско производство). En vertu de l’article 239, alinéa 1, du code de 1974, le procureur ordonne le sursis de la procédure pénale si l’auteur de l’infraction n’a pas été identifié, ainsi qu’en cas d’absence prolongée du seul témoin oculaire dont l’interrogatoire est essentiel pour l’établissement des faits. L’ordonnance du procureur pouvait être contestée devant le tribunal de première instance à l’expiration d’un délai de trois mois de son adoption (alinéa 7 du même article). Cette disposition a été reprise par l’article 244 du code de 2006 mais les ordonnances de sursis peuvent désormais être contestées devant les tribunaux sans attendre l’expiration du délai de trois mois imposé par l’ancien code.
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A. Le contexte de l’affaire Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers. Les présentes requêtes portent sur des procédures engagées par les requérants en vue d’obtenir le réajustement et l’augmentation du montant de leurs pensions conformément à ces lois. B. Les procédures en cause Requête no 27809/11 Le 19 février 2001, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 28 septembre 2001, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 16 septembre 2002, le requérant saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale. Le 6 octobre 2006, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 2390/2006). Le 21 mai 2007, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 2390/2006. Le 30 juin 2010, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1792/2010). Cet arrêt fut notifié au requérant le 1er novembre 2010. Requêtes nos 38575/11, 50628/11 et 58603/11 Les 22 mars 2001, 29 mai 2001 et 10 avril 2001 respectivement, les requérants saisirent séparément la Comptabilité générale de l’État de demandes tendant à obtenir le réajustement du montant de leurs retraites. Les 29 novembre 2001, 7 août et 11 avril 2002 respectivement, la Comptabilité générale de l’État rejeta leurs demandes. Le 20 décembre 2002, les requérants saisirent la Cour des comptes des recours contre les décisions de la Comptabilité générale. Le 18 mai 2007, la Cour des comptes donna gain de cause aux requérants (arrêts nos 903/2007, 967/2007 et 920/2007). Le 15 février 2008, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre les arrêts précités. Le 22 septembre 2010, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta les pourvois (arrêts nos 2114/2010, 2131/2010 et 2116/2010). Ces arrêts furent notifiés comme suit : Le 13 décembre 2010 (requête no 38575/11) ; Le 14 février 2011 (requête no 50628/11) et Le 17 février 2011 (requête no 58603/11). Requête no 58629/11 Le 20 avril 2001, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 6 juin 2002, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 20 décembre 2002, le requérant saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale. Le 20 avril 2007, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 634/2007). Le 15 février 2008, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 634/2007. Le 2 juin 2010, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1407/2010). Cet arrêt fut notifié au requérant le 27 janvier 2011. Requête no 64907/11 Le 16 juillet 2001, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 17 décembre 2002, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 16 février 2004, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État. Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 12 juillet 2004, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet de sa demande. En 2005, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État rejeta l’opposition du 16 février 2004. Le 5 octobre 2007, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 2038/2007). Le 23 janvier 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 2038/2007. Le 2 février 2011, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 206/2011). Cet arrêt fut notifié au requérant le 16 juin 2011. Requête no 20028/12 À une date non précisée, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 17 décembre 2002, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 18 avril 2003, le requérant saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale. Le 7 décembre 2007, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 2584/2007). Le 18 mars 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 2584/2007. Le 21 septembre 2011, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 2281/2011). Cet arrêt fut notifié au requérant le 13 décembre 2011. Requête no 26674/12 Le 19 avril 2001, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 22 novembre 2001, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 21 mai 2003, le requérant saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale. Le 18 janvier 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 125/2008). Le 6 mai 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 125/2008. Le 22 juin 2011, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1693/2011). Cet arrêt fut notifié au requérant le 2 novembre 2011. Requête no 77124/12 Le 12 novembre 2004, le requérant saisit la 44e division de la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 23 mars 2005, suite au rejet tacite de sa demande, il forma une opposition devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État. Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 18 octobre 2005, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet de sa demande. Le 20 octobre 2005, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État rejeta l’opposition du 23 mars 2005. Le 18 avril 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 914/2008). Le 17 juillet 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 914/2008. Le 7 décembre 2011, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 3287/2011). Cet arrêt fut notifié au requérant le 30 mai 2012. C. Le droit interne pertinent La loi no 4239/2014 La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Procédure d’asile La requérante arriva en Belgique au cours de l’été 2007. Le 30 juillet 2007, alors qu’elle était enceinte de huit mois, elle introduisit une demande d’asile dans laquelle elle indiquait avoir fui son pays au motif qu’elle avait été poussée à l’avortement par la famille de l’homme, M. A., duquel elle était tombée enceinte et chez qui elle avait été hébergée depuis l’âge de onze ans. En raison de sa minorité, la requérante se vit désigner un tuteur, mesure qui prit fin à sa majorité, le 26 décembre 2007. Suite à l’enregistrement des empreintes digitales de la requérante dans le système Eurodac, l’office des étrangers (« OE ») constata qu’elle avait déjà introduit une demande d’asile à Malte le 29 juin 2007. Le 3 août 2007, l’OE fit, auprès des autorités maltaises, une demande de prise en charge de la demande d’asile de la requérante en application du règlement no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (« règlement Dublin II »). Le 17 septembre 2007, les autorités maltaises marquèrent leur accord. La requérante demeura toutefois en Belgique eu égard à l’introduction d’une demande d’autorisation de séjour et à la procédure qui s’en suivit (voir paragraphes 33 et suivants ci-dessous). Ensuite, du fait de l’accouchement imminent d’un deuxième enfant (voir paragraphe 20 ci-dessous), l’OE décida début 2009 de procéder lui-même à l’examen de sa demande d’asile. Un premier entretien eut lieu à la suite duquel le dossier fut transmis au Commissaire général aux réfugiés et apatrides (« CGRA »). Le 25 mai 2010, le CGRA refusa la demande d’asile en raison des incohérences du récit de la requérante. Parmi d’autres éléments, le CGRA retint qu’elle avait affirmé ne pas avoir introduit de demande d’asile dans un autre pays, qu’elle n’était pas en mesure d’expliquer le trajet suivi jusqu’en Belgique, qu’elle ne savait pas combien de temps elle était restée à Malte et qu’elle ignorait l’identité exacte des personnes chez qui elle avait vécu au Nigéria. La requérante introduisit un recours devant le Conseil du contentieux des étrangers (« CCE »). Par un arrêt no 49.384 du 12 octobre 2010, celui-ci confirma la décision du CGRA au motif qu’il ne pouvait être attribué de crédibilité à la crainte alléguée par la requérante de poursuite ou à un risque réel de préjudice grave. Aucun recours en cassation administrative ne fut introduit devant le Conseil d’État contre cet arrêt. B. Situation médicale, familiale et sociale de la requérante Le 1er août 2007, dans le cadre d’un bilan de grossesse, la requérante fut dépistée atteinte par le VIH avec une sérieuse déficience de son système immunitaire nécessitant d’entamer un traitement antirétroviral (« ARV »). Elle donna naissance à un premier enfant le 5 septembre 2007. Le nourrisson reçut un traitement pour éviter d’être atteint par le VIH. En octobre 2007, un traitement ARV (association des molécules Kalestra et Combivir) fut entamé au centre hospitalier universitaire (« CHU ») St Pierre à Bruxelles. Au cours de l’année 2008, la requérante fut accueillie dans une structure semi-résidentielle et suivie par l’association sans but lucratif Lhiving spécialisée dans l’offre d’assistance psycho-sociale aux personnes défavorisées vivant avec le VIH et à leurs enfants. Le 27 avril 2009, la requérante donna naissance à un deuxième enfant issu du même père, M. A. Le 14 juillet 2010, un certificat médical fut établi par le CHU St Pierre à la demande de l’OE qui faisait état d’une évolution du traitement vers une association des molécules Kivexa, Telzir et Norvir. Le 25 novembre 2010, le CHU délivra un nouveau certificat indiquant que le taux de CD4 de la requérante s’était stabilisé à 447 avec une charge virale indétectable. A la même date, une responsable de l’association Lhiving rédigea un rapport sur la situation psycho-sociale de la requérante soulignant la nécessité de soutenir psychologiquement la requérante en raison de son jeune âge et de son tempérament introverti. Entre-temps, à la suite du refus de la demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales (voir paragraphe 44 ci-dessous), la requérante se vit retirer son attestation d’immatriculation qui lui permettait de bénéficier gratuitement des soins nécessaires à son traitement et de l’aide matérielle du centre public d’action sociale (« CPAS ») de Bruxelles. Elle introduisit un recours devant le tribunal du travail de Bruxelles pour bénéficier d’une aide matérielle et fit une nouvelle demande auprès du CPAS. Le 16 mai 2011, le CPAS décida de prolonger l’aide financière de la requérante, de sorte que le recours devant le tribunal du travail fut rayé du rôle. Le 14 décembre 2011, le CHU St Pierre établit un certificat à l’attention de l’OE en ces termes : « Dernière prise de sang du 1o4/12/2010 montre des CD4 à 269 et une charge virale à 42 900 montrant soit un échappement thérapeutique (apparition de résistance ?) ou une mauvaise observance du traitement pouvant être liée aux multiples problèmes sociaux de la patiente (...). » Le 23 février 2012, le CHU St Pierre établit un certificat destiné à l’OE qui faisait état d’une modification du traitement, l’abandon du Telzir et du Norvir et le remplacement par une association de Reyataz et de Kivexa. Le 1er mars 2012, un rapport élaboré par l’association Lhiving précisa que le soutien psychosocial de la requérante était toujours assuré et nécessaire et qu’il s’agissait de travailler avec la requérante sur l’articulation et les difficultés liées à son rôle de mère, la vie de famille, la scolarisation des enfants en néerlandais, le suivi de sa propre pathologie, etc. Un nouveau certificat établi le 7 juin 2012 par le CHU St Pierre et adressé à l’OE attesta que la requérante était enceinte d’un troisième enfant et que l’accouchement était prévu pour novembre 2012. L’attestation poursuivit en ces termes : « Sa dernière prise de sang montre une infection VIH non contrôlée avec une charge virale augmentée à 18 900 et taux de T4 diminuée à 126. La situation est donc préoccupante, tant pour la patiente que pour son futur enfant. (...) Traitement médicamenteux /matériel médical : Reyataz 200 2/j et Kivexa Nécessité de bilan sanguin régulier avec typage lymphocytaire et charge virale VIH, stéthoscope, tensiomètre, balance, aiguilles et seringues, pansements, suivi gynéco... Besoins spécifiques en matière de suivi médical ? Suivi par une équipe multidisciplinaire spécialisée dans la prise en charge du VIH. » Un certificat similaire fut établi le 1er février 2013 révélant l’ajout d’un médicament, le Norvir, une augmentation des T4 à 200 et une charge virale positive moindre et confirmant que la situation était préoccupante tant pour la requérante que pour ses enfants. Entre-temps, le 23 novembre 2012, la requérante donna naissance à un troisième enfant. L’acte de naissance mentionne que le père est également M.A. Le 18 mars 2013, l’association Lhiving fit une nouvelle attestation dans des termes comparables à ceux de la précédente (voir paragraphe 27 ci-dessus) et assurant de la poursuite du suivi psycho-social de la requérante. À partir d’une date indéterminée, M.A., le père des trois enfants, séjourna de temps en temps en Belgique sans titre de séjour. C. Refus d’autorisation de séjour pour raisons médicales et ordre de quitter le territoire Le 30 novembre 2007, la requérante introduisit une demande d’autorisation de séjour pour raison médicale en application de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« loi sur les étrangers »). Le 13 février 2008, l’OE déclara sa demande recevable et une attestation d’immatriculation lui fut délivrée, l’autorisant à séjourner en Belgique pendant trois mois. Faisant suite à la demande de l’OE, la requérante fit parvenir à l’OE un certificat médical établi par son médecin traitant attestant qu’elle était atteinte par le VIH et dans l’impossibilité de voyager pendant six mois durant lesquels elle avait besoin d’un suivi psychologique. Le 8 juillet 2008, l’OE s’informa auprès des autorités maltaises sur l’accessibilité du traitement médical approprié à Malte. Le jour même, la requérante fut examinée par le médecin conseil de l’OE qui considéra que celle-ci serait en mesure de voyager à partir du 1er septembre 2008. Le 4 août 2008, sur la base des informations communiquées par les autorités maltaises, le médecin conseil de l’OE écrivit : « (D)’un point de vue médical, il faut conclure que, (...) bien que (le sida) puisse être considéré comme une maladie qui entraîne un risque réel pour la vie ou l’intégrité physique, en l’espèce, Mme J.S. n’est pas sujette à ce risque de traitements inhumains ou dégradants vu qu’un traitement est disponible à Malte. » Le 20 août 2008, l’OE prit une décision de rejet de la demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales au motif qu’il ressortait des informations communiquées par l’ambassade de Malte et figurant sur le site internet du ministre maltais de la politique sociale que le traitement du sida était disponible à Malte et accessible aux étrangers. La requérante introduisit un recours devant le CCE contre la décision de l’OE du 20 août 2008. Le 11 mars 2009, l’OE retira sa décision du 20 août 2008, à la suite de sa décision d’examiner la demande d’asile de la requérante (voir paragraphe 12 ci-dessus). L’OE entama l’examen des possibilités de traitement au Nigéria. La requérante fut à nouveau mise en possession d’une attestation d’immatriculation et l’OE sollicita de son médecin conseil un nouvel avis médical en cas de retour vers le Nigéria. Le 7 mai 2009, le CCE, constatant le retrait de la décision de l’OE du 20 août 2008, rejeta le recours de la requérante à défaut d’objet. Le 17 septembre 2010, le médecin conseil de l’OE rendit son avis en ces termes : « D’un point de vue médical, l’infection de la requérante, bien qu’elle puisse être considérée comme une infection pouvant comporter un risque réel pour la vie ou l’intégrité physique si elle n’est pas traitée de manière adéquate et n’est pas suivie, n’implique pas un risque réel de traitement inhumain ou dégradant, vu que ce traitement et ce suivi sont disponibles au Nigéria. Il n’y a donc pas d’objection d’un point de vue médical au retour vers le pays d’origine, le Nigéria. » Sur la base de cet avis et des informations recueillies auprès de l’ambassade du Nigéria, le 27 septembre 2010, l’OE rejeta la demande d’autorisation de séjour introduite le 30 novembre 2007 mais prolongea l’immatriculation jusqu’à l’issue de la procédure d’asile. La décision était motivée en ces termes : « (Les) médicaments actuellement administrés à la requérante sont disponibles au Nigéria (...). Le Nigéria a de nombreux programmes pour le traitement de l’affection de la requérante (...). Le coût est bas car les autorités interviennent dans le prix de la médication (...). L’affection de la requérante peut être traitée gratuitement dans tous les hôpitaux publics du pays. (...) De plus, dans l’état d’Ogun, où est née et où a résidé la requérante, il y a deux hôpitaux. (...). Du reste, il apparaît très improbable que la requérante ne jouisse pas au Nigéria, pays où elle a vécu les dix-huit premières années de sa vie, de famille, d’amis ou de connaissances disposés à l’accueillir, à l’aider à obtenir les médicaments nécessaires et/ou à la soutenir provisoirement sur le plan financier. (...) Il s’ensuit qu’il n’est pas établi qu’un retour vers le pays d’origine (...) enfreindrait la directive européenne 2004/83/CE ni l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. » Le 20 octobre 2010, la procédure d’asile ayant entre-temps abouti au rejet du recours introduit par la requérante (voir paragraphe 14 ci-dessus), l’OE confirma sa décision de rejet de la demande de régularisation de séjour. Un ordre de quitter le territoire fut notifié à la requérante le 22 novembre 2010 en ces termes : « En exécution de la décision du (...) 20/10/2010, il est enjoint à la nommée S.J. et ses enfants (...), de quitter, au plus tard le [20/12/2010] le territoire de la Belgique (...). » MOTIF DE LA DECISION : L’intéressée demeure dans le Royaume au-delà du délai fixé conformément à l’article 6, ou ne peut apporter la preuve que ce délai n’est pas dépassé (loi 15/12/1980 article 7, al. 1.2o) A défaut d’obtempérer à cet ordre, la prénommée s’expose, sans préjudice de poursuites judiciaires sur la base de l’article 75 de la loi, à être ramenée à la frontière et à être détenue à cette fin pendant le temps strictement nécessaire pour l’exécution de la mesure, conformément à l’article 27 de la même loi. Conformément à l’article 39/2, § 2, de la loi du 15 décembre 1980, la présente décision est susceptible d’un recours en annulation auprès du Conseil du contentieux des étrangers. Ce recours doit être introduit par requête dans les trente jours suivant la notification de la présente décision. Une demande de suspension peut être introduite conformément à l’article 39/82 de la loi du 15 décembre 1980. Sauf en cas d’extrême urgence, la demande de suspension et la requête en annulation doivent être introduites par un seul et même acte. » Le 26 novembre 2010, la requérante introduisit une demande de suspension en extrême urgence de la décision de l’OE du 20 octobre 2010 et de l’ordre de quitter le territoire du 22 novembre 2010, ainsi qu’un recours visant l’annulation de ces décisions. Elle invoquait une violation des articles 3, 8 et 13 de la Convention en raison du risque qu’elle courrait en cas de retour au Nigéria de ne pas avoir accès au traitement approprié et de l’atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale. La demande de suspension fut rejetée par le CCE, par un arrêt no 51.741 du 27 novembre 2010. Le CCE motiva sa décision comme suit : « (...) La requérante a agi de manière alerte et diligente en introduisant une requête le quatrième jour après la notification de la décision attaquée mais elle ne démontre pas par le biais d’éléments concrets que la suspension de l’exécution de l’acte attaqué, selon la procédure de suspension ordinaire serait tardive. Il est mentionné dans l’ordre attaqué que la requérante dispose jusqu’au 22 décembre 2010 pour quitter le territoire. Pour le moment, la requérante n’est pas détenue en vue de son rapatriement, et il n’y a pas de date de rapatriement prévue. Elle affirme uniquement qu’une suspension ordinaire serait tardive puisque le délai de traitement est de quatre à cinq mois. La simple crainte que la décision attaquée pourrait être exécutée à tout moment après le 22 décembre 2010 ne signifie pas que la suspension de la décision attaquée ne pourrait intervenir en temps utile par le biais de la procédure ordinaire. En l’espèce, l’extrême urgence n’est pas démontrée. (...) Le Conseil se réfère à la possibilité (...) d’introduire, en cours d’instance, selon la procédure d’extrême urgence, une demande d’ordonner des mesures provisoires, auquel cas (cette demande et la demande de suspension) peuvent être examinées conjointement. » La requérante introduisit, le 8 décembre 2010, un recours en cassation contre l’arrêt du CCE du 27 novembre 2010 devant le Conseil d’État. Elle se plaignait, d’une part, que le risque de préjudice grave et irréparable en cas de retour au Nigéria et la présence de ses deux jeunes enfants n’avaient pas été pris en considération in concreto et, d’autre part, de l’ineffectivité des recours devant le CCE. Le 24 décembre 2010, l’ordre de quitter le territoire fut prorogé par l’OE pour un mois en ces termes : « Motif : raison exceptionnelle (attente d’une décision de la CEDH). Veuillez introduire une demande de prolongation chaque mois. La demande sera réévaluée chaque mois suivant l’évolution du dossier. » Le 6 janvier 2011, le Conseil d’État déclara irrecevable le recours contre l’arrêt du CCE du 27 novembre 2010. Selon le Conseil d’État, les moyens invoqués par la requérante, à supposer qu’ils fussent recevables, étaient en tout cas manifestement non fondés, étant donné, d’une part, que l’appréciation de l’extrême urgence relevait de l’appréciation souveraine du juge du fond, et d’autre part, que la requérante pouvait encore introduire une demande de suspension selon la procédure ordinaire assortie, en cours d’instance, d’une demande de mesures provisoires, de sorte qu’elle disposait de recours effectifs. D’après les informations versées au dossier, le recours en annulation des décisions de l’OE (voir paragraphe 45 ci-dessus) est toujours pendant devant le CCE. En réponse à un courrier de la requérante demandant si une date d’audience était fixée, le greffe du CCE lui indiqua, dans une lettre du 14 mai 2012, que la juridiction faisait tout pour que son affaire soit traitée dans les plus courts délais. Le 11 février 2013, à la demande du Gouvernement dans le cadre de la procédure devant la Cour, le médecin conseil de l’OE fit un nouveau rapport sur la situation médicale de la requérante sur la base d’un certificat médical établi par le CHU St Pierre en 2010 (voir paragraphe 22 ci-dessus). Ce rapport constatait que la requérante bénéficiait d’une thérapie journalière associant trois médicaments (Kivexa, Telzir et Norvir). Il poursuivait en ces termes : « D’après le certificat médical du 25/11/2010, il semble que l’évolution de la requérante soit bonne, que son immunité se soit stabilisée à 447 avec une charge virale indétectable en date du 05/05/2010. Nous n’avons pas d’autres certificats médicaux attestant de l’évolution clinique et immunologique postérieurs à novembre 2010 et/ou relatifs à une modification de la situation médicale ou du traitement médicamenteux. Le certificat médical précité du 25/11/2010 ne montre pas que l’intéressée ait fait/fasse l’objet d’une stricte contre-indication médicale de voyager (ou qu’elle) ait un besoin médical de prestations de soins. En ce qui concerne la disponibilité du traitement médicamenteux et le suivi dans le pays d’origine, le Nigéria : les sources suivantes ont été consultées (ces informations ont été ajoutées au dossier administratif de l’intéressée) : - informations provenant de la banque de données MedCOI (...) des médecins locaux qui travaillent dans le pays d’origine et sont contractuellement pris en charge par le service médical consultatif du ministère néerlandais de l’Intérieur, en date du 01/06/2011 (...) et du 28/03/2012 (...) ; - informations provenant du site http : /www.abuth.org (...) ; - informations provenant du site http : /www.buth.org (...) ; - informations provenant du site http : /www.who.int/ selection_medicines/ country_lists (...) qui contient une liste des principaux médicaments disponibles au Nigéria en 2010. Il ressort de ces informations que le traitement médicamenteux associant abacavir, lamivudine et les inhibiteurs de protéase sont disponibles au Nigéria. Il ressort de ces informations que la disponibilité actuelle de fosamprenavir au Nigéria n’est pas confirmée, mais que d’autres inhibiteurs de protéase sont disponibles comme alternative : par exemple une préparation combinant lopinavir et ritonavir (...). Les analyses en laboratoire (en vue de déterminer le taux de CD4) sont disponibles au Nigéria. Le traitement/suivi par un interniste est également disponible au Nigéria. » D. Intervention de la Cour au titre des mesures provisoires Le 30 novembre 2010, la requérante saisit la Cour d’une demande de mesures provisoires en application de l’article 39 du règlement de la Cour en vue de suspendre l’ordre de quitter le territoire. Elle arguait notamment des risques qu’elle courrait, ainsi que ses enfants, en cas de renvoi au Nigéria en raison de son état de santé. Elle reconnut que les procédures internes n’étaient pas achevées mais faisait valoir que ces recours n’étaient pas suspensifs de son éloignement. Le 17 décembre 2010, en application de l’article 39 du règlement, il fut indiqué au Gouvernement de ne pas éloigner la requérante et ses enfants jusqu’à l’issue de la procédure devant la Cour. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Procédure d’autorisation de séjour pour raisons médicales Les dispositions applicables aux demandes d’autorisation de séjour pour raisons médicales introduites auprès de l’office des étrangers (« OE ») sur pied de l’article 9ter de la loi sur les étrangers figurent dans l’arrêt Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique (no 10486/10, §§ 67 et 68, 20 décembre 2011). Le CCE s’est récemment exprimé sur l’articulation entre l’article 9ter précité de la loi sur les étrangers et l’article 3 de la Convention (CCE, arrêts no 92.258, no 92.308 et no 92.309 du 27 novembre 2012) en ces termes : « 3.3. Le Conseil observe que la modification législative de l’article 9, alinéa 3, ancien, de la Loi a permis, par l’adoption de l’article 9ter, la transposition de l’article 15 de la directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts. Il n’en demeure pas moins que, en adoptant le libellé de l’article 9ter de la Loi, le Législateur a entendu astreindre la partie défenderesse à un contrôle des pathologies alléguées qui s’avère plus étendu que celui découlant de la jurisprudence invoquée par la partie défenderesse. Ainsi, plutôt que de se référer purement et simplement à l’article 3 de la CEDH pour délimiter le contrôle auquel la partie défenderesse est tenue, le Législateur a prévu diverses hypothèses spécifiques. La lecture du paragraphe 1er de l’article 9ter révèle en effet trois types de maladies qui doivent conduire à l’octroi d’un titre de séjour sur la base de cette disposition lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans le pays d’origine ou dans le pays de résidence, à savoir : - celles qui entraînent un risque réel pour la vie ; - celles qui entraînent un risque réel pour l’intégrité physique ; - celles qui entraînent un risque réel de traitement inhumain ou dégradant. Il s’ensuit que le texte même de l’article 9ter ne permet pas une interprétation qui conduirait à l’exigence systématique d’un risque « pour la vie » du demandeur, puisqu’il envisage, au côté du risque vital, deux autres hypothèses. » Par des arrêts nos 225.522 et 225.523 du 19 novembre 2013, le Conseil d’État cassa les arrêts nos 92.258 et 92.309, précités, du CCE. Il constata que l’article 15 b) de la Directive Qualification – directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts –, qui correspond en substance à l’article 3 de la Convention, fut transposé dans l’ordre juridique belge par l’insertion de l’article 9ter dans la loi sur les étrangers. En adoptant cette dernière disposition, le législateur a manifestement et légitimement entendu réserver le bénéfice de l’article 9ter aux étrangers si « gravement malades » que leur éloignement constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, et il a voulu que cet examen se fasse en conformité avec la jurisprudence de la Cour telle qu’énoncée dans l’arrêt N., précité. Le fait que l’article 9ter vise trois hypothèses spécifiques n’implique pas qu’il ait un champ d’application différent de celui de l’article 3. Ces trois types de maladie, lorsqu’elles atteignent un seuil minimum de gravité qui doit être élevé, sont susceptibles de répondre aux conditions de l’article 3. Et le Conseil d’État de conclure que le CCE avait conféré à l’article 9ter une portée qu’il n’avait pas en jugeant que ce dernier astreignait l’État belge a un contrôle plus étendu que celui découlant de la jurisprudence de l’article 3 de la Convention. Quelques jours plus tard, par un arrêt no 225.632 du 28 novembre 2013, une autre chambre du Conseil d’État parvint à une conclusion opposée. Cet arrêt adopta la même interprétation de l’article 9ter de la loi sur les étrangers que celle développée par le CCE dans ses arrêts nos 92.258, 92.308 et 92.309 du 27 novembre 2012 (voir paragraphe 55 ci-dessus). Le Conseil d’État écarta les arguments de l’État belge tirés du droit européen, notant que les standards minimaux de protection fixés par la Convention et la Directive Qualification ne pouvaient pas être invoqués pour réduire la portée du droit belge. B. Éloignement du territoire En principe, toute décision de refus de séjour est suivie d’un ordre de quitter le territoire. La mise en œuvre d’un tel ordre est régie par l’article 7 de la loi sur les étrangers dont les dispositions applicables en l’espèce sont formulées comme suit : « Sans préjudice de dispositions plus favorables contenues dans un traité international, le ministre ou son délégué peut donner à l’étranger, qui n’est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s’établir dans le Royaume, un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé ou doit délivrer dans les cas visés au 1o, 2o, 5o, 11o ou 12o, un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé : (...) 2o s’il demeure dans le Royaume au-delà du délai fixé conformément à l’article 6, ou ne peut apporter la preuve que ce délai n’est pas dépassé; (...) Sous réserve de l’application des dispositions du Titre IIIquater, le ministre ou son délégué peut, dans les cas visés à l’article 74/14, § 3, reconduire l’étranger à la frontière. A moins que d’autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement, l’étranger peut être maintenu à cette fin, pendant le temps strictement nécessaire à l’exécution de la mesure, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque l’étranger évite ou empêche la préparation du retour ou la procédure d’éloignement, et sans que la durée de maintien ne puisse dépasser deux mois. (...) » Le délai pour quitter le territoire et sa possible prolongation sont prévus par l’article 74/14 de la loi sur les étrangers qui se lit comme suit : « § 1er. La décision d’éloignement prévoit un délai de trente jours pour quitter le territoire. Le ressortissant d’un pays tiers qui, conformément à l’article 6, n’est pas autorisé à séjourner plus de trois mois dans le Royaume, bénéficie d’un délai de sept à trente jours. Sur demande motivée introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre ou de son délégué, le délai octroyé pour quitter le territoire, mentionné à l’alinéa 1er, est prolongé, sur production de la preuve que le retour volontaire ne peut se réaliser endéans le délai imparti. Si nécessaire, ce délai peut être prolongé, sur demande motivée introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre ou de son délégué, afin de tenir compte des circonstances propres à sa situation, comme la durée de séjour, l’existence d’enfants scolarisés, la finalisation de l’organisation du départ volontaire et d’autres liens familiaux et sociaux. Le ministre ou son délégué informe par écrit le ressortissant d’un pays tiers que le délai de départ volontaire a été prolongé. (...) ». Les enfants mineurs suivent le régime de l’adulte qu’ils accompagnent et doivent également quitter le territoire si l’adulte n’est pas admis au séjour sur le territoire belge. Au moment où se sont déroulés les faits de la présente affaire, une décision avait été prise par la ministre de la politique de migration et d’asile en vertu de laquelle les familles avec enfants en séjour illégal ne seraient plus mises en détention dans les centres fermés à l’exception de celles qui se verraient refuser l’accès au territoire à la frontière. Les familles concernées ont dès lors été accueillies dans des « maisons ouvertes » et invitées à collaborer à un projet visant à obtenir leur départ volontaire. En mai 2011, le secrétaire d’État à la politique de migration et d’asile annonça la construction de logements spécifiques pour les familles avec enfants au centre fermé « 127bis » à Steenokkerzeel près de l’aéroport de Bruxelles. Un nouvel article fut inséré dans la loi sur les étrangers, par une loi du 16 novembre 2011, prévoyant explicitement la possibilité de détenir des familles avec enfants mineurs dans l’attente de leur éloignement en ces termes : Article 74/9 « § 1er. Une famille avec enfants mineurs qui a pénétré dans le Royaume sans satisfaire aux conditions fixées aux articles 2 ou 3, ou dont le séjour a cessé d’être régulier ou est irrégulier, n’est en principe pas placée dans un lieu tel que visé à l’article 74/8, § 2, à moins que celui-ci ne soit adapté aux besoins des familles avec enfants mineurs. (...) » C. Recours devant les juridictions administratives Les décisions individuelles prises par l’administration en matière de séjour et d’éloignement des étrangers peuvent être contestées par la voie d’un recours devant le CCE. Le CCE est une juridiction administrative créée par la loi du 15 septembre 2006 réformant le Conseil d’État et créant un Conseil du contentieux des étrangers. Les attributions, la compétence, la composition et le fonctionnement du CCE sont régis par les dispositions de la loi sur les étrangers modifiées par la loi précitée du 15 septembre 2006. La procédure suivie devant le CCE est fixée par un arrêté royal du 21 décembre 2006. Les décisions de l’OE prises sur pied de l’article 9ter de la loi sur les étrangers peuvent faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 39/2 de la loi sur les étrangers. Le recours en annulation n’est pas suspensif de l’exécution de la mesure contestée. La loi prévoit qu’il peut être assorti d’une demande de suspension de la mesure soit selon la procédure de l’extrême urgence, elle-même suspensive de l’exécution de la mesure, soit selon la procédure « ordinaire » et, ce, conformément à l’article 39/82 de la loi sur les étrangers qui se lit comme suit : « § 1er. Lorsqu’un acte d’une autorité administrative est susceptible d’annulation en vertu de l’article 39/2, le Conseil est seul compétent pour ordonner la suspension de son exécution. La suspension est ordonnée, les parties entendues ou dûment convoquées, par décision motivée du président de la chambre saisie ou du juge au contentieux des étrangers qu’il désigne à cette fin. En cas d’extrême urgence, la suspension peut être ordonnée à titre provisoire sans que les parties ou certaines d’entre elles aient été entendues. Lorsque le requérant demande la suspension de l’exécution, il doit opter soit pour une suspension en extrême urgence, soit pour une suspension ordinaire. Sous peine d’irrecevabilité, il ne peut ni simultanément, ni consécutivement, soit faire une nouvelle fois application de l’alinéa 3, soit demander une nouvelle fois la suspension dans la requête visée au § 3. Par dérogation à l’alinéa 4 et sans préjudice du § 3, le rejet de la demande de suspension selon la procédure d’extrême urgence n’empêche pas le requérant d’introduire ultérieurement une demande de suspension selon la procédure ordinaire, lorsque cette demande de suspension en extrême urgence a été rejetée au motif que l’extrême urgence n’est pas suffisamment établie. § 2. La suspension de l’exécution ne peut être ordonnée que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l’annulation de l’acte contesté sont invoqués et à la condition que l’exécution immédiate de l’acte risque de causer un préjudice grave difficilement réparable. Les arrêts par lesquels la suspension a été ordonnée sont susceptibles d’être rapportés ou modifiés à la demande des parties. § 3. Sauf en cas d’extrême urgence, la demande de suspension et la requête en annulation doivent être introduits par un seul et même acte. Dans l’intitulé de la requête, il y a lieu de mentionner qu’est introduit soit un recours en annulation soit une demande de suspension et un recours en annulation. Si cette formalité n’est pas remplie, il sera considéré que la requête ne comporte qu’un recours en annulation. Une fois que le recours en annulation est introduit, une demande de suspension introduite ultérieurement n’est pas recevable, sans préjudice de la possibilité offerte au demandeur d’introduire, de la manière visée ci-dessus, un nouveau recours en annulation assorti d’une demande de suspension, si le délai de recours n’a pas encore expiré. La demande comprend un exposé des moyens et des faits qui, selon le requérant, justifient que la suspension ou, le cas échéant, des mesures provisoires soient ordonnées. La suspension et les autres mesures provisoires qui auraient été ordonnées avant l’introduction de la requête en annulation de l’acte seront immédiatement levées par le président de la chambre ou par le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne, qui les a prononcées, s’il constate qu’aucune requête en annulation invoquant les moyens qui les avaient justifiées n’a été introduite dans le délai prévu par le règlement de procédure. § 4. Le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne statue dans les trente jours sur la demande de suspension. Si la suspension est ordonnée, il est statué sur la requête en annulation dans les quatre mois du prononcé de la décision juridictionnelle. Si l’étranger fait l’objet d’une mesure d’éloignement ou de refoulement dont l’exécution est imminente, et n’a pas encore introduit une demande de suspension, il peut demander la suspension de cette décision en extrême urgence. Si l’étranger a introduit un recours en extrême urgence en application de la présente disposition dans les cinq jours, sans que ce délai puisse être inférieur à trois jours ouvrables suivant la notification de la décision, ce recours est examiné dans les quarante-huit heures suivant la réception par le Conseil de la demande en suspension de l’exécution en extrême urgence. Si le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers saisi ne se prononce pas dans ce délai, il doit en avertir le premier président ou le président. Celui-ci prend les mesures nécessaires pour qu’une décision soit rendue au plus tard septante-deux heures suivant la réception de la requête. Il peut notamment évoquer l’affaire et statuer lui-même. Si la suspension n’a pas été accordée, l’exécution forcée de la mesure est à nouveau possible. (...) » L’article 39/83 de la loi prévoit qu’il n’est procédé à l’exécution forcée de la mesure d’éloignement ou de refoulement dont l’étranger fait l’objet, qu’au plus tôt trois jours ouvrables, c’est-à-dire chaque jour sauf un samedi, un dimanche ou un jour férié légal, après la notification de la mesure. Si l’intéressé opte pour la procédure en suspension « ordinaire », il peut demander l’indication de mesures provisoires, éventuellement au bénéfice de l’extrême urgence, conformément à l’article 39/84 de la loi qui se lit comme suit : « Lorsque le Conseil est saisi d’une demande de suspension d’un acte conformément à l’article 39/82, il est seul compétent, au provisoire et dans les conditions prévues à l’article 39/82, § 2, alinéa 1er, pour ordonner toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde des intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exception des mesures qui ont trait à des droits civils. Ces mesures sont ordonnées, les parties entendues ou dûment convoquées, par arrêt motivé du président de la chambre compétente pour se prononcer au fond ou par le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne à cette fin. En cas d’extrême urgence, des mesures provisoires peuvent être ordonnées sans que les parties ou certaines d’entre elles aient été entendues. L’article 39/82, § 2, alinéa 2, s’applique aux arrêts prononcés en vertu du présent article. Le Roi fixe, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, la procédure relative aux mesures visées par le présent article. » L’examen des mesures provisoires sollicitées au bénéfice de l’extrême urgence suit la procédure prévue par l’article 39/85 de la loi ainsi formulé : « Si l’étranger fait l’objet d’une mesure d’éloignement ou de refoulement dont l’exécution est imminente, l’étranger qui a déjà introduit une demande de suspension, peut, à condition que le Conseil ne se soit pas encore prononcé sur cette demande, demander, par voie de mesures provisoires au sens de l’article 39/84, que le Conseil examine sa demande de suspension dans les meilleurs délais. La demande de mesures provisoires et la demande de suspension sont examinées conjointement et traitées dans les quarante-huit heures suivant la réception par le Conseil de la demande de mesures provisoires. Si le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers saisi ne se prononce pas dans ce délai, il doit en avertir le premier président ou le président. Celui-ci prend les mesures nécessaires pour qu’une décision soit rendue au plus tard dans les septante-deux heures suivant la réception de la requête. Il peut notamment évoquer l’affaire et statuer lui-même. Dès la réception de la demande de mesures provisoires, il ne peut être procédé à l’exécution forcée de la mesure d’éloignement ou de refoulement jusqu’à ce que le Conseil se soit prononcé sur la demande ou qu’il ait rejeté la demande. Si la suspension n’a pas été accordée, l’exécution forcée de la mesure est à nouveau possible. » Tant la demande de suspension en extrême urgence que la demande de mesures provisoires en extrême urgence nécessitent, pour qu’elles puissent être accueillies, l’imminence de l’exécution de la mesure d’éloignement (article 39/82, § 4, alinéa 2, et article 39/85, alinéa 1er, de la loi sur les étrangers). Cette exigence doit être lue à la lumière de l’interprétation donnée à la notion de l’extrême urgence par le Conseil d’État, notamment dans des arrêts de l’assemblée générale de la section d’administration du 2 mars 2005 (nos 141.510, 141.511 et 141.512) : « [la partie requérante] doit apporter la démonstration que la procédure de suspension ordinaire ne permettrait pas de prévenir efficacement la réalisation du préjudice grave allégué, en tenant compte de la possibilité d’introduire en cours d’instance une demande de mesures provisoires d’extrême urgence [...], les deux demandes étant alors examinées conjointement. (...) Il est constant que, hormis dans les cas exceptionnels où ils sont assortis d’une mesure de contrainte en vue du rapatriement, la partie adverse ne procède pas systématiquement au contrôle de l’exécution effective des ordres de quitter le territoire qui sont délivrés ; que dès lors, la seule référence à l’ordre de quitter le territoire qui a été délivré ne suffit pas à démontrer l’existence de l’extrême urgence. » Dans la ligne de cette jurisprudence, le CCE considère que, pour que le péril soit imminent, l’étranger doit faire l’objet d’une mesure de contrainte en vue de l’obliger de quitter le territoire. En l’absence d’une telle mesure, l’extrême urgence n’est pas établie (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts des 27 juin 2007, no 456, et 20 février 2008, no 7512). Les dispositions précitées doivent également être lues à la lumière de l’interprétation qu’en a donnée le CCE à la suite de l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, CEDH 2011), dans sept arrêts d’assemblée générale (nos 56.201 à 56.205, 56.207 et 56.208) du 17 février 2011. Le CCE a notamment considéré que, pour satisfaire à l’exigence du recours suspensif de plein droit, l’introduction d’une demande de suspension en extrême urgence devait être considérée comme suspensive de plein droit, même si la demande était introduite en dehors du délai de trois jours ouvrables prévu par l’article 39/83, mais dans le délai prévu à l’article 39/57, c’est-à-dire dans le délai de 15 jours (délai valant pour un étranger qui est maintenu à la disposition du gouvernement). Le CCE a en outre constaté que, si l’étranger avait introduit une demande de suspension ordinaire et si l’exécution de la mesure d’éloignement ou de refoulement devenait imminente, il pouvait introduire une demande de mesures provisoires en extrême urgence, qui était, selon le texte même de l’article 39/85, également suspensive de plein droit de l’exécution forcée de la mesure d’éloignement ou de refoulement. Saisie d’une requête en annulation de la loi du 15 mars 2012 modifiant la loi sur les étrangers qui instaurait une procédure accélérée pour les demandeurs d’asile en provenance de pays « sûrs », la Cour constitutionnelle s’est prononcée, par un arrêt no 1/2014 du 16 janvier 2014, sur le point de savoir si les recours en annulation et en suspension d’extrême urgence remplissaient les critères d’effectivité posés par la jurisprudence de la Cour relative à l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention. La Cour constitutionnelle annula partiellement la loi attaquée au motif que le CCE n’étant pas tenu d’examiner, sur la base d’éventuels éléments nouveaux présentés devant lui, la situation actuelle des intéressés, c’est-à-dire la situation au moment de statuer, par rapport à la situation prévalant dans son pays d’origine, les recours en annulation et de suspension d’extrême urgence dont cette juridiction pouvait être saisie ne permettaient pas le contrôle « attentif », « complet » et « rigoureux » de la situation des intéressés voulu par la Cour (M.S.S. précité, §§ 387 et 389 ; Yoh-Ekale Mwanje précité, §§ 105 et 107). Observant en outre que l’extension précitée (voir paragraphe 70 ci-dessus) de l’effet suspensif de l’introduction de la demande de suspension en extrême urgence ne résultait pas d’une modification législative mais d’une interprétation juridictionnelle, la Cour constitutionnelle souligna que les étrangers concernés n’avaient pas la garantie que l’OE adapterait sa pratique, en toutes circonstances, à cette jurisprudence et considéra que cette situation était en porte-à-faux avec la jurisprudence de la Cour (Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 83, CEDH 2002I, et Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 66, CEDH 2007II). Un recours en cassation de l’arrêt du CCE rejetant un recours en annulation est possible devant le Conseil d’État. Ce recours n’est pas suspensif. D. Recours devant les juridictions de l’ordre judiciaire Les cours et tribunaux sont, aux termes des articles 144 et 145 de la Constitution, compétents pour connaître de contestations relatives à des droits subjectifs. L’article 584 du code judiciaire prévoit, en ces termes, la possibilité de saisir le président du tribunal de première instance par voie de référé ou par requête unilatérale : « Le président du tribunal de première instance statue au provisoire dans les cas dont il reconnaît l’urgence, en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire. (...) Le président est saisi par voie de référé ou, en cas d’absolue nécessité, par requête (...) » La décision prise en première instance est susceptible d’appel et l’arrêt rendu en appel peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation. La demande en référé n’est pas suspensive. III. LE TRAITEMENT MÉDICAL DE L’AFFECTION PAR LE VIH ET LE SIDA AU NIGÉRIA Les données épidémiologiques publiées par la National Agency for the Control of AIDS (NACA) du Nigéria dans un rapport de 2012 (Global Aids Response, Country Progress Report) se lisent comme suit : “Nigeria carries the second heaviest burden of HIV in Africa and has an expanding population of People Living with HIV (PLHIV). Despite challenges in scaling up access, institutional reforms and political commitment to tackle the diseases, the country has seen more citizens placed on life saving medication. (...) Table 1 - Epidemiology of HIV in Nigeria: Key Facts 2008-2012 National Median HIV Prevalence 2008: 4.6% - 2012: 4.1% Estimated Number of PLWHIV 2008: 2.980,000 – 2012: 3,459,363 Annual AIDS Death 2008: 192,000 – 2012: 217,148 Number requiring ARV Therapy 2008: 857,455 – 2012: 1,449,166 New HIV Infections 2008: 336,379 – 2012: 388,864 Total Number of AIDS Orphans 2008: 2,175,760 – 2012: 2,193,745” Les informations publiées par le UK Border Agency du Royaume-Uni font état des données suivantes : Nigeria Country of Origin Information (COI) Report, 14 June 2013 “26.14 Avert.org, in its undated (circa 2010) HIV and AIDS in Nigeria section (accessed 19 December 2012), recorded: ‘In Nigeria, an estimated 3.6 percent of the population are living with HIV and AIDS. Although HIV prevalence is much lower in Nigeria than in other African countries such as South Africa and Zambia, the size of Nigeria’s population (around 162.5 million) means that by the end of 2009, there were an estimated 3.3 million people living with HIV ... Approximately 220,000 people died from AIDS in Nigeria in 2009. With AIDS claiming so many lives, Nigeria’s life expectancy has declined significantly. In 2010 the overall life expectancy was only 52 years.’ 15 The US State Department 2011 report on Human Rights Practices, released 24 May 2012, noted that there was widespread societal discrimination against persons with HIV/AIDS. The public considered the disease a result of immoral behavior and a punishment for homosexual activity. Persons with HIV/AIDS often lost their jobs or were denied health care services. Authorities and NGOs sought to reduce the stigma and change perceptions through public education campaigns. 16 The UNAIDS 2010 report on the Global AIDS Epidemic noted that HIV incidence has fallen by more than 25% between 2001 and 2009 in a number of sub-Saharan African countries, including Nigeria. However a Vanguard article of 10 December 2012, “Nigeria Needs Over N700 Billion for Anti-Retroviral Drugs – NACA”, observed: ‘Prof. John Idoko, the Director-General, National Agency for the Control of AIDS (NACA), says more than N700 billion is needed to achieve universal access to antiretroviral (ARVs) drugs in Nigeria ... He explained that there was a huge gap between persons accessing anti-retroviral drugs and those requiring them, stressing that government must commit resources towards meeting their need. “Presently, only 432,000 persons living with HIV and AIDS (PLWHA) are accessing the drugs in contrast with the 1.5 million people needing it. We have realised that the Federal Government need to commit more funds to this cause; drugs are critical they interrupt transmission”, he said. Idoko said that government should focus more on making HIV treatment cheaper by reducing the cost of drugs and tests, adding that there was the need to strengthen the health systems. The director-general said that 12 states had HIV burden, adding that PMTCT gap should be closed by ensuring that all pregnant women had access to services to reduce new infections. The ARFH [Association for Reproductive and Family Health] President, Prof. Oladapo Ladipo, said that Nigeria had an estimated burden of 17.5 million Orphans and Vulnerable Children (OVCs), stressing that 2.3 million of them were orphaned by AIDS. He said that presently an estimated 360,000 children were HIV positive, and that care and support for OVCs should be focused on ... The Managing Director, Society for Family Health, Mr Bright Ekweremadu, said that the society had embarked on HIV counseling and testing for 1.8 million Nigerians.’ 17 Information obtained from MedCOI (medical advisors in the country of origin via the Dutch Ministry of Interior and Immigration Service) sources in February 2013 indicated that the following antiretroviral medications were available in Nigeria at the time: Abacavir, Didanosine, Emtricitabine, Lamivudine, Stavudine, Tenofovir, Zalcitabine, Zidovudine; Enfuvirtide; Efavirenz, Nevirapine; Amprenavir; Indinavir; Lopinavir/Ritonavir (= Kaletra); Saquinavir Mesylate; Efavirenz+Emtricitabine+ Tenofovir (= Atripla); Zidovudine+Lamivudine (= Combivir); Abacavir+Lamivudine (= Epzicom); Abacavir+Zidovudine+Lamivudine (=Trizivir); Tenofovir+ Emtricitabine(= Truvada).”
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est une ressortissante française née en 1990 et résidant en France. La requérante, qui se déclare musulmane pratiquante, indique porter la burqa et le niqab afin d’être en accord avec sa foi, sa culture et ses convictions personnelles. Elle précise que la burqa est un habit qui couvre entièrement le corps et inclut un tissu à mailles au niveau du visage, et que le niqab est un voile couvrant le visage à l’exception des yeux. Elle souligne que ni son mari ni aucun autre membre de sa famille ne font pression sur elle pour qu’elle s’habille ainsi. Elle ajoute qu’elle porte le niqab en public comme en privé, mais pas de façon systématique ; ainsi, par exemple, elle peut ne pas le porter lorsqu’elle est en consultation chez un médecin ou lorsqu’elle rencontre des amis dans un lieu public ou cherche à faire des connaissances. Elle accepte donc de ne pas porter tout le temps le niqab dans l’espace public, mais souhaite pouvoir le faire quand tel est son choix, en particulier lorsque son humeur spirituelle le lui dicte. Il y a ainsi des moments (par exemple lors d’événements religieux tels que le ramadan) où elle a le sentiment de devoir le porter en public pour exprimer sa religion et sa foi personnelle et culturelle ; son objectif n’est pas de créer un désagrément pour autrui mais d’être en accord avec elle-même. La requérante précise qu’elle ne réclame pas de pouvoir garder le niqab lorsqu’elle se trouve en situation de subir un contrôle de sécurité, se rend dans une banque ou prend l’avion, et qu’elle est d’accord de montrer son visage lorsqu’un contrôle d’identité nécessaire l’impose. Depuis le 11 avril 2011, date d’entrée en vigueur de la loi no 2010-1192 du 11 octobre 2010, sur tout le territoire de la République française, il est interdit à chacun de dissimuler son visage dans l’espace public. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. La loi du 11 octobre 2010 « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public » Éléments relatifs à la genèse de la loi a) Le rapport « sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national » La conférence des Présidents de l’Assemblée nationale a créé, le 23 juin 2009, une mission d’information composée de députés de divers partis chargée de préparer un rapport « sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national ». Déposé le 26 janvier 2010, ce rapport d’environ 200 pages décrit et analyse la situation. Il en ressort notamment que le port du voile intégral est nouveau en France (presqu’aucune femme ne s’habillait ainsi semble-t-il avant 2000) et qu’environ 1900 femmes étaient concernées à la fin de l’année 2009 (dont environ 270 établies dans les collectivités d’outre-mer) ; neuf sur dix avaient moins de 40 ans, deux sur trois étaient de nationalité française et une sur quatre était convertie à l’islam. Selon le rapport, il s’agit d’une pratique « antéislamique » importée, qui ne présente pas le caractère d’une prescription religieuse et qui participe de l’affirmation radicale de personnalités en quête d’identité dans l’espace social ainsi que de l’action de mouvements intégristes extrémistes. Le rapport indique en outre que ce phénomène était inexistant dans les pays d’Europe centrale et orientale, citant spécifiquement la république tchèque, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, la Lettonie et l’Allemagne. Il n’y faisait donc pas débat, à l’inverse de la Suède et du Danemark, où la pratique du port du voile était cependant peu développée. Par ailleurs, la question d’une interdiction générale était débattue aux Pays-Bas et en Belgique (une loi « visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage » a depuis lors été adoptée en Belgique, le 1er juin 2011 ; paragraphes 40-42 cidessous). Le rapport aborde également de manière critique la situation au Royaume-Uni, où il y aurait une surenchère constitutive de dérives communautaristes, des groupes musulmans radicaux et intégristes instrumentalisant un système juridique très favorable aux libertés et droits individuels fondamentaux pour obtenir la consécration de droits spécifiquement applicables aux habitants de confession ou d’origine musulmane. Le rapport dénonce ensuite une « pratique aux antipodes des valeurs de la République » exprimées par la devise « liberté, égalité, fraternité ». Il souligne que, plus qu’une atteinte à la laïcité, le voile intégral est une négation du principe de liberté parce qu’il est la manifestation d’une oppression et que, par son existence même, il bafoue aussi bien le principe d’égalité entre les sexes que celui d’égale dignité entre les êtres humains. Le rapport retient en outre que le voile intégral exprime le refus de toute fraternité par le rejet de l’autre et la contestation frontale de la conception française du vivre ensemble. Retenant en conséquence la nécessité de « libérer les femmes de l’emprise du voile intégral », le rapport préconise l’action autour de trois axes : convaincre, protéger les femmes et réfléchir à une interdiction. Il fait les quatre propositions suivantes : premièrement, voter une résolution réaffirmant les valeurs républicaines et condamnant comme contraire à ces valeurs la pratique du port du voile intégral ; deuxièmement, engager une réflexion d’ensemble sur les phénomènes d’amalgames, de discriminations et de rejet de l’autre en raison de ses origines ou de sa confession et sur les conditions d’une juste représentation de la diversité spirituelle ; troisièmement, renforcer les actions de sensibilisation et d’éducation au respect mutuel et à la mixité et la généralisation des dispositifs de médiation ; quatrièmement, voter une loi qui assurerait la protection des femmes victimes de contrainte, qui conforterait les agents publics confrontés à ce phénomène et qui ferait reculer cette pratique. Le rapport précise que tant au sein de la mission que des formations politiques représentées au Parlement, il n’y avait pas d’unanimité pour l’adoption d’une loi d’interdiction générale et absolue du voile intégral dans l’espace public. b) L’avis de la commission nationale consultative des droits de l’homme « sur le port du voile intégral » Entretemps, le 21 janvier 2010, la commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu un « avis sur le port du voile intégral », dans lequel elle se dit défavorable à une loi le prohibant de manière générale et absolue. Elle retient en particulier que le principe de laïcité ne peut à lui seul servir de fondement à une telle mesure générale, dès lors qu’il n’appartient pas à l’État de déterminer ce qui relève ou non de la religion, et que l’ordre public ne peut justifier une interdiction que dans la mesure où elle est limitée dans l’espace et dans le temps. Elle met également en exergue le risque de stigmatisation des musulmans, et le fait qu’une interdiction générale pourrait porter préjudice aux femmes notamment parce que celles qui subissent le voile intégral se verraient en plus privées d’accès à l’espace public. Cela étant, la CNCDH rappelle que le soutien aux femmes qui subissent toute forme de violence doit être une priorité politique ; elle préconise, afin de lutter contre toute forme d’obscurantisme, d’encourager la promotion d’une culture de dialogue, d’ouverture et de modération, afin de permettre une meilleure connaissance des religions et des principes de la République ; elle appelle au renforcement des cours d’éducation civique – y compris l’éducation et la formation aux droits de l’homme – à tous les niveaux, en visant les hommes et les femmes ; elle demande la stricte application du principe de laïcité et du principe de neutralité dans les services publics, et l’application des lois existantes ; elle souhaite que, parallèlement, des études sociologiques et statistiques soient réalisées, afin de suivre l’évolution du port du voile intégral. c) L’étude du Conseil d’État « relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral » Le 29 janvier 2010, le premier ministre a invité le Conseil d’État à étudier « les solutions juridiques permettant de parvenir à une interdiction du port du voile intégral (...) la plus large et la plus effective possible ». Le Conseil d’État a en conséquence réalisé une « étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral », dont le rapport a été adopté par l’assemblée plénière le 25 mars 2010. Il a estimé que la question qui lui était posée devait être comprise ainsi : peut-on juridiquement envisager, pour quels motifs et avec quelles limites, d’interdire le port du voile intégral en tant que tel, ou est-on conduit, de manière plus générale, à discuter de l’interdiction de la dissimulation du visage dont cette tenue est une des formes ? Le Conseil d’État a tout d’abord constaté que l’ordonnancement juridique existant apportait d’ores et déjà plusieurs réponses à cette préoccupation, qu’il s’agisse des dispositifs ayant pour effet d’interdire le port du voile intégral lui-même par certaines personnes et en certaines circonstances, des restrictions ponctuellement apportées à la dissimulation du visage pour des motifs d’ordre public ou de la répression pénale visant les instigateurs de ces pratiques. Il a toutefois relevé le caractère hétérogène de ces dispositions et observé que, pas plus que la France, les démocraties comparables ne se sont dotées d’une législation nationale prohibant de manière générale ces pratiques dans l’espace public. Sur la base de ce constat, il s’est interrogé sur la viabilité juridique et pratique d’une interdiction du port du voile intégral dans l’espace public au regard des droits et libertés garantis par le Constitution, la Convention et le droit de l’Union européenne. Il lui est apparu impossible de recommander une interdiction du seul voile intégral, en tant que tenue porteuse de valeurs incompatibles avec la République, qu’il a estimée très fragile juridiquement et difficilement applicable en pratique. Il a notamment relevé que le principe d’égalité des hommes et des femmes n’a pas vocation à être opposé à la personne elle-même, c’est-à-dire à l’exercice de sa liberté personnelle. Il a en outre considéré qu’une interdiction, moins spécifique, de la dissimulation volontaire du visage reposant notamment sur des considérations d’ordre public, interprétées de manière plus ou moins large, ne pourrait juridiquement porter sans distinction sur l’ensemble de l’espace public, en l’état des jurisprudences constitutionnelle et conventionnelle. En revanche, il lui a semblé qu’en l’état du droit, pourrait être adopté un dispositif contraignant et restrictif plus cohérent, qui comporterait deux types de mesures : d’une part, l’affirmation de la règle selon laquelle est interdit le port de toute tenue ou accessoire ayant pour effet de dissimuler le visage d’une manière telle qu’elle rend impossible une identification, soit en vue de la sauvegarde de l’ordre public lorsque celui-ci est menacé, soit lorsqu’une identification apparaît nécessaire pour l’accès ou la circulation dans certains lieux et pour l’accomplissement de certaines démarches ; d’autre part, le renforcement de l’arsenal répressif visant en particulier les personnes qui en contraignent d’autres à dissimuler leur visage, donc à effacer leur identité, dans l’espace public. d) La Résolution de l’Assemblée nationale « sur l’attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte » Le 11 mai 2010, l’Assemblée nationale a voté, à l’unanimité, une Résolution « sur l’attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte ». Par cette Résolution, l’Assemblée nationale : « (...) 1. Considère que les pratiques radicales attentatoires à la dignité et à l’égalité entre les hommes et les femmes, parmi lesquelles le port d’un voile intégral, sont contraires aux valeurs de la République ; Affirme que l’exercice de la liberté d’expression, d’opinion ou de croyance ne saurait être revendiquée par quiconque afin de s’affranchir des règles communes au mépris des valeurs, des droits et des devoirs qui fondent la société ; Réaffirme solennellement son attachement au respect des principes de dignité, de liberté, d’égalité et de fraternité entre les êtres humains ; Souhaite que la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes soient une priorité des politiques publiques menées en matière d’égalité des chances, en particulier au sein de l’éducation nationale ; Estime nécessaire que tous les moyens utiles soient mis en œuvre pour assurer la protection effective des femmes qui subissent des violences ou des pressions, et notamment sont contraintes de porter un voile intégral. » e) Le projet de loi Le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public a été déposé en mai 2010, le Gouvernement ayant jugé que les autres options (la médiation et la résolution parlementaire) n’étaient pas suffisamment efficaces, et considéré qu’une interdiction limitée à certains lieux ou circonstances n’aurait pas été adaptée à la défense des principes en cause et aurait été difficile à mettre en œuvre (Projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, étude d’impact, mai 2010). Le projet de loi contient un « exposé des motifs » ainsi rédigé : « La France n’est jamais autant elle-même, fidèle à son histoire, à sa destinée, à son image, que lorsqu’elle est unie autour des valeurs de la République : la liberté, l’égalité, la fraternité. Ces valeurs sont le socle de notre pacte social ; elles garantissent la cohésion de la Nation ; elles fondent le respect de la dignité des personnes et de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce sont ces valeurs qui sont aujourd’hui remises en cause par le développement de la dissimulation du visage dans l’espace public, en particulier par la pratique du port du voile intégral. Cette question a donné lieu, depuis près d’un an, à un vaste débat public. Le constat, éclairé par les auditions et le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale, est unanime. Même si le phénomène reste pour l’instant limité, le port du voile intégral est la manifestation communautariste d’un rejet des valeurs de la République. Revenant à nier l’appartenance à la société des personnes concernées, la dissimulation du visage dans l’espace public est porteuse d’une violence symbolique et déshumanisante, qui heurte le corps social. L’édiction de mesures ponctuelles a été évoquée, qui se traduiraient par des interdictions partielles limitées à certains lieux, le cas échéant à certaines époques ou à l’usage de certains services. Une telle démarche, outre qu’elle se heurterait à d’extrêmes difficultés d’application ne constituerait qu’une réponse insuffisante, indirecte et détournée au vrai problème. Si la dissimulation volontaire et systématique du visage pose problème, c’est parce qu’elle est tout simplement contraire aux exigences fondamentales du « vivre ensemble » dans la société française. La défense de l’ordre public ne se limite pas à la préservation de la tranquillité, de la salubrité ou de la sécurité. Elle permet également de prohiber des comportements qui iraient directement à l’encontre de règles essentielles au contrat social républicain, qui fonde notre société. La dissimulation systématique du visage dans l’espace public, contraire à l’idéal de fraternité, ne satisfait pas davantage à l’exigence minimale de civilité nécessaire à la relation sociale. Par ailleurs, cette forme de réclusion publique, quand bien même elle serait volontaire ou acceptée, constitue à l’évidence une atteinte au respect de la dignité de la personne. Au reste, il ne s’agit pas seulement de la dignité de la personne ainsi recluse, mais également de celle des personnes qui partagent avec elle l’espace public et se voient traitées comme des personnes dont on doit se protéger par le refus de tout échange, même seulement visuel. Enfin, dans le cas du voile intégral, porté par les seules femmes, cette atteinte à la dignité de la personne va de pair avec la manifestation publique d’un refus ostensible de l’égalité entre les hommes et les femmes, dont elle est la traduction. Consulté sur les instruments juridiques dont disposeraient les pouvoirs publics pour enrayer le développement de ce phénomène, le Conseil d’État a envisagé une approche fondée sur une conception renouvelée de l’ordre public, pris dans sa dimension « non matérielle ». S’il l’a estimée juridiquement trop novatrice, c’est après avoir toutefois relevé que certaines décisions de justice y font écho, notamment celle par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que les conditions d’une « vie familiale normale » garanties aux étrangers résidant en France pouvaient valablement exclure la polygamie, ou encore la jurisprudence du Conseil d’État lui-même qui permet de prohiber certaines pratiques, même consenties, lorsqu’elles sont contraires à la dignité de la personne. Il doit spécialement en aller ainsi lorsque la pratique en cause, comme c’est le cas de la dissimulation du visage, ne saurait être regardée comme inséparable de l’exercice d’une liberté fondamentale. Ce sont les principes mêmes de notre pacte social, solennellement rappelés par l’Assemblée nationale lors de l’adoption à l’unanimité, le 11 mai 2010, de la résolution sur l’attachement au respect des valeurs républicaines, qui interdisent que quiconque soit enfermé en lui-même, coupé des autres tout en vivant au milieu d’eux. La pratique de la dissimulation du visage qui peut au surplus être dans certaines circonstances un danger pour la sécurité publique, n’a donc pas sa place sur le territoire de la République. L’inaction des pouvoirs publics témoignerait d’un renoncement inacceptable à défendre les principes qui fondent notre pacte républicain. C’est au nom de ces principes que le présent projet de loi prévoit d’inscrire dans notre droit, à l’issue d’un indispensable temps d’explication et de pédagogie, cette règle essentielle de la vie en société selon laquelle « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». » La délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a donné son soutien au projet (rapport d’information enregistré le 23 juin 2010 ; no 2646) et la Commission des lois a rendu un rapport favorable (enregistré le 23 juin 2010 ; no 2648). Le projet de loi a été adopté par l’Assemblée nationale, le 13 juillet 2010, par trois cent trente-cinq voix contre une et trois abstentions, et par le Sénat, le 14 septembre 2010, par deux cent quarante-six voix contre une. Après la décision du Conseil constitutionnel du 7 octobre 2010 constatant que la loi était conforme à la Constitution (paragraphe 30, ci-dessous), la loi fut promulguée le 11 octobre 2010. Les dispositions pertinentes de la loi no 2010-1192 Les articles 1 à 3 (en vigueur depuis le 11 avril 2011) de la loi no 20101192 du 11 octobre 2010 « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public » sont ainsi libellés : Article 1 « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. » Article 2 « I. Pour l’application de l’article 1er, l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public. II. L’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles. » Article 3 « La méconnaissance de l’interdiction édictée à l’article 1er est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe [soit 150 euros au maximum]. L’obligation d’accomplir le stage de citoyenneté mentionné au 8o de l’article 131-16 du code pénal peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d’amende. » Les modalités de la peine de stage de citoyenneté sont prévues par les articles R. 131-35 à R. 131-44 du code pénal. Ce stage a pour objet de rappeler au condamné les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité de la personne humaine et de lui faire prendre conscience de sa responsabilité pénale et civile ainsi que des devoirs qu’implique la vie en société ; il vise également à favoriser son insertion sociale (article R. 13135). La loi no 2010-1192 (article 4) a par ailleurs introduit la disposition suivante dans le code pénal : Article 225-4-10 « Le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. Lorsque le fait est commis au préjudice d’un mineur, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende. » B. La décision du Conseil constitutionnel du 7 octobre 2010 Saisi le 14 septembre 2010 par le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a déclaré la loi no 2010-1192 conforme à la Constitution tout en formulant une réserve (considérant 5), par une décision du 7 octobre 2010 (no 2010-613 DC) ainsi rédigée : « (...) 3. Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » ; qu’aux termes de son article 5 : « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas » ; qu’aux termes de son article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » ; qu’enfin, aux termes du troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme » ; Considérant que les articles 1er et 2 de la loi déférée ont pour objet de répondre à l’apparition de pratiques, jusqu’alors exceptionnelles, consistant à dissimuler son visage dans l’espace public ; que le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu’il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ; qu’en adoptant les dispositions déférées, le législateur a ainsi complété et généralisé des règles jusque-là réservées à des situations ponctuelles à des fins de protection de l’ordre public ; Considérant qu’eu égard aux objectifs qu’il s’est assignés et compte tenu de la nature de la peine instituée en cas de méconnaissance de la règle fixée par lui, le législateur a adopté des dispositions qui assurent, entre la sauvegarde de l’ordre public et la garantie des droits constitutionnellement protégés, une conciliation qui n’est pas manifestement disproportionnée ; que, toutefois, l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public ne saurait, sans porter une atteinte excessive à l’article 10 de la Déclaration de 1789, restreindre l’exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public ; que, sous cette réserve, les articles 1er à 3 de la loi déférée ne sont pas contraires à la Constitution ; Considérant que l’article 4 de la loi déférée, qui punit d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende le fait d’imposer à autrui de dissimuler son visage, et ses articles 5 à 7, relatifs à son entrée en vigueur et à son application, ne sont pas contraires à la Constitution, (...) ». C. La circulaire du Premier ministre du 2 mars 2011 Publiée au journal officiel le 3 mars 2011, la circulaire du Premier ministre du 2 mars 2011 relative à la mise en œuvre de la loi no 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public contient les indications suivantes : « (...) I. Le champ d’application de la loi Les éléments constitutifs de la dissimulation du visage dans l’espace public La dissimulation du visage dans l’espace public est interdite à compter du 11 avril 2011 sur l’ensemble du territoire de la République, en métropole comme en outre-mer. Cette infraction est constituée dès lors qu’une personne porte une tenue destinée à dissimuler son visage et qu’elle se trouve dans l’espace public ; ces deux conditions sont nécessaires et suffisantes. a) La dissimulation du visage La portée de l’interdiction Les tenues destinées à dissimuler le visage sont celles qui rendent impossible l’identification de la personne. Il n’est pas nécessaire, à cet effet, que le visage soit intégralement dissimulé. Sont notamment interdits, sans prétendre à l’exhaustivité, le port de cagoules, de voiles intégraux (burqa, niqab...), de masques ou de tout autre accessoire ou vêtement ayant pour effet, pris isolément ou associé avec d’autres, de dissimuler le visage. Dès lors que l’infraction est une contravention, l’existence d’une intention est indifférente : il suffit que la tenue soit destinée à dissimuler le visage. Les exceptions légales L’article 2 de la loi prévoit plusieurs exceptions à l’interdiction de la dissimulation du visage. En premier lieu, l’interdiction ne s’applique pas « si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires ». Il s’agit par exemple de l’article L. 431-1 du code de la route qui impose le port du casque aux conducteurs de deux-roues à moteur. En deuxième lieu, l’interdiction ne s’applique pas « si la tenue est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels ». Les motifs professionnels concernent notamment le champ couvert par l’article L. 4122-1 du code du travail aux termes duquel « les instructions de l’employeur précisent, en particulier lorsque la nature des risques le justifie, les conditions d’utilisation des équipements de travail, des moyens de protection, des substances et préparations dangereuses. Elles sont adaptées à la nature des tâches à accomplir ». Enfin, l’interdiction ne s’applique pas « si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles ». Ainsi les processions religieuses, dès lors qu’elles présentent un caractère traditionnel, entrent dans le champ des exceptions à l’interdiction posée par l’article 1er. Au titre des pratiques sportives figurent les protections du visage prévues dans plusieurs disciplines. Les dispositions de la loi du 11 octobre 2010 s’appliquent sans préjudice des dispositions qui interdisent ou réglementent, par ailleurs, le port de tenues dans certains services publics et qui demeurent en vigueur. Il en est ainsi de la loi no 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics (article L. 141-5-1 du code de l’éducation nationale et circulaire d’application du 18 mai 2004). Demeurent également applicables la charte du patient hospitalisé, annexée à la circulaire du 2 mars 2006 relative aux droits des patients hospitalisés, et la circulaire du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé. b) La définition de l’espace public L’article 2 de la loi précise que « l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public ». La notion de voies publiques n’appelle pas de commentaire. Il convient de préciser qu’à l’exception de ceux affectés aux transports en commun les véhicules qui empruntent les voies publiques sont considérés comme des lieux privés. La dissimulation du visage, par une personne se trouvant à bord d’une voiture particulière, n’est donc pas constitutive de la contravention prévue par la loi. Elle peut en revanche tomber sous le coup des dispositions du code de la route prévoyant que la conduite du véhicule ne doit pas présenter de risque pour la sécurité publique. Constituent des lieux ouverts au public les lieux dont l’accès est libre (plages, jardins publics, promenades publiques ...) ainsi que les lieux dont l’accès est possible, même sous condition, dans la mesure où toute personne qui le souhaite peut remplir cette condition (paiement d’une place de cinéma ou de théâtre par exemple). Les commerces (cafés, restaurants, magasins), les établissements bancaires, les gares, les aéroports et les différents modes de transport en commun sont ainsi des espaces publics. Les lieux affectés à un service public désignent les implantations de l’ensemble des institutions, juridictions et administrations publiques ainsi que des organismes chargés d’une mission de service public. Sont notamment concernés les diverses administrations et établissements publics de l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les mairies, les tribunaux, les préfectures, les hôpitaux, les bureaux de poste, les établissements d’enseignement (écoles, collèges, lycées et universités), les caisses d’allocations familiales, les caisses primaires d’assurance maladie, les services de Pôle emploi, les musées et les bibliothèques. L’absence de restriction à l’exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte Lorsqu’ils sont ouverts au public, les lieux de culte entrent dans le champ d’application de la loi. Le Conseil constitutionnel a toutefois précisé que « l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public ne saurait, sans porter une atteinte excessive à l’article 10 de la Déclaration de 1789, restreindre l’exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public ». La sanction de la dissimulation du visage L’article 3 de la loi prévoit que la méconnaissance de l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe (d’un montant maximal de 150 euros). Le prononcé de cette amende relève de la compétence des juridictions de proximité. L’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté peut également être prononcée par les mêmes juridictions, à titre de peine alternative ou de peine complémentaire. Le stage de citoyenneté, adapté à la nature de l’infraction commise, doit notamment permettre de rappeler aux personnes concernées les valeurs républicaines d’égalité et de respect de la dignité humaine. La sanction de l’exercice d’une contrainte La dissimulation du visage constatée dans l’espace public peut résulter d’une contrainte exercée contre la personne concernée et révéler la commission par un tiers du délit de dissimulation forcée du visage. Ce délit, prévu à l’article 4 de la loi (créant un nouvel article 225-4-10 du code pénal), est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Lorsque le fait est commis au préjudice d’une personne mineure, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende. La répression de ces agissements participe de la volonté des pouvoirs publics de lutter vigoureusement contre toutes les formes de discriminations et de violences envers les femmes, qui constituent autant d’atteintes inacceptables au principe d’égalité entre les sexes. II. La conduite à tenir dans les services publics a) Le rôle du chef de service Dans le cadre des pouvoirs qu’il détient pour assurer le bon fonctionnement de son administration, le chef de service est responsable du respect des dispositions de la loi du 11 octobre 2010 et des mesures mises en œuvre, en particulier l’actualisation des règlements intérieurs, pour assurer son application. Il lui appartient de présenter et d’expliquer l’esprit et l’économie de la loi aux agents placés sous son autorité, afin que ces derniers se conforment à ses dispositions et puissent veiller, dans les meilleures conditions, à son respect par les usagers du service public. Il lui appartient également de veiller à ce que l’information adéquate prévue par le Gouvernement sous la forme d’affiches et de dépliants soit mise en place dans les locaux accueillant du public ou ouverts au public. b) Le contrôle de l’accès aux lieux affectés au service public À compter du 11 avril 2011, les agents chargés d’un service public, qui pouvaient déjà être conduits à demander à une personne de se découvrir ponctuellement pour justifier de son identité, seront fondés à refuser l’accès au service à toute personne dont le visage est dissimulé. Dans le cas où la personne dont le visage est dissimulé serait déjà entrée dans les locaux, il est recommandé aux agents de lui rappeler la réglementation applicable et de l’inviter au respect de la loi, en se découvrant ou en quittant les lieux. La dissimulation du visage fait obstacle à la délivrance des prestations du service public. En revanche, la loi ne confère en aucun cas à un agent le pouvoir de contraindre une personne à se découvrir ou à sortir. L’exercice d’une telle contrainte constituerait une voie de fait et exposerait son auteur à des poursuites pénales. Elle est donc absolument proscrite. En face d’un refus d’obtempérer, l’agent ou son chef de service doit faire appel aux forces de la police ou de la gendarmerie nationales, qui peuvent seules constater l’infraction, en dresser procès-verbal et procéder, le cas échéant, à la vérification de l’identité de la personne concernée. Des instructions particulières sont adressées à cet effet par le ministre de l’intérieur aux agents de la force publique. Le refus d’accès au service ne pourra faire l’objet d’aménagements que pour tenir compte de situations particulières d’urgence, notamment médicales. III. L’information du public La période précédant l’entrée en vigueur de l’interdiction de la dissimulation du visage doit être mise à profit pour assurer, selon des modalités adaptées, l’information du public. a) L’information générale Une affiche, distribuée sous format papier ou en version électronique par les ministères à destination de leurs réseaux respectifs, devra être apposée, de manière visible, dans les lieux ouverts au public ou affectés à un service public. Cette affiche énonce que « la République se vit à visage découvert » et que l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public entre en vigueur à compter du 11 avril 2011. Cette affiche pourra être complétée, au bénéfice des personnes qui souhaitent disposer d’informations plus précises sur les dispositions de la loi, par un dépliant diffusé dans les services sous la même forme et selon les mêmes voies que l’affiche. À l’attention des voyageurs souhaitant se rendre en France, ce dépliant sera également disponible en langues anglaise et arabe dans les postes consulaires français à l’étranger. Ces deux documents d’information générale seront également accessibles à l’adresse internet www.visage-decouvert.gouv.fr et complétés sur ce site par une rubrique destinée à apporter des réponses complémentaires aux questions soulevées par l’application de la loi. b) L’information des personnes directement concernées par la dissimulation du visage Un dispositif d’information des personnes concernées a été préparé par le ministère de la ville, en coordination avec le ministère des solidarités et de la cohésion sociale et le ministère de l’intérieur. Ce plan d’information, de sensibilisation et d’accompagnement particulier a pour objet de donner toutes ses chances au dialogue, afin d’amener la petite minorité des personnes qui se dissimulent le visage à respecter l’interdiction posée par le législateur. Ce dialogue n’est pas une négociation ; il a vocation, par un travail d’explication, à amener les personnes concernées à renoncer d’elles-mêmes à une pratique qui heurte les valeurs de la République. Ce dispositif, qui fait l’objet d’instructions particulières du ministre de la ville, s’appuie notamment sur les associations et les réseaux de proximité en charge des droits des femmes, en particulier le réseau des centres d’information des droits des femmes (CDIFF), les 300 « délégués du préfet » et les adultes relais travaillant dans les quartiers. Sont également mobilisés l’ensemble des acteurs de la médiation sociale, notamment les médiateurs de l’éducation nationale. L’objectif est de proposer aux personnes qui se dissimulent le visage une information complète sur la loi et un accompagnement personnalisé. (...) » D. Autres circulaires Le 11 mars 2011, le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a pris une circulaire « relative à la présentation des dispositions relatives à la contravention de dissimulation du visage dans l’espace public ». Elle est adressée, pour attribution, aux procureurs généraux près les cours d’appel, procureurs de la République près les tribunaux supérieurs d’appel et procureurs de la République et, pour information, aux premiers présidents des cours d’appel et aux présidents des tribunaux supérieurs d’appel et présidents des tribunaux de grande instance notamment. La circulaire procède à une présentation de la contravention de dissimulation du visage dans l’espace public. Elle contient également des indications sur la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions répressives, relatives à la politique d’action publique dans la constatation et la poursuite de la contravention et à l’organisation des stages de citoyenneté. Le 31 mars 2011, le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, a adressé aux préfets de police, préfets et hauts-commissaires de la République, une circulaire destinée à « donner des instructions aux agents relevant [de ce ministère], et en particulier aux forces de sécurité intérieure, pour l’application de la loi du 11 octobre 2010 ». Elle contient notamment des indications sur la notion de dissimulation du visage et sur les lieux dans lesquels l’interdiction s’applique, soulignant en particulier qu’une personne qui se trouve dans un lieu de culte pour la pratique de la religion ne doit pas être verbalisée et « recommand[ant] aux forces de sécurité intérieures d’éviter toute intervention à proximité immédiate d’un lieu de culte qui pourrait être interprétée comme une restriction indirecte à la liberté de culte ». E. L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 5 mars 2013 La Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi (no 12-808091) contre un jugement de la juridiction de proximité de Paris du 12 décembre 2011, qui condamnait une femme à effectuer un stage de citoyenneté d’une durée de quinze jour pour avoir porté le voile intégral dans le but de protester contre l’adoption de la loi du 11 octobre 2010 lors d’une manifestation organisée à cette fin devant le Palais de l’Elysée. Examinant le moyen développé par l’intéressée sur le terrain de l’article 9 de la Convention, la chambre criminelle a, le 5 mars 2013, jugé ce qui suit : « (...) si c’est à tort que la juridiction de proximité a ignoré la motivation religieuse de la manifestation considérée, le jugement n’encourt pas la censure dès lors que, si l’article 9 de la Convention (...) garantit l’exercice de la liberté de pensée, de conscience et de religion, l’alinéa 2 de ce texte dispose que cette liberté peut faire l’objet de restrictions prévues par la loi et constituant, dans une société démocratique, des mesures nécessaires à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ; (...) tel est le cas de la loi interdisant la dissimulation intégrale du visage dans l’espace public en ce qu’elle vise à protéger l’ordre et la sécurité publics en imposant à toute personne circulant dans un espace public, de montrer son visage ; (...) ». III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS A. La Résolution 1743 (2010) et la Recommandation 1927 (2010) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et le point de vue du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe La Résolution 1743 (2010) et la Recommandation 1927 (2010) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur l’islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe Adoptée le 23 juin 2010, la Résolution 1743 (2010) souligne notamment ce qui suit : « (...) 14. Rappelant sa Résolution 1464 (2005) sur les femmes et la religion en Europe, l’Assemblée invite l’ensemble des communautés musulmanes à abandonner toute interprétation traditionnelle de l’islam qui nie l’égalité entre hommes et femmes, et restreint les droits des femmes, à la fois au sein de la famille et dans la vie publique. Cette interprétation n’est pas compatible avec la dignité humaine et les normes démocratiques ; les femmes sont égales en tout aux hommes et doivent être traitées en conséquence, sans exception. La discrimination envers les femmes, qu’elle soit fondée sur des traditions religieuses ou non, est contraire aux articles 8, 9 et 14 de la Convention, à l’article 5 de son Protocole no 7, ainsi qu’à son Protocole no 12. Aucun relativisme religieux ou culturel ne saurait être invoqué pour justifier des violations de la personne humaine. L’Assemblée parlementaire exhorte donc les États membres à prendre toutes les mesures nécessaires pour éradiquer l’islamisme radical et l’islamophobie, dont les femmes sont les premières victimes. À cet égard, le port du voile par les femmes, et surtout le port du voile intégral sous la forme de la burqa ou du niqab, est souvent perçu comme un symbole de soumission des femmes aux hommes, qui restreint le rôle des femmes au sein de la société, limite leur vie professionnelle et entrave leurs activités sociales et économiques. Ni le port du voile intégral par les femmes ni même celui du foulard ne sont admis comme une obligation religieuse par tous les musulmans, mais nombre d’entre eux voient ces pratiques comme une tradition sociale et culturelle. L’Assemblée estime que cette tradition pourrait représenter une menace pour la dignité et la liberté des femmes. Aucune femme ne devrait être contrainte de porter une tenue religieuse par sa communauté ou par sa famille. Tout acte d’oppression, de séquestration ou de violence constitue un crime qui doit être puni par la loi. Les femmes victimes de ces crimes doivent être protégées par les États membres, quel que soit leur statut, et bénéficier de mesures de soutien et de réhabilitation. C’est la raison pour laquelle la possibilité d’interdire le port de la burqa et du niqab est envisagée par les parlements de plusieurs pays d’Europe. L’article 9 de la Convention reconnaît à toute personne le droit de choisir librement de porter ou non une tenue religieuse en privé ou en public. Les restrictions légales imposées à cette liberté peuvent se justifier lorsqu’elles s’avèrent nécessaires dans une société démocratique, notamment pour des raisons de sécurité ou lorsque les fonctions publiques ou professionnelles d’une personne lui imposent de faire preuve de neutralité religieuse ou de montrer son visage. Toutefois, l’interdiction générale du port de la burqa et du niqab dénierait aux femmes qui le souhaitent librement le droit de couvrir leur visage. De plus, une interdiction générale pourrait avoir un effet contraire, en poussant les familles et la communauté à faire pression sur les femmes musulmanes pour qu’elles restent chez elles et se limitent à entretenir des contacts avec d’autres femmes. Les femmes musulmanes subiraient une exclusion supplémentaire si elles devaient quitter les établissements d’enseignement, se tenir à l’écart des lieux publics et renoncer au travail hors de leur communauté pour ne pas rompre avec leur tradition familiale. L’Assemblée invite, par conséquent, les États membres à élaborer des politiques ciblées, destinées à sensibiliser les femmes musulmanes à leurs droits, à les aider à prendre part à la vie publique, ainsi qu’à leur offrir les mêmes possibilités de mener une vie professionnelle et de parvenir à une indépendance sociale et économique. À cet égard, l’éducation des jeunes femmes musulmanes, de leurs parents et de leur famille est primordiale. Il est en particulier nécessaire de supprimer toute forme de discrimination à l’encontre des filles et de développer l’éducation en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, sans stéréotypes et à tous les niveaux du système d’éducation. (...) ». Dans sa Recommandation 1927 (2010) adoptée le même jour, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe demande notamment au Comité des Ministre du Conseil de l’Europe : « 3.13. d’inviter les États membres à ne pas adopter une interdiction générale du port du voile intégral ou d’autres tenues religieuses ou particulières, mais à protéger les femmes contre toute violence physique et psychologique ainsi que leur libre choix de porter ou non une tenue religieuse ou particulière, et de veiller à ce que les femmes musulmanes aient les mêmes possibilités de prendre part à la vie publique et d’exercer des activités éducatives et professionnelles ; les restrictions légales imposées à cette liberté peuvent être justifiées lorsqu’elles s’avèrent nécessaires dans une société démocratique, notamment pour des raisons de sécurité ou lorsque les fonctions publiques ou professionnelles d’une personne lui imposent de faire preuve de neutralité religieuse ou de montrer son visage ». Le point de vue du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a publié le « point de vue » suivant (« Droits de l’homme en Europe : la complaisance n’a pas sa place. Points de vue de Thomas Hammerberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe » ; éditions du Conseil de l’Europe, 2011, pp. 44-48) : « L’interdiction de la burqa et du niqab ne libérerait pas les femmes opprimées mais pourrait, au contraire, aggraver leur exclusion et leur aliénation dans les sociétés européennes. L’interdiction générale du voile intégral est une mesure bien mal inspirée, portant atteinte à la vie privée. En fonction de sa formulation précise, elle peut en outre poser de sérieux problèmes de compatibilité avec la Convention européenne des droits de l’homme. Deux des droits garantis par la Convention sont en jeu dans ce débat sur la tenue vestimentaire : le droit au respect de la vie privée (article 8) et de l’identité personnelle, et le droit de manifester sa religion ou sa conviction « par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » (article 9). Ces deux articles de la Convention spécifient que les droits qu’ils garantissent ne peuvent faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publics, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Les partisans de l’interdiction générale de la burqa et du niqab n’ont pas réussi à démontrer que ces vêtements portaient atteinte d’une manière ou d’une autre à la démocratie et à la sécurité, à l’ordre ou à la morale publics. Leurs thèses sont d’autant moins convaincantes que le nombre de femmes qui portent ces tenues est très faible. Impossible aussi de prouver que ces femmes sont davantage que d’autres victimes d’une répression tenant à leur condition de femme. Celles qui ont été interviewées par les médias ont expliqué leur choix vestimentaire par divers arguments d’ordre religieux, politique et personnel. Bien sûr, certaines sont peut-être soumises à des pressions mais rien n’indique qu’elles seraient favorables à l’interdiction. Il ne fait pas de doute que le statut de la femme est un problème grave, qui peut se poser de manière particulièrement aiguë dans certains groupes religieux et qu’il ne faut pas éluder. Toutefois, ce n’est pas en interdisant des vêtements, qui ne sont qu’un symptôme, qu’on y parviendra, d’autant plus que ceux-ci ne sont pas toujours l’expression de convictions religieuses mais d’une identité culturelle plus large. À juste titre, nous réagissons fortement contre les régimes qui imposent aux femmes le port de ces vêtements. C’est une mesure inacceptable et foncièrement contraire aux articles de la Convention susmentionnés, mais on ne la combattra pas en interdisant ces tenues dans d’autres pays. Il faut évaluer les conséquences des décisions prises dans ce domaine. Par exemple, la proposition d’interdire la présence de femmes intégralement voilées dans des établissements publics tels que des hôpitaux ou des administrations peut avoir pour seul résultat de dissuader ces femmes de s’y rendre, ce qui est totalement injuste. Il est regrettable qu’en Europe le débat public sur la tenue des femmes et sur les implications de certains vêtements en matière de soumission des femmes ait été presque exclusivement centré sur le caractère musulman du vêtement, ce qui a donné l’impression qu’une religion particulière était visée. On a en outre entendu un certain nombre d’arguments clairement islamophobes qui, c’est sûr, ont empêché d’établir des ponts et n’ont pas favorisé le dialogue. D’ailleurs, cette xénophobie a visiblement pour effet que le port de vêtements dissimulant tout le corps est devenu un moyen de protester contre l’intolérance dans nos sociétés. Le débat maladroit sur l’interdiction de certaines tenues a provoqué des réactions négatives et une polarisation des attitudes. De manière générale, l’État devrait éviter de légiférer sur le code vestimentaire, sauf dans les cas précis prévus par la Convention. Il est néanmoins légitime d’instaurer une réglementation afin que les représentants de l’État, par exemple les policiers, portent une tenue correcte. Dans certains cas, il faut respecter une neutralité totale excluant les symboles d’appartenance religieuse ou politique. Dans d’autres, une société multiethnique et diverse peut souhaiter souligner et refléter sa diversité dans la tenue de ses agents. Il est évident qu’une dissimulation totale du visage peut être problématique dans certaines fonctions ou situations. Parfois, l’intérêt général exige que les individus montrent leur visage pour des raisons de sécurité ou à des fins d’identification. Cela ne prête pas à controverse. Mais dans les faits, aucun problème grave de cet ordre n’a été signalé en ce qui concerne les quelques femmes qui portent la burqa ou le niqab. Un problème connexe a fait débat en Suède. Un sans-emploi de confession musulmane s’est vu supprimer son allocation chômage parce qu’il avait refusé, en invoquant des motifs religieux, de serrer la main d’une femme qui l’avait reçu pour un entretien d’embauche. Un tribunal, auquel l’ombudsman contre la discrimination avait transmis ses conclusions, a estimé que la décision de l’agence pour l’emploi était discriminatoire et que l’homme devait être indemnisé. Bien que conforme aux normes des droits de l’homme, cette décision a fait polémique dans l’opinion publique. Des problèmes de ce type surviendront probablement de plus en plus dans les prochaines années. Il est sain qu’ils donnent lieu à des discussions ouvertes, à condition que l’islamophobie n’y ait pas sa place. Il faudrait toutefois élargir ce débat afin de promouvoir la compréhension entre personnes de coutumes, de cultures et de religions différentes. La diversité et le multiculturalisme sont – et doivent rester – des valeurs européennes essentielles. Cela peut nécessiter de s’interroger davantage sur le sens du mot « respect ». Dans le débat sur les caricatures prétendument antimusulmanes publiées au Danemark en 2005, on a entendu à de nombreuses reprises que le respect des croyants s’opposait à la protection de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour de Strasbourg a analysé cette alternative dans la fameuse affaire Otto-Preminger-Institut c. Autriche : « Ceux qui choisissent d’exercer la liberté de manifester leur religion [...] ne peuvent raisonnablement s’attendre à le faire à l’abri de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs croyances religieuses et même la propagation par autrui de doctrines hostiles à leur foi. » Dans le même arrêt, la Cour indique qu’il faut aussi prendre en compte le risque que le droit des croyants – comme de tout autre individu – au respect de leurs opinions soit violé par des représentations provocatrices d’objets de vénération religieuse. La Cour conclut que « de telles représentations peuvent passer pour une violation malveillante de l’esprit de tolérance, qui doit aussi caractériser une société démocratique ». Politiquement, tout l’enjeu pour l’Europe est de promouvoir la diversité et le respect des croyances d’autrui tout en protégeant la liberté d’expression. Si le port du voile intégral est considéré comme l’expression d’une opinion particulière, alors la question qui se pose ici est celle d’un conflit possible entre des droits similaires ou identiques – bien que considérés sous deux angles totalement différents. L’Europe s’efforce de protéger les traditions de tolérance et de démocratie. Lorsque des conflits concernant des droits opposent des individus ou des groupes, il ne faudrait pas percevoir la situation de manière négative mais plutôt y voir une occasion de célébrer cette richesse qu’est la diversité et de chercher des solutions qui respectent les droits de toutes les parties concernées. À mon avis, l’interdiction de la burqa et du niqab serait une aussi mauvaise chose que l’aurait été la condamnation des caricaturistes danois. Elle ne correspondrait pas aux valeurs européennes. Employons-nous plutôt à promouvoir le dialogue multiculturel et le respect des droits de l’homme. » B. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies Dans son observation générale no 22, relative à l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (liberté de pensée, de conscience et de religion), adoptée le 20 juillet 1993, le Comité des droits de l’homme souligne ce qui suit : « (...) 4. La liberté de manifester une religion ou une conviction peut être exercée « individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé ». La liberté de manifester sa religion ou sa conviction par le culte, l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement englobe des actes très variés. (...) L’accomplissement des rites et la pratique de la religion ou de la conviction peuvent comprendre non seulement des actes cérémoniels, mais aussi des coutumes telles que (...) le port de vêtements ou de couvre-chefs distinctifs (...). Le paragraphe 3 de l’article 18 n’autorise les restrictions apportées aux manifestations de la religion ou des convictions que si lesdites restrictions sont prévues par la loi et sont nécessaires pour protéger la sécurité, l’ordre et la santé publics, ou la morale ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. Aucune restriction ne peut être apportée à la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction en l’absence de toute contrainte ni à la liberté des parents et des tuteurs d’assurer à leurs enfants une éducation religieuse et morale. En interprétant la portée des clauses relatives aux restrictions autorisées, les États parties devraient s’inspirer de la nécessité de protéger les droits garantis en vertu du Pacte, y compris le droit à l’égalité et le droit de ne faire l’objet d’aucune discrimination fondée sur les motifs spécifiés aux articles 2, 3 et 26. Les restrictions imposées doivent être prévues par la loi et ne doivent pas être appliquées d’une manière propre à vicier les droits garantis par l’article 18. Le Comité fait observer que le paragraphe 3 de l’article 18 doit être interprété au sens strict : les motifs de restriction qui n’y sont pas spécifiés ne sont pas recevables, même au cas où ils le seraient, au titre d’autres droits protégés par le Pacte, s’agissant de la sécurité nationale, par exemple. Les restrictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci. Il ne peut être imposé de restrictions à des fins discriminatoires ni de façon discriminatoire. Le Comité fait observer que la conception de la morale découle de nombreuses traditions sociales, philosophiques et religieuses; en conséquence, les restrictions apportées à la liberté de manifester une religion ou une conviction pour protéger la morale doivent être fondées sur des principes qui ne procèdent pas d’une tradition unique. Les personnes déjà soumises à certaines contraintes légitimes, telles que les prisonniers, continuent de jouir de leur droit de manifester leur religion ou leurs convictions dans toute la mesure compatible avec la nature de ces contraintes. Dans leurs rapports, les États parties devraient donner des informations détaillées sur la portée et les effets des restrictions prévues au paragraphe 3 de l’article 18 et appliquées tant dans le cadre de la loi que dans des circonstances particulières. (...) ». Il indique également ceci dans son observation générale no 28, relative à l’article 3 (égalité des droits entre hommes et femmes), adoptée le 29 mars 2000 : « (...) 13. [Les règles vestimentaires imposées aux femmes dans les lieux publics] peuvent constituer une violation de plusieurs droits garantis par le Pacte, comme par exemple l’article 26, relatif à la non-discrimination ; l’article 7, au cas où un châtiment corporel est prévu pour imposer ce type de règles ; l’article 9, lorsque le non-respect de la règle est puni par la mise en état d’arrestation ; l’article 12, si la liberté de mouvement est subordonnée à pareille contrainte ; l’article 17, qui stipule que nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée ; les articles 18 et 19, lorsque les femmes sont soumises à des règles vestimentaires qui ne sont pas conformes à leur religion ou ne respectent pas leur droit à l’expression ; et enfin, l’article 27, lorsque les règles vestimentaires sont en contradiction avec la culture dont la femme peut se prévaloir. (...) ». Le Comité des droits de l’homme a également adopté des observations générales sur la liberté de circulation (observation générale no 27) et sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression (observation générale no 34). Le Comité des droits de l’homme a par ailleurs examiné plusieurs affaires dans lesquelles des individus dénonçaient des mesures restreignant le port d’habits ou signes ayant une connotation religieuse. Il a par exemple conclu, « en l’absence de justification fournie par l’État partie », à la violation de l’article 18 § 2 du Pacte dans le cas de l’exclusion d’une étudiante de l’université où elle était inscrite en raison de son refus d’ôter le hijab (foulard) qu’elle portait pour se conformer à ses croyances (Raihon Hudoyberganova c. Ouzbékistan, communication no 931/2000, 18 janvier 2005). Il ne s’est toutefois pas à ce jour prononcé sur la question de l’interdiction générale du port du voile intégral en public. IV. LA SITUATION DANS D’AUTRES PAYS EUROPÉENS À ce jour, seule la Belgique a adopté une loi comparable à la loi française du 11 octobre 2010, que la Cour constitutionnelle a jugée compatible avec le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (paragraphes 41-42 ci-dessous). Cependant, la question de l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public est ou a été débattue dans plusieurs autres États européens. Une interdiction générale demeure envisagée dans certains. Ainsi, notamment, un projet de loi dans ce sens a été déposé en Italie ; s’il n’a pas abouti à ce jour, il semble que la discussion n’est pas close. En Suisse, l’Assemblée fédérale a rejeté en septembre 2012 une initiative du canton d’Argovie tendant à interdire le port dans les lieux publics de vêtements couvrant l’intégralité ou une grande partie du visage, mais les Tessinois ont voté le 23 septembre 2013 pour une interdiction de ce type (le texte doit toutefois être validé par l’Assemblée fédérale). Cette option est également discutée aux Pays-Bas, nonobstant des avis défavorables du Conseil d’État (paragraphes 49-52 ci-dessous). Il convient de plus de relever que le Tribunal suprême espagnol s’est prononcé sur la légalité d’une interdiction de cette nature (paragraphes 42-47). A. La loi belge du 1er juin 2011 et l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Belgique du 6 décembre 2012 Une loi « visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage » a été adoptée en Belgique le 1er juin 2011. Elle a inséré la disposition suivante dans le code pénal : « Art. 563bis. Seront punis d’une amende de quinze euros à vingt-cinq euros et d’un emprisonnement d’un jour à sept jours ou d’une de ces peines seulement, ceux qui, sauf dispositions légales contraires, se présentent dans les lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie, de manière telle qu’ils ne soient pas identifiables. Toutefois, ne sont pas visés par l’alinéa 1er, ceux qui circulent dans les lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie de manière telle qu’ils ne soient pas indentifiables et ce, en vertu de règlements de travail ou d’une ordonnance de police à l’occasion de manifestations festives. » Cette loi a fait l’objet de recours en annulation devant la Cour constitutionnelle sur le fondement notamment de l’article 9 de la Convention. La Cour constitutionnelle a rejeté ces recours par un arrêt du 6 décembre 2012, retenant en particulier ce qui suit : « (...) B.17. Il ressort de l’exposé de la proposition qui est à l’origine de la loi attaquée (...) que le législateur a entendu défendre un modèle de société qui fait prévaloir l’individu sur ses attaches philosophiques, culturelles et religieuses en vue de favoriser l’intégration de tous et faire en sorte que les citoyens partagent un patrimoine commun de valeurs fondamentales que sont le droit à la vie, le droit à la liberté de conscience, la démocratie, l’égalité de l’homme et de la femme ou encore la séparation de l’Église et de l’État. (...) les travaux préparatoires de la loi attaquée font apparaître que trois objectifs ont été poursuivis : la sécurité publique, l’égalité entre l’homme et la femme et une certaine conception du « vivre ensemble » dans la société. B.18. De tels objectifs sont légitimes et entrent dans la catégorie de ceux énumérés à l’article 9 de la Convention (...) que constituent le maintien de la sûreté publique, la défense de l’ordre ainsi que la protection des droits et libertés d’autrui. B.19. La Cour doit encore examiner si les conditions de nécessité dans une société démocratique et de proportionnalité par rapport aux objectifs légitimes poursuivis sont remplies. B.20.1. Il ressort des travaux préparatoires de la loi attaquée que l’interdiction du port d’un vêtement dissimulant le visage a notamment été dictée par des raisons de sécurité publique. À cet égard, ces travaux font état de la commission d’infractions par des personnes dont le visage était dissimulé (...). B.20.2. L’article 34, § 1er, de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police habilite les fonctionnaires de police à contrôler l’identité de toute personne s’ils ont des motifs raisonnables de croire, en fonction de son comportement, d’indices matériels ou de circonstances de temps et de lieu, qu’elle est recherchée, qu’elle a tenté de commettre une infraction ou se prépare à la commettre, qu’elle pourrait troubler l’ordre public ou qu’elle l’a troublé. Ce contrôle d’identité pourrait être entravé si la personne concernée avait le visage dissimulé et refusait de coopérer à un tel contrôle. En outre, les personnes qui ont le visage dissimulé ne seraient en général pas ou difficilement reconnaissables si elles commettaient des infractions ou troublaient l’ordre public. B.20.3. Ce n’est pas non plus parce qu’un comportement n’aurait pas encore pris une ampleur de nature à mettre l’ordre social ou la sécurité en péril que le législateur ne serait pas autorisé à intervenir. Il ne peut lui être reproché d’anticiper en temps utile un tel risque en réprimant des comportements lorsqu’il est établi que la généralisation de ceux-ci entraînerait un danger réel. B.20.4. Compte tenu de ce qui précède, le législateur pouvait estimer que l’interdiction de dissimuler le visage dans les lieux accessibles au public est nécessaire pour des raisons de sécurité publique. B.21. Le législateur a également motivé son intervention par une certaine conception du « vivre ensemble » dans une société fondée sur des valeurs fondamentales qui, à son estime, en découlent. L’individualité de tout sujet de droit d’une société démocratique ne peut se concevoir sans que l’on puisse percevoir son visage, qui en constitue un élément fondamental. Compte tenu des valeurs essentielles qu’il entend défendre, le législateur a pu considérer que la circulation dans la sphère publique, qui concerne par essence la collectivité, de personnes dont cet élément fondamental de l’individualité n’apparaît pas, rend impossible l’établissement de rapports humains indispensables à la vie en société. Si le pluralisme et la démocratie impliquent la liberté de manifester ses convictions notamment par le port de signes religieux, l’État doit veiller aux conditions dans lesquelles ces signes sont portés et aux conséquences que le port de ces signes peut avoir. Dès lors que la dissimulation du visage a pour conséquence de priver le sujet de droit, membre de la société, de toute possibilité d’individualisation par le visage alors que cette individualisation constitue une condition fondamentale liée à son essence même, l’interdiction de porter dans les lieux accessibles au public un tel vêtement, fût-il l’expression d’une conviction religieuse, répond à un besoin social impérieux dans une société démocratique. B.22. Quant à la dignité de la femme, ici encore, le législateur a pu considérer que les valeurs fondamentales d’une société démocratique s’opposent à ce que des femmes soient contraintes de dissimuler leur visage sous la pression de membres de leur famille ou de leur communauté et soient privées ainsi, contre leur gré, de la liberté de disposer d’elles-mêmes. B.23. Toutefois, (...) le port du voile intégral peut correspondre à l’expression d’un choix religieux. Ce choix peut être guidé par diverses motivations aux significations symboliques multiples. Même lorsque le port du voile intégral résulte d’un choix délibéré dans le chef de la femme, l’égalité des sexes, que le législateur considère à juste titre comme une valeur fondamentale de la société démocratique, justifie que l’État puisse s’opposer, dans la sphère publique, à la manifestation d’une conviction religieuse par un comportement non conciliable avec ce principe d’égalité entre l’homme et la femme. Comme la Cour l’a relevé en B.21, le port d’un voile intégral dissimulant le visage prive, en effet, la femme, seule destinataire de ce prescrit, d’un élément fondamental de son individualité, indispensable à la vie en société et à l’établissement de liens sociaux. B.24. La Cour doit encore examiner si le recours à une sanction de nature pénale en vue de garantir le respect de l’interdiction que la loi prévoit n’a pas des effets disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis. B.25.1. La disposition attaquée a été insérée dans le Code pénal, dans la catégorie des contraventions de quatrième classe, et prévoit une peine d’amende de quinze à vingt-cinq euros et un emprisonnement d’un jour à sept jours ou une de ces peines seulement. En application des articles 564 et 565 du Code pénal, lorsque le contrevenant a déjà été condamné, dans les douze mois précédents, pour la même contravention, le tribunal est autorisé à prononcer, indépendamment de l’amende, un emprisonnement pendant douze jours au plus. L’article 566 du même Code permet la réduction de l’amende au-dessous de cinq euros, sans qu’elle puisse, en aucun cas, être inférieure à un euro lorsqu’il existe des circonstances atténuantes. (...) B.28. Dès lors que l’individualisation des personnes, dont le visage est un élément fondamental, constitue une condition essentielle au fonctionnement d’une société démocratique dont chaque membre est un sujet de droit, le législateur a pu considérer que dissimuler son visage pouvait mettre en péril le fonctionnement de la société ainsi conçue et devait, partant, être pénalement réprimé. B.29.1. Sous réserve de ce qui est mentionné en B.30, en ce qu’elle s’adresse aux personnes qui, librement et volontairement, dissimulent leur visage dans les lieux accessibles au public, la mesure attaquée n’a pas d’effets disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis dès lors que le législateur a opté pour la sanction pénale la plus légère. La circonstance que la peine puisse être plus lourde en cas de récidive ne mène pas à une autre conclusion. Le législateur a pu, en effet, estimer que le contrevenant qui est condamné pour un comportement pénalement réprimé ne réitérera pas ce comportement, sous la menace d’une sanction plus lourde. B.29.2. Pour le surplus, il y a lieu d’observer, en ce qui concerne les personnes qui dissimuleraient leur visage sous la contrainte, que l’article 71 du Code pénal prévoit qu’il n’y a pas d’infraction lorsque l’auteur des faits a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. B.30. La loi attaquée prévoit une sanction pénale à l’égard de toute personne qui, sauf dispositions légales contraires, se présente le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie de manière telle qu’elle ne soit pas identifiable, dès lors qu’il s’agit de lieux accessibles au public. Il serait manifestement déraisonnable de considérer que ces lieux doivent s’entendre comme incluant les lieux destinés au culte. Le port de vêtements correspondant à l’expression d’un choix religieux, tels que le voile qui couvre intégralement le visage dans de tels lieux, ne pourrait faire l’objet de restrictions sans que cela porte atteinte de manière disproportionnée à la liberté de manifester ses convictions religieuses. B.31. Sous réserve de cette interprétation, [le moyen n’est pas fondé] . (...) ». B. L’arrêt du Tribunal suprême espagnol du 6 février 2013 Le 8 octobre 2010, l’Ayuntamiento (mairie) de Lérida – à l’instar d’autres mairies – a adopté un amendement à l’ordenanza municipal de civismo y convivencia (règlement municipal général sur le civisme et la vie ensemble), autorisant des reglamentos (règlements spécifiques) à limiter ou interdire l’accès aux espaces ou locaux municipaux dédiés au service public aux personnes portant le voile intégral, des passe-montagnes, des casques intégraux ou d’autres vêtements ou accessoires qui empêchent ou gênent l’identification et la communication visuelle. Le même jour, elle a modifié dans ce sens ses règlements spécifiques relatifs aux archives municipales, aux locaux municipaux et aux transports en commun. Invoquant notamment l’article 16 de la Constitution – relatif à la liberté d’opinion, de religion et de culte – et se référant à l’article 9 de la Convention, une association a vainement saisi le Tribunal supérieur de Justice de Catalogne d’un recours en annulation. Statuant en cassation, le Tribunal suprême a cassé l’arrêt du Tribunal supérieur de Justice de Catalogne et annulé les modifications apportées au règlement municipal général et aux règlements spécifiques relatifs aux archives municipales et aux locaux municipaux. Dans son arrêt du 6 février 2013 (no 693/2013 ; pourvoi no 4118/2011), il rappelle tout d’abord qu’en droit constitutionnel espagnol, les droits fondamentaux ne peuvent être limités que par une loi au sens formel. Il considère ensuite que c’est à tort que le Tribunal supérieur de Justice de Catalogne a retenu que ces limitations poursuivaient des buts légitimes et étaient nécessaires dans une société démocratique, tout en précisant qu’il n’entendait pas préjuger d’une éventuelle intervention législative. Sur le premier point, il estime que, contrairement aux conclusions de cette juridiction, on ne peut retenir au titre des « buts légitimes », la protection de la « tranquillité publique », de la « sécurité publique » ou de l’ » ordre public » dans la mesure où il n’est pas démontré que le port du voile intégral porte atteinte à ces intérêts. Il considère qu’il en va de même de la « protection des droits et liberté d’autrui » puisque le terme « autrui » ne vise pas la personne qui subit une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la liberté de religion mais vise des tiers. Sur le second point, il marque son désaccord avec la conclusion du Tribunal supérieur de Justice de Catalogne selon laquelle, qu’il soit ou non volontaire, le port du voile intégral se concilie difficilement avec le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, lequel s’inscrit parmi les valeurs des sociétés démocratiques. Le Tribunal suprême estime en effet que le caractère volontaire on non du port du voile intégral est déterminant, dès lors qu’il n’est pas possible de limiter une liberté constitutionnelle en se fondant sur la supposition que les femmes qui le portent le font sous la contrainte. Il en déduit que les limitations en cause ne peuvent passer pour nécessaires dans une société démocratique. Enfin, renvoyant à des travaux de doctrine, il indique que l’interdiction du port du voile intégral aurait pour conséquence l’isolement des femmes concernées et génèrerait une discrimination à leur encontre, et serait donc incompatible avec l’objectif d’intégration sociale des groupes issus de l’immigration. Le Tribunal suprême a en revanche jugé qu’il n’y avait pas lieu d’annuler la modification du règlement spécifique relatif aux transports en commun. Il a en effet constaté qu’elle se bornait à obliger les usagers bénéficiant d’abonnements à tarifs réduits à s’identifier ponctuellement, ce qui ne constitue pas une limitation des droits fondamentaux. C. L’avis du Conseil d’État néerlandais du 28 novembre 2011 Le Conseil d’État néerlandais a rendu quatre avis – tous négatifs – sur quatre projets ou propositions de lois distincts qui se rapportaient plus ou moins directement à l’interdiction de porter le voile intégral en public. Le premier, rendu le 21 septembre 2007, concernait une proposition de loi portant explicitement interdiction de porter la burqa, le second, rendu le 6 mai 2008 (non publié), concernait une proposition de loi portant interdiction de porter des vêtements couvrant le visage, le troisième, rendu le 2 décembre 2009 (non publié), concernait un projet de loi portant interdiction de porter de tels vêtements dans les établissements scolaires. Adopté le 28 novembre 2011 et publié le 6 février 2012, le quatrième avis concernait un projet de loi qui visait à interdire, sous peine de sanctions pénales, de porter dans l’espace public et les lieux accessibles au public (sauf ceux ayant une destination religieuse) des habits couvrant complètement le visage, ne laissant découverts que les yeux ou ne permettant pas l’identification. Le gouvernement néerlandais justifiait ce dernier projet d’interdiction par la nécessité de garantir une communication ouverte – essentielle à l’interaction sociale –, la sécurité et le « sentiment de sécurité » (veiligheidsgevoel) du public, ainsi que par la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes. Dans son avis du 28 novembre 2011, le Conseil d’État indique tout d’abord ne pas être convaincu par l’utilité et la nécessité d’une telle interdiction. Il observe que le gouvernement ni ne spécifie en quoi le port d’un vêtement couvrant le visage est fondamentalement incompatible avec l’» ordre social » (maatschappelijke orde), ni ne démontre un besoin social impérieux (dringende maatschappelijke behoefte) justifiant une interdiction générale, ni n’indique en quoi la réglementation existante, qui permet des interdictions spécifiques jugées jusque-là adéquates, est insuffisante, ni n’explique pourquoi le fait de porter un tel vêtement, qui peut être fondé sur des motifs religieux, doit tomber sous le coup du droit pénal. S’agissant de l’argument tiré de l’égalité entre les hommes et les femmes, le Conseil d’État considère qu’il n’appartient pas au gouvernement de faire obstacle au choix de porter la burqa ou le niqab pour des motifs religieux, ce choix devant être laissé aux femmes concernées. Il ajoute qu’une interdiction générale ne serait d’aucune utilité si l’objectif est de lutter contre le fait de contraindre autrui à porter la burqa ou le niqab. Enfin, le Conseil d’État retient que le sentiment subjectif d’insécurité ne peut justifier une interdiction générale au titre de l’ordre social ou de l’ordre public (de maatschappelijke of de openbare orde). Le Conseil d’État indique ensuite qu’au vu de ces éléments, le projet n’est pas compatible avec le droit à la liberté de religion. Selon lui l’interdiction générale de porter des habits couvrant le visage ne répond pas à un besoin social impérieux et n’est donc pas nécessaire dans une société démocratique.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982. Il vit actuellement en Suède. Le 29 juillet 2010, il demanda l’asile en Suède, indiquant qu’il était arrivé dans le pays trois jours plus tôt. Il déclara que le passeur qui avait organisé son voyage lui avait pris son passeport et il donna le numéro de téléphone portable d’une personne de contact, N. Le 6 août 2010, l’office des migrations (Migrationsverket) eut un premier entretien avec le requérant. Celui-ci indiqua alors qu’il était originaire de Libye, que sa mère et ses frères et sœurs étaient restés dans ce pays, qu’il était toujours en relation avec eux et qu’il leur demanderait de lui envoyer son passeport et d’autres pièces d’identité. Il déclara en outre n’avoir aucun parent en Suède, mais il fournit les numéros de téléphone portable de deux personnes de contact dans ce pays, N. et H. Un interrogatoire approfondi du requérant eut lieu le 20 août 2010 en présence d’un avocat commis d’office et d’un interprète. L’agente de l’office des migrations informa le requérant qu’il importait qu’il avançât toutes les raisons à l’appui de sa demande d’asile puisque c’était peut-être sa seule chance de les présenter. Elle l’assura également que l’ensemble des informations qu’il communiquerait seraient traitées en toute confidentialité. Le requérant remit sa carte d’identité et allégua que les autorités lui avaient confisqué son passeport et d’autres pièces d’identité. Il déclara ensuite essentiellement ce qui suit. En avril 2010 il aurait quitté la Libye pour la Tunisie, où il serait resté jusqu’à ce que son oncle l’aidât à se rendre en Suède en juillet 2010 avec l’aide de passeurs et avec un faux passeport français. En Libye, il aurait été soldat et aurait travaillé comme garde sur une base militaire de Tripoli où il aurait rencontré des personnes qui l’auraient payé pour transporter illégalement des armes destinées à de puissants clans du sud de la Libye, qui auraient été liés aux autorités. Il aurait travaillé pour ces personnes pendant plus d’un an avant d’être arrêté en novembre 2009 lors d’un contrôle routier et interrogé. Il aurait été emmené dans un lieu inconnu, où il aurait été maintenu pendant trois semaines environ et soumis à des interrogatoires et à des tortures. Il aurait été accusé de détention illégale d’armes et de vol de voitures et aurait ensuite été transféré dans une prison militaire où son oncle lui aurait rendu visite. Celui-ci lui aurait alors pris un avocat. Les tortures subies lui auraient causé une grave blessure au bras, qui se serait infectée, et environ deux mois après son transfert dans une prison militaire, il aurait été emmené dans un hôpital civil par deux gardes. Après que le requérant aurait été soigné par un médecin, l’un des gardes serait parti lui chercher un café et un autre serait sorti avec lui pour fumer une cigarette. Il aurait alors réussi à s’échapper. Il soutint que s’il était renvoyé vers la Libye, il serait passible d’une peine de dix ans d’emprisonnement au moins pour les infractions pénales/qui lui auraient été reprochées. À ses dires, il risquait en outre d’être tué par les clans au motif qu’il aurait révélé leurs noms sous la torture. Le requérant montra des cicatrices au bras, sur le dos et à la tête. L’agent de l’office des migrations demanda au requérant s’il sollicitait l’asile aussi pour d’autres raisons, ce à quoi l’intéressé répondit par la négative. Le requérant indiqua qu’il avait bien vécu en Libye jusqu’à son arrestation et qu’il avait même envisagé d’épouser une femme en mai 2010. En septembre 2010, l’avocat commis d’office fournit des éclaircissements à l’office des migrations mais maintint pour l’essentiel ce qui avait été dit durant l’interrogatoire. Le 21 février 2011, le requérant se rendit à l’office des migrations avec N. Il déclara qu’il souhaitait ajouter aux motifs avancés à l’appui de sa demande d’asile qu’il était homosexuel et qu’il avait une relation avec N., qu’il connaissait, d’après ses dires, depuis sa première semaine en Suède. Leur relation se serait développée avec le temps et le requérant aurait emménagé avec N. en décembre 2010. D’après le requérant, N. était transsexuel et titulaire d’un permis de séjour permanent en Suède. Eu égard à ces nouvelles informations, l’office des migrations interrogea encore une fois le requérant le 1er novembre 2011. Lors de cet interrogatoire, celui-ci déclara qu’il avait été « normal » avant de s’intéresser à N. Leur relation aurait dépassé le stade de l’amitié, mais elle aurait été difficile en raison des attitudes très négatives des autres Arabes de la ville où ils vivaient en Suède. Personne en Libye n’aurait été au courant de son orientation sexuelle et il n’aurait jamais eu de relation homosexuelle dans ce pays. N. aurait entamé un processus de conversion sexuelle pour passer du sexe masculin au sexe féminin. Tous deux auraient communiqué par vidéo sur internet avec la mère et la sœur du requérant mais N. se serait alors fait passer pour une femme. Ils se seraient mariés en Suède en septembre 2011. D’après le requérant, s’il devait retourner en Libye pour y demander le regroupement familial, on apprendrait qu’il était marié avec un homme et il risquerait d’être persécuté et de subir des mauvais traitements. En ce qui concerne les motifs originaux de sa demande d’asile, et eu égard aux changements intervenus en Libye en 2011, le requérant fit observer que la situation en Libye était très peu sûre. Il pensait que les clans ne s’intéresseraient plus particulièrement à lui, considérant qu’ils avaient désormais d’autres intérêts et qu’ils étaient moins puissants qu’auparavant. Il estimait que s’il était prudent, il ne serait plus exposé à une grande menace en Libye. Le 16 décembre 2011, l’office des migrations rejeta la demande d’asile formée par le requérant. Il nota d’emblée que celui-ci n’avait pas présenté son passeport alors qu’il avait prétendu à plusieurs occasions qu’il en détenait un et le produirait. Toutefois, bien que l’intéressé n’eût pas prouvé son identité, l’office admit qu’il était probablement originaire de Libye. Concernant la situation en Libye depuis le renversement de Kadhafi, l’office releva qu’elle était grave mais qu’elle n’atteignait pas le degré de gravité d’un conflit armé interne. Dès lors, il considéra qu’il fallait procéder à une évaluation individuelle dans le cas du requérant. À cet égard, l’office estima que le requérant avait fait des déclarations contradictoires et que son récit manquait de crédibilité. Tout d’abord, d’après l’office, le requérant avait donné, au cours des entretiens, des informations divergentes sur son passeport, prétendant d’abord que le passeur le lui avait pris, puis qu’il pouvait l’obtenir de sa famille, ensuite que les autorités libyennes le lui avaient confisqué et, plus récemment, qu’il allait le produire. L’office fit observer en outre que le nom figurant sur le certificat concernant les obstacles au mariage, que le requérant avait soumis à l’appui de son mariage, était différent de celui qu’il avait donné à l’office des migrations. Pour l’office, à défaut de passeport, il était impossible de dire avec certitude que le certificat concernait le requérant. À cet égard également, l’office nota que le requérant avait fait des déclarations contradictoires au sujet de la date de sa rencontre avec N. et de leur relation. Lors du premier entretien, le 29 juillet 2010, il avait donné le numéro de téléphone de N. en tant que numéro de contact, alors qu’en février 2011, il avait déclaré qu’il avait fait la connaissance de N. au cours de sa première semaine en Suède et, lors de l’entretien de novembre 2011, il avait prétendu avoir rencontré N. trois ou quatre mois après son arrivée en Suède. En outre, au cours de l’interrogatoire approfondi, il avait déclaré qu’il ne voulait avancer, à l’appui de sa demande d’asile, aucun motif autre que ceux ayant trait au transport d’armes, et qu’il avait prévu de se marier en Libye. Cela étant, l’office interrogea également le requérant sur la nature de sa relation avec N., telle qu’il l’avait exposée le 21 février 2011. Dès lors, l’office conclut que le récit du requérant, en ce qui concernait tant les événements en Libye que sa relation avec N., manquait de crédibilité et ne suffisait pas à justifier l’octroi d’un permis de séjour en Suède. En outre, l’office releva que des changements importants s’étaient produits en Libye après que le requérant eut quitté le pays et il estima que l’intéressé n’avait pas étayé l’allégation selon laquelle, eu égard aux accusations pénales portées contre lui, il risquait d’être persécuté par les autorités à son retour ou que celles-ci ne seraient pas en mesure de le protéger contre le harcèlement des clans. Concernant la relation du requérant avec N., l’office renvoya à la règle principale posée par la loi sur les étrangers, d’après laquelle un étranger qui demande un permis de séjour en Suède en raison de ses attaches familiales ou d’une relation sérieuse doit avoir sollicité et obtenu un tel permis avant d’entrer dans le pays. Tout en notant qu’il pouvait être dérogé à cette règle si l’étranger avait des liens solides avec une personne résidant en Suède et qu’on ne pouvait raisonnablement exiger de lui qu’il se rendît dans un autre pays pour y soumettre une demande, l’office considéra qu’il ne serait pas déraisonnable d’exiger du requérant qu’il déposât une telle demande en Libye conformément à cette règle. L’office conclut qu’en l’absence d’autres motifs justifiant l’octroi au requérant d’un permis de séjour en Suède, la demande devait être rejetée. Le requérant saisit le tribunal des migrations (Migrationsdomstolen), maintenant ses allégations et ajoutant que la graphie de son nom différait dans les divers documents, étant donné que la transcription de l’arabe avait été faite par plusieurs personnes. Il affirma être en possession de son passeport mais avoir craint de le remettre à l’office des migrations par peur d’être expulsé vers la Libye. D’après ses dires, sa relation avec N. était sérieuse ; ils s’étaient mariés et vivaient ensemble. Il ajouta que l’on apprendrait en Libye qu’il était homosexuel s’il devait demander son permis de séjour depuis ce pays, ce qui d’après lui l’exposerait à un risque réel d’être persécuté et de subir des mauvais traitements. Il soutint en outre qu’il ne pourrait pas demander un permis de séjour depuis la Libye, considérant que la Suède n’avait de consulat qu’à Benghazi. Il soumit une copie de son passeport, d’où il ressortait qu’il avait obtenu un visa Schengen de l’ambassade de Malte à Tripoli en mai 2010 et qu’il était entré en Suède le 15 juin 2010. Il produisit également une copie de sa carte militaire et des copies de photographies de ses cicatrices et de deux mandats d’arrêt. Au cours de l’audience devant le tribunal des migrations, le requérant allégua qu’il était menacé par les autorités libyennes, considérant qu’il avait travaillé pour l’armée sous le régime Kadhafi. Il ajouta qu’on ne savait pas en Libye qu’il était marié avec un homme mais qu’il était certain que d’autres Libyens en Suède diffuseraient l’information en Libye s’il était renvoyé dans ce pays. D’après lui, on apprendrait également qu’il était homosexuel s’il devait demander le regroupement familial et s’il était interrogé par le consulat de Suède en Libye. Il présenta également l’original de son passeport. Le 13 septembre 2012, le tribunal des migrations rejeta le recours que le requérant avait formé. Il estima que la situation générale en Libye n’était pas suffisamment grave pour justifier l’octroi de l’asile au requérant en l’absence de raisons personnelles. Examinant ensuite les motifs personnels avancés par le requérant, le tribunal nota que, étant donné que l’intéressé avait soumis son passeport, d’autres documents fournis pouvaient maintenant être rattachés à sa personne. Toutefois, en examinant ces documents, le tribunal constata que la carte militaire avait été délivrée à des fins de formation et n’indiquait pas que le requérant avait ensuite été employé par l’armée. Les deux mandats d’arrêt étaient simples et faciles à forger. En outre, l’un d’eux ne contenait aucune date et le requérant n’avait fourni aucune explication acceptable sur la façon dont il les avait obtenus. En ce qui concerne les photographies des cicatrices, le tribunal estima que le fait que le requérant eût subi des blessures qui avaient laissé des cicatrices ne permettait pas de présumer qu’il serait soumis à des mauvais traitements à l’avenir. Par conséquent, le tribunal conclut que les documents ne montraient pas que le requérant avait besoin d’une protection internationale. En outre, il jugea que le requérant n’était pas crédible, soulignant que celuici n’avait soumis son passeport qu’à l’audience devant lui et qu’il avait délibérément livré de fausses déclarations devant l’office des migrations concernant son passeport, la façon dont il avait voyagé jusqu’en Suède et la date de son arrivée dans ce pays. Le tribunal constata que le requérant avait également fait des déclarations contradictoires sur les informations qu’il possédait quant aux possibilités de demander l’asile en Suède et sur les menaces alléguées dont il faisait l’objet en Libye. Il n’ajouta donc pas foi au récit du requérant. Le tribunal ne mit pas en doute l’homosexualité du requérant. Toutefois, il estima que celui-ci n’avait pas étayé son allégation selon laquelle il était menacé en Libye pour cette raison. À cet égard, il nota que, selon les propres déclarations du requérant, on ne savait pas en Libye qu’il était homosexuel. De plus, il jugea peu probable que des Libyens en Suède qui étaient au courant de l’orientation sexuelle du requérant seraient plus enclins à diffuser cette information simplement parce que le requérant allait être renvoyé en Libye. Le tribunal nota également que le requérant avait gardé son passeport afin de pouvoir retourner en Libye. En résumé, il conclut que l’intéressé n’avait pas montré qu’il risquerait d’être persécuté ou soumis à des mauvais traitements s’il était renvoyé en Libye. En ce qui concerne la relation du requérant avec N., le tribunal observa que tout le personnel d’ambassade avait une obligation de confidentialité et que rien n’empêchait le requérant de demander un permis de séjour depuis l’étranger. Le fait que le consulat de Suède était situé à Benghazi ne modifiait en rien cette conclusion. Un juge non professionnel émit une opinion dissidente, estimant que l’on ne pouvait exclure qu’il y eût des fuites d’informations provenant d’une ambassade au sujet de l’orientation sexuelle du requérant. Le requérant saisit la cour d’appel des migrations (Migrationsöverdomstolen) qui, le 10 octobre 2012, lui refusa l’autorisation d’interjeter appel. Le requérant demanda alors à l’office des migrations de réexaminer son affaire, soutenant qu’un Libyen de Suède, qui était au courant de son mariage, s’était rendu en Libye et, par hasard, avait rencontré son frère et lui avait dit qu’il était marié avec un homme. Son oncle lui aurait téléphoné par la suite et aurait menacé de le tuer s’il rentrait en Libye, l’accusant d’avoir jeté l’opprobre sur la famille. Le requérant allégua en outre que certains de ses amis en Libye lui avaient dit que douze homosexuels avaient été tués dans ce pays récemment et que d’autres avaient fui le pays au motif qu’ils étaient persécutés par des groupes inconnus en Libye. Il était convaincu qu’il courait un risque réel de subir des mauvais traitements ou d’être tué en cas de retour et qu’il lui serait impossible de demander le regroupement familial depuis ce pays sans que son orientation sexuelle ne fût divulguée. Le 10 décembre 2012, l’office des migrations rejeta la demande de réexamen soumise par le requérant. Il ne vit aucune raison de s’écarter de la règle principale voulant qu’une demande de regroupement familial soit présentée depuis l’étranger. Il estima que l’allégation du requérant selon laquelle il avait reçu des menaces de proches n’était pas suffisante pour constituer un obstacle permanent à l’exécution de l’arrêté d’expulsion et, par conséquent, qu’aucun motif ne justifiait le réexamen de l’affaire. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi sur les étrangers – Nécessité d’une protection internationale Les principales dispositions applicables en l’espèce, en ce qui concerne l’entrée et le séjour des étrangers sur le territoire suédois, figurent dans la loi de 2005 sur les étrangers (Utlänningslagen, 2005:716), qui définit les conditions dans lesquelles un étranger peut être renvoyé ou expulsé du pays, ainsi que les procédures régissant l’exécution de pareilles décisions. D’après le chapitre 5, article 1, de cette loi, un étranger ayant obtenu le statut de réfugié ou ayant besoin de protection à un autre titre a le droit, sauf exception, de se voir délivrer un permis de séjour en Suède. Le chapitre 4, article 1, de la loi dispose que le terme « réfugié » s’entend d’un étranger se trouvant hors du pays dont il a la nationalité parce qu’il a de solides motifs de craindre d’être persécuté à cause de sa race, de sa nationalité, de ses convictions religieuses ou de ses opinions politiques, ou de son sexe, de ses orientations sexuelles ou d’une autre appartenance à un groupe social déterminé, et qu’il ne peut ou ne veut, du fait de ces craintes, se prévaloir de la protection de ce pays. Les considérations précédentes s’appliquent tant dans le cas où la persécution est le fait des autorités du pays en question que dans celui où l’on ne peut s’attendre à ce qu’elles offrent une protection contre la commission d’actes de persécution par des particuliers. Selon le chapitre 4, article 2, de la loi, est un « étranger ayant besoin de protection à un autre titre » notamment celui qui a quitté le pays dont il a la nationalité en raison de craintes bien fondées d’être condamné à la peine capitale ou à des châtiments corporels ou d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. Par ailleurs, si une autorisation de séjour ne peut pas être accordée à un étranger sur le fondement des motifs susmentionnés, elle peut néanmoins lui être octroyée si l’évaluation globale de sa situation fait apparaître l’existence de circonstances particulièrement difficiles (synnerligen ömmande omständigheter) justifiant qu’on l’autorise à séjourner sur le territoire suédois (chapitre 5, article 6, de la loi sur les étrangers). Lors de cette appréciation, il y a lieu d’accorder une attention particulière, entre autres, à l’état de santé de l’étranger. Selon une disposition particulière relative aux obstacles à l’exécution d’une mesure d’éloignement – chapitre 12, article 1, de la loi –, un étranger ne peut être expulsé vers un pays où il y a raisonnablement lieu de croire qu’il risquerait de se voir infliger la peine capitale, des châtiments corporels, la torture ou d’autres formes de peines ou traitements inhumains ou dégradants. En outre, un étranger ne doit pas en principe être envoyé vers un pays où il risque d’être persécuté (chapitre 12, article 2, de la loi). B. La loi sur les étrangers – Regroupement familial Le chapitre 5, article 3, paragraphe 1, point 1 de la loi sur les étrangers énonce qu’un permis de séjour doit être accordé, sauf s’il en est disposé autrement aux articles 17 et 17 b), à un étranger qui est le conjoint ou le concubin d’une personne qui réside en Suède ou qui a obtenu un permis de séjour pour s’y installer. D’après le chapitre 5, article 18, de la loi, un étranger qui souhaite un permis de séjour en Suède en raison de ses liens familiaux ou d’une relation sérieuse doit avoir demandé et obtenu un tel permis avant d’entrer dans le pays. En règle générale, une demande de permis de séjour ne peut pas être approuvée après l’entrée. Toutefois, il peut être dérogé à cette règle, par exemple si un étranger a des liens solides avec une personne résidant en Suède et qu’on ne peut raisonnablement exiger de lui qu’il se rende dans un autre pays pour y déposer une demande (chapitre 5, article 18, 2e paragraphe, point 5). En ce qui concerne cette dérogation, les travaux préparatoires de cette disposition (projet de loi 1999/2000:43, pp. 55 et suivantes) indiquent qu’il faut s’attacher avant tout à la question de savoir s’il est raisonnable d’exiger d’un étranger qu’il retourne dans un autre pays pour y déposer une demande. Les éléments pertinents pouvant plaider en faveur de l’étranger incluent notamment le point de savoir si après son retour l’intéressé est susceptible de rencontrer des difficultés pour obtenir un passeport ou une autorisation de sortie du territoire en raison d’une forme de harcèlement de la part des autorités dans le pays d’origine, si l’étranger sera tenu d’accomplir un service national de longue durée ou un service dans des conditions exceptionnellement difficiles ou s’il doit retourner dans un pays où il n’y a pas de représentation suédoise et où il se heurterait à des difficultés concrètes majeures et encourrait des frais considérables pour se rendre dans un pays voisin afin d’y soumettre une demande. Parmi les éléments plaidant en défaveur de l’étranger, on peut prendre en considération le fait que celui-ci séjourne peut-être illégalement dans le pays, que son identité n’est pas clairement établie ou qu’il a des liens solides avec le pays d’origine. Une dérogation est également possible en présence d’autres motifs exceptionnels (chapitre 5, article 18, 2e paragraphe, point 10). L’exigence selon laquelle les membres de la famille doivent, en principe, obtenir un permis de séjour avant d’entrer en Suède a été introduite avec un certain nombre d’autres mesures destinées à réduire les possibilités d’obtention d’un permis de séjour sur la base d’un mariage ou d’autres relations de complaisance. Par la suite, le gouvernement et le Parlement suédois ont souligné à plusieurs reprises que l’obligation d’obtenir un permis de séjour avant l’entrée en Suède est une composante importante des mesures destinées à assurer le contrôle de l’immigration. De plus, les travaux préparatoires de la loi sur les étrangers énoncent qu’il importe que les étrangers séjournant illégalement en Suède ne se trouvent pas dans une situation plus favorable que ceux qui se conforment aux décisions des autorités et retournent dans leur pays d’origine pour y soumettre leur demande de permis de séjour (projet de loi 1999/2000:43). L’office des migrations recommande que les personnes qui souhaitent demander un permis de séjour en Suède sur la base de relations étroites le fassent en ligne, la procédure étant plus rapide et plus simple. Il est également possible de demander un traitement prioritaire au moment du dépôt de la demande de permis de séjour. C. Avis juridique concernant la protection sur la base de l’orientation sexuelle rendu par le chef du département juridique de l’office des migrations Le 13 janvier 2011, le chef du département juridique de l’office des migrations a rendu un avis juridique concernant la méthode d’investigation et d’examen du risque encouru par les personnes qui invoquent des motifs de protection tenant à leur orientation sexuelle (Rättschefens rättsliga ställningstagande angående metod för utredning och prövning av den framåtsyftande risken för personer som åberopar skyddsskäl på grund av sexuell läggning). Cette méthode reflète l’approche suivie par la Cour suprême du Royaume-Uni dans son arrêt du 7 juillet 2010 dans HJ (Iran) and HT (Cameroon) v. Secretary of State for the Home Department [2010] UKSC 31 (§ 82), notamment : « Lorsqu’une personne demande l’asile parce qu’elle a des motifs sérieux de craindre d’être persécutée à cause de son homosexualité, le tribunal doit d’abord se demander s’il est convaincu, sur la base des éléments de preuve, que cette personne est homosexuelle, ou si elle serait traitée comme étant homosexuelle par des persécuteurs potentiels dans le pays dont elle est ressortissante. Dans l’affirmative, le tribunal doit alors se demander si les éléments de preuve dont il dispose l’amènent à penser que les personnes homosexuelles qui ne cachent pas leur homosexualité risqueraient d’être persécutées dans le pays d’origine du demandeur. Dans l’affirmative, le tribunal doit alors faire porter son examen sur le point de savoir ce que ferait le demandeur s’il était renvoyé dans ce pays. Dans l’hypothèse où le demandeur vivrait son homosexualité ouvertement et s’exposerait ainsi à un risque réel d’être persécuté, ses craintes d’être persécuté seraient alors bien fondées – même s’il pouvait éviter ce risque en vivant « discrètement ». Si, en revanche, le tribunal conclut que le demandeur vivrait en fait discrètement et éviterait ainsi les persécutions, il doit poursuivre son examen et se demander pourquoi le demandeur vivrait ainsi. Si le tribunal conclut que le demandeur choisirait de vivre discrètement simplement parce que c’est ainsi qu’il souhaite vivre, ou en raison des pressions sociales, par exemple parce qu’il ne veut pas faire souffrir ses parents ou embarrasser ses amis, alors sa demande doit être rejetée. Des pressions sociales de cette nature ne constituent pas des actes de persécution et la Convention [Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés] n’offre pas de protection contre ce type de pressions. Les craintes de persécution d’une telle personne ne sont pas fondées car, pour des raisons n’ayant rien à voir avec une quelconque crainte de persécution, elle choisit elle-même d’adopter un mode de vie qui implique qu’elle ne risque en fait pas d’être persécutée parce qu’elle est homosexuelle. Si, en revanche, le tribunal conclut qu’une crainte de persécution découlant du fait que le demandeur vivrait ouvertement son homosexualité constitue une raison importante justifiant le choix de l’intéressé de vivre discrètement à son retour, alors, toutes choses égales par ailleurs, la demande de l’intéressé devrait être acceptée. Les craintes de persécution d’une telle personne sont bien fondées. Rejeter sa demande au motif qu’elle pourrait éviter la persécution en vivant discrètement reviendrait à bafouer le droit même que la Convention [Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés] a pour vocation de protéger – le droit pour une personne homosexuelle de vivre librement et ouvertement son homosexualité sans crainte de persécution. En accordant l’asile à une telle personne et en lui permettant de vivre librement et ouvertement son homosexualité sans crainte de persécution, l’État d’accueil donne effet à ce droit en accordant au demandeur la protection contre la persécution qui remplace celle que son pays d’origine aurait dû lui offrir. » Le chef du département juridique conclut que l’approche ci-dessus serait suffisante pour l’appréciation du risque futur de persécution, tant lors de l’examen de la demande d’asile elle-même que de la vérification de l’existence d’obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion. D. Représentations de la Suède en Afrique du Nord Selon le site officiel du gouvernement suédois (), la seule représentation de Suède en Libye est le consulat à Benghazi, mais celui-ci est fermé jusqu’à nouvel ordre en raison de la situation instable dans le pays. La Suède a toutefois des ambassades à Alger (Algérie) et au Caire (Égypte) et un consulat à Tunis (Tunisie), qui sont tous ouverts et traitent les demandes de permis de séjour en Suède. E. La loi suédoise sur le secret et l’accès du public à l’information D’après le chapitre 21, article 5, de la loi sur le secret et l’accès du public à l’information (Offentlighets- och sekretesslag, 2009:400 – « la loi sur le secret »), le secret s’applique aux informations concernant un étranger lorsque l’on peut présumer qu’une personne ferait l’objet d’une attaque ou subirait une autre atteinte grave en raison de la relation entre l’étranger et un État étranger ou une autorité étrangère, ou une organisation d’étrangers, si ces informations étaient divulguées. En outre, le chapitre 37, article 1, de la loi sur le secret énonce que le secret s’applique, dans toute activité en matière de police des étrangers et toute matière concernant la nationalité suédoise, aux informations touchant à la situation personnelle d’un individu, sauf s’il est manifeste que les informations peuvent être divulguées sans qu’il soit porté atteinte à la personne concernée ou à ses proches. Le traitement par l’office des migrations et par les tribunaux des migrations d’affaires concernant le droit d’asile d’un étranger ou le droit d’un étranger à un permis de séjour en Suède relève de l’expression « activité en matière de police des étrangers » figurant dans la loi sur le secret. Il a également été précisé dans les travaux préparatoires de la loi (projet de loi 2003/04:93, pp. 84-85) que toute assistance offerte par des ambassades ou des consulats de Suède à l’étranger pour le traitement d’affaires concernant le droit d’asile d’étrangers ou le droit d’étrangers à un permis de séjour en Suède ne saurait exposer un individu à un risque ou lui causer un préjudice, par exemple sous la forme d’un harcèlement des autorités d’un pays étranger. III. INFORMATIONS PERTINENTES SUR LA LIBYE A. Informations générales sur le pays La situation en matière de sécurité demeure instable en Libye. Dans une déclaration du président du Conseil de sécurité des Nations unies en date du 16 décembre 2013, le Conseil de sécurité des Nations unies constate avec une vive inquiétude la détérioration de la situation sécuritaire et l’aggravation des dissensions politiques, qui menacent de compromettre la réalisation d’une transition démocratique. Le Conseil de sécurité condamne énergiquement le meurtre de manifestants non armés à Tripoli le 15 novembre 2013 et il souligne que toutes les parties doivent réprouver la violence à l’encontre de civils. Il demande en outre qu’une stratégie nationale sans exclusive soit mise en œuvre d’urgence en vue du désarmement, de la démobilisation et de la réintégration à la vie civile ou de leur intégration dans les institutions militaires ou de sécurité de l’armée [de certains groupes armés]. Il soutient les efforts que font les forces de l’État pour rétablir la sécurité publique et lutter contre la violence perpétrée par des groupes extrémistes. En outre, le Conseil condamne les mauvais traitements et les actes de torture, certains ayant entraîné la mort, qui ont cours dans les centres de détention illégaux en Libye. Il souligne que la pratique de la torture et des assassinats extrajudiciaires ne saurait être tolérée et se déclare vivement préoccupé par la pratique de la détention arbitraire en l’absence de procédure régulière, des milliers de personnes étant toujours détenues en marge de l’autorité de l’État, et il demande de nouveau leur libération immédiate ou leur transfert dans des centres de détention qui relèvent de l’État. À cet égard, le Conseil se réjouit de la loi sur la justice transitionnelle qui a été adoptée par le Congrès général national libyen et préconise sa pleine mise en œuvre. Préoccupé par les violations des droits de l’homme et les exactions qui sont perpétrées, le Conseil de sécurité demande aux autorités libyennes de faire enquête et de traduire en justice les auteurs de ces actes, notamment ceux commis sur la personne d’enfants. Les ressortissants libyens doivent détenir un visa pour entrer en Égypte, mais celui-ci peut être obtenu dès l’arrivée dans le pays. En outre, aucun visa n’est exigé pour les ressortissants libyens qui souhaitent se rendre en Algérie ou en Tunisie, dès lors que leur séjour ne dépasse pas trois mois. B. La situation des homosexuels en Libye Les actes sexuels hors mariage sont interdits par les articles 407 et 408 du code pénal libyen ; ils sont punissables d’une peine d’emprisonnement de cinq ans au maximum. Ni le mariage ni le partenariat entre personnes de même sexe ne sont légaux en Libye, ce qui rend tout acte homosexuel illégal. Il n’est pas clair toutefois dans quelle mesure les actes homosexuels sont poursuivis et punis puisqu’il peut se révéler difficile de les prouver. Dans une interview menée par le journal en ligne Pink News, « Interview : les homosexuels et la révolution libyenne, avant et après (partie I) », publiée le 8 février 2012, un militant homosexuel libyen déclarait qu’il n’avait jamais eu connaissance d’informations publiques faisant état d’inculpations d’hommes en vertu du code pénal. Cependant, d’après plusieurs sources (voir, notamment, Office suédois des migrations, « Question – réponse : la situation des personnes homosexuelles et bisexuelles en Libye » [Fråga-svar: homo- och bisexuellas situation i Libyen], 30 septembre 2011, avec d’autres références, et Recherche sur l’asile, commandée par le UNHCR, « Rapport par pays – Libye », daté du 5 juillet 2013, chapitre 4.9), l’homosexualité est un sujet tabou non seulement dans la sphère publique mais également dans la sphère privée, car considérée comme une activité immorale contraire à l’islam et socialement stigmatisée. Le 13 février 2012, UN Watch (« Libya tells UN Rights Council: Gays threaten continuation of human race ») a rapporté qu’un délégué du gouvernement libyen nouvellement formé avait déclaré durant la session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, lors d’une discussion sur la violence fondée sur l’orientation sexuelle, que « les sujets concernant les lesbiennes, les homosexuels, les bisexuels et les transgenres, ou LGBT, [avaient] des incidences sur la religion ainsi que sur la perpétuation et la reproduction de la race humaine. » UN Watch a relevé que cette observation avait amené des militants des droits de l’homme à se demander si le nouveau régime serait plus tolérant que le précédent, sous lequel des personnes homosexuelles auraient été soumises à la torture et emprisonnées. Le « Rapport sur la Libye – informations sur le pays d’origine », établi par le service britannique du contrôle des frontières et de l’immigration le 19 décembre 2012 (paragraphes 20.12 et 20.13, avec d’autres références), indique qu’en 2012 la brigade Nawasi, la plus importante et la plus puissante des milices de Tripoli, aurait arrêté, agressé et battu des homosexuels simplement en raison de leur homosexualité. D’après le rapport, lors d’un incident survenu en novembre 2012, cette brigade a arrêté douze hommes soi-disant homosexuels au cours d’une soirée privée, les a placés en détention et ne les a libérés qu’une semaine plus tard, le dos et les jambes couverts d’ecchymoses, et le crâne rasé. Le rapport note également que la brigade agissait officiellement sous les ordres du ministère de l’Intérieur. IV. AUTRES INFORMATIONS PERTINENTES A. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) Le 23 octobre 2012, le UNHCR publia les « Principes directeurs sur la protection internationale no 9 : Demandes de statut de réfugié fondées sur l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre dans le contexte de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou de son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés ». Il faut partir du principe que les demandeurs ont le droit de vivre en société avec l’identité qui est la leur et qu’ils n’ont pas à la cacher (paragraphe 12). En outre, la question de savoir ce qui constitue des persécutions dépendra des circonstances de chaque cas, dont l’âge, le genre, les opinions, les sentiments et la structure psychologique du demandeur (paragraphe 16). La discrimination équivaudra à des persécutions lorsque les mesures discriminatoires, individuelles ou cumulatives, auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne concernée. L’examen visant à établir si l’effet cumulé de ces discriminations en fait des persécutions doit être effectué en s’appuyant sur des informations fiables, pertinentes et actualisées sur le pays d’origine (paragraphe 17). Le UNHCR indique en outre qu’il est clairement établi que de telles lois criminelles sont discriminatoires et violent les normes internationales relatives aux droits de l’homme (paragraphe 26). Même si elles sont irrégulièrement, rarement, voire jamais appliquées, les lois criminelles interdisant les relations entre personnes du même sexe pourraient aboutir à une situation intolérable pour une personne LBGTI atteignant un niveau de persécution. L’existence de telles lois peut être utilisée à des fins de chantage et d’extorsion par les autorités ou des acteurs non étatiques. Ces lois peuvent encourager une rhétorique politique pouvant exposer les personnes LGBTI à des risques de préjudice à caractère de persécution. Elles peuvent également empêcher les personnes LGBTI de demander et d’obtenir la protection de l’État (paragraphe 27). Le UNHCR note également que lorsque les informations sur le pays d’origine ne permettent pas de déterminer si les lois sont effectivement appliquées ou dans quelle mesure elles le sont, l’existence d’un climat généralisé d’homophobie dans le pays d’origine pourrait être la preuve que les personnes LGBTI sont néanmoins persécutées (paragraphe 28). En outre, le UNHCR observe que même lorsque les relations consenties entre personnes du même sexe ne sont pas criminalisées par des dispositions spécifiques, des lois d’application générale, par exemple relatives à la morale publique ou à l’ordre public (comme le fait de « traîner » ou de « rôder » dans un endroit) peuvent être appliquées de manière sélective et discriminatoire contre des personnes LGBTI, rendant intolérable la vie du demandeur, et équivalant donc à une persécution (paragraphe 29). Le UNHCR souligne aussi que le fait qu’un demandeur puisse être capable d’éviter les persécutions en dissimulant son orientation sexuelle ou son identité de genre ou en étant « discret » à ce sujet, ou qu’il ait agi ainsi dans le passé, n’est pas une raison valable pour lui refuser le statut de réfugié (paragraphe 31). Par ailleurs, il indique que même si le demandeur peut jusqu’ici avoir réussi à éviter les violences à son égard par la dissimulation, sa situation peut changer au fil du temps et il ne pourra peut-être pas garder le secret toute sa vie. Le risque de découverte peut aussi ne pas dépendre uniquement de sa propre conduite. Il est presque toujours possible que la découverte se produise contre la volonté de l’intéressé, par exemple par hasard, du fait de rumeurs ou de soupçons grandissants (paragraphe 32). B. La Cour de justice de l’Union européenne Dans un arrêt du 7 novembre 2013 (affaires jointes C-199/12, C200/12 et C-201/12, Minister voor Immigratie en Asiel v. X, Y and Z), la Cour de justice de l’Union européenne a dit : « L’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, doit être interprété en ce sens que l’existence d’une législation pénale telle que celles en cause dans chacune des affaires au principal, qui vise spécifiquement les personnes homosexuelles, permet de constater que ces personnes doivent être considérées comme formant un certain groupe social. L’article 9, paragraphe 1, de la directive 2004/83, lu en combinaison avec l’article 9, paragraphe 2, sous c), de celle-ci, doit être interprété en ce sens que la seule pénalisation des actes homosexuels ne constitue pas, en tant que telle, un acte de persécution. En revanche, une peine d’emprisonnement qui sanctionne des actes homosexuels et qui est effectivement appliquée dans le pays d’origine ayant adopté une telle législation doit être considérée comme étant une sanction disproportionnée ou discriminatoire et constitue donc un acte de persécution. L’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2004/83, lu en combinaison avec l’article 2, sous c), de celle-ci, doit être interprété en ce sens que seuls des actes homosexuels délictueux selon la législation nationale des États membres sont exclus de son champ d’application. Lors de l’évaluation d’une demande visant à obtenir le statut de réfugié, les autorités compétentes ne peuvent pas raisonnablement s’attendre à ce que, pour éviter le risque de persécution, le demandeur d’asile dissimule son homosexualité dans son pays d’origine ou fasse preuve d’une réserve dans l’expression de son orientation sexuelle. » C. La législation pénale en Algérie, en Égypte et en Tunisie L’article 338 du code pénal algérien (ordonnance 66-156 du 8 juin 1966) énonce : « Tout coupable d’un acte d’homosexualité est puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 500 à 2 000 dinars algériens. » L’article 230 du code pénal tunisien de 1913 (tel que modifié), dispose : « La sodomie, si elle ne rentre dans aucun des cas prévus aux articles précédents, est punie d’une peine d’emprisonnement de trois ans. » En Égypte, les relations sexuelles en privé entre adultes consentants de même sexe ne sont pas interdites. Toutefois, selon l’International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association, « State Sponsored Homophobia, A world survey of laws: Criminalisation, protection and recognition of same-sex love » (« Homophobie encouragée par l’État, une étude mondiale des lois : répression, protection et reconnaissance des relations entre personnes de même sexe ») (8e édition, mai 2013), la loi sur la lutte contre la prostitution et plusieurs articles du code pénal ont été appliqués pour emprisonner des homosexuels ces dernières années. Par exemple, l’article 278 du code pénal se lit ainsi : « Quiconque commet en public un acte scandaleux de façon éhontée est puni d’une peine d’emprisonnement maximale d’un an ou d’une amende maximale de 300 livres. » En outre, la loi no 10/1961 sur la lutte contre la prostitution énonce en son article 9 : « Une peine d’emprisonnement d’une durée de trois mois à trois ans et une amende d’un montant de 25 livres égyptiennes à 300 livres égyptiennes (...) ou l’une de ces peines sont infligées dans les cas suivants : a) À quiconque loue ou offre de quelque façon que ce soit une résidence ou un lieu à des fins de débauche ou de prostitution ou aux fins d’abriter une ou plusieurs personnes en sachant que celles-ci se livrent à la débauche ou à la prostitution. b) À quiconque possède ou gère une résidence meublée ou des chambres ou locaux meublés ouverts au public et facilite la débauche ou la prostitution, soit en admettant dans ses locaux des personnes se livrant à la débauche ou à la prostitution ou en y autorisant l’incitation à la débauche ou à la prostitution. c) À quiconque se livre habituellement à la débauche ou à la prostitution (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1965 et est actuellement détenu en Bulgarie, à la prison de Sofia. Il est citoyen russe d’origine tchétchène et jusqu’en 2004, il habitait en Ingouchie, dans le Caucase du Nord. A. La procédure pénale ouverte contre le requérant en Russie, son départ en exil et son obtention du statut de réfugié en Pologne et en Allemagne Le 15 octobre 2003, une équipe d’agents de la direction régionale du service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (ci-après « la direction régionale du FSB ») procéda à la perquisition de la maison du requérant dans le village de Nesterovskaya, Sounjenski raïon, en République d’Ingouchie. D’après les documents versés au dossier, les agents avaient découvert dans la cave de la maison trois fusils d’assaut automatiques de type AK, deux fusils de combat, une mitrailleuse, une quantité importante de munitions pour ces armes, plusieurs centaines de grenades à main et de roquettes antichars, deux lance-roquettes, un lanceur pour missiles antichars, des explosifs, des détonateurs, des télécommandes de mise à feu, deux engins explosifs improvisés, ainsi que plusieurs boîtes d’agents chimiques toxiques. Le même jour, un enquêteur de la division d’investigation du FSB en Ingouchie ouvrit une enquête pénale contre X pour organisation d’un groupe armé et participation audit groupe, préparation d’actes terroristes, et trafics d’armes et de substances chimiques toxiques. À un stade ultérieur de l’enquête, les autorités russes recueillirent des informations indiquant que le stock d’armes, de munitions et de substances toxiques retrouvé dans la cave du requérant aurait appartenu à un groupe armé djihadiste qui opérait dans le Caucase du Nord et, en particulier, sur les territoires de Tchétchénie et d’Ingouchie. Le requérant était soupçonné de faire partie de ce groupe et d’avoir participé activement à l’acquisition, au transport et au stockage des armes, munitions, explosifs et substances toxiques en question. Au début du mois de mars 2004, le requérant, son épouse et leurs trois enfants partirent en train de Vladikavkaz, en Ossétie du Nord-Alanie, pour la ville frontalière de Brest, en Biélorussie. La famille se rendit ensuite en Pologne où, le 11 mars 2004, le requérant déposa une demande d’asile auprès des autorités polonaises. Le 15 novembre 2004, le directeur du service polonais de rapatriement et des étrangers décida de donner au requérant, à son épouse et à leurs trois enfants le statut de réfugiés conformément à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève ») et au Protocole du 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés (ci-après « le Protocole de New York »). Le 14 février 2005, un enquêteur de la division d’investigation du FSB en Ingouchie inculpa le requérant pour les infractions pénales suivantes réprimées par le code pénal russe (le CP) : participation à un groupe armé (article 209 alinéa 2 du CP) ; préparation d’actes terroristes en fournissant des armes, explosifs, munitions et du matériel de communication à des groupes terroristes (article 205 alinéa 3 et article 30 alinéa 1 du CP) ; trafic d’armes, de munitions et d’explosifs en tant que membre d’un groupe armé (article 222 alinéa 3 du CP) ; trafic de substances toxiques en tant que membre d’un groupe armé (article 234 alinéa 3 du CP). Le 16 février 2005, le tribunal pénal de Nazran, en Ingouchie, délivra un mandat d’arrêt contre le requérant et décida d’ordonner le placement en détention provisoire de ce dernier sur le fondement de soupçons de participation à un groupe armé, de préparation d’actes terroristes sur les territoires des Républiques de Tchétchénie et d’Ingouchie ainsi que de trafic d’armes et d’explosifs. Les autorités russes lancèrent un avis de recherche à l’encontre du requérant au niveau national, ainsi qu’à l’étranger par le biais d’Interpol. En décembre 2005, le requérant et sa famille s’établirent à Berlin, en Allemagne. Ils se virent reconnaître le statut de réfugiés par le service fédéral allemand de migration et des réfugiés et ils obtinrent des titres de séjour en Allemagne pour des raisons humanitaires. Le 6 janvier 2011, les autorités allemandes délivrèrent un document de voyage au requérant. Par la suite, ce dernier effectua des voyages en Turquie et en Géorgie. Le 7 mars 2014, le service fédéral allemand de migration et des réfugiés a confirmé que le requérant et les membres de sa famille continuaient de bénéficier du statut de réfugiés en Allemagne. B. L’arrestation du requérant et la procédure relative à son extradition vers la Russie Le 6 juillet 2012, le requérant, accompagné de sa famille, partit en voiture pour la Turquie. Le 7 juillet 2012, le véhicule arriva au point de passage « Dunav most », à la frontière entre la Roumanie et la Bulgarie. Lors du contrôle d’identité, l’agent de la police des frontières bulgare consulta la base de données d’Interpol et découvrit que le requérant y figurait comme personne recherchée par les autorités russes en vue d’une traduction devant les tribunaux pénaux. Le requérant fut arrêté pour vingt-quatre heures. Le lendemain, un procureur du parquet près la Cour suprême de cassation ordonna la détention du requérant pour soixante-douze heures en vertu de la loi sur l’extradition et le mandat d’arrêt européen. Le 11 juillet 2012, le tribunal régional de Ruse ordonna la rétention du requérant pour quarante jours afin d’assurer sa participation à la procédure d’extradition. Le 17 août 2012, le même tribunal prorogea la période de rétention du requérant jusqu’à la fin de la procédure d’extradition. Entre-temps, le 1er août 2012, le parquet général de la Fédération de Russie avait adressé la demande officielle d’extradition du requérant au ministre bulgare de la Justice. Ce document mentionnait que la direction régionale du FSB en Ingouchie menait une enquête pénale contre le requérant pour participation à un groupe armé, préparation d’actes terroristes, et trafics d’armes et de substances toxiques. Ladite demande indiquait également que le requérant avait fait l’objet d’un mandat d’arrêt et d’une décision ordonnant son placement en détention provisoire par le tribunal pénal de Nazran, en Ingouchie, et qu’il était recherché pour être traduit en justice. La demande d’extradition contenait par ailleurs les déclarations suivantes : « Nous garantissons que, conformément aux règles du droit international, M.G. aura à sa disposition tous les moyens de se défendre en Fédération de Russie, y compris [la possibilité] d’être assisté par un avocat ; il ne sera pas soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels, inhumains, dégradants et rabaissant la dignité humaine (article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que les conventions et les protocoles applicables des Nations unies et du Conseil de l’Europe). La peine capitale n’est pas prévue pour les infractions pénales reprochées à M.G. Le parquet général de la Fédération de Russie garantit que la demande d’extradition n’a pas pour but la persécution de l’individu en cause pour des raisons politiques, pour son appartenance raciale, sa confession, sa nationalité ou ses convictions politiques. Le délai de prescription de l’action publique vis-à-vis de M.G. n’est pas écoulé et il ne bénéficie pas de l’immunité de poursuites pénales. M.G. n’a pas été condamné ou acquitté par le passé pour les mêmes infractions pénales. Le parquet général de la Fédération de Russie garantit que, conformément à l’article 14 de la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, M.G. sera jugé uniquement pour les infractions pénales motivant la présente demande d’extradition et qu’après la fin des poursuites pénales, voire après sa condamnation et l’accomplissement de sa peine, il sera libre de quitter le territoire de la Fédération de Russie (...) ». La demande susmentionnée était accompagnée de documents attestant de l’ouverture des poursuites pénales contre le requérant, de son inculpation et de la décision ordonnant son placement en détention, qui furent par la suite versés au dossier relatif à la procédure d’extradition ouverte devant le tribunal régional de Ruse. Par ailleurs, auparavant, le 24 juillet 2012, le représentant du Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés à Sofia avait adressé une lettre, également versée au dossier, au tribunal régional de Ruse au sujet de la procédure d’extradition du requérant. Ladite lettre précisait que le requérant avait le statut reconnu de réfugié en Pologne et en Allemagne, que les décisions d’octroi de ce statut avaient été motivées par un danger de persécution de l’intéressé dans son pays d’origine, et que ce danger persistait toujours. Le représentant du Haut Commissaire considérait qu’une éventuelle extradition du requérant vers la Russie serait contraire au principe de non-refoulement consacré par la Convention de Genève et à l’article 3 de la Convention. Il se référait par ailleurs à une série de décisions des tribunaux bulgares qui avaient refusé l’extradition de personnes reconnues comme étant des réfugiés dans d’autres pays européens vers leur pays d’origine, y compris vers la Russie. Le 23 août 2012, le tribunal régional de Ruse tint une audience sur la demande d’extradition du requérant. Celui-ci fut présent et assisté d’un avocat de son choix. L’avocat de l’intéressé présenta comme preuve une note verbale provenant de l’ambassade allemande à Sofia et mentionnant que le requérant bénéficiait du statut de réfugié en Pologne et en Allemagne et qu’il séjournait légalement dans ce dernier pays. Il présenta également la décision du directeur du service polonais de rapatriement et des étrangers qui accordait le statut de réfugié au requérant (paragraphe 11 ci-dessus). À l’audience, le parquet de Ruse plaida en faveur de la demande d’extradition du requérant. Il nota que l’intéressé était poursuivi au pénal par les autorités russes et faisait l’objet d’une décision ordonnant son placement en détention, qu’il était poursuivi par les autorités russes pour des infractions qui étaient également réprimées en tant qu’infractions pénales en Bulgarie, qu’il ne jouissait pas de l’immunité de poursuites pénales, qu’il n’encourait pas la peine capitale, et que le parquet russe avait garanti qu’il bénéficierait de toutes les garanties d’un procès équitable et qu’il ne serait pas soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. Le parquet soutint également que la reconnaissance du statut de réfugié dans deux autres pays ne permettait pas de justifier un éventuel refus d’extrader le requérant vers son pays d’origine. L’avocat du requérant plaida contre l’extradition de son client. Il soutint que ce dernier avait le statut de réfugié en Pologne et en Allemagne précisément à cause d’un risque de persécution dans son pays d’origine. Il ajouta que la Bulgarie, en tant que partie signataire de la Convention de Genève, était liée par le principe de non-refoulement consacré par celle-ci et que dès lors le statut accordé au requérant, reconnu par d’autres pays signataires de la même Convention, imposait de ne pas l’extrader vers son pays d’origine. Il affirma que le risque que l’intéressé soit soumis à des traitements inhumains et dégradants en Russie était réel et persistant, que certains des proches de celui-ci vivant dans le Caucase du Nord avaient disparu sans laisser de traces, et que, dans cette situation, les assurances données par le parquet russe étaient dépourvues de pertinence. Dans ses dépositions devant le tribunal régional de Ruse, le requérant exposait qu’il avait été durement éprouvé pendant la première guerre de Tchétchénie. Il indiquait que, au début du deuxième conflit armé entre les forces russes et les forces tchétchènes, il avait emmené ses proches au Kazakhstan et y était resté avec eux pendant quatre ans. Il ajoutait que tous étaient ensuite retournés dans le Caucase du Nord et s’étaient installés en Ingouchie où le requérant avait acheté sa maison à Nesterovskaya, et que, d’un commun accord avec les précédents propriétaires, il avait été décidé qu’ils devaient cohabiter avec ces derniers dans la maison pendant les six mois suivant la vente. Il affirmait que, le 11 octobre 2003, un des précédents propriétaires lui avait annoncé son déménagement prochain ainsi que l’arrestation d’une de ses connaissances. Il ajoutait que, le même jour, ce précédent propriétaire l’avait prévenu que lui-même risquait d’avoir des ennuis. Il indiquait qu’il avait alors emménagé avec sa famille chez ses beaux-parents, et que le 15 octobre 2003 il avait appris que sa maison avait été perquisitionnée et que les agents fédéraux y avaient découvert des armes. Il précisait que, à la suite de ces événements, il s’était rendu au FSB pour y donner des explications et qu’il avait fait l’objet de plusieurs visites des agents fédéraux par la suite. Il indiquait également qu’il avait reçu le 6 mars 2004 la visite de l’ancien propriétaire de la maison susmentionné, que celui-ci l’avait accusé de coopérer avec les autorités et lui avait demandé de rembourser la valeur des armes saisies par le FSB, et que l’homme avait menacé sa famille de mort s’il refusait de payer. Il déclarait qu’il avait quitté son domicile le lendemain avec sa famille et que tous étaient partis pour Brest, en Biélorussie, et de là en Pologne. Le requérant expliqua que la cause de ses problèmes était son refus de coopérer avec le FSB. Il indiqua que, peu après son départ pour la Pologne, ses parents avaient reçu la visite d’agents du FSB qui les avaient maltraités et leur avaient expliqué qu’ils rattraperaient leur fils « mort ou vivant ». Il ajouta que ses parents avaient fait l’objet de plusieurs autres visites par les forces de l’ordre et que, en 2007, sa sœur, qui habitait selon lui chez leurs parents en Ingouchie, avait disparu sans laisser de traces. Il affirma de plus que, en 2011, les agents du FSB avaient perquisitionné la maison de ses parents et s’étaient arbitrairement saisi de leur automobile et que peu après ces événements ses deux parents étaient décédés. Il expliqua encore qu’il craignait le FSB qu’il considérait comme omnipotent puisque, selon lui, ses agents avaient le pouvoir d’accuser et de tuer impunément. À titre d’exemple, il ajouta que l’activiste locale Natalia Estamirova avait été enlevée en plein jour et retrouvée morte peu après, que son décès était resté non élucidé, et que lui-même craignait qu’il ne lui arrive la même chose. Le même jour, le tribunal régional de Ruse rendit sa décision et rejeta la demande d’extradition du requérant. Le tribunal estima que celle-ci se heurtait à deux obstacles légaux. En premier lieu, il releva que le requérant avait obtenu la reconnaissance du statut de réfugié par les autorités de deux autres pays membres de l’Union européenne – la Pologne et l’Allemagne. À ce titre, se référant à l’article 78 § 2 a) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, lequel prévoyait selon lui un statut uniforme d’asile pour les ressortissants des pays tiers valable dans toute l’Union européenne, il jugea que le requérant devait être considéré comme bénéficiant du statut de réfugié en Bulgarie et qu’il s’agissait d’une raison absolue pour refuser son extradition. En deuxième lieu, il estima que les pièces du dossier démontraient qu’il y avait un risque avéré pour le requérant de subir des mauvais traitements dans son pays d’origine, et ce – à ses yeux – nonobstant les garanties en sens contraire données par les autorités russes dans la demande d’extradition. Le 30 août 2012, le parquet interjeta appel de cette décision. Il soutint que le requérant ne bénéficiait pas du droit d’asile en Bulgarie et que les pièces du dossier ne démontraient pas qu’il risquait d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants s’il était extradé vers la Russie. Il présenta une nouvelle déclaration du parquet général de la Fédération de Russie qui se lisait comme suit : « Le parquet général de la Fédération de Russie, en tant qu’autorité centrale sur les questions d’extradition, confirme toutes les garanties données précédemment concernant le respect des droits de M.G., y compris en ce qui concerne son intégrité physique et psychique (articles 7, 10 et 17 du Pacte II de l’ONU). [En] cas d’extradition [et d’éventuelle condamnation], [l’intéressé] purgerait sa peine sur le territoire russe dans un établissement pénitentiaire du service fédéral de l’exécution des peines où sont respectés tous les standards de la Convention européenne des droits de l’homme (...) L’ambassade de Bulgarie en Russie serait informée de son lieu de détention et les représentants de celle-ci auraient la possibilité de s’entretenir avec lui, y compris en l’absence de tierces personnes. Le parquet général de la Fédération de Russie garantit que la demande d’extradition n’a pas pour but la persécution de l’individu en cause pour des raisons politiques, pour son appartenance raciale, sa confession, sa nationalité ou ses convictions politiques. M.G. bénéficiera d’un procès équitable et impartial (...) ». Le 11 septembre 2012, la cour d’appel de Veliko Tarnovo tint une audience. Le requérant y était présent et fut assisté d’un autre avocat de son choix. Le parquet plaida en faveur de l’extradition et réitéra ses arguments exposés dans son mémoire en appel. L’avocat du requérant soutint que le statut de réfugié de son client, reconnu en Pologne et en Allemagne conformément à la Convention de Genève, empêchait les autorités bulgares de l’extrader vers son pays d’origine. Par ailleurs, il soutint que la jurisprudence constante des tribunaux bulgares allait dans le même sens. Le requérant exposa qu’il craignait pour sa vie s’il était extradé vers la Russie. Il indiqua qu’il était menacé par le FSB en raison de sa collaboration avec une organisation politique clandestine qui avait combattu les autorités russes. Le même jour, la cour d’appel rendit sa décision et se prononça en faveur de l’extradition du requérant vers la Russie. Les motifs de cette décision se lisaient comme suit : « La présente formation de jugement, après avoir pris en compte les arguments exposés dans [le mémoire en] appel, les observations des parties devant [elle], ainsi que les preuves versées au dossier, estime que l’appel est bien fondé. Pour rejeter la demande d’extradition de M.G. formée par le parquet général de la Fédération de Russie, le tribunal [de première instance] a considéré que la situation en cause relevait de l’article 6 alinéa 1 point 3 de la loi sur l’extradition et le mandat d’arrêt européen, notamment qu’il [ne pouvait être] procédé à l’extradition d’une personne bénéficiant du droit d’asile en Bulgarie. Cette conclusion du tribunal de première instance n’est pas partagée [par la présente instance] puisqu’il n’est pas établi que M.G. bénéficie d’un tel statut en Bulgarie. [Le] statut de réfugié reconnu en Pologne et en Allemagne, qui est incontestable, ne confère pas [à l’intéressé le bénéfice du droit] d’asile en Bulgarie étant donné que cela nécessite la délivrance d’une décision spéciale par les autorités compétentes [bulgares]. Ensuite, le tribunal [de première instance] s’est appuyé sur l’article 7 point 5 de la loi sur l’extradition et le mandat d’arrêt européen qui dispose que l’extradition est refusée si la personne visée [peut être] soumise dans son pays d’origine à des violences, à la torture, à une peine inhumaine, dégradante ou humiliante, ou bien si les droits de celle-ci liés à la procédure pénale et à l’exécution de la peine ne [peuvent être] garantis. Ceci n’a pas été prouvé dans [la présente] espèce. Qui plus est, le parquet général de la Fédération de Russie a informé les autorités bulgares qu’il garantissait, en cas d’extradition et de condamnation au pénal de M.G., [que ce dernier] purgerait sa peine conformément aux standards de la Convention européenne des droits de l’homme. Sans remettre en cause le statut de réfugié de M.G., [la présente instance considère que] cet élément n’oblige pas, à lui seul, la Partie requise à refuser l’extradition, notamment en raison des considérations suivantes. [Aux termes] de l’article 33 de la Convention de Genève (...), aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée. Encore faut-il préciser la raison concrète de la menace pesant sur la vie ou la liberté de la personne, à savoir la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social ou les opinions politiques [de cette dernière]. Dans [la présente] espèce, aucune des raisons en cause ne se trouve établie. Il ressort des pièces du dossier que la demande d’extradition formée par le parquet général russe est motivée par l’ouverture d’une enquête pénale contre M.G. et contre d’autres personnes pour des infractions pénales réprimées par les articles 209 alinéa 2, 205 alinéa 3, 222 alinéa 3 et 234 alinéa 3 du code pénal russe, [soit les infractions de] participation à un groupe armé, préparation d’actes terroristes, trafic d’armes et trafic de substances toxiques. Ces faits sont également pénalement réprimés par le code pénal bulgare, ce qui remplit la condition de « double pénalisation » exigée par l’article 5 de la loi sur l’extradition et le mandat d’arrêt européen. La Convention de Genève ne prévoit pas de refuser l’extradition de personnes ayant commis des infractions pénales et qui font l’objet de poursuites pénales. Dans [la présente] espèce, M.G. a même été formellement inculpé pour les infractions pénales susmentionnées. Au vu des arguments exposés ci-dessus, [la présente instance] considère que l’appel du parquet doit être accueilli. Il s’ensuit que la décision du tribunal régional doit être infirmée et que l’extradition de M.G. doit être autorisée (...) ». La cour d’appel ordonna par ailleurs la détention du requérant jusqu’à la mise en œuvre de la décision d’extradition. À la suite de la décision du Président de la section d’appliquer l’article 39 du règlement dans la présente affaire (paragraphe 4 ci-dessus), le requérant a été transféré à la prison de Sofia où il se trouve encore incarcéré. L’intéressé affirme ne pas avoir demandé l’asile en Bulgarie. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi sur l’extradition et le mandat d’arrêt européen La loi sur l’extradition et le mandat d’arrêt européen réglemente les conditions et la procédure d’extradition. Les dispositions pertinentes en l’espèce de cette loi se lisent comme suit : Article 2 « L’extradition est la remise d’une personne qui se trouve sur le territoire d’un pays et : qui est poursuivie pénalement dans un autre pays ou devant un tribunal international ; (...) qui est l’objet d’une mesure de détention imposée par les autorités judiciaires d’un autre pays ou par un tribunal international. » Article 4 « (1) Cette loi s’applique en la présence d’un traité international auquel la République de Bulgarie est partie et elle trouve application pour les questions non traitées par celui-ci. (...) (3) Cette loi s’applique également en cas de réception d’un avis de recherche international par l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) (...) » Article 5 « (1) L’extradition n’est admise que lorsque les faits en cause constituent une infraction pénale selon le droit bulgare et selon la législation de l’État requérant et [sont] passibles d’une peine de privation de liberté d’au moins un an ou d’une peine plus sévère. (...) (3) Les faits en cause constituent une infraction pénale dans les deux pays lorsque, nonobstant les différences dans les dispositions législatives [respectives de ces derniers], les éléments essentiels de l’infraction pénale sont identiques. » Article 6 « (1) L’extradition n’est pas accordée : (...) lorsque la personne réclamée s’est vu octroyer l’asile en République de Bulgarie ; (2) L’existence (...) du bénéfice de l’asile en République de Bulgarie s’apprécie au moment de l’introduction de la demande d’extradition. » Article 7 « (1) L’extradition est refusée : lorsque l’infraction a un caractère politique ou a un lien avec une infraction à caractère politique (...) ; lorsque l’infraction a un caractère militaire (...) ; lorsque la personne réclamée serait jugée dans l’État requérant par un tribunal extraordinaire (...) ; lorsque l’extradition a pour but les poursuites ou la punition d’une personne pour des raisons telles que sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance ethnique, son sexe, son état civil, ou qu’il est établi qu’il existe un risque d’aggravation de sa situation en raison d’une de ces circonstances ; lorsque la personne réclamée serait soumise dans l’État requérant à des violences, à la torture ou à une peine cruelle, inhumaine ou humiliante, ou lorsque les droits liés à la procédure pénale et à l’exécution de la peine ne lui seraient pas assurés [en violation des] exigences du droit international ; (...) » Article 9 « (1) La demande d’extradition est introduite par l’organe compétent de l’État requérant devant le ministre de la Justice. » Article 10 « (1) Le ministre de la Justice ou la personne autorisée par celui-ci vérifie la demande d’extradition et les documents joints à celle-ci. » Article 12 « (1) Après avoir vérifié la demande d’extradition conformément à l’article 10, le ministre de la Justice envoie la demande d’extradition et les documents joints à celle-ci, ainsi que la demande de détention, au parquet près la Cour suprême de cassation. » Article 14 « (1) Après la réception de la demande faite conformément à l’article 9, le parquet près la Cour suprême de cassation ouvre un dossier de procédure. (...) (3) Le dossier de procédure (...) est envoyé au procureur régional dans le ressort territorial duquel se trouve la personne réclamée. (4) Le procureur régional (...) : (...) saisit le tribunal régional de l’affaire relative à l’extradition. » Article 17 « (1) La demande d’extradition est examinée en audience publique, par une formation de trois juges et avec la participation d’un procureur. (...) (4) À l’audience publique, le tribunal recueille les positions du parquet, de la personne réclamée et de son avocat. (5) Le tribunal examine : la question de savoir si les conditions énumérées aux articles 5 et 6 sont réunies et s’il existe un obstacle à l’extradition en vertu des articles 7 et 8. (...) (7) Le tribunal rend sa décision d’accorder ou de refuser l’extradition immédiatement après la fin de l’audience prévue à l’alinéa 4. » Article 20 « (1) La décision du tribunal régional peut être contestée devant la cour d’appel par la personne réclamée et son défenseur ou par le parquet dans les sept jours suivant son prononcé. (2) L’appel est examiné dans les dix jours suivant son introduction conformément à la procédure prévue à l’article 17. (3) La décision de la cour d’appel est définitive. (4) Des copies conformes de la décision de la cour d’appel sont envoyées au ministre de la Justice, qui en informe l’État requérant, et au parquet près la Cour suprême de cassation pour délivrance d’un arrêté d’exécution de l’extradition. » B. La loi sur l’asile et les réfugiés La loi sur l’asile et les réfugiés réglemente les conditions et les procédures d’octroi de protection spéciale des étrangers sur le territoire bulgare. L’article 1 alinéa 2 de la loi énumère les quatre types de protection spéciale pouvant être accordés aux étrangers : le droit d’asile ; le statut de réfugié ; le statut humanitaire ; la protection temporaire. L’article 7 alinéa 1 de la loi définit le droit d’asile comme la protection accordée par la République de Bulgarie à des personnes persécutées en raison de leurs convictions ou à cause de leurs activités liées à la protection des droits ou libertés internationalement reconnus. L’asile est accordé par le Président de la République (article 7 alinéa 2 de la loi). En vertu de l’article 8 alinéa 1 de la loi, le statut de réfugié en Bulgarie est accordé à des étrangers qui ont des raisons sérieuses de craindre qu’ils seraient persécutés en raison de leur race, religion, nationalité, appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques, qui se trouvent en dehors de leur territoire national, et qui ne peuvent ou – du fait de cette crainte – ne veulent pas se réclamer de la protection de leur pays d’origine ou y retourner. Le statut de réfugié en vertu de cette loi, en application de la Convention de Genève ainsi que du Protocole de New York et des autres instruments internationaux est accordé par le président de l’Agence nationale pour les réfugiés (article 2 alinéa 3 de la loi). En vertu de l’article 13 alinéa 2 point 1 de la loi, la procédure d’octroi du statut de réfugié doit être close si le demandeur bénéficie déjà du statut de réfugié dans un autre pays membre de l’Union européenne. III. LE DROIT INTERNATIONAL ET LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE PERTINENTS A. Les instruments internationaux pertinents adoptés dans le cadre de l’Organisation des Nations unies La Bulgarie a adhéré à la Convention de Genève et au Protocole de New York le 12 mai 1993. Les parties pertinentes en l’espèce de la Convention de Genève se lisent comme suit : Article premier DÉFINITION DU TERME « RÉFUGIÉ » « A. Aux fins de la présente Convention, le terme «réfugié » s’appliquera à toute personne : (...) (2) Qui, par suite d’événements survenus avant le 1er janvier 1951 et craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner (...) » Article 33 DÉFENSE D’EXPULSION ET DE REFOULEMENT « 1. Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. » L’article premier du Protocole de New York se lit comme suit : « 1. Les États parties au présent Protocole s’engagent à appliquer aux réfugiés, tels qu’ils sont définis ci-après, les articles 2 à 34 inclus de la Convention [de Genève]. Aux fins du présent Protocole, le terme « réfugié », sauf en ce qui concerne l’application du paragraphe 3 du présent article, s’entend de toute personne répondant à la définition donnée à l’article premier de la Convention [de Genève] comme si les mots « par suite d’événements survenus avant le 1er janvier 1951 et ... » et les mots « ... à la suite de tels événements » ne figuraient pas au paragraphe 2 de la section A de l’article premier. » B. La Convention européenne d’extradition La Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 a été adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe et vise à réglementer les conditions et procédures d’extradition entre les États signataires. La République de Bulgarie et la Fédération de Russie ont signé et ratifié cette convention, laquelle est entrée en vigueur le 15 septembre 1994 pour la première et le 9 mars 2000 pour la deuxième. Les parties pertinentes en l’espèce de cette convention se lisent comme suit : Article 1 - Obligation d’extrader « Les Parties contractantes s’engagent à se livrer réciproquement, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui sont poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la Partie requérante. » Article 2 - Faits donnant lieu à extradition « 1. Donneront lieu à extradition les faits punis par les lois de la Partie requérante et de la Partie requise d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’un maximum d’au moins un an ou d’une peine plus sévère. Lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée sur le territoire de la Partie requérante, la sanction prononcée devra être d’une durée d’au moins quatre mois (...) » Article 3 - Infractions politiques « 1. L’extradition ne sera pas accordée si l’infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. La même règle s’appliquera si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d’extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d’être aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons (...) » Article 22 - Procédure « Sauf disposition contraire de la présente Convention, la loi de la Partie requise est seule applicable à la procédure de l’extradition ainsi qu’à celle de l’arrestation provisoire. » Article 28 - Relations entre la présente Convention et les accords bilatéraux « 1. La présente Convention abroge, en ce qui concerne les territoires auxquels elle s’applique, celles des dispositions des traités, conventions ou accords bilatéraux qui, entre deux Parties contractantes, régissent la matière de l’extradition (...) » C. Le droit pertinent de l’Union européenne La partie pertinente en l’espèce de l’article 78 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (version consolidée) se lit comme suit : « 1. L’Union développe une politique commune en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d’un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement. Cette politique doit être conforme à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et au protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés, ainsi qu’aux autres traités pertinents. Aux fins du paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures relatives à un système européen commun d’asile comportant : a) un statut uniforme d’asile en faveur de ressortissants de pays tiers, valable dans toute l’Union ; b) un statut uniforme de protection subsidiaire pour les ressortissants des pays tiers qui, sans obtenir l’asile européen, ont besoin d’une protection internationale ; (...) d) des procédures communes pour l’octroi et le retrait du statut uniforme d’asile ou de protection subsidiaire (...) » Dans le but de mettre progressivement en place un régime d’asile européen commun, les institutions de l’Union européenne ont adopté une série d’actes législatifs traitant de différents aspects des conditions d’octroi et des procédures applicables en matière d’asile et de protection équivalente des ressortissants des pays tiers. Ces actes concernent en particulier les domaines suivants : les conditions que les ressortissants de pays tiers doivent remplir pour pouvoir prétendre au statut de réfugié et le contenu de la protection accordée (Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011) ; les normes minimales relatives à la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié (Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005) ; les normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile (Directive du Conseil du 27 janvier 2003) ; les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile (Règlement (CE) no du Conseil du 18 février 2003 et Règlement (CE) no 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003). À l’heure actuelle, le cadre législatif de l’Union européenne ne prévoit pas, de manière expresse, l’instauration d’un mécanisme de reconnaissance mutuelle des décisions en matière d’asile rendues par les autorités nationales respectives des pays membres, tel qu’il a été suggéré dans le Livre vert de la Commission du 6 juin 2007 sur le futur régime d’asile européen commun (Com/2007/301 final). IV. LES RAPPORTS PERTINENTS SUR LA SITUATION DANS LE CAUCASE DU NORD A. Le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à la suite de sa visite de 2011 en Fédération de Russie Entre le 12 et le 21 mai 2011, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a effectué une visite en Fédération de Russie qui était spécialement consacrée à la situation dans le Caucase du Nord (les Républiques de Kabardino-Balkarie, d’Ossétie du Nord-Alanie, de Tchétchénie et d’Ingouchie). Il a publié son rapport de visite le 6 septembre 2011. Le rapport notait que, en dépit de certaines démarches positives des autorités visant à améliorer la qualité de vie des habitants de la région, la situation dans le Caucase du Nord continuait à présenter des défis majeurs quant à la protection des droits de l’homme. Les questions les plus sérieuses identifiées par le Commissaire étaient notamment : i) les mesures de contreterrorisme ; ii) les enlèvements, disparitions et maltraitances ; iii) la lutte contre l’impunité ; et iv) la situation des défenseurs des droits de l’homme. Le rapport contenait les observations et les recommandations du Commissaire sur ces points. Dans son rapport, le Commissaire observait que, même si la situation sécuritaire en Tchétchénie et en Ingouchie était moins instable qu’en 2009, elle demeurait néanmoins préoccupante. En particulier, les attentats mortels, les tentatives d’assassinats et les attaques violentes contre les responsables politiques, les membres des forces de l’ordre et les citoyens ordinaires continuaient dans la région du Caucase du Nord. Les membres des forces de l’ordre étaient régulièrement attaqués et tués dans des affrontements avec des groupes armés illégaux. En 2010, il y avait eu 169 incidents violents liés à de telles activités en Ingouchie et 93 en Tchétchénie. Pendant les quatre premiers mois de 2011, le nombre d’incidents s’élevait à 23 en Tchétchénie et à 20 en Ingouchie. En 2010, quelque 40 dépôts illégaux d’armes avaient été découverts en Ingouchie, auxquels s’étaient ajoutés 7 autres dépôts découverts au cours des premiers mois de 2011. Les autorités fédérales russes et celles de la République d’Ingouchie avaient fait des efforts pour promouvoir la réconciliation et la coexistence pacifique en instaurant des conseils consultatifs de réconciliation composés de chefs des différents clans et communautés locaux. Cependant, des activistes des droits de l’homme et des avocats locaux avaient informé le Commissaire de cas de violences, exécutions, disparitions forcées et maltraitances lors des opérations de contre-terrorisme menées dans le Caucase du Nord. Selon les mêmes sources d’information, il y aurait eu des opérations de punitions collectives de proches des personnes soupçonnées de participation à des groupes illégaux armés. Le Commissaire a été informé d’un cas particulier de maltraitance et d’accusations créées de toutes pièces en Ingouchie – un détenu suspecté de détention illégale d’armes ayant été battu et électrocuté par des policiers : des poursuites pénales avaient été ouvertes contre les agents en cause, mais la victime avait été inculpée et poursuivie pénalement sur la base de preuves douteuses. Le Commissaire notait que des allégations d’enlèvements et disparitions dans le Caucase du Nord continuaient à lui être transmises. Les forces de l’ordre auraient été directement impliquées dans une partie de ces incidents. Selon les informations compilées par une organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme concernant l’Ingouchie, il y aurait eu 14 cas de disparitions inquiétantes dans cette république en 2009 et 13 autres cas en 2010. Selon les sources gouvernementales russes, les enlèvements dans les républiques du Caucase du Nord étaient souvent perpétrés par des militants des groupes illégaux armés qui portaient des uniformes des forces de l’ordre, y compris du FSB. De nombreuses allégations de torture et maltraitances dans le Caucase du Nord avaient été portées à la connaissance du Commissaire. Ces cas concernaient en particulier des personnes détenues par la police, mais également des personnes placées dans les établissements de détention provisoire. Le Commissaire avait également reçu des documents des avocats de différentes personnes placées en détention provisoire démontrant l’attitude passive des autorités compétentes en cas d’allégations de mauvais traitements. B. Les observations finales du Comité contre la torture des Nations unies concernant le cinquième rapport périodique de la Fédération de Russie sur l’observation de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants Le Comité des Nations unies contre la torture a examiné le cinquième rapport périodique de la Fédération de Russie sur l’observation de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants les 9 et 12 novembre 2012. Il a adopté ses observations finales sur ledit rapport le 22 novembre 2012. La partie pertinente en l’espèce de ces observations se lit comme suit : « Torture et mauvais traitements Le Comité est préoccupé de continuer à recevoir des renseignements selon lesquels des actes de torture et des mauvais traitements sont très souvent infligés à des détenus dans l’État partie, notamment pour leur extorquer des aveux. Il constate l’écart entre le nombre élevé de plaintes pour torture et mauvais traitements et le nombre relativement faible de poursuites pénales auxquelles elles donnent lieu. Le Comité s’inquiète également de ce que l’État partie a affirmé, dans son rapport, qu’aucun cas de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants n’a été recensé dans les centres de détention provisoire, alors que le Comité a connaissance de nombreuses informations récentes attestant que des actes de torture ont bien été commis dans de tels centres (...) Aveux obtenus par la contrainte Le Comité est préoccupé par les nombreuses informations indiquant que des personnes privées de liberté ont été torturées ou soumises à d’autres mauvais traitements dans le but de leur soutirer des aveux, et que ces aveux ont été considérés comme recevables à titre de preuve par la justice sans qu’aucune enquête approfondie n’ait été menée sur les allégations de torture. Le Comité s’inquiète en outre de ne pas avoir reçu de renseignements sur des cas dans lesquels les tribunaux ont ordonné une enquête sur les allégations d’un accusé affirmant avoir fait des aveux sous la contrainte, ou ont reporté une procédure pénale dans l’attente des conclusions d’une telle enquête, et/ou ont estimé que de tels aveux ou d’autres éléments de preuve étaient irrecevables (...) Caucase du Nord Le Comité est préoccupé par les informations nombreuses, persistantes et concordantes faisant état de graves violations des droits de l’homme commises par des agents de l’État ou d’autres personnes agissant à titre officiel dans le Caucase du Nord, notamment en République tchétchène, ou à leur instigation, ou avec leur consentement exprès ou tacite ; il s’agirait notamment d’actes de torture et de mauvais traitements, d’enlèvements, de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires. Le Comité constate en outre avec inquiétude que l’État partie n’enquête pas sur les auteurs de ces violations et ne les sanctionne pas (...) Le Comité contre la torture regrette également que des personnes reconnues coupables d’infractions constituant des violations de la Convention [des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants] aient bénéficié de mesures d’amnistie (...) » C. Le rapport du Comité pour la prévention de la torture et des traitements et peines inhumains et dégradants du Conseil de l’Europe (le CPT) à la suite de sa visite de 2011 en Fédération de Russie Une délégation du CPT a visité la région de Caucase du Nord entre le 26 avril et le 6 mai 2011. Le rapport rédigé à la suite de cette visite a été publié le 24 janvier 2013. La visite était motivée par des informations persistantes sur la dégradation de la situation sécuritaire dans la région et par des allégations de torture et d’autres traitements inhumains et dégradants qui auraient été infligés aux personnes détenues par les forces de l’ordre dans les Républiques du Daghestan, de Tchétchénie et d’Ossétie du Nord-Alanie. La partie pertinente en l’espèce du rapport se lit comme suit (texte disponible uniquement en anglais) : « 1. Torture and other forms of ill-treatment In the course of the visit, a significant proportion of the detained persons interviewed by the CPT’s delegation made allegations of recent ill-treatment by law enforcement officials. The ill-treatment alleged was frequently of such severity as to amount to torture; this was particularly the case in the Republic of Dagestan and the Chechen Republic, although some very serious allegations were also received in the Republic of North Ossetia-Alania. In the vast majority of cases, the torture/severe ill-treatment was said to have been inflicted at the time of questioning by operational officers, either during the initial period of deprivation of liberty or (and) during periods when remand prisoners were returned to the custody of law enforcement agencies for further investigative purposes, with a view to obtaining confessions or information. Consistent and often highly-detailed accounts of such treatment were received from persons interviewed individually who had had no possibility of contacting each other. It should also be noted that a number of the persons interviewed by the delegation were clearly reluctant to speak about their experiences whilst in the custody of law enforcement agencies or other security structures, and only did so after much hesitation. In a considerable number of cases, the delegation gathered medical evidence (e.g. in the relevant records in the SIZOs and IVS facilities visited, and in forensic medical reports) that was fully consistent with recent torture or other forms of severe ill-treatment. Further, some of the allegations received were corroborated by the delegation’s own medical observations. In particular, forensic medical members of the delegation observed lesions on various parts of the bodies of several persons, that were fully consistent with their claims of having recently been subjected to electric shocks in the course of questioning by law enforcement officials. Although the information gathered by the CPT’s delegation indicates that resort to ill-treatment is particularly prevalent in respect of persons suspected of offences under Sections 205, 208, 209 and 222 of the Criminal Code (CC), the phenomenon is certainly not limited to such persons (...) Once again, the picture emerged that any detained persons who do not promptly confess to the crimes of which they are suspected, or provide information being sought, are at high risk of torture or other forms of ill-treatment (...) » D. Les rapports mondiaux de Human Rights Watch de 2013 et 2014 Les rapports mondiaux de Human Rights Watch, publiés en 2013 et 2014, contiennent des informations sur la situation des droits de l’homme dans plus de quatre-vingt-dix pays et territoires dans le monde entier. Ces rapports reposent sur des faits ayant eu lieu entre fin 2011 et décembre 2013. Dans la section consacrée à la situation dans le Caucase du Nord (pp. 465-466), le rapport de 2013 fait état de l’insurrection islamiste continue dans la région, en particulier dans la République du Daghestan. Selon ce rapport, les autorités russes sont enclines à considérer les adhérents du salafisme – un courant théologique de l’islam sunnite – comme des collaborateurs de l’insurrection islamiste dans la région. Le rapport indique que, de ce fait, ces personnes sont particulièrement vulnérables et risquent de devenir victimes de différents abus de la part des forces de l’ordre lors des opérations antiterroristes tels que disparitions forcées, torture et exécutions extrajudiciaires. Il mentionne qu’il y avait eu quatre cas de disparitions forcées en Ingouchie entre janvier et août 2012. La section pertinente en l’espèce du rapport de 2014 (pp. 474-477) fait état d’une situation sécuritaire instable dans le Caucase du Nord. Les informations suivantes y figurent : au cours des neuf premiers mois de 2013, 375 personnes avaient été tuées dans la région, dont 68 civils, et 343 autres personnes avaient été blessées, dont 112 civils ; les persécutions contre les salafistes s’étaient accentuées en 2013 ; et les autorités russes fermaient les yeux devant les agissements des milices locales qui pourchassaient les salafistes et leurs proches. Selon ces rapports, entre janvier et mars 2013, cinq personnes avaient été enlevées et séquestrées en Ingouchie, et deux des personnes enlevées avaient disparu sans laisser de traces. Human Rights Watch signale aussi qu’en août 2013, le chef du Conseil de sécurité de l’Ingouchie avait été tué dans une attaque attribuée aux insurgés.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1953 et réside à Florence. En juin 1992, elle décida d’acheter à l’entreprise X un appartement en construction au prix de 310 000 000 lires italiennes (ITL), soit environ 160 101 euros (EUR). Le 13 juin 1992, elle versa un acompte de 10 000 000 ITL (environ 5 164 EUR) à titre de caution. Le 3 juillet 1992, la requérante signa un contrat préliminaire de vente. Elle versa un acompte ultérieur de 36 500 000 ITL (environ 18 850 EUR). Elle effectua d’autres paiements échelonnés en fonction de l’avancement des travaux de construction. Elle versa ainsi à l’entreprise X la somme totale de 415 577 434 ITL (environ 214 627 EUR), supérieure au prix de vente convenu. En mars 1995, la requérante emménagea dans l’appartement en question et y établit sa résidence principale. Le 14 mars 1997, se fondant sur l’article 2932 du code civil (« le CC »), la requérante assigna le représentant de l’entreprise X, lequel refusait de signer le contrat de vente définitif, devant le tribunal de Florence afin d’obtenir le transfert de propriété par la voie judiciaire. Le 26 novembre 1997, l’entreprise X fut déclarée en état de faillite, ce qui provoqua l’interruption de jure de la procédure civile engagée par la requérante. Le 3 février 1998, le liquidateur judiciaire désigné dans le cadre de la procédure de faillite communiqua à la requérante sa décision de résilier le contrat préliminaire de vente, en application de l’article 72 § 4 de la loi sur la faillite (décret royal no 267 du 16 mars 1942). Le 5 mai 1998, il informa l’intéressée que les biens immobiliers constituant l’actif de la faillite allaient être vendus aux enchères et il l’invita à restituer l’appartement qu’elle occupait sans titre. A la suite de pourparlers engagés par la requérante, il indiqua à cette dernière que, afin d’éviter la vente aux enchères de cet appartement, elle devait verser la somme de 324 000 000 ITL (environ 167 332 EUR). La requérante ne disposant pas de cette somme, il lui fut demandé, le 21 janvier 1999, de payer une indemnité d’occupation mensuelle de 700 000 ITL (environ 361 EUR), et ce depuis décembre 1997, soit au total la somme de 9 100 000 ITL (environ 4 699 EUR). Le 25 février 1999, l’appartement fut vendu aux enchères. La requérante affirme n’avoir reçu aucune communication à ce sujet. Le bien en question fut acheté par les époux Y au prix de 227 000 000 ITL (environ 117 235 EUR), et l’inscription de l’action introduite par la requérante aux termes de l’article 2932 du CC fut rayée des registres fonciers. Le 18 mai 1999, la requérante introduisit une action en justice afin d’obtenir l’annulation de la décision du liquidateur judiciaire de résilier le contrat préliminaire de vente et du transfert de propriété de l’appartement aux époux Y. Le 25 mai 1999, la requérante demanda l’inscription au passif de la faillite des sommes qu’elle avait payées à l’entreprise X. Le 22 juillet 1999, elle demanda au juge délégué à la faillite de révoquer la radiation de son action fondée sur l’article 2932 du CC. Entre-temps, le 12 juillet 1999, les époux Y avaient intimé à la requérante de quitter l’appartement litigieux dans un délai de dix jours. L’intéressée fit opposition à l’exécution de son expulsion, au motif que des actions judiciaires portant sur le titre de propriété de ce bien étaient pendantes. Le juge d’instance de Pontassieve (Florence) accepta de suspendre temporairement ladite exécution, contre paiement par la requérante d’une caution de 5 000 000 ITL (environ 2 582 EUR). Dans l’intervalle, à la demande de la requérante, la procédure engagée par elle sur le fondement de l’article 2932 du CC avait été reprise. Par un jugement du 4 octobre 1999, déposé au greffe le 23 octobre 1999, le tribunal de Florence rejeta l’action en annulation de la requérante. Il observa que, aux termes de l’article 72 § 4 de la loi sur la faillite, si la propriété du bien vendu n’avait pas été transférée à l’acheteur, le liquidateur judiciaire avait le choix entre l’exécution du contrat et sa résiliation. Il précisa que, selon la doctrine et la jurisprudence nationales, ce choix pouvait être effectué même si une action fondée sur l’article 2932 du CC était pendante. Par ailleurs, il releva que, si le liquidateur judiciaire optait pour la résiliation, il n’était plus possible de prononcer un jugement fondé sur cet article. Il ajouta que, en l’occurrence, le contrat signé le 3 juillet 1992 était un contrat préliminaire de vente et que, indépendamment de la prise de possession de l’appartement et du paiement du prix de vente par la requérante, il n’avait pas pour effet de transférer la propriété. La requérante ayant invoqué l’article 47 de la Constitution, relatif à la protection du droit à l’acquisition de l’habitation principale, pour exciper d’une inconstitutionnalité de l’article 72 § 4 de la loi sur la faillite, le tribunal de Florence écarta cette exception d’inconstitutionnalité comme manifestement mal fondée, étant donné qu’il était loisible au législateur de mettre en balance ce droit avec d’autres motifs d’intérêt public. La requérante interjeta appel. En outre, le 12 novembre 1999, elle demanda au parquet de Florence d’enquêter sur l’existence d’éventuelles infractions pénales dont elle aurait pu être victime ; elle ne reçut aucune réponse à cette requête. Par un arrêt du 10 juillet 2001, déposé au greffe le 14 août 2001, la cour d’appel de Florence confirma le jugement de première instance. Elle estima que le tribunal de Florence avait dûment motivé tous les points controversés. Elle observa cependant que la résiliation de contrats similaires à celui signé par la requérante était souvent une source de préjudices financiers très importants car, en cas de faillite des constructeurs, les acheteurs risquaient de perdre non seulement leurs biens immobiliers mais aussi les sommes versées par eux. Elle indiqua qu’elle ne pouvait que souhaiter une intervention du législateur à cet égard. La requérante se pourvut en cassation. Par un arrêt du 21 septembre 2005, déposé au greffe le 22 décembre 2005, la Cour de cassation, estimant que la cour d’appel avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés, débouta la requérante. Entre-temps, le 26 juin 2001, le tribunal de Pontassieve avait rejeté l’opposition formée par la requérante à l’exécution de son expulsion. Ce jugement fut confirmé en appel le 23 avril 2004. La requérante reçut plusieurs visites d’un huissier de justice et une partie de son salaire fut saisie. Également dans l’intervalle, le 25 février 2004, la requérante avait présenté une nouvelle demande de suspension de son expulsion pour raisons de santé, et le juge avait alors fixé l’audience au 9 mars puis au 29 mars 2004. A cette dernière date, les époux Y proposèrent à la requérante de lui vendre l’appartement au prix de 190 000 EUR. L’exécution forcée de l’expulsion, fixée au 28 juillet 2004, n’aboutit pas et elle fut renvoyée au 22 octobre 2004 au motif que le préfet n’avait pas autorisé l’huissier de justice à se faire assister par la force publique. L’expulsion fut ensuite reportée de trois mois en trois mois, l’huissier se présentant à chaque fois non accompagné d’agents de la force publique. En mai 2005, la requérante signa avec les époux Y une promesse de vente moyennant le prix de 190 000 EUR. Le contrat de vente fut signé le 6 octobre 2005, date à laquelle la requérante devint propriétaire de l’appartement où elle résidait. La requérante indique que, n’ayant pas accès au prêt bancaire, elle a dû s’endetter auprès de sa famille et de ses amis pour recueillir la somme requise, et que son mari a été contraint d’accepter un travail en Sibérie afin d’obtenir une rentrée d’argent plus importante. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 2932 du CC est ainsi libellé : « Si celui qui est tenu de conclure un contrat n’exécute pas son obligation, l’autre partie, lorsque cela est possible et n’est pas exclu par le titre [qu’elle détient], peut obtenir un jugement produisant les effets du contrat non conclu. S’il s’agit de contrats qui ont pour objet le transfert de propriété d’une chose déterminée ou la constitution ou le transfert d’un autre droit, la demande ne peut être accueillie si la partie qui l’a faite n’exécute pas sa prestation ou ne fait pas une offre formelle [en ce sens] selon les modalités établies par la loi, à moins que la prestation ne soit pas encore exigible. » Tel qu’en vigueur à l’époque des faits, l’article 72 § 4 de la loi sur la faillite (décret royal no 267 du 16 mars 1942) se lisait comme suit : « En cas de faillite du vendeur, si la propriété de la chose vendue a été transférée à l’acheteur, le contrat n’est pas résilié. Si la propriété de la chose vendue n’a pas été transférée à l’acheteur, le liquidateur judiciaire a le choix entre l’exécution du contrat et sa résiliation. En cas de résiliation du contrat, l’acheteur a le droit de faire inscrire sa créance au passif [de la faillite], sans avoir droit à la réparation des dommages subis. » La loi sur la faillite a ensuite été modifiée par plusieurs interventions du législateur (décret législatif no 5 du 9 janvier 2006, décret législatif no 169 du 12 septembre 2007 et loi no 134 du 7 août 2012). Dans ses parties pertinentes en l’espèce, l’article 72 de ladite loi se lit désormais comme suit : « Si un contrat n’a pas encore été exécuté ou n’a pas été entièrement exécuté par les parties, lorsque l’état de faillite a été déclaré à l’encontre de l’une d’elles, son exécution (...) est suspendue jusqu’à ce que le liquidateur judiciaire, avec l’autorisation du comité des créanciers, déclare [soit] se subroger dans les droits du failli dans le contrat, en assumant toutes les obligations y relatives, [soit] se libérer [dudit contrat], à moins que, dans les contrats portant sur des droits réels, le transfert du droit [en cause] ait déjà eu lieu. Toute partie au contrat peut mettre en demeure le liquidateur judiciaire, en faisant fixer à son encontre, par le juge délégué [à la faillite], un délai non supérieur à soixante jours à l’expiration duquel le contrat est considéré comme étant résilié. Les dispositions du premier paragraphe s’appliquent aussi au contrat préliminaire de vente, à l’exception de ce qui est prévu à l’article 72 bis. En cas de résiliation, la partie [requérante] a le droit [de faire] inscrire au passif [de la faillite] la créance découlant de la non-exécution [du contrat], sans avoir droit à la réparation des dommages subis. (...) En cas de résiliation du contrat préliminaire de vente immobilière, conformément à l’article 2645 bis du code civil, l’acheteur a le droit [de faire] inscrire sa créance au passif [de la faillite], sans avoir droit à la réparation des dommages subis, et [il] jouit du privilège décrit à l’article 2775 bis du code civil, à condition que les effets de l’enregistrement du contrat préliminaire de vente n’aient pas cessé avant la date de déclaration de la faillite. Les dispositions du premier paragraphe ne s’appliquent pas au contrat préliminaire de vente enregistré conformément à l’article 2645 bis du code civil et portant sur un immeuble à usage d’habitation destiné à être l’habitation principale de l’acheteur ou de membres de sa famille jusqu’au troisième degré ou bien sur un immeuble d’un usage autre destiné à être le siège principal (de l’activité) de l’entreprise de l’acheteur. » Le législateur a également ajouté un article 72 bis à cette loi, intitulé « contrats relatifs à un immeuble en construction », aux termes duquel : « Les contrats décrits à l’article 5 du décret législatif no 122 du 20 juin 2005 sont résiliés si, avant que le liquidateur judiciaire ne communique son choix entre exécution et résiliation [du contrat], l’acheteur a obtenu la fidéjussion (escusso la fideiussione) en garantie de la restitution des sommes payées au constructeur et en a informé le liquidateur judiciaire. En tout état de cause, la fidéjussion ne peut pas être obtenue après [la] communication par le liquidateur judiciaire de sa décision de donner exécution au contrat. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante arriva en Italie avec son compagnon et sa fille de quatre ans en 2000. En 2002 elle accoucha d’une autre fille. Par la suite, ses deux filles furent envoyées chez les grands-parents en Chine. En 2004, la requérante tomba de nouveau enceinte. Son compagnon la quitta. Pendant la grossesse, la requérante ne consulta aucun médecin. Le 16 septembre 2004, elle fut hospitalisée en urgence pour une pyélonéphrite gravidique. Au moment de l’accouchement la requérante eut une ischémie. Après la naissance de A., les services sociaux décidèrent de prendre en charge la requérante et son enfant. En octobre 2004, la requérante fut placée dans une maison mère-enfant avec A. et quelques mois plus tard dans une autre structure publique à Padoue. La requérante trouva un travail à Belluno dans une entreprise chinoise. Compte tenu de ce qu’à Belluno il n’y avait pas de place pour l’enfant dans une structure publique, les services sociaux décidèrent de le placer à Padoue dans un institut. La requérante rentra à Padoue. Par la suite, la requérante trouva un travail à l’hôpital de Padoue. Toutefois, les horaires étaient très variables et elle ne pouvait pas s’occuper toute seule de A. ; par conséquent, en accord avec les services sociaux, A. fut placé pendant la journée dans une famille d’accueil. Trois mois plus tard, la famille d’accueil informa les services sociaux qu’elle n’était plus disposée à accueillir A. pendant la journée. En mars 2007, sans en informer les services sociaux, la requérante décida de confier son fils à un couple de voisins pendant qu’elle se rendait au travail. Les services sociaux, n’étant pas d’accord sur le choix du couple, et sans autre action, comme par exemple promouvoir la recherche d’un couple, à leur avis, apte à assurer la garde temporaire de l’enfant en l’absence de la mère, signalèrent la situation de la requérante au procureur de la République près le tribunal pour enfants de Venise (ci-après « le tribunal »). En particulier, ils faisaient valoir que les voisins de la requérante étaient âgées et qu’il y avait de soupçons quant au fait qu’ils auraient payé la requérante pour pouvoir garder l’enfant en son absence. Le 18 décembre 2007, le procureur demanda au tribunal l’ouverture d’une procédure d’adoptabilité pour A. Selon le procureur, la mère n’était pas en mesure de s’occuper de l’enfant. Par un décret du 28 décembre 2007, le tribunal confia la garde de A. aux services sociaux avec placement de l’enfant dans une famille d’accueil. La requérante avait un droit de visite à raison de deux jours par semaine. Le 23 mai 2008, le tribunal pour enfants confirma sa décision précédente et établit que la mère aurait un droit de visite d’une heure tous les quinze jours. Par un décret du 25 juillet 2008, le tribunal de Venise suspendit le droit de visite de la mère. Il observa que les services sociaux demandaient la suspension des rencontres. Selon la psychologue qui avait examiné l’enfant, A. était bien inséré dans la famille d’accueil, mais après les rencontres avec la requérante, il en sortait très perturbé. Par ailleurs, A. n’avait pas construit de lien avec sa mère. Les rencontres étaient donc « inopportunes et dérangeantes » pour l’enfant. Le 4 octobre 2008, la requérante déposa une réclamation (reclamo) devant la cour d’appel de Venise en faisant valoir que le lien avec son fils était très fort et demanda à pouvoir exercer un droit de visite. Elle demandait également que soit ordonnée une expertise afin d’évaluer ses capacités à exercer le rôle de mère. Par un décret du 12 décembre 2008 déposé au greffe le 6 février 2009, la cour d’appel de Venise révoqua le décret du tribunal de Venise et ordonna que des rencontres entre la mère et l’enfant soient organisées , chargea les services sociaux d’organiser lesdites rencontres et de préparer un rapport sur la situation de l’enfant. En particulier la cour d’appel souligna que les difficultés de A. lors des rencontres ne seraient pas la conséquence d’un refus de la figure maternelle, mais elles seraient dues à la situation d’incertitude quant au placement dans la famille d’accueil et la reprise des rencontres. De plus, selon la cour d’appel le comportement de la requérante pendant les rencontres ne pouvait pas être considéré comme dérangeant pour A. Par un décret du 9 mai 2009, la cour d’appel de Venise confirma son décret du 12 décembre 2008 et renvoya le traitement de l’affaire devant le tribunal de Venise. La cour d’appel releva en particulier que l’enfant était perturbé par les visites de sa mère et à cause de l’absence d’un projet de vie commune. Le 12 juin 2009, le tribunal pour enfants ordonna une expertise afin d’évaluer la situation de A. et de la requérante. Selon l’expert, la mère était incapable de s’occuper de l’enfant ; en raison de l’ischémie dont elle avait souffert au moment de l’accouchement, ses capacités de réflexion et d’empathie étaient diminuées et elle n’était pas capable de programmer un avenir avec son fils. Les rencontres entre A. et sa mère n’étaient pas préjudiciables à l’enfant, mais elles étaient perçues par lui comme un désagrément. De plus, la mère avait délégué son rôle parental aux autres personnes et elle n’avait pas le temps de s’occuper de l’enfant à cause de son travail. Elle n’était donc ni en mesure d’exercer son rôle parental, ni capable de suivre le développement de la personnalité de A., ni apte à lui permettre de grandir sereinement. Psychologiquement traumatisante pour le développement de A., la requérante agissait de manière impulsive pendant les rencontres. En particulier, l’expert souligna que la requérante offrait de la nourriture et des vêtements pendant les rencontres, et que parfois elle essayait de l’habiller avec les nouveaux vêtements. Par un décret du 14 avril 2010, le tribunal, à la lumière de l’expertise susmentionnée, déclara l’enfant adoptable et ordonna l’interruption des rencontres entre la requérante et A. La requérante interjeta appel. En particulier, compte tenu des conclusions de l’expertise sur l’enfant, la requérante demanda à la cour d’appel de pouvoir continuer à rencontrer son fils selon des modalités fixées par la cour. Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante affirmait que l’interruption de tout rapport n’était pas conforme à la Convention. Le curateur de l’enfant demanda à la cour d’appel de ne pas procéder à une adoption plénière (adozione legittimante) mais de procéder à une « adozione legittimante aperta » ou « adozione mite » (ci-après « adoption simple ») à savoir une adoption qui permettrait à la requérante de rencontrer son fils sous la surveillance des services sociaux de manière à maintenir un lien entre eux. Par un décret du 13 décembre 2010, la cour d’appel confirma l’adoptabilité de A. En particulier, elle souligna qu’une adoption simple n’était pas prévue par le législateur, mais que dans certains cas, par le biais d’une interprétation extensive de l’article 44 d) de la loi no184 de 1983, le tribunal pour enfants de Bari avait prononcé l’adoption simple dans des circonstances particulières, à savoir lorsque le délai pour le placement en famille d’accueil avait expiré et que la réinsertion dans la famille d’origine n’était plus possible. Dans ces cas, compte tenu du lien affectif instauré entre les mineurs et la famille d’accueil, le tribunal de Bari avait appliqué l’adoption « simple » et les mineurs conservaient un lien avec la famille biologique. La cour d’appel releva qu’il y avait un vide juridique dans ce domaine et qu’une situation d’abandon pouvait découler non seulement d’un manque d’assistance matérielle et morale, mais aussi de comportements des parents compromettant un développement sain et équilibré de la personnalité de l’enfant. Dans le cas d’espèce, il y avait tous les éléments nécessaires pour déclarer l’état d’adoptabilité de A. et aucun problème de compatibilité avec l’article 8 de la Convention ne se posait. La cour d’appel, se référant en particulier à l’expertise déposée, ajouta que la requérante n’avait pas les ressources nécessaires pour suivre le développement de son enfant et qu’elle n’était pas en mesure de prendre soin de lui. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les articles du code civil prévoyant l’adoption simple ont été abrogés par l’effet de l’entrée en vigueur de la loi no 184 du 4 mai 1983 (révisée ensuite par la loi no 149 de 2001 et par le décret législatif no 196 du 30 juin 2003). La loi no 184 du 4 mai 1983 avait déjà amplement modifié la matière de l’adoption. Elle a depuis lors été amendée de nouveau (loi no 149 de 2001). Article 1 « Le mineur a le droit d’être éduqué dans sa propre famille ». Article 2 « Le mineur qui est resté temporairement sans environnement familial adéquat peut être confié à une autre famille, si possible comprenant des enfants mineurs, ou à une personne seule, ou à une communauté de type familial, afin de lui assurer la subsistance, l’éducation et l’instruction. Au cas où un placement familial adéquat ne serait pas possible, il est permis de placer le mineur dans un institut d’assistance public ou privé, de préférence dans la région de résidence du mineur ». Article 5 « La famille ou la personne à laquelle le mineur est confié doivent lui assurer la subsistance, l’éducation et l’instruction (...) compte tenu des indications du tuteur et en observant les prescriptions de l’autorité judiciaire. Dans tous les cas, la famille d’accueil exerce la responsabilité parentale en ce qui concerne les rapports avec l’école et le service sanitaire national. La famille d’accueil doit être entendue dans la procédure de placement et celle concernant la déclaration d’adoptabilité ». Article 7 « L’adoption est possible au bénéfice des mineurs déclarés adoptables ». Article 8 « Le tribunal pour enfants peut déclarer en état d’adoptabilité, même d’office, (...) les mineurs en situation d’abandon car dépourvus de toute assistance morale ou matérielle de la part des parents ou de la famille tenus d’y pourvoir, sauf si le manque d’assistance est dû à une cause de force majeure de caractère transitoire ». « La situation d’abandon subsiste », poursuit l’article 8, « (...) même si les mineurs se trouvent dans un institut d’assistance ou s’ils ont été placés auprès d’une famille ». Enfin, l’article 8 prévoit que la cause de force majeure cesse si les parents ou d’autres membres de la famille du mineur tenus de s’en occuper refusent les mesures d’assistance publique et si ce refus est considéré par le juge comme injustifié. La situation d’abandon peut être signalée à l’autorité publique par tout particulier et peut être relevée d’office par le juge. D’autre part, tout fonctionnaire public, ainsi que la famille du mineur, qui ont connaissance de l’état d’abandon de ce dernier, sont obligés d’en faire la dénonciation. Par ailleurs, les instituts d’assistance doivent informer régulièrement l’autorité judiciaire de la situation des mineurs qu’ils accueillent (article 9). Article 10 « Le tribunal peut ordonner, jusqu’au placement pré-adoptif du mineur dans la famille d’accueil, toute mesure temporaire dans l’intérêt du mineur, y compris, le cas échéant, la suspension de l’autorité parentale, la suspension des fonctions de tuteur ou la nomination d’un tuteur temporaire. » Les articles 11 à 14 prévoient une instruction visant à éclaircir la situation du mineur et à établir si ce dernier se trouve en état d’abandon. En particulier, l’article 11 dispose que lorsque, au cours de l’enquête, il ressort que l’enfant n’a de rapports avec aucun membre de sa famille jusqu’au quatrième degré, le tribunal peut déclarer l’état d’adoptabilité sauf s’il existe une demande d’adoption au sens de l’article 44. À l’issue de la procédure prévue par ces derniers articles, si l’état d’abandon au sens de l’article 8 persiste, le tribunal pour enfants déclare le mineur adoptable si : a) les parents ou les autres membres de la famille ne se sont pas présentés au cours de la procédure ; b) leur audition a démontré la persistance du manque d’assistance morale et matérielle ainsi que l’incapacité des intéressés à y remédier ; c) les prescriptions imposées en application de l’article 12 n’ont pas été exécutées par la faute des parents. Article 15 « La déclaration d’état d’adoptabilité est prononcée par le tribunal pour enfants siégeant en chambre du conseil par décision motivée, après avoir entendu le ministère public, le représentant de l’institut auprès duquel le mineur a été placé ou de son éventuelle famille d’accueil, le tuteur et le mineur lui-même s’il est âgé de plus de douze ans ou, s’il est plus jeune, si son audition est nécessaire ». Article 17 « L’opposition à la décision déclarant un mineur adoptable doit être déposée dans un délai de trente jours à partir de la date de la communication à la partie requérante. « L’arrêt de la cour d’appel qui déclare l’état d’adoptabilité peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation dans un délai de 30 jours à partir de la date de la notification pour les motifs prévus aux numéros 3, 4, 5 du premier alinéa de l’article 360 du code de procédure civile ». Article 19 « Pendant la procédure visant à la déclaration d’adoptabilité, l’exercice de l’autorité parentale est suspendu ». L’article 20 prévoit enfin que l’état d’adoptabilité cesse au moment où le mineur est adopté ou si ce dernier devient majeur. Par ailleurs, la déclaration d’adoptabilité peut être révoquée, d’office ou sur demande des parents ou du ministère public, si les conditions prévues par l’article 8 ont entre-temps disparu. Cependant, si le mineur a été placé dans une famille en vue de l’adoption ("affidamento preadottivo") au sens des articles 22 à 24, la déclaration d’adoptabilité ne peut pas être révoquée. L’article 22 § 8 prévoit que le tribunal pour enfants contrôle le bon déroulement du placement en vue de l’adoption avec la collaboration du juge des tutelles, des services sociaux et des experts. S’il y a des difficultés, le tribunal convoque, même séparément, la famille d’accueil et le mineur en présence, le cas échéant, d’un psychologue pour vérifier les raisons des difficultés. En cas de nécessité, il peut ordonner des mesures de soutien psychologique. L’article 25 prévoit qu’un an après avoir déclaré l’adoptabilité, le tribunal pour enfants, peut décider sur l’adoption en chambre de conseil. Selon l’article 26 § 2, prévoit que l’arrêt de la cour d’appel qui dispose l’adoption peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation dans un délai de 30 jours à partir de la date de la notification pour les motifs prévus aux numéro 3 du premier alinéa de l’article 360 d) du code de procédure civil. Article 44 De l’adoption dans des cas particuliers. Lorsque les conditions visées à l’alinéa 1 de l’article 7 ne sont pas réunies (mineurs qui n’ont pas encore été déclarés adoptables, les mineurs peuvent également être adoptés: a) par des personnes ayant avec le mineur un lien jusqu’au sixième degré ou un rapport stable et durable préexistant, lorsque le mineur est orphelin de père ou de mère; b) par le conjoint dans le cas où le mineur est fils même adoptif de l’autre conjoint ; c) quand le mineur est dans l’état indiqué à l’article 3, alinéa 1 de la loi no 104 du 5 février 1992 et qu’il est orphelin de père et de mère; d) quand l’impossibilité de procéder à un placement en vue de l’adoption a été constatée. Dans les cas visés à l’alinéa 1, l’adoption est possible même en présence d’enfants légitimes. Dans les cas visés à l’alinéa 1 a), c) et d), l’adoption est possible, outre aux conjoints, également à ceux qui ne sont pas mariés. Si l’adoptant est marié/ée et qu’il/elle n’est pas séparé/ée, l’adoption ne peut être décidée qu’à la suite d’une demande des deux conjoints. Dans les cas visés à l’alinéa 1 a) et d), l’âge de l’adoptant doit dépasser d’au moins dix-huit ans l’âge de ceux qu’il entend adopter. Selon les informations soumises par le Gouvernement, plusieurs tribunaux pour enfants ont fait application de l’article 44 d) de la loi no 184 de 1993 au-delà des cas prévus par la loi. En particulier, sur treize tribunaux interpellés, six ont fait une interprétation extensive de l’article 44 d). Le tribunal de Lecce a fait une telle interprétation dans des cas où il estimait qu’il n’y avait pas un vrai état d’abandon. Le tribunal de Palerme a fait une interprétation extensive de la loi dans une affaire où il a estimé qu’il était dans l’intérêt de l’enfant de maintenir des rapports avec la famille d’origine. Le tribunal de Bari a fait une interprétation extensive de cette disposition pendant plusieurs années en particulier de 2003 à 2008. Par la suite, à partir de 2009, ce tribunal a considéré que ce type d’interprétation extensive de la loi avait compromis, dans certains cas, le développement des enfants que l’on croyait protéger. Par ailleurs, selon le tribunal, les parents biologiques étaient très souvent opposés à avoir de relations épanouies avec la famille d’adoption.
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A. Les circonstances de l’espèce Le requérant, né en 1947 et habitant à Thessalonique, fut magistrat. Le 22 novembre 2005, il introduisit une action devant la Cour spéciale chargée de résoudre les litiges relatifs à la rémunération des magistrats (Μισθοδικείο). Il sollicita des rémunérations dont l’État lui serait redevable. Les 7 novembre et 5 décembre 2006, la Cour spéciale rendit deux arrêts dans des affaires similaires, qui soulevaient la même question complexe de droit (arrêts nos 13/2006 et 17/2006 respectivement). Le 10 mars 2009, la Cour spéciale constata qu’elle n’était pas compétente pour juger l’affaire et la renvoya devant la Cour des comptes (décision no 19/2009). En particulier, la Cour spéciale observa que sa compétence se limitait, en premier lieu, à la résolution des questions complexes de droit et au renvoi, en second lieu, des affaires devant les juridictions compétentes pour trancher le fond du litige. En l’espèce, elle considéra qu’après l’introduction de l’action du requérant, elle avait résolu la question complexe de droit y relative par ses arrêts nos 13/2006 et 17/2006. Le 7 juillet 2009, le requérant demanda une fixation prioritaire de l’audience devant la Cour des comptes. Le 22 avril 2010, la Cour des comptes constata qu’elle n’était pas compétente pour juger l’affaire et la renvoya devant le tribunal administratif de première instance de Thessalonique (décision no 1947/10). Il ressort du dossier que le 5 mars 2013, date de la dernière communication du requérant avec la Cour, l’affaire était toujours pendante. B. Le droit interne pertinent La loi no 4055/2012 La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose: « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive. (...) » La loi no 4239/2014 La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Mme Anca Mocanu et M. Marin Stoica sont nés en 1970 et 1948 respectivement. Ils résident à Bucarest. L’association « 21 Décembre 1989 » (Asociaţia 21 Decembrie 1989) a été fondée le 9 février 1990 et a son siège à Bucarest. L’association requérante rassemble principalement des personnes ayant été blessées lors de la violente répression des manifestations contre le régime totalitaire organisées en Roumanie en décembre 1989 et les parents de personnes qui y ont trouvé la mort. Elle faisait partie des groupes ayant soutenu les manifestations antigouvernementales qui se sont déroulées à Bucarest d’avril à juin 1990 notamment, et qui réclamaient entre autres l’identification des responsables des violences perpétrées en décembre 1989. A. Les événements qui se sont déroulés du 13 au 15 juin 1990 Synthèse des principaux faits Les principaux faits concernant la répression des manifestations antigouvernementales menée du 13 au 15 juin 1990 ont été décrits dans les décisions des 16 septembre 1998 (paragraphes 99-110 ci-dessous) et 17 juin 2009 (paragraphes 152-163 ci-dessous) rendues par le parquet près la Cour suprême de justice (devenue en 2003 la Haute Cour de cassation et de justice) et dans les décisions de renvoi en jugement (rechizitoriu) rendues par le même parquet en date du 18 mai 2000 et du 27 juillet 2007. Le 13 juin 1990, l’intervention des forces de sécurité contre les manifestants qui avaient investi la place de l’Université et d’autres quartiers de la capitale fit plusieurs victimes civiles, dont l’époux de Mme Mocanu, M. VelicuValentin Mocanu, qui fut tué par un coup de feu tiré depuis le bâtiment du ministère de l’Intérieur. Dans la soirée du 13 juin 1990, M. Stoica et d’autres personnes, manifestants ou non, furent interpellés et maltraités par des policiers en uniforme et des hommes en civil aux abords et dans le sous-sol du bâtiment de la télévision publique. Le 14 juin 1990, des milliers de mineurs provenant pour la plupart de la région minière de la vallée de Jiu (Valea Jiului) furent conduits par convois à Bucarest pour prendre part à la répression des manifestants. Le 14 juin 1990, à 6 h 30, le président roumain s’adressa aux mineurs arrivés sur le parvis du siège du Gouvernement, les invitant à se diriger vers la place de l’Université, à l’occuper et à la défendre contre les manifestants, ce qu’ils firent par la suite. Les violences des 13 et 14 juin 1990 firent plus d’un millier de victimes, dont les noms figurent dans une liste jointe à la décision rendue le 29 avril 2008 par la section militaire du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice. Le siège de plusieurs partis politiques et d’autres institutions, dont celui de l’association requérante, fut attaqué et saccagé. Par la suite, cette dernière se constitua partie civile à la procédure pénale. La procédure pénale portant sur l’homicide par arme à feu de M. Mocanu demeure pendante. L’enquête ouverte sur les mauvais traitements infligés à M. Stoica le 13 juin 1990 a été close par une ordonnance de non-lieu du 17 juin 2009 confirmée par un arrêt de la Haute Cour de cassation et de justice rendu le 9 mars 2011. Les faits exposés dans les décisions des 16 septembre 1998 et 17 juin 2009 et les décisions de renvoi en jugement prises le 18 mai 2000 et le 27 juillet 2007 par le parquet près la Haute Cour de cassation et de justice peuvent se résumer comme suit. Les manifestations organisées durant les premiers mois de 1990 La place de l’Université de Bucarest était considérée comme un lieu symbolique de la lutte contre le régime totalitaire de Nicolae Ceauşescu en raison du grand nombre de personnes qui y avaient été tuées ou blessées par la répression armée que le régime avait déclenchée le 21 décembre 1989. Ce fut donc sur cette place que plusieurs associations – dont l’association requérante – appelèrent leurs membres à se rassembler pour protester dans les premiers mois de l’année 1990. Aussi les premières manifestations contre le gouvernement provisoire instauré après la chute du régime Ceauşescu eurent-elles lieu sur la place de l’Université à Bucarest les 12 et 24 janvier 1990, comme l’indique la décision rendue le 17 juin 2009 par le parquet près la Haute Cour de cassation et de justice. Il ressort également de la décision en question qu’une contremanifestation fut organisée par le Front du salut national (Frontul Salvării Naţionale – « FSN ») le 29 janvier 1990. À cette occasion, des mineurs venus, entre autres, des bassins houillers de Valea Jiului et Maramureş apparurent à Bucarest. Le siège du parti national libéral fut vandalisé à ce moment-là. À partir du 25 février 1990, des manifestations eurent lieu tous les dimanches. Selon la décision de renvoi en jugement du 27 juillet 2007, elles visaient à stigmatiser l’attitude non démocratique des dépositaires du pouvoir, accusés d’avoir « trahi les idéaux de la révolution », et à alerter la population sur le danger de l’instauration d’un nouveau régime dictatorial. Par la suite fut lancée une campagne électorale pour les élections législatives et l’élection du président de la République, prévues pour le 20 mai 1990. C’est dans ce contexte que débutèrent le 22 avril 1990 des « manifestations marathon » (manifestaţii maraton) non autorisées sur la place de l’Université, à l’initiative de la Ligue des étudiants et d’autres associations, dont l’association requérante. Ces manifestations durèrent cinquante-deux jours, pendant lesquels les manifestants occupèrent la place de l’Université. Il ressort des décisions du 16 septembre 1998 et du 17 juin 2009 que les manifestants, réunis en grand nombre, n’étaient pas violents et demandaient principalement l’exclusion de la vie politique des personnalités qui avaient exercé le pouvoir à l’époque du régime totalitaire. Ils réclamaient en outre une télévision indépendante du pouvoir. Ils exigeaient par ailleurs l’identification des responsables de la répression armée de décembre 1989 et la démission des dirigeants en place, notamment celle du ministre de l’Intérieur, qu’ils tenaient pour responsables de la répression des manifestations anticommunistes de décembre 1989. Le 22 avril 1990, 14 manifestants furent arrêtés par la police au motif que la manifestation n’avait pas été autorisée. Face à la réaction de la population, qui était venue se joindre aux manifestants de la place de l’Université, la police libéra les 14 personnes arrêtées. Les jours suivants, les autorités n’eurent plus recours à la force, bien que la mairie de Bucarest n’eût toujours pas autorisé le rassemblement. Les pourparlers engagés entre les manifestants et le gouvernement provisoire aboutirent à une impasse. Le 20 mai 1990, les élections présidentielles et parlementaires eurent lieu. Elles furent remportées par le FSN et son dirigeant, qui s’était porté candidat à la présidence. Au lendemain de ces élections, le mouvement de protestation se poursuivit place de l’Université, mais il avait perdu de son ampleur initiale. Sur les quelque 260 personnes encore présentes, 118 avaient entamé une grève de la faim. La réunion tenue par l’exécutif le 11 juin 1990 Dans la soirée du 11 juin 1990, le président roumain nouvellement élu et son Premier ministre convoquèrent une réunion gouvernementale à laquelle participèrent le ministre de l’Intérieur et son adjoint, le ministre de la Défense, le directeur du service roumain de renseignements (Serviciul Român de Informaţii – « le SRI »), le premier vice-président du FSN – le parti au pouvoir – et le procureur général de la Roumanie. Cela est établi dans les décisions du parquet des 16 septembre 1998 et 17 juin 2009. Lors de cette réunion, il fut décidé de prendre des mesures en vue d’évacuer la place de l’Université pour le 13 juin 1990. En outre, il fut proposé d’apporter aux organes de l’État – police et armée – le renfort de quelque 5 000 civils mobilisés. La mise en œuvre de cette mesure fut confiée au premier vice-président du FSN. Deux membres du comité directeur de ce parti s’y opposèrent, en vain. Il ressort de la décision du 17 juin 2009 qu’un plan d’action établi par le général C. fut approuvé par le Premier ministre. Le même soir, le parquet général (Procuratura Generală) fit diffuser par la télévision publique un communiqué invitant le gouvernement à prendre des mesures en vue de rendre la place de l’Université à la circulation automobile. Lors d’une réunion qui eut lieu au cours de la même soirée et à laquelle participèrent le ministre de l’Intérieur, le chef du SRI et le chef de la police, le général D.C. présenta le plan d’évacuation de la place de l’Université par la police et la gendarmerie assistées des forces recrutées parmi les civils. Selon ce plan, l’opération devait « commencer le 13 juin 1990 à 4 heures par l’encerclement du périmètre, l’arrestation des manifestants et le rétablissement de l’ordre public ». Le déroulement des événements du 13 juin 1990 Le 13 juin 1990, vers 4 h 30, les forces de police et de gendarmerie chargèrent brutalement les manifestants de la place de l’Université. Les manifestants arrêtés furent conduits et enfermés dans les locaux de la police municipale de Bucarest. Parmi les 263 personnes appréhendées (ou 262, selon la décision de renvoi en jugement du 18 mai 2000) se trouvaient des étudiants présents dans les locaux de l’Institut d’architecture situés place de l’Université, qui n’avaient pas participé aux manifestations. La décision du 17 juin 2009 indique que les 263 personnes appréhendées furent conduites à la garnison militaire de Măgurele après leur incarcération dans les cellules de la police. L’opération de police suscita des protestations de la part de nombreuses personnes, qui réclamèrent la libération des manifestants appréhendés. Selon la décision du 16 septembre 1998, ces personnes s’en prirent violemment aux forces de l’ordre, lançant des projectiles et incendiant des voitures. Selon la décision de renvoi en jugement du 18 mai 2000, ces agissements étaient l’œuvre de quelques individus au comportement agressif qui s’étaient joints aux groupes de manifestants pacifiques. Vers 10 heures, des ouvriers des usines IMGB de Bucarest se dirigèrent en masse vers la place de l’Université pour aider les forces de police à appréhender les manifestants. D’après la décision du 16 septembre 1998, ils agirent de manière désordonnée et brutale, frappant aveuglément et indistinctement manifestants et simples passants. Dans l’après-midi du 13 juin 1990, les manifestations s’intensifièrent aux abords de la télévision, de la place de l’Université, du ministère de l’Intérieur et des locaux de la police municipale, autant de lieux où, d’après les manifestants, les personnes appréhendées pouvaient être retenues prisonnières. À la suite de ces incidents, l’armée intervint et plusieurs véhicules blindés furent envoyés au siège du ministère de l’Intérieur. Il ressort d’un rapport rédigé par le ministère de l’Intérieur, dont le Gouvernement a fait état dans ses observations, que, vers 18 heures, le siège du ministère de l’Intérieur était encerclé par 4 000 à 5 000 manifestants, et que, sur ordre des généraux A.G. et C.M, des militaires postés à l’intérieur du ministère avaient tiré vers les plafonds des halls afin de les disperser. Les coups de feu tirés au siège du ministère de l’Intérieur tuèrent trois personnes. C’est dans ces circonstances que, vers 18 heures, alors qu’il se trouvait à quelques mètres de l’une des portes du ministère, l’époux de la requérante fut tué par une balle qui l’avait touché à l’arrière de la tête après avoir ricoché. Ces faits sont décrits en détail dans les décisions du 18 mai 2000 et du 27 juillet 2007, qui ont renvoyé en jugement le ministre de l’Intérieur de l’époque, un général et trois colonels. Selon la première décision de renvoi en jugement, l’époux de la requérante et les autres victimes, qui revenaient de leurs lieux de travail ce jour-là, n’étaient pas armés et n’avaient pas participé auparavant aux manifestations marathon de la place de l’Université. Simples spectateurs des événements, ils avaient été tués par des balles ayant ricoché. Les forces de l’ordre tuèrent par balle une quatrième personne dans un autre quartier de la capitale. Une autre mourut après avoir été poignardée dans le quartier de la télévision. Le 13 juin 1990, aucun militaire ne subit de violences de la part des manifestants, comme cela ressort de la décision de renvoi en jugement du 27 juillet 2007. Selon ce document, l’armée avait tiré 1 466 balles depuis le siège du ministère de l’Intérieur ce jour-là. Par ailleurs, d’autres personnes parmi lesquelles se trouvait M. Stoica furent battues et retenues par des policiers et des civils au siège de la télévision publique, dans les circonstances décrites ci-dessous. Le siège de la télévision publique était alors gardé par 82 militaires appuyés par 14 véhicules blindés, renforcés par la suite par d’autres forces armées, dont les plus importantes comptaient 156 militaires (arrivés sur les lieux à 19 heures), un détachement de parachutistes (arrivé à 19 h 30), 646 militaires (arrivés à 20 heures), 118 parachutistes (arrivés à 23 heures) et 360 militaires avec 13 autres véhicules blindés (arrivés à 23 heures). Vers 1 heure, les manifestants furent chassés du siège de la télévision à la suite de cette intervention en force. Circonstances propres à M. Stoica Le 13 juin 1990, en fin d’après-midi, alors qu’il se rendait à son lieu de travail à pied en passant par une rue proche du siège de la télévision publique, le requérant fut brutalement arrêté par un groupe de personnes armées et conduit de force dans les locaux de la télévision. En présence de policiers et de militaires qui se trouvaient là, des civils le frappèrent et le ligotèrent avant de l’emmener au sous-sol du bâtiment. Il fut ensuite conduit dans un studio de la télévision, où se trouvaient déjà plusieurs dizaines de personnes. Ils y furent filmés en présence du directeur de la chaîne publique de télévision de l’époque. Dans la nuit du 13 au 14 juin 1990, des enregistrements furent diffusés, assortis de commentaires qui présentaient les intéressés comme des agents de services secrets étrangers ayant menacé de détruire les locaux et les biens de la télévision. La même nuit, le requérant fut battu, frappé à la tête avec des objets contondants et menacé avec des armes à feu jusqu’à en perdre connaissance. Il se réveilla vers 4 h 30 à l’hôpital Floreasca de Bucarest. D’après le rapport d’expertise médicolégale établi le 18 octobre 2002, il ressortait du certificat médical délivré par le service des urgences chirurgicales de l’hôpital que l’intéressé y avait été admis le 14 juin 1990, vers 4 h 30, et que l’on avait diagnostiqué chez lui une contusion thoracique abdominale du côté gauche, des excoriations du thorax du côté gauche dues à une agression et un traumatisme crâniocérébral. Vers 6 h 30, par peur de la répression, il s’enfuit de l’hôpital qui était encerclé par des policiers. Ses pièces d’identité lui avaient été confisquées dans la nuit du 13 au 14 juin 1990. Il fut invité à aller les chercher trois mois plus tard à la direction des enquêtes criminelles de l’Inspection générale de la police. Entre-temps, il était demeuré cloîtré chez lui, de crainte d’être à nouveau arrêté, torturé et incarcéré. L’arrivée des mineurs à Bucarest D’après la décision du 16 septembre 1998, le témoin M.I., ingénieur de profession et chef de service à l’agence de Craiova de la Société nationale des chemins de fer (Regionala CFR Craiova) à l’époque des faits, avait déclaré que, dans la soirée du 13 juin 1990, le directeur de cette agence avait ordonné de supprimer des trains réguliers et de mettre à la disposition des mineurs, à la gare de Petroşani, au cœur de l’exploitation minière de la vallée du Jiu, 4 convois de trains composés de 57 wagons au total. M.I. avait ajouté que cet ordre lui avait paru abusif et qu’il avait tenté d’empêcher le transport des mineurs vers Bucarest en coupant l’alimentation électrique de la ligne ferroviaire sur le trajet indiqué. Il avait précisé que, face à sa désobéissance, le directeur de l’agence l’avait fait remplacer et avait fait remettre la ligne ferroviaire en fonction vers 21 heures. Par la suite, M.I. aurait été licencié et déféré au parquet. Il ressort de la décision rendue le 10 mars 2009 par le parquet près la Haute Cour de cassation et de justice que, le 14 juin 1990, 11 trains – 120 wagons au total – transportant des ouvriers, notamment des mineurs, avaient été acheminés vers Bucarest depuis plusieurs zones industrielles du pays. Le premier d’entre eux était arrivé à Bucarest à 3 h 45, le dernier à 19 h 8. Il ressort de la décision du 16 septembre 1998 que les mineurs avaient été informés qu’ils devraient apporter leur concours aux forces de police afin de rétablir l’ordre public à Bucarest et qu’ils étaient armés de haches, de chaînes, de bâtons et de câbles métalliques. La décision du 10 mars 2009 indique que les mineurs s’étaient rassemblés à l’appel des dirigeants de leur syndicat. Entendu comme témoin, le président de la fédération syndicale des mineurs – devenu maire de la ville de Lupeni en 1998 – avait déclaré que cinq trains transportant des mineurs étaient arrivés à la gare de Bucarest le 14 juin 1990 vers 1 heure, que les mineurs avaient été accueillis par le ministre-adjoint aux Mines et un directeur général de ce ministère, et que ces deux hauts responsables gouvernementaux les avaient conduits place de l’Université. Le déroulement des événements du 14 juin 1990 Au matin du 14 juin 1990, des groupes de mineurs firent une première halte place de la Victoire (Piaţa Victoriei), où se trouvait le siège du gouvernement. Vers 6 h 30, le chef de l’État s’adressa aux mineurs regroupés devant le siège du gouvernement, les invitant à coopérer avec les forces de l’ordre et à ramener le calme sur la place de l’Université et dans les autres quartiers où des incidents avaient eu lieu. Dans ce discours, intégralement reproduit dans la décision du 17 juin 2009, il les exhorta à se diriger vers la place de l’Université pour l’occuper, leur faisant savoir qu’ils seraient confrontés à des « éléments ouvertement fascistes qui s’étaient livrés à des actes de vandalisme » en incendiant le siège du ministère de l’Intérieur et celui de la Police et en « investissant le bâtiment de la télévision ». Aussitôt après, des cohortes de mineurs furent conduites « par des personnes non identifiées » au siège des partis d’opposition et des associations réputées hostiles au pouvoir. Les mineurs étaient encadrés par les forces de l’ordre du ministère de l’Intérieur, avec lesquelles ils formaient des « équipes mixtes », et s’étaient lancés à la recherche des manifestants. Il ressort de la décision du 17 juin 2009 que se produisirent à cette occasion des « actes d’une extrême cruauté, les violences frappant indistinctement les manifestants et des habitants de la capitale totalement étrangers aux manifestations ». La décision du 10 mars 2009 indique que les mineurs s’en étaient également pris aux domiciles de personnes appartenant à l’ethnie Rom. Selon la même décision, les mineurs avaient des « critères de sélection » pour identifier les personnes suspectes à leurs yeux d’avoir participé aux manifestations de la place de l’Université, s’attaquant « en règle générale, aux Roms, aux étudiants, aux intellectuels, aux journalistes et à quiconque ne reconnaissait pas leur légitimité ». Les groupes de mineurs et les autres personnes qui les accompagnaient avaient saccagé le siège du Parti national paysan (Partidul Naţional Ţărănesc Creştin şi Democrat), celui du Parti national libéral, et celui d’autres personnes morales telles que l’Association des anciens détenus politiques (Asociaţia Foştilor Deţinuţi Politici), la Ligue pour la défense des droits de l’homme (Liga pentru Apărarea Drepturilor Omului) et l’Association « 21 Décembre 1989 » (« l’association requérante »). D’après la décision du 16 septembre 1998, aucune des personnes qui se trouvaient à ce moment-là au siège de ces partis politiques et associations ne fut épargnée par les mineurs. Toutes furent agressées et dépossédées de leurs biens. Bon nombre d’entre elles furent appréhendées, remises à la police – qui se trouvait là « comme par hasard » – et incarcérées de manière totalement irrégulière. D’autres groupes de mineurs s’étaient dirigés vers la place de l’Université. En y arrivant, ils pénétrèrent par effraction dans les locaux de l’Université et de l’Institut d’architecture, situés sur cette place. Ils molestèrent le personnel et les étudiants qu’ils y rencontrèrent, leur infligeant des violences et des humiliations. Ils appréhendèrent les personnes présentes dans ces locaux et les remirent à la police et aux gendarmes. Les personnes arrêtées furent conduites par les forces de l’ordre dans des commissariats de police ou dans les unités militaires de Băneasa et de Măgurele. Les mineurs investirent ensuite les rues situées autour de la place de l’Université et y poursuivirent leurs agissements. Selon la décision du 17 juin 2009, 1 021 personnes – dont 63 n’étaient pas majeures à ce moment-là – furent appréhendées dans ces conditions. Cent quatre-vingt-deux d’entre elles furent placées en détention provisoire, 88 se virent infliger une sanction administrative et 706 personnes furent libérées « après vérifications ». La décision du 16 septembre 1998 énonce que « les mineurs [avaient] mis un terme à leurs actes justiciers le 15 juin 1990, après avoir reçu du président roumain des remerciements publics pour ce qu’ils avaient réalisé dans la capitale et l’autorisation de retourner à leur travail ». Il en ressort également que certaines des personnes battues et incarcérées furent illégalement privées de liberté pendant plusieurs jours et que plusieurs d’entre elles recouvrèrent la liberté le 19 ou le 20 juin 1990. Les autres personnes gardées à vue furent placées en détention provisoire pour trouble à l’ordre public sur décision d’un procureur, notamment l’actuel président de l’association requérante, qui fut acquitté par la suite de toutes les accusations portées contre lui. La décision du 17 juin 2009 précise que les mineurs avaient agi en étroite collaboration avec les forces de l’ordre et sur les instructions des dirigeants de l’État. Ses passages pertinents se lisent ainsi : « Les 14 et 15 juin 1990, les mineurs ont commis en groupes coordonnés par des civils agissant au nom et avec l’accord des dirigeants de l’État [în numele şi cu acordul conducerii de stat] des actes auxquels les forces de l’ordre de l’État ont pleinement collaboré [deplină cooperare] et qui ont causé non seulement des dommages corporels aux personnes appréhendées pour vérifications, mais aussi de multiples dégâts au siège de l’Université de Bucarest, de l’Institut d’architecture, de plusieurs partis politiques et d’associations civiles ainsi qu’aux logements de personnalités des partis dits « historiques ». (...) Les investigations menées par les procureurs militaires n’ont pas permis d’identifier les personnes en civil qui s’étaient mêlées aux mineurs, les victimes entendues ayant distingué les mineurs de leurs autres agresseurs en désignant les premiers comme étant des « mineurs sales » et les seconds comme étant des « mineurs propres ». » Circonstances propres à l’association requérante Le 13 juin 1990, l’association requérante condamna publiquement les violences survenues le même jour. Vers 23 heures, les responsables de l’association décidèrent de passer la nuit au siège de celle-ci par mesure de sécurité. Sept d’entre eux y demeurèrent cette nuit-là. Le 14 juin 1990, à 7 heures, un groupe de mineurs pénétra dans les locaux de l’association requérante après avoir brisé les vitres d’une fenêtre. Ceux-ci ne commirent aucune violence dans les premières minutes de leur intrusion, faisant preuve d’une certaine retenue. Quelque temps après, un civil non identifié qui n’était pas des leurs arriva sur les lieux et se mit à frapper l’un des membres de l’association. Les mineurs l’imitèrent, passant à tabac les sept membres de l’association, qui furent ensuite appréhendés par les forces de l’ordre. Dans la journée du 14 juin 1990, tous les biens et documents de l’association furent confisqués au mépris des formalités légales, sous le contrôle des troupes du ministère de la Défense. Le 22 juin 1990, les responsables de l’association purent revenir dans les locaux de l’association, en présence de la police. La suite des événements du 13 au 15 juin 1990 Il ressort des décisions précitées du parquet que, au lieu de regagner immédiatement leurs foyers respectifs, 958 mineurs étaient restés à Bucarest, « prêts à intervenir si les manifestations de protestation reprenaient » en prévision notamment du serment que le président nouvellement élu devait prêter dans les jours suivants. Du 16 au 19 juin 1990, ces mineurs furent hébergés dans les casernes militaires de Bucarest, où ils reçurent des uniformes militaires. La décision du 16 septembre 1998 indique que l’enquête n’a pas permis d’établir l’identité de ceux qui avaient donné l’ordre d’héberger et d’équiper les mineurs, mais elle précise que « pareille mesure ne pouvait avoir été prise ailleurs qu’au ministère de la Défense, pour le moins ». Il ressort d’un communiqué du ministère de la Santé daté du 15 juin 1990 et cité dans la décision du 17 juin 2009 que 467 personnes s’étaient présentées à l’hôpital entre le 13 et le 15 juin 1990 à 6 heures à la suite des violences commises, que 112 y avaient été admises et que 5 décès avaient été enregistrés. Selon la même décision du 17 juin 2009, des agents de police, des mineurs et ultérieurement des militaires conscrits chargés d’encadrer ces derniers avaient eu recours à une force excessive contre les 574 manifestants et les autres personnes – parmi lesquelles figuraient des enfants, des personnes âgées et des malvoyants – appréhendés et placés en détention dans l’unité militaire de Măgurele. Il en ressort que les détenus y avaient subi des violences et des agressions de nature « psychique, physique et sexuelle », qu’ils avaient été incarcérés dans des conditions inappropriées et qu’ils avaient reçu des soins médicaux tardifs et inadéquats. B. L’enquête pénale Les violences de juin 1990, au cours desquelles l’époux de Mme Mocanu fut tué, dont M. Stoica allègue avoir été victime et qui conduisirent au saccage du siège de l’association requérante donnèrent lieu en 1990 à l’ouverture d’une enquête. Au début, celle-ci était fractionnée en plusieurs centaines de dossiers distincts. Le 29 mai 2009, la section militaire du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice adressa à l’agent du Gouvernement une lettre où ces faits étaient résumés de la manière suivante : « Au cours de la période 19901997, des centaines de plaintes portant sur des vols, des destructions, des vols à main armée, des atteintes à l’intégrité corporelle, des privations illégales de liberté et d’autres faits commis dans le contexte des exactions perpétrées par des mineurs les 14 et 15 juin 1990 à Bucarest ont été inscrites au rôle du parquet près le tribunal départemental de Bucarest et des parquets d’arrondissement. La majorité de ces dossiers ont débouché sur des non-lieux en raison de l’impossibilité d’identifier les responsables. » Aucune décision de non-lieu ne fut communiquée à Mme Mocanu ni à l’association requérante, qui s’était constituée partie civile à la procédure. Par la suite, ces dossiers ont été joints et le cadre de l’enquête s’est élargi à partir de 1997 après que les faits eurent reçu une qualification juridique différente impliquant une responsabilité pénale aggravée. De hauts responsables de l’armée et de l’État furent inculpés les uns après les autres et l’ensemble de l’enquête fut transférée à la section militaire du parquet près la Cour suprême de justice (Parchetul de pe lângă Curtea Supremă de Justiţie - Secţia Parchetelor Militare) sous le numéro 160/P/1997. Du 22 octobre 1997 au 27 octobre 1999, 213 dossiers déjà ouverts furent joints au dossier no 160/P/1997, dont 46 le 22 octobre 1997, 90 le 16 septembre 1998 et 69 le 22 octobre 1999. Le 26 juin 2000, la section militaire dudit parquet se fit adresser 748 dossiers concernant les événements du 13 au 15 juin 1990 et se rapportant notamment aux privations de liberté abusives du 13 juin 1990. Dans la décision du 17 juin 2009, l’état du dossier constitué après la jonction de toutes ces affaires est décrit de la manière suivante : « Une grande partie des documents versés aux 250 volumes du dossier sont des photocopies qui ne portent pas de tampon, ni d’attestation de conformité à l’original. Les pièces figurant dans chacun de ces volumes ne sont pas classées de manière chronologique, par sujet ou selon un autre critère, mais de manière désordonnée. Certaines d’entre elles sont étrangères à l’affaire (par exemple, le volume 150 contient des dossiers de disparitions intervenues après juin 1990). (...) » Le 16 septembre 1998, le dossier no 160/P/1997 fut scindé en quatre dossiers et la poursuite de l’enquête fut confiée à la section militaire du parquet près la Cour suprême de justice. Le 8 janvier 2001, trois de ces quatre dossiers furent joints. Après cette date, l’enquête se concentra sur deux affaires principales. La première d’entre elles portait sur des faits d’incitation ou de participation à un homicide aggravé, notamment sur la personne de VelicuValentin Mocanu. Les personnes accusées de ces faits étaient le président roumain de l’époque et cinq hauts responsables de l’armée au nombre desquels figurait le ministre de l’Intérieur. L’acte d’accusation du 19 juin 2007 et la décision subséquente de disjoindre les accusations du 19 juillet 2007 indiquent que, sur ordre de l’ancien président, les forces armées avaient usé de leurs armes et de munitions de guerre contre des manifestants dans la soirée du 13 juin et la nuit du 13 au 14 juin 1990, tuant quatre personnes, en blessant trois autres et mettant en danger la vie d’autres individus. Par la suite, les accusations portées contre l’ancien président furent disjointes de celles dirigées contre les autres accusés, des officiers de haut rang, et celui-ci bénéficia d’un non-lieu. Au 2 octobre 2013, ce premier volet de l’enquête était toujours pendant à l’égard de deux des officiers en question, les trois autres étant décédés entre-temps. L’autre dossier portant sur les événements de juin 1990, notamment sur la plainte pénale pour violences déposée par M. Stoica et le saccage des locaux de l’association requérante, concernait des faits d’incitation ou de participation à des actes de sédition (subminarea puterii de stat), de sabotage (actele de diversiune), de traitements inhumains (tratamentele neomenoase), de provocation à la guerre (propaganda pentru război) ainsi que de génocide au sens de l’article 357 a) à c) du code pénal. Les personnes accusées de ces faits étaient l’ancien président, plusieurs officiers de haut rang et des dizaines de civils. Des poursuites furent engagées du chef de ces faits contre l’ancien président le 9 septembre 2005, et contre l’ancien chef du SRI le 12 juin 2006. Ce second volet de l’enquête se termina par une décision de non-lieu adoptée le 17 juin 2009. Cette décision fut confirmée par un arrêt rendu le 9 mars 2011 par la Haute Cour de cassation et de justice sur recours de M. Stoica. Les principales étapes de l’enquête sont détaillées ciaprès. La décision adoptée le 16 septembre 1998 Le 16 septembre 1998, la section militaire du parquet près la Cour suprême de justice se prononça sur le dossier no 160/P/1997 à la suite d’une enquête concernant 63 personnes victimes de violences et d’arrestations abusives, au nombre desquelles figuraient Mme Mocanu et 3 membres de l’association requérante, ainsi que cette dernière et 11 autres personnes morales dont les locaux avaient été saccagés lors des événements qui s’étaient déroulés du 13 au 15 juin 1990. 100. Trois de ces 63 victimes mentionnées dans le tableau figurant dans la décision rendue le 16 septembre 1998 avaient été agressées et privées de liberté au siège de la télévision publique. Dans sa dernière colonne relative au stade des investigations menées, le tableau mentionne à l’égard de ces trois personnes « qu’il n’a[vait] pas été enquêté sur l’affaire (cauza nu este cercetată) ». 101. Dans la décision en question, la section militaire du parquet près la Cour suprême de justice indiquait que d’autres plaintes étaient pendantes devant le parquet civil. 102. Elle y ajoutait que sa décision portait également sur « une centaine d’homicides présumés commis lors des événements du 13 au 15 juin 1990, [dont les victimes] auraient été incinérées ou inhumées dans des fosses communes, dans des cimetières de villages proches de Bucarest (notamment à Străuleşti) ». 103. Elle y indiquait aussi que l’enquête n’avait pas permis jusqu’alors d’identifier les personnes qui avaient effectivement mis en œuvre la décision de l’exécutif de faire appel à des civils pour rétablir l’ordre à Bucarest. Selon le parquet, cette lacune de l’enquête tenait au fait « qu’aucune des personnes qui exerçaient des fonctions de commandement à l’époque des faits n’a[vait] été entendue », notamment le président roumain alors en exercice, le Premier ministre et son adjoint, le ministre de l’Intérieur, le chef de la police, le directeur du SRI et le ministre de la Défense. 104. Dans sa décision, la section militaire ordonna la scission de l’affaire en quatre dossiers distincts. 105. Le premier de ces dossiers avait pour objet la poursuite de l’enquête concernant l’homicide par arme à feu de quatre civils, dont l’époux de la requérante. 106. Le deuxième dossier visait les personnes qui avaient exercé des fonctions de commandement civil ou militaire. Les autorités décidèrent de poursuivre l’enquête à leur égard, notamment pour abus de pouvoir contre des intérêts publics ayant entraîné des conséquences graves, infraction réprimée par l’article 248 § 2 du code pénal, et d’enquêter également sur l’enrôlement d’un groupe social aux côtés des forces de l’ordre pour combattre d’autres pans de la société. 107. Le troisième dossier portait sur la poursuite des investigations qui devaient conduire, le cas échéant, à la découverte d’autres victimes tuées lors des violences perpétrées du 13 au 15 juin 1990 (paragraphe 102 cidessus). 108. Enfin, estimant que l’action publique était prescrite, la section militaire du parquet décida de classer sans suite les poursuites engagées contre des personnes non identifiées membres des forces de l’ordre ou de groupes de mineurs pour des faits de vol à main armée, de privation illégale de liberté, de comportement abusif, d’enquête abusive, d’abus de pouvoir contre des intérêts privés, de coups et blessures, d’atteinte à l’intégrité corporelle, de destruction de biens, de vol, de violation de domicile, de prévarication et de viol, commis entre le 13 et le 15 juin 1990. 109. Cette dernière partie de la décision du 16 septembre 1998 fut infirmée par une décision rendue le 14 octobre 1999 par le chef de la section militaire du parquet (Şeful Secţiei Parchetelor Militare) près la Cour suprême de justice, qui ordonna la reprise des poursuites et des investigations destinées à identifier toutes les victimes, précisant à ce dernier égard qu’il était établi que le nombre de victimes dépassait largement celui des parties lésées indiqué dans la décision critiquée. 110. En outre, la décision du 14 octobre 1999 précisait que les enquêteurs n’avaient pas mené jusqu’alors d’investigations sur la « collusion avérée » entre le ministère de l’Intérieur et les dirigeants des exploitations minières « en vue de l’organisation d’un véritable appareil de répression illégale », collusion qui, selon cette décision, était établie par les preuves versées au dossier. La suite de l’enquête dirigée contre des hauts responsables de l’armée pour participation à un homicide 111. Après la décision du 16 septembre 1998, les investigations sur l’homicide de M. Mocanu se poursuivirent sous le numéro de dossier 74/P/1998 (voir le paragraphe 105 ci-dessus). 112. Mme Mocanu et les deux enfants qu’elle avait eus avec la victime se constituèrent parties civiles. 113. Deux généraux – l’ancien ministre de l’Intérieur et son adjoint – et trois officiers supérieurs furent inculpés des homicides commis le 13 juin 1990, notamment celui de l’époux de la requérante, les 12, 18 et 21 janvier 2000 et le 23 février 2000 respectivement. 114. Une décision (rechizitoriu) du 18 mai 2000 les renvoya tous les cinq en jugement au motif qu’ils avaient réclamé – et ordonné s’agissant des deux généraux – l’ouverture du feu avec des munitions de guerre, acte qui avait causé la mort de quatre individus et provoqué de graves blessures chez neuf autres personnes. 115. Par une décision du 30 juin 2003, la Cour suprême de justice renvoya l’affaire à la section militaire du parquet près la Cour suprême de justice pour un complément d’enquête destiné à remédier à diverses lacunes et requalifia les faits en participation à des homicides aggravés. Par ailleurs, elle ordonna la réalisation de diverses mesures d’enquête. 116. Mme Mocanu, d’autres parties civiles et ledit parquet se pourvurent en cassation contre cette décision. Leurs pourvois furent rejetés par un arrêt rendu le 16 février 2004 par la Haute Cour de cassation et de justice (anciennement dénommée Cour suprême de justice, voir également le paragraphe 14 ci-dessus). 117. Après la reprise de l’enquête, les poursuites contre les cinq accusés furent abandonnées par une décision du 14 octobre 2005. Cette décision ayant été infirmée le 10 septembre 2006, les poursuites furent rouvertes. 118. Après avoir procédé au complément d’enquête selon les instructions figurant dans l’arrêt du 30 juin 2003, la section militaire du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice renvoya en jugement l’ancien ministre de l’Intérieur, son adjoint et deux autres officiers supérieurs de l’armée par une décision du 27 juillet 2007. Elle prononça un non-lieu concernant le cinquième officier, décédé entre-temps. Selon cette décision, « l’absence de réaction des autorités publiques » et l’absence d’enquête effective immédiate « a[vaient] mis en danger l’existence même de la démocratie et de l’État de droit ». 119. Par un arrêt du 17 décembre 2007, la Haute Cour de cassation et de justice ordonna le renvoi de l’affaire à la section militaire du parquet pour vice de procédure, au motif principal que les poursuites pénales contre un ancien ministre relevaient d’une procédure spéciale exigeant une autorisation parlementaire préalable. 120. Le 15 avril 2008, la section militaire du parquet près la Haute Cour forma un pourvoi contre cette décision, qui fut rejeté le 23 juin 2008. 121. Le 30 avril 2009, la section militaire du parquet près la Haute Cour se déclara incompétente pour connaître de ce volet de l’affaire au motif principal que le personnel de la police – y compris le ministre de l’Intérieur – étaient devenus des fonctionnaires civils à la suite d’une réforme législative et, que, de ce fait, les tribunaux et parquets militaires n’avaient plus compétence pour connaître des crimes commis par eux, même s’ils les avaient perpétrés à l’époque où ils étaient encore des militaires. En conséquence, elle s’en dessaisit au profit de l’une des sections pénales de droit commun du même parquet, à savoir de la section de poursuite pénale et de criminalistique (Secţia de urmărire penală şi criminalistică). 122. Par une décision du 6 juin 2013, cette dernière abandonna les poursuites dirigées contre l’ancien ministre et son adjoint, décédés le 2 novembre 2010 et le 4 février 2013 respectivement. 123. Par la même décision, ladite section du parquet se déclara incompétente à l’égard des deux derniers accusés encore en vie, les colonels C.V. et C.D., dont elle renvoya les affaires au parquet près le tribunal militaire territorial de Bucarest. 124. Cette enquête était pendante devant ce parquet au 2 octobre 2013. Les accusations portées contre l’ancien président de la République au sujet du décès de l’époux de Mme Mocanu 125. Ce volet de l’enquête concerne les accusations portées contre l’ancien président de la République roumaine au sujet des victimes tuées ou blessées par les tirs effectués par l’armée le 13 juin 1990. 126. L’ancien président de la République, en exercice de 1989 à 1996 et de 2000 à 2004, fut inculpé le 19 juin 2007, date à laquelle il exerçait les fonctions de sénateur et était membre du Parlement. Il était accusé d’avoir « délibérément incité les militaires à recourir à la force contre les manifestants de la place de l’Université et d’autres quartiers de la capitale, acte dont plusieurs personnes tuées ou blessées par balle avaient été victimes ». Ces faits furent qualifiés de participation lato sensu à des homicides aggravés, crime réprimé par les articles 174, 175 e) et 176 b) du code pénal combinés avec l’article 31 § 2 du même code. 127. Le 19 juillet 2007, ces accusations furent disjointes du dossier no 74/P/1998. L’enquête se poursuivit sous le numéro de dossier 107/P/2007. 128. Entre-temps, le 20 juin 2007, la Cour constitutionnelle avait rendu un arrêt, dans une autre affaire sans rapport avec la présente espèce, écartant la compétence des juridictions militaires pour juger ou poursuivre des accusés civils. En conséquence, par une décision prise le 20 juillet 2007, la section militaire du parquet se déclara incompétente pour connaître du dossier no 107/P/2007 et s’en dessaisit au profit de l’une des sections pénales de droit commun. 129. Le 7 décembre 2007, le procureur général de la Roumanie infirma pour vices de procédure la décision d’inculpation du 19 juin 2007 et ordonna la reprise de l’enquête. 130. Le 10 octobre 2008, la section de poursuite pénale et de criminalistique du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice rendit une décision de non-lieu, estimant qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre l’ordre d’évacuation de la place de l’Université donné par l’ancien président et la décision prise par trois officiers avec l’accord de leurs supérieurs – le général A. et le général C. (ministre de l’Intérieur) – de faire ouvrir le feu sur les manifestants. Pour se prononcer ainsi, le parquet avait considéré que les objectifs du plan d’action établi le 12 juin 1990 avaient été exécutés jusqu’à 9 heures le lendemain matin et que les événements qui avaient suivi, y compris les ordres de tir ultérieurs, étaient totalement étrangers à ce plan et imprévisibles par les auteurs de celui-ci. 131. Le 3 novembre 2008, Mme Mocanu et d’autres parties lésées contestèrent ce non-lieu. 132. Le 18 décembre 2009, une formation de trois juges de la Haute Cour de cassation et de justice rejeta leurs recours, les jugeant irrecevables, tardifs ou mal fondés, selon le cas. Elle conclut à l’absence de lien de causalité entre les actes imputés à l’ancien président et les suites imprévisibles des manifestations qui avaient causé la mort de plusieurs personnes. Par ailleurs, elle releva que trois des parties lésées – veuves ou parentes des victimes tuées les 13 et 14 juin 1990 –, au nombre desquelles figurait Mme Mocanu, avaient déclaré à l’audience du 11 décembre 2009 qu’elles n’entendaient pas contester le nonlieu prononcé à l’égard de l’ancien président et qu’elles souhaitaient seulement que les responsables des homicides fussent identifiés et que leur responsabilité fût engagée. Sur pourvoi des parties civiles, cette décision fut confirmée par un arrêt rendu le 25 octobre 2010 par un collège de neuf juges de la Haute Cour. Les actes d’instruction sur les circonstances du décès de M. Mocanu 133. Il ressort du rapport médicolégal de l’autopsie pratiquée sur l’époux de Mme Mocanu que celui-ci était mort des blessures par balle qui lui avaient été infligées. 134. La requérante formula sa première demande expresse de constitution de partie civile le 11 décembre 2000. Le même jour, la requérante et les autres parties civiles – parentes de trois autres personnes tuées lors des événements des 13 et 14 juin 1990 – déposèrent un mémoire conjoint contenant leurs observations quant à l’identité des personnes responsables du décès de leurs proches ainsi que leurs demandes de dédommagement. 135. Le 14 février 2007, la requérante fut entendue pour la première fois par le parquet, aux fins de l’enquête. En présence de l’avocat qu’elle avait mandaté, elle indiqua que son mari n’était pas rentré à son domicile dans la soirée du 13 juin 1990, qu’elle s’en était inquiétée, qu’elle l’avait cherché en vain le lendemain et qu’elle avait appris plus tard par la presse qu’il avait été tué d’une balle dans la tête. Elle ajouta qu’aucun enquêteur ou représentant des autorités ne lui avait rendu visite ni ne l’avait convoquée aux fins de l’enquête, et que seuls quelques journalistes s’étaient rendus chez elle. Elle précisa qu’elle était âgée de vingt ans à l’époque des faits, qu’elle était sans emploi et qu’elle élevait seule depuis la mort de son époux les deux enfants qu’elle avait eus avec lui, une fille de deux mois (née en avril 1990) et un fils âgé de deux ans. 136. Les pièces du dossier soumis à la Cour ne permettent pas de savoir si Mme Mocanu a été informée des progrès de l’enquête sur l’homicide aggravé de son époux après que la Haute Cour de cassation et de justice eut rendu son arrêt du 17 décembre 2007 ordonnant le renvoi de l’affaire au parquet. La suite de l’enquête sur les accusations de traitements inhumains 137. Entre le 26 novembre 1997 et le 12 juin 2006, des poursuites pénales furent diligentées contre 37 personnes – 28 civils et 9 militaires – principalement pour des actes de sédition commis dans le cadre des événements de juin 1990. L’ancien président roumain figurait au nombre des personnes poursuivies. Il fut inculpé le 9 juin 2005 des chefs de participation à un génocide (article 357, alinéas a), b) et c) du code pénal), de provocation à la guerre (article 356 du code pénal), de traitements inhumains (article 358 du code pénal), de sédition (article 162 du code pénal) et de sabotage (article 163 du code pénal). La grande majorité des 28 civils accusés étaient des directeurs d’exploitations minières, des chefs de syndicats de mineurs et des hauts fonctionnaires du ministère des Mines. 138. Le 16 septembre 1998, ce volet de l’enquête se vit attribuer le numéro de dossier 75/P/1998 (paragraphe 106 ci-dessus). 139. Le 19 décembre 2007, la section militaire du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice ordonna la scission de l’affaire faisant l’objet du dossier no 75/P/1998 en deux parties, l’une concernant les accusations dirigées contre les 28 civils – parmi lesquels figuraient l’ancien président roumain et l’ancien chef du SRI –, l’autre portant sur les charges retenues contre les 9 militaires. L’enquête concernant les 28 civils devait se poursuivre devant la section civile compétente du même parquet. 140. Par une décision du 27 février 2008, le procureur en chef de la section militaire du parquet infirma la décision du 19 décembre 2007 au motif que l’ensemble de l’affaire et tous les accusés, tant civils que militaires, relevaient de la compétence de l’une des sections civiles du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice, en raison de la connexité des faits poursuivis. 141. Le 29 avril 2008, conformément à cette décision, la section militaire du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice se déclara incompétente aussi pour connaître des accusations pénales dirigées contre les neuf officiers – au nombre desquels figuraient plusieurs généraux, l’ancien chef de la police et l’ancien ministre de l’Intérieur – et s’en dessaisit au profit de l’une des sections de droit commun. 142. La décision du 29 avril 2008 dressait une liste de plus d’un millier de personnes ayant été retenues et soumises à des mauvais traitements, notamment dans les locaux de l’école supérieure d’officiers de Băneasa et de l’unité militaire de Măgurele. M. Stoica figurait dans cette liste de victimes. La décision en question contenait également la liste des personnes morales ayant subi des dommages lors de la répression du 13 au 15 juin 1990. L’association requérante y figurait. 143. Cette décision mentionnait également « l’identification des quelque 100 personnes décédées lors des événements des 1315 juin 1990 ». 144. Elle contenait également la liste des entreprises publiques qui avaient mis des ouvriers à la disposition des autorités pour l’intervention à Bucarest. Cette liste comprenait notamment 20 exploitations minières réparties sur l’ensemble du pays et les usines de 11 villes (Călăraşi, Alexandria, Alba-Iulia, Craiova, Constanţa, Deva, Giurgiu, Galaţi, Braşov, Slatina et Buzău), ainsi que 3 usines de Bucarest. 145. À la suite de cette décision, le 5 mai 2008, les procureurs militaires adressèrent à la section compétente du parquet les 209 volumes – totalisant quelque 50 000 pages – du dossier no 75/P/1998. 146. Le 26 mai 2008, la section du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice qui avait reçu l’ensemble du dossier, à savoir la section de poursuite pénale et de criminalistique se déclara incompétente et s’en dessaisit au profit d’une autre section du même parquet, à savoir la direction d’investigation des crimes relevant de la criminalité organisée et du terrorisme (Direcţia de Investigare a Infracţiunilor de Criminalitate Organizată şi Terorism – « DIICOT »). 147. Par une décision du 10 mars 2009, la direction compétente du parquet près la Haute Cour – la DIICOT – accorda un non-lieu à l’ancien chef du SRI pour prescription relativement à l’accusation de sédition, et un non-lieu à la plupart des 27 civils poursuivis – directeurs d’exploitations minières, chefs de syndicats de mineurs, hauts fonctionnaires du ministère des Mines et de l’administration locale – pour absence des éléments constitutifs de l’infraction. 148. Pour se prononcer ainsi, le parquet avait estimé que, en leurs qualités respectives de chef d’État, de ministre de l’Intérieur, de ministreadjoint ou de chef de la police, certains des accusés étaient dépositaires de la puissance publique et qu’il eût été illogique de penser qu’ils avaient pu commettre des actes de nature à affaiblir leur propre pouvoir. Quant aux mineurs et autres ouvriers qui s’étaient rendus à Bucarest le 14 juin 1990, le parquet avait considéré qu’ils s’étaient « mués en forces de l’ordre » et qu’ils étaient persuadés que leurs actes servaient le pouvoir étatique. Il avait en outre relevé que leur intervention s’était révélée inutile car l’action menée par les parachutistes au siège de la télévision avait permis le rétablissement de l’ordre dans la capitale vers 1 heure le 14 juin 1990. 149. Par ailleurs, le parquet abandonna les poursuites contre trois des accusés décédés entre-temps. 150. Enfin, la DIICOT se déclara incompétente pour connaître du reste de l’affaire – c’est-à-dire des faits de traitements inhumains, de sabotage, de provocation à la guerre et de génocide au sens de l’article 357 a) à c) du code pénal – et s’en dessaisit au profit de la section de poursuite pénale et de criminalistique. Ces faits ne concernaient que neuf des personnes qui avaient été accusées pendant la période allant de 2000 à 2006, dont l’ancien président. 151. Le 17 juin 2009, un non-lieu fut rendu pour ce qui est des accusations en question, dont le contenu est exposé ci-dessous. Le non-lieu du 17 juin 2009 152. Le 17 juin 2009, le parquet près la Haute Cour de cassation et de justice rendit un non-lieu dans le dossier qui portait principalement sur des accusations de traitements inhumains fondées sur 856 plaintes de parties lésées par les violences commises du 13 au 15 juin 1990. 153. La décision en question indiquait que l’ancien chef de l’État n’avait pas été entendu en tant que prévenu au cours de l’enquête. 154. Elle décrivait l’ensemble des violences – qualifiées d’extrêmement cruelles – infligées à plusieurs centaines de personnes. 155. Il y était indiqué que les investigations menées pendant dix-neuf ans environ par les parquets civils puis par les parquets militaires n’avaient pas permis d’établir l’identité des agresseurs et le degré d’implication des forces de l’ordre. Le passage pertinent de cette décision se lit ainsi : « Les investigations menées pendant dix-neuf ans environ par les parquets civils, puis par les parquets militaires, et dont les résultats sont consignés dans le dossier (...) n’ont pas permis d’établir l’identité des mineurs agresseurs, le degré d’implication des forces de l’ordre et des membres et sympathisants du FSN dans leurs agissements ainsi que leur rôle et leur degré d’implication dans les exactions perpétrées les 14 et 15 juin 1990 contre les habitants de la capitale. » 156. Cette décision prononçait l’abandon des poursuites à l’égard d’un des accusés décédé entre-temps et accordait aux huit autres accusés un non-lieu (scoatere de sub urmărire penală) pour prescription quant aux infractions prescriptibles, notamment le recel de malfaiteurs. 157. Quant aux chefs d’accusation portant sur des infractions imprescriptibles, notamment les traitements inhumains reprochés aux accusés, la décision prononçait des non-lieux pour absence des éléments constitutifs des infractions poursuivies ou parce que la réalité des faits dénoncés n’avait pas été prouvée. 158. À cet égard, la décision indiquait qu’aucune forme de participation aux agissements conjoints des mineurs et des forces de l’ordre ne pouvait être reprochée au chef de l’État en exercice à l’époque des faits, celui-ci s’étant borné à approuver les actes accomplis le 13 juin 1990 au matin et l’intervention de l’armée dans l’après-midi de la même journée, dans le but déclaré de restaurer l’ordre. Il y était également mentionné qu’il n’y avait pas de données (date certe) susceptibles de conduire à imputer au chef de l’État la préparation de la venue des mineurs à Bucarest et les consignes qui leur avaient été fournies. Il y était précisé que la demande adressée aux mineurs par le chef de l’État de défendre les institutions de l’État et de restaurer l’ordre – à la suite de laquelle 1 021 personnes avaient été privées de liberté et avaient subi des dommages corporels – ne pouvait être qualifiée que d’incitation à commettre l’infraction de coups et blessures, et que cette infraction était prescrite. 159. Le parquet considéra que les manifestants et les autres personnes ciblées par les mineurs appartenaient à différentes ethnies (roumaine, rom, hongroise) et catégories sociales (intellectuels, étudiants, élèves, mais aussi ouvriers), et qu’ils ne pouvaient donc pas être considérés comme un groupe unitaire ou une collectivité identifiable selon un critère objectif, géographique, historique, social ou autre, raison pour laquelle les faits dénoncés ne pouvaient être qualifiés de génocide. S’appuyant sur la jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’exYougoslavie, le parquet considéra en outre que les personnes privées de liberté n’avaient pas été systématiquement soumises à des mauvais traitements. 160. La décision indiquait aussi que le discours par lequel le chef de l’État avait incité les mineurs à occuper et à défendre la place de l’Université contre les manifestants qui y campaient ne pouvait être qualifié de provocation à la guerre, l’intéressé n’ayant pas recherché le déclenchement d’un conflit mais au contraire demandé aux mineurs « de mettre un terme aux excès et aux actes sanglants ». 161. Il y était également indiqué que les mineurs étaient animés par des convictions personnelles simplistes nées d’une hystérie collective qui les avaient conduits à se poser en arbitres de la scène politique et en gardiens zélés du régime politique – dont les dirigeants les avaient reconnus comme tels – autorisés à « sanctionner » ceux qui en contestaient la légitimité. Par ailleurs, le procureur releva que la loi exigeait que les traitements inhumains répréhensibles visent des « personnes tombées dans les mains de l’ennemi » et estima que cette condition n’était pas remplie en l’espèce, les mineurs n’ayant plus eu d’adversaire à combattre le 14 juin 1990. 162. S’agissant des accusations de torture, le procureur considéra que la loi roumaine n’incriminait pas la torture à l’époque des faits. 163. La décision du 17 juin 2009 analyse chacun des chefs d’accusation à l’égard de chaque accusé mais elle ne désigne aucune des victimes par son nom et ne fait pas état des exactions dénoncées par chacune d’elles, renvoyant à une annexe qui n’a pas été soumise à la Cour. Elle évoque les victimes par leur nombre et leur appartenance à telle ou telle catégorie, mentionnant, par exemple, les 425 personnes appréhendées et détenues dans les locaux de l’école d’officiers de Băneasa ou les 574 manifestants arrêtés et incarcérés dans les locaux de la base militaire de Măgurele. Les recours exercés contre la décision de non-lieu du 17 juin 2009 164. L’association requérante, d’autres personnes morales et des particuliers exercèrent contre la décision de non-lieu du 17 juin 2009 un recours qui fut rejeté le 3 septembre 2009 par le procureur en chef de la section compétente du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice. Pour se prononcer ainsi, le parquet avait estimé qu’aucun fait susceptible d’être qualifié de crime contre l’humanité, tels que les traitements inhumains ou le génocide, n’avait été commis. 165. M. Stoica et quatre autres parties lésées exercèrent eux aussi un recours contre la même décision. Ils en furent déboutés le 6 novembre 2009. M. Stoica se pourvut devant la Haute Cour de cassation et de justice. 166. Le 9 mars 2011, après avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée soulevée par l’ancien chef de l’État, la Haute Cour de cassation et de justice statua sur le bien-fondé du non-lieu en rejetant le recours formé par le requérant. 167. Dans son arrêt, elle qualifia l’agression subie par le requérant d’atteinte grave à l’intégrité corporelle (article 182 du code pénal), d’arrestation abusive, de mauvais traitement (article 267 du code pénal), de torture, de répression injuste et de chantage. Elle estima que la décision du 17 juin 2009 avait à juste titre prononcé un non-lieu aux motifs que les infractions poursuivies étaient prescrites et que la torture n’était pas incriminée à l’époque des faits. 168. En revanche, elle ne se prononça pas sur l’incrimination de traitements inhumains (article 358 du code pénal) qui avait fait l’objet de la décision du 29 avril 2008, dans laquelle le requérant figurait nommément en qualité de victime de traitements inhumains imputés à cinq officiers supérieurs. Récapitulatif et précisions sur les mesures d’instruction 169. Selon le Gouvernement, les principales mesures d’instruction réalisées pendant la période allant de 1990 à 2009 ont été les suivantes : plus de 840 auditions de parties lésées, plus de 5 724 auditions de témoins, plus de 100 expertises médicolégales. Les résultats de ces mesures étaient consignés dans plusieurs milliers de pages. a) Mesures d’instruction concernant particulièrement M. Stoica 170. Le 18 juin 2001, alors qu’il était reçu par un procureur de la section militaire du parquet près la Cour suprême de justice, M. Stoica déposa une plainte officielle au sujet des violences qu’il disait avoir subies dans la nuit du 13 au 14 juin 1990. 171. Sa plainte fut versée au dossier de l’enquête ouverte sur d’autres accusations, notamment de traitements inhumains (dossier no 75/P/1998). 172. Le 18 octobre 2002, pour les besoins de l’enquête sur l’agression dont il se disait victime, le requérant subit à l’Institut public de médecine légale un examen qui donna lieu à un rapport médicolégal. Le rapport en question indiquait que les lésions décrites dans le dossier établi par le service des urgences médicales le 14 juin 1990 avaient nécessité trois à cinq jours de soins médicaux et qu’elles n’avaient pas mis en danger la vie de l’intéressé. 173. Il y était également indiqué que le requérant avait été hospitalisé pour des crises d’épilepsie sévères du 31 octobre au 28 novembre 1990, en février 1997, en mars 2002 et en août de la même année, et que l’on avait diagnostiqué chez lui une épilepsie secondaire post-traumatique et d’autres troubles vasculaires cérébraux (AIT – accident ischémique transitoire). Le rapport précisait que l’épilepsie posttraumatique était apparue après un traumatisme subi en 1966. 174. Les 9 et 17 mai 2005, le requérant fut entendu et put exposer son point de vue sur les faits dénoncés ainsi que sur ses demandes de réparation du préjudice matériel et du dommage moral dont il se disait victime. 175. Par une lettre du 23 mai 2005, la section militaire du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice informa l’intéressé que la plainte que celui-ci avait déposée pour dénoncer les traumatismes que lui avaient infligés des militaires non identifiés le 13 juin 1990, et qui avaient conduit à son hospitalisation « en état de coma », était en cours d’instruction dans le cadre du dossier no 75/P/1998. 176. Il ressort d’une attestation délivrée le 26 avril 2006 que, selon les mentions portées au registre de la section militaire du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice, le requérant avait été reçu par un procureur en 2002, 2003, 2004, 2005 et 2006, principalement pour les besoins de l’instruction ou pour s’enquérir de l’état de l’enquête. Le requérant déposa deux nouvelles plaintes, le 12 septembre et le 4 octobre 2006 respectivement. 177. Le 23 avril 2007, le procureur procéda à l’interrogatoire de deux témoins désignés par l’intéressé. 178. Entendu le 9 mai 2007 en qualité de partie lésée, le requérant demanda au procureur militaire d’ordonner une contre-expertise médicolégale, estimant que l’expertise réalisée en 2002 ne soulignait nullement la gravité des lésions subies par lui en 1990 ni celle des séquelles qui en résultaient. 179. Le procureur ordonna une nouvelle expertise. Il invita les médecins légistes à rechercher notamment s’il y avait un lien de causalité entre le traumatisme subi par le requérant en juin 1990 et les pathologies dont il souffrait à la date à laquelle l’expertise avait été ordonnée. 180. Lors de son audition, l’intéressé fut invité à regarder un enregistrement vidéo des événements du 13 juin 1990, notamment ceux qui s’étaient produits au siège de la télévision publique. L’intéressé s’y reconnut et demanda que le document vidéo fût versé au dossier de l’enquête. 181. Le 25 juin 2007, le nouveau rapport d’expertise fut versé au dossier. S’appuyant lui aussi sur le rapport médical établi le 14 juin 1990, il indiquait que les lésions du requérant avaient nécessité trois à cinq jours de soins médicaux et qu’elles n’avaient pas mis en danger la vie de l’intéressé. Il précisait qu’il n’y avait pas de rapport de causalité entre le traumatisme subi dans la nuit du 13 au 14 juin 1990 et les pathologies dont souffrait le requérant, lesquelles avaient donné lieu à de nombreuses hospitalisations par la suite. 182. Le 30 octobre 2007, à la demande du requérant, les fiches d’observation le concernant établies en 1992 par le service des urgences de l’hôpital de Bucarest furent versées au dossier. 183. Auparavant, la commission médicale auprès de la Caisse nationale de sécurité sociale avait délivré au requérant une attestation en date du 24 mai 2007, d’où il ressortait que l’intéressé était atteint d’une « déficience globale accentuée » entraînant une incapacité totale de travail. Les passages pertinents de cette attestation se lisent ainsi : « Au vu des documents médicaux versés au dossier du patient, de ceux qui y ont été ajoutés récemment (...) et de l’examen psychiatrique clinique daté du 24 mai 2007, la commission spécialisée et la commission supérieure posent le diagnostic clinique suivant : Troubles de la personnalité mixtes aggravés par des causes organiques. Traumatisme crânio-cérébral aigu 1990 (agression). Épilepsie avec crises partielles secondairement généralisées, confirmées cliniquement et à l’EEG, rares à présent (...) Troubles supraventriculaires dans les antécédents (épisodes de flutter et (...) bloc auriculo-ventriculaire avec retour au rythme sinal (...) après cardioversion). Diagnostic fonctionnel : déficience globale accentuée. Capacité de travail : perte totale, 2ème degré d’invalidité. Incapacité adaptative : 72% » 184. Entre-temps, un non-lieu avait été rendu le 10 mai 2004 dans un autre dossier par le parquet près le tribunal départemental de Bucarest, après le dépôt par le requérant d’une plainte pour tentative de meurtre fondée sur les mêmes faits. b) Précisions sur l’instruction de la plainte avec constitution de partie civile déposée par l’association requérante 185. Le 9 juillet 1990, l’unité militaire 02515 de Bucarest adressa à l’association requérante une lettre par laquelle elle l’informait que « le matériel trouvé le 14 juin 1990 [au siège de l’association] a[vait] été inventorié par des représentants du parquet général (Procuratura Generală) et déposé contre procès-verbal au siège du parquet de Bucarest (Procuratura Municipiului Bucureşti) ». 186. Le 22 juillet 1990, deux officiers de police se rendirent au siège de l’association requérante. Ils constatèrent que les vitres en avaient été brisées et les serrures détruites, et que les objets qui s’y trouvaient avaient « tous été saccagés ». Ils dressèrent un procès-verbal en présence des dirigeants de l’association et d’un témoin. 187. Le 26 juillet 1990, l’association requérante saisit le parquet de Bucarest d’une plainte pénale, dénonçant le saccage de son siège ainsi que les agressions subies par certains de ses membres le 14 juin 1990 et réclamant la restitution de la totalité du matériel et des documents confisqués. Elle se constitua partie civile à la procédure pénale. 188. Le 22 octobre 1997, l’inspection générale de la police adressa au parquet près la Cour suprême de justice 21 dossiers qui avaient été ouverts sur plaintes pénales de particuliers et de personnes morales et qui se rapportaient aux événements des 13 et 14 juin 1990. Parmi eux se trouvait le dossier no 1476/P/1990, qui portait sur la plainte de l’association requérante dénonçant les mauvais traitements infligés à plusieurs de ses membres. L’inspection générale de la police invita également le parquet à lui indiquer les modalités à suivre pour procéder à des auditions dans le cadre de l’enquête. 189. L’association requérante s’adressa régulièrement au parquet près la Cour suprême de justice, (ultérieurement la Haute Cour de cassation et de justice) pour s’enquérir de l’avancement de l’instruction ou demander des compléments d’enquête, jusqu’à ce que celle-ci aboutisse à la décision de non-lieu prononcée le 17 juin 2009. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX ET INTERNES PERTINENTS A. Documents juridiques internationaux Documents des Nations Unies 190. Le Comité contre la torture des Nations Unies a émis l’Observation générale no 3 (2012) sur l’application par les États parties de l’article 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dont les parties pertinentes se lisent ainsi : « Obstacles au droit à réparation Un élément essentiel du droit à réparation est la reconnaissance claire par l’État partie concerné que les mesures de réparation sont offertes ou accordées à la victime pour des violations de la Convention, commises par action ou omission. Par conséquent, le Comité est d’avis que des mesures visant à promouvoir le développement ou à apporter une aide humanitaire ne peuvent pas se substituer aux mesures de réparation dues aux victimes de torture ou de mauvais traitements. L’État partie qui n’offre pas à une victime de torture une réparation individualisée ne peut pas se justifier en invoquant son niveau de développement. Le Comité rappelle que l’obligation de garantir l’exercice du droit à réparation reste la même en cas de changement de gouvernement ou de succession d’États. Les États parties à la Convention ont l’obligation de garantir que le droit à réparation soit effectif. Les facteurs susceptibles de faire obstacle à l’exercice du droit à réparation et d’empêcher la mise en œuvre effective de l’article 14 sont notamment: l’insuffisance de la législation nationale, la discrimination exercée dans l’accès aux mécanismes de plaintes et d’enquête et aux procédures de recours et de réparation; l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour obtenir l’arrestation des auteurs de violation présumés, les lois sur le secret d’État, les règles de la preuve et les règles de procédure qui entravent la détermination du droit à réparation; la prescription, l’amnistie et l’immunité; le fait de ne pas assurer une aide juridictionnelle suffisante et des mesures de protection aux victimes et aux témoins; la stigmatisation et les incidences physiques, psychologiques et autres de la torture et des mauvais traitements. En outre, la non-exécution par un État partie de jugements rendus par une juridiction nationale, internationale ou régionale ordonnant des mesures de réparation pour une victime de torture constitue un obstacle majeur à l’exercice du droit à réparation. Les États parties devraient mettre en place des dispositifs coordonnés pour permettre aux victimes d’obtenir l’exécution de jugements hors des frontières de l’État, notamment en reconnaissant la validité des décisions de justice rendues par les tribunaux d’autres États parties et en aidant à retrouver les biens détenus par les responsables. En ce qui concerne les obligations faites à l’article 14 de la Convention, les États parties doivent garantir de jure et de facto l’accès à des dispositifs de réparation effectifs et diligents pour les membres de groupes marginalisés ou de groupes vulnérables, éviter les mesures qui empêchent les membres de ces groupes de demander et d’obtenir réparation et éliminer les obstacles formels et informels qu’ils peuvent rencontrer pour obtenir réparation. Ces obstacles peuvent être, par exemple, constitués par des procédures judiciaires ou autres inappropriées pour quantifier le dommage, ce qui peut avoir une incidence négative variable pour ce qui est d’accéder à l’argent ou de pouvoir garder l’argent. Comme le Comité l’a souligné dans son Observation générale no 2, le sexe est un facteur déterminant et «[d]es données ventilées par sexe − croisées avec d’autres données personnelles [...] − sont cruciales pour déterminer dans quelle mesure les femmes et les filles sont soumises ou exposées à la torture et aux mauvais traitements». Les États parties doivent veiller à prendre dûment en considération ce facteur, en tenant compte de tous les éléments cités plus haut, de façon à garantir que chacun, en particulier les personnes appartenant à des groupes vulnérables, y compris les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT), soit traité de façon équitable et juste et obtienne une indemnisation juste et adéquate, des moyens de réadaptation suffisants et d’autres mesures de réparation qui répondent à leurs besoins spécifiques. Compte tenu du caractère continu des effets de la torture, il ne devrait pas y avoir de prescription car cela reviendrait à priver les victimes de la réparation, l’indemnisation et la réadaptation qui leur sont dues. Pour de nombreuses victimes, le passage du temps n’atténue pas le préjudice qui, dans certains cas, peut même s’aggraver du fait d’un syndrome post-traumatique nécessitant une prise en charge médicale et psychologique et un soutien social, souvent inaccessibles pour qui n’a pas obtenu réparation. Les États parties doivent veiller à ce que toutes les victimes de torture ou de mauvais traitement, indépendamment de la date à laquelle la violation a été commise ou du fait qu’elle a été commise par un régime précédent ou avec son assentiment soient en mesure de faire valoir leurs droits à un recours et d’obtenir réparation. (...) » La jurisprudence de la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme et de la Cour interaméricaine des Droits de l’Homme 191. La jurisprudence internationale offre des exemples de cas où les victimes alléguées de violations massives de droits fondamentaux – tels que le droit à la vie et le droit à ne pas être soumis à des mauvais traitements – ont été autorisées à attendre de nombreuses années avant d’entamer des poursuites sur le plan national et de porter ensuite leur affaire devant les juridictions internationales bien des années après les faits dénoncés, alors que les conditions de recevabilité des requêtes tenant à l’épuisement des voies de recours internes et aux délais de saisine étaient similaires à celles prévues par la Convention (voir, entre autres, Commission interaméricaine des droits de l’homme, Communauté de Rio Negro des indigènes Maya et ses membres c. Guatemala, rapport no 13/2008 du 5 mars 2008, requête no 844/05 ; Cour interaméricaine des droits de l’homme (« CIADH »), Affaire du massacre de « Las Dos Erres » c. Guatemala, 24 novembre 2009 et CIADH, García Lucero et al. c. Chili, 28 août 2013). 192. Les passages pertinents de la première des décisions susmentionnées (Communauté de Rio Negro des indigènes Maya et ses membres, §§ 88-89) se lisent ainsi : [Traduction du greffe] « La règle du délai raisonnable pour la présentation d’une pétition dans le système interaméricain de protection des droits de l’homme doit s’apprécier au cas par cas, au vu des efforts déployés par les proches des victimes pour demander justice, du comportement de l’État, et des circonstances ainsi que du contexte dans lesquels la violation alléguée est survenue. En conséquence, eu égard au contexte et aux particularités de la présente affaire, et au fait que plusieurs enquêtes et procédures judiciaires sont en cours d’instruction, la Commission estime que la pétition litigieuse a été présentée en temps utile et qu’elle satisfait à la condition de recevabilité relative au délai de présentation d’une pétition. » B. Dispositions concernant la prescription de la responsabilité pénale 193. L’article 121 du code pénal, en vigueur à l’époque des faits, est ainsi rédigé : « La prescription de la responsabilité pénale ne s’applique pas aux infractions contre la paix et l’humanité. » 194. L’article 122, en vigueur à l’époque des faits, régit les délais de prescription de la responsabilité pénale. Ses parties pertinentes sont ainsi libellées : « La responsabilité pénale se prescrit : a) par quinze ans lorsque l’infraction commise est passible au maximum de la réclusion à perpétuité ou d’une peine d’emprisonnement de quinze ans ; b) par dix ans lorsque l’infraction commise est passible au maximum d’une peine d’emprisonnement supérieure à dix ans et inférieure à quinze ans ; c) par huit ans lorsque l’infraction commise est passible au maximum d’une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans et inférieure à dix ans ; d) par cinq ans lorsque l’infraction commise est passible au maximum d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an et inférieure à cinq ans ; e) par trois ans lorsque l’infraction commise est passible au maximum d’une peine d’emprisonnement inférieure à un an ou d’une amende. Ces délais commencent à courir à partir de la date à laquelle l’infraction a été commise. (...) » 195. L’article 123 régit une cause d’interruption du cours de la prescription, à savoir l’accomplissement de tout acte de procédure dont la loi exige qu’il soit notifié au prévenu ou à l’inculpé. 196. L’article 124, en vigueur à l’époque des faits, régit la prescription spéciale. Ses parties pertinentes sont ainsi libellées : « La prescription fait obstacle à la mise en cause de la responsabilité pénale quel que soit le nombre d’interruptions intervenues dès lors que le dépassement du délai prévu à l’article 122 est égal à la moitié de la durée du délai en question. » C. L’article 358 du code pénal et la jurisprudence concernant son application 197. L’article 358 du code pénal était ainsi libellé : Les traitements inhumains (Tratamentele neomenoase) « 1. La soumission à des traitements inhumains des blessés, des malades, des membres du personnel civil sanitaire ou celui de la Croix Rouge ou d’autres organisations assimilées à celle-ci, des naufragés, des prisonniers de guerre et, en général, de toute autre personne tombée dans les mains de l’ennemi (şi în general a oricărei persoane căzute sub puterea adversarului), ou leur soumission à des expérimentations médicales ou scientifiques qui ne soient pas justifiées par un traitement médical dans leur intérêt, est punie d’emprisonnement de 5 à 20 ans et de l’interdiction de certains droits. Sera punie de la même peine la commission à l’égard des personnes indiquées dans le précédent alinéa des faits suivants : a) la contrainte de servir dans les forces armées de l’ennemi ; b) la prise d’otages ; c) la déportation ; d) le transfert forcé (dislocarea) ou la privation de liberté sans base légale ; e) la condamnation ou l’exécution sans jugement préalable par un tribunal établi selon les voies légales et dont le jugement a été rendu dans le respect des garanties judiciaires fondamentales prévues par la loi. La torture, la mutilation ou l’extermination des personnes mentionnées à l’alinéa premier est punie de détention à vie ou d’emprisonnement de 15 à 25 ans et de l’interdiction de certains droits. Si les faits réprimés par le présent article sont commis en temps de guerre, la peine est la détention à vie. » 198. Par un arrêt no 2579 rendu le 7 juillet 2009, la Haute Cour de cassation et de justice confirma une décision portant sur l’applicabilité de l’article 358 du code pénal – disposition qui réprime les traitements inhumains – adoptée par la cour militaire d’appel dans une affaire où étaient en cause l’arrestation et le décès en prison survenu en 1948 d’un opposant au régime totalitaire qui venait d’être instauré en Roumanie. Les passages pertinents de cet arrêt se lisent ainsi : « Par un arrêt du 28 janvier 2009, la cour militaire d’appel a décidé (...) d’accueillir le recours de l’appelant (...) contre la décision (...) de non-lieu rendue à l’égard de D. Z. et du personnel du Service médical du ministère de l’Intérieur (de l’année 1948) en ce qui concerne l’infraction de traitements inhumains réprimée par l’article 358 du code pénal. (...) (...) l’affaire a été renvoyée au parquet militaire près la cour militaire d’appel en vue de l’ouverture de poursuites pénales (în vederea începerii urmăririi penale) pour les motifs, faits et circonstances établis au moyen des éléments de preuve mentionnés dans l’arrêt. (...) Pour se prononcer ainsi, la cour d’appel a constaté que : (...) S’appuyant sur la définition de traitements inhumains donnée par la Cour européenne [des droits de l’homme], la Haute Cour constate en l’espèce que, pendant l’année 1948, période au cours de laquelle les faits tombant sous le coup de l’article 358 du code pénal ont été commis, il existait une situation de conflit – condition préalable [pour que ce crime soit constitué] – entre les autorités de l’État communiste, qui ont non seulement toléré mais encore autorisé que des « agents de l’État » se comportent en véritables tortionnaires, et les victimes de ce régime de répression physique et psychologique. Dans ces conditions, rien ne s’oppose à ce que les accusés fassent l’objet d’une enquête du chef de cette infraction. L’élément matériel de l’infraction de traitements inhumains telle qu’applicable en l’espèce consiste à soumettre des blessés ou des malades à des traitements inhumains, c’est-à-dire difficiles à supporter physiquement et humiliants. En conséquence, c’est à bon droit que la cour militaire d’appel a ordonné le renvoi de l’affaire au parquet pour diligenter des poursuites, y compris du chef de ce crime, les intimés Z. et D. ayant ordonné l’arrestation de D.A. le 21 avril 1948 sous l’accusation d’atteinte à la sûreté de l’État sur la base d’une dénonciation anonyme et en l’absence de tout indice de commission de cette infraction. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1970 et réside à Skopje, dans l’exRépublique yougoslave de Macédoine. La requérante a, d’un autre ressortissant de l’ex-République yougoslave de Macédoine, deux enfants : un garçon né en 1995 et une fille née en 2002. Elle et leur père ne sont pas mariés. Ils vivaient initialement à Tetovo (ex-République yougoslave de Macédoine) et exerçaient conjointement l’autorité parentale. Après une détérioration de la relation entre la requérante et le père des enfants à constater depuis un certain temps, la requérante quitta l’exRépublique yougoslave de Macédoine avec ses enfants le 12 novembre 2005 pour rejoindre sa famille à Pristina (Kosovo). Le 28 décembre 2005, elle y épousa un ressortissant italien résidant en Suisse à Agno, dans le canton du Tessin, où elle vint s’installer avec ses enfants en avril 2006. Y vivent par ailleurs également son père, ses frères et ses sœurs. Le 30 août 2006, le ministère du Travail et de la Politique sociale de l’ex-République yougoslave de Macédoine s’adressa par voie diplomatique à l’Office fédéral de la justice suisse, demandant le retour des enfants sur la base de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (paragraphe 34 ci-dessous). Le 28 septembre 2006, l’Office fédéral de la justice invita l’avocate du père à prendre des mesures en vue du retour des enfants. Le 9 octobre 2006, le père des enfants demanda également le retour immédiat des enfants devant l’autorité de surveillance en matière de tutelle du canton de Tessin. Le 13 décembre 2006, les autorités de l’ex-République yougoslave de Macédoine attribuèrent au père la garde exclusive des enfants, sans avoir préalablement entendu ceux-ci ou la requérante. Toutefois, cette dernière ne contesta pas cette décision. Le 19 décembre 2006, les deux parents furent entendus par l’autorité de surveillance en matière de tutelle du canton du Tessin. Le fils de la requérante fut entendu par la même autorité le 22 décembre 2006. Une note figurant au dossier, rédigée par la cheffe du bureau de l’autorité de surveillance, indique que : – le fils manifesta son opposition ferme à l’idée d’un retour chez son père et refusa même de le rencontrer et de lui parler au téléphone ; – le mercredi précédent, alors qu’un droit de visite surveillé avait été fixé dans le canton du Tessin, le fils se serait présenté seulement pour dire à son père qu’il ne voulait pas le voir et serait parti immédiatement. Toujours selon cette note, le fils aurait également déclaré : – que son père n’avait jamais été présent, qu’il ne prenait pas soin de lui et de sa sœur, et qu’il ne leur avait jamais fait de petit cadeau ; – que lui et sa sœur dépendaient du soutien financier des parents de leur mère ; – que son père était un homme violent, en particulier à l’égard de leur mère, qu’il battait souvent ; – que toutefois, le père aurait toujours réussi à convaincre son épouse de rentrer à la maison, à l’exception de la dernière fois, où le fils lui-même aurait poussé sa mère à quitter définitivement son père ; – qu’il voulait rester avec sa mère et qu’il avait peur d’être séparé d’elle. Le 13 mars 2007, l’autorité de surveillance rejeta la demande du père visant à la restitution des enfants. Dans ses motifs, l’autorité estima tout d’abord que la Convention de La Haye était applicable, en notant que la résidence habituelle des enfants était à Tetovo et que leur départ de l’ex-République yougoslave de Macédoine avait eu lieu sans le consentement ni l’autorisation de quiconque. L’autorité concéda ensuite que la mère n’avait pas prouvé que le père s’était désintéressé des enfants, et que leur retour n’exposerait pas ces derniers à un danger physique ou psychique. Elle retint cependant, à l’appui de sa décision : – que le refus catégorique du fils, âgé de 11 ans et demi lors de son audition, constituait un motif de refus de restitution, d’autant plus que le père détenait dorénavant seul la garde des enfants à la suite de la décision du 13 décembre 2006, rendue sans audition de la requérante ni des enfants ; – que l’enfant avait clairement refusé tout contact avec son père et ne voulait pas rentrer en ex-République yougoslave de Macédoine, et avait par ailleurs affirmé que son père avait frappé la requérante. Quant à l’éventuelle influence de la mère sur la volonté de son fils de ne pas rentrer, l’autorité de surveillance estima que le dossier ne permettait ni de la confirmer ni d’en exclure la possibilité. Sur recours du père en date du 30 mars 2007, le tribunal d’appel du Tessin (section de droit civil) se prononça par un arrêt du 12 juin 2007, sur la base du procès-verbal de l’audition du fils en décembre 2006 établi par la cheffe du bureau de l’autorité de surveillance en matière de tutelle du canton du Tessin : il annula la décision attaquée et ordonna le retour des enfants en ex-République yougoslave de Macédoine. Dans ses motifs, le tribunal d’appel reconnut d’abord qu’en vertu du droit de cet État, les parents détenaient ensemble l’autorité parentale : en l’espèce, la requérante ne pouvait donc pas quitter Tetovo sans l’accord du père des enfants – où à défaut, sans l’autorisation des autorités compétentes. Il écarta ensuite l’argumentation de la requérante selon laquelle il n’était pas dans l’intérêt des enfants qu’ils soient gardés par leur père, en estimant qu’il s’agissait là de questions qui étaient de la compétence de l’État de résidence habituelle des enfants. Le tribunal considéra par ailleurs qu’une exception au retour des enfants ne pouvait être décidée qu’en présence d’une opposition qualifiée, c’estàdire fondée sur des motifs compréhensibles et particuliers et ne concernant ni la relation de l’enfant avec le parent victime de l’enlèvement, ni son intégration dans l’État requis. Il considéra en outre que le fils n’était pas assez mûr pour que son refus catégorique de rentrer puisse être pris en compte. Par ailleurs, même à supposer qu’il fût assez mûr, le fait qu’il préférait rester au Tessin était selon lui juridiquement inopérant, la demande de retour ayant été formulée dans un délai inférieur à un an à partir du déplacement illicite. Du reste, aux yeux du tribunal, l’enfant se trouvait pris dans un conflit de loyautés et craignait probablement de se couper de sa mère s’il reprenait contact avec son père. Le tribunal exprima ses doutes quant à la crédibilité des déclarations du fils. En particulier, son insistance à vouloir exonérer sa mère de toute responsabilité pour l’enlèvement lui parut peu crédible pour un enfant âgé de 11 ans et demi ; ces doutes lui parurent d’autant plus justifiés que les déclarations du fils pouvaient être vues comme importantes pour sa mère. S’agissant de la fille, âgée de cinq ans à cette époque, la séparation d’avec la mère était certes problématique mais devait être acceptée comme conséquence de l’obligation de restitution, estima le tribunal. Enfin, le fait que le père ait obtenu la garde exclusive ne pouvait, aux yeux du tribunal, être considéré comme constituant un danger objectif pour les enfants. La mère n’avait du reste accompli aucune démarche contre la décision du 13 décembre 2006. L’arrêt indiquait en outre qu’un recours devant le Tribunal fédéral pouvait être déposé « dans les trente jours ». Or, cette indication était erronée puisque, avec l’entrée en vigueur de la loi sur le Tribunal fédéral le 1er janvier 2007, c’était désormais un délai de dix jours seulement qui s’appliquait en l’espèce, en vertu de l’article 100 alinéa 2 lettre c) de la loi sur le Tribunal fédéral (paragraphes 27 et 28 ci-dessous). Le 19 juin 2007, l’arrêt fut notifié à l’ancien représentant de la requérante, dont le mandat avait entre-temps pris fin. Les versions des parties diffèrent sur les circonstances exactes de ce changement : – d’après le Gouvernement, c’est la requérante qui aurait révoqué le mandat de son avocat ; – d’après la requérante et le libellé de l’arrêt du Tribunal fédéral du 29 août 2007, c’est l’avocat qui aurait subitement renoncé à son mandat. Le 12 juillet 2007, soit bien dans le délai de « trente jours » indiqué dans l’arrêt du tribunal d’appel, la requérante, qui n’était plus représentée par un avocat, introduisit un recours en matière civile et un recours constitutionnel subsidiaire (avec demande de mesures provisionnelles) auprès du Tribunal fédéral. Le Tribunal fédéral déclara le recours irrecevable par une décision du 29 août 2007. Tout en notant qu’aux termes de l’article 49 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), une notification irrégulière ne doit entraîner aucun préjudice pour les parties (paragraphe 27 ci-dessous), la haute juridiction estima néanmoins qu’il ressortait de sa jurisprudence établie (paragraphe 30 ci-dessous) que, malgré l’indication erronée du délai, la partie requérante ou son avocat auraient pu se rendre compte de l’erreur simplement en consultant le texte de la loi (« la parte o il suo avvocato avrebbero potuto scoprire l’errore semplicemente consultando il testo di legge »). Par ailleurs, le Tribunal fédéral estima que l’inexactitude du délai de recours indiqué dans l’arrêt attaqué était reconnaissable à la seule lecture de l’article 100 alinéa 2 lettre c) de la LTF. Selon le Tribunal fédéral, l’allégation de la requérante selon laquelle elle avait rédigé le recours sans l’aide d’un avocat n’était pas pertinente. La haute juridiction suisse observa également que la requérante était représentée durant la procédure cantonale antérieure et que l’arrêt attaqué avait été notifié à son ancien mandataire le 19 juin 2007 : il appartenait à cet avocat, même après qu’il ait été mis fin au mandat, d’informer son ancienne cliente des modalités de recours, et en particulier de la brièveté du délai applicable. Enfin, le Tribunal fédéral constata que la requérante n’avait pas demandé de restitution du délai sur le fondement de l’article 50 de la loi sur le Tribunal fédéral (paragraphe 28 ci-dessus). Le 18 octobre 2007, le président de la section rejeta une demande de mesures provisoires, au sens de l’article 39 du règlement de la Cour, visant à la suspension de l’exécution du retour des enfants. Le même jour, les enfants furent interceptés par la police et reconduits en ex-République yougoslave de Macédoine sans la requérante. Après avoir divorcé de son époux italien, la requérante repartit à Skopje le 19 novembre 2008 afin de vivre auprès de ses enfants et de leur père. Sur demande de la Cour, la requérante a fait savoir, par une lettre du 23 octobre 2012, qu’elle résidait officiellement au Kosovo, auprès du père des enfants, mais qu’elle habitait en fait en ex-République yougoslave de Macédoine, avec les enfants. Selon ses dires, il y avait un contact régulier entre le père et les enfants, mais sa fille souffrait de la situation et voulait rentrer en Suisse pour retrouver notamment ses amis et son grand-père. Par une lettre du 8 avril 2013, la requérante a ajouté que son fils souffrait également et que le père le forçait à consulter des psychologues. En juin 2013, le fils de la requérante a atteint l’âge de la majorité. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit interne L’article 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (« CF » ; recueil systématique no 101) consacre le principe de la bonne foi de la manière suivante : Article 9 : Protection (...) de la bonne foi « Toute personne a le droit d’être traitée par les organes de l’État (...) conformément aux règles de la bonne foi. » Le principe de la bonne foi donne au citoyen le droit d’être protégé dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il trouve à s’appliquer lorsque l’intéressé a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration. Entre autres conditions – cumulatives – auxquelles la jurisprudence subordonne le recours à cette protection, il faut que l’administré ait eu de sérieuses raisons de croire à la validité des assurances et du comportement dont il se prévaut et qu’il ait pris sur cette base des dispositions qu’il ne pourrait modifier sans subir un préjudice. Lorsque ces conditions sont réunies, le principe de la bonne foi l’emporte sur celui de la légalité et ne cède que devant un intérêt public prépondérant (voir, à titre d’exemple, l’arrêt 2P.214/2002 du 19 mars 2003, publié au recueil des arrêts principaux du Tribunal fédéral (« ATF » 129 I 161, 170). Jusqu’au 31 décembre 2006, l’article 107 alinéa 3 de l’ancienne loi sur l’organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (dite loi « OJ » ; no 3 521 du recueil systématique des lois et ordonnances de 1848 à 1946), se rapportant à la recevabilité du recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral, était libellé comme suit : « Une notification irrégulière, notamment le défaut d’indication ou l’indication incomplète ou inexacte des voies de droit, ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties. » En vigueur depuis le 1er janvier 2007, les dispositions pertinentes de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (« LTF » ; recueil systématique no 173.110) sont libellées comme suit : Article 49 : Notification irrégulière « Une notification irrégulière, notamment en raison de l’indication inexacte ou incomplète des voies de droit ou de l’absence de cette indication si elle est prescrite, ne doit entraîner aucun préjudice pour les parties. » Article 50 : Restitution «1 Si, pour un autre motif qu’une notification irrégulière, la partie ou son mandataire a été empêché d’agir dans le délai fixé sans avoir commis de faute, le délai est restitué pour autant que la partie en fasse la demande, avec indication du motif, dans les 30 jours à compter de celui où l’empêchement a cessé ; l’acte omis doit être exécuté dans ce délai. 2 La restitution peut aussi être accordée après la notification de l’arrêt, qui est alors annulé. » Article 100 : Recours contre une décision « 1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète. 2 Le délai de recours est de dix jours contre : (...) c. les décisions portant sur le retour d’un enfant fondées sur la Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants ; (...). » Ce délai de dix jours contre les décisions portant sur le retour d’un enfant fondées sur la Convention de La Haye, prévu à l’article 100, alinéa 2, lettre c) de la LTF, et qui constitue une exception aux trente jours du délai de droit commun est une nouveauté introduite par cette dernière loi. Cette exception n’existait pas dans l’ancienne loi OJ (paragraphe 26). Dans son « Message concernant la révision totale de l’organisation judiciaire » du 28 février 2001 (Feuille fédérale [FF] 2001, 4138), le Conseil fédéral expliquait : « Le délai est en principe de trente jours (...). Cette règle comporte néanmoins plusieurs exceptions (...). La plupart de ces exceptions correspondent au droit actuel. Un délai de dix jours est nouvellement introduit pour les décisions de retour fondées sur la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (...). Le délai ordinaire de trente jours rendrait en effet difficile le respect du délai de six semaines par instance que prescrit la convention afin d’assurer l’exécution rapide de la décision ordonnant le retour d’enfants enlevés (article 11 de la convention). » L’article 50 de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (« LEtr » ; entrée en vigueur le 1er janvier 2008 ; recueil systématique no 142.20) est libellé comme suit : Article 50 : Dissolution de la famille « 1 Après dissolution de la famille, le droit du conjoint et des enfants à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité (...) subsiste dans les cas suivants : a. l’union conjugale a duré au moins trois ans et l’intégration est réussie ; b. la poursuite du séjour en Suisse s’impose pour des raisons personnelles majeures. 2 Les raisons personnelles majeures visées à l’alinéa 1, lettre b, sont notamment données lorsque le conjoint est victime de violence conjugale et que la réintégration sociale dans le pays de provenance semble fortement compromise. 3 (...). » B. La pratique interne Quant à la mention d’un délai inexact dans l’indication des voies de recours, la jurisprudence du Tribunal fédéral estime que la bonne foi au sens de l’article 9 de la Constitution (paragraphe 25 ci-dessus) n’est utilement invocable que par celui qui ne pouvait pas en découvrir l’inexactitude, même avec l’attention requise (voir en ce sens, à titre d’exemple, un arrêt du 12 décembre 1991, ATF 117 Ia 421 considérant 2a : « [D]er die Unrichtigkeit nicht kennt und auch bei gebührender Aufmerksamkeit nicht hätte erkennen können »). La bonne foi devient notamment inopérante en cas de négligence procédurale grossière (« eine grobe prozessuale Unsorgfalt ») de celui qui l’invoque. Dans un arrêt du 29 août 2007 (5A_401/2007) – celui précisément qui donne lieu à la présente affaire devant la Cour – rendu par un collège de cinq juges, le Tribunal fédéral a jugé que le fait que la requérante ne fût, selon ses dires, plus représentée par un avocat ne suffisait pas à lui permettre d’invoquer valablement la bonne foi, dès lors que l’inexactitude du délai de recours indiqué dans l’arrêt cantonal attaqué était détectable par elle à la seule lecture de l’article 100 alinéa 2 lettre c) de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral. Cette solution n’a pas été retenue pour publication au recueil officiel des arrêts principaux du Tribunal fédéral (malgré l’annonce en ce sens contenue dans un arrêt du 7 septembre 2007 (5A_352/2007), considérant 2.2). Après de vives critiques de la doctrine suisse, la jurisprudence consacrée par l’arrêt susmentionné du 29 août 2007 a été corrigée. Dans un arrêt du 12 mars 2009 (5A_814/2008 ; ATF 135 III 374), la juridiction suprême suisse, en formation collégiale à trois juges, a précisé que « [l]a partie sans connaissances juridiques qui, dans l’instance cantonale déjà, n’était pas assistée par un homme de loi et qui ne dispose d’aucune expérience particulière découlant par exemple de procédures antérieures, est en droit de se fier à l’indication inexacte du délai de recours contenue dans la décision cantonale. » En outre, le Tribunal fédéral a admis également que l’article 100 de la LTF n’était pas aisément compréhensible pour une personne sans connaissances juridiques (« nicht für jeden juristischen Laien ohne weiteres verständlich »). Depuis cet arrêt du 12 mars 2009, la doctrine suisse considère la jurisprudence du 29 août 2007 comme dépassée. C. Le droit international Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, traité international entré en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 1984 (recueil systématique no 0.211.230.02), sont ainsi libellées : Article 1 La présente Convention a pour objet : a. d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant ; b. de faire respecter effectivement dans les autres États contractants les droits de garde et de visite existant dans un État contractant. (...) Article 3 Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite : a. lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour, et b. que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus. Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État. Article 4 La Convention s’applique à tout enfant qui avait sa résidence habituelle dans un État contractant immédiatement avant l’atteinte aux droits de garde ou de visite. L’application de la Convention cesse lorsque l’enfant parvient à l’âge de 16 ans. (...) Article 5 Au sens de la présente Convention : a. le « droit de garde » comprend le droit portant sur les soins de la personne de l’enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence ; b. le « droit de visite » comprend le droit d’emmener l’enfant pour une période limitée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle. Article 13 Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit : (...) b. qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable. L’autorité judiciaire ou administrative peut [...] refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion. Dans l’appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l’Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’État de la résidence habituelle de l’enfant sur sa situation sociale. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante fut créée en avril 2001 par deux militaires, le capitaine Bavoil (alors en activé de service) et le major Radajewski. Elle a pour objet statutaire « l’étude et la défense des droits, des intérêts matériels, professionnels et moraux, collectifs ou individuels, des militaires ». Ses statuts précisent que « dans la poursuite de cet objet, [elle] intervient devant toutes les autorités et juridictions, et en toutes circonstances utiles, selon les règles de droit ». Ni le Président de la République, pris en sa qualité de chef des armées, ni le Premier ministre n’ont réagi à sa création, dont elle les avait informés. Elle indique que de nombreux militaires en activité ont rapidement adhéré et que, dès le début, elle a conseillé des militaires qui souhaitaient engager des procédures contentieuses relatives, entre autres, à leur notation, à leur avancement, à des sanctions qui leur avaient été infligées ou à des refus d’accéder à des formations professionnelles. En 2002, la requérante s’impliqua dans la défense d’un sous-officier de l’armée de terre victime de harcèlement moral. Elle produit un article paru le 22 novembre 2002 dans l’hebdomadaire Le Point, qui relate les faits et expose ce qui suit : « (...) L’association qui dérange. C’est [l’ADEFDROMIL] qui a révélé l’affaire (...). Forte aujourd’hui de 450 adhésions de sous-officiers et d’officiers, elle se développe à grande vitesse en faisant valoir les droits de ses adhérents sur le terrain judiciaire, sans compromission. C’est peu dire que cette initiative agace l’autorité militaire : elle exècre Bavoil, spécialiste de droit administratif formé par les armées, et qui prend l’institution à contre-pied. La Défense s’obstine à ne pas comprendre qu’elle ne peut plus compter exclusivement sur la relation hiérarchique comme mode de résolution des conflits internes, et que l’ADEFDROMIL s’installe jour après jour comme une alternative crédible ; des dizaines de dossiers (harcèlement moral et sexuel, problèmes de pensions, atteintes aux droits des personnes, etc.) sont en cours, mais les états-majors persistent à considérer que ce phénomène n’existe pas. Les juges, eux, lui accordent une attention croissante, comme le démontre [cette affaire]. » Le 28 novembre 2002, le directeur du cabinet du ministre de la Défense adressa aux états-majors une note rappelant qu’aux termes de l’article 10 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires « l’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l’adhésion des militaires en activité à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire » (cette disposition figure désormais dans l’article L. 4121-4 du code de la Défense). Soulignant que l’objet de l’association requérante avait un caractère syndical, il demandait aux destinataires d’informer les militaires en activités de service que, sous peines de poursuites disciplinaires, ils ne pouvaient adhérer à cette association et devaient, s’ils en étaient membres, en démissionner. La requérante perdit ainsi plusieurs de ses responsables. La requérante indique qu’elle ne pouvait contester cette décision devant le juge administratif, puisqu’il s’agissait d’une mesure d’ordre intérieur ne lui faisant pas grief. Elle tenta la voie judiciaire en assignant le ministre de la Défense et son directeur de cabinet en référé devant le tribunal de grande instance de Paris. Par une ordonnance du 12 mars 2003, le président de cette juridiction déclina sa compétence et invita l’association requérante à mieux se pourvoir devant les juridictions de l’ordre administratif. Elle poursuivit néanmoins son activité de défense des intérêts professionnels de ses adhérents, ainsi que des militaires venus chercher des conseils juridiques et administratifs auprès d’elle. Plusieurs d’entre eux adhérèrent par la suite à l’association, sans être pour autant inquiétés par leur hiérarchie. Par ailleurs, l’association requérante décida de saisir le Conseil d’État de recours dirigés contre trois décrets du ministre de la Défense. Elle reprochait à ces textes de n’admettre au bénéfice de certains avantages statutaires les militaires ayant conclu un pacte civil de solidarité ou leur famille qu’à la condition que ce pacte date de trois ans au moins. Selon elle, il y avait là une violation manifeste du statut général des militaires et du principe d’égalité. Le 27 juin 2007, elle saisit le Conseil d’État d’une demande d’annulation du décret du 30 avril 2007 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les changements de résidence des militaires sur le territoire métropolitain de la France. Elle le saisit également, le 12 juillet 2007, de demandes d’annulation du décret du 15 mai 2007 relatif au fonds de prévoyance militaire et du décret du 15 mai 2007 relatif au fonds de prévoyance de l’aéronautique. La requérante déposa une note en délibéré en réponse aux conclusions du commissaire du gouvernement, dans laquelle elle soutenait que refuser de reconnaître son intérêt à agir serait constitutif d’une discrimination. Par trois arrêts du 11 décembre 2008, notifiés à la requérante le 12 janvier 2009, le Conseil d’État rejeta les requêtes, aux motifs que l’article 11 de la Convention n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice des droits qu’il énonce par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. Il ajouta qu’en raison des exigences qui découlent de la discipline militaire et des contraintes inhérentes à l’exercice de leur mission par les forces armées, les dispositions de l’article L. 4121-4 du code de la Défense, qui ne font pas obstacle à ce que les militaires adhèrent à d’autres groupements que ceux qui ont pour objet la défense de leurs intérêts professionnels, constituent des restrictions légitimes au sens de ces stipulations de l’article 11. Il jugea ensuite que l’association requérante, « qui regroupe des militaires et qui a notamment pour objet d’assurer la défense de leurs intérêts professionnels, contrevient aux prescriptions de l’article L. 4121-4 du code de la défense ; qu’il en résulte que cette association n’est pas recevable à demander l’annulation des dispositions [desdits décrets] ». La requérante avait entre-temps saisi le Conseil d’État de deux autres recours. Elle demandait l’annulation de l’arrêté du ministre de la Défense du 14 février 2008 portant nomination du président de la commission des recours militaires en ce qu’il désignait un contrôleur général des armées en lieu et place d’un officier général. Elle demandait également l’annulation du décret du 12 septembre 2008 relatif aux militaires servant à titre étranger, soutenant qu’il opérait aux dépends de ceux-ci une discrimination fondée sur la nationalité. Par deux arrêts du 4 mars 2009, le Conseil d’État rejeta ces demandes en reprenant les motifs des arrêts du 11 décembre 2008. II. LE DROIT INTERNE ET EUROPEEN PERTINENTS Voir Matelly c. France, no 10609/10, paragraphes 26 à 36, (...).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, M. Sebastian Tomaszewski (né en 1981), M. Artur Tomaszewski (né en 1983) et Mme Bożena Tomaszewska, mère des deux premiers requérants et de leur frère, Zbigniew Tomaszewski (né en 1989 et décédé en 2004), sont des ressortissants polonais résidant à Ostróda. A. Les circonstances de l’espèce Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. La version des faits présentée par les requérants Dans la nuit du 30 au 31 août 2003, les requérants, accompagnés de leur ami M.K., se trouvaient dans la discothèque d’un bar de quartier. Ils y restèrent tous de 22 heures à 4 heures du matin sans en sortir une seule fois. Vers 4 heures, les requérants appelèrent un taxi. Ils furent arrêtés par la police en patrouille vers 4 h 15, alors qu’ils rentraient chez eux. Les policiers les traînèrent hors du taxi, les fouillèrent et leur passèrent les menottes, sans leur dire pourquoi ils les arrêtaient ni pourquoi ils contrôlaient leur identité. Les requérants furent emmenés au poste d’Ostróda tandis que M.K. fut ramené chez lui. Au poste, les trois frères furent obligés de se dévêtir et de se soumettre à une fouille à corps. Ils furent roués de coups de pied, de coups de matraque et de coups de poing. Le plus jeune, alors âgé de quatorze ans, fut également battu ; frappé d’un coup de pied au visage par l’un des agents, il saigna du nez et tomba par terre. Ses frères, Sebastian et Artur, subirent le même sort à la suite des coups de pied portés au visage et aux chevilles par un autre agent. Le passage à tabac, auquel se livrèrent quatre agents, dura environ une demiheure. Vers 5 heures, les parents des requérants, informés de leur arrestation par M.K., arrivèrent au poste, mais ne furent pas autorisés à y entrer. Les requérants furent débarrassés de leurs menottes et soumis à un éthylotest. Ils furent relâchés peu après sans avoir reçu ni assistance médicale ni information sur les raisons de leur arrestation et sans avoir été interrogés. Aucun rapport concernant leur arrestation ne fut établi. Après que les trois frères eurent été remis en liberté, leurs parents les emmenèrent à l’hôpital pour leur faire passer des examens. Le dossier d’hospitalisation de Sebastian, admis vers 6 h 25, fait apparaître que l’intéressé souffrait de contusions à l’arrière de la tête et au pied droit – qui fut plâtré – et qu’il resta à l’hôpital jusqu’au lendemain. La version des faits présentée par le Gouvernement Dans la nuit du 30 au 31 août 2003, la police d’Ostróda fut alertée d’un trouble à l’ordre public aux alentours du bar « Bistro » : vers minuit, un groupe de jeunes rentrant chez eux après un concert aurait été agressé par d’autres jeunes, clients du bar en question. Une fois sur place, après une phase d’observation de la situation, les policiers identifièrent les individus les plus agressifs, dont Sebastian Tomaszewski et Artur Tomaszewski, qui accostaient les passants en leur criant des mots offensants et vulgaires, et qui lançaient des bouteilles dans leur direction et dans celle du véhicule de police. Les policiers procédèrent aux arrestations des plus virulents parmi les auteurs du trouble et emmenèrent ceux-ci en plusieurs fois au poste en vue d’un contrôle d’identité et d’un éthylotest. Pour éviter l’arrestation, certains jeunes disparurent à l’intérieur du bar. Peu après 4 heures du matin, les requérants furent interpellés par des policiers en patrouille, alors qu’ils se trouvaient à bord d’un taxi. Ils furent conduits au poste et soumis à un contrôle d’identité et à un éthylotest. Une note manuscrite du 31 août 2003 rédigée par un policier mentionne les résultats des éthylotests (un taux d’alcoolémie de 0,13 mg/l pour Sebastian et une absence complète de traces d’alcool pour Artur et Zbigniew) et l’heure à laquelle les intéressés ont été soumis au test (5 h 27 pour Sebastian, 5 h 16 pour Zbigniew et 5 h 41 pour Artur). Tous les individus arrêtés furent ensuite relâchés et informés qu’ils feraient l’objet de poursuites. Les procédures tendant à l’établissement de l’éventuelle implication des policiers dans les mauvais traitements dénoncés par les requérants a) L’enquête du parquet Les 12 et 18 septembre 2003, les requérants informèrent le procureur de district d’Ostróda que les policiers avaient commis l’infraction d’abus d’autorité. Ils relatèrent le déroulement des événements et firent état de fouilles à corps. Ils se plaignirent du caractère irrégulier de leur arrestation et du contrôle d’identité auquel ils avaient été soumis. Ils dénoncèrent l’absence de procès-verbal de leur arrestation et l’impossibilité qui leur aurait été faite d’exercer un recours pour contrôler la régularité de cette arrestation. En octobre 2003, le procureur entendit les requérants, dont le plus jeune en présence d’un psychologue. Les requérants déclarèrent qu’ils avaient été victimes des coups infligés par les agents. Artur et Zbigniew expliquèrent au procureur que, après leur sortie du commissariat, seul leur frère Sebastian avait fait l’objet d’un examen médical. Les 13 et 14 octobre 2003, le procureur entendit les parents des requérants qui déclarèrent qu’après leur sortie du commissariat, leurs fils se plaignaient des douleurs résultant des coups portés par les agents. Tous présentaient des hématomes aux fesses et aux dos et Sebastian avait le pied enflé. Les parents indiquèrent à la police que la chemise de Zbigniew présentait des tâches de sang et celle de Sebastian des empreintes de pieds. Les 21, 22 et 24 octobre, les 18, 20 et 30 décembre 2003 et les 7 et 12 janvier 2004, le procureur entendit les policiers présents sur les lieux, dont les quatre agents mis en cause par les requérants. Ceux-ci confirmèrent avoir retenu les requérants au poste à la suite de leur participation à l’altercation survenue dans la nuit du 30 au 31 août 2003, mais ils rejetèrent fermement les allégations de mauvais traitements formulées contre eux. Ils affirmèrent qu’aucune mesure de contrainte physique (przymus bezpośredni) n’avait été appliquée à l’égard des requérants. L’un des agents indiqua que, lors de son interpellation, Sebastian Tomaszewski se plaignait d’une douleur à la jambe. En novembre 2003, le procureur entendit les témoins, dont le chauffeur de taxi et M.K. ainsi que six autres jeunes arrêtés et retenus au poste en même temps que les requérants. Seul un de ces jeunes déclara avoir vu les policiers infliger des coups de matraque aux requérants ; les autres déclarèrent n’avoir vu aucun policier infliger des mauvais traitements aux intéressés. Ils confirmèrent que les requérants s’étaient plaints de douleurs à différents endroits du corps. En décembre 2003, le procureur recueillit l’expertise d’un chirurgien sur l’origine des contusions des requérants. Les conclusions concernant Sébastian Tomaszewski furent fondées sur les déclarations de ce requérant et sur les éléments du dossier médical issu de son hospitalisation du 31 août au 1er septembre 2003. Aux termes de l’expertise, les contusions présentées par Sebastian Tomaszewski, qui avaient entraîné une incapacité de travail de plus de sept jours, avaient pu se produire dans les circonstances décrites par l’intéressé. Toutefois, leur origine ne pouvait être établie avec certitude à partir de son rapport médical, vague et incomplet, qui ne mentionnait pas les contusions que le requérant affirmait avoir subies au visage, au dos et aux fesses, et que celles à la tête avaient pu résulter d’une chute, et celles au pied d’un choc contre un objet solide ou d’un coup de pied. L’expertise excluait l’hypothèse selon laquelle les contusions du requérant avaient pu avoir pour origine des coups de matraque. En l’absence de rapport médical concernant Artur Tomaszewski et Zbigniew Tomaszewski, les conclusions de l’expert les concernant furent établies sur le fondement des seules déclarations des requérants. Tout en soulignant que ces déclarations étaient vagues et dépourvues d’objectivité, l’expert estima que, à supposer que la version des faits présentée par ces deux frères fût avérée, leurs contusions sous forme des traces d’abrasion aux hanches et aux cuisses avaient pu se produire dans les circonstances qu’ils avaient décrites. Avant de clore l’enquête, le procureur procéda à des parades d’identification et des confrontations entre les requérants et les agents de police mis en cause. Le 10 mars 2004, le procureur prononça un non-lieu au motif que les éléments recueillis n’avaient pas permis de conclure à une infraction imputable aux agents. Il indiqua que, même si les requérants avaient subi des lésions, il était impossible d’établir sans équivoque si elles s’étaient produites de la manière décrite par les intéressés. Il nota que l’arrestation et la fouille des requérants avaient été pratiquées conformément à l’ordonnance du Conseil des Ministres du 17 septembre 1990 (paragraphes 55-57 ci-dessous). Il releva que, au moment de leur arrestation, les requérants pouvaient être soupçonnés d’avoir commis une infraction. Il ajouta que, aux termes de la résolution de la Cour suprême du 21 juin 1995 (paragraphes 63-67 ci-dessous), la conduite au poste de police d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction aux fins de l’établissement de son identité ou de la mesure de son taux d’alcoolémie constituait une arrestation appelant à un contrôle juridictionnel prévu par le code de procédure pénale uniquement lorsqu’elle était effectuée pour les motifs prévus par l’article 15.1, alinéa 3, de la loi sur la police. Tel n’était pas le cas en l’espèce. Le 22 mars 2004, les requérants firent opposition à cette décision auprès du procureur régional, contestant l’absence d’équité et de diligence des enquêteurs. Ils se plaignirent de n’avoir pas été informés des accusations formulées contre eux, de n’avoir pas obtenu de procès-verbal de leur arrestation et de n’avoir pas pu contester leur détention en justice ; ils soutinrent en outre avoir été empêchés de contacter un avocat et leurs parents lors de leur arrestation. Le 28 avril 2004, le procureur régional accueillit le recours des requérants, annula l’ordonnance de non-lieu et renvoya le dossier pour complément d’instruction, au motif que toutes les circonstances pertinentes de l’affaire n’avaient pas été établies. Le procureur régional fournit au parquet de district des instructions quant aux actes d’instruction à effectuer lors du complément d’enquête. Dans le cadre de cette enquête complémentaire, le parquet de district procéda à de nouvelles auditions de témoins, dont deux jeunes retenus au poste en même temps que les requérants et les agents ayant effectué des éthylotests. Aucun des témoins interrogés par le parquet n’avait vu les policiers infliger des mauvais traitements aux requérants. Le parquet entendit également les intéressés sur la question de savoir si les mauvais traitements allégués leur avaient été infligés après ou avant l’arrivée des autres jeunes au commissariat. Artur et Zbigniew Tomaszewscy avaient confirmé la première hypothèse, contrairement à leur frère Sebastian. Le 30 juin 2004, le procureur de district décida de clore la procédure pour un motif essentiellement identique à celui retenu dans la décision du 10 mars. À la suite d’un recours formés par les requérants contre cette décision le 8 septembre 2004, le procureur régional les informa qu’il avait transmis le dossier au tribunal de district d’Ostróda. Par un non-lieu du 10 septembre 2004, le procureur décida de clore la procédure pour autant qu’elle concernait Zbigniew Tomaszewski, décédé en août 2004 dans un accident de voiture. Le 15 octobre 2004, le tribunal de district d’Ostróda confirma à l’égard des frères aînés la décision du procureur du 30 juin 2004. Il releva que, après leur sortie du poste, Artur et Zbigniew n’avaient pas consulté de médecin. Il indiqua que, en l’absence de rapports médicaux susceptibles de faire apparaître la nature et l’origine de leurs contusions, la crédibilité de leurs allégations au sujet des mauvais traitements qu’ils soutenaient avoir subis au poste de police n’avait pu être contrôlée par l’expert désigné au cours de la procédure. Le tribunal nota qu’il en allait de même pour Sébastian, compte tenu de l’imprécision de son dossier médical dans lequel certaines contusions, que le requérant affirmait avoir subi, n’avaient pas été mentionnées. Le tribunal observa également que les témoins présents au poste en même temps que les requérants n’avaient pas confirmé leurs allégations de mauvais traitements par les policiers. Il estima que le seul témoignage mettant en cause les agents concernés n’était pas crédible, compte tenu du fait que son auteur avait déclaré ne pas être en mesure d’indiquer à quels endroits du corps des requérants les coups auraient été portés car il ne l’avait pas vu. Quant à Zbigniew, le tribunal ne retint pas son recours, au motif que, dans la mesure où il était mineur, ce recours aurait dû être introduit par ses parents et non par lui-même. Le tribunal considéra que les bases juridiques des actions effectuées par la police à l’encontre des requérants avaient été clarifiées au cours de la procédure. Il s’agissait plus particulièrement d’une atteinte à l’ordre public ayant rendu nécessaire leur conduite au poste par les policiers en vue de l’établissement de leur identité et de procéder à un éthylotest. Le tribunal releva que, dans ces circonstances, la conduite au poste était autorisée et insusceptible de contrôle juridictionnel. b) L’enquête de police Entre-temps, le 4 décembre 2003, les requérants avaient porté plainte auprès de la police contre les agents impliqués dans les faits en cause. Le 27 février 2004, le commandant adjoint de la police de district d’Ostróda les informa que l’enquête préliminaire était terminée et qu’il avait été établi que les policiers avaient reconnu en les frères Tomaszewscy des individus ayant participé au trouble à l’ordre public. Selon les résultats de l’enquête, les policiers auraient emmené les frères au poste afin d’établir leur identité et de les soumettre à l’éthylotest, démarches nécessaires à l’ouverture de poursuites contre eux. Compte tenu du nombre important de contrevenants, les mesures prises par les agents se seraient limitées au strict minimum et n’auraient pas constitué une arrestation au sens de l’article 15. 2 de la loi sur la police et des dispositions pertinentes du code de procédure pénale, ce qui ressortirait de la résolution de la Cour suprême du 21 juin 1995 (paragraphes 64-67 ci-dessous). Les policiers n’auraient donc pas été tenus d’établir de procès-verbal d’arrestation. Enfin, les enquêteurs auraient conclu qu’il n’avait pas été établi que les policiers eussent d’une quelconque façon abusé de leur autorité ou fait preuve de négligence dans l’exercice de leurs fonctions ni que la loi de 1982 sur les mineurs eût été violée. Le 10 mars et le 26 avril 2004, les requérants déposèrent une nouvelle plainte auprès du commandant en chef de la police de Varsovie. Le 29 avril 2004, le commandant régional de la police d’Olsztyn, à qui les plaintes avaient été transmises, estima qu’il n’y avait pas de raison de retenir une conclusion différente de celle à laquelle le commandant adjoint de la police de district d’Ostróda était parvenu. Les procédures contre les requérants a) La procédure pénale contre Sebastian Tomaszewski et Artur Tomaszewski pour commission d’une contravention Entre-temps, la police d’Ostróda avait engagé des poursuites contre les requérants pour contravention (trouble à l’ordre public à Ostróda dans la nuit du 30 au 31 août 2003). Le 31 décembre 2003, Artur Tomaszewski se vit notifier le chef d’inculpation qui pesait contre lui. Le 3 février 2004, la police d’Ostróda pria le tribunal de district de sanctionner l’intéressé. Par des jugements rendus respectivement le 23 mars et le 26 mars 2004, à l’issue d’une procédure simplifiée menée en l’absence des inculpés (postępowanie nakazowe), Artur Tomaszewski et Sébastian Tomaszewski furent déclarés coupables des faits et condamnés chacun à vingt heures de travaux d’intérêt général. Le 13 avril 2004, les deux requérants contestèrent les jugements et demandèrent que leur affaire fût examinée dans le cadre d’une procédure contradictoire. Le 6 mai 2005, le tribunal de district d’Ostróda déclara les deux requérants coupables des faits qui leur étaient reprochés et condamna Artur Tomaszewski à une amende de 600 zlotys polonais (PLN) et Sébastian Tomaszewski à vingt heures de travaux d’intérêt général. Il s’appuya pour ce faire sur les déclarations des policiers présents sur les lieux au moment des faits, les jugeant empreintes de logique et convaincantes. Il retint également d’autres témoignages corroborant le trouble à l’ordre public à proximité du bar « Bistro », dont celui du chauffeur du taxi, de la gérante du bar et de clients de cet établissement. Il écarta, pour absence de crédibilité, les déclarations des requérants ainsi que celles de leur jeune frère et de leurs amis, dans lesquelles ils affirmaient n’avoir ni perçu ni participé à aucun trouble à l’ordre public. Les requérants contestèrent ce jugement. Ils soutinrent notamment que leur participation au trouble à l’ordre public n’avait été confirmée par aucun témoin oculaire et que les accusations reposaient uniquement sur les témoignages des policiers. Ils demandèrent l’admission à titre de preuve d’un enregistrement de vidéosurveillance. Le 23 août 2005, le tribunal régional d’Elbląg confirma le jugement du 6 mai 2005. Les requérants demandèrent que la motivation écrite de ce jugement leur soit communiquée. Il ressort du dossier qu’ils ont alors été informés que celui-ci ne nécessitait pas d’être motivé dès lors qu’il confirmait, en toutes ses dispositions, le jugement de première instance. b) La procédure concernant Zbigniew Tomaszewski Auparavant, le 18 mars 2004, une procédure contre Zbigniew Tomaszewski avait été engagée devant le tribunal des affaires familiales d’Ostróda pour tapage sur la voie publique. Le 10 septembre 2004, cette procédure fut close à la suite du décès de l’intéressé, intervenu le 17 août 2004. La mère de Zbigniew, Bożena Tomaszewska, contesta la décision de clôture, au motif que son fils avait été privé de la possibilité d’être déclaré innocent de l’accusation portée contre lui. Elle déclara vouloir poursuivre la procédure en son nom. Le 8 octobre 2004, le tribunal régional d’Elbląg rejeta le recours de Mme Tomaszewska, observant que la procédure concernée ne visait pas à trancher la question de la culpabilité du mineur mais à déterminer si des mesures éducatives, médicales ou correctives devaient être prises à son égard. Il conclut que cette procédure était devenue sans objet après le décès du mineur concerné et qu’elle ne pouvait être poursuivie. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La Constitution polonaise Article 31 « 1. La liberté de l’homme est juridiquement protégée. Chacun a le devoir de respecter les libertés et les droits d’autrui. Nul ne peut être contraint à accomplir des actes qui ne lui sont pas juridiquement imposés. L’exercice des libertés et des droits constitutionnels ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi lorsqu’elles sont nécessaires, dans un État démocratique, à la sécurité ou à l’ordre public, à la protection de l’environnement, de la santé et de la moralité publiques ou des libertés et des droits d’autrui. Ces restrictions ne peuvent porter atteinte à l’essence des libertés et des droits. » Article 41 « 1. L’inviolabilité et la liberté personnelles sont garanties à chacun. La privation et la limitation de la liberté ne peuvent intervenir que suivant les règles et conformément à la procédure prévue par la loi. Quiconque se trouve privé de liberté hors décision judiciaire a le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de cette privation. La famille ou la personne indiquée par la personne privée de liberté sont informées sans délai de la privation. Toute personne retenue en détention doit être informée sans délai et en termes, explicites pour elle, des raisons de sa détention. Dans les quarante-huit heures suivant sa détention, elle doit être mise à la disposition du tribunal. La personne détenue doit être mise en liberté si la décision du tribunal sur la détention provisoire et la formulation de l’allégation portée contre elle ne lui sont pas signifiées dans les vingt-quatre heures après sa mise à la disposition du tribunal. Toute personne privée de liberté doit être traitée avec humanité. Toute personne victime de privation de liberté illégale a droit à réparation. » Article 77 « 1. Chacun a droit à réparation du dommage qu’il a subi à la suite de l’action illégale de l’autorité de puissance publique. La loi ne peut fermer à personne la voie judiciaire pour faire valoir ses libertés et ses droits violés. » B. La loi sur la police de 1990 (Ustawa o Policji) L’article 14.1 de la loi sur la police de 1990 dispose que, dans le cadre de ses attributions en matière de poursuites et de prévention des infractions, la police effectue les actes de recherche (operacyjnorozpoznawcze), d’enquête et d’instruction ainsi que ceux de nature administrative et organisationnelle (administracyjno-porządkowe). L’article 15.1 de la loi prévoit que, dans le cadre des actes indiqués à l’article 14, les policiers ont, entre autres, le droit de procéder aux interpellations en vue de l’établissement de l’identité (alinéa 1) et aux arrestations selon les modalités prévues dans le code de procédure pénale et dans d’autres lois (alinéa 2). Selon l’article 15.1, alinéas 2 a) et 3, la police est en droit d’arrêter un prisonnier qui s’est évadé de son lieu de détention ou une personne qui, par son comportement, met en danger la vie et la santé humaine ou la sécurité des biens. En vertu de l’article 15.1, alinéa 5, la police peut effectuer une fouille à corps d’une personne légitimement soupçonnée d’avoir commis une infraction. Selon l’article 15.2 de la loi, une personne arrêtée sur le fondement de l’article 15.1, alinéa 3, dispose des garanties équivalentes à celles dont bénéficie une personne arrêtée au sens du code de procédure pénale. L’article 15.8 de la loi prévoit que le Conseil des ministres sera appelé à déterminer, par voie d’ordonnance, la procédure à suivre lors de l’exercice par la police de ses attributions mentionnées notamment aux alinéas 1, 2a, 3 et 5 de cet article. C. L’ordonnance du Conseil des ministres du 17 septembre 1990, (prise en application de l’article 15.8 de la loi sur la police), relative à la procédure à observer lors d’un contrôle d’identité, d’une fouille à corps et d’une inspection des avoirs personnels et des marchandises (Rozporzadzenie Rady Ministrów z 17 września 1990 r. w sprawie trybu legitymowania, zatrzymania osób, dokonywania kontroli osobistej oraz przeglądania bagaży i sprawdzania ładunku przez policjantów) En vertu du paragraphe 1.4 de la section 1 de l’ordonnance, dans le cadre de ses attributions, la police, en cas de soupçon légitime de commission d’une infraction, est en droit d’effectuer une fouille corporelle. Selon le paragraphe 3 de la section 2 de cette ordonnance, la police procède au contrôle d’identité (...) en cas de nécessité d’identifier l’auteur présumé d’une infraction ou de rechercher des témoins au trouble à la sécurité et à l’ordre public. Les paragraphes 8 à 14 de la section 3 de l’ordonnance déterminent la procédure à suivre lors de l’arrestation effectuée dans les cas prévus au paragraphe 1 alinéas 2 et 3 de la section 1 de l’ordonnance (qui correspondent à ceux prévus à l’article 15.1, alinéas 2 a) et 3 de la loi sur la police (voir, le paragraphe 51 ci-dessus)). D. Le code de procédure applicable aux contraventions (Kodeks postępowania w sprawach o wykroczenia) de 1971 Selon l’article 19 § 1 du code de procédure applicable aux contraventions, concernant les « contrôles » (czynności sprawdzające) dans les affaires relatives à des contraventions, la « milice » pouvait, dans le cadre des démarches tendant au rassemblement des éléments indispensables à l’ouverture des poursuites (wniosek karny), exiger de se voir présenter les explications, les déclarations ou les avis, de même que tout objet ou pièce susceptible de constituer un élément de preuve. Dans la mesure du possible, les contrôles étaient effectués sur le lieu de l’infraction aussitôt après la commission de celle-ci. E. Le (nouveau) code de procédure applicable aux contraventions (Kodeks postępowania w sprawach o wykroczenia) de 2001 Selon l’article 45 § 1 du code, l’auteur d’une contravention peut être arrêté en flagrant délit ou directement après sa commission dans deux cas de figure, à savoir lorsque son identité ne peut être établie et/ou bien lorsque l’affaire appelle à l’application de la procédure accélérée (postępowanie przyspieszone). L’article 54 § 1 du code dispose que la police effectue les contrôles (czynności wyjaśniające) en cas de nécessité de déterminer l’éventuelle présence de motifs susceptibles de justifier des poursuites ou de rassembler les éléments requis à cet effet. Les actions concernées sont, dans la mesure du possible, conduites sur le lieu de l’infraction et doivent être terminées dans un délai d’un mois maximum. L’article 54 § 3 du code prévoit que, lorsque les circonstances dans lesquelles la contravention a été commise ne sont pas controversées, le déroulement des contrôles peut être répertorié dans une note officielle écrite, comportant les éléments indispensables au dépôt d’une demande d’ouverture des poursuites. F. Le code civil L’article 417 du code civil régit la responsabilité délictuelle de l’État. En ses termes, le Trésor public ou une autre entité de l’administration territoriale ou encore une personne morale exerçant la puissance publique en vertu de la loi est tenu pour responsable des dommages causés par une action ou une abstention irrégulière, commise à l’occasion de l’exercice de la puissance publique. G. La résolution (uchwała) de la Cour suprême du 21 juin 1995 (I KPZ 20/95) Par une résolution du 21 juin 1995, la Cour suprême, statuant en sa formation composée de trois magistrats, s’est prononcée sur la question préjudicielle suivante : « La conduite au poste d’une personne soupçonnée d’avoir commis une contravention en vue de l’établissement de son identité et du prélèvement sanguin visant à déterminer l’éventuelle présence d’alcool constitue-t-elle une arrestation susceptible de faire l’objet du contrôle juridictionnel prévu par l’article 23 du code de procédure pénale ? » La Cour suprême a jugé que la conduite au poste, effectuée dans les conditions décrites dans la question préjudicielle, constituait une arrestation susceptible de contrôle juridictionnel seulement lorsqu’elle intervenait dans les conditions prévues par l’article 15.1, alinéa 3, de la loi sur la police. D’après la Cour suprême, une telle conduite au poste d’une personne soupçonnée d’avoir commis une contravention en vue des contrôles (czynności wyjaśniające/sprawdząjace) nécessaires ou en vue du rassemblement des preuves était autorisée, y compris lorsqu’elle intervenait dans des circonstances autres que celles prévues par l’article 15.1, alinéa 3, de la loi sur la police. Malgré l’absence d’une réglementation explicite relativement à une telle conduite au poste par le code de procédure pénale ou par le code de procédure applicable aux contraventions, celle-ci était autorisée pour des raisons pratiques, en tant que moyen d’action de la police indispensable à l’exercice de sa mission. Il pouvait arriver que les actes dont il est question à l’article 19 § 1 du code de procédure applicable aux contraventions ou à l’article 14 de la loi sur la police dussent être effectués dans des locaux adaptés et non pas sur la voie publique. Une telle situation pouvait se produire, par exemple, lorsqu’il était nécessaire d’établir l’identité d’une personne arrêtée en flagrant délit qui ne disposait pas des documents requis, et d’effectuer une fouille à corps ou un prélèvement sanguin aux fins de la constitution des preuves. Selon la Cour suprême, la conduite au poste, lorsqu’elle n’était pas effectuée en application de l’article 15.1, alinéa 3, de la loi sur la police, ne pouvait faire l’objet du contrôle juridictionnel prévu par l’article 23 du code de procédure pénale. En cas d’éventuels abus d’autorité à l’égard d’une personne temporairement privée de sa liberté du fait d’une telle conduite au poste, la victime pouvait se défendre par moyen d’une plainte visant à l’établissement de la responsabilité pénale, disciplinaire ou civile d’un agent de police s’étant rendu coupable d’une irrégularité. H. Les dispositions du code de procédure pénale relatives à l’indemnisation en cas de détention injustifiée Le chapitre 58 du code de procédure pénale, intitulé « Indemnisation en cas de condamnation, de détention provisoire ou d’arrestation injustifiées », dispose que la responsabilité de l’État est engagée en cas de condamnation ou de mesure privative de liberté injustifiées prononcées dans le cadre d’une procédure pénale. En ses parties pertinentes, l’article 552 énonce : « 1. Lorsque, à l’issue de la réouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou d’un pourvoi en cassation, l’accusé est soit acquitté soit à nouveau condamné en vertu d’une disposition de fond plus clémente, il peut prétendre à une indemnisation du Trésor public pour le dommage matériel et moral que lui a causé l’exécution de tout ou partie de la peine qui lui avait été imposée à l’origine. (...) Peuvent également prétendre à une indemnisation pour dommage matériel et pour dommage moral les victimes d’une arrestation ou d’une détention provisoire manifestement injustifiées. » I. Les résolutions de la Cour Suprême L’une des attributions de la Cour Suprême polonaise consiste à veiller à l’uniformisation de la jurisprudence. Elle s’exerce principalement au moyen des résolutions (uchwały) adoptées en cas de nécessité de clarifier les dispositions pertinentes de la loi ou de résoudre une question juridique controversée s’étant posée à l’occasion d’un litige. Une résolution par laquelle la Cour Suprême statue en sa formation composée de trois magistrats sur une question préjudicielle posée par une juridiction inférieure à l’occasion d’une affaire pendante devant elle ne lie formellement que cette juridiction et seulement dans le cadre de l’affaire concernée devant elle.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, MM. Ahmet Sami Belek et İsmail Muzaffer Özkurt, nés l’un en 1953 et l’autre en 1978, sont respectivement propriétaire et rédacteur en chef du quotidien Evrensel (« L’Universel »), dont le siège se trouve à Istanbul. Le 26 juin 2004, Evrensel publia un article intitulé « Karayılan : Si les opérations s’arrêtent, nous sommes prêts pour la paix » (Karayılan : Operasyon durursa barışa hazırız). L’article portait sur une déclaration de M. Karayılan, président du comité de défense du peuple du Kongra-Gel, une branche de l’organisation illégale armée dite Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Celui-ci laissait entendre que l’État turc ne faisait, pour résoudre la question kurde, que des démarches superficielles mais que, dans le cas où il serait mis fin aux opérations, ils seraient prêts à faire la paix. Par un acte d’accusation du 5 juillet 2004, le procureur de la République inculpa MM. Belek et Özkurt de publication de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infraction prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Devant le tribunal, les requérants invoquèrent pour leur défense l’article 10 de la Convention. Le 2 décembre 2008, la cour d’assises condamna les requérants au paiement d’une amende de 1 326 livres turques (TRY) pour M. Belek et 663 TRY pour M. Özkurt (soit environ 656 euros (EUR) et 313 EUR respectivement, au taux de change en vigueur à l’époque pertinente), en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Le jugement du 2 décembre 2008 était définitif en vertu de l’article 305 du code de procédure pénale, selon lequel aucun pourvoi en cassation n’était possible lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents, voir Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, MM. Ahmet Sami Belek et İsmail Muzaffer Özkurt, nés l’un en 1953 pour et l’autre en 1978 pour le second, sont respectivement propriétaire et rédacteur en chef du quotidien Evrensel (« L’Universel »), dont le siège se trouve à Istanbul. Le 15 juin 2004, Evrensel publia dans ses colonnes un article intitulé « Pour une trêve, le Kongra-Gel demande du concret : la trêve dépend des actes » (Kongra-Gel ateşkes için somut adım istedi – Ateşkes adımlara bağlı). Dans cet article, il était question d’une déclaration de M. Karayılan, président du comité de défense du peuple du Kongra-Gel, une branche de l’organisation illégale armée dite Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Dans cette déclaration, M. Karayılan expliquait que la décision irrévocable de rompre la trêve ne devait pas être comprise comme une déclaration de guerre et insistait sur la nécessité que le gouvernement à majorité « AKP » (Parti de la justice et du développement) fasse des démarches concrètes. Il dressait une liste des actes à accomplir par le Gouvernement. Par un acte d’accusation du 28 juin 2004, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État inculpa les requérants de publication de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infraction prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Devant la cour d’assises, les requérants invoquèrent pour leur défense l’article 10 de la Convention. Le 10 avril 2008, la cour d’assises condamna les requérants au paiement d’une amende de 1 592 livres turques (TRY) pour M. Belek et 796 TRY pour M. Özkurt (soit environ 779 euros (EUR) et 389 EUR au taux de change en vigueur à l’époque pertinente), en application de l’article 6 § 2 de la loi no 3713. Le jugement du 10 avril 2008 était définitif en vertu de l’article 305 du code de procédure pénale, qui ne prévoyait pas de pourvoi en cassation lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents, voir Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, MM. Ahmet Sami Belek et İsmail Muzaffer Özkurt, nés l’un en 1953 et l’autre en 1978, sont respectivement propriétaire et rédacteur en chef du quotidien Evrensel (« L’Universel ») dont le siège se trouve à Istanbul. Le 26 février 2005, le quotidien Evrensel publia à cheval sur la une et la page six un article intitulé « Öcalan : “Je rappellerai ceux du maquis” » (Öcalan : Dağdakini çağırırım). Il s’agissait d’une déclaration de M. Öcalan, président de l’organisation illégale armée dite Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), transmise par l’intermédiaire d’un de ses avocats. Dans cette déclaration, il indiquait qu’en cas d’invitation à participer à la vie démocratique, il était prêt à coopérer avec l’État turc sans contrepartie matérielle ; et que, dans un tel cas, il rappellerait les personnes ayant pris le maquis ou l’exil. Par un acte d’accusation du 11 mars 2005, le procureur de la République inculpa les requérants des infractions prévues à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Devant le tribunal, les requérants invoquèrent pour leur défense l’article 10 de la Convention. Le 24 juin 2008, la cour d’assises condamna les requérants au paiement d’une amende de 1 789 livres turques (TRY) pour M. Belek et 899 TRY pour M. Özkurt (soit environ 934 et 469 euros (EUR) respectivement au taux de change en vigueur à l’époque pertinente), en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Le jugement du 24 juin 2008 était définitif en vertu de l’article 305 du code de procédure pénale, selon lequel aucun pourvoi en cassation n’était possible lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents, voir Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, MM. Ahmet Sami Belek et İsmail Muzaffer Özkurt, nés l’un en 1953 et l’autre en 1978, sont respectivement propriétaire et rédacteur en chef du quotidien Evrensel (« L’Universel »), dont le siège se trouve à Istanbul. Le 31 août 2004, Evrensel publia dans ses colonnes un article intitulé « La proposition de trêve du Kongra-Gel » (Kongra-Gel’den ateşkes önerisi). Il y était question d’un message émanant du Kongra-Gel – une branche de l’organisation illégale armée dite Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) –, qui comportait un appel en direction de l’État turc pour arrêter les opérations militaires, assurer le dialogue ou encore améliorer les conditions de vie de M. Abdullah Öcalan dans sa prison en vue de parvenir à une paix durable. Par un acte d’accusation du 15 septembre 2004, le procureur de la République inculpa MM. Belek et Özkurt de publication de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infraction prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Devant la cour d’assises, les requérants invoquèrent pour leur défense l’article 10 de la Convention. Le 2 juin 2008, la cour d’assises condamna les requérants au paiement d’une amende lourde de 1 423 livres turques pour M. Belek et 711 TRY pour M. Özkurt (soit environ 745 et 372 euros (EUR) respectivement selon le taux de change en vigueur à l’époque pertinente), en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi en cassation (temyiz yolu açık olmak üzere). Sur la foi de cette indication, les requérants se pourvurent en cassation. Ils soutenaient en particulier que la procédure pénale dirigée contre eux portait atteinte à leur droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention. Le 14 juillet 2008, la cour d’assises refusa de transmettre le pourvoi des requérants, au motif que l’article 305 du code de procédure pénale n’autorisait pas de pourvoi en cassation lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents, voir Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, MM. Ahmet Sami Belek et İsmail Muzaffer Özkurt, nés l’un en 1953 et l’autre en 1978, sont respectivement propriétaire et rédacteur en chef du quotidien Evrensel (« L’Universel ») dont le siège se trouve à Istanbul. Le 25 février 2005, Evrensel publia un article intitulé « Si on nous accorde les droits démocratiques, nous ferons un pas » (Demokratik Haklar sağlanırsa adım atarız). Il y était question d’une déclaration de M. Öcalan, président de l’organisation illégale armée dite Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), transmise par l’intermédiaire de l’un de ses avocats. Dans cette déclaration, M. Öcalan indiquait que l’attitude du gouvernement consistant à rester sourd aux appels de la paix et de la démocratie était dangereuse et il précisait qu’à la condition que les droits culturels et démocratiques du peuple kurde soient reconnus, des démarches pourraient être accomplies. Par un acte d’accusation du 10 mars 2005, le procureur de la République inculpa les requérants de publication par voie de presse de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infraction prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Devant la cour d’assises, les requérants invoquèrent pour leur défense l’article 10 de la Convention. Le 25 décembre 2007, la cour d’assises condamna les requérants au paiement d’une amende d’un montant de 1 482 livres turques (TRY) pour M. Belek et de 740 TRY pour M. Özkurt (soit environ 870 et 434 EUR respectivement selon le taux de change en vigueur à l’époque pertinente), en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi en cassation (temyiz yolu açık olmak üzere). Sur la foi de cette indication, les requérants se pourvurent en cassation. Ils soutenaient en particulier que la procédure pénale dirigée contre eux portait atteinte à leur droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention. Le 24 janvier 2008, toutefois, la cour d’assises refusa d’admettre le pourvoi des requérants, au motif que le montant de l’amende infligée était insuffisant pour que la voie de la cassation soit ouverte. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents, voir Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, MM. Ahmet Sami Belek et İsmail Muzaffer Özkurt, nés l’un en 1953 et l’autre en 1978, sont respectivement propriétaire et rédacteur en chef du quotidien Evrensel (« L’Universel ») dont le siège se trouve à Istanbul. Le 11 mars 2004, Evrensel publia un article intitulé « Osman Öcalan accusé d’être proaméricain » (Osman Öcalan’a Amerikancılık suçlaması). Il s’agissait d’une déclaration d’un des dirigeants du Kongra-Gel – une branche de l’organisation illégale armée dite Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – qui accusait M. O. Öcalan, dissident du PKK, de traiter avec les autorités américaines. Ce dirigeant s’exprimait sur de supposées négociations en cours entre certains membres du Kongra-Gel et les autorités américaines en vue d’une dissolution de ladite organisation. Selon lui, il s’agissait d’une tendance autodestructrice au sein du Kongra-Gel et il y avait là matière à renvoi des membres impliqués devant le conseil de discipline de l’organisation. Par un acte d’accusation du 18 mars 2004, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État inculpa MM. Belek et Özkurt de publication de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infraction prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Renvoyés devant la cour d’assises – après l’abolition des cours de sûreté –, les requérants invoquèrent pour leur défense la liberté garantie par l’article 10 de la Convention. Le 25 décembre 2007, la cour d’assises condamna chacun des requérants au paiement d’une amende lourde de 440 livres turques (TRY) (soit environ 258 euros (EUR) au taux de change en vigueur à l’époque pertinente), en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Le jugement du 25 décembre 2007 était définitif en vertu de l’article 305 du code de procédure pénale, selon lequel les condamnations à des amendes n’excédant pas 2 000 TRY n’étaient pas susceptibles de pourvoi en cassation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents, voir Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1975 et réside à Gaziantep. À la suite du dépôt d’une plainte, la brigade de répression du crime organisé ouvrit une enquête concernant des faits d’extorsion de fonds en bande organisée et d’association de malfaiteurs. Le 3 octobre 2006, sur demande du parquet de Bakırköy, un juge du tribunal d’instance pénal du même lieu autorisa la mise sur écoute pendant trois mois de quatre téléphones portables dans le cadre de l’enquête ouverte pour association de malfaiteurs. Le 9 octobre 2006, un juge du même tribunal autorisa la mise sur écoute de six téléphones portables dans le cadre de la même enquête. Les écoutes permirent d’enregistrer des conversations tenues notamment entre les suspects et le requérant, qui était fonctionnaire de police. Le 16 octobre 2006, un juge du même tribunal autorisa pour une durée limitée à quatre semaines la mise en place d’une surveillance technique et la réalisation d’enregistrements audio et vidéo dans les lieux de travail et les lieux publics fréquentés par plusieurs suspects. Le même jour, plusieurs individus, dont le requérant, furent arrêtés et placés en garde à vue. D’après les rapports de police, les intéressés ont été interpellés en flagrant délit d’enlèvement et d’extorsion de fonds. Le 19 octobre 2006, à l’issue de sa garde à vue, le requérant fut placé en détention provisoire par un magistrat. Le 25 janvier 2007, la section du parquet d’Istanbul spécialisée dans la poursuite des infractions relevant de l’article 250 du code de procédure pénal mit en accusation le requérant et dix autres individus, dont plusieurs fonctionnaires de police, pour association de malfaiteurs, enlèvement, séquestration et extorsion de fonds en bande organisée. L’affaire fut attribuée à une section de la cour d’assises spéciale d’Istanbul. Lors de l’audience du 28 décembre 2010, le requérant demanda sa libération. La cour d’assises rejeta cette demande en se fondant, comme elle l’avait fait lors des audiences antérieures, sur la persistance de raisons plausibles de croire que l’intéressé avait commis les infractions reprochées. Elle fixa l’audience suivante au 19 avril 2011. Le 3 janvier 2011, le requérant forma opposition contre le rejet de sa demande de libération. Ce recours fut rejeté par une autre chambre de la cour d’assises par une ordonnance du 3 février 2011 après un examen sur dossier. À l’issue des audiences tenues le 19 avril et le 21 juin 2011, les juges ordonnèrent le maintien en détention du requérant en se référant à nouveau à la persistance de soupçons plausibles. Le 17 octobre 2011, les juges ordonnèrent la libération de l’intéressé. L’affaire est actuellement pendante devant la cour d’assises d’Istanbul. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les écoutes téléphoniques La réglementation en matière d’écoutes téléphoniques figure aux articles 135 et suivants du code de procédure pénale (CPP). L’article 135 du CPP dispose : Dans le cadre d’une instruction ou d’un procès pénal, lorsqu’il existe de forts soupçons qu’une infraction a été commise et qu’il n’est pas possible d’obtenir de preuve par d’autres moyens, le juge ou, dans le cas où un retard serait préjudiciable, le procureur de la République peut ordonner l’interception, la transcription et l’écoute des communications ou l’examen des signaux téléphoniques d’un suspect ou d’un accusé. Le procureur de la République présente sa décision à l’approbation du juge, lequel rend sa décision dans un délai de quarante-huit heures. Lorsque le juge n’approuve pas la décision dans le délai requis, le procureur de la République lève immédiatement la mesure litigieuse. Les communications du suspect ou de l’accusé avec les personnes à l’encontre desquelles il a la possibilité de refuser de témoigner ne peuvent être enregistrées. Lorsqu’une telle situation est découverte après la réalisation d’enregistrements, ceux-ci sont immédiatement détruits. La décision rendue conformément au premier paragraphe doit faire apparaître la nature de l’infraction reprochée, l’identité de la personne faisant l’objet de la mesure, le moyen de communication, le numéro de téléphone [...] ainsi que la nature, les modalités et la durée de la mesure. Cette décision est prise pour une durée maximum de trois mois et peut être renouvelée une fois. Cependant, pour les infractions commises dans le cadre des activités d’une organisation [criminelle], le juge peut, si cela se révèle nécessaire, prolonger à plusieurs reprises cette mesure pour des durées qui ne dépasseront [néanmoins] pas un mois chacune. Le paragraphe 6 de cet article énonce la liste des infractions – parmi lesquelles figure l’association de malfaiteurs – pour lesquelles l’interception, la transcription et l’écoute des communications peuvent être mises en œuvre. L’article 137 du CPP précise : Lorsque, en application de la décision mentionnée à l’article 135, le procureur de la République ou un officier de police judiciaire qu’il a missionné à cet effet demande à un établissement ou une institution prestant un service de télécommunication (...) la mise sur écoute d’un téléphone (...), la mesure demandée est mise en place sans délai (...). Les dates et heures de début et de fin de la mesure ainsi que l’identité de l’individu l’ayant mis en place doivent apparaître dans un procès-verbal. Les données obtenues en application de l’article 135 sont retranscrites par un agent missionné à cet effet par le procureur de la République. Les échanges en langue étrangère sont traduits vers le turc par un traducteur. Lorsqu’un non-lieu a été rendu dans l’affaire du suspect ou lorsque le juge n’a pas approuvé la décision [du procureur] comme le permet le premier paragraphe de l’article 135, le procureur de la République suspend immédiatement l’exécution de la mesure. Dans un tel cas, toutes les données [obtenues] sont détruites dans un délai maximum de dix jours, sous le contrôle du procureur de la République. Ces éléments sont consignés dans un procès-verbal. En cas de destruction des données, le procureur informe par écrit, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l’instruction a été clôturée, la personne concernée de la raison, du contenu, de la durée et du résultat de la mesure litigieuse. B. Les cours d’assises spéciales L’article 250 du CPP en vigueur à l’époque des faits prévoyait que certaines infractions, dont le terrorisme et la criminalité en bande organisée, relevaient de la compétence de sections spécialisées des cours d’assises, couramment appelées « cours d’assises spéciales ». L’article 251 indiquait que l’instruction de ces infractions devait être menée par une section du parquet spécialement investie. Lorsqu’un acte d’instruction nécessitait une autorisation judiciaire, celle-ci devait être sollicitée auprès d’un juge de la cour d’assises spéciale. Néanmoins, dans les lieux où de telles juridictions n’avaient pas été établies, les demandes relatives aux actes d’instruction devaient être présentées au juge normalement compétent, c’est-à-dire au juge d’instance pénal. C. L’indemnisation en cas de durée excessive de détention Le dispositif relatif à l’indemnisation en cas de durée excessive de détention est décrit dans l’affaire Demir c. Turquie ((déc.), no 51770/07, 16 octobre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982 et réside à Berne (Suisse). Il est le rédacteur en chef du quotidien Ülkede Özgür Gündem (« Libre ordre du jour du pays »), dont le siège se trouve à Istanbul. Le 10 juin 2004, Ülkede Özgür Gündem publia trois articles intitulés « Les Kurdes ont voulu un jugement équitable » (Kürtler adil karar istedi), « Des milliers de personnes ont manifesté » (Onbinler yürüyüş yaptı) et « L’appel d’ Öcalan à l’unité » (Öcalan’dan birlik çağrısı). Le premier texte était un article relatif à la requête de M. Öcalan, chef du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), devant la Cour. Le deuxième texte concernait une manifestation de Kurdes à l’occasion de l’examen par la Cour de l’affaire concernant M. Öcalan. Enfin, le troisième article contenait des déclarations de M. Öcalan sur la question kurde. Par un acte d’accusation du 11 juin 2004, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État inculpa le requérant et le propriétaire du quotidien en question, M. Ali Gürbüz, de publication de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infraction prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 »). Devant la cour d’assises spéciale, le requérant invoqua notamment l’article 10 de la Convention. Le 5 avril 2005, la cour d’assises spéciale condamna le requérant au paiement d’une amende de 1 155,56 livres turques (TRY) – soit environ 656 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à cette date – en vertu de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. En outre, elle condamna M. Ali Gürbüz à une amende de 3 111 TRY. Elle précisa que les accusés avaient la possibilité de former un pourvoi ( (...) sanıklarca temyiz edilme hakkının bulunduğu (...) ). À une date non précisée, le requérant se pourvut en cassation, soutenant en particulier que la procédure pénale dirigée contre lui portait atteinte à son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention. Le 10 mai 2006, la Cour de cassation infirma la décision rendue en première instance pour autant qu’elle concernait M. Ali Gürbüz. En revanche, elle déclara le pourvoi du requérant irrecevable au motif que, en vertu de l’article 305 du code de procédure pénale (alors en vigueur), lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY, la décision n’était pas susceptible de pourvoi en cassation. Le 21 août 2006, un ordre de paiement de l’amende fut notifié au requérant. Le 15 décembre 2009, la cour d’assises spéciale acquitta M. Ali Gürbüz. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1953 et réside à Cruseilles (France). Le 4 octobre 2009, vers 1h30 du matin, le requérant, qui sortait d’un bar en compagnie de V.A., vit deux gendarmes, P.T et O.G., en train de verbaliser son véhicule mal stationné. Les gendarmes demandèrent au requérant de présenter son permis de conduire ainsi que les papiers du véhicule. Le requérant fut ensuite emmené au poste de police et placé en cellule de dégrisement. Il soutient y avoir été placé nu, frigorifié et assoiffé. Libéré le lendemain matin, le requérant se rendit à l’hôpital cantonal où les médecins lui diagnostiquèrent une probable rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite. Le diagnostic fut confirmé peu après par un centre d’imagerie médicale qui, dans son rapport, s’exprima ainsi : « rupture extensive de la coiffe des rotateurs aux dépens du tendon sub-scapulaire supra-épineux et infra-épineux avec rupture complète et mise à nu de la tête humérale ; une ascension de cette dernière venant au contact de l’acromion avec œdème de l’acromion distal et un remodelé de celui-ci avec très probable mise à nu du cartilage de la tête humérale au niveau de la zone de contact entre les deux os ; une atrophie volumique du muscle supra-épineux et infiltration graisseuse de ce muscle ; dans la moitié postérieure de la glène, une volumineuse formation d’aspect kystique de 2.7 cm dans le sens cranio-caudal avec extension jusque dans le corps de l’omoplate sur 4.5 cm ; enfin, une luxation médiale du long chef du biceps en lien avec la déchirure du tendon sub-scapulaire. » Le requérant fut placé en arrêt de travail pendant quinze jours. Selon les deux gendarmes en cause, au moment du contrôle d’identité, le requérant était ivre, vociférait, tenait des propos incohérents et gesticulait. Son comportement était provocateur et impulsif. Il avait renversé sur la chaussée une boîte à outils, dont était sorti un long couteau, et avait refusé de les suivre au poste de police. Constatant qu’un attroupement s’était formé autour de la scène, ils avaient appelé des renforts et avaient opéré une clé sur chaque bras du requérant afin de le menotter et de l’emmener au poste. Le requérant admet avoir consommé une coupe de champagne et deux bières le soir de l’incident mais déclare que cela ne lui avait pas provoqué un état d’ébriété, en raison de sa forte corpulence. Il admet également avoir tardé à présenter ses papiers et avoir demandé avec agacement au gendarmes s’il y avait un « chronométrage pour retrouver les papiers ». Il reconnaît par ailleurs avoir répandu des objets sur la voie publique, infraction pour laquelle il a été acquitté le 13 septembre 2010, le tribunal ayant considéré que l’intérêt public à poursuivre le requérant était de peu d’importance. Les déclarations des deux gendarmes en cause figurent dans un rapport de police établi le 21 octobre 2009 ainsi que dans trois procèsverbaux d’audience, les deux premiers datés du 21 octobre 2011, le troisième daté du 14 décembre 2011. Dans le premier procès-verbal du 21 octobre 2011, le gendarme P.T. déclara notamment : « (...) nous avons fait des clés de bras tout à fait usuelles. Simplement du fait que Monsieur PERILLAT-BOTTONET résistait, nous avons dû mettre plus de force. Cette clé de bras était tout à fait proportionnelle. Monsieur PERILLAT-BOTTONET a un gabarit certain. » Dans le deuxième procès-verbal, du même jour, le gendarme O.G. déclara notamment : « cette intervention (...) était tout à fait usuelle. Nous n’avons pas fait usage d’autres moyens de contrainte, notamment bâton tactique ou spray au poivre. Nous n’avons également pas donné de coup de déstabilisation. Nous avons uniquement procédé aux clés de bras pour passer les menottes. » Dans le procès-verbal du 14 décembre 2011, le gendarme P.T. déclara notamment : « (...) j’ai dû effectivement insister pour maîtriser M. PERILLAT-BOTTONET, mais sans mettre plus de force que d’habitude lors d’une interpellation de ce genre. Je précise qu’une clé de bras se pratique sur une personne qui n’est pas coopérante. Cette clé de bras était proportionnelle à la résistance de M. PERILLAT-BOTTONET. » Les versions de P.T. et O.G. furent corroborées par celles de deux autres gendarmes intervenus sur les lieux le soir de l’incident. Les déclarations de ces derniers furent recueillies par l’Inspection générale des Services de Police de Genève, les 20 et 24 novembre 2009. Dans une déclaration séparée, enregistrée par l’Inspection générale des Services de Police, le 20 novembre 2009, V.A. déclara, quant à lui, que le soir de l’incident, il avait rencontré le requérant dans un bar de Cruseilles. Il l’avait ensuite accompagné dans un autre bar, à Genève, dans lequel ils avaient consommé une bouteille de champagne en compagnie de deux hôtesses. Il déclara en outre que, au moment du contrôle, le requérant et les gendarmes « s’étaient envoyés quelques piques », suite à quoi, il avait lui-même essayé de « calmer la situation de part et d’autre ». Entourés de plusieurs personnes qui regardaient le spectacle en rigolant, les gendarmes avaient ensuite immobilisé le requérant en lui tordant le bras. Dans ses déclarations, V.A. ne fit aucun commentaire sur la manière dont le bras du requérant fut tordu et ne fit aucun état d’autres violences ou comportements agressifs de la part des gendarmes. V.A. avait lui-même été soumis par les gendarmes au test de l’éthylomètre afin de vérifier s’il était en mesure de conduire le véhicule du requérant. Le test s’était révélé positif. Le 8 octobre 2009, le requérant déposa une plainte pénale contre les gendarmes qui l’avaient interpellé pour lésions corporelles, vol, dommages à la propriété et abus d’autorité. Il y soutenait, entre autre, avoir constaté la disparition de 4 000 francs suisses (CHF) et 300 euros (EUR) de son portemonnaie, à l’issue de sa garde à vue. Le 17 décembre 2009, le Procureur général classa la plainte sans suite. Le 9 juin 2010, la Chambre d’accusation, sur recours du requérant, annula partiellement la décision de classement sans suite. Elle considéra qu’il y avait lieu de rechercher si la clé de bras pratiquée par les gendarmes avait été disproportionnée, quelle était la nature des lésions subies par le requérant et quelle était la portée de ses antécédents médicaux. Dans son ordonnance, la Chambre d’accusation releva qu’il n’était pas contesté que la verbalisation du véhicule du requérant, mal stationné et muni d’une vignette d’assurance échue, était justifiée, de même que la sommation à son propriétaire de présenter une pièce d’identité ainsi que les papiers du véhicule. En revanche, elle souligna que les gendarmes avaient affirmé de manière constante et concordante que le requérant « titubait, sentait l’alcool, gesticulait et tenait des propos incohérents » relevant d’un « état d’ébriété manifeste », alors que ce dernier soutenait que, malgré le fait d’avoir consommé « deux bières, ainsi qu’un peu de champagne », il n’était pas ivre, du fait de sa forte corpulence. La Chambre d’accusation constata également que le requérant avait refusé de se soumettre au test de l’éthylomètre, prétextant une maladie pulmonaire, alors que son compagnon de sortie s’y était soumis et avait été contrôlé positif. Elle releva enfin qu’il était constant qu’un attroupement s’était formé autour de la scène et que V.A. avait déclaré n’avoir eu de cesse de demander, en vain, au requérant « de se calmer et d’obtempérer aux injonctions » des gendarmes. Une expertise ordonnée par le Ministère public suite à l’ordonnance de la Chambre d’accusation confirma la rupture massive des rotateurs de la coiffe de l’épaule droite du requérant. Les deux médecins experts mandatés par le Ministère public conclurent que la clé de bras pratiquée sur le requérant lors de l’interpellation ne pouvait pas avoir provoqué, à elle seule, l’ensemble des lésions constatées, dont certaines attestaient d’une atteinte plus ancienne. Une rupture massive des rotateurs de la coiffe avait déjà été subie en 1983 et une rupture du muscle supra-épineux avait été constatée en 2001. Selon eux, la clé de bras avait pu contribuer à la survenue des nouvelles lésions mais ceci n’était pas une certitude. De toutes manières, compte tenu de ces antécédents, « une force de faible importance aurait suffi à déstabiliser l’équilibre précaire de la fonction de l’articulation ». Il n’était par conséquent pas possible de déterminer si la clé de bras subie par le requérant avait été pratiquée avec une force exagérée. Le Ministère public entendit ensuite le requérant ainsi que les deux gendarmes et une confrontation entre les parties fut organisée le 14 décembre 2011. Les médecins experts mandatés par le Ministère public confirmèrent leurs conclusions le même jour. Entre-temps, le 7 décembre 2010, le requérant avait subi une intervention chirurgicale par arthroscopie à l’épaule droite. Le 19 janvier 2012, le Ministère public rendit une nouvelle ordonnance de classement, refusant de faire droit à la demande du requérant tendant à ce que les deux autres gendarmes présents au moment de l’arrestation ainsi que l’ami du requérant fussent entendus comme témoins. Il considéra que ces témoignages n’auraient pas permis d’établir avec précision l’intensité de la force avec laquelle avait été pratiquée la clé de bras. Le requérant intenta un nouveau recours devant la Chambre pénale de recours (« la Chambre pénale »), demandant que le chirurgien qui l’avait opéré en 2010 fut également entendu comme témoin. Le 16 avril 2012, la Chambre pénale rejeta le recours du requérant et confirma l’ordonnance de classement sans suite. Elle considéra par ailleurs que la demande d’audition du chirurgien avait été présentée hors délai et uniquement en instance de recours. L’arrêt de la Chambre pénale fut confirmé par le Tribunal fédéral le 4 avril 2013. Dans son arrêt, le Tribunal fédéral estima que le requérant ne contestait plus, à ce stade, la nécessité du recours à la force par les gendarmes. Ce point avait été considéré par la cour cantonale comme définitivement réglé à l’issue de la précédente procédure et ce n’était qu’en réplique, c’est-à-dire tardivement, que le requérant mettait de nouveau en doute la nécessité de l’intervention. La seule question encore litigieuse était donc celle de savoir si la manière dont la clé de bras avait été pratiquée au requérant pouvait être considérée comme un recours proportionné à la force, n’étant pas contesté que ce geste était la cause des lésions subies. Selon la Haute juridiction, les témoignages requis par le requérant, à savoir l’audition de V.A. et des deux autres gendarmes présents le soir de l’incident, auraient été manifestement impropres à remettre en doute les conclusions des experts puisqu’ils ne pouvaient porter que sur des impressions extérieures et ne pouvaient pas permettre de déterminer avec précision l’intensité de la clé de bras. Par ailleurs, le témoignage du chirurgien qui avait opéré le requérant n’avait pas été requis dans les délais impartis par le Ministère public, de sorte que ni le Ministère public ni la cour cantonale n’avaient violé le droit du requérant d’être entendu. Pour le Tribunal fédéral, ce témoignage n’aurait de toutes manières pas permis d’établir d’avantage l’intensité de la force utilisée par les gendarmes. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le Code pénal suisse du 21 décembre 1937 Les dispositions pertinentes du Code pénal se lisent ainsi : Article 14 - Actes licites et culpabilité/Actes autorisés par la loi « Quiconque agit comme la loi l’ordonne ou l’autorise se comporte de manière licite, même si l’acte est punissable en vertu du présent code ou d’une autre loi. » Article 123 - Lésions corporelles simples « 1 Celui qui, intentionnellement, aura fait subir à une personne une autre atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé sera, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Dans les cas de peu de gravité, le juge pourra atténuer la peine (Article 48a). » «2 La peine sera une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire et la poursuite aura lieu d’office, [...] » Article 181 - Contrainte « Celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d’un dommage sérieux, ou en l’entravant de quelque autre manière dans sa liberté d’action, l’aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. » Article 312 - Abus d’autorité « Les membres d’une autorité et les fonctionnaires qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, ou dans le dessein de nuire à autrui, auront abusé des pouvoirs de leur charge, seront punis d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. » B. Loi [cantonale]sur la Police du 26 octobre 1957 Les dispositions pertinentes de la Loi sur la Police se lisent ainsi : Article 16 - Légitimation et identification «1 L’uniforme sert de légitimation ; sur demande, les fonctionnaires indiquent leur numéro de matricule, sauf si des circonstances exceptionnelles les en empêchent. 2 Les fonctionnaires en civil se légitiment et s’identifient au moyen de leur carte de police lors de leurs interventions officielles, sauf si des circonstances exceptionnelles les en empêchent. » Article 17 - Contrôle d’identité «1 Les fonctionnaires de police ont le droit d’exiger de toute personne qu’ils interpellent dans l’exercice de leurs fonctions au sens de l’article 3, alinéa 1, lettres b à e, et alinéas 2 et 3, qu’elle justifie de son identité. ... » C. Loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 Les dispositions pertinentes de la Loi sur le Tribunal fédéral se lisent ainsi : Article 90 - Décisions finales « Le recours est recevable contre les décisions qui mettent fin à la procédure. » Article 91 - Décisions partielles « Le recours est recevable contre toute décision : a. qui statue sur un objet dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause ; b. qui met fin à la procédure à l’égard d’une partie des consorts. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1963. Il est actuellement incarcéré à la prison de Thessalonique. Soupçonné d’avoir commis plusieurs vols, il fut arrêté le 22 décembre 2009 et placé en détention provisoire le lendemain, au motif que, s’il était remis en liberté, il risquait de commettre de nouvelles infractions. Le 26 janvier 2010, le parquet de Serres ordonna son transfert à la prison de Thessalonique. Le requérant fut détenu dans les cellules du premier étage du commissariat de police de Serres du 24 décembre 2009 au 15 mars 2010, l’état de surpopulation de la prison ayant jusqu’à cette date rendu son transfert impossible. Pendant la période de détention du requérant au commissariat, les autres détenus étaient, comme lui, dans leur grande majorité, des personnes qui faisaient l’objet de mandats de détention provisoire et qui devaient être transférées à la prison de Thessalonique. A. La version du requérant Le requérant soutient qu’il a été détenu dans une cellule de 40 m² avec 20 ou 30 personnes dans des conditions présentant un risque pour sa santé. Selon lui, le manque de ventilation rendait l’atmosphère irrespirable en raison des mauvaises odeurs et de la fumée dégagée par les cigarettes des détenus. Les toilettes auraient été très sales en raison de la surpopulation et de l’absence de nettoyage. Le nombre de lits aurait été insuffisant, ce qui aurait obligé plusieurs détenus à dormir par terre sur des couvertures crasseuses. Aucun repas n’aurait été distribué aux détenus, qui se seraient vu attribuer une somme de 5,85 euros par jour, insuffisante pour commander à l’extérieur les trois repas quotidiens. Le requérant précise également que les cellules étaient sombres, que les détenus n’avaient aucune possibilité de s’exposer au soleil ou à l’air frais du fait de l’absence d’espace prévu pour la promenade. Le 11 mars 2010, le requérant écrivit au procureur près le tribunal correctionnel de Serres pour dénoncer ses conditions de détention. Il ne semble pas avoir reçu de réponse. B. La version du Gouvernement Le Gouvernement indique que les locaux de détention au commissariat de police de Serres ont été construits en 2002. Il en donne la description suivante : ces locaux se composent de trois cellules d’une capacité de six personnes chacune, soit une capacité totale de dix-huit personnes. Dans chaque cellule, il y a six lits. Deux de ces cellules communiquent entre elles par un couloir de cinq mètres sur deux mètres, créant ainsi une grande cellule de douze lits d’une superficie de 40 m². La troisième cellule, de six lits, comporte un couloir de cinq mètres sur un mètre et a une superficie totale de 20 m². Les détenus disposent au total de deux lieux de toilettes (l’un pour les deux cellules et l’autre pour la troisième), qui sont équipés de douches en très bon état. La superficie totale des locaux est de 100 m². À l’extérieur des cellules, il y a une installation de climatisation au sol qui satisfait pleinement les besoins des détenus en chauffage et en refroidissement de l’air. La ventilation des cellules est assurée par le système de ventilation installé au plafond. De l’air frais et de la lumière naturelle entrent par les fenêtres situées près du poste du gardien, par les fenêtres des toilettes, équipées de barreaux, ainsi que par le couloir qui conduit vers les autres espaces du commissariat de police et la porte de secours, située dans le couloir reliant les deux cellules. Les détenus disposent de literie. Les locaux de détention sont désinfectés régulièrement (par la 10e brigade des forces armées) et des produits de nettoyage sont fournis quotidiennement aux détenus afin qu’ils nettoient les lieux sous la supervision du gardien. Les détenus sont autorisés à avoir un petit appareil radio, sans écouteurs et avec antenne incorporée pour des raisons de sécurité. Ils sont aussi autorisés à avoir des livres, des magazines, etc. Toujours selon le Gouvernement, il ressort des archives du commissariat de police de Serres que, pendant la période des quatre-vingts jours de détention du requérant, il y a eu un nombre de détenus supérieur à la capacité normale de dix-huit personnes seulement pendant un total quatorze jours, qui souvent n’étaient pas consécutifs : les 5, 6, 7, 10 11, 12, 13 et 15 janvier, le 1er février, et les 6, 7, 8, 9 et 13 mars 2010. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit interne L’article 572 du code de procédure pénale dispose : « 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes. En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il rencontre les détenus qui ont préalablement demandé à être entendus. » L’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 relatif aux compétences des organes et à la manière d’agir du personnel du ministère de l’Ordre public (...) se lit ainsi : « Il n’est pas permis de détenir dans les cellules des commissariats de police des prévenus ou des condamnés qui seront incarcérés dans les centres pénitentiaires, excepté pour la durée absolument nécessaire à leur transfert et seulement si celui-ci n’est pas possible immédiatement. » B. Les constats du médiateur de la République hellénique Le rapport du médiateur de la République hellénique, du 11 mai 2007, intitulé « Séjour dans les locaux de police de détenus condamnés au pénal » Les 15 et 16 mars 2007, le médiateur de la République hellénique effectua une visite à la direction générale de la police de Thessalonique pour le transfert des détenus, afin d’examiner, entre autres, les conditions de détention. Le médiateur nota l’augmentation considérable des détenus depuis 2005 dans les locaux des commissariats de police de Thessalonique. En particulier, il releva le grand nombre d’étrangers pour lesquels une procédure d’expulsion était en cours. Il ajouta que ceux-ci étaient détenus dans les locaux de police pour une période qui variait entre dix jours et trois mois. Il nota que l’infrastructure de la sous-direction de la police de Thessalonique et, en général, des postes de police n’était pas celle d’un établissement pénitentiaire et que, par conséquent, les locaux de police ne se prêtaient qu’à une détention de très courte durée. Le médiateur fit référence à un document des autorités de police (no 1026/5/22/1-θ/30.3.2007) reconnaissant le manque d’espace suffisant dans les locaux de police, l’absence totale d’espace pour l’exercice physique, l’existence de problèmes d’hygiène et de problèmes de sécurité ainsi que les insuffisances quant à la dispense des soins médicaux. De plus, le médiateur constata le manque d’infrastructure pour la restauration des détenus. Il releva que, au lieu de se voir distribuer des repas, chacun des détenus recevait des autorités la somme de 5,87 euros par jour. Pour le médiateur, cette somme n’était pas toujours suffisante au regard de la tarification des plats offerts par l’unique restaurateur qui fournissait des repas sur les lieux de détention. Le médiateur conclut qu’une détention dans les locaux de police pendant une période prolongée emportait violation de l’article 3 de la Convention. Il recommanda aux autorités compétentes de garantir le plus rapidement possible à chaque personne détenue pour une durée supérieure à vingt-quatre heures un accès à l’exercice physique dans un espace en plein air et une restauration adéquate. La lettre adressée le 13 mai 2009 par le médiateur de la République au ministère de la Justice, intitulée « Séjour dans les locaux de police de détenus condamnés au pénal » Le médiateur rappela au ministère son rapport daté du 11 mai 2007 et souligna à nouveau le problème des longs séjours de détenus dans les locaux de police. Selon le médiateur, ce problème se révélait plus important dans le nord de la Grèce en raison de l’impossibilité pour la prison de Thessalonique d’accueillir un nombre plus grand de détenus. Le médiateur indiqua que, depuis mai 2007, alors que deux années s’étaient écoulées, les conditions de détention en cause ne s’étaient pas améliorées. Il nota que la situation était critique tant pour les détenus que pour les agents de police, précisant que cela avait été par ailleurs confirmé par un rapport de la direction de la police d’Imathia. Il ajouta avoir déjà reçu des plaintes à ce sujet de la part du barreau de Thessalonique et de la Ligue hellénique des droits de l’homme. Il signala également qu’un groupe de détenus avait entamé une grève de faim. En conclusion, il demanda au ministère de prendre rapidement toutes les mesures nécessaires pour résoudre le problème en cause. III. LES RAPPORTS INTERNATIONAUX PERTINENTS Le 12e rapport général d’activités du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), du 3 septembre 2002, précise ce qui suit : « 47. La détention par la police est (ou au moins devrait être) de relativement courte durée. Toutefois, les conditions de détention dans les cellules de police doivent remplir certaines conditions élémentaires. Toutes les cellules de police doivent être propres et d’une taille raisonnable eu égard au nombre de personnes que l’on peut y placer, et doivent bénéficier d’un éclairage adéquat (c’est-à-dire suffisant pour lire en dehors des périodes de repos) ; de préférence, les cellules devraient bénéficier de la lumière naturelle. De plus, les cellules doivent être aménagées de façon à permettre le repos (par exemple un siège ou une banquette fixe), et les personnes contraintes de passer la nuit en détention doivent disposer d’un matelas et de couverture propres. Les personnes détenues par la police doivent avoir accès à des toilettes correctes dans des conditions décentes et disposer de possibilités adéquates pour se laver. Elles doivent avoir accès à tout moment à de l’eau potable et recevoir de quoi manger à des moments appropriés, y compris un repas complet au moins chaque jour (c’est-à-dire quelque chose de plus substantiel qu’un sandwich). Les personnes détenues par la police pendant 24 heures ou plus devraient, dans la mesure du possible, se voir proposer un exercice quotidien en plein air. » Le rapport du CPT du 17 novembre 2010, relatif à la visite effectuée en Grèce en septembre 2009, ne contient pas de commentaires négatifs concernant le commissariat de police de Serres.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982 et réside à Berne (Suisse). Il est le rédacteur du chef du quotidien Ülkede Özgür Gündem (« Libre ordre du jour du pays»), dont le siège se trouve à Istanbul. Le 1er août 2004, Ülkede Özgür Gündem publia deux articles intitulés « L’appel d’Öcalan aux femmes » (Öcalan’dan kadınlara çağrı) et « Le leadership fait partie de l’identité du peuple kurde » (Önderlik kürt halkının kimliğidir). Le premier texte contenait des déclarations de M. Öcalan, chef du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), relatives à la liberté des femmes. Le deuxième texte était un entretien réalisé avec M. Karayılan, président du comité de défense du Kongra-Gel (une branche du PKK), sur les sujets d’actualité. Par un acte d’accusation du 17 août 2004, le procureur de la République d’Istanbul inculpa le requérant et le propriétaire du quotidien en question, M. Ali Gürbüz, de publication de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infraction prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 »). Devant la cour d’assises spéciale, le requérant invoqua notamment l’article 10 de la Convention. Le 5 avril 2005, la cour d’assises spéciale condamna le requérant au paiement d’une amende de 1 592,28 livres turques (TRY) – soit environ 905 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à cette date – en vertu de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. En outre, elle condamna M. Ali Gürbüz à une amende de 3 184,56 TRY. Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi (Yargıtay yolu açık olmak üzere). A une date non précisée, le requérant se pourvut en cassation, soutenant en particulier que la procédure pénale dirigée contre lui portait atteinte à son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention. Le 4 mai 2006, la Cour de cassation infirma la décision rendue en première instance pour autant qu’elle concernait M. Ali Gürbüz. En revanche, elle déclara le pourvoi du requérant irrecevable au motif que, en vertu de l’article 305 du code de procédure pénale (alors en vigueur), lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY, la décision n’était pas susceptible de pourvoi en cassation. Le 21 août 2006, un ordre de paiement de l’amende fut notifié au requérant. Par un arrêt du 28 septembre 2006, la cour d’assises spéciale condamna à nouveau M. Ali Gürbüz. Le 3 avril 2008, la Cour de cassation cassa cette décision. Dans son arrêt du 11 mars 2010, la cour d’assises spéciale acquitta ensuite M. Ali Gürbüz. Le dossier ne permet pas d’établir si cette décision est devenue définitive ou non. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982 et réside à Berne (Suisse). Il est le rédacteur en chef du quotidien Ülkede Özgür Gündem (« Libre ordre du jour du pays»), dont le siège se trouve à Istanbul. Le 27 juillet 2004, Ülkede Özgür Gündem publia trois articles intitulés « Que Talabani s’excuse – Talabani voudrait vendre Kongra-Gel » (Talabani özür dilesin – Talabani Kongra-Gel’i pazarlamak istiyor), « L’appel du Kongra-Gel à la sensibilité et à la participation » (Kongra-Gel’den duyarlılık ve katılım çağrısı) et « PJA [une branche du PKK – Parti des travailleurs du Kurdistan], ‘le parti de la femme libre’, est devenu PAJK, ‘le parti de la liberté et de la femme du Kurdistan’ » (PJA ‘Özgür Kadın Partisi’, PAJK ‘Kürdistan Kadın Özgürlük Partisi’ oldu). Le premier article reprenait des déclarations d’un membre du Kongra-Gel (une branche du PKK) qui critiquait la position de M. Celal Talabani (président de la République d’Irak) vis-à-vis de son organisation. Le deuxième article contenait des déclarations de la présidence du Kongra-Gel sur la participation du peuple kurde au processus démocratique et sur les attaques exercées contre le mouvement kurde. Quant au troisième article, il traitait de la place et du rôle des femmes au sein du PKK. Par un acte d’accusation du 27 juillet 2004, le procureur de la République d’Istanbul inculpa le requérant et le propriétaire du quotidien en question, M. Ali Gürbüz, de publication de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infraction prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme « la loi no 3713 ». Devant la cour d’assises spéciale, le requérant invoqua notamment l’article 10 de la Convention. Le 19 avril 2005, la cour d’assises spéciale condamna le requérant au paiement d’une amende de 1 802 880 000 anciennes livres turques (TRL) – soit environ 1 008 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à cette date – en vertu de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. En outre, elle condamna M. Ali Gürbüz à une amende de 3 605 760 000 TRL. Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi ( Yargıtay yolu açık olmak üzere ). A une date non précisée, le requérant se pourvut en cassation, soutenant en particulier que la procédure pénale dirigée contre lui portait atteinte à son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention. Le 27 avril 2006, la Cour de cassation infirma la décision rendue en première instance pour autant qu’elle concernait M. Ali Gürbüz. En revanche, elle déclara le pourvoi du requérant irrecevable au motif que, en vertu de l’article 305 du code de procédure pénale (alors en vigueur), lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY, la décision n’était pas susceptible de pourvoi en cassation. Le 20 juillet 2006, un ordre de paiement de l’amende fut notifié au requérant. Par une décision du 13 janvier 2010, la cour d’assises spéciale acquitta M. Ali Gürbüz. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982 et réside à Berne (Suisse). Il est le rédacteur en chef du quotidien Ülkede Özgür Gündem (« Libre ordre du jour du pays »), dont le siège se trouve à Istanbul. Le 16 juillet 2004, Ülkede Özgür Gündem publia un article intitulé « Aydar : notre but est la démocratie » (Aydar : Hedefimiz demokrasi). Ce texte contenait des déclarations de M. Aydar, président du Kongra-Gel (une branche du PKK – Parti des travailleurs du Kurdistan), sur les conditions de détention de M. Öcalan, chef du PKK, et sur les sujets d’actualité. Par un acte d’accusation du même jour, le procureur de la République d’Istanbul inculpa le requérant et le propriétaire du quotidien en question, M. Ali Gürbüz, de publication de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infraction prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 »). Devant la cour d’assises spéciale, le requérant invoqua notamment l’article 10 de la Convention. Le 19 avril 2005, la cour d’assises spéciale condamna le requérant au paiement d’une amende de 1 802 880 000 anciennes livres turques (TRL) – soit environ 1 008 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à cette date – en vertu de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. En outre, elle condamna M. Ali Gürbüz à une amende de 3 605 760 000 TRL. Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi (Yargıtay yolu açık olmak üzere). A une date non précisée, le requérant se pourvut en cassation, soutenant en particulier que la procédure pénale dirigée contre lui portait atteinte à son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention. Le 10 mai 2006, la Cour de cassation infirma la décision rendue en première instance pour autant qu’elle concernait M. Ali Gürbüz. En revanche, elle déclara le pourvoi du requérant irrecevable au motif que, en vertu de l’article 305 du code de procédure pénale (alors en vigueur), lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY, la décision n’était pas susceptible de pourvoi en cassation. Le 20 juillet 2006, un ordre de paiement de l’amende fut notifié au requérant. Par une décision du 13 janvier 2010, la cour d’assises spéciale acquitta M. Ali Gürbüz. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982 et réside à Berne (Suisse). Il est le rédacteur en chef du quotidien Ülkede Özgür Gündem (« Libre ordre du jour du pays »), dont le siège se trouve à Istanbul. Le 25 juillet 2004, Ülkede Özgür Gündem publia en première et quatrième pages un article intitulé « Öcalan a prévenu la Turquie que Talabani, le chef du YNK, ne prendra en compte que ses propres intérêts » (Öcalan, YNK lideri Talabani’nin sadece kendi çıkarlarını esas alacağını söyleyerek Türkiye’yi uyardı). Dans cet article, M. Abdullah Öcalan, chef du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), critiquait la position de son frère, M. Osman Öcalan, ancien cadre du PKK, et soutenait qu’un complot se préparait. Par un acte d’accusation du 28 juillet 2004, le procureur de la République d’Istanbul inculpa le requérant et le propriétaire du quotidien, M. Ali Gürbüz, de publication de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infraction prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 ») et à l’article 2 § 1 additionnel de la loi no 5680 (« la loi no 5680 »). Devant la cour d’assises spéciale, le requérant invoqua notamment l’article 10 de la Convention. Le 24 novembre 2004, la cour d’assises spéciale condamna le requérant au paiement d’une amende de 1 802 880 000 anciennes livres turques (TRL) – soit environ 958 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à cette date – en vertu de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. En outre, elle condamna M. Ali Gürbüz à une amende de 3 605 760 000 TRL. Elle précisa que les accusés avaient la possibilité de former un pourvoi (“(...) sanıklarca temyiz edilme hakkının bulunduğu (...)”). Le 29 novembre 2004, le requérant se pourvut en cassation, soutenant en particulier que la procédure pénale dirigée contre lui portait atteinte à son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention. Le 13 mars 2006, la Cour de cassation infirma la décision rendue en première instance pour autant qu’elle concernait M. Ali Gürbüz. En revanche, elle déclara le pourvoi du requérant irrecevable au motif que, en vertu de l’article 305 du code de procédure pénale (alors en vigueur), lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY, la décision n’était pas susceptible de pourvoi en cassation. Le 19 juillet 2006, un ordre de paiement de l’amende fut notifié au requérant. Selon les éléments du dossier, la procédure, pour autant qu’elle concernait M. Ali Gürbüz, était toujours pendante devant la Cour de cassation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982 et réside à Berne (Suisse). Il est le rédacteur en chef du quotidien Ülkede Özgür Gündem (« Libre ordre du jour du pays »), dont le siège se trouve à Istanbul. Le 30 juillet 2004, Ülkede Özgür Gündem publia un article intitulé « Ils perdront eux-mêmes. Le concept est voué à l’échec » (Kendileri kaybeder. Konseptin başarı şansı yok). Ce texte contenait des déclarations de M. Aydar, président du Kongra-Gel (une branche du PKK – Parti des travailleurs du Kurdistan), qui critiquait la visite du Premier ministre, M. Erdoğan, en Iran. Par un acte d’accusation du même jour, le procureur de la République d’Istanbul inculpa le requérant et le propriétaire du quotidien en question, M. Ali Gürbüz, de publication de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infraction prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 »). Devant la cour d’assises spéciale, le requérant invoqua notamment l’article 10 de la Convention. Le 24 novembre 2004, la cour d’assises spéciale condamna le requérant au paiement d’une amende de 1 802 880 000 anciennes livres turques (TRL) – soit environ 958 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à cette date – en vertu de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. En outre, elle condamna M. Ali Gürbüz à une amende de 3 605 760 000 TRL. Elle précisa que les accusés avaient la possibilité de former un pourvoi ( (...) sanıklarca temyiz edilme hakkının bulunduğu (...) ). Le 29 novembre 2004, le requérant se pourvut en cassation, soutenant en particulier que la procédure pénale dirigée contre lui portait atteinte à son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention. Le 2 mars 2006, la Cour de cassation infirma la décision de première instance pour autant qu’elle concernait M. Ali Gürbüz. En revanche, elle déclara le pourvoi du requérant irrecevable au motif que, en vertu de l’article 305 du code de procédure pénale (alors en vigueur), lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY, la décision n’était pas susceptible de pourvoi en cassation. Le 19 juillet 2006, un ordre de paiement de l’amende fut notifié au requérant. Selon les éléments du dossier, la procédure, pour autant qu’elle concernait M. Ali Gürbüz, était toujours pendante devant la Cour de cassation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1960 et réside à Marsala (Trapani). Le requérant, qui a ensuite acquis la nationalité italienne, était à l’époque des faits un ressortissant tunisien qui s’était rendu en Italie sur la base d’un permis de séjour et de travail régulier. Il fut embauché par la société A. et assuré auprès de l’Institut national de la sécurité sociale (Istituto Nazionale della Previdenza Sociale –INPS). Sa famille comprenait son épouse et leurs quatre enfants mineurs. Ses revenus pour l’année 1999 s’élevaient à 30 655 000 lires italiennes (ITL – environ 15 832 euros (EUR)). Le 24 mai 2001, le requérant introduisit un recours devant le tribunal de Marsala, appelé à statuer comme juge du travail, afin d’obtenir le versement de l’allocation de foyer familial (assegno per nucleo familiare) prévue par l’article 65 de la loi no 448 de 1998. Aux termes de cette disposition, l’allocation en question était octroyée par l’INPS aux familles composées de ressortissants italiens résidant en Italie, avec au moins trois enfants mineurs, lorsque leur revenu annuel était inférieur aux montants indiqués dans le tableau annexé au décret législatif no 109 du 31 mars 1998 (en l’occurrence 36 millions d’ITL – environ 18 592 EUR – pour les familles composées de cinq personnes). Le requérant considérait que même s’il n’avait pas la nationalité italienne, comme l’exigeait la loi no 448 de 1998, l’allocation lui était due en vertu de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Tunisie – dit « Accord euro-méditerranéen » –, ratifié par l’Italie (loi no 35 du 3 février 1997). L’article 65 de ce texte se lit comme suit : « 1. Sous réserve des dispositions des paragraphes suivants, les travailleurs de nationalité tunisienne et les membres de leur famille résidant avec eux bénéficient, dans le domaine de la sécurité sociale, d’un régime caractérisé par l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport aux propres ressortissants des États membres dans lesquels ils sont occupés. La notion de « sécurité sociale » couvre les branches de sécurité sociale qui concernent les prestations de maladie et de maternité, les prestations d’invalidité, de vieillesse, de survivants, les prestations d’accident de travail et de maladie professionnelle, les allocations de décès, les prestations de chômage et les prestations familiales. Toutefois, cette disposition ne peut avoir pour effet de rendre applicables les autres règles de coordination prévues par la réglementation communautaire fondée sur l’article 51 du traité CE, autrement que dans les conditions fixées par l’article 67 du présent accord. Ces travailleurs bénéficient de la totalisation des périodes d’assurance, d’emploi ou de résidence accomplies dans les différents États membres, pour ce qui concerne les pensions et rentes de vieillesse, d’invalidité et de survie, les prestations familiales, les prestations de maladie et de maternité ainsi que les soins de santé pour eux-mêmes et leur famille résidant à l’intérieur de la Communauté. Ces travailleurs bénéficient des prestations familiales pour les membres de leur famille résidant à l’intérieur de la Communauté. Ces travailleurs bénéficient du libre transfert vers la Tunisie, aux taux appliqués en vertu de la législation de l’État membre ou des États membres débiteurs, des pensions et rentes de vieillesse, de survie et d’accident de travail ou de maladie professionnelle, ainsi que d’invalidité, en cas d’accident de travail ou de maladie professionnelle, à l’exception des prestations spéciales à caractère non contributif. La Tunisie accorde aux travailleurs ressortissants des États membres occupés sur son territoire, ainsi qu’aux membres de leur famille, un régime analogue à celui prévu aux paragraphes 1, 3 et 4. » Par un jugement du 10 avril 2002, le tribunal de Marsala rejeta le recours du requérant. Le requérant interjeta appel. Il demanda, entre autres, que soit posée à titre préjudiciel à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) la question de savoir si l’article 65 de l’Accord euro-méditerranéen permettait de refuser à un travailleur tunisien l’allocation familiale prévue par l’article 65 de la loi no 448 de 1998. Par un arrêt du 21 octobre 2004, la cour d’appel de Palerme rejeta l’appel du requérant. Elle observa que, étant fondée uniquement sur les revenus et la situation familiale des bénéficiaires, l’allocation sollicitée relevait de l’assistance sociale (assistenza sociale). Elle était initialement prévue seulement pour les citoyens italiens, et avait ensuite été étendue à tous les ressortissants de l’Union européenne. Or, l’Accord euro-méditerranéen ne concernait que les prestations de prévoyance (prestazioni previdenziali), et n’était donc pas applicable à l’allocation de foyer familial prévue par l’article 65 de la loi no 448 de 1998. Le requérant se pourvut en cassation, réitérant sa demande de renvoi d’une question préjudicielle à la CJUE. Par un arrêt du 15 avril 2008, dont le texte fut déposé au greffe le 29 septembre 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Dans ses motifs, la Cour de cassation observa tout d’abord que l’article 64 §§ 1 et 2 de l’Accord euro-méditerranéen disposait notamment : « 1. Chaque État membre accorde aux travailleurs de nationalité tunisienne occupés sur son territoire un régime caractérisé par l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport à ses propres ressortissants, en ce qui concerne les conditions de travail, de rémunération et de licenciement. Tout travailleur tunisien autorisé à exercer une activité professionnelle salariée sur le territoire d’un État membre à titre temporaire bénéficie des dispositions du paragraphe 1 en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération. » Relevant que ce texte se référait explicitement aux relations de travail et aux éléments qui les constituaient, la Cour de cassation en déduisit qu’il ne trouvait à s’appliquer qu’aux prestations de prévoyance, et non aux allocations d’assistance, comme celle revendiquée par le requérant et à laquelle les citoyens tunisiens résidant en Italie n’avaient pas droit. Cette interprétation était selon elle également confirmée par l’article 65 §§ 1 et 2 de l’Accord euro-méditerranéen, qui mentionnait notamment « les prestations de maladie et de maternité, les prestations d’invalidité, de vieillesse, de survivants, les prestations d’accident de travail et de maladie professionnelle, les allocations de décès, les prestations de chômage et les prestations familiales ». La Cour de cassation souligna que son interprétation ne se fondait pas seulement sur la référence textuelle à la « sécurité sociale » (previdenza sociale) mais, comme indiqué par la CJUE, sur les éléments constitutifs de chaque prestation. Cet arrêt fut notifié au requérant le 2 octobre 2008.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1931 et réside à Palerme. A. La procédure pénale diligentée à l’encontre du requérant La procédure en première instance devant le tribunal de Palerme Par un arrêt du 5 avril 1996, le tribunal de Palerme condamna le requérant à une peine de dix ans de réclusion pour concours externe à une association mafieuse (concorso in associazione di stampo mafioso, articles 110, 416 et 416 bis du code pénal). Le tribunal retint notamment que, entre 1979 et 1988, le requérant, en qualité de fonctionnaire de police puis de chef de cabinet du haut-commissaire pour la lutte contre la mafia et de directeur adjoint des services secrets civils (SISDE), avait systématiquement contribué aux activités et à la réalisation des buts criminels de l’association mafieuse dénommée « cosa nostra ». Selon le tribunal, le requérant avait fourni aux membres de la « commission provinciale » de Palerme de ladite association des informations confidentielles concernant les investigations et opérations de police dont ces derniers, ainsi que d’autres membres de l’association en question, faisaient l’objet. Le tribunal fonda son jugement sur l’examen d’un nombre important de témoignages et de documents et, en particulier, sur les informations fournies par plusieurs repentis, anciens membres de l’association « cosa nostra ». La procédure en appel devant la cour d’appel de Palerme Le requérant et le ministère public firent l’un et l’autre appel. Le requérant fit valoir le principe de la prévision législative avec une précision suffisante des situations dans lesquelles la norme pénale trouve application (principio di tassatività della norma penale) en tant que corollaire du principe plus général de la non-rétroactivité de la norme pénale. Il estimait notamment qu’à l’époque des faits de l’affaire, l’application de la loi pénale concernant le concours externe à une association mafieuse n’était pas prévisible car elle avait été l’issue d’une évolution jurisprudentielle ultérieure. Par un arrêt du 4 mai 2001, la cour d’appel de Palerme renversa le jugement de première instance et acquitta le requérant au motif que les faits qui lui étaient reprochés ne s’étaient pas produits (perché il fatto non sussiste). Tout en soulignant plusieurs anomalies dans le comportement du requérant en son rôle de dirigeant de la police (faits susceptibles de faire l’objet d’une procédure disciplinaire), la cour d’appel estima que les preuves prises en considération n’étaient pas déterminantes, attribua du poids à d’autres témoignages de repentis recueillis entre-temps et releva que le tribunal de première instance avait sous-estimé la possibilité que les témoignages de certains repentis, arrêtés dans le passé par le requérant lui-même, pouvaient être la conséquence d’un projet de vengeance à l’encontre de ce dernier. La cour d’appel ne fit pas référence aux considérations du requérant tenant à la prévisibilité de la loi pénale. La première procédure devant la Cour de cassation Le procureur général de la République se pourvut en cassation. Par un arrêt du 12 décembre 2002, la Cour de cassation annula l’arrêt de la cour d’appel de Palerme et renvoya l’affaire devant celle-ci. Elle estima notamment que l’arrêt en question n’avait pas été dûment motivé. À titre d’exemple, la cour d’appel avait omis d’expliquer la raison pour laquelle certains témoignages recueillis n’étaient pas susceptibles d’avoir valeur de preuve et n’avait pas étayé la thèse de la « vengeance » de certains repentis vis-à-vis du requérant. La nouvelle procédure devant la cour d’appel de Palerme Par un arrêt du 25 février 2006, une nouvelle chambre de la cour d’appel de Palerme, présidée par le juge S., confirma le contenu du jugement du tribunal du 5 avril 1996. Pour ce faire elle s’attacha, d’une part, à de nombreux autres témoignages et documents recueillis au cours de l’enquête et estima, d’autre part, que la chambre de la cour d’appel qui avait précédemment statué avait mal apprécié la valeur probante attribuable à certains témoignages. La nouvelle formation de jugement rejeta, entre autres, la demande du requérant tendant à l’audition de M. F.C., directeur du Service central de protection du ministère de l’Intérieur à l’époque des faits. Ce dernier avait en effet affirmé que, dans son activité d’organisation de la vie quotidienne des repentis et de leurs familles, environ six cents rencontres entre des repentis lui avaient été signalées. La cour d’appel estima que la question qui se posait n’était pas celle de savoir si les déclarations des repentis en cause pouvaient en tant que telles être utilisées. En effet l’exclusion, comme mode de preuve, des déclarations de repentis ayant eu des contacts entre eux n’avait été introduite qu’en 2001 (par la loi no 45/2001), et ne s’appliquait donc pas en l’espèce. La question pertinente était plutôt, selon la cour, celle de la crédibilité des déclarations prises en elles-mêmes, circonstance qui avait déjà fait l’objet d’un examen attentif et scrupuleux de la part du tribunal de première instance. Pour ce qui était de l’applicabilité de la loi pénale concernant le concours externe à une association mafieuse (configurabilità del concorso esterno in associazione mafiosa), la cour d’appel estima que le jugement du tribunal de première instance ayant condamné le requérant avait correctement appliqué les principes développés par la jurisprudence en la matière. La deuxième procédure devant la Cour de cassation Le requérant se pourvut en cassation. Il invoqua à nouveau le principe de la non-rétroactivité et de la prévisibilité de la loi pénale, estimant que cette question n’avait fait l’objet d’aucun examen de la part des juridictions du fond et demanda que les faits de l’espèce soient qualifiés d’entrave à l’action pénale - favoreggiamento personale. Le requérant se plaignit en outre du fait que le juge S. ait présidé la formation de jugement de la cour d’appel ayant rendu l’arrêt du 25 février 2006. À cet égard, il expliqua que, par une ordonnance du 1er octobre 1993, ce même juge l’avait déjà débouté en appel d’une ordonnance du juge des investigations préliminaires refusant de révoquer ou de remplacer la mesure de détention provisoire dont il avait fait l’objet. Il contesta également, entre autres, l’utilisation des déclarations d’un repenti (M. A.G.) faites lors du débat contradictoire, à une date selon lui postérieure à l’expiration de délai établi par l’article 16 quater de la loi no 82/91, qui était de six mois à partir de la manifestation de la volonté de l’intéressé de collaborer avec la justice (voir la partie « Droit interne pertinent »). Le requérant demanda aussi que les documents concernant le programme de protection des repentis entendus au cours de la procédure soient versés au dossier et sollicita, d’autre part, l’audition d’un témoin (M. F.C.). Le requérant estimait en fait que différents repentis (notamment, MM. G.M., M.M., R.S., S.C., G.C., M.P., P.S. et G.M.) qui avaient eu des contacts entre eux s’étaient concertés dans le but de fournir des déclarations pouvant démontrer sa culpabilité. Ainsi, les preuves utilisées contre lui auraient été viciées. Par un arrêt prononcé le 10 mai 2007 et déposé au greffe le 8 janvier 2008, la Cour de cassation débouta le requérant. Quant au fait que le juge S. avait présidé la formation de la cour d’appel ayant rendu l’arrêt attaqué, la Cour de cassation répondit que, si les éléments avancés par le requérant pouvaient éventuellement constituer un motif valable de récusation, ils étaient en revanche sans incidence sur la régularité de la procédure en cause. Quant à l’utilisation des déclarations de M. A.G., la Cour de cassation observa que la règle fixée par l’article 16 quater, alinéa 9, de la loi no 82/91 ne s’appliquait qu’à la phase des investigations préliminaires et non pas à celle du débat contradictoire, tel qu’elle avait également constaté dans son arrêt no 18061 du 13 février 2002. Dans le cas d’espèce, c’était donc à bon droit que les déclarations en question avaient été versées au dossier. La Cour de cassation rejeta en outre la demande du requérant tendant à l’administration de nouvelles preuves, au motif que celle-ci relevait de la compétence du juge du fond et non pas du contrôle du juge de cassation, sauf si le rejet d’une telle demande n’avait pas été dûment motivé, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Dans le cas présent, quant à la demande d’audition de M. F.C. et à la prétendue irrecevabilité des preuves consistant en des déclarations de repentis, la Cour de cassation releva que ces motifs du pourvoi avaient déjà été rejetés par la cour d’appel de manière amplement et dûment argumentée. Elle nota que la règle de l’exclusion, parmi les modes de preuve admis, des déclarations de repentis viciées par l’existence de contacts entre les intéressés n’avait été introduite qu’en 2001 (par la loi no 45/01), et retint en conséquence que cette règle ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce. La Cour de cassation observa aussi qu’en tout état de cause, les contacts ayant eu lieu entre repentis au cours de la procédure ne concernaient aucune des personnes ayant fourni les déclarations qui avaient été effectivement utilisées afin de prouver la culpabilité du requérant. Enfin, la Cour de cassation considéra que la partie du pourvoi portant sur le principe de la non-rétroactivité et de la prévisibilité de la loi pénale était manifestement mal fondée car elle mettait en réalité en cause l’appréciation portée par les juges sur le fond et non pas seulement la conformité au droit (legittimità) de l’arrêt attaqué. Elle jugea ainsi que la cour d’appel avait dûment motivé son arrêt et qu’il n’y avait pas lieu de compléter le dossier par l’administration d’autres éléments de preuve. La procédure en révision de l’affaire devant la cour d’appel de Caltanissetta Le requérant tenta par la suite d’obtenir une révision de son procès. Par un arrêt du 24 septembre 2011, la cour d’appel de Caltanissetta déclara sa demande en ce sens irrecevable. Par un arrêt déposé au greffe le 25 juin 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant contre cette décision. B. L’état de santé du requérant et les demandes introduites par celui-ci devant le juge et le tribunal d’application des peines Le requérant fut incarcéré le 11 mai 2007 à la prison militaire de Santa Maria Capua Vetere. Par une lettre du 20 août 2007 adressée au juge de l’application des peines (magistrato di sorveglianza, ci-après « le juge »), il fit état d’un nombre important de pathologies dont il indiquait être affecté. Par un certificat du 1er octobre 2007, un médecin du service sanitaire de l’établissement pénitentiaire attesta que le requérant souffrait des séquelles d’une ischémie cérébrale, de certaines pathologies de l’appareil visuel, ainsi que de cardiopathie, diabète, hypertrophie prostatique, arthrose, hyponutrition et dépression. Les procédures introduites par le requérant afin d’obtenir sa libération, l’ajournement de l’exécution de la peine ou la détention à domicile a) La première demande Le 24 octobre 2007, le requérant introduisit une demande devant le juge tendant à obtenir sa libération ou l’ajournement de l’exécution de sa peine. Les 22 et 31 octobre 2007 et le 24 novembre 2007, trois rapports médicaux furent déposés devant le juge (deux desquels avaient été rédigés par des praticiens sollicités par le requérant et un par des médecins du service sanitaire de l’établissement pénitentiaire). Les trois rapports faisaient état des pathologies, nombreuses et complexes, dont le requérant était affecté et concluaient à l’incompatibilité de son état de santé avec le régime de détention auquel il était soumis. Par une décision déposée au greffe le 12 décembre 2007, le juge rejeta la demande du requérant. Tout en se référant aux trois rapports médicaux et aux conclusions y contenues, le juge estima qu’« on ne saurait affirmer, toutefois, que les pathologies dont [le requérant] est affecté sont, à l’heure actuelle, graves et non susceptibles d’être traitées en prison. [Celles-ci requièrent toutefois] un contrôle continu qui peut être garanti par l’hospitalisation et par la vigilance constante de la part du service sanitaire de l’établissement pénitentiaire ». b) La deuxième demande Alléguant le manque d’équité de cette décision, le 17 décembre 2007, le requérant introduisit une nouvelle demande devant le juge ayant le même objet que la précédente. Selon deux rapports médicaux du service sanitaire de l’établissement pénitentiaire déposés les 21 et 27 décembre 2007, l’état de santé du requérant était stationnaire, à l’exception de sa perte de poids, qui s’était aggravée depuis le 31 octobre 2007. Le rapport concluait à l’incompatibilité de l’état de santé du requérant avec le régime de détention auquel il était soumis. Par une décision déposée au greffe le 28 décembre 2007, le juge rejeta la demande sur la base, pour l’essentiel, des mêmes arguments que dans sa décision du 12 décembre 2007. Il estima en outre que, d’après la jurisprudence constante en la matière, les conditions d’octroi de la libération et de l’ajournement de l’exécution de la peine n’étaient pas remplies étant donné que, dans le cas d’espèce, la détention n’entraînait pas « l’impossibilité ou la difficulté extrême » de recourir aux traitements sanitaires qui s’avéraient nécessaires. Le tribunal autorisa aussi l’hospitalisation du requérant pour le temps nécessaire à l’exécution de certains contrôles sanitaires. Le jour même, le requérant fut hospitalisé et soumis à plusieurs examens. c) La troisième demande Le 3 janvier 2008, le requérant introduisit une demande ayant le même contenu que les deux précédentes. Il fit valoir aussi qu’un ajournement d’exécution de la peine avait été octroyé par le même tribunal dans une autre affaire dans laquelle l’état de santé du détenu en question était moins grave que le sien. Deux rapports médicaux furent déposés. Ils notèrent le mauvais état de santé du requérant et fournirent des indications quant au traitement pharmacologique suivi. Par une décision déposée au greffe le 7 janvier 2008, le juge rejeta la demande. Il estima notamment que les rapports ne fournissaient pas d’éléments nouveaux par rapport à ceux qui figuraient au dossier lors des décisions précédentes et que les résultats des examens effectués à l’hôpital ne lui avaient pas encore été transmis. Quant à l’appréciation de la « gravité » des pathologies du requérant et de l’existence d’une « impossibilité ou difficulté excessive » à traiter celles-ci en prison, le juge parvint aux mêmes conclusions que dans ses décisions des 12 et 28 décembre 2007. d) La quatrième demande Le jour même, le requérant introduisit une demande ayant le même contenu que ses demandes précédentes. Cette demande fut rejetée par une décision du juge du 21 février 2008. e) La décision du tribunal d’application des peines du 15 janvier 2008 Entre-temps, les trois décisions précédentes, qui avaient un caractère provisoire, furent confirmées par le tribunal d’application de peines (ci-après « le tribunal ») par une ordonnance déposée au greffe le 15 janvier 2008. Le tribunal releva entre autres que la dépression dont le requérant souffrait n’était pas une pathologie psychiatrique mais un trouble de l’humeur dû à l’état de détention et n’atteignant pas un seuil de gravité de nature à justifier un ajournement de l’exécution de sa peine. f) Le premier pourvoi en cassation introduit par le requérant Le 19 janvier 2008, le requérant se pourvut en cassation. Il considéra notamment que le tribunal n’avait pas dûment considéré la gravité des pathologies dont il était affecté. Selon deux rapports médicaux déposés le 26 février et le 12 mars 2008 (l’un rédigé par un médecin désigné par le requérant, l’autre par un médecin du service sanitaire de l’établissement pénitentiaire), l’état de santé du requérant n’était pas compatible avec le régime de détention auquel il était soumis. Le 27 février 2008, le procureur général de la République près la Cour de cassation demanda au président de la Cour de cassation d’annuler l’ordonnance du tribunal et de renvoyer l’affaire à ce dernier. Par un arrêt déposé au greffe le 5 mai 2008, la Cour de cassation débouta le requérant. Elle estima que l’ordonnance du tribunal avait été dûment motivée et que le requérant avait omis d’exposer de manière détaillée, en se référant aux différentes pathologies en cause, sa contestation des conclusions du tribunal selon lesquelles ces dernières ne revêtaient pas de caractère de gravité. g) La décision du tribunal du 15 avril 2008 Par une décision déposée au greffe le 15 janvier 2008, le tribunal confirma la quatrième décision de rejet du juge, ainsi que deux autres décisions de rejet qui avaient été adoptées par le juge entre-temps, le 28 février et le 19 mars 2008. h) La décision du tribunal d’accorder au requérant la détention à domicile À la suite de deux autres décisions de rejet (du 12 mai et du 19 juin 2008) de demandes introduites par le requérant, par une ordonnance déposée au greffe le 24 juillet 2008, le tribunal autorisa la détention du requérant au domicile de sa sœur, situé à Naples, pour une période de six mois avec interdiction de tout contact avec des personnes autres que les membres de la famille du requérant et le personnel médical. Le tribunal prit en compte un rapport médical rédigé par un médecin de l’établissement pénitentiaire qui faisait état d’une dégradation de la santé du requérant, déjà précaire, notamment en ce qui concernait la perte pondérale (20 kilos au cours de la dernière année) et l’apparition d’une polypose multiple du côlon s’ajoutant aux pathologies déjà existantes. De l’avis du tribunal, le suivi et le traitement de ces pathologies en régime carcéral étaient incompatibles avec les principes humanitaires et avec le droit à la santé garanti par la Constitution. Le tribunal rejeta la demande d’ajournement de l’exécution de la peine, en relevant la dangerosité sociale de l’intéressé, le type de délit pour lequel il avait été condamné et le temps de détention que le requérant devait encore purger. i) Le deuxième pourvoi en cassation introduit par le requérant et le renvoi de l’affaire devant le tribunal Le 1er août 2008, le requérant se pourvut en cassation. Il contesta sa dangerosité sociale, compte tenu de son âge et de son état de santé. Il sollicita l’ajournement de l’exécution de sa peine pour une durée d’un an ainsi que la possibilité d’exécuter sa détention dans son propre domicile, où son épouse habitait. Par un arrêt déposé au greffe le 21 octobre 2008, la Cour de cassation annula l’ordonnance du tribunal déposée au greffe le 24 juillet 2008 et renvoya l’affaire devant celui-ci. La Cour estima notamment que le tribunal avait omis de spécifier les raisons pour lesquelles le requérant était considéré comme étant socialement dangereux. j) L’ordonnance du tribunal confirmant la décision de ne pas autoriser l’ajournement de l’exécution de la peine Par une ordonnance du 20 novembre 2008, le tribunal confirma sa décision déposée le 24 juillet 2008. Il nota que le requérant avait été condamné pour association mafieuse, infraction pour laquelle il existe une présomption absolue de dangerosité sociale. Le tribunal releva que la direction antimafia (direzione distrettuale antimafia – D.D.A. –, organe du parquet près le tribunal compétent dans les affaires concernant des délits de mafia) de Palerme avait estimé que la dangerosité sociale du requérant devait être considérée comme ayant un caractère permanent, le requérant ayant opéré pendant des années selon les modalités décrites par son arrêt de condamnation et ayant donc des liens avec l’association mafieuse en cause. k) Le troisième pourvoi en cassation introduit par le requérant et la décision de rejet de la Cour de cassation Le requérant se pourvut en cassation contre l’ordonnance du tribunal du 20 novembre 2008. Par un arrêt déposé au greffe le 23 décembre 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, estimant que l’ordonnance avait été dûment motivée. l) La remise en liberté du requérant Le 11 octobre 2012, le requérant ayant purgé sa peine, il fut remis en liberté. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Selon l’article 16 quater, alinéa 9, de la loi no 82/91 (introduit par l’article 14 de la loi 45/01), les déclarations faites par un repenti au procureur ou à la police judiciaire ne peuvent être utilisées comme preuves qu’à la condition que ces déclarations soient intervenues dans un délai de six mois à partir de la manifestation de la volonté de l’intéressé de collaborer avec la justice.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants MM. Çağlar Buldu, Barış Görmez, Ersin Ölgün et Nevzat Umdu sont nés respectivement en 1983, 1978, 1979 et 1972. Ils résident à Istanbul et à İzmir, à l’exception de M. Görmez qui était détenu à la prison militaire d’Isparta lors de l’introduction de la requête. Les requérants sont témoins de Jéhovah. Ils déclarent avoir étudié la Bible et refuser d’accomplir leur service militaire afin de se conformer aux paroles d’Isaïe selon lesquelles « on n’apprendra plus à faire la guerre » (Bible, Isaïe 2:4). Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit. A. En ce qui concerne M. Çağlar Buldu Les procédures pénales engagées contre le requérant Dès le 18 novembre 2004, le requérant fit savoir à plusieurs reprises aux autorités militaires qu’il refusait d’effectuer son service militaire en raison de ses convictions religieuses. Le 25 novembre 2004, il fut informé qu’il n’était pas possible d’obtenir une dispense quant à l’accomplissement de ce service obligatoire. Le 27 avril 2005, l’intéressé se rendit dans les locaux de la police de Çağlayan à la suite d’une convocation. Il fut ensuite conduit au bureau de recrutement militaire de Kağıthane où il refusa de signer les documents relatifs à son inscription sur la liste de recensement militaire. Il fut alors arrêté et placé en détention provisoire à la maison d’arrêt militaire de Maslak. Le lendemain, il fut amené à son régiment, à Kastamonu. Le 29 avril 2005, le requérant reçut une nouvelle fois l’ordre de signer les documents susmentionnés et de porter ses arme et uniforme, ce à quoi il se refusa. Le 2 mai 2005, il fut traduit devant un juge militaire à Ankara qui ordonna à nouveau sa détention provisoire (action no 1). Le 26 mai 2005, le tribunal militaire de la gendarmerie d’Ankara ordonna la mise en liberté provisoire de l’intéressé. Quatre jours plus tard, ce dernier fut ramené à son régiment, à Kastamonu. Le 31 mai 2005, le requérant refusa à nouveau de signer les documents relatifs au recensement. Le 1er juin 2005, il fut arrêté pour des faits de désobéissance – faits réprimés par l’article 87 § 1 du code pénal militaire (« le CPM ») – et placé en détention provisoire à la maison d’arrêt militaire de Mamak (action no 2). Le 4 juillet 2005, il fut mis en liberté provisoire. Le 7 juillet 2005, il fut amené à son régiment, à Kastamonu, où on lui ordonna à nouveau de signer les documents précités. Il refusa de les signer et demanda la possibilité d’effectuer un service civil de remplacement. Le 11 juillet 2005, il fut arrêté de nouveau pour des faits de désobéissance, ces faits étant également réprimés par l’article 87 § 1 du CPM (action no 3). Le 15 septembre 2005, il fut mis en liberté provisoire par le tribunal militaire du commandement général de la gendarmerie d’Ankara. Il fut amené à son régiment, à Kastamonu. Le 9 février 2006, le tribunal militaire du commandement général de la gendarmerie d’Ankara décida de joindre les trois actions diligentées à l’encontre du requérant pour désobéissance persistante (actions nos 1, 2 et 3). Le 2 mars 2006, une autre action fut diligentée à l’encontre du requérant et, le 20 novembre 2006, le tribunal militaire déclara ce dernier coupable de désobéissance persistante et il le condamna à une peine d’emprisonnement de cinq mois (action no 4). Le 29 mai 2007, la Cour de cassation militaire confirma ledit arrêt. Le 20 septembre 2007, le procureur général militaire rejeta la demande en rectification d’arrêt présentée par le requérant. Entre-temps, s’agissant des trois actions jointes (actions nos 1, 2 et 3), le 8 février 2007, le tribunal militaire du commandement général de la gendarmerie d’Ankara avait déclaré le requérant coupable de désobéissance persistante et l’avait condamné à une peine d’emprisonnement de sept mois et quinze jours. Le 26 mars 2007, le requérant s’était pourvu en cassation. Le dossier ne contient pas d’informations sur la suite donnée à ce pourvoi. En mars 2008, le requérant fut démobilisé. Par ailleurs, d’après les éléments du dossier, le 16 décembre 2009, le tribunal militaire du commandement général de la gendarmerie d’Ankara a déclaré le requérant coupable de désobéissance persistante pour les faits survenus les 29 avril, 31 mai et 7 juillet 2005, il l’a condamné au total à une peine d’emprisonnement de sept mois et quinze jours et il a décidé de surseoir au prononcé du jugement. Il est indiqué dans le dossier que le requérant s’est pourvu en cassation le 23 décembre 2009, mais aucune information n’y figure quant à la suite donnée à ce pourvoi. Il ressort également du dossier que plusieurs autres poursuites pénales ont été engagées contre le requérant et que celui-ci a été condamné par un tribunal militaire à différentes peines privatives de liberté pour plusieurs faits de désobéissance persistante. Selon le dossier, l’intéressé a été à maintes reprises placé en détention provisoire dans le cadre de ces poursuites et certaines des peines qui lui ont été infligées sont devenues définitives. En outre, d’après le dossier, le requérant a subi des examens médicaux afin de déterminer son aptitude au service militaire et, au terme de ces examens, il a été déclaré apte au service militaire. Les plaintes pénales déposées par le requérant et la procédure ultérieure Entre-temps, le 25 février 2006, le requérant avait déposé une plainte pour séquestration à l’encontre des responsables militaires au sujet de sa détention à la maison d’arrêt militaire de Mamak. Le même jour, l’avocat du requérant avait demandé l’élargissement de son client auprès du procureur de la République d’Afyon. Dans cette demande, il était également allégué que l’intéressé avait subi des traitements inhumains dans la prison militaire de Mamak. Aux dires du requérant, le 25 avril 2007, le commandement général d’Ankara avait rejeté sa plainte concernant les mauvais traitements allégués. Il ressort du dossier que, le 15 décembre 2012, le procureur militaire près le commandement des forces aériennes a rendu un non-lieu quant à la plainte pour séquestration susmentionnée. Toutefois, le dossier ne permet pas de déterminer si le requérant a ou non formé opposition à la décision de non-lieu. B. En ce qui concerne M. Barış Görmez Les procédures pénales engagées contre le requérant Dès le 16 février 2006, le requérant fit savoir à maintes reprises aux autorités militaires qu’il refusait d’effectuer son service militaire pour des raisons de conscience et il demanda la possibilité d’effectuer un service civil de remplacement. Le 19 avril 2007, l’intéressé fut informé qu’il était impossible d’obtenir une dispense de ce service obligatoire et qu’en raison de son refus il risquait d’être considéré comme déserteur à l’enrôlement (bakaya kaçağı). Le 22 octobre 2007, le requérant se rendit au bureau de recrutement militaire où il fut arrêté et amené au commandement de la gendarmerie d’Istanbul. Il fut placé en détention provisoire jusqu’au 3 novembre 2007 à la maison d’arrêt militaire de Maslak, située au sein dudit commandement. Le 4 novembre 2007, il fut amené à son régiment, à Antalya. Le lendemain, on lui ordonna de revêtir l’uniforme militaire mais il refusa de le faire. Il fut alors envoyé à Isparta où il fut traduit devant un juge militaire qui ordonna son placement en détention provisoire. Il fut ensuite amené à la prison militaire d’Isparta où, le 7 novembre 2007, il refusa également de participer au recensement des détenus. Le 21 novembre 2007, il fut accusé, sur le fondement de l’article 88 du CPM, de désobéissance persistante aux ordres commise avec l’intention d’user de ruse dans le but d’échapper au service militaire (hizmetten tamamen sıyrılmak kastıyla emre itaatsizlikte ısrar). Le 10 décembre 2007, le tribunal militaire compétent ordonna la mise en liberté provisoire du requérant. À la suite de sa libération, celui-ci retourna dans son unité militaire, à Antalya. Le 12 décembre 2007, on lui ordonna à nouveau de revêtir l’uniforme militaire, mais il refusa encore une fois. Deux jours plus tard, il fut transféré à Isparta où un juge militaire le remit en détention provisoire. En raison du refus persistant du requérant, des actions pénales furent diligentées à son encontre pour « désobéissance persistante » et « désobéissance aux ordres devant un groupe de militaires », infractions réprimées respectivement par les articles 87 § 1 et 88 du CPM. Le 16 janvier 2008, le tribunal militaire d’Isparta décida de joindre lesdites actions. Le 12 mars 2008, le tribunal militaire déclara le requérant coupable pour ses refus des 5 et 12 décembre 2007 et il le condamna à une peine d’emprisonnement de onze mois et vingt jours au total. Le 27 août 2008, la Cour de cassation militaire confirma ledit arrêt. Le 27 août 2009, le tribunal militaire déclara le requérant coupable pour des refus survenus les 14 mars et 11 avril 2009 et il le condamna à une peine d’emprisonnement de cinq mois et cinq jours. Le 8 octobre 2009, le requérant se pourvut en cassation. Le 19 novembre 2009, le tribunal militaire déclara le requérant coupable pour des refus survenus les 30 juin et 6 septembre 2008 et il le condamna à une peine d’emprisonnement de sept mois et quinze jours pour chaque accusation. Il ressort du dossier que, le 1er decembre 2009, le procureur général militaire a rejeté la demande de pourvoi formée le 8 octobre 2009 par l’intéressé. Par ailleurs, plusieurs poursuites pénales furent par la suite engagées contre le requérant et celui-ci fut condamné par un tribunal militaire à différentes peines privatives de liberté pour plusieurs faits de désobéissance persistante. L’intéressé fut à maintes reprises interné et placé en détention provisoire dans le cadre de ces poursuites, et certaines des peines qui lui avaient été infligées devinrent définitives. En outre, le requérant fut soumis à des examens médicaux afin de déterminer son aptitude au service militaire. Selon un rapport dressé le 24 août 2011, il a été déclaré apte par l’académie de médecine militaire de Gülhane. D’après les éléments du dossier, le requérant risque d’être condamné à nouveau à des peines privatives de liberté et il fait face à de nouvelles poursuites pour les mêmes chefs d’accusation. Les plaintes pénales déposées par le requérant et la procédure ultérieure Le 16 novembre 2007, le requérant déposa une plainte pour mauvais traitements auprès du parquet militaire de Hasdal à Istanbul. Dans sa plainte, il alléguait que, le 31 octobre 2007, alors qu’il était détenu à la maison d’arrêt militaire de Maslak, les responsables de sa détention l’avaient maltraité et menacé. Le 30 avril 2008, le procureur militaire de Hasdal à Istanbul rendit une decision d’incompétence. Le dossier ne contient pas suffisamment d’informations quant à la suite de cette plainte. C. En ce qui concerne M. Ersin Ölgün Dès le 15 mars 2005, le requérant fit savoir à plusieurs reprises aux autorités militaires qu’il refusait d’effectuer son service militaire en raison de ses convictions religieuses et il demanda la possibilité d’effectuer un service civil de remplacement. Le 7 décembre 2005, il se rendit au bureau de recrutement militaire de Konak où il fut informé qu’il était recherché pour insoumission. Deux actions publiques pour insoumission à l’appel d’incorporation (bakaya kalmak suçu) furent engagées à son encontre devant un tribunal pénal militaire, pour les périodes d’appel des mois de mars, juillet et décembre 2005, sur le fondement de l’article 63 § 1-A du CMP. Le 15 mai 2006, le requérant fut condamné à des peines privatives de liberté qui furent commuées en une seule amende de 2 000 livres turques. Le 3 juillet 2006, il se pourvut en cassation. Par ailleurs, à la suite de l’adoption de la loi no 5530 entrée en vigueur le 5 octobre 2006 et portant exclusion de la compétence des tribunaux militaires pour le jugement des civils, la Cour de cassation militaire transmit les dossiers concernant le requérant aux juridictions de l’ordre judiciaire le 7 novembre 2006. Le 9 juillet 2007, le requérant déposa son mémoire en défense devant le tribunal d’instance pénal d’İzmir. Le 7 décembre 2007, celui-ci condamna le requérant aux mêmes peines privatives de liberté (paragraphe 47 ci-dessus), qui furent ensuite commuées en une seule amende de 2 000 livres turques. L’intéressé se pourvut en cassation. Le dossier ne contient pas d’informations sur la suite donnée à ce pourvoi. Les 8 mai et 11 septembre 2008, ainsi que les 7 juillet et 4 novembre 2009, le tribunal d’instance pénal d’İzmir condamna le requérant à des peines privatives de liberté, qui furent ensuite commuées en des amendes ne dépassant pas 2 000 livres turques. En raison du montant de ces dernières – inférieur à 2 000 livres turques –, ces décisions n’étaient pas susceptibles d’un pourvoi en cassation. Le 1er février 2010, le tribunal d’instance pénal de Pendik condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de trois mois et dix jours et il décida de surseoir au prononcé du jugement. D’après les éléments du dossier, le requérant fait face à de nouvelles poursuites pénales en raison de son refus persistant d’effectuer son service militaire ; il risque donc d’être condamné à de nouvelles peines privatives de liberté pour insoumission à l’appel d’incorporation, en ce qui concerne les périodes d’appel à venir. D. En ce qui concerne M. Nevzat Umdu Dès le 27 novembre 2004, le requérant fit savoir à plusieurs reprises aux autorités militaires qu’il refusait d’effectuer son service militaire en raison de ses convictions religieuses et il demanda la possibilité d’effectuer un service civil de remplacement. Il fut informé qu’il n’était pas possible d’obtenir une dispense quant à l’accomplissement de ce service obligatoire. Dès le 24 janvier 2005, des poursuites pénales en série furent engagées à son encontre devant un tribunal pénal militaire pour insoumission à l’appel d’incorporation lors de différentes périodes d’appel, sur le fondement de l’article 63 § 1-A du CPM. Le 9 mai 2005, le requérant fut condamné à une peine d’emprisonnement de deux mois et quinze jours, qui fut commuée en une amende de 1 113 livres turques. À la suite de l’adoption de la loi no 5530 entrée en vigueur le 5 octobre 2006 et portant exclusion de la compétence des tribunaux militaires pour le jugement des civils, les actions diligentées à l’encontre du requérant furent transférées aux juridictions de l’ordre judiciaire. Le 1er novembre 2006, le tribunal militaire de Gaziantep rendit une décision d’incompétence en faveur du tribunal d’instance pénal de Hatay. À la suite d’une commission rogatoire, le requérant déposa son mémoire en défense le 12 novembre 2007. Le tribunal d’instance pénal de Hatay, le 11 juin 2008, condamna le requérant à une amende non susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation ; par conséquent ce jugement devint définitif. Le 4 juillet 2008, un ordre de paiement de l’amende fut notifié à l’intéressé. Entre-temps, le requérant avait subi des examens médicaux afin de déterminer son aptitude au service militaire. Le 24 octobre 2008, l’intéressé fut déclaré inapte au service militaire par l’hôpital militaire de Haydarpaşa pour cause d’obésité. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans l’arrêt Ülke c. Turquie (no 39437/98, §§ 42-47, 24 janvier 2006).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1961 ; il purge actuellement une peine d’emprisonnement à la prison d’État de Lepoglava. A. La première procédure pénale dirigée contre le requérant (no K4/97) Le 19 décembre 1991, les services de police d’Osijek saisirent le tribunal de comté d’Osijek d’une plainte pénale dirigée contre le requérant et cinq autres personnes ; ils alléguaient que le requérant, membre de l’armée croate, avait tué plusieurs civils. Le 20 avril 1993, le procureur militaire d’Osijek inculpa le requérant devant le tribunal de comté d’Osijek de plusieurs chefs de meurtre, de coups et blessures graves, de mise en danger de la vie et des biens d’autrui, et de vol. Les passages pertinents de l’acte d’accusation se lisent ainsi : « Le premier accusé, Fred Marguš, Le 20 novembre 1991 vers 7 heures, à Čepin, (...) a tiré à quatre reprises avec une arme automatique sur S.B. (...), causant ainsi la mort de celui-ci ; (...) Au même moment et au même endroit que ceux indiqués au point 1 ci-dessus (...) a tiré à plusieurs reprises avec une arme automatique sur V.B. (...), causant ainsi la mort de celuici ; (...) Le 10 décembre 1991, a emmené N.V. dans la forêt de « Vrbik » entre Čepin et Ivanovac (...) et a tiré à deux reprises avec une arme automatique sur N.V. (...), causant ainsi la mort de celui-ci ; (...) Au même endroit et au même moment que ceux indiqués au point 3 ci-dessus, a tiré avec une arme automatique sur Ne.V. (...), causant ainsi la mort de celle-ci ; (...) Le 28 août 1991 vers 3 heures, a lancé un engin explosif dans des locaux commerciaux à Čepinski Martinovec (...), causant ainsi des dégâts matériels ; (...) Le 18 novembre 1991 à 0 h 35, à Čepin, a placé un engin explosif à l’intérieur d’une maison (...) causant ainsi des dégâts matériels (...) ; (...) Le 1er août 1991 à 15 h 30, à Čepin, (...) a tiré sur R.C., le blessant légèrement, puis (...) a frappé V.Ž. à coups de pied (...), le blessant grièvement (...) et a infligé le même traitement à R.C. (...), lui causant d’autres blessures légères (...) ; (...) Entre le 26 septembre et le 5 octobre 1991, à Čepin, (...) a volé des armes et des balles (...) ; (...) » Le requérant fut également inculpé du vol de plusieurs tracteurs et d’autres machines appartenant à autrui. Le 25 janvier 1996, le procureur militaire adjoint d’Osijek abandonna les charges énumérées aux points 3, 4, 6, 7 et 9 de l’acte d’accusation, ainsi que les accusations de vol de biens d’autrui. Il inculpa le requérant d’un nouveau chef de coups et blessures graves pour avoir tiré sur un enfant, Sl.B., le 20 novembre 1991 vers 7 heures à Čepin. L’ancien point 8 de l’acte d’accusation en devint donc le point 4. Le 24 septembre 1996 fut promulguée la loi d’amnistie générale, qui disposait qu’une amnistie générale devait s’appliquer à toutes les infractions pénales commises en rapport avec la guerre en Croatie entre le 17 août 1990 et le 23 août 1996, sauf pour les actes constitutifs de violations très graves du droit humanitaire ou de crimes de guerre, notamment du crime de génocide (paragraphe 27 ci-dessous). Le 24 juin 1997, un collège du tribunal de comté d’Osijek présidé par le juge M.K. décida de mettre fin à la procédure contre le requérant en application de la loi d’amnistie générale. Les passages pertinents de cette décision se lisent ainsi : « Le tribunal de comté d’Osijek (...) décide ce jour, 24 juin 1997, qu’il convient de mettre fin, en application de l’article 1 §§ 1 et 3 et de l’article 2 § 2 de la loi d’amnistie générale, à la procédure pénale engagée le 10 février 1997 (...) par l’acte d’accusation du parquet près le tribunal de comté d’Osijek contre l’accusé Fred Marguš pour deux chefs de meurtre (...), pour coups et blessures graves (...) et pour mise en danger de la vie et des biens d’autrui (...) (...) Exposé des motifs Dans son acte d’accusation no Kt-1/93 du 20 avril 1993, le parquet militaire d’Osijek a inculpé Fred Marguš de trois chefs de meurtre aggravé en vertu de l’article 35 § 1 du code pénal, d’un chef de meurtre aggravé en vertu de l’article 35 § 2, alinéa 2, du code pénal, de deux chefs de mise en danger de la vie et des biens d’autrui (...) en vertu de l’article 153 § 1 du code pénal, d’un chef de coups et blessures graves en vertu de l’article 41 § 1 du code pénal, d’un chef de vol d’armes et d’autres équipements de combat en vertu de l’article 223 §§ 1 et 2 du code pénal, et d’un chef de vol aggravé en vertu de l’article 131 § 2 du code pénal (...) L’acte d’accusation ci-dessus a été modifié de façon substantielle à l’audience tenue devant le tribunal militaire d’Osijek le 25 janvier 1996, au cours de laquelle le procureur militaire adjoint a retiré certains chefs d’accusation et a modifié la description factuelle et juridique ainsi que la qualification juridique de certaines infractions. Ainsi, l’accusé Fred Marguš s’est trouvé inculpé de deux chefs de meurtre en vertu de l’article 34 § 1 du code pénal, d’un chef de coups et blessures graves en vertu de l’article 41 § 1 du code pénal et d’un chef de mise en danger de la vie et des biens d’autrui (...) en vertu de l’article 146 § 1 du code pénal (...) Après l’abolition des tribunaux militaires, le dossier de l’affaire a été transmis au parquet près le tribunal de comté d’Osijek, qui a repris les poursuites pour les mêmes charges et a demandé que l’instance continue devant le tribunal de comté d’Osijek. Celui-ci a transmis le dossier à un collège de trois juges dans le cadre de l’application de la loi d’amnistie générale. Après examen du dossier, le collège conclut que les conditions prévues à l’article 1 §§ 1 et 3 et à l’article 2 § 2 de la loi d’amnistie générale sont remplies, et que l’accusé n’est pas exclu du bénéfice de l’amnistie. La loi susmentionnée prévoit une amnistie générale pour les infractions pénales commises pendant l’agression, la rébellion armée ou les conflits armés (...) en République de Croatie. Cette amnistie générale concerne les infractions pénales commises entre le 17 août 1990 et le 23 août 1996. Seuls sont exclus du bénéfice de l’amnistie générale les auteurs des violations les plus graves du droit humanitaire constitutives de crimes de guerre et les auteurs de certaines infractions pénales énumérées à l’article 3 de la loi d’amnistie générale. Sont aussi exclus les auteurs d’autres infractions pénales visées par le code pénal (...) qui n’ont pas été commises pendant l’agression, la rébellion armée ou les conflits armés en Croatie et qui ne présentent pas de lien avec ces événements. L’accusé, Fred Marguš, est inculpé de trois infractions pénales commises à Čepin le 20 novembre 1991 et d’une infraction pénale commise à Čepin le 1er août 1991. Les trois premières infractions concernent la période la plus difficile, celle des attaques les plus dures contre Osijek et l’est de la Croatie, immédiatement après la chute de Vukovar, et des combats les plus rudes pour la prise de Laslovo. Au cours de ces combats, l’accusé s’est distingué par son courage exceptionnel, et il a été recommandé pour une promotion au grade de lieutenant par son supérieur de l’époque, le commandant du troisième bataillon de la 106e brigade de l’armée croate. Au cours de la période critique concernant les trois premières infractions, l’accusé agissait en tant que membre de l’armée croate ; dans cette période particulièrement difficile, il a tenté, en sa qualité de commandant d’une unité, d’empêcher qu’un village directement menacé ne tombe aux mains de l’ennemi. La quatrième infraction a été commise le 1er août 1991, alors que l’accusé, réserviste en service à Čepin, portait une tenue militaire de camouflage et était équipé d’armes de guerre. (...) Eu égard au moment et au lieu où sont survenus les événements en cause, les actes de l’accusé présentaient un lien étroit avec l’agression, la rébellion armée et les conflits armés en Croatie, et ils ont été commis pendant la période visée par la loi d’amnistie générale. (...) Dans ces conditions, le tribunal estime que toutes les conditions légales pour l’application de la loi d’amnistie générale sont remplies (...) » À une date non précisée, le procureur général saisit la Cour suprême d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi (zahtjev za zaštitu zakonitosti), la priant d’établir qu’il y avait eu violation de l’article 3 § 2 de la loi d’amnistie générale. La haute juridiction statua sur le pourvoi le 19 septembre 2007. Elle conclut que la décision prise par le tribunal de comté d’Osijek le 24 juin 1997 emportait violation de l’article 3 § 2 de la loi d’amnistie générale. Les passages pertinents de l’arrêt se lisent ainsi : « (...) L’article 1 § 1 de la loi d’amnistie générale prévoit que les auteurs d’infractions pénales qui présentent un lien avec l’agression, la rébellion armée ou les conflits armés (...) en Croatie bénéficient d’une amnistie générale quant aux poursuites pénales et aux procédures pénales dirigées contre eux. Aux termes du troisième paragraphe du même article, l’amnistie concerne les infractions pénales commises entre le 17 août 1990 et le 23 août 1996. (...) Si on les interprète correctement, ces dispositions exigent, outre la condition générale selon laquelle l’infraction pénale en question doit avoir été commise dans la période comprise entre le 17 août 1990 et le 23 août 1996 (qui est remplie en l’espèce), un lien direct et significatif entre l’infraction, d’une part, et l’agression, la rébellion armée ou les conflits armés, d’autre part. Cette interprétation est conforme au principe général selon lequel quiconque commet une infraction pénale doit répondre de ses actes. Dès lors, les dispositions ci-dessus doivent être interprétées de manière raisonnable et avec la prudence nécessaire, de sorte que l’amnistie n’en vienne pas à se contredire elle-même et à remettre en question le but même pour lequel la loi en cause a été édictée. Dès lors, il convient d’interpréter l’expression « qui présentent un lien avec l’agression, la rébellion armée ou les conflits armés » figurant dans la loi d’amnistie générale, laquelle ne définit pas spécifiquement la nature de ce lien, comme voulant dire que ce lien doit être direct et significatif. (...) Une partie de la description factuelle des infractions pénales reprochées à l’accusé Fred Marguš (...), qui semble indiquer un certain lien avec l’agression contre la République de Croatie ou la rébellion armée et les conflits armés en Croatie, a trait à l’arrivée des victimes de ces infractions (S.B., V.B. et le mineur Sl.B.) à Čepin, en compagnie de leurs voisins, après leur fuite du village d’Ivanovac à la suite de l’attaque par « l’A[rmée du] P[euple] y[ougoslave] ». Il convient de souligner que l’appartenance de l’accusé Fred Marguš à l’armée croate n’est pas contestée. Toutefois, ces circonstances ne sont pas de nature à constituer le lien direct avec l’agression, la rébellion armée ou les conflits armés en Croatie requis pour l’application de la loi d’amnistie générale. D’après la description factuelle des infractions pénales exposée au point 4 de l’acte d’accusation, l’accusé a commis ces actes en tant que membre des forces de réserve basées à Čepin, après la fin de son service. Cette circonstance n’établit pas à elle seule un lien significatif entre les infractions et la guerre car, si tel était le cas, l’amnistie s’étendrait à toutes les infractions pénales commises entre le 27 août 1990 et le 23 août 1996 par des membres de l’armée croate ou par des unités ennemies (à l’exception des infractions spécifiquement énumérées à l’article 3 § 1 de la loi d’amnistie générale) ; or telle n’était certainement pas l’intention du législateur. Enfin, les faits de guerre de l’accusé, décrits en détail dans la décision litigieuse, ne sauraient constituer un critère d’application de la loi d’amnistie générale (...) Il ne ressort pas de la description factuelle des infractions pénales énumérées dans l’acte d’accusation (...) que les actes en question ont été commis pendant l’agression, la rébellion armée ou les conflits armés en Croatie, ou qu’ils présentent un lien avec ces événements. (...) » B. La seconde procédure pénale dirigée contre le requérant (no K33/06) Le 26 avril 2006, le parquet près le tribunal de comté d’Osijek inculpa le requérant de plusieurs chefs de crimes de guerre contre la population civile. La procédure fut menée par un collège de trois juges du tribunal de comté d’Osijek, qui comprenait le juge M.K. Le requérant fut représenté par un avocat pendant toute la procédure. Une audience de clôture se tint le 19 mars 2007 en présence, notamment, du requérant et de son avocat. Le requérant fut expulsé de la salle d’audience pendant les conclusions finales des parties. Son avocat resta dans la salle d’audience et présenta ses conclusions finales. Le passage pertinent du procès-verbal de l’audience se lit ainsi : « Le président du collège note que l’accusé Fred Marguš a interrompu le procureur adjoint près le tribunal de comté d’Osijek (« le procureur adjoint ») alors que celui-ci présentait ses conclusions finales et qu’il a été sommé par le collège de se calmer ; lorsqu’il a interrompu le procureur adjoint pour la deuxième fois, l’intéressé a reçu un avertissement oral. Après que le président du collège l’eut averti oralement, l’accusé Fred Marguš a continué à commenter les conclusions finales du procureur adjoint. En conséquence, sur décision du collège et sur ordre du président, l’accusé Fred Marguš a été expulsé de la salle d’audience jusqu’au prononcé du jugement. (...) » Après l’expulsion du requérant de la salle d’audience, le procureur adjoint, les avocats des victimes, les avocats de la défense et l’un des accusés présentèrent leurs conclusions finales. Le prononcé du jugement fut fixé au 21 mars 2007, après quoi l’audience fut levée. Le requérant était présent au prononcé du jugement. Il fut déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné à une peine de quatorze ans d’emprisonnement. La partie pertinente du jugement se lit ainsi : « (...) L’accusé Fred Marguš (...) et l’accusé T.D. (...) sont coupables [en ce que] dans la période comprise entre le 20 et le 25 novembre 1991, à Čepin et aux alentours, en violation de l’article 3 § 1 de la Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre ainsi que des articles 4 §§ 1 et 2 a) et 13 du Protocole additionnel du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), alors qu’ils défendaient ce territoire contre les attaques armées des rebelles serbes locaux et de « l’Armée du Peuple yougoslave » dans le cadre de l’agression menée conjointement par ceux-ci contre l’ordre juridique constitutionnel et l’intégrité territoriale de la République de Croatie, Fred Marguš, en sa qualité de commandant de l’unité 2 du 3e corps de la 130e brigade de l’armée croate, et l’accusé T.D., membre de l’unité commandée par Fred Marguš [commirent les actes suivants] dans l’intention de tuer des civils serbes ; l’accusé Fred Marguš a) le 20 novembre 1991 vers 8 heures, à Čepin, reconnut V.B. et S.B. qui se tenaient (...) devant la caserne des pompiers d’Ivanovac, après avoir fui leur village en raison des attaques de l’Armée du Peuple yougoslave, (...) tira sur eux avec une arme automatique (...) et toucha S.B. à la tête (...) et au cou, tuant celui-ci sur le coup, tandis que V.B., blessé, tombait à terre. L’accusé partit alors en voiture mais revint peu de temps après. Voyant que V.B. était toujours en vie, avec à ses côtés son fils de neuf ans, Sl.B. (...) et sa femme M.B., tira de nouveau sur eux à l’arme automatique, atteignant V.B. par deux fois à la tête (...) et par deux fois au bras (...), entraînant ainsi la mort de celui-ci peu de temps après, tandis que Sl.B. était touché d’une balle à la jambe (...), l’infraction de coups et blessures graves étant ainsi constituée ; b) dans la période allant du 22 au 24 novembre 1991, à Čepin, arrêta N.V. et Ne.V. et, sous la menace d’armes à feu, s’appropria leur véhicule de type Golf (...) les emmena dans le sous-sol d’une maison (...) où il les ligota avec des cordes sur des chaises et les laissa enfermés sans eau ni nourriture puis, avec les membres de son unité (...) les battit et les insulta, les interrogea sur leurs activités prétendument hostiles et sur la possession d’un poste de radio, tout en empêchant les autres membres de l’unité de les aider (...) après quoi il les emmena hors de Čepin dans une forêt (...) où il tira plusieurs balles sur eux (...), causant ainsi la mort de N.V. et (...) de Ne.V. ; c) le 23 novembre 1991 vers 13 h 30, à la station d’autobus de Čepin, arrêta S.G. et D.G. ainsi que leur parent Lj. G., et les conduisit en voiture jusqu’à une maison (...) leur attacha les mains dans le dos et, avec T.B. (mort depuis), les interrogea sur leurs activités prétendument hostiles et, le soir venu, alors qu’ils étaient toujours entravés, les conduisit en voiture hors de Čepin (...) où il tira des coups de feu sur eux (...), causant ainsi leur mort ; les accusés Fred Marguš et T.D., [agissant] de [concert] d) le 25 novembre 1991 vers 13 heures, à Čepin, voyant S.P. au volant de sa Golf (...) l’arrêtèrent à la demande de Fred Marguš (...), le conduisirent en voiture dans un champ (...) où (...) Fred Marguš ordonna à T.D. d’abattre S.P., [ordre] auquel T.D. obéit en tirant une fois sur S.P. (...), après quoi Fred Marguš tira sur celui-ci à plusieurs reprises avec une arme automatique (...), causant ainsi le décès de S.P. (...) dont il s’appropria ensuite le véhicule. (...) » Le 19 septembre 2007, la Cour suprême confirma la condamnation du requérant et alourdit sa peine, la portant à quinze ans d’emprisonnement. Les passages pertinents de l’arrêt de la haute juridiction sont ainsi libellés : « En vertu de l’article 36 § 1, alinéa 5, du code de procédure pénale (CPP) un juge se déporte si, dans le cadre de la même affaire, il a participé à l’adoption d’une décision d’une juridiction inférieure ou s’il a participé à l’adoption de la décision attaquée. Certes, le juge M.K. a pris part à la procédure dans le cadre de laquelle le jugement litigieux a été adopté. Il présidait le collège du tribunal de comté d’Osijek qui a adopté la décision (...) du 24 juin 1997 mettant fin à la procédure contre l’accusé Fred Marguš en vertu de l’article 1 §§ 1 et 3 et de l’article 2 § 2 de la loi d’amnistie générale (...) Même si les deux procédures ont été engagées contre le même accusé, il ne s’agissait pas de la même affaire. Le juge en question a participé à deux affaires différentes dont le tribunal de comté d’Osijek a été saisi contre le même accusé. Dans l’affaire qui a donné lieu au présent appel, le juge M.K. n’a pas participé à l’adoption d’une décision d’une juridiction inférieure ou d’une décision faisant l’objet d’un appel ou d’un recours extraordinaire. (...) C’est à tort que l’accusé soutient que, en tenant l’audience de clôture en son absence et en l’absence de son avocat après l’avoir expulsé de la salle d’audience pendant les conclusions finales des parties, le tribunal de première instance a méconnu l’article 346 § 4 et l’article 347 §§ 1 et 4 du CPP. L’accusé dit avoir été ainsi empêché de formuler ses conclusions finales. Il ajoute qu’il n’a pas été renseigné sur la conduite de l’audience en son absence et que la décision de le renvoyer de la salle d’audience n’a pas été adoptée par le collège chargé de l’affaire. Contrairement aux allégations de l’accusé, il ressort du procès-verbal de l’audience tenue le 19 mars 2007 que l’accusé Fred Marguš a interrompu le procureur adjoint près le tribunal de comté [d’Osijek] alors que celui-ci présentait ses conclusions finales, et il a été averti à deux reprises par le président du collège. L’accusé ayant persisté dans son comportement, le collège a décidé de le renvoyer de la salle d’audience (...) Pareille mesure du tribunal de première instance est conforme à l’article 300 § 2 du CPP. L’accusé Fred Marguš a commencé à perturber le déroulement de l’audience alors que le procureur [adjoint près le tribunal de comté d’Osijek] présentait ses conclusions finales et a persisté dans son comportement, à la suite de quoi il a été expulsé de la salle d’audience par une décision du collège. Il était présent dans la salle d’audience lorsque le jugement a été prononcé le 21 mars 2007. Étant donné que le tribunal de première instance s’est pleinement conformé à l’article 300 § 2 du CPP, l’appel de l’accusé est dénué de fondement. En l’espèce, il n’y a pas eu violation des droits de la défense et l’expulsion de l’accusé de la salle d’audience pendant les conclusions finales des parties n’a eu aucune incidence sur le jugement. (...) L’accusé Fred Marguš soutient en outre (...) que le jugement attaqué a violé le principe « non bis in idem » (...) dans la mesure où il aurait déjà été mis un terme à la procédure quant à certaines des accusations ayant donné lieu à ce jugement (...) (...) Une procédure pénale a certes été menée devant le tribunal de comté d’Osijek, sous le numéro K-4/97, contre l’accusé Fred Marguš concernant, notamment, quatre chefs (...) de meurtre (...) sur les personnes de S.B., V.B., N.V. et Ne.V., ainsi que l’infraction (...) de mise en danger de la vie et des biens d’autrui (...) Le tribunal de comté d’Osijek a mis fin à cette procédure par la décision définitive no Kv-99/97 (K4/97) du 24 juin 1997 sur la base de la loi d’amnistie générale (...) Bien que les conséquences des infractions qui faisaient l’objet de la procédure menée devant le tribunal de comté d’Osijek sous le numéro K-4/97, à savoir les homicides sur les personnes de S.B., V.B., N.V. et Ne.V., ainsi que les coups et blessures graves infligés à Sl.B., fassent également partie du contexte factuel [des infractions examinées] dans le cadre de la procédure à l’issue de laquelle le jugement contesté a été adopté, les infractions [examinées dans les deux procédures pénales en cause] ne sont pas les mêmes. La comparaison entre les contextes factuels [des infractions pénales examinées] dans le cadre des deux procédures montre que ces infractions ne sont pas identiques. Le contexte factuel [des infractions en question] dans le jugement attaqué comporte un élément criminel supplémentaire et est d’une portée beaucoup plus large que celui qui est à l’origine de la procédure menée devant le tribunal de comté d’Osijek sous le numéro K-4/97. [Dans la présente affaire], il est reproché à l’accusé Fred Marguš d’avoir violé les règles de la Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et du Protocole additionnel du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), en ce que, dans la période comprise entre le 20 et le 25 novembre 1991, alors qu’il défendait un territoire contre les attaques armées des rebelles serbes locaux et de « l’Armée du Peuple yougoslave » dans le cadre de l’agression menée conjointement par ceux-ci contre l’ordre juridique constitutionnel et l’intégrité territoriale de la République de Croatie, il a, en violation des règles du droit international, tué et torturé des civils, les a traités de manière inhumaine, les a arrêtés illégalement, a ordonné le meurtre d’un civil et a volé des biens appartenant à des civils. Les actes décrits ci-dessus sont constitutifs d’infractions contraires aux valeurs protégées par le droit international, et plus précisément de crimes de guerre contre la population civile au sens de l’article 120 § 1 du code pénal. Étant donné que le contexte factuel et la qualification juridique des infractions en cause diffèrent de ceux des infractions qui faisaient l’objet de la procédure antérieure, de sorte que la portée des charges pesant sur l’accusé Fred Marguš est différente et notablement plus large que dans l’affaire précédente (dossier no K4/97), l’autorité de la chose jugée ne peut pas être invoquée (...) » Le requérant présenta ultérieurement un recours constitutionnel, que la Cour constitutionnelle rejeta le 30 septembre 2009 en souscrivant au raisonnement de la Cour suprême. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit pertinent La disposition pertinente de la Constitution croate (Ustav Republike Hrvatske, Journal officiel nos 41/2001 et 55/2001) est ainsi libellée : Article 31 « (...) Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi. Les circonstances et les motifs pouvant justifier la réouverture d’une procédure au titre du paragraphe 2 du présent article ne peuvent être définis que par la loi, conformément à la Constitution ou à un accord international. (...) » Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (Zakon o kaznenom postupku, Journal officiel nos 110/1997, 27/1998, 58/1999, 112/1999, 58/2002, 62/2003, 178/2004 et 115/2006) sont les suivantes : Article 300 « 1. Lorsque l’accusé (...) perturbe le bon déroulement d’une audience ou ne se conforme pas aux ordres du président du tribunal, celui-ci avertit l’accusé (...) Le collège peut ordonner que l’accusé soit expulsé de la salle d’audience (...) Le collège peut ordonner que l’accusé soit expulsé de la salle d’audience pour un temps limité. Si l’accusé perturbe derechef le déroulement des débats, [il peut être expulsé de la salle d’audience] jusqu’à la fin de la présentation des moyens de preuve. Le président convoque alors l’accusé avant la clôture de cette présentation et le renseigne sur la conduite de l’instance. Si l’accusé continue de perturber le déroulement de l’audience et se rend coupable d’outrage au tribunal, le collège peut de nouveau ordonner son expulsion de la salle d’audience. Dans ce cas, le procès se conclut en l’absence de l’accusé, et le président ou un autre membre du collège lui donne, en présence d’une dactylographe, des informations sur la teneur du jugement adopté. (...) » Article 350 (ancien article 336) « 1. Le jugement ne peut se rapporter qu’à l’accusé et à l’infraction visés dans l’acte d’accusation tel qu’initialement soumis à l’audience ou tel que modifié lors de celle-ci. Le tribunal n’est pas tenu par la qualification juridique donnée aux faits par le procureur. » Types de jugements Article 352 « 1. Un jugement conclut au rejet des chefs d’accusation, à l’acquittement de l’accusé ou à la culpabilité de celui-ci. (...) » Article 354 « Un jugement d’acquittement est adopté dans les cas suivants : lorsque les faits reprochés à l’accusé ne sont pas érigés en infraction pénale par la loi ; lorsque certaines circonstances excluent la culpabilité de l’accusé ; lorsqu’il n’est pas démontré que l’accusé a commis l’infraction pénale qui lui est reprochée. » Article 355 «1. Un jugement concluant à la culpabilité de l’accusé doit mentionner les éléments suivants : l’infraction dont l’accusé est reconnu coupable, ainsi que les faits et les circonstances qui forment les éléments constitutifs de cette infraction et ceux qui fondent l’application d’une disposition particulière du code pénal ; la dénomination et la description légales de l’infraction pénale, ainsi que les dispositions du code pénal qui ont été appliquées ; la peine à infliger, ou les dispositions du code pénal en vertu desquelles l’application d’une peine est exclue ou en vertu desquelles la peine d’emprisonnement doit être commuée en travaux d’intérêt général ; la décision éventuelle d’assortir la peine d’un sursis ; la décision éventuelle d’adopter des mesures de sûreté ou de confisquer des gains matériels ; la décision relative aux frais et dépens ainsi qu’à toute action civile éventuelle, ainsi que la décision éventuelle de publier le jugement définitif dans les médias ; (...) » Article 367 « 1. Un vice grave de la procédure pénale est constaté lorsque (...) une audience s’est tenue en l’absence d’une personne dont la présence est obligatoire en vertu de la loi (...) (...) » Réouverture de la procédure Article 401 « Une procédure pénale qui s’est terminée par une décision définitive ou un jugement définitif ne peut être rouverte à la demande d’une personne habilitée que dans les circonstances et selon les conditions définies dans le présent code. » Article 406 « 1. Une procédure pénale qui s’est terminée par un jugement définitif rejetant les chefs d’accusation peut exceptionnellement être rouverte au détriment de l’accusé : (...) lorsqu’il est établi que l’amnistie, la grâce, la prescription ou d’autres circonstances excluant les poursuites pénales ne s’appliquent pas à l’infraction pénale visée dans le jugement rejetant les chefs d’accusation. (...) » Article 408 « 1. Le tribunal compétent pour statuer sur une demande de réouverture d’une procédure est celui qui a connu de l’affaire en première instance (...) La demande de réouverture doit indiquer la base légale et les éléments de preuve sur lesquels elle s’appuie (...) (...) » Pourvoi dans l’intérêt de la loi Article 418 « 1. Le procureur général peut présenter un pourvoi dans l’intérêt de la loi contre une décision judiciaire définitive et la procédure judiciaire à l’issue de laquelle pareille décision a été prise lorsque celles-ci ont emporté violation d’une loi. Le procureur général doit présenter un pourvoi dans l’intérêt de la loi contre toute décision judiciaire adoptée à l’issue d’une procédure qui a emporté violation de certains des droits et libertés fondamentaux de l’homme garantis par la Constitution, la loi ou le droit international. (...) » Article 419 « 1. La Cour suprême de la République de Croatie est la juridiction compétente pour statuer sur les pourvois dans l’intérêt de la loi. (...) » Article 420 « 1. Lorsqu’elle se prononce sur un pourvoi dans l’intérêt de la loi, la Cour [suprême] examine seulement les violations de la loi dénoncées par le procureur général. (...) » Article 422 « 2. Lorsqu’un pourvoi dans l’intérêt de la loi est présenté au détriment de l’accusé et que la Cour [suprême] le juge bien fondé, elle se borne à établir l’existence d’une violation de la loi sans modifier la décision définitive. » En application du code pénal (Kazeni zakon, Journal officiel nos 53/1991, 39/1992 et 91/1992), la culpabilité d’une personne est exclue dans les circonstances suivantes : irresponsabilité (neubrojivost), erreur de droit ou erreur de fait. Les passages pertinents de la loi d’amnistie générale du 24 septembre 1996 (Zakon o općem oprostu, Journal officiel no 80/1996) se lisent ainsi : Article 1 « Au titre de la présente loi, les auteurs d’infractions pénales qui ont été commises pendant l’agression, la rébellion armée ou les conflits armés en République de Croatie ou qui présentent un lien avec ces événements bénéficient d’une amnistie générale qui s’étend à toutes poursuites ou procédures pénales dirigées contre eux. Aucune amnistie n’est accordée au stade de l’exécution de jugements définitifs concernant les auteurs d’infractions pénales visées au premier paragraphe du présent article. L’amnistie s’étend à toutes poursuites et procédures pénales relatives aux infractions commises entre le 17 août 1990 et le 23 août 1996. » Article 2 « Aucune poursuite ou procédure pénale n’est instituée contre les auteurs des infractions pénales visées à l’article 1 de la présente loi. Les poursuites pénales déjà ouvertes sont abandonnées et toute procédure pénale déjà engagée est clôturée d’office par décision d’un tribunal. Tout détenu amnistié au titre du premier paragraphe du présent article est libéré. » Article 3 « Aucune amnistie n’est accordée au titre de l’article 1 de la présente loi aux auteurs des violations les plus graves du droit humanitaire qui constituent des crimes de guerre, à savoir : le crime de génocide au sens de l’article 119 du code pénal fondamental de la République de Croatie (Journal officiel no 31/1993, texte consolidé, nos 35/1993, 108/1995, 16/1996 et 28/1996) ; les crimes de guerre contre la population civile au sens de l’article 120 du même code ; les crimes de guerre contre des blessés ou des malades au sens de l’article 121 ; les crimes de guerre contre des prisonniers de guerre au sens de l’article 122 ; l’organisation de groupements [aux fins de commettre] ou d’aider à commettre un génocide ou des crimes de guerre au sens de l’article 123 ; l’infliction illicite de la mort ou de blessures à l’ennemi au sens de l’article 124 ; l’appropriation illicite de biens appartenant à des morts ou blessés sur le champ de bataille au sens de l’article 125 ; l’utilisation d’équipements de combat illicites au sens de l’article 126 ; les infractions commises contre des négociateurs au sens de l’article 127 ; le traitement cruel de blessés, de malades ou de prisonniers de guerre au sens de l’article 128 ; les retards injustifiés dans le rapatriement de prisonniers de guerre au sens de l’article 129 ; la destruction du patrimoine culturel et historique au sens de l’article 130 ; l’incitation à la guerre d’agression au sens de l’article 131 ; l’utilisation indue de symboles internationaux au sens de l’article 132 ; la discrimination raciale ou autre au sens de l’article 133 ; la réduction en esclavage et le transport d’esclaves au sens de l’article 134 ; le terrorisme international au sens de l’article 135 ; la mise en danger de personnes sous protection internationale au sens de l’article 136 ; la prise d’otages au sens de l’article 137 ; et l’infraction pénale de terrorisme au sens des dispositions du droit international. Aucune amnistie n’est accordée aux auteurs d’autres infractions pénales prévues par le code pénal fondamental (Journal officiel no 31/1993, texte consolidé, nos 35/1993, 108/1995, 16/1996 et 28/1996) et par le code pénal (Journal officiel no 32/1993, texte consolidé, nos 38/1993, 28/1996 et 30/1996) de la République de Croatie qui n’ont pas été commises pendant l’agression, la rébellion armée ou les conflits armés en République de Croatie et ne présentent pas de lien avec ces événements. (...) » Article 4 « Lorsqu’un tribunal a, sur le fondement de l’article 2 de la présente loi, accordé une amnistie à l’auteur d’une infraction pénale couverte par la présente loi sur la base de la qualification juridique retenue par le procureur général, celui-ci ne peut interjeter appel de la décision. » B. La pratique pertinente La pratique de la Cour constitutionnelle Dans sa décision no U-III/543/1999 du 26 novembre 2008, la Cour constitutionnelle s’exprima notamment comme suit : « 6. La Cour constitutionnelle doit déterminer s’il y a eu une seconde instance portant sur un fait constitutif de l’infraction pour laquelle la loi d’amnistie générale a été appliquée, et donc si l’on est en présence de la « même infraction », cas dans lequel l’article 31 § 2 de la Constitution interdit l’engagement d’une nouvelle procédure distincte et indépendante. Pareille procédure enfreindrait [le principe de] sécurité juridique et permettrait l’infliction de sanctions multiples pour un seul et même comportement ne pouvant être puni pénalement qu’une fois. Pour trancher cette question, la Cour constitutionnelle doit examiner a) si les descriptions des faits constitutifs des infractions reprochées à l’appelant dans le cadre de la première et de la seconde procédures sont similaires, afin de vérifier si la décision d’application de l’amnistie et la condamnation définitive dans la seconde procédure ont trait au même objet, c’est-à-dire à la même « quantité pénale », indépendamment de la question de savoir si elles concernent ou non les mêmes faits historiques ; et ensuite (...) b) si l’affaire en cause concerne une situation dans laquelle il n’était pas possible de porter de nouvelles accusations relativement aux faits ayant déjà été l’objet de la première décision des tribunaux (celle qui a accordé l’amnistie) mais dans laquelle, en vertu de l’article 31 § 3 de la Constitution, il était possible de demander la réouverture de la procédure conformément au droit pertinent. L’article 406 § 1, alinéa 5, du code de procédure pénale permet la réouverture de toute procédure terminée par un jugement définitif de rejet des charges lorsqu’il est « établi que l’amnistie, la grâce, la prescription ou d’autres circonstances excluant les poursuites pénales ne s’appliquent pas à l’infraction pénale visée dans le jugement rejetant les chefs d’accusation ». 1. La Cour constitutionnelle ne peut examiner le caractère similaire ou non des descriptions des faits constitutifs des infractions qu’au regard des règles normatives. Ce faisant, elle est liée, tout comme les juridictions inférieures, par les éléments constitutifs des infractions, quelle que soit la qualification juridique retenue. Il ressort clairement des descriptions des faits à l’origine des accusations figurant dans le jugement du tribunal militaire de Bjelovar (no K-85/95-24) et dans l’arrêt de la Cour suprême (no I Kž-257/96), ainsi que dans les décisions attaquées du tribunal de comté de Sisak (no K-108/97) et de la Cour suprême (no I Kž211/19983), que les faits sont les mêmes mais qu’ils ont simplement été qualifiés différemment. Tous les faits pertinents ont été établis par le tribunal militaire de Bjelovar (qui a clos la procédure) et aucun fait nouveau n’a été établi dans la procédure ultérieure devant le tribunal de comté de Sisak. La seule divergence entre les descriptions des chefs d’accusation a trait au moment de la commission des infractions, ce qui dénote non pas une différence factuelle mais l’impossibilité pour les tribunaux d’établir quand exactement ces infractions ont été commises. Il convient également de relever que la Cour suprême, dans l’arrêt attaqué, a souligné que les faits étaient les mêmes : leur identité n’est donc pas douteuse. 2. Dans son arrêt, la Cour suprême a conclu que le comportement en question était constitutif non seulement de l’infraction de rébellion armée prévue par l’article 235 § 1 du code pénal de la République de Croatie et visée dans le jugement rejetant les accusations, mais également de l’infraction de crime de guerre contre la population civile au sens de l’article 120 §§ 1 et 2 du code pénal fondamental de la République de Croatie, dont [l’appelant] a ultérieurement été reconnu coupable. Il découle du raisonnement de la Cour suprême que la même conduite forme la base de deux infractions et que l’on est en présence d’une situation où un acte unique est constitutif de plusieurs infractions. 3. Pour la Cour constitutionnelle, c’est à tort que, dans l’arrêt litigieux, la Cour suprême a conclu que la même personne, après l’adoption d’un jugement définitif portant sur un acte unique constitutif d’une certaine infraction, pouvait être à nouveau jugée dans le cadre d’une nouvelle procédure pour le même acte qualifié différemment. En vertu de l’article 336 § 2 du code de procédure pénale, le tribunal n’est pas tenu par la qualification donnée aux faits par le procureur. Par conséquent, si le tribunal militaire de Bjelovar considérait que les faits à l’origine des charges étaient constitutifs de crimes de guerre contre la population civile au sens de l’article 120 § 1 du code pénal fondamental de la République de Croatie, il aurait dû se déclarer incompétent pour décider de l’affaire (puisqu’il n’avait pas compétence pour connaître de crimes de guerre), et transmettre l’affaire au tribunal compétent, qui aurait pu condamner [l’appelant] pour crimes de guerre contre la population civile, infraction pour laquelle aucune amnistie ne peut être accordée. Dès lors que le tribunal militaire n’a pas agi ainsi et que son jugement possédait un caractère définitif, la décision rejetant les accusations est revêtue de l’autorité de la chose jugée. Partant, la condamnation ultérieure de l’accusé en l’espèce a emporté violation de la règle non bis in idem indépendamment du fait que le dispositif du premier jugement ne portait pas sur « le fond » – parfois simplement compris comme la résolution de la question de savoir si l’accusé a commis ou non l’infraction. La distinction formelle entre un acquittement et un jugement rejetant les chefs d’accusation ne saurait être le seul critère à utiliser pour répondre à la question de savoir si une nouvelle procédure pénale distincte peut être engagée pour la même « quantité pénale » : tout en figurant dans le jugement rejetant les chefs d’accusation, la décision d’octroi d’une amnistie, au sens juridique, crée les mêmes conséquences juridiques qu’un acquittement, et dans les deux cas une question factuelle demeure non établie. 4. Partant, la Cour constitutionnelle ne peut souscrire au raisonnement adopté par la Cour suprême dans son arrêt no I Kž-211/1998-3 du 1er avril 1999, selon lequel le jugement ou la décision prononçant l’abandon de la procédure pour l’infraction de rébellion armée concernant la même conduite n’interdisait pas de poursuivre et de condamner ultérieurement l’accusé pour crimes de guerre contre la population civile au motif que cette dernière infraction représentait une menace non seulement pour les valeurs de la République de Croatie mais également pour l’humanité en général et pour le droit international. Du reste, la Cour suprême s’est ensuite écartée de cette position dans sa décision du 18 septembre 2002 relative à l’affaire Kž-8/00-3, dans laquelle elle a estimé que le jugement rejetant les accusations « concernait sans aucun doute le même fait à tous égards (moment, lieu et mode opératoire), mais que ce fait était simplement qualifié différemment dans le jugement attaqué et dans la décision du tribunal militaire de Zagreb ». La Cour suprême a ajouté : « Dès lors que, dans l’affaire en cause, la procédure pénale a été abandonnée relativement à l’infraction prévue par l’article 244 § 2 du code pénal de la République de Croatie, et que les actes (...) sont identiques à ceux dont [l’accusé] a été reconnu coupable dans le jugement attaqué (...), en vertu du principe non bis in idem prévu par l’article 32 § 2 de la Constitution, une nouvelle procédure pénale ne peut pas être engagée, l’affaire ayant déjà été jugée. » (...) » La décision no U-III-791/1997 rendue par la Cour constitutionnelle le 14 mars 2001 portait sur une situation dans laquelle il avait été mis un terme, en vertu de la loi d’amnistie générale, à la procédure pénale diligentée contre l’accusé. Les passages pertinents de cette décision se lisent ainsi : « 16. La disposition constitutionnelle qui exclut la possibilité qu’un accusé soit jugé une deuxième fois à raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été « acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi » renvoie exclusivement à une situation dans laquelle un jugement a été adopté à l’issue d’une procédure pénale dans le cadre de laquelle l’accusé a été acquitté ou reconnu coupable des chefs d’accusation énoncés dans l’acte d’accusation. (...) (...) une décision qui n’acquitte pas définitivement l’accusé mais qui met un terme à la procédure pénale ne peut fonder juridiquement l’application des dispositions constitutionnelles sur l’interdiction de poursuivre ou de punir une personne deux fois (...) » La pratique de la Cour suprême Le passage pertinent de l’arrêt no I Kž-533/00-3 du 11 décembre 2001 est ainsi libellé : « En vertu de l’article 336 § 2 du code de procédure pénale, un tribunal n’est pas tenu par la qualification juridique donnée aux faits par le procureur, et il peut donc statuer sur une infraction pénale différente dès lors que celle-ci est plus favorable [à l’accusé] (...) » Le passage pertinent de l’arrêt no I Kž-257/02-5 du 12 octobre 2005 se lit ainsi : « Étant donné qu’en vertu de l’article 336 § 2 du code de procédure pénale un tribunal n’est pas tenu par la qualification juridique donnée aux faits par le procureur, et que l’infraction pénale d’incitation à l’abus de pouvoir en matière financière prévue par l’article 292 § 2 est passible d’une peine plus légère que celle prévue pour l’infraction pénale visée à l’article 337 § 4 du code pénal, le tribunal de première instance avait le pouvoir de dire que les actes en question étaient constitutifs de l’infraction pénale prévue par l’article 292 § 2 du code pénal (...) » Le passage pertinent de l’arrêt no I Kž-657/10-3 du 27 octobre 2010 est ainsi libellé : « Même si c’est à juste titre que le tribunal de première instance a déclaré qu’un tribunal n’est pas tenu par la qualification juridique donnée aux faits par le procureur, il est néanmoins allé au-delà des termes de l’acte d’accusation puisqu’il a mis l’accusé dans une situation moins favorable en le condamnant pour deux infractions pénales au lieu d’une seule (...) » III. INSTRUMENTS DE DROIT INTERNATIONAL pertinents A. La Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 Le passage pertinent de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (« la Convention de Vienne ») se lit ainsi : Section 3. Interprétation des traités Article 31 Règle générale d’interprétation « 1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus : a) tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité ; b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte : a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions ; b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ; c) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties. » Article 32 Moyens complémentaires d’interprétation « Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 : a) laisse le sens ambigu ou obscur ; ou b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable. » Article 33 Interprétation de traités authentifiés en deux ou plusieurs langues « 1. Lorsqu’un traité a été authentifié en deux ou plusieurs langues, son texte fait foi dans chacune de ces langues, à moins que le traité ne dispose ou que les parties ne conviennent qu’en cas de divergence un texte déterminé l’emportera. Une version du traité dans une langue autre que l’une de celles dans lesquelles le texte a été authentifié ne sera considérée comme texte authentique que si le traité le prévoit ou si les parties en sont convenues. Les termes d’un traité sont présumés avoir le même sens dans les divers textes authentiques. Sauf le cas où un texte déterminé l’emporte conformément au paragraphe 1, lorsque la comparaison des textes authentiques fait apparaître une différence de sens que l’application des articles 31 et 32 ne permet pas d’éliminer, on adoptera le sens qui, compte tenu de l’objet et du but du traité, concilie le mieux ces textes. » B. Les Conventions de Genève du 12 août 1949 relatives à la protection des victimes des conflits armés et leurs Protocoles additionnels Le passage pertinent de l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 est libellé comme suit : Article 3 « En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes : 1) Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. À cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus : a) les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ; b) les prises d’otages ; c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ; d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés. (...) » Les parties pertinentes de la Convention (I) pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne (Genève, 12 août 1949) se lisent ainsi : Chapitre IX – De la répression des abus et des infractions Article 49 « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l’ordre de commettre, l’une ou l’autre des infractions graves à la présente Convention définies à l’article suivant. Chaque Partie contractante aura l’obligation de rechercher les personnes prévenues d’avoir commis, ou d’avoir ordonné de commettre, l’une ou l’autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre législation, les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéressée à la poursuite, pour autant que cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes. (...) » Article 50 « Les infractions graves visées à l’article précédent sont celles qui comportent l’un ou l’autre des actes suivants, s’ils sont commis contre des personnes ou des biens protégés par la Convention : l’homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé, la destruction et l’appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire. » Les articles 50 et 51 de la Convention (II) pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (Genève, 12 août 1949) ont le même libellé que les articles 49 et 50 de la première Convention de Genève. Les articles 129 et 130 de la Convention (III) relative au traitement des prisonniers de guerre (Genève, 12 août 1949) reprennent également le libellé des articles 49 et 50 de la première Convention de Genève. Le libellé des articles 49 et 50 de la première Convention de Genève se retrouve aussi aux articles 146 et 147 de la Convention (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (Genève, 12 août 1949). Le passage pertinent du Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II) (Genève, 8 juin 1977) est ainsi libellé : Article 4 « 1. Toutes les personnes qui ne participent pas directement ou ne participent plus aux hostilités, qu’elles soient ou non privées de liberté, ont droit au respect de leur personne, de leur honneur, de leurs convictions et de leurs pratiques religieuses. Elles seront en toutes circonstances traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable. Il est interdit d’ordonner qu’il n’y ait pas de survivants. Sans préjudice du caractère général des dispositions qui précèdent, sont et demeurent prohibés en tout temps et en tout lieu à l’égard des personnes visées au paragraphe 1 : a) les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, en particulier le meurtre, de même que les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles ; (...) » Article 6 « (...) À la cessation des hostilités, les autorités au pouvoir s’efforceront d’accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part au conflit armé ou qui auront été privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, qu’elles soient internées ou détenues. » Article 13 « 1. La population civile et les personnes civiles jouissent d’une protection générale contre les dangers résultant d’opérations militaires. En vue de rendre cette protection effective, les règles suivantes seront observées en toutes circonstances. Ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne devront être l’objet d’attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. Les personnes civiles jouissent de la protection accordée par le présent Titre, sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation. » C. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide Les passages pertinents de cet instrument se lisent ainsi : Article premier « Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir. » Article IV « Les personnes ayant commis le génocide ou l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III seront punies, qu’elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers. » Article V « Les Parties contractantes s’engagent à prendre, conformément à leurs constitutions respectives, les mesures législatives nécessaires pour assurer l’application des dispositions de la présente Convention, et notamment à prévoir des sanctions pénales efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III. » D. La Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité Les passages pertinents de cet instrument sont ainsi libellés : Article premier « Les crimes suivants sont imprescriptibles, quelle que soit la date à laquelle ils ont été commis : a) Les crimes de guerre, tels qu’ils sont définis dans le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 1945 et confirmés par les résolutions 3 (I) et 95 (I) de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, en date des 13 février 1946 et 11 décembre 1946, notamment les « infractions graves » énumérées dans les Conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes de la guerre ; b) Les crimes contre l’humanité, qu’ils soient commis en temps de guerre ou en temps de paix, tels qu’ils sont définis dans le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 1945 et confirmés par les résolutions 3 (I) et 95 (I) de l’Assemblée générale l’Organisation des Nations unies, en date des 13 février 1946 et 11 décembre 1946, l’éviction par une attaque armée ou l’occupation et les actes inhumains découlant de la politique d’apartheid, ainsi que le crime de génocide, tel qu’il est défini dans la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, même si ces actes ne constituent pas une violation du droit interne du pays où ils ont été commis. » Article II « Si l’un quelconque des crimes mentionnés à l’article premier est commis, les dispositions de la présente Convention s’appliqueront aux représentants de l’autorité de l’État et aux particuliers qui y participeraient en tant qu’auteurs ou en tant que complices, ou qui se rendraient coupables d’incitation directe à la perpétration de l’un quelconque de ces crimes, ou qui participeraient à une entente en vue de le commettre, quel que soit son degré d’exécution, ainsi qu’aux représentants de l’autorité de l’État qui toléreraient sa perpétration. » Article III « Les États parties à la présente Convention s’engagent à adopter toutes les mesures internes, d’ordre législatif ou autre, qui seraient nécessaires en vue de permettre l’extradition, conformément au droit international, des personnes visées par l’article 2 de la présente Convention. » Article IV « Les États parties à la présente Convention s’engagent à prendre, conformément à leurs procédures constitutionnelles, toutes mesures législatives ou autres qui seraient nécessaires pour assurer l’imprescriptibilité des crimes visés aux articles premier et 2 de la présente Convention, tant en ce qui concerne les poursuites qu’en ce qui concerne la peine ; là où une prescription existerait en la matière, en vertu de la loi ou autrement, elle sera abolie. » E. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale L’article 20 du Statut se lit ainsi : Ne bis in idem « 1. Sauf disposition contraire du présent Statut, nul ne peut être jugé par la Cour pour des actes constitutifs de crimes pour lesquels il a déjà été condamné ou acquitté par elle. Nul ne peut être jugé par une autre juridiction pour un crime visé à l’article 5 pour lequel il a déjà été condamné ou acquitté par la Cour. Quiconque a été jugé par une autre juridiction pour un comportement tombant aussi sous le coup des articles 6, 7 ou 8 ne peut être jugé par la Cour que si la procédure devant l’autre juridiction : a) avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour des crimes relevant de la compétence de la Cour ; ou b) n’a pas été au demeurant menée de manière indépendante ou impartiale, dans le respect des garanties d’un procès équitable prévues par le droit international, mais d’une manière qui, dans les circonstances, était incompatible avec l’intention de traduire l’intéressé en justice. » F. Les règles coutumières du droit international humanitaire Mandaté par les États réunis à la 26e Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le Comité international de la CroixRouge (CICR) présenta en 2005 une étude en deux volumes sur le droit international humanitaire coutumier. Cette étude expose une liste de règles coutumières du droit international humanitaire. La règle 159, qui a trait aux conflits armés non internationaux, est ainsi libellée : « À la cessation des hostilités, les autorités au pouvoir doivent s’efforcer d’accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part à un conflit armé non international ou qui auront été privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, à l’exception des personnes soupçonnées ou accusées de crimes de guerre ou condamnées pour crimes de guerre. » G. Le Conseil de sécurité des Nations unies Résolution sur la situation en Croatie, 1120 (1997), 14 juillet 1997 Les passages pertinents de cette résolution se lisent ainsi : « Le Conseil de sécurité (...) Demande instamment au Gouvernement de la République de Croatie de lever les ambiguïtés concernant la mise en œuvre de la loi d’amnistie et de l’appliquer de manière juste et objective conformément aux normes internationales, en particulier en menant à bien toutes les enquêtes sur les crimes faisant l’objet de l’amnistie et en entreprenant immédiatement, avec la participation de l’Organisation des Nations unies et de la population serbe locale, un examen complet de tous les chefs d’accusation contre des personnes ayant commis des violations graves du droit international humanitaire qui ne font pas l’objet de l’amnistie, afin de mettre un terme aux procédures engagées contre toutes les personnes pour lesquelles les éléments de preuve sont insuffisants ; (...) » H. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 L’article 7 de cet instrument est ainsi libellé : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique. » I. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies Observation générale no 20, article 7 (quarante-quatrième session, 1992) En 1992, le Comité des droits de l’homme des Nations unies nota dans son Observation générale no 20 concernant l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que certains États avaient octroyé l’amnistie pour des actes de torture, ajoutant que « [l]’amnistie est généralement incompatible avec le devoir qu’ont les États d’enquêter sur de tels actes, de garantir la protection contre de tels actes dans leur juridiction et de veiller à ce qu’ils ne se reproduisent pas à l’avenir. Les États ne peuvent priver les particuliers du droit à un recours utile, y compris du droit à une indemnisation et à la réadaptation la plus complète possible. » Observations finales, Liban, 1er avril 1997 Le paragraphe 12 de ces observations se lit ainsi : « Le Comité note avec inquiétude l’amnistie accordée aux personnels civils et militaires qui peuvent avoir commis des violations des droits fondamentaux à l’encontre de civils pendant la guerre civile. Une amnistie aussi générale peut empêcher d’enquêter et de punir comme il convient les responsables de violations des droits de l’homme passées, faire échec à l’effort engagé en vue d’instaurer le respect des droits de l’homme et constituer un obstacle à l’action entreprise pour consolider la démocratie. » Observations finales, Croatie, 30 avril 2001 Le paragraphe 11 de ces observations est ainsi libellé : « Le Comité s’inquiète des conséquences de la loi d’amnistie. S’il est vrai que la loi précise que l’amnistie ne s’applique pas aux crimes de guerre, le terme « crimes de guerre » n’est pas défini, d’où le risque que la loi soit appliquée de façon à assurer l’impunité aux personnes accusées de violations graves des droits de l’homme. Le Comité déplore que des informations ne lui aient pas été fournies sur les affaires dans lesquelles la loi d’amnistie a été interprétée et appliquée par les tribunaux. L’État partie devrait veiller à ce qu’en pratique la loi d’amnistie ne soit pas appliquée ou utilisée pour accorder l’impunité à des personnes accusées de violations graves des droits de l’homme. » Observation générale no 31 [80] – La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, 29 mars 2004 « 18. Lorsque les enquêtes mentionnées au paragraphe 15 révèlent la violation de certains droits reconnus dans le Pacte, les États parties doivent veiller à ce que les responsables soient traduits en justice. Comme dans le cas où un État partie s’abstient de mener une enquête, le fait de ne pas traduire en justice les auteurs de telles violations pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. Ces obligations se rapportent notamment aux violations assimilées à des crimes au regard du droit national ou international, comme la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants analogues (article 7), les exécutions sommaires et arbitraires (article 6) et les disparitions forcées (articles 7 et 9 et, souvent, article 6). D’ailleurs, le problème de l’impunité des auteurs de ces violations, question qui ne cesse de préoccuper le Comité, peut bien être un facteur important qui contribue à la répétition des violations. Lorsqu’elles sont commises dans le cadre d’une attaque à grande échelle ou systématique contre une population civile, ces violations du Pacte constituent des crimes contre l’humanité (voir le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, article 7). Par conséquent, lorsqu’il apparaît que des fonctionnaires ou des agents de l’État ont violé les droits énoncés dans le Pacte qui sont mentionnés dans le présent paragraphe, les États parties concernés ne sauraient exonérer les auteurs de leur responsabilité personnelle, comme cela s’est produit dans le cas de certaines amnisties (voir l’Observation générale no 20 (44)), et immunités préalables. En outre, aucun statut officiel ne justifie que des personnes accusées d’être responsables de telles violations soient exonérées de leur responsabilité juridique. (...) » J. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants Les passages pertinents de cet instrument se lisent ainsi : Article 4 « 1. Tout État partie veille à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal. Il en est de même de la tentative de pratiquer la torture ou de tout acte commis par n’importe quelle personne qui constitue une complicité ou une participation à l’acte de torture. Tout État partie rend ces infractions passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité. » Article 7 « 1. L’État partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à l’article 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale. (...) » Article 12 « Tout État partie veille à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction. » Article 13 « Tout État partie assure à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur tout territoire sous sa juridiction le droit de porter plainte devant les autorités compétentes dudit État qui procéderont immédiatement et impartialement à l’examen de sa cause. Des mesures seront prises pour assurer la protection du plaignant et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de la plainte déposée ou de toute déposition faite. » Article 14 « 1. Tout État partie garantit, dans son système juridique, à la victime d’un acte de torture, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible. En cas de mort de la victime résultant d’un acte de torture, les ayants cause de celle-ci ont droit à indemnisation. Le présent article n’exclut aucun droit à indemnisation qu’aurait la victime ou toute autre personne en vertu des lois nationales. » K. La Commission des droits de l’homme des Nations unies Les passages pertinents des résolutions sur l’impunité adoptées par cet organe se lisent ainsi : Résolution 2002/79, 25 avril 2002, et résolution 2003/72, 25 avril 2003 « La Commission des droits de l’homme (...) Souligne également qu’il importe de prendre toutes les mesures nécessaires et possibles pour que les auteurs de violations du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire, ainsi que leurs complices, aient à rendre compte de leurs actes, reconnaît qu’il ne devrait pas y avoir d’amnistie en faveur des auteurs de violations du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire qui constituent de graves infractions et invite instamment les États à agir conformément à leurs obligations en vertu du droit international ; (...) » Résolution 2004/72, 21 avril 2004 « La Commission des droits de l’homme (...) Estime également que les auteurs de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui constituent des crimes ne devraient pas bénéficier d’une amnistie, invite instamment les États à agir conformément à leurs obligations en vertu du droit international, et accueille avec satisfaction la levée et l’annulation des amnisties et autres immunités ou la renonciation aux unes et aux autres ; (...) » Résolution 2005/81, 21 avril 2005 « La Commission des droits de l’homme (...) Estime également que les auteurs de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui constituent des crimes ne devraient pas bénéficier d’une amnistie, invite instamment les États à agir conformément à leurs obligations en vertu du droit international, et accueille avec satisfaction la levée et l’annulation des amnisties et autres immunités ou la renonciation aux unes et aux autres, et prend note en outre de la conclusion du Secrétaire général selon laquelle des accords de paix entérinés par l’Organisation des Nations unies ne peuvent en aucun cas promettre l’amnistie pour les actes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, ou les atteintes graves aux droits de l’homme ; (...) » L. Le Parlement européen Résolution A3-0056/93, 12 mars 1993 Le passage pertinent de la Résolution sur les droits de l’homme dans le monde et la politique communautaire en la matière pendant la période 1991-1992 est ainsi libellé : « Le Parlement européen (...) Estime que le problème de l’impunité (...) peut revêtir la forme d’amnisties, d’immunités ainsi que de juridictions spéciales et entrave la démocratie en excusant, dans les faits, les atteintes aux droits de l’homme par les personnes responsables et en perturbant leurs victimes ; Déclare qu’il ne saurait être question d’impunité pour les personnes responsables de crimes de guerre dans l’ex-Yougoslavie (...) » M. Le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations unies sur la torture Cinquième rapport, UN doc. E/CN.4/1998/38, 24 décembre 1997 En 1998, dans les conclusions et recommandations de son cinquième rapport sur la question des droits de l’homme de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, en particulier de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations unies déclara à propos du projet de statut d’une cour pénale internationale : « 228. À ce propos, le Rapporteur spécial sait qu’il a été insinué que le fait d’accorder l’amnistie au niveau national pourrait faire obstacle à l’exercice de la compétence de la cour envisagée. Il estime qu’une telle initiative ne bouleverserait pas simplement le projet considéré, mais qu’elle subvertirait la légalité de l’ordre juridique international en général. Cela compromettrait gravement le but même de la cour en permettant aux États, par le biais de leurs lois, de soustraire les ressortissants à sa compétence. Cela saperait la légalité de l’ordre juridique international car, c’est un principe absolu, les États ne peuvent pas invoquer leur droit interne pour échapper à leurs obligations en droit international. Comme le droit international impose aux États de punir les types de crimes envisagés dans le projet de statut de la cour en général, et la torture en particulier, et de traduire leurs auteurs en justice, l’amnistie de ces crimes constitue ipso facto une violation de l’obligation de l’État intéressé de traduire les auteurs en justice. (...) » N. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie Le passage pertinent de l’affaire Furundžija (arrêt du 10 décembre 1998) se lit ainsi : « 155. Le fait que la torture est prohibée par une norme impérative du droit international a d’autres effets aux échelons interétatique et individuel. À l’échelon interétatique, elle sert à priver internationalement de légitimité tout acte législatif, administratif ou judiciaire autorisant la torture. Il serait absurde d’affirmer d’une part que, vu la valeur de jus cogens de l’interdiction de la torture, les traités ou règles coutumières prévoyant la torture sont nuls et non avenus ab initio et de laisser faire, d’autre part, les États qui, par exemple, prennent des mesures nationales autorisant ou tolérant la pratique de la torture ou amnistiant les tortionnaires. Si pareille situation devait se présenter, les mesures nationales violant le principe général et toute disposition conventionnelle pertinente auraient les effets juridiques évoqués ci-dessus et ne seraient, au surplus, pas reconnues par la communauté internationale. Les victimes potentielles pourraient, si elles en ont la capacité juridique, engager une action devant une instance judiciaire nationale ou internationale compétente afin d’obtenir que la mesure nationale soit déclarée contraire au droit international ; elles pourraient encore engager une action en réparation auprès d’une juridiction étrangère qui serait invitée de la sorte, notamment, à ne tenir aucun compte de la valeur juridique de l’acte national autorisant la torture. Plus important encore, les tortionnaires exécutants ou bénéficiaires de ces mesures nationales peuvent néanmoins être tenus pour pénalement responsables de la torture que ce soit dans un État étranger ou dans leur propre État sous un régime ultérieur. En résumé, les individus sont tenus de respecter le principe de l’interdiction de la torture, même si les instances législatives ou judiciaires nationales en autorisent la violation. Comme le faisait observer le Tribunal militaire international de Nuremberg, « les obligations internationales qui s’imposent aux individus priment leur devoir d’obéissance envers l’État dont ils sont ressortissants. » O. La Convention américaine relative aux droits de l’homme Les passages pertinents de cet instrument se lisent ainsi : Article 1 – Obligation de respecter les droits « 1. Les États parties s’engagent à respecter les droits et libertés reconnus dans la présente Convention et à en garantir le libre et plein exercice à toute personne relevant de leur compétence, sans aucune distinction fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la situation économique, la naissance ou toute autre condition sociale. Aux effets de la présente Convention, tout être humain est une personne. » P. La Commission interaméricaine des droits de l’homme Affaire 10.287 (Salvador), rapport no 26/92 du 24 septembre 1992 Les massacres perpétrés en 1983 à Las Hojas, au Salvador, au cours desquels environ soixante-quatorze personnes auraient été tuées par des membres des forces armées salvadoriennes avec la participation de membres de la défense civile, donnèrent lieu à une pétition à la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Dans le rapport qu’elle rendit en 1992 sur l’affaire, celle-ci formula les considérations suivantes : « (...) L’application [de la loi d’amnistie en vue de la réconciliation nationale, adoptée en 1987 par le Salvador] constitue une violation flagrante de l’obligation du gouvernement salvadorien d’enquêter sur les violations des droits des victimes de Las Hojas, de sanctionner les responsables et de réparer les dommages découlant de ces violations. (...) (...) L’application dans ces affaires de la loi d’amnistie, avec l’exclusion de toute possibilité de réparation judiciaire dans des cas de meurtre, de traitements inhumains et de nonrespect des garanties judiciaires, est une négation de la nature fondamentale des droits de l’homme les plus élémentaires. Elle supprime les moyens qui sont peut-être les plus efficaces pour donner effet à ces droits, à savoir le procès et la punition des responsables. » Rapport sur la situation des droits de l’homme au Salvador, OEA/Ser.L/V/II.85 doc. 28 rév. (11 février 1994) En 1994, dans un rapport sur la situation des droits de l’homme au Salvador, la Commission interaméricaine des droits de l’homme s’exprima ainsi au sujet de la loi salvadorienne d’amnistie générale pour la consolidation de la paix : « (...) indépendamment des impératifs découlant des négociations de paix et de considérations purement politiques, la très radicale loi d’amnistie générale [pour la consolidation de la paix] adoptée par l’Assemblée législative salvadorienne emporte violation des obligations internationales qui incombent au Salvador depuis sa ratification de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, étant donné que cette loi permet une « amnistie réciproque » sans aucune reconnaissance préalable des responsabilités (...), qu’elle s’applique à des crimes contre l’humanité et qu’elle exclut, au premier chef pour les victimes, toute possibilité d’obtenir une réparation financière adéquate. » Affaire 10.480 (Salvador), rapport no 1/99 du 27 janvier 1999 En 1999, dans un rapport sur une affaire concernant la loi d’amnistie générale pour la consolidation de la paix adoptée par le Salvador en 1993, la Commission interaméricaine des droits de l’homme tint le raisonnement suivant : « 113. La Commission souligne que [la loi susmentionnée] a été appliquée à des violations graves des droits de l’homme commises au Salvador entre le 1er janvier 1980 et le 1er janvier 1992, notamment à des exactions examinées et établies par la Commission de la vérité. En particulier, les effets de cette loi ont été étendus, notamment, à des crimes tels que des exécutions sommaires, des actes de torture et des disparitions forcées. Certains de ces crimes sont considérés comme revêtant une gravité telle qu’ils ont justifié l’adoption de conventions spécifiques et l’introduction de mesures spéciales, notamment la compétence universelle et l’imprescriptibilité, pour empêcher toute impunité en la matière. (...) (...) 115. La Commission relève également qu’il apparaît que l’article 2 de [la loi susmentionnée] a été appliqué à toutes les violations de l’article 3 commun [aux Conventions de Genève de 1949] et du [Protocole additionnel II de 1977] commises par des agents de l’État pendant le conflit armé dont le Salvador a été le théâtre. (...) (...) 123. (...) en approuvant et en mettant en œuvre la loi d’amnistie générale, l’État salvadorien a violé le droit à des garanties judiciaires consacré par l’article 8 § 1 de la [Convention américaine de 1969 relative aux droits de l’homme], au détriment des victimes de tortures ayant survécu et aux proches de (...), qui n’ont pas pu obtenir réparation devant les juridictions civiles, tout cela devant être examiné au regard de l’article 1 § 1 de la Convention. (...) 129. (...) en promulguant et en mettant en œuvre la loi d’amnistie, le Salvador a violé le droit à la protection judiciaire consacré par l’article 25 de la [Convention américaine de 1969 relative aux droits de l’homme], au détriment des victimes qui ont survécu (...) » Dans ses conclusions, la Commission interaméricaine des droits de l’homme déclara que le Salvador avait « également violé, relativement aux mêmes personnes, l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 et l’article 4 du [Protocole additionnel II de 1977] ». De plus, afin de préserver les droits des victimes, elle recommanda que le Salvador, « le cas échéant, (...) annule cette loi avec effet rétroactif ». Q. La Cour interaméricaine des droits de l’homme Dans Barrios Altos c. Pérou (fond), arrêt du 14 mars 2001, série C no 75, qui portait entre autres sur la question de la légalité des lois d’amnistie péruviennes, la Cour interaméricaine des droits de l’homme formula les considérations suivantes : « 41. Cette Cour considère inadmissibles les dispositions d’amnistie, les dispositions de prescription et l’établissement de dispositions visant l’exclusion de responsabilité ayant pour objet d’empêcher l’enquête et la sanction des responsables des violations graves des droits de l’homme telles que la torture, les exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires ainsi que les disparitions forcées, qui sont toutes interdites car elles contreviennent à des droits indérogeables reconnus par le droit international des droits humains. Vu la plaidoirie de la Commission et l’absence de contestation de l’État, la Cour considère que les lois d’amnistie adoptées par le Pérou ont empêché que les familles des victimes et les victimes survivantes dans la présente affaire soient entendues par un juge (...) ; ces lois ont violé le droit à la protection judiciaire (...), empêché l’investigation, la poursuite, la capture, la mise en accusation et la sanction des responsables des faits survenus à Barrios Altos, contrevenant ainsi à l’article 1.1 de la Convention [américaine relative aux droits de l’homme de 1969], et ont empêché l’éclaircissement des faits en l’espèce. Enfin, l’adoption des lois d’auto-amnistie incompatibles avec la Convention [américaine relative aux droits de l’homme de 1969] constitue un manquement à l’obligation d’adopter des mesures de droit interne prévue à l’article 2 de cet instrument. La Cour juge nécessaire de souligner que, à la lumière des obligations générales consacrées aux articles 1.1 et 2 de la Convention américaine, les États parties ont le devoir de prendre des mesures, de quelque nature que ce soit, pour que personne ne soit privé de protection judiciaire et de l’exercice du droit à une voie de recours simple et efficace, conformément aux termes des articles 8 et 25 de la Convention [américaine relative aux droits de l’homme de 1969]. C’est pour cette raison que les États parties à la Convention [américaine relative aux droits de l’homme de 1969] qui adoptent des lois porteuses de cet effet, comme les lois d’auto-amnistie, violent les articles 8 et 25 en relation avec les articles 1.1 et 2 de la Convention [américaine relative aux droits de l’homme de 1969]. Les lois d’auto-amnistie impliquent, pour les victimes, un déni de justice et la perpétuation de l’impunité ; elles sont donc manifestement incompatibles avec l’esprit et la lettre de la Convention américaine. Ce type de lois empêche toute identification des individus responsables de violations des droits de l’homme, car elles entravent l’enquête, l’accès à la justice et elles empêchent les victimes et leurs familles de connaître la vérité et d’obtenir la réparation correspondante. En raison de l’incompatibilité manifeste existant entre les lois d’auto-amnistie et la Convention américaine relative aux droits de l’homme, ces lois n’ont aucun effet juridique et ne sauraient demeurer un obstacle aux investigations des faits de cette affaire, à l’identification et à la sanction des responsables, pas plus qu’elles ne sauraient avoir des incidences égales ou similaires sur d’autres affaires de violations des droits consacrés dans la Convention américaine et qui auraient eu lieu au Pérou. » Dans son opinion concordante, le juge Antônio A. Cançado Trindade ajouta : « 13. La responsabilité internationale de l’État pour des violations des droits de la personne consacrés sur le plan international, y compris les violations résultant de l’adoption et de l’application de lois d’auto-amnistie, et la responsabilité pénale individuelle des agents qui sont les auteurs de violations graves des droits de la personne et du droit international humanitaire constituent deux faces de la même médaille dans la lutte contre les atrocités, l’impunité et l’injustice. Il a fallu attendre de nombreuses années pour parvenir à cette constatation, laquelle, si elle est possible aujourd’hui, est aussi attribuable, et je me permets d’insister sur quelque chose qui m’est très cher, au réveil de la conscience juridique universelle en tant que source matérielle par excellence du droit international même. » Dans l’affaire Almonacid Arellano et autres c. Chili (exceptions préliminaires, fond, réparations, frais et dépens), arrêt du 26 septembre 2006, série C no 154, la Cour interaméricaine des droits de l’homme s’exprima ainsi : « 154. En ce qui concerne le principe non bis in idem, même s’il s’agit d’un droit humain reconnu dans l’article 8.4 de la Convention américaine, ce n’est pas un droit absolu et, de ce fait, il n’est pas applicable lorsque : i) les délibérations du Tribunal qui a jugé l’affaire et a décidé de prononcer un non-lieu, ou d’absoudre le responsable d’une violation des droits de l’homme ou du droit international, ont obéi au désir de soustraire l’accusé à sa responsabilité pénale ; ii) l’instruction de l’affaire n’a pas été menée de manière indépendante ou impartiale, conformément aux garanties procédurales, ou iii) il n’y a pas eu d’intention véritable de soumettre l’individu responsable à l’action de la justice. Un jugement rendu dans ces conditions rend la chose jugée « apparente » ou « frauduleuse ». Par ailleurs, cette Cour considère que si de nouveaux faits ou preuves apparaissent, qui peuvent permettre de trouver les responsables de violations des droits de l’homme, et plus encore, les individus responsables de crimes contre l’humanité, il peut y avoir une réouverture de l’enquête même s’il existe un jugement absolutoire pour la chose jugée, car les exigences de la justice, les droits des victimes et l’esprit et la lettre de la Convention américaine modifient la protection du non bis in idem. 155. Dans le cas présent, deux des suppositions évoquées existent. En premier lieu, l’affaire a été instruite par des tribunaux sans garantie de compétence, d’indépendance et d’impartialité. En deuxième lieu, l’application du décret-loi no 2.191 visait à soustraire les présumés responsables à la justice et à laisser impuni le crime commis à l’encontre de M. Almonacid Arellano. En conséquence, l’État ne peut s’appuyer sur le principe non bis in idem, pour ne pas exécuter l’ordre de la Cour (...) » La Cour interaméricaine a suivi la même approche dans l’affaire La Cantuta c. Pérou (fond, réparations, frais et dépens), arrêt du 29 novembre 2006, série C no 162, dont le passage pertinent se lit ainsi : « 151. À cet égard, la Commission et les représentants estiment que l’État a invoqué la notion de double incrimination pour éviter de sanctionner certains des auteurs allégués de ces crimes ; or la règle de la double incrimination ne s’applique pas dans la mesure où les intéressés ont été traduits devant un tribunal qui était incompétent, qui n’était ni indépendant ni impartial, et qui ne répondait pas aux conditions régissant la compétence. Par ailleurs, l’État soutient que « l’implication d’autres personnes dont la responsabilité pénale pourrait être retenue est subordonnée à toute nouvelle conclusion que le Ministerio Público [ministère public] et les tribunaux pourraient prendre dans le cadre de l’enquête et de la fixation de la peine », et que « la décision de rejet prise par le tribunal militaire n’a aucune valeur juridique pour l’enquête préliminaire du ministère public. En d’autres termes, la règle de la double incrimination ne s’applique pas ». 152. La Cour a précédemment formulé dans son arrêt Barrios Altos les considérations suivantes : « Cette Cour considère inadmissibles les dispositions d’amnistie, les dispositions de prescription et l’établissement de dispositions visant l’exclusion de responsabilité ayant pour objet d’empêcher l’enquête et la sanction des responsables des violations graves des droits de l’homme telles que la torture, les exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires ainsi que les disparitions forcées, qui sont toutes interdites car elles contreviennent à des droits indérogeables reconnus par le droit international des droits humains. » 153. Concernant en particulier la notion de double incrimination, la Cour a récemment estimé que le principe non bis in idem n’est pas applicable lorsque la procédure dans le cadre de laquelle l’affaire a été rejetée ou l’auteur d’une violation des droits de l’homme a été acquitté au mépris du droit international a pour effet de soustraire l’accusé à sa responsabilité pénale, ou lorsque, au mépris des règles applicables en la matière, la procédure n’a pas été menée de manière indépendante et impartiale. Un jugement rendu dans ces conditions n’offre que des motifs « fictifs » ou « frauduleux » d’invoquer la règle de la double incrimination. 154. C’est pourquoi, dans sa plainte contre les instigateurs allégués de ces crimes (...), qui ont été relaxés par les tribunaux militaires, le procureur ad hoc a jugé qu’il était inacceptable de considérer l’ordonnance de relaxe émise par les juges militaires dans le cadre d’une procédure visant à accorder l’impunité aux intéressés comme un obstacle juridique empêchant de mener des poursuites ou comme un jugement définitif, étant donné que ces juges n’étaient ni compétents ni impartiaux et que, dès lors, l’ordonnance ne pouvait justifier l’application de la règle de la double incrimination. » Dans l’affaire Anzualdo Castro c. Pérou (exception préliminaire, fond, réparations, frais et dépens), arrêt du 22 septembre 2009, série C no 202, la Cour interaméricaine réitéra les considérations suivantes : « 182. (...) [L]’État est tenu de lever tous les obstacles, tant factuels que juridiques, entravant la conduite effective de l’enquête sur les faits et le déroulement de la procédure y afférente, et d’employer tous les moyens à sa disposition pour accélérer l’enquête et la procédure en question, afin de garantir que de tels faits ne se reproduisent pas. En particulier, dans une affaire comme celle-ci, qui concerne une disparition forcée survenue dans le contexte d’un schéma récurrent ou d’une pratique systématique de disparitions imputables à des agents de l’État, celui-ci ne doit pas avoir la possibilité d’invoquer ou d’appliquer une loi ou une disposition juridique interne, présente ou future, pour éviter de se conformer à la décision de la Cour lui enjoignant de mener une enquête et, le cas échéant, de sanctionner pénalement les responsables des faits incriminés. Pour cette raison, conformément à la doctrine de la Cour remontant à l’arrêt Barrios Altos c. Pérou, l’État ne peut plus appliquer les lois d’amnistie, qui sont dénuées de tout effet juridique présent ou futur (...), invoquer des principes tels que la prescription des actions pénales, l’autorité de la chose jugée ou la double incrimination, ni recourir à toute autre mesure d’exonération de responsabilité pour échapper à son obligation d’enquêter et de sanctionner les responsables. » Dans l’affaire Gelman c. Uruguay (fond et réparations), arrêt du 24 février 201, série C no 221, la Cour interaméricaine des droits de l’homme se livra à une analyse approfondie du droit international pour autant qu’il concerne les amnisties accordées aux auteurs de violations graves des droits fondamentaux de l’homme. L’arrêt, en ses passages pertinents, se lit ainsi : « 184. L’obligation d’enquêter sur des violations des droits de la personne compte parmi les mesures positives devant être adoptées par les États afin de garantir les droits reconnus dans la Convention. Le devoir d’enquêter est une obligation de moyens et non de résultat qui doit être assumée par l’État comme un devoir juridique propre et non pas comme une simple formalité condamnée d’avance à être infructueuse, ou comme une simple démarche d’intérêts particuliers qui dépend de l’initiative procédurale des victimes, des membres de leurs familles, ou de l’apport privé d’éléments probatoires. (...) 189. L’obligation conforme au droit international d’instruire un procès à l’encontre des auteurs de violations des droits de l’homme et, si leur responsabilité pénale est déterminée, d’adopter des mesures punitives à leur égard, découle de l’obligation de garantie consacrée à l’article 1.1 de la Convention [américaine]. Cette obligation implique le devoir des États parties d’organiser tout l’appareil gouvernemental et, en général, toutes les structures à travers lesquelles se manifeste l’exercice du pouvoir public, de telle façon qu’ils soient en mesure d’assurer juridiquement le libre et plein exercice des droits de la personne. 190. Comme conséquence de cette obligation, les États doivent prévenir, mener des enquêtes sur toutes les violations aux droits reconnus par la Convention [américaine], les sanctionner, essayer de rétablir, dans la mesure du possible, le droit violé, et selon le cas, obtenir des réparations pour les dommages causés par la violation des droits de l’homme. 191. Si l’appareil de l’État agit de façon que de telles violations restent impunies et que la victime n’a pas pu voir se rétablir, dans la mesure du possible, la plénitude de ses droits, il est possible d’affirmer qu’il n’a pas accompli son devoir de garantir le libre et plein exercice de ces droits envers les personnes relevant de [sa] juridiction. (...) 195. Les amnisties ou figures juridiques analogues ont été l’un des obstacles allégués par certains États pour s’excuser de [ne pas] mener une enquête sur les responsables de violations graves des droits de la personne et, le cas échéant, de les punir. Ce Tribunal, la Commission interaméricaine des droits de l’homme, les organes des Nations unies ainsi que d’autres organismes universels et régionaux de protection des droits de l’homme se sont prononcés au sujet de l’incompatibilité des lois d’amnistie relatives à de graves violations des droits de l’homme avec le droit international et les obligations internationales des États. 196. Comme cela a déjà été mentionné ci-dessus, cette Cour s’est prononcée sur l’incompatibilité des amnisties avec la Convention américaine en cas de graves violations des droits de l’homme au Pérou (affaires Barrios Altos et La Cantuta), au Chili (affaire Almonacid Arellano et autres) et au Brésil (affaire Gomes Lund et autres). 197. Dans le Système interaméricain des droits de l’homme, mécanisme dont fait partie l’Uruguay par décision souveraine, les prononcés sur l’incompatibilité des lois d’amnistie vis-à-vis des obligations conventionnelles des États lorsqu’il s’agit de graves violations des droits de l’homme ont été réitérés. Outre les décisions susmentionnées de ce Tribunal, la Commission interaméricaine a conclu, dans la présente affaire et dans d’autres relatives à l’Argentine, au Chili, au Salvador, à Haïti, au Pérou et à l’Uruguay que ces lois d’amnistie sont incompatibles avec le droit international. De même, la Commission a rappelé ce qui suit : « La Commission interaméricaine s’est prononcée dans de nombreuses affaires clés au sujet desquelles elle a eu la possibilité d’exprimer son point de vue et de cristalliser sa doctrine en matière d’application des lois d’amnistie, en établissant que ces lois violent diverses dispositions tant de la Déclaration américaine que de la Convention. Ces décisions, qui concordent avec le critère d’autres organes internationaux des droits de l’homme en ce qui a trait aux amnisties, ont proclamé uniformément que tant les lois d’amnistie que les mesures législatives comparables qui empêchent ou concluent les investigations et les jugements des agents d’[un] État qui pourraient être tenus pour responsables de graves violations de la Convention ou de la Déclaration américaine violent de multiples dispositions de ces instruments. » 198. Sur le plan universel, dans son rapport au Conseil de sécurité sur l’État de droit et l’administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, le Secrétaire général des Nations unies signalait que : « (...) les accords de paix approuvés par les Nations unies ne peu[ven]t jamais promettre des amnisties pour des crimes de génocide, de guerre ou de lèse-humanité ou pour des infractions graves contre les droits de l’homme (...) » 199. Dans le même sens, le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a conclu que les amnisties et autres mesures analogues contribuent à l’impunité et constituent un obstacle pour le droit à la vérité en s’opposant à une enquête exhaustive sur les faits et sont par conséquent incompatibles avec les obligations qui incombent aux États en vertu de diverses sources du droit international. De plus, au sujet du faux dilemme entre la paix ou la réconciliation, d’une part, et la justice, de l’autre, il a déclaré ce qui suit : « [l]es amnisties qui exonèrent de sanctions pénales les auteurs de crimes odieux dans l’espoir d’obtenir la paix ont souvent manqué leur objectif et ont au contraire engagé leurs bénéficiaires à récidiver. En revanche, des accords de paix ont été signés sans être assortis de mesures d’amnistie dans des cas où l’amnistie était considérée comme une condition sine qua non de la paix et où nombreux étaient ceux qui craignaient que les mises en accusation ne prolongent le conflit. » 200. En consonance avec ce qui précède, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la question de l’impunité a fait remarquer que : « [l]es auteurs des violations ne pourront pas bénéficier de l’amnistie tant que les victimes n’auront pas obtenu justice au moyen d’un recours efficace. Juridiquement, elle ne produira pas ses effets à l’égard des actions des victimes liées au droit aux réparations. » 201. L’Assemblée générale des Nations unies a énoncé dans l’article 18 de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées que « [l]es auteurs et les auteurs présumés [de disparitions forcées] ne peuvent bénéficier d’aucune loi d’amnistie spéciale ni d’autres mesures analogues qui auraient pour effet de les exonérer de toute poursuite ou sanction pénale ». 202. La Conférence mondiale sur les droits de l’homme tenue à Vienne en 1993, dans sa Déclaration et Programme d’action, a souligné que les États « devraient abroger les lois qui assurent, en fait, l’impunité aux personnes responsables de violations graves des droits de l’homme [...], et ils devraient poursuivre les auteurs de ces violations », en soulignant que, en cas de disparitions forcées, les États ont pour obligation primordiale de les empêcher et, si elles se produisent, de traduire leurs auteurs en justice. 203. Le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires des Nations unies a traité le thème des amnisties dans les cas de disparitions forcées en différentes occasions. Dans son Observation générale concernant l’article 18 de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, il a souligné qu’il est estimé qu’une loi d’amnistie est contraire aux dispositions de la déclaration, même lorsqu’elle a été approuvée par référendum ou au moyen d’une procédure de consultation similaire si, directement ou indirectement, à cause de son application ou de sa mise en œuvre, cesse l’obligation d’un État d’enquêter, de mettre en accusation et de punir les responsables des disparitions, s’ils cachent le nom de quiconque aurait commis ces actes ou s’il les exonère. 204. De surcroît, le même Groupe de travail exprima sa préoccupation concernant les situations de post-conflits dans lesquelles sont promulguées des lois d’amnistie ou dans lesquels sont adoptées d’autres mesures qui ont pour effet l’impunité, et rappela aux États que : « pour lutter contre la disparition, l’application de mesures préventives efficaces est essentielle, [parmi lesquelles] il appelle spécialement l’attention sur les mesures suivantes : (...) la soumission à la justice de toutes les personnes accusées d’avoir commis des faits de disparition forcée, en veillant à ce qu’elles soient jugées uniquement par les tribunaux civils compétents et ne bénéficient pas d’une loi spéciale d’amnistie ou d’autres mesures similaires susceptibles de les exonérer des poursuites ou des sanctions pénales ; l’octroi de réparations et d’une indemnisation appropriées aux victimes et à leur famille. » 205. De même, le domaine universel, les organes de protection des droits de l’homme établis par voie de traités ont conservé le même critère s’agissant d’interdire les amnisties qui entravent les enquêtes et la sanction des auteurs de graves violations des droits de l’homme. Dans son Observation générale no 31, le Comité des droits de l’homme a déclaré que les États doivent veiller à ce que les auteurs d’infractions assimilées à des délits au regard du droit international ou national, comme la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, les exécutions sommaires et arbitraires et les disparitions forcées, devaient comparaître devant la justice et qu’ils ne sauraient exonérer leurs auteurs de leur responsabilité juridique, comme cela s’est produit dans le cas de certaines amnisties. 206. Le Comité des droits de l’homme s’est prononcé à cet égard dans le traitement qu’il accorde aux pétitions individuelles et dans ses rapports sur les pays. Dans l’affaire Hugo Rodríguez c. Uruguay, il a déclaré ne pas pouvoir accepter la position d’un État qui ne se considérait pas obligé d’enquêter sur des violations de droits de l’homme survenues lors d’un régime antérieur en vertu d’une loi d’amnistie, et a affirmé à nouveau que les amnisties portant sur des violations graves des droits de l’homme sont incompatibles avec le Pacte international des droits civils et politiques, indiquant que ces dernières contribuent à engendrer une atmosphère d’impunité susceptible d’ébranler l’ordre démocratique et de donner lieu à des violations graves des droits de l’homme. (...) 209. Toujours concernant le domaine universel, dans une autre branche du droit international, le droit pénal international, les amnisties ou réglementations analogues ont été également jugées inadmissibles. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, dans une affaire relative à la torture, a considéré que cela n’avait aucun sens, d’une part, d’appuyer la proscription de violations graves des droits de l’homme et, d’autre part, de permettre la prise de mesures étatiques qui les autorisent ou les pardonnent, ou des lois d’amnistie qui absolvent leurs auteurs. Dans cette même lignée, le Tribunal spécial de Sierra Leone a estimé que les lois d’amnistie de ce pays ne sont pas applicables à des graves crimes internationaux. Cette tendance universelle s’est vue confortée par l’introduction de la norme mentionnée dans l’élaboration des statuts des tribunaux spéciaux les plus récemment créés sous l’égide des Nations unies. C’est pourquoi, tant les accords passés entre les Nations unies avec la République du Liban et le Royaume du Cambodge que les statuts qui ont porté création du Tribunal spécial pour la Sierra Leone et des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens ont inclus dans leurs textes des clauses qui stipulent que les amnisties accordées ne constitueront pas une entrave à la poursuite des auteurs de ces délits qui relèvent de la juridiction de ces tribunaux. 210. De même, interprétant l’article 6 § 5 du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève sur le droit international humanitaire, le CICR a déclaré que les amnisties ne pouvaient pas protéger les auteurs de crimes de guerre : « [l]orsqu’elle a adopté le paragraphe 5 de l’article 6 du Protocole additionnel II, l’URSS a déclaré dans le raisonnement de son opinion que cette disposition ne pouvait pas être interprétée de manière à permettre aux criminels de guerre ou à d’autres personnes coupables de crimes contre l’humanité d’échapper à de sévères sanctions. Le CICR souscrit à cette interprétation. Une amnistie ne serait pas non plus compatible avec la règle exigeant des États qu’ils ouvrent des enquêtes et engagent des poursuites contre les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre dans le cadre de conflits armés non internationaux. (...) » 211. Cette norme du droit international humanitaire et cette interprétation de l’article 6 § 5 du Protocole ont été adoptées par la Commission interaméricaine des droits de l’homme et par le Comité des droits de l’homme des Nations unies. 212. Les tribunaux et organes de tous les systèmes régionaux de protection des droits de l’homme ont également affirmé que les amnisties couvrant des violations graves des droits de l’homme allaient à l’encontre du droit international. 213. Dans le système européen, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’aux fins d’un recours effectif, il est impératif que les procédures pénales relatives à des crimes comme la torture, qui impliquent des violations graves des droits de l’homme, ne fassent l’objet d’aucune prescription et qu’aucune amnistie ou grâce ne soient tolérées à leur endroit. Dans d’autres affaires, elle a souligné que, lorsqu’un agent de l’État est accusé de crimes contraires à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit à la vie), la procédure pénale et le jugement ne doivent pas être entravés et l’octroi d’une amnistie n’est pas autorisé. 214. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a estimé que les lois d’amnistie ne peuvent exonérer l’État qui les adopte de ses obligations internationales ; elle a déclaré, de surcroît, que l’interdiction de la poursuite des auteurs de violations graves des droits de l’homme par le biais d’amnisties amènerait les États à promouvoir non seulement l’impunité, mais ôterait toute possibilité d’enquêter sur ces abus et priverait les victimes de ces crimes d’un recours effectif aux fins d’obtention de réparations. (...) F. Les lois d’amnistie et la jurisprudence de la Cour interaméricaine 225. La Cour interaméricaine a jugé « inadmissibles les dispositions d’amnistie, les dispositions de prescription et l’établissement de dispositions visant l’exclusion de responsabilité ayant pour objet d’empêcher l’enquête et la sanction des responsables des violations graves des droits de l’homme telles que la torture, les exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires ainsi que les disparitions forcées, qui sont toutes interdites car elles contreviennent aux droits indérogeables reconnus par le droit international des droits humains ». 226. En ce sens, en cas de violations graves des droits de l’homme, les lois d’amnistie sont expressément incompatibles avec la lettre et l’esprit du Pacte de San José, étant donné qu’elles violent les dispositions des articles 1.1 et 2, c’est-à-dire qu’elles interdisent toute investigation sur des violations graves des droits de l’homme et toute sanction de leurs auteurs et qu’elles entravent en conséquence le droit des victimes et de leurs familles à connaître la vérité sur ce qui s’est passé et à obtenir une réparation correspondante, empêchant ainsi la justice de faire pleinement, effectivement et en temps utile son travail dans les affaires pertinentes. Ces lois favorisent donc l’impunité et l’arbitraire et portent gravement atteinte à l’état de droit, raison pour laquelle, en droit international, elles sont réputées être dénuées de tout effet juridique. 227. En particulier, les lois d’amnistie portent atteinte au devoir international incombant à l’État d’enquêter et de sanctionner les violations graves des droits de l’homme car elles empêchent les proches des victimes d’être entendus par un magistrat, conformément à ce qui est stipulé à l’article 8.1 de la Convention américaine et violent ainsi le droit à la protection judiciaire consacré à l’article 25 de ce même instrument précisément vu l’absence d’enquête, de poursuites, de capture, de jugement et de sanction des auteurs des faits, ne donnant pas exécution à l’article 1.1 de la Convention. 228. À la lumière des obligations générales consacrées aux articles 1.1 et 2 de la Convention américaine, les États parties sont tenus d’adopter des dispositions de toute nature afin que personne ne soit soustrait à la protection judiciaire ou empêché d’exercer son droit de recours simple et efficace, tels que le stipulent les articles 8 et 25 de la Convention. Dès lors que la Convention a été ratifiée, l’État est tenu, conformément à l’article 2 de celle-ci, d’adopter toutes les mesures pour que les dispositions légales susceptibles de lui être contraires soient dépourvues d’effet, comme tel est le cas des normes empêchant d’enquêter sur des graves violations des droits de l’homme vu qu’elles privent les victimes de leur droit à la défense et perpétuent l’impunité, tout en empêchant les victimes et leurs proches de connaître la vérité concernant les faits. 229. L’incompatibilité avec la Convention inclut les amnisties accordées pour des violations graves des droits de l’homme et ne se borne pas uniquement aux « autoamnisties » comme elles sont appelées. Ainsi, la Cour s’attache davantage à son ratio legis qu’au processus d’adoption et qu’à l’autorité émettrice de la loi d’amnistie : laisser impunies de graves violations commises au regard du droit international. L’incompatibilité des lois d’amnistie avec la Convention américaine dans des cas graves de violations des droits de l’homme ne découle pas d’une question formelle, telle que son origine, mais de l’aspect matériel dès lors que sont violés les droits consacrés par les articles 8 et 25, en conjonction avec les articles 1.1 et 2 de la Convention. G. L’enquête sur les faits et la loi uruguayenne d’expiration (...) 240. (...) en appliquant des dispositions de la loi d’expiration (laquelle, à toutes fins utiles, constitue une loi d’amnistie) et donc en entravant l’enquête sur les faits ainsi que l’identification, la poursuite et l’éventuelle sanction des auteurs possibles de dommages continus et permanents tels que ceux causés par la disparition forcée, l’État ne s’est pas conformé à son obligation d’adapter son droit interne consacrée par l’article 2 de la Convention. » Dans l’affaire Gomes Lund et autres c. Brésil (exceptions préliminaires, fond, réparations, frais et dépens), arrêt du 24 novembre 2010, série C no 219, la Cour interaméricaine s’opposa de nouveau vigoureusement aux amnisties accordées aux auteurs de violations graves des droits fondamentaux de l’homme. Après avoir invoqué les mêmes normes de droit international que dans l’affaire Gelman précitée, la Cour interaméricaine s’exprima notamment ainsi : « 170. Comme il ressort du contenu des paragraphes précédents, tous les organes internationaux de protection des droits de l’homme et les différentes Hautes Cours nationales de la région qui ont eu l’occasion de statuer sur la portée des lois d’amnistie dans des cas de violations graves des droits de l’homme et de leur incompatibilité avec les obligations internationales des États qui les promulguent ont conclu que ces dernières violaient l’obligation incombant à l’État d’enquêter et de sanctionner lesdites violations. 171. Cette Cour s’est déjà prononcée antérieurement sur cette question et ne trouve pas les bases juridiques pour s’écarter de sa jurisprudence constante, laquelle, qui plus est, concorde avec ce qui a été établi à l’unanimité par le droit international et par les précédents des organes des systèmes universels et régionaux de protection des droits de l’homme. De sorte que, aux fins de la présente affaire, la Cour réitère que « ne sont pas admissibles les dispositions de l’amnistie, les dispositions en matière de prescription et la mise en place de clauses excluant toute responsabilité et qui visent à empêcher d’enquêter et de sanctionner les auteurs de graves violations des droits de l’homme comme la torture, les exécutions sommaires, extralégales ou arbitraires ainsi que les disparitions forcées, toutes prohibées car elles contreviennent aux droits reconnus par le droit international relatif aux droits de l’homme et auxquels il ne peut être dérogé ». (...) 175. S’agissant des allégations des parties, quant à savoir s’il s’agissait d’une amnistie, d’une auto-amnistie ou d’un « accord politique », la Cour observe, comme il ressort du critère réitéré dans la présente affaire (paragraphe 171 ci-dessus), que l’incompatibilité avec la Convention inclut les amnisties accordées pour des violations graves des droits de l’homme et ne se borne pas uniquement aux « auto-amnisties » comme elles sont appelées. Ainsi, comme cela a été noté précédemment, la Cour s’attache davantage à son ratio legis qu’au processus d’adoption et qu’à l’autorité émettrice de la loi d’amnistie : laisser impunies de graves violations du droit international commises par le régime militaire. L’incompatibilité des lois d’amnistie avec la Convention américaine dans des cas graves de violations des droits de l’homme ne découle pas d’une question formelle, telle que son origine, mais de l’aspect matériel dès lors où sont violés les droits consacrés par les articles 8 et 25, en conjonction avec les articles 1.1 et 2, de la Convention. 176. Cette Cour a établi, dans sa jurisprudence, avoir conscience de ce que les autorités internes sont assujetties à l’empire de la loi et, par conséquent, elles sont tenues d’appliquer les dispositions en vigueur dans l’ordre juridique. Cependant, lorsqu’un État est partie à un traité international telle la Convention américaine, tous ses organes, y compris les juges, y sont également assujettis, d’où l’obligation qui leur incombe de veiller à ce que les effets des dispositions de la Convention ne soient pas diminués par l’application de normes contraires à son objet et but et qui, dès le début, soient privées d’effets juridiques. C’est ainsi que le pouvoir judiciaire est tenu, au plan international, d’exercer un « contrôle de conventionalité » ex officio entre les normes internes et la Convention américaine, dans le cadre, bien entendu, de ses compétences et des réglementations procédurales y afférentes. Dans cette fonction, le Pouvoir judiciaire doit non seulement tenir compte du traité, mais aussi de l’interprétation qu’en a donné la Cour interaméricaine, interprète en dernier ressort de la Convention américaine. » Plus récemment, dans Massacres d’El Mozote et lieux voisins c. Salvador (fond, réparations, frais et dépens), arrêt du 25 octobre 2012, série C no 252, la Cour interaméricaine des droits de l’homme s’exprima notamment ainsi : « 283. Dans les affaires Gomes Lund et autres c. Brésil et Gelman c. Uruguay, sur lesquelles elle a statué dans son domaine de compétence juridictionnelle, la Cour a déjà décrit et développé en détail comment elle-même, la Commission interaméricaine des droits de l’homme, les organes des Nations unies ainsi que d’autres organismes universels et régionaux de protection des droits de l’homme se sont prononcés au sujet de l’incompatibilité des lois d’amnistie avec le droit international et les obligations internationales des États relativement à des violations graves des droits de l’homme. Les amnisties ou mécanismes juridiques analogues ont en effet été l’un des obstacles invoqués par certains États pour ne pas se conformer à leur obligation d’enquêter au sujet des violations graves des droits de l’homme, de poursuivre et sanctionner, le cas échéant, les responsables. Par ailleurs, différents États membres de l’Organisation des États américains, par le biais de leurs instances judiciaires les plus élevées, ont appliqué les normes en question en respectant de bonne foi leurs obligations internationales. Aussi la Cour rappelle-t-elle, aux fins de la présente affaire, le caractère inadmissible « des dispositions en matière d’amnistie, de prescription et d’exonération de responsabilité qui visent à empêcher, dans le cas de violations graves des droits de l’homme telles que la torture, les exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires ou les disparitions forcées, qui sont toutes interdites au motif qu’elles contreviennent aux droits indérogeables reconnus par le droit international des droits de l’homme, qu’une enquête puisse être menée au sujet des faits et que les responsables puissent être sanctionnés ». 284. Toutefois, contrairement aux affaires déjà examinées par la Cour, l’espèce porte sur une loi d’amnistie générale relative à des actes commis dans le contexte d’un conflit armé interne. La Cour estime donc pertinent de procéder à l’analyse de la compatibilité de la loi d’amnistie générale pour la consolidation de la paix avec les obligations internationales découlant de la Convention américaine et de l’application de cette loi à l’affaire des Massacres d’El Mozote et lieux voisins à la lumière des dispositions du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève de 1949 ainsi que des termes de l’accord de cessation des hostilités qui a mis fin au conflit au Salvador, en particulier de l’article 5 (« Fin de l’impunité ») du Chapitre I (« Forces armées ») de l’Accord de paix du 16 janvier 1992. 285. Selon le droit international humanitaire applicable à ces situations, l’adoption de lois d’amnistie à la cessation des hostilités en cas de conflit armé non international peut quelquefois se justifier pour faciliter le retour à la paix. En effet, l’article 6 § 5 du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève de 1949 dispose que : « À la cessation des hostilités, les autorités au pouvoir s’efforceront d’accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part au conflit armé ou qui auront été privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, qu’elles soient internées ou détenues. » 286. Cette norme n’est toutefois pas absolue, les États ayant également, en vertu du droit international humanitaire, une obligation d’enquête et de poursuite relativement aux crimes de guerre. Partant, les « personnes soupçonnées ou accusées d’avoir commis des crimes de guerre ou condamnées de ce chef » ne peuvent être couvertes par une amnistie. L’article 6 § 5 du Protocole additionnel II peut donc être compris comme visant des amnisties larges applicables aux personnes ayant pris part à un conflit armé non international ou privées de liberté pour des raisons liées à ce conflit armé, sous réserve que cela n’implique pas des faits, tels que ceux dont il est question en l’espèce, susceptibles d’être qualifiés de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité. » R. Les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens Dans leur décision relative à l’appel interjeté par Ieng Sary contre l’ordonnance de clôture (affaire no 002/19 09-2007-ECCC/OCIJ (PTC75)) du 11 avril 2011, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens s’exprimèrent ainsi quant aux effets de l’amnistie sur les poursuites : « 199. Les crimes retenus dans l’Ordonnance de clôture, à savoir le génocide, les crimes contre l’humanité, les violations graves des Conventions de Genève, ainsi que l’homicide, la torture et la persécution religieuse en tant que crimes relevant du droit cambodgien, n’étant pas des infractions prévues par la Loi de 1994, restent passibles de poursuites sous l’empire du droit pénal existant, qu’il soit interne ou international, et cela même s’ils sont attribués à des membres présumés du groupe du Kampuchéa démocratique. (...) 201. L’interprétation du Décret royal mise en avant par les coavocats de Ieng Sary, qui reviendrait à dire qu’il a été gracié pour tous les crimes commis pendant l’ère des Khmers rouges, y compris tous les crimes retenus dans l’Ordonnance de clôture, est contraire à la fois au texte du Décret royal, considéré conjointement avec la Loi de 1994, et aux obligations internationales du Cambodge. Dans le cas du génocide, de la torture et des violations graves des Conventions de Genève, l’amnistie empêchant toutes poursuites et sanctions irait à rebours des traités qui obligent le Cambodge à poursuivre et à punir les auteurs de ces crimes, à savoir la Convention sur le génocide, la Convention contre la torture et les Conventions de Genève. Le Cambodge, qui a ratifié le Pacte international, avait et continue d’avoir aussi l’obligation de veiller à ce que les victimes des crimes contre l’humanité, lesquels emportent par définition des violations graves des droits de l’homme, disposent d’un recours utile. Cette obligation suppose généralement que l’État poursuive et punisse les auteurs des violations. Le fait d’accorder l’amnistie pour les crimes contre l’humanité, c’est-à-dire de décréter l’abolition et l’oubli des infractions commises, aurait été contraire à l’obligation faite au Cambodge par le Pacte international de poursuivre et punir les auteurs de violations graves des droits de l’homme ou de veiller à ce que les victimes disposent d’un recours utile. Comme rien ne permet de conclure que le Roi (et cela vaut pour les autres personnes impliquées) entendait, en rendant le Décret royal, ne pas respecter les obligations internationales du Cambodge, l’interprétation de ce document avancée par les coavocats est jugée sans fondement. » S. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone Le 13 mars 2004, la chambre d’appel du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, dans les affaires nos SCSL-2004-15-AR72(E) et SCSL2004-16-AR72(E), adopta sa décision sur l’exception d’incompétence : amnistie prévue par l’Accord de Lomé, dans laquelle elle formula les observations suivantes : « 82. L’argument de l’accusation qui veut que « prenne corps en droit international une norme selon laquelle un gouvernement ne peut amnistier les auteurs de violations graves constitutives de crimes internationaux » est amplement étayé par les éléments produits devant le Tribunal. L’avis des deux amici curiae selon lequel cette tendance s’est cristallisée peut ne pas être entièrement juste mais, s’agissant de se forger son propre avis, le Tribunal ne voit aucune raison d’ignorer la solidité de leur argumentation et le poids des éléments qu’ils ont produits devant lui. Il est admis qu’une telle norme est en train de se développer en droit international. L’avocat de M. Kallon a déclaré que, jusqu’à présent, l’idée que les amnisties sont illégales en droit international n’est pas universellement admise mais, ainsi que le souligne avec insistance le professeur Orentlicher, plusieurs traités exigent que de tels crimes soient poursuivis, notamment la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et les quatre Conventions de Genève. En outre, de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité des Nations unies réaffirment l’obligation pour les États de poursuivre et traduire en justice les auteurs de tels crimes. L’organisation REDRESS a notamment annexé à ses observations écrites les conclusions pertinentes du Comité contre la torture, des constatations de la Commission des droits de l’homme et les arrêts pertinents de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. (...) Même si l’on admet que la Sierra Leone n’a pas violé le droit coutumier en accordant une amnistie, le Tribunal, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, est en droit de ne pas accorder un grand poids ou de ne pas accorder de poids du tout à l’octroi d’une amnistie qui va à rebours de l’évolution actuelle du droit international coutumier et qui méconnaît les obligations découlant de certains traités et conventions dont le but est la protection de l’humanité. »
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1954, 1955, 1951, 1967 et 1961. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. La procédure pénale principale Les 10, 11 et 13 juin 1994, les requérants, soupçonnés d’appartenir à une organisation illégale, furent placés en garde à vue. Le 22 juin 1994, ils furent placés en détention provisoire. Par un acte d’accusation du 28 octobre 1994, le procureur de la République près la cour de sûreté d’État d’Istanbul inculpa les requérants de commandement d’une organisation illégale. Les requérants Oya Açan, Hatice Nilgün Güngör et Refik Ünal furent remis en liberté respectivement le 20 novembre 1995, le 27 juin 1998 et le 25 octobre 1999. Le 3 décembre 1999, les dossiers des requérants Oya Açan et Kenan Güngör furent disjoints du dossier principal et joints à un autre dossier instruit devant la cour de sûreté de l’État (voir paragraphes 16 et suivants cidessous). Le requérant Hasan Selim Açan fut remis en liberté le 4 avril 2001. À la suite de la suppression des cours de sûreté de l’État, la procédure continua devant la cour d’assises spéciale d’Istanbul. Le 17 mai 2006, la cour d’assises spéciale condamna le requérant Hasan Selim Açan à dix-huit ans et neuf mois d’emprisonnement. Elle décida de mettre fin à la procédure pénale diligentée contre les requérants Refik Ünal et Hatice Nilgün Güngör en raison de la prescription. Le 23 novembre 2006, la Cour de cassation confirma ce jugement. B. La procédure pénale diligentée contre les requérants Oya Açan et Kenan Güngör Le 16 mai 1998, la requérante Oya Açan fut placée en garde à vue pour la deuxième fois. Le 28 mai 1998, elle fut placée en détention provisoire. Le 8 juin 1998, une nouvelle procédure pénale fut diligentée à l’encontre des requérants Oya Açan et Kenan Güngör pour appartenance à une organisation illégale et tentative de renversement de l’ordre constitutionnel. Les dossiers de ces deux requérants dans l’affaire déjà pendante devant la cour de sûreté de l’État d’Istanbul furent joints à cette nouvelle procédure (voir paragraphe 10 ci-dessus). Le 29 juin 2001, la requérante Oya Açan fut remise en liberté. Le 26 avril 2002, la cour de sûreté de l’Etat condamna Oya Açan à douze ans et six mois d’emprisonnement et Kenan Güngör à une peine d’emprisonnement à perpétuité. Le 12 mai 2003, la Cour de cassation infirma ce jugement. La procédure reprit devant la juridiction de première instance. À l’audience du 30 octobre 2003, le dossier d’Oya Açan, qui restait introuvable, fut séparé et inscrit au rôle sous un nouveau numéro. Son avocat informa la Cour que le dossier de cette requérante était toujours en suspens parce que cette dernière vivait désormais en France et ne rentrait plus en Turquie. À la suite de la suppression des cours de sûreté de l’État, la procédure pénale continua devant la cour d’assises d’Istanbul. Le 25 janvier 2005, le requérant Kenan Güngör fut remis en liberté. Le 22 mai 2009, il fut condamné à une peine de prison à perpétuité. Le 11 mars 2011, la Cour de cassation confirma ce jugement. Par une lettre du 28 août 2013, les requérants informèrent la Cour qu’ils avaient introduit un recours concernant la durée de la procédure pénale diligentée à leur encontre devant la commission d’indemnisation créée par la loi no 6384.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Faits au moment de l’introduction de la requête La première requérante, née en 1967, est mariée depuis le 8 août 2005 à un ressortissant français. Elle réside régulièrement en France depuis octobre 2005 en qualité de conjoint de Français. Elle a obtenu la nationalité française en novembre 2010. Elle est mère de deux enfants (les deuxième et troisième requérants), René Lewa Mboum, né en 1990 et Léopolodin Tahagnam Bissa, née en 1995, de père inconnu, restés au Cameroun lorsqu’elle est venue en France. L’année 2006 Le 7 août 2006, la première requérante déposa un dossier de regroupement familial en faveur de ses enfants. Par un courrier du 27 septembre 2006, le préfet de la Charente lui indiqua qu’il ne pouvait donner une suite favorable à sa demande, faute pour elle de séjourner régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois (article L 411-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ci-après « CESEDA », paragraphe 34 ci-dessous). Selon le Gouvernement, la première requérante vint au courant de l’été 2006 solliciter le consul général de France à Douala afin d’obtenir la délivrance de visas au profit des enfants, en se prévalant des copies d’acte de naissance établis par le consulat du Cameroun à Marseille le 10 juillet 2006. La requérante aurait été informée à cette occasion que les demandes de visas ne pouvaient être instruites car elles devaient s’inscrire dans une procédure de regroupement familial conformément à l’article L 411-1 du CESEDA. Le Gouvernement explique que, à la suite de cette visite, et dans le but de réduire le délai d’instruction des dossiers de la première requérante, « dont l’autorité consulaire savait qu’ils allaient, selon toute vraisemblance, lui être transmis à brève échéance », il fut décidé de transmettre aux autorités camerounaises, aux fins d’authentification, les copies des actes de naissance laissées par la première requérante. Lors de cette vérification, les autorités auraient découvert que les références des déclarations de naissance mentionnées sur les actes établis par le consulat du Cameroun ne correspondaient pas à celles des enfants allégués de la requérante, la première ne correspondant à aucune naissance, la seconde étant celle d’un autre enfant. A cet égard, le Gouvernement produit copie de l’échange épistolaire entre l’autorité consulaire et le directeur de l’hôpital « Laquintinie » de Douala daté respectivement des 30 novembre 2006 et 18 janvier 2007 : « Dans le cadre d’une demande d’authentification d’acte de naissance, je vous serais reconnaissante de bien vouloir me faire parvenir le duplicata des déclarations de naissance suivantes : - No 381 – naissance du 17 février 1995 - No 12937 – naissance du 18 novembre 1990 ». « (...) J’ai l’honneur de vous certifier que les numéros de déclaration 00381 et 00382 (ci-joint photocopies de déclaration) correspondent plutôt à la date de naissance du 1er février 1995 avec pour nom de l’accouchée Makoudoum Béatrice Filomène. Par ailleurs, le numéro 12937 du 18 novembre 1990 ne se trouve nulle part dans nos registres ». L’année 2007 Le 9 mai 2007, après dix-huit mois de résidence en France, la première requérante déposa une demande de regroupement familial. Le 21 mai 2007, elle reçut une attestation de dépôt de sa demande. Le 14 novembre 2007, le préfet de la Charente informa la requérante de sa décision d’accueillir favorablement la demande de regroupement familial, sous réserve que le contrôle médical auquel devaient se soumettre ses enfants ne fasse pas apparaître une inaptitude médicale. Il indiqua à la requérante que l’Office des migrations internationales (OMI) chargé de poursuivre l’instruction du dossier allait prendre contact avec elle et que les enfants disposaient d’un délai de six mois pour entrer en France, c’est-à-dire avant le 15 mai 2008 au plus tard. Il lui précisa qu’un éventuel report de délai pouvait être accordé en cas de circonstances particulières. Dans les jours qui suivirent cette décision, les services de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM, remplaçant l’OMI) contactèrent la première requérante pour l’accomplissement de diverses formalités, à l’issue desquelles son dossier fut transmis au consulat général de France à Douala le 27 novembre 2007, dont les extraits d’acte de naissance établis par le consulat du Cameroun le 10 juillet 2006 (paragraphe 7 ci-dessus). L’année 2008 La première requérante réussit, après de nombreuses tentatives, à obtenir un rendez-vous pour le 23 janvier 2008 au consulat général de France à Douala. Ce jour-là, elle introduisit auprès des autorités consulaires deux demandes de visas de long séjour. Affirmant avoir perdu les originaux des actes de naissance des enfants et avoir été informée de la destruction des registres d’état civil, la requérante saisit, le 6 mars 2008, le tribunal de première instance de Douala aux fins de reconstitution des actes de naissance de ses enfants. Par deux jugements du 2 avril 2008, ce tribunal ordonna la reconstitution, par tout officier d’état civil compétent, des actes de naissance. Le premier jugement fut ainsi motivé : « Attendu qu’en l’espèce, il ressort du certificat de non retrouvaille de la souche d’acte de naissance délivré le 7 mars 2008 par l’officier d’état civil (...) que la souche d’acte de naissance no 613/95 dressé le 25 février 1995 à Deïdo Douala au nom de Tahagnam Bissa Léopoldine n’a pas été retrouvée dans ses archives à cause de la destruction des registres ; Attendu que de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la requérante est fondée en sa demande ; qu’il y a lieu d’ordonner la reconstitution par tout officier d’état civil territorialement compétent de l’acte de naissance du nommé Tahagnam Bissa Léopoldine née le 17 février 1995 à Douala, de Senigo Longue Téclaire, la mère». Le second jugement est similaire pour l’enfant Mboum René Lewa né le 18 novembre 1990 et « dont la souche d’acte de naissance no 2572/90 dressé le 2 novembre 1990 à Deïdo Douala au nom de Mboum René Lewa n’a pas été retrouvée dans les archives à cause de la destruction des registres ». Le 10 mai 2008, le centre d’état civil de Deido de la ville de Douala dressa, en exécution des jugements du 2 avril 2008, deux certificats de conformité d’existence de souche et de lieu de naissance et deux actes de naissance, l’acte no 000241/2008 pour Tahagnam Bissa Léopoldine et l’acte no 000242/2008 pour Mboum René Lewa. Par un courrier du 14 mai 2008, la première requérante sollicita un délai supplémentaire pour la procédure du regroupement familial auprès du préfet de la Charente. Un délai de trois mois lui fut accordé, jusqu’au 15 août 2008. Par une décision du 6 juin 2008, notifiée le 2 juillet 2008, le consulat général de France à Douala rejeta, ainsi motivée, les demandes de visas d’entrée en France pour les deux enfants : « (...) J’ai le regret de vous informer que je ne peux donner une suite favorable à votre demande. En effet, il ressort de l’examen du dossier, après vérification auprès des autorités locales compétentes, que les copies des actes de naissance de René Lewa Mboulm et Léopoldine Alexis Tahagnam Bissa, présentées lors de leur demande de visa ne sont pas authentiques. Dès lors, l’identité des enfants tout comme leur filiation à votre égard ne sont nullement établies. En tout état de cause, la seule production d’un acte frauduleux justifie le rejet de l’ensemble des demandes ». Le 18 juillet 2008, la première requérante forma un recours contre cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visas d’entrée en France (ci-après « commission de recours ») en faisant valoir que l’authenticité du lien de filiation avait été établie par les jugements du 2 avril 2008 et la reconstitution des actes subséquente. Elle se dit prête à se soumettre à un test génétique, en se référant à l’article L. 111-6 du CESEDA (paragraphe 35 ci-dessus) pour prouver la filiation. Le 21 juillet 2008, le sénateur de la Charente écrivit au ministère des Affaires étrangères un courrier ainsi rédigé : « (...) il apparaît que le dossier de Mme Téclaire Rivet est bloqué au sein des services du consulat de France au Cameroun. Elle n’arrive pas à obtenir de visa pour ses enfants alors que tous les papiers, dont vous trouverez ci-joint copie, sont en règle. Il apparaît que les actes de naissance ne seraient pas conformes bloquant ainsi la délivrance des visas. Or la ville de Douala vient de faire parvenir à Mme Rivet les deux actes de naissance officiels de ses enfants, qu’elle s’est donc empressée de fournir au consulat. De plus, M. et Mme Rivet travaillent tous les deux. (..) Ce couple est très impliqué dans la commune et honorablement connu. A la suite de cette décision, [elle] a fait un recours auprès de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France. Je vous serais reconnaissant d’avoir l’amabilité de bien vouloir demander aux services compétents de votre ministère de bien vouloir examiner cette demande avec bienveillance. Je serais très heureux si les enfants pouvaient obtenir un visa avant la prochaine rentrée scolaire (...) La requérante s’est déjà préoccupée de les inscrire l’un et l’autre dans un établissement scolaire». Le même jour, le maire de la commune de Lesterps (France) écrivit à la commission de recours pour soutenir la démarche de regroupement familial. Il fit valoir que « s’il est apparu un doute sur la filiation (plus d’un an pour s’en apercevoir), la famille est prête à se soumettre très rapidement à tous les tests génétiques nécessaires afin de prouver le lien de filiation des enfants ». Il déclara que la séparation physique était devenue insupportable pour la première requérante et demanda de faire procéder à toutes les vérifications nécessaires à l’établissement formel de la filiation le plus rapidement possible. Le 31 juillet 2008, le consulat du Cameroun à Marseille dressa des copies intégrales des actes de naissance des deux enfants conformément à ceux établis le 10 mai 2008 (paragraphe 14 ci-dessus). Par une requête du 18 août 2008, la première requérante saisit le Conseil d’Etat d’une requête en référé-suspension de la décision consulaire du 6 juin 2008. Elle fit valoir que la condition d’urgence était satisfaite, compte tenu de la séparation d’avec ses enfants depuis près de trois ans, et allégua que la décision attaquée portait une atteinte disproportionnée à l’intérêt supérieur des enfants et à son droit au respect de sa vie familiale. Le 25 août 2008, le Conseil d’Etat enregistra son recours en annulation de la décision consulaire et du rejet implicite de sa demande devant la commission de recours. Dans sa requête, la première requérante dénonça l’absence de motivation de la commission de recours, dont la décision sur recours préalable obligatoire se substitue à celle du consul. Elle allégua qu’il en était de même s’agissant de la décision consulaire, dénuée de fondement textuel et de motivation en droit. Elle fit valoir par ailleurs qu’aucune fraude n’était démontrée et que, au contraire, les autorités camerounaises avaient attesté de la réalité de la filiation (paragraphes 14 et 20 ci-dessus) en application des règles classiques du droit international privé, étant observé au surplus, que l’accord de coopération franco-camerounais du 21 février 1974 leur donnaient expressément pouvoir de dresser des actes d’état civil dispensés de légalisation (paragraphe 43 cidessous). Elle joignit notamment à sa requête les jugements du 2 avril 2008 et les certificats établis à la suite de ces jugements. Elle invoqua la violation de son droit au respect de sa vie familiale et l’intérêt supérieur des enfants, fit valoir que sa fille était malade, que les enfants étaient isolés, et que l’on ne pouvait lui imposer le choix d’être séparé soit de son époux soit de ses enfants. Enfin, elle allégua n’avoir reçu aucune information de l’administration quant à la possibilité de faire valoir ses droits, notamment quant à la vérification de la filiation à l’aide d’une identification génétique. Elle se dit prête à consentir à toute mesure utile tendant à vérifier la filiation maternelle. Par une ordonnance du 23 septembre 2008, le juge des référés du Conseil d’Etat rejeta la demande de suspension de la décision consulaire, aux motifs suivants : « Considérant que Mme Senigo Longue, de nationalité camerounaise, réside régulièrement en France depuis le mois d’octobre 2005 en qualité de conjoint de français ; qu’elle a présenté, en faveur des jeunes René Mboum et Léopoldine Tahagnam Bissa âgés respectivement de 17 et 13 ans, une demande de regroupement familial à laquelle il a été fait droit ; que toutefois, les autorités consulaires françaises au Cameroun ont rejeté les demandes de visas de long séjour présentées pour ces enfants ; Considérant qu’à l’appui des demandes de visas ont été produits dans un premier temps des actes de naissance qui se réfèrent à des déclarations de naissance établies à l’hôpital La Quintinie de Douala, ; qu’il résulte d’une vérification faite auprès de cet établissement à partir des numéros d’ordre des déclarations, que la première ne correspond à aucune naissance ayant eu lieu dans l’hôpital et que la seconde est celle d’un autre enfant ; que si la requérante alléguant la perte des originaux des actes de naissance de ses enfants et la destruction des registres d’état civil en faisant mention, a ensuite produit des jugements de reconstitution de ces actes, ces documents tardivement produits ne sont pas de nature à faire regarder comme authentiques les actes de filiation des enfants ; que dans ces conditions les moyens tirés par [la première requérante] de l’atteinte portée au droit au respect de sa vie privée et familiale et de celle ses enfants et de la méconnaissance de l’intérêt supérieur des enfants ne sont pas propres à faire naître un doute sérieux sur la légalité des refus de visas contestés ; (...) ». En décembre 2008, la première requérante retourna au Cameroun avec son époux français. Le 11 décembre 2008, ils demandèrent par écrit une audience auprès du consul de l’ambassade de France à Douala. La première requérante effectua des vérifications ADN de maternité, lesquels confirmèrent sa maternité à 99,99 % pour chacun des enfants (tests effectués le 16 décembre 2008). Les résultats furent transmis au consulat. L’année 2009 Le 17 février 2009, le ministre de l’Immigration transmit son mémoire au Conseil d’Etat. Il indiqua que la requérante ne pouvait se plaindre de l’insuffisance de la motivation des autorités consulaires puisque la décision implicite de la Commission de recours s’était légalement substituée à cette décision. Il souligna également que les actes produits à l’instance, à la suite des jugements du 2 avril 2008, avaient été opportunément reconstitués postérieurement à la demande de visa et ne pouvaient qu’être considérés comme dénués de force probante dès lors que les actes initialement produits étaient de faux documents. Il ajouta que la requérante ne justifiait pas de ses visites au Cameroun depuis son départ en 2005 et ne démontrait pas qu’elle avait subvenu à l’entretien et à l’éducation des deuxième et troisième requérants. Il estima enfin qu’elle ne pouvait invoquer l’article L. 111-6 du CESEDA (identification par empreintes génétiques), faute de publication du décret en Conseil d’Etat. Dans son mémoire en réponse du 9 avril 2009, la requérante sollicita la production par l’administration du courrier du 30 novembre 2006 émanant du Consul général de France à Douala et fit valoir son étonnement de la vérification faite en prévision d’une demande de visa intervenue un an plus tard (paragraphe 7 ci-dessus). Elle observa que la lettre du 10 janvier 2007 n’émanait d’aucune autorité d’état civil, mais du principal hôpital de Douala, où la plupart des Camerounaises de la région accouchent et où il se produit des dizaines de naissance chaque jour. Elle souligna qu’aucune allégation de faux n’était articulée à l’égard des actes de naissance produits à la suite des jugements du 2 avril 2008 et légalisés par les autorités compétentes. Elle se référa à plusieurs décisions du Conseil d’Etat selon lesquelles, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux, il n’appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d’une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère (CE, 31 octobre 2007, no 286681, Coliche ; CE, 18 juillet 2008, nos 309569 et 310935, Tsaty). Enfin, la première requérante fit valoir que le débat était clos avec les vérifications ADN. Par une ordonnance du même jour, soit le 9 avril 2009, le président de la septième sous-section de la section du contentieux du Conseil d’Etat, statuant au fond, sans audience, rejeta le recours de la première requérante : « Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 février 2009, présenté par le ministre de l’Immigration, de l’identité nationale et du développement solidaire qui conclut au rejet de la requête ; Vu les autres pièces du dossier ; « Considérant que les moyens tirés de ce que la décision implicite de rejet serait entachée d’incompétence et d’une insuffisance de motivation sont manifestement infondés ; que la requérante n’apporte manifestement aucun élément permettant de contester le motif de refus de visa énoncé par le ministre, tiré de ce que la filiation n’est pas établie, compte tenu des éléments circonstanciés présentés par le ministre établissant, en l’état de l’instruction, le caractère faux des documents produits ; qu’en l’absence de filiation établie, la requérante ne peut ni invoquer une violation de l’article 47 du code civil et des accords de coopération franco-camerounais du 21 décembre 1974, ni une violation du droit au regroupement familial et au droit au respect de sa vie privée et familiale ». Par un courrier du 9 avril 2009, la première requérante saisit la Cour d’une demande d’application de l’article 39 du Règlement en vue de faire cesser la séparation d’avec ses deux enfants « livrés à eux-mêmes au Cameroun, l’un avec un problème de santé important ». Le 15 avril 2009, la Cour rejeta cette demande. Le 30 avril 2009, à la suite de la demande que lui avait adressée la première requérante, la commission de recours précisa les motifs de sa décision implicite. Par une requête enregistrée le 1er juillet 2009, la première requérante déposa un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la réponse du 30 avril 2009. Elle assortit ce recours d’une demande de suspension de la même décision implicite née du silence gardé par la commission de recours sur sa saisine du 18 juillet 2008 (paragraphes 17 et 22 ci-dessus). Par un arrêt du 6 novembre 2009, le Conseil d’Etat considéra que l’acte par lequel la commission de recours communique les motifs de sa décision implicite est insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès car il n’a pas pour effet de faire naître une nouvelle décision distincte de la première et ayant déjà fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, sur lequel il a déjà été statué (paragraphe 27 ci-dessus). Le Conseil d’Etat rejeta la requête en précisant ce qui suit : « Considérant qu’il résulte de ce qui précède, que la requête de [la requérante], à qui il appartient, si elle s’y croit fondée, de présenter auprès du consulat de France à Douala une nouvelle demande de visa, ne peut qu’être rejetée (...) ». B. Faits survenus postérieurement à la communication de la requête Par un courrier du 8 décembre 2010, l’avocat de la requérante informa la Cour de l’accident de travail qu’avait subi cette dernière, de son hospitalisation pendant trois mois et de sa convalescence récente. Il signala le départ de la requérante pour le Cameroun pour une durée de trois mois, « compte tenu de la séparation forcée de ses enfants dont la situation se dégrade ». Par un courrier du 7 février 2011, il envoya des pièces supplémentaires à la Cour dont un justificatif de l’hospitalisation de la requérante, son admission à la nationalité française et un listing des envois d’argent au bénéfice des enfants. Par un courrier du 23 juin 2011, l’avocat informa la Cour de la délivrance soudaine des visas aux enfants, « sans explication particulière ni élément nouveau », qui avaient pu venir en France au mois de mars et d’avril 2011. Par un courrier du 17 octobre 2013, l’avocat des requérants précisa qu’il avait introduit en septembre 2012 une procédure en indemnisation devant le tribunal administratif de Nantes tout en expliquant que celle-ci n’avait aucune chance de prospérer (voir paragraphes 47 et 80 ci-dessous). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Procédure de regroupement familial L’étranger non européen qui souhaite faire venir sa famille doit déposer une demande de regroupement familial auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII, ancien ANAEM). Cette demande est examinée par le maire de la commune et la délégation de l’OFII de son département. L’étranger doit résider depuis au moins dix-huit mois de façon légale. Il doit être titulaire au moment de sa demande d’une carte de séjour temporaire valable au moins un an ou d’une carte de résident (article L. 4111 du CESEDA). Il doit justifier de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille et disposer d’un logement considéré comme normal pour une famille comparable. Le conjoint rejoignant doit être majeur et les enfants doivent être mineurs, cet âge étant apprécié à la date du dépôt de la demande de regroupement. Le dossier est instruit (délai légal six mois) : - par la préfecture (vérification des personnes), qui prend la décision définitive après consultation du maire ; - par le maire qui assure le contrôle du logement et des ressources ; - par le consulat qui vérifie les documents d’état civil à partir de la demande de visa long séjour, effectuée par la famille après l’autorisation préfectorale ; Une réforme en 2011 (décret no 2011-1049 du 6 septembre 2011 pris pour l’application de la loi no 2011-672 du 16 juin relative à l’immigration, l’intégration et la nationalité et relatif aux titres de séjour) prévoit que l’autorité consulaire ou diplomatique procède sans délai « dès le dépôt de la demande de visa de long séjour » aux vérifications des actes d’état civil (article R 421-10 du CESEDA modifié). L’étranger, qui fait l’objet d’un refus de visa, doit saisir au préalable la commission de recours. Celle-ci peut soit rejeter le recours, soit recommander d’accorder le visa demandé. Si la commission rejette le recours, ou si le ministère des Affaires étrangères confirme le refus de visa malgré l’avis favorable de la commission, l’intéressé peut former, dans les deux mois, un recours en annulation. Ce recours était déposé, à l’époque des faits, devant le Conseil d’Etat. Depuis 2010, il l’est devant le tribunal administratif de Nantes. Les autres dispositions pertinentes du CESEDA sont les suivantes : Article L 111-6 (depuis le 20 novembre 2007) « La vérification de tout acte d’état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l’article 47 du code civil. Le demandeur d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d’un pays dans lequel l’état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l’un de ses parents mentionné aux articles L 411-1 et L 411-2 ou ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, peut, en cas d’inexistence de l’acte de l’état civil ou lorsqu’il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l’existence d’un doute sérieux sur l’authenticité de celui-ci qui n’a pu être levé par la possession d’état telle que définie à l’article 311-1 du code civil, demander que l’identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d’apporter un élément de preuve d’une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l’identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli. Une information appropriée quant à la portée et aux conséquences d’une telle mesure leur est délivrée. Les agents diplomatiques ou consulaires saisissent sans délai le tribunal de grande instance de Nantes pour qu’il statue, après toutes investigations utiles et un débat contradictoire, sur la nécessité de faire procéder à une telle identification. Si le tribunal estime la mesure d’identification nécessaire, il désigne une personne chargée de la mettre en œuvre parmi les personnes habilitées dans les conditions prévues au dernier alinéa. La décision du tribunal et, le cas échéant, les conclusions des analyses d’identification autorisées par celui-ci sont communiquées aux agents diplomatiques ou consulaires. Ces analyses sont réalisées aux frais de l’Etat. Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis du Comité consultatif national d’éthique, définit : 1o Les conditions de mise en oeuvre des mesures d’identification des personnes par leurs empreintes génétiques préalablement à une demande de visa ; 2o La liste des pays dans lesquels ces mesures sont mises en oeuvre, à titre expérimental ; 3o La durée de cette expérimentation, qui ne peut excéder dix-huit mois à compter de la publication de ce décret et qui s’achève au plus tard le 31 décembre 2009 ; 4o Les modalités d’habilitation des personnes autorisées à procéder à ces mesures. » Le dispositif permettant le recours à l’identification par les empreintes génétiques n’est pas entré en vigueur, en l’absence de texte d’application. Article L. 211-1 « Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : 1o Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; (...) » Article L. 211-2 « Par dérogation aux dispositions de la loi no 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, les décisions de refus de visa d’entrée en France, prises par les autorités diplomatiques ou consulaires, ne sont pas motivées sauf dans les cas où le visa est refusé à un étranger appartenant à l’une des catégories suivantes et sous réserve de considérations tenant à la sûreté de l’Etat : (...) 4o Bénéficiaires d’une autorisation de regroupement familial ; (...)» Article R 211-4 « Pour effectuer les vérifications prévues à l’article L. 111-6, et par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l’article 21 de la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, les autorités diplomatiques et consulaires sursoient à statuer sur la demande de visa présentée par la personne qui se prévaut de l’acte d’état civil litigieux pendant une période maximale de quatre mois. Lorsque, malgré les diligences accomplies, ces vérifications n’ont pas abouti, la suspension peut être prorogée pour une durée strictement nécessaire et qui ne peut excéder quatre mois. » Le code civil accorde aux actes de l’état civil étranger une force probante. Depuis la loi du 14 novembre 2006 relative au contrôle de validité des mariages, l’article 47 de ce code est ainsi libellé : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. » Dans sa décision no 2006-542 DC du 9 novembre 2006, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur l’article 7 de la loi du 14 novembre 2006 ayant inséré dans la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations une dérogation, selon laquelle, en cas de vérification d’actes d’état civil auprès d’autorités étrangères, l’absence de réponse de la part de l’autorité administrative dans un délai de huit mois vaut décision de rejet de la demande. Les auteurs du recours soutenaient que cette disposition portait atteinte au droit de mener une vie familiale normale en instaurant un mécanisme de vérification qui permet à l’administration de s’opposer, pendant une durée excessive, à une demande faite au titre du regroupement familial. Le Conseil constitutionnel motiva sa décision de rejet comme suit : « Considérant que le législateur n’a ni modifié les règles de fond applicables à la mise en œuvre de la procédure de regroupement familial ni remis en cause le droit des étrangers dont la résidence en France est stable et régulière de faire venir auprès d’eux leur conjoint et leurs enfants mineurs ; que si il a été dérogé au droit commun en portant de deux à huit mois le délai à l’issue duquel le silence gardé par l’administration vaut décision de rejet, c’est seulement en cas de doute sur la validité des actes d’état civil étrangers et compte tenu des difficultés inhérentes à leur vérification. (...) ». Selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, l’absence de caractère probant des actes d’état civil est un motif d’ordre public qui peut justifier un refus de visa dans le cadre d’une procédure de regroupement familial (CE, no 305109, 1er juin 2007 ; CE, no 278553, 21 mars 2007 ; CE no 297335, 10 avril 2009). Il incombe à l’autorité administrative de faire état d’éléments permettant de mettre en doute l’authenticité des actes d’état civil produits à l’appui de la demande de regroupement familial (CE, no 312060, 16 mars 2009). Dans son rapport de 2010 intitulé « Visas refusés : enquête sur les pratiques des consulats de France en matière de délivrance des visas », la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués) constate que compte tenu de l’insuffisance de règles et de critères clairs et précis de la procédure de délivrance des visas, celle-ci peut sensiblement varier d’un pays à l’autre. Elle dénonce également des vérifications sans fin des consulats et des enquêtes qui peuvent durer plusieurs mois voire plusieurs années. Elle observe que ces vérifications sont très différentes d’un consulat à l’autre. « Au Cameroun, par exemple, les vérifications d’état civil sont tellement fréquentes que les demandeurs ont intérêt à faire authentifier les actes devant les tribunaux camerounais avant même de déposer leur demande de visa, ajoutant des démarches et des délais supplémentaires à un procédure déjà complexe ». III. LE DROIT INTERNATIONAL ET EUROPEEN PERTINENTS L’article 10 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, conclue à New-York le 20 novembre 1989, est ainsi libellé : « (...) toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d’entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Les États parties veillent en outre à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas de conséquences fâcheuses pour les auteurs de la demande et les membres de leur famille ». Les articles 4 (Chapitre II Membres de la famille), 5 (Chapitre III Dépôt et examen de la demande) et 13 (Chapitre VI Entrée et séjour des membres de la famille) de la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 relative au regroupement familial sont ainsi libellés : Article 4 « Les Etats membres autorisent l’entrée et le séjour (...) des membres suivants : b) les enfants mineurs du regroupant et de son conjoint (...) Par dérogation, lorsqu’un enfant a plus de douze ans et arrive indépendamment du reste de sa famille, l’Etat membre peut, examiner s’il satisfait à un critère d’intégration prévu par sa législation (...) Par dérogation, les Etats membres peuvent demander que les demandes concernant le regroupement familial d’enfants mineurs soient introduites avant que ceux-ci n’aient atteint l’âge de quinze ans (...) si elles sont introduites ultérieurement, les Etats membres qui décident de faire usage de la présente dérogation autorisent l’entrée et le séjour de ces enfants pour d’autres motifs que le regroupement familial ». Article 5 « (...) 2. La demande est accompagnée de pièces justificatives prouvant les liens familiaux et le respect des conditions prévues aux articles 4 et 6 et, le cas échéant, aux articles 7 et 8, ainsi que de copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille. Le cas échéant, pour obtenir la preuve de l’existence de liens familiaux, les Etats membres peuvent procéder à des entretiens avec les regroupants et les membres de sa famille et à toute enquête jugée nécessaire. (...) Dès que possible, et en tout état de cause au plus tard neuf mois après la date du dépôt de la demande, les autorités compétentes de l’État membre notifient par écrit à la personne qui a déposé la demande la décision la concernant. Dans des cas exceptionnels liés à la complexité de l’examen de la demande, le délai visé au premier alinéa peut être prorogé. La décision de rejet de la demande est dûment motivée. Toute conséquence de l’absence de décision à l’expiration du délai visé au premier alinéa doit être réglée par la législation nationale de l’État membre concerné. Au cours de l’examen de la demande, les États membres veillent à prendre dûment en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mineur. » Article 13 « 1. Dès que la demande de regroupement familial est acceptée, l’État membre concerné autorise l’entrée du ou des membres de la famille. À cet égard, l’État membre concerné accorde à ces personnes toute facilité pour obtenir les visas exigés. (...) ». Dans le Livre vert de la Commission européenne relatif au droit au regroupement familial des ressortissants des pays tiers résidant dans l’Union européenne (COM (2011 735) la Commission aborde les procédures de vérification des liens familiaux : « 5. FRAUDES, ABUS ET PROBLEME DE PROCEDURE 1 Entretiens et enquêtes L’article 5, paragraphe 2, de la directive prévoit la possibilité de procéder à des entretiens et de mener d’autres enquêtes si nécessaire. Plusieurs États membres ont introduit la possibilité de procéder à des tests ADN pour prouver les liens familiaux. La directive n’aborde pas ce type de preuve. La Commission a déclaré que, pour être autorisés par la législation de l’Union européenne, ces entretiens et enquêtes doivent être proportionnés - ils ne doivent donc pas rendre inopérant le droit au regroupement familial - et respecter les droits fondamentaux, en particulier le droit à la vie privée et familiale. (...)». La recommandation 1686 (2004) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe « Mobilité humaine et droit au regroupement familial » est ainsi libellée : « (...) La reconstitution de l’unité familiale des migrants et des réfugiés légalement établis par la procédure du regroupement familial renforce la politique d’intégration dans la société d’accueil et va dans l’intérêt de la cohésion sociale. (...) Tout en se félicitant que la récente directive du Conseil de l’Union européenne relative au droit au regroupement familial (2003/86/CE) accorde un traitement préférentiel aux réfugiés, l’Assemblée regrette que cette directive ne reconnaisse pas le droit au regroupement familial pour les personnes bénéficiant de protection subsidiaire, ni ne propose de dispositions harmonisées en termes de conditions, de procédures, de délais pour l’octroi de statut de résident et des droits associés. (...) Par conséquent, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres: (...) e) à faciliter les procédures administratives, en les rendant aussi simples et transparentes que possible, et à harmoniser au niveau européen les délais d’attente, en les limitant à une période maximale de douze mois, et à ne pas considérer comme un motif de refus de la demande l’absence de certains documents requis, qui ne sont pas nécessaires pour définir l’établissement des conditions pour le regroupement familial; (...)». Dans un point de vue intitulé « Des lois restrictives empêchent le regroupement familial » (février 2011), le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe indique ce qui suit : « (...) Un autre problème se pose dans plusieurs pays européens, même pour ceux qui satisfont aux conditions draconiennes : la lenteur du traitement des demandes de migration pour raison familiale. Les décisions tendent à être rendues au terme d’un long délai, même dans les cas les plus urgents, et cela ne semble pas dû au hasard. Pour de nombreux immigrés, on le sait, la séparation familiale est une dure épreuve, voire un traumatisme qui nuit au bien-être social et psychologique. Pour les enfants, restés le plus souvent dans le pays d’origine, cette séparation prolongée est à n’en pas douter difficile à vivre – ce qui se répercute sur le demandeur dans la société d’accueil. Il est évident que de telles conditions de vie ne facilitent pas l’intégration dans le nouveau pays. Les migrants et les réfugiés résidant légalement dans un Etat devraient pouvoir faire venir leur famille dès que possible, sans avoir à se soumettre à des procédures laborieuses. Priver un individu du droit de vivre avec les siens ne fait que rendre sa vie plus pénible – et son intégration encore plus difficile. (...) ». L’Accord de coopération en matière de justice entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République Unie du Cameroun, fait à Yaoundé le 21 février 1974 prévoit ce qui suit : Article 19 « 1. Le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République Unie du Cameroun délivrent sans frais des expéditions des actes de l’état civil dressés sur leurs territoires respectifs lorsque la demande en est faite dans un intérêt administratif dûment spécifié ou en faveur de leurs citoyens indigents. Ils délivrent également sans frais des expéditions des actes de l’état civil dressés sur leurs territoires respectifs lorsque ces actes concernent des étrangers de nationalité tierce et sont demandés dans un intérêt administratif dûment spécifié. Les actes de l’état civil dressés ou transcrits dans les postes diplomatiques et consulaires sont assimilés aux actes de l’état civil dressés sur les territoires respectifs des deux Etats. Article 22 1o Sont admis, sans légalisation, sur les territoires respectifs de la République française et de la République Unie du Cameroun les documents suivants établis par les autorités de chacun des deux Etats : - les expéditions des actes de l’état civil tels qu’ils sont énumérés à l’article 21 cidessus [dont les actes de naissance] ; - les expéditions des décisions, ordonnances, jugements, arrêts et autres actes judiciaires des tribunaux français et camerounais ; (...) 2o Les documents énumérés ci-dessus doivent être revêtus de la signature et du sceau officiel de l’autorité ayant qualité pour les délivrer et, s’il s’agit d’expéditions, être certifiés conformes à l’original par ladite autorité. En tout état de cause, ils sont établis matériellement de manière à faire apparaître leur authenticité ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1975, 1981, 1985 et 1977, et résident à Budapest. À l’époque des faits, les requérants étaient des députés membres du parti d’opposition Párbeszéd Magyarországért. M. Szilágyi était l’un des « notaires » de l’Assemblée. Le 30 avril 2013, au cours de débats préalables à l’ordre du jour tenus en séance plénière de l’Assemblée, MM. Karácsony et Szilágyi brandirent dans l’hémicycle un panneau sur lequel on pouvait lire « FIDESZ [le parti au pouvoir], vous volez, vous trichez et vous mentez ». Ce même jour, M. Szilágyi prit la parole lors des débats généraux sur le projet de loi no T/10881 portant modification de certaines lois sur le tabagisme, et accusa les partis au pouvoir de corruption. Le 6 mai 2013, en vertu de l’article 49 § 4 de la loi no XXXVI de 2012 relative à l’Assemblée (« la loi de 2012 »), le président de l’Assemblée (« le Président ») présenta une proposition tendant à infliger à M. Karácsony une amende d’un montant de 50 000 forints hongrois (« HUF »), soit environ 170 euros (« EUR »), et à M. Szilágyi une amende d’un montant de 185 520 HUF, soit environ 600 EUR pour avoir gravement perturbé la séance plénière. Le Président proposait l’imposition du montant maximal à M. Szilágyi (un tiers de ses émoluments mensuels) parce qu’il était un officier élu de l’Assemblée, et non un simple député. Le 13 mai 2013 fut adoptée en séance plénière, sans débat, une décision portant approbation de la proposition du Président. Le 21 mai 2013, au cours du vote final du projet de loi no T/10881, M. Dorosz et Mme Szabó brandirent un panneau sur lequel on pouvait lire « c’est l’œuvre de la mafia nationale du tabac ». Le 27 mai 2013, en vertu de l’article 49 § 4 de la loi de 2012, le Président présenta une proposition tendant à leur infliger à chacun une amende de 70 000 HUF, soit environ 240 EUR, pour avoir gravement perturbé la séance plénière. Il était indiqué dans la proposition qu’un montant majoré s’imposait parce que des comportements similaires, très gênants, avaient été constatés auparavant. Le 27 mai 2013, la proposition fut adoptée en séance plénière sans débat. Le 4 novembre 2013, la Cour constitutionnelle rejeta un recours constitutionnel que M. E.N., un député membre du parti d’opposition Jobbik, avait formé contre une sanction pour comportement perturbateur (décisions nos 3206/2013. (XI.18.) AB et 3207/2013. (XI.18.) AB ; voir paragraphe 16 ci-dessous). La Cour constitutionnelle constata que l’amende avait été infligée à M. E.N. sur la base des articles 48 § 3, 50 § 1 et 52 § 2 – et non de l’article 49 § 4 – de la loi de 2012. Elle jugea en particulier que les restrictions imposées à lui pour un comportement relevant des dispositions ci-dessus – c’est-à-dire l’emploi d’« expressions gravement attentatoires » – étaient conformes à la Loi fondamentale. Le grief de M. E.N. fondé sur l’article 49 § 4 fut rejeté au motif que cette disposition, qui vise les « comportements gravement attentatoires », n’était pas applicable dans son cas. La Cour constitutionnelle releva ensuite que M. E.N. ne disposait d’aucun recours contre la mesure dénoncée. Enfin, elle dit que les règles en matière de discipline parlementaire concernent les affaires intérieures de l’Assemblée et le comportement des députés dans l’exercice de leurs fonctions, et non les droits et obligations des simples citoyens. Elle en conclut qu’aucune obligation d’instaurer un recours contre une mesure disciplinaire parlementaire ne pouvait être tirée de l’article XXVIII § 7 de la Loi fondamentale. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La Loi fondamentale hongroise dispose, dans ses parties pertinentes : Article IX « 1. Chacun a droit à la liberté d’expression. La Hongrie reconnaît et garantit la liberté et la diversité de la presse et assure les conditions de la libre diffusion des informations nécessaires à la formation d’une opinion publique démocratique. » Article XXVIII « 7. Chacun peut former un recours contre toute décision d’une autorité, judiciaire, administrative ou autre, qui porterait atteinte à ses droits ou intérêts légitimes. » Article 5 « 7. L’Assemblée nationale fixe ses règles de fonctionnement et l’ordre de ses débats dans les dispositions de son règlement intérieur (Házszabály), adopté à la majorité des deux tiers des voix des députés présents. De manière à en assurer le fonctionnement paisible et à en préserver la dignité, le Président exerce les pouvoirs de police et disciplinaires que lui confère le règlement intérieur. Les règles régissant les sessions ordinaires de l’Assemblée nationale sont fixées par une loi organique. » Article 7 « 2. Tout député peut interpeller ou questionner le Gouvernement ou l’un quelconque de ses membres sur tout point relevant de leur compétence. » La loi de 2012 dispose, en ses parties pertinentes : Article 2 « Le Président : (...) f) ouvre les séances, les préside impartialement et en prononce la levée ; donne la parole aux députés, veille au respect du règlement intérieur, annonce le résultat des scrutins et maintient l’ordre et le protocole au cours des séances. » Article 46 « 1. Le président de séance rappelle à la question tout député qui s’en écarterait manifestement et sans raison au cours de son intervention ou qui répéterait inutilement ses propos ou ceux de ses collègues au cours du même débat et, dans le même temps, l’avertit des conséquences s’il n’obtempère pas. Le président de séance peut retirer le droit de parole à tout député qui, au cours de son intervention, continuerait à se comporter de la manière indiquée au paragraphe 1 du présent article après avoir reçu un second avertissement ». Article 47 « Le président de séance peut retirer le droit de parole, en en exposant les raisons, à tout intervenant dont le temps de parole, imparti à lui ou à son groupe parlementaire, serait épuisé ». Article 49 « 2. Ne peut se voir retirer le droit de parole un député qui n’aurait pas été averti des conséquences des rappels par le président de séance. Un député qui se verrait retirer le droit de parole en vertu du paragraphe 1 du présent article, du paragraphe 2 de l’article 46 ou du paragraphe 2 de l’article 48 ne pourra plus reprendre la parole le même jour de séance sur la même question. Le président de séance peut proposer l’exclusion pour le reste du jour de la séance de tout député qui adopterait un comportement attentatoire à l’autorité de l’Assemblée et à l’ordre au sein de celui-ci ou qui violerait les dispositions du règlement de l’Assemblée sur l’ordre des interventions ou du scrutin, sans lui adresser de rappel à l’ordre ni d’avertissement, et l’imposition d’une amende. La proposition précise le motif de la mesure et (...) la disposition du règlement intérieur violée. (...) En l’absence de la proposition de sanction visée au paragraphe 4 du présent article, le Président peut proposer l’imposition d’une amende au député dans les cinq jours à compter de l’adoption par celui-ci du comportement visé au même paragraphe. L’Assemblée nationale se prononce sans débat sur les propositions d’imposition d’amende visées aux paragraphes 4 et 7 du présent article, lors de la séance qui suit la proposition. Le montant de l’amende ne peut dépasser un tiers des émoluments mensuels du député. » Article 51 « Si, en séance, un comportement perturbateur rend impossible la poursuite des débats, le président de séance peut suspendre celle-ci pour une durée déterminée ou en prononcer la levée. À la clôture de la séance, il en convoque une nouvelle. S’il n’est pas en mesure de dire quelle décision prendre, il quitte son siège, ce qui interrompt la séance. Une séance interrompue ne peut reprendre que s’il la convoque de nouveau. » Les résolutions pertinentes à caractère général de la commission parlementaire chargée de l’interprétation du règlement intérieur sont ainsi libellées : Résolution no 28/2010-2014 ÜB du 11 mars 2013 « En vertu de l’article 2 § 2 f) de la loi relative à l’Assemblée nationale, le président de séance est chargé de veiller au bon fonctionnement des séances de l’Assemblée nationale. Le régime instauré par cette loi lui confère une certaine latitude quant au choix des (...) mesures nécessaires au maintien de l’ordre en séance. » Résolution 22/2010-2014 AIÜB du 1er octobre 2012 « L’article 97 § 4 du règlement intérieur donne au Président le droit de rejeter toute motion qui ne donnerait pas matière à débat ou à décision. Mettre aux débats une motion manifestement futile et offensante est incompatible avec l’autorité de l’Assemblée nationale. Le Président a le droit et l’obligation, en vertu des fonctions que lui confère l’article 2 § 1 de la loi relative à l’Assemblée nationale, de rejeter de telles motions. » Dans ses décisions nos 3206/2013. (XI.18.) AB et 3207/2013. (XI.18.) AB, la Cour constitutionnelle a examiné la loi de 2012. Elle a rappelé que, par rapport à la liberté d’expression des particuliers, celle des députés était plus étendue car ceux-ci étaient protégés par l’immunité parlementaire. Elle a toutefois indiqué que, pour compenser cette immunité étendue, certains de leurs comportements étaient soumis à des règles disciplinaires, par exemple lorsqu’un député porte atteinte aux droits et intérêts d’une personne ou d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Elle a précisé que, s’ils n’atteignaient pas le degré de gravité appelant des poursuites au pénal ou des sanctions au civil, de tels comportements n’en méritaient pas moins d’être réprimés. Voilà pourquoi, selon elle, le Président devait disposer des moyens nécessaires pour empêcher les abus de liberté d’expression de la part des députés. La Cour constitutionnelle a ajouté que le bon déroulement des séances était une condition nécessaire à l’exercice des fonctions de l’Assemblée et que la protection de l’autorité de cette dernière pouvait donc justifier une restriction au droit à la liberté d’expression des députés. Elle a estimé que les dispositions légales attaquées prévoyaient l’application progressive de sanctions disciplinaires, tout en veillant à ce que celles-ci fussent proportionnées à la gravité de la faute disciplinaire en ce sens que les sanctions les plus graves, à savoir l’exclusion d’un député ou la réduction de ses émoluments mensuels, ne pouvaient être prononcées qu’en cas de « propos particulièrement offensants » ou de « comportement particulièrement perturbateur ». Elle a souligné que les règles disciplinaires de l’Assemblée régissaient les affaires intérieures de celle-ci et réglementaient surtout la conduite des députés en leur qualité de parlementaires, par opposition aux droits et obligations des citoyens. Par conséquent, elle n’a déduit de l’article XXVIII § 7 de la Loi fondamentale aucune obligation d’offrir un recours en justice contre les sanctions de ce type (paragraphe 44 de la décision no 3206/2013. (XI.18.) AB). Dans son opinion dissidente, le président de la Cour constitutionnelle a considéré que restreindre la parole d’un député qui, à l’Assemblée, tiendrait des propos particulièrement offensants ou adopterait un comportement perturbateur ne pouvait passer pour proportionné à l’impératif de protection de la dignité de l’Assemblée que si ce député avait été au préalable rappelé à l’ordre et averti des conséquences de ses actes. Selon lui, une sanction prononcée en l’absence d’un tel préavis serait disproportionnée et contraire à la Loi fondamentale. III. RÈGLEMENT DE L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE L’article 22 du règlement de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (résolution 1202 (1999) adoptée le 4 novembre 1999) avec modifications ultérieures du Règlement), relatif à la discipline, dispose : « 21.1. Le Président rappelle à l’ordre tout membre de l’Assemblée qui trouble la séance. 2. En cas de récidive, le Président le rappelle de nouveau à l’ordre avec inscription au compte rendu des débats. 3. En cas de nouvelle récidive, le Président lui retire la parole ou peut l’exclure de la salle pour le reste de la séance. » IV. DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE A. Règlement du Parlement européen L’article 11 § 2 du règlement du Parlement européen dispose : « Le comportement des députés est inspiré par le respect mutuel, repose sur les valeurs et principes définis dans les textes fondamentaux de l’Union européenne, préserve la dignité du Parlement et ne doit pas compromettre le bon déroulement des travaux parlementaires ni la tranquillité dans l’ensemble des bâtiments du Parlement. Les députés se conforment aux règles du Parlement applicables au traitement des informations confidentielles. Le non-respect de ces éléments et de ces règles peut conduire à l’application de mesures conformément aux articles 152, 153 et 154. » Le chapitre 4, relatif aux mesures en cas de non-respect des règles de conduite applicables aux députés, énonce les sanctions disciplinaires pertinentes applicables aux députés pour leur comportement au sein de Parlement. En voici les dispositions pertinentes : Article 152 – Mesures immédiates « 1. Le Président rappelle à l’ordre tout député qui porte atteinte au bon déroulement de la séance ou dont le comportement n’est pas compatible avec les dispositions pertinentes de l’article 11. En cas de récidive, le Président rappelle à nouveau le député à l’ordre, avec inscription au procès-verbal. Si la perturbation se poursuit, ou en cas de nouvelle récidive, le Président peut retirer la parole au député concerné et l’exclure de la salle pour le reste de la séance. Le Président peut également recourir à cette dernière mesure immédiatement et sans deuxième rappel à l’ordre dans les cas d’une gravité exceptionnelle. Le secrétaire général veille sans délai à l’exécution d’une telle mesure disciplinaire avec l’aide des huissiers et, au besoin, du personnel de sécurité du Parlement. Lorsqu’il se produit une agitation qui compromet la poursuite des débats, le Président, pour rétablir l’ordre, suspend la séance pour une durée déterminée ou la lève. Si le Président ne peut se faire entendre, il quitte le fauteuil présidentiel, ce qui entraîne une suspension de la séance. Elle est reprise sur convocation du Président. Les pouvoirs définis aux paragraphes 1 à 4 sont attribués, mutatis mutandis, au président de séance des organes, commissions et délégations, tels qu’ils sont définis dans le présent règlement. Le cas échéant, compte tenu de la gravité de la violation des règles de conduite, le président de séance peut saisir le Président d’une demande de mise en œuvre de l’article 166, au plus tard avant la prochaine période de session ou la réunion suivante de l’organe, de la commission ou de la délégation concernés. » Article 153 – Sanctions « 1. Dans le cas où un député trouble la séance d’une manière exceptionnellement grave ou perturbe les travaux du Parlement en violation des principes définis à l’article 11, le Président, après avoir entendu le député concerné, arrête une décision motivée prononçant la sanction appropriée, décision qu’il notifie à l’intéressé et aux présidents des organes, commissions et délégations auxquels il appartient, avant de la porter à la connaissance de la séance plénière. L’appréciation des comportements observés doit prendre en considération leur caractère ponctuel, récurrent ou permanent, ainsi que leur degré de gravité, sur la base des lignes directrices annexées au présent règlement. La sanction prononcée peut consister en l’une ou plusieurs des mesures suivantes: a) un blâme; b) la perte du droit à l’indemnité de séjour pour une durée pouvant aller de deux à dix jours; c) sans préjudice de l’exercice du droit de vote en séance plénière, et sous réserve dans ce cas du strict respect des règles de conduite, une suspension temporaire, pour une durée pouvant aller de deux à dix jours consécutifs pendant lesquels le Parlement ou l’un quelconque de ses organes, commissions ou délégations se réunissent, de la participation à l’ensemble ou à une partie des activités du Parlement; d) la présentation à la Conférence des présidents, conformément à l’article 21, d’une proposition de suspension ou de retrait d’un ou de plusieurs mandats que l’intéressé occupe au sein du Parlement. » Article 154 – Voies de recours internes « Le député concerné peut introduire un recours interne devant le Bureau dans un délai de deux semaines à partir de la notification de la sanction arrêtée par le Président, recours qui en suspend l’application. Le Bureau peut, au plus tard quatre semaines après l’introduction du recours, annuler la sanction arrêtée, la confirmer ou en réduire la portée, sans préjudice des droits de recours externes à la disposition de l’intéressé. En l’absence de décision du Bureau dans le délai imparti, la sanction est réputée nulle et non avenue. » ANNEXE XVI Lignes directrices relatives à l’interprétation des règles de conduite applicables aux députés « 1. Il convient de distinguer les comportements de nature visuelle, qui peuvent être tolérés, pour autant qu’ils ne soient pas injurieux et/ou diffamatoires, qu’ils gardent des proportions raisonnables et qu’ils ne génèrent pas de conflit, de ceux entraînant une perturbation active de quelque activité parlementaire que ce soit. La responsabilité des députés est engagée dès lors que des personnes qu’ils emploient, ou dont ils facilitent l’accès au Parlement, ne respectent pas à l’intérieur des bâtiments de celui-ci les règles de comportement applicables aux députés. Le Président ou les personnes qui le représentent exercent le pouvoir disciplinaire à l’égard de ces personnes ou de toute autre personne extérieure au Parlement se trouvant dans les bâtiments de celui-ci. » La version consolidée du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose, en ses parties pertinentes : Article 263 (ex-article 230 TCE) « La Cour de justice de l’Union européenne contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil, de la Commission et de la Banque centrale européenne, autres que les recommandations et les avis, et des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. Elle contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. (...) Toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution. Les actes créant les organes et organismes de l’Union peuvent prévoir des conditions et modalités particulières concernant les recours formés par des personnes physiques ou morales contre des actes de ces organes ou organismes destinés à produire des effets juridiques à leur égard (...) » Le Tribunal (troisième chambre) de la Cour européenne de justice fut saisi d’un recours en annulation notamment de la sanction d’un député sous la forme de la perte de son droit à l’indemnité de séjour pendant une durée de dix jours. Le 5 septembre 2012, il rejeta ce recours, entre autres pour forclusion (affaire T-564/11, Nigel Paul Farage c. Parlement européen et Jerzy Buzek). V. DROIT DES ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L’EUROPE Le Gouvernement a produit des éléments sur les pratiques parlementaires en matière d’amendes et d’autres sanctions applicables dans divers pays membres en cas de manquement aux règles parlementaires. Ces éléments, que ne contestent pas les requérants, sont exposés ci-dessous. Selon le Gouvernement, tous les États membres du Conseil de l’Europe font usage des moyens offerts par les règles disciplinaires de manière à assurer le déroulement paisible des travaux parlementaires et à préserver l’autorité et la dignité de l’Assemblée. Le fondement juridique de la restriction aux droits des parlementaires et de l’existence pour eux d’obligations serait l’autonomie parlementaire, qui veut que l’Assemblée puisse fixer en toute indépendance son règlement intérieur. En vertu du règlement de l’Assemblée nationale française, un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal emporterait de droit la privation du quart des émoluments mensuels du député. Dans une affaire récente, qui aurait pour origine l’interruption à plusieurs reprises, au cours d’une séance de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2013, de Mme V. M., députée membre du parti EELV, par un député membre du parti UMP qui, depuis les bancs de l’opposition, n’aurait cessé de caqueter comme une poule, les chefs des groupes parlementaires auraient unanimement sanctionné ce dernier en retenant un quart de ses émoluments mensuels pour la « nature sexiste de son comportement ». Des amendes existeraient en Allemagne, en Slovaquie et en République tchèque. On trouverait des exemples de restriction, de suspension ou de retrait de droits des parlementaires pour mauvais comportement ou pour trouble à l’ordre parlementaire en Bulgarie (exclusion), au Royaume-Uni (exclusion, cessation des fonctions), en Grèce (réprimande, suspension temporaire), en France, en Pologne, en Lituanie (exclusion), au Luxembourg (suspension et réprimande), au sein de la chambre basse roumaine et en République tchèque. De nombreux États membres prévoiraient l’expulsion de l’enceinte, la suspension (surtout à durée déterminée) et l’exclusion, et les sanctions seraient d’autant plus lourdes que, au cours de la période d’expulsion ou de suspension, les parlementaires dans la plupart des États membres ne seraient pas autorisés à exercer la moindre fonction se rapportant à leurs activités au parlement. Dans certains pays membres (République tchèque, Portugal, Slovénie), lorsque de lourdes sanctions sont imposées, les parlementaires pourraient, en guise de recours, les contester devant le parlement en séance plénière (ou en commission). Au sein de la chambre basse polonaise, les députés pourraient demander le réexamen de la décision du président devant le présidium et le réexamen de la décision du présidium devant la chambre (en cas d’exclusion ou de privation d’émoluments). L’autorisation d’intervenir afin de donner une explication ou de présenter des excuses serait en général garantie aux parlementaires de manière à leur permettre d’exposer leur opinion. Une telle autorisation – qui ne pourrait être donnée qu’en cas de faute mineure – passerait parfois aussi pour une sanction disciplinaire morale (excuses obligatoires). Au vu de ces éléments, la Cour constate que, dans certains États membres du Conseil de l’Europe, un parlementaire peut se voir infliger une amende ou perdre une partie de ses émoluments en cas d’expulsion temporaire (suspension). Parmi ces États, on trouve souvent une sorte d’échelle des sanctions. Par exemple, un parlementaire ayant adopté un comportement perturbateur est rappelé à l’ordre par le président de la chambre. Lorsqu’un parlementaire déjà rappelé à l’ordre l’est une nouvelle fois pendant la même séance, il en est notamment pris acte au procès-verbal (voir par exemple l’Assemblée nationale française, le parlement letton, la Chambre des communes au Royaume-Uni et le Sénat polonais). Il existe souvent devant l’un des organes parlementaires un recours contre la décision du président et, parmi les treize pays qui imposent des sanctions pécuniaires à titre de mesure disciplinaire, le Portugal, l’Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la Slovaquie et la République tchèque donnent à leurs juridictions constitutionnelles des pouvoirs disciplinaires.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1968 et réside à Bogata (département de Cluj). A. Les événements de la nuit du 22 mai 2005 Dans la nuit du 22 mai 2005, vers 2 h 30, l’agent de police A.C., accompagné par le gardien de la paix I.K., poursuivit I.C. qui conduisait une voiture, et était soupçonné d’avoir consommé de l’alcool au bar du village. Dans la voiture il y avait quatre autres jeunes gens. I.C. ayant arrêté sa voiture au bord de la route, l’agent de police arrêta également la sienne et s’approcha de celui-ci. Il lui demanda de présenter une pièce d’identité. Au vu du refus d’I.C. de s’identifier, l’agent A.C. l’invita au poste local de police aux fins d’identification et pour le soumettre à un test d’alcoolémie. I.C. s’y opposa et repoussa l’agent de police et le gardien lorsque ceux-ci essayèrent de l’immobiliser. En réponse, l’agent de police fit usage d’un spray à gaz lacrymogène envers I.C. À ce moment-là, quatre jeunes gens sortirent de la voiture d’I.C., en protestant face à l’action de l’agent de police. Ils s’approchèrent de l’agent de police et du gardien de la paix. D’après l’un des occupants de la voiture, l’agent de police les menaça d’utiliser son pistolet. Alors que les occupants de la voiture se retiraient, I.C. échappa à l’emprise de l’agent de police et courut dans la cour de la maison appartenant à la famille du requérant afin de se laver le visage. L’agent de police et le gardien le poursuivirent et l’arrêtèrent, mais furent repoussés par le père du requérant qui était sorti entre-temps de la maison à cause du bruit. L’agent de police lui aspergeant du gaz lacrymogène sur le visage, le père du requérant se retira pour se laver le visage. L’agent de police et le gardien parvinrent à arrêter un des occupants de la voiture, mais l’agent de la police quitta ensuite la cour dans l’attente des renforts sollicités par téléphone. Entre-temps, le requérant sortit également de la maison et se dirigea accompagné par son père, vers le portillon. À ce moment-là, l’agent de police commença à tirer avec son pistolet. Une balle toucha la cuisse du requérant. Malgré l’opposition initiale du policier, quelques minutes plus tard, le requérant fut transporté à l’hôpital par son beau-frère où il subit une intervention chirurgicale pour extraire la balle. B. L’enquête pénale menée par les autorités Le même jour, vers 5 h 20, une équipe formée d’un procureur du parquet près le tribunal départemental de Cluj (ci-après « le parquet »), d’un médecin légiste et d’un agent de la police judiciaire, se rendit dans un premier temps à l’hôpital où avait été admis le requérant et où il fut examiné par le médecin légiste. Ce dernier constata que le requérant présentait une plaie par balle au niveau de la cuisse droite et conclut qu’il avait besoin de 16 à 18 jours de soins médicaux. L’équipe se rendit ensuite sur le lieu des événements. À cette occasion, un procès-verbal fut dressé, qui décrivait les lieux et notait que des traces de substance rouge (probablement du sang) avaient été identifiées à 80 cm du portillon. Le procès-verbal précisa en outre que furent saisis sur les lieux et confiés à la police judiciaire pour des éventuels examens scientifiques : un pistolet, un spray à gaz lacrymogène et une douille retrouvée à quatre mètres du portillon. Des photographies judiciaires furent également prises. La recherche fut réalisée en présence de l’agent de police A.C. qui donna des renseignements sur les événements. Vers 6 h, suite à la plainte de l’agent A.C. qui s’estimait victime d’outrage, une autre équipe formée de deux officiers de la police judiciaire se déplaça pour une recherche sur les lieux. Un procès-verbal distinct fut dressé dans lequel il était mentionné que deux témoins avaient assisté à la recherche. Le procès-verbal précisa en outre que furent saisis sur les lieux et confiés à la police judiciaire pour des éventuels examens scientifiques : un pistolet, un spray à gaz lacrymogène et une douille retrouvée à trois mètres du portillon. Le procès-verbal ne fut pas signé par des témoins. Il ressort du procès-verbal que les lieux n’avaient pas subi de modifications avant l’arrivée des officiers, puisqu’ils avaient été surveillés par un agent de police. Au cours de la journée, l’agent de police A.C., le gardien de la paix, le père, la mère, un neveu, un beau-frère et une belle-sœur du requérant, I.C., et le père d’I.C., ainsi que V.L., une jeune fille se trouvant dans la voiture conduite par I.C. firent des déclarations écrites devant la police judiciaire et le parquet. Le père du requérant affirma que la personne qui avait aspergé du gaz lacrymogène sur son visage avait indiqué qu’il était policier, mais qu’il ne l’avait pas cru et, après avoir lavé son visage à l’eau, il était revenu, armé d’un grand balai. Entre-temps son fils sortit de la maison et lui indiqua qu’il allait discuter avec les personnes qui se trouvaient dans leur cour et qu’il connaissait. Il avait entendu ultérieurement deux coups de feu suivis de plusieurs autres et son fils criant qu’on ne leur tire plus dessus dans leur propre cour. Après avoir vu son fils couché par terre, il avait entendu un dernier coup de feu. La mère du requérant déclara qu’elle avait été réveillée par le bruit et qu’elle était sortie de la maison peu après son mari. Elle avait aperçu trois personnes se bagarrant dans la cour. Son mari s’était retourné le visage aspergé de gaz lacrymogène et lui avait demandé de réveiller le requérant. Elle s’était exécutée et avait réveillé le requérant qui était sorti dans la cour. Elle était retournée ensuite dans la maison afin de s’habiller. Elle avait entendu deux coups de feu suivis deux minutes après par un troisième coup. Elle était sortie de la maison et avait aperçu son mari muni d’un grand balai et son fils assis par terre. Elle s’était dirigée vers son fils qu’elle avait entendu crier « Alin, tu m’a tiré dessus dans ma propre cour ! ». Tout de suite après, elle avait entendu un nouveau coup de feu. Le gardien de la paix déclara que, accompagné par l’agent de police, il avait poursuivi et arrêté I.C. dans la cour du requérant, mais qu’un homme âgé était sorti de la maison et s’était opposé à l’interpellation d’I.C. Après que l’agent de police l’eût aspergé de gaz lacrymogène, l’homme s’était retiré. L’agent de police était également sorti de la cour et avait appelé des renforts auprès de la police de Turda. À ce moment-là, l’homme âgé s’était retourné armé d’une fourche et accompagné par un homme plus jeune qui avait essayé de libérer I.C. de son emprise, alors que l’homme âgé leva la fourche d’un air menaçant. Il avait demandé de l’aide à l’agent de police qui avait crié plusieurs fois « Halte, ou je tire ! » et avait tiré deux fois en l’air en guise de sommation. Comme les deux hommes se dirigeaient vers lui, l’agent de police avait reculé à deux mètres du portillon et, après avoir crié à plusieurs reprises « La police ! », il avait tiré avec son pistolet vers les jambes du requérant. V.L. déclara qu’après l’interpellation d’I.C. elle s’était dirigée vers sa maison avec deux autres occupants de la voiture et qu’elle avait entendu sur le chemin cinq à sept coups de feu. Plusieurs jours plus tard, le requérant fit également une déclaration écrite dans laquelle il mentionna qu’il avait vu deux personnes dans la cour et qu’il avait pris l’une d’entre-elle par le col. Après s’être rendu compte que la personne en cause était le gardien de la paix de la commune, il l’avait relâché. Il avait constaté aussi que l’autre personne avait disparu. Il s’était dirigé alors vers le portillon près duquel il avait vu l’agent de police A.C., qu’il connaissait. Au même moment, il avait entendu quelqu’un criant « Halte ! » et il avait ressenti tout de suite un choc à la jambe droite qui l’avait obligé à s’asseoir par terre. Le requérant déclara également qu’il connaissait l’agent de police A.C. Il estimait que l’action de ce dernier pouvait être due au fait qu’il avait cru que le requérant avait des intentions agressives ou au fait qu’il l’avait confondu avec la personne qu’il poursuivait. Enfin, il dit ne pas savoir s’il allait déposer une plainte pénale contre A.C., mais qu’il prendrait une décision à cet égard après sa sortie de l’hôpital. Le 24 mai 2005, le procureur ordonna la réalisation d’une expertise médico-légale. L’expertise, finalisée le 8 juin 2005, conclut que le requérant présentait des lésions qui auraient pu dater du 21-22 mai 2005 et qui auraient pu être causées par une arme à feu alors qu’il était debout. Le requérant avait besoin de 40 à 45 jours de soins pour les lésions qui n’avaient pas mis sa vie en danger. En revanche, il était impossible de se prononcer sur les séquelles invalidantes chez celui-ci avant le terme du traitement chirurgical et de la rééducation. Faute d’éléments médico-légaux, l’expertise ne put établir le calibre de l’arme, la distance du coup de feu, la position exacte du requérant ou celle de l’agresseur. Le 25 mai 2005, le requérant déposa une plainte pénale du chef de tentative de meurtre contre l’agent de police A.C. Le 1er juin 2005, le procureur ordonna également la réalisation d’une expertise balistique afin de déterminer si le pistolet et les neuf balles qui étaient en possession de l’agent A.C. fonctionnaient, si le pistolet avait été utilisé récemment et si la douille trouvée sur les lieux des événements faisait partie d’un des deux chargeurs du pistolet de l’agent A.C. L’expertise, finalisée le 7 juin 2005, répondit par l’affirmative aux questions du procureur. Le 2 juin 2005, le procureur décida l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre de l’agent A.C. du chef de violation de domicile (article 192 § 2 du code pénal, ci-après « CP ») et de comportement abusif (article 250 § 2 du CP). Le 8 juin 2005, le procureur entendit le père du requérant, deux voisines et les occupants de la voiture. Le père du requérant déclara qu’il avait repoussé dans un premier temps les personnes entrées dans la cour de sa maison et qu’après avoir lavé son visage à l’eau afin d’y enlever les traces de gaz, il était ressorti, muni d’un grand balai. Entre-temps, son fils, qui était sorti de la maison, lui dit qu’il connaissait les personnes qui se bagarraient dans leur cour et s’avança vers elles. Le père du requérant entendit trois coups de feu et son fils, allongé par terre, hurler « Alin, tu m’as tué ! ». La voisine M.M. déclara qu’elle avait été réveillée par un coup de feu et que, une fois sortie à l’extérieur de sa maison, elle avait vu l’agent de police A.C. dans la rue, qui était éclairée, téléphonant à son chef afin de l’informer qu’il avait fait usage de son arme et pour demander l’envoi d’une ambulance. Elle aperçut également le père du requérant qui était armé d’une fourche. Trois des personnes qui étaient dans la voiture d’I.C. déclarèrent qu’elles s’étaient éloignées des lieux une fois le conflit déclenché et qu’elles avaient entendu plusieurs (de quatre à sept) coups de feu. D’autres témoins entendus, soit ne déclarèrent rien sur la question de savoir si le requérant ou son père étaient armés, soit soutinrent qu’ils n’avaient pas vu ceux-ci munis de fourches. Le 22 juin 2005, le procureur entendit également l’agent de police A.C. Celui-ci déclara que, alors qu’il se trouvait dans la rue, il avait entendu le gardien I.K. criant qu’il était menacé par un homme armé d’une fourche. Il se retourna et aperçut dans la cour deux hommes, l’un armé d’une fourche et l’autre d’une matraque, se dirigeant vers lui. Il cria « Halte, je tire !» et tira deux coups en l’air en guise de sommation. Les hommes n’obtempérant pas à son ordre, A.C. tira un coup de feu vers les pieds du requérant. Celui-ci s’assit par terre et fut ultérieurement transporté à l’hôpital. Entendu le même jour, le gardien I.K., confirma le déroulement des faits tel que décrit par l’agent de police. Il précisa qu’il n’avait pas très bien identifié l’objet que le requérant tenait dans la main. Par une décision du 22 juin 2005, le procureur décida la clôture des poursuites ouvertes contre A.C. du chef de violation de domicile et comportement abusif. Pour ce faire et s’agissant de la violation de domicile, le procureur conclut que l’agent de police était entré dans la cour de la maison du requérant afin de poursuivre un délinquant, situation qui rendait légitimes les agissements de l’agent. En ce qui concerne le comportement abusif allégué, le procureur nota que l’agent de police avait agi en légitime défense. Il conclut qu’il avait des raisons plausibles de croire que sa vie était en danger, vu la bagarre qui avait éclaté dans la cour de la maison du requérant et le fait que deux hommes armés se dirigeaient, menaçants, vers lui. Le procureur nota que la réponse de l’agent à l’attaque n’avait pas été proportionnée et qu’il aurait pu agir avec plus de tact, mais estima que la situation était couverte par les dispositions de l’article 44 § 3 du CP qui dépénalise les agissements en légitime défense, même lorsque la réponse n’est pas proportionnée à l’attaque en raison de la peur et de la confusion de l’agent. En l’espèce, l’absence de visibilité, les événements s’étant déroulés la nuit, son jeune âge (23 ans à l’époque des faits) ainsi que le fait qu’il avait intégré le corps de la police depuis moins d’un an avaient contribué à l’état de peur de l’agent. Le requérant contesta la décision devant le procureur en chef du parquet, faisant valoir au principal que le procureur ne s’était pas prononcé au sujet du délit de tentative de meurtre (paragraphe 19 ci-dessus). Par une décision du 28 juillet 2005, le procureur en chef du parquet accueillit partiellement la contestation du requérant en ajoutant au dispositif le fait que la clôture des poursuites visait également la tentative de meurtre. Le requérant contesta la décision du 28 juillet 2005 devant les tribunaux internes. Il se constitua également partie civile. Le requérant dénonça l’insuffisance des preuves produites et en particulier le fait qu’aucune expertise n’avait été réalisée afin d’établir combiens de coups avaient été tirés par le policier et laquelle des balles l’avait touché. Il critiqua également l’absence d’une nouvelle recherche sur les lieux ou d’une reconstitution, eu égard notamment au fait que les seuls renseignements fournis lors de la réalisation des procès-verbaux le jour des événements provenaient uniquement du policier (paragraphe 10 ci-dessus). Par une décision du 20 décembre 2005, le tribunal départemental de Cluj rejeta la contestation du requérant. Par une décision du 19 avril 2006, sur recours du requérant, la cour d’appel de Cluj annula la décision du tribunal départemental et lui renvoya l’affaire pour examen. Pour ce faire, la cour d’appel constata que l’état de légitime défense avait été retenu sur la base de seules déclarations de l’agent de police et du gardien, déclarations qui étaient pourtant contredites par les autres pièces du dossier. La cour d’appel intima au tribunal départemental d’instruire les preuves pertinentes aptes à éliminer la multitude de contradictions apparues pendant les poursuites pénales. L’affaire fut réinscrite au rôle du tribunal départemental de Cluj qui, par une décision du 20 juin 2006, décida la réouverture de la procédure pénale pour réexaminer le fond. Lors de l’audience du 11 juillet 2006, le tribunal accueillit partiellement les demandes de preuve faites par le requérant, à savoir l’audition des douze témoins qui avaient fait des déclarations au cours de l’instruction et la réalisation d’une expertise médico-légale afin de déterminer le nombre de jours de soins dont il avait eu besoin et l’existence d’une infirmité/invalidité. Le tribunal rejeta en revanche la demande visant à la réalisation d’une recherche sur les lieux qui aurait eu comme but d’établir si le système d’éclairage public fonctionnait la nuit du 22 mai 2005. Il rejeta en outre la demande visant à la reconstitution des faits, considérant que la situation de fait n’était pas contestée et que l’existence de la légitime défense ne pouvait pas être établie par cette preuve. Lors de cette même audience, le requérant précisa sa demande de dédommagement évaluant à 2 300 dollars américains et 1 418 lei roumains (RON) le préjudice matériel et à 100 000 RON le préjudice moral. Le 20 décembre 2006, le rapport d’expertise médico-légale fut versé au dossier. Il concluait que le requérant avait eu besoin de 45 de jours de soins médicaux. Lors de l’audience du 17 avril 2007, le requérant contesta les conclusions du rapport d’expertise, faisant valoir que les certificats d’arrêt du travail totalisaient 124 jours. Le tribunal demanda l’avis de la commission de contrôle du laboratoire de médecine légale de Cluj. Par un avis du 4 mai 2007, ladite commission approuva, et les conclusions de l’expertise réalisée le 8 juin 2005, et celles de l’expertise du 20 décembre 2006 qui n’étaient pas contradictoires. Lors de l’audience du 15 août 2007, le tribunal départemental rejeta la demande du requérant visant à la réalisation d’une expertise balistique qui puisse établir combien de coups avaient été tirés par l’agent de police et lequel l’avait touché. Le tribunal entendit plusieurs témoins proposés par le requérant, sauf I.C. et A.H. qui avaient quitté la Roumanie après les faits. Par un jugement du 12 février 2008, le tribunal départemental de Cluj acquitta l’agent A.C. du chef des délits reprochés, mais accueillit partiellement la demande de dommages-intérêts du requérant. S’agissant du volet pénal, le tribunal nota que le jeune agent, ayant récemment rejoint les forces de police, avait agi en état de légitime défense, car aussi bien lui que le gardien étaient menacés par le requérant et son père qui étaient armés respectivement d’une fourche et d’une matraque. Le tribunal considéra en outre que le policier avait fait usage de son arme en conformité avec les dispositions légales (l’article 21 de l’ancienne loi no 26 du 12 mai 1994 sur l’organisation et le fonctionnement de la police roumaine et l’article 35 de la nouvelle loi no 218 du 9 mai 2002 sur l’organisation et le fonctionnement de la police roumaine et l’article 47 d) de la loi no 17 du 11 avril 1996 portant réglementation des armes à feu et de leurs munitions), en procédant à la sommation du requérant et au tir d’un coup de semonce avant de tirer vers les jambes de l’agresseur. Il était, certes, vrai que la riposte avait dépassé l’agression présumée, mais, de l’avis du tribunal il s’agissait d’un « excès justifié » de la part de l’agent de police dont la responsabilité pénale était neutralisée en vertu de l’article 44 § 3 du CP. Sur un plan subjectif, à l’appui de cette conclusion, le tribunal nota que le policier connaissait déjà la victime et que celui-ci avait averti ses supérieurs immédiatement de l’usage de l’arme. Sur le volet civil, le tribunal rejeta la demande de dommage matériel du requérant, faisant valoir que, si celui-ci avait fait la preuve qu’il avait pris un crédit après son agression, il n’avait toutefois pas apporté la preuve de ce qu’il avait effectivement dépensé l’argent pour des soins médicaux. Le tribunal accueillit partiellement la demande de dommage moral du requérant, lui octroyant 20 000 nouveaux lei roumains (RON), soit environ 5 000 euros, selon le taux de change de la banque nationale de la Roumanie. Le tribunal justifia son refus d’octroyer l’intégralité de la somme demandée par le fait que le requérant avait eu un rôle déterminant dans la tournure malheureuse des événements. Le requérant interjeta appel de ce jugement. Par un arrêt du 26 mai 2008, la cour d’appel de Cluj confirma le verdict pénal du tribunal inférieur, mais, après l’audition de deux témoins supplémentaires, accueillit partiellement la demande de dommage matériel du requérant, et condamna en conséquence A.C. à lui verser, outre le dommage moral, 709 RON et l’équivalent en lei de 1 000 dollars américains. En ce qui concernait notamment la demande du requérant tendant à la réalisation d’une expertise balistique qui détermine combien de coups avaient été tirés par l’agent de police et lequel l’avait touché, le tribunal estima qu’elle n’était plus faisable à ce moment de la procédure, compte tenu de ce que l’arme avait été entre-temps utilisée pour la réalisation de l’expertise balistique initiale et, ultérieurement par l’agent de police, dans l’exercice de ses fonctions. En outre, une telle expertise aurait impliqué le prélèvement des traces sur la peau du requérant, ce qui n’était plus possible non plus. L’arrêt de la cour d’appel fut confirmé en dernier ressort par la Haute Cour de cassation et de justice, le 10 octobre 2008. La Haute Cour confirma la situation de fait établie par le tribunal départemental. Ce dernier nota que l’agent de police et le gardien de la paix avaient poursuivi I.C. qui était soupçonné de conduire en état d’ivresse. I.C. fut invité à se rendre au poste local de police, mais il refusa, encouragé en cela par l’attitude agressive des autres occupants de la voiture à l’égard de l’agent de police. En réponse, l’agent de police fit usage d’un spray à gaz lacrymogène à leur encontre, ce qui les rendit encore plus récalcitrants. Dans cette embuscade, I.C. parvint à s’échapper dans la cour de la famille du requérant. Il fut poursuivi par l’agent de police. Réveillé probablement par le vacarme créé, le père du requérant sortit de la maison. Bien que l’agent de police déclinât sa qualité et l’informât très brièvement de ce qui se passait, le père du requérant l’agressa et lui demanda de quitter la cour. L’agent de police fit usage à nouveau de son spray à gaz lacrymogène. À ce moment-là, le requérant sortit de la maison et, indiquant à son père qu’il connaissait l’agent de police, il demanda à son père de ne plus intervenir. L’agent de police sortit de la cour pour vérifier si les renforts sollicités par téléphone étaient arrivés. À ce moment-là, il fut appelé par le gardien de la paix que A.H. et le requérant auraient été en train d’agresser. Dépassé par la situation créée et estimant que sa vie et celle du gardien de la paix était en danger, l’agent de police fit usage de son pistolet. Après l’avertissement légal, il tira deux fois en l’air en guise de sommation, et un troisième coup de feu dans la direction de l’agresseur le plus proche – qui s’avéra être le requérant – la balle le touchant à la cuisse droite. L’agent de police informa ses supérieurs des évènements et autorisa le transport de la victime à l’hôpital. La Cour n’a pas été informée si des poursuites pénales ont été engagées contre le requérant du chef d’outrage (paragraphe 11 ci-dessus) ou l’issue d’une telle procédure. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La législation et la pratique concernant l’usage des armes à feu Les dispositions pertinentes en matière d’usage des armes à feu des différentes lois internes et la pratique en la matière sont résumées dans les affaires Soare et autres c. Roumanie (no 24329/02, §§ 92-95, 22 février 2011) et Gheorghe Cobzaru c. Roumanie (no 6978/08, §§ 32-35, 25 juin 2013). Le code pénal Les dispositions pertinentes du code pénal sont libellées comme suit : Article 44 « 1. N’est pas pénalement responsable la personne qui agit en légitime défense. Agit en légitime défense quiconque a commis une infraction afin de riposter à une agression matérielle, directe, imminente et injuste, dirigée contre lui, contre un tiers ou contre un intérêt public, et qui met gravement en danger la personne ou les droits de la personne attaquée ou l’intérêt public. (...) Agit également en légitime défense celui qui riposte d’une manière disproportionnée par rapport à la gravité du danger ou aux circonstances de l’agression, à cause de la peur ou de la confusion. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1984 et est détenu à Rezina. A. Les allégations de mauvais traitements Le 30 mars 2005, les autorités internes arrêtèrent le requérant et P.B., soupçonnés de plusieurs vols, du meurtre d’un policier et de tentative de meurtre sur deux autres policiers. Le requérant fut notamment interpellé vers 14 heures et puis placé dans les locaux de détention provisoire (Izolator de detenție provizorie (IDP)) du commissariat général de police de Chişinău. Il y fut détenu jusqu’au 18 mai 2005, date à laquelle il fut transféré dans un établissement pénitentiaire. Selon un extrait du registre médical de l’IDP, l’infirmier de cet établissement a examiné le requérant le 30 mars 2005 et a noté que l’intéressé ne présentait pas de symptômes. Par une lettre du 14 avril 2005, la mère du requérant se plaignit auprès du Procureur général de la République de Moldova qu’il lui était interdit de transmettre de la nourriture et des vêtements à son fils. Elle indiquait également redouter que son fils « souffrît beaucoup », car, à plusieurs reprises, des policiers lui auraient dit qu’il ne survivrait pas jusqu’à son procès. Dans une lettre rédigée à l’attention du Procureur général, datée du 15 avril 2005, K.P., un citoyen indien indiquait avoir été détenu dans l’IDP entre le 25 mars et le 13 avril 2005 et avoir été témoin, pendant cette période, de mauvais traitements infligés au requérant. Il soutenait notamment que le requérant avait été reconduit, couvert de bleus, dans sa cellule autour du 30 mars 2005. Il ajoutait que les policiers venaient régulièrement, tôt le matin, chercher le requérant, qu’il l’entendait ensuite crier et que, à son retour dans la cellule, il présentait des traces de violences sur le dos, la poitrine, les mains et les jambes. Selon K.P., les policiers ne permettaient au requérant de s’asseoir que sur le sol en béton de la cellule. Enfin, toujours selon K.P., le requérant lui avait dit que les policiers avaient introduit une bouteille dans son anus. À la fin de la lettre, K.P. indiquait son adresse en Inde. Sur la lettre en question ne figure aucun cachet ou autre mention prouvant qu’elle ait été postée et/ou qu’elle ait été reçue par le Procureur général. Selon la version du Gouvernement, le nom du destinataire n’a pas été écrit par l’auteur de la lettre, mais ajouté par une autre personne, car l’écriture en serait différente de celle du corps de la lettre. Par une lettre du 22 avril 2005, le parquet général informa la mère du requérant que son fils n’avait fait l’objet d’aucune action illégale de la part des policiers. Le 6 mai 2005, la mère du requérant demanda avec insistance au Procureur général que son fils fût transféré de l’IDP dans un établissement pénitentiaire. Par une lettre du 25 mai 2005, le parquet général informa la mère du requérant que son fils avait été transféré dans l’établissement pénitentiaire no 3 de Chișinău (« l’établissement pénitentiaire »). Il y répétait que le requérant n’avait fait l’objet d’aucune action illégale de la part des policiers. Selon une attestation médicale délivrée le 13 janvier 2006 par son médecin traitant, le requérant était somatiquement en bonne santé à la date de son dernier examen, effectué le 14 décembre 2004. En février, mars et mai 2006, la mère du requérant demanda à plusieurs reprises aux autorités d’autoriser l’examen de son fils par des médecins. Le 15 mai 2006, un médecin chirurgien de l’hôpital pénitentiaire examina le requérant et établit que ce dernier présentait un ostéophyte (excroissance osseuse) sur le tibia droit. B. La procédure pénale dirigée contre le requérant Entre-temps, le 30 mars 2005, de 19 h 20 à 20 h 30, le procureur en charge de l’affaire avait interrogé le requérant en présence d’un avocat commis d’office. À l’issue de l’interrogatoire, le requérant avait signé des aveux partiels. Il reconnaissait en particulier le fait d’avoir volé avec P.B. deux pistolets dans un club de tir et d’avoir ouvert le feu lorsque des policiers avaient tenté de les arrêter. Il indiquait également avoir fait les aveux sans aucune contrainte physique ou psychique. À des dates non spécifiées, le requérant et P.B. avaient également reconnu, pendant l’instruction de l’affaire, avoir commis deux vols, organisé une bande armée et préparé le meurtre des civils afin de s’emparer de leur argent. Le requérant avait en outre avoué avoir commis deux escroqueries. À une date non spécifiée, le parquet avait déféré l’affaire à la cour d’appel de Chișinău. Le réquisitoire comprenait dix chefs d’accusation à l’encontre du requérant, à savoir vols, escroqueries, organisation de bande armée, préparation du meurtre des civils, meurtre d’un policier et tentative de meurtre sur deux autres policiers. Devant la cour d’appel, le requérant, assisté par un avocat de son choix, avait reconnu les faits reprochés, à l’exception des deux escroqueries et de la planification du meurtre des civils. P.B. avait également nié le fait d’avoir planifié le meurtre des civils. Le 8 décembre 2005, la cour d’appel de Chişinău avait jugé le requérant coupable de toutes les infractions incriminées. S’agissant des deux escroqueries, elle avait admis comme preuve, d’une part, les aveux faits par le requérant lors de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, les déclarations de victimes, entendues par l’autorité de poursuite et par elle-même, ainsi que les plaintes pénales de celles-ci. Quant à la planification du meurtre des civils, elle s’était appuyée sur les aveux faits par le requérant et P.B. lors de l’enquête pénale, sur les déclarations de victimes potentielles, faites y compris en audience, et sur un procès-verbal d’examen des lieux. Pour ce qui est enfin des autres chefs d’accusation, la cour d’appel avait fondé sa condamnation sur les aveux faits par le requérant et B.P. lors de la phase de l’enquête pénale et lors de l’étape judiciaire, sur les déclarations des victimes et des témoins faites devant elle, sur des rapports médicolégaux et balistiques, et sur des procès-verbaux d’examen des lieux. Elle avait condamné le requérant à une peine cumulée de détention à vie. Le 22 décembre 2005, le requérant avait formé un recours. Il soutenait, entre autres, qu’il avait été maltraité par les policiers lors de l’instruction de l’affaire et qu’il avait signé des aveux sous la contrainte. Il indiquait également ne pas avoir pu s’entretenir avec l’avocat commis d’office pendant les deux premiers mois de sa détention. Il demandait que ses aveux faits lors de l’instruction de l’affaire fussent écartés en tant qu’élément de preuve. Par un arrêt définitif du 25 avril 2006, la Cour suprême de justice avait accueilli partiellement le recours. Elle acquittait le requérant concernant les chefs d’accusation de préparation de meurtre des civils au motif que l’intéressé avait renoncé de son plein gré à la commission de ces infractions et que l’accusation publique n’avait pas démontré la culpabilité de celui-ci par des preuves irréfutables. Elle confirmait la décision de l’instance inférieure pour le restant ainsi que la peine d’emprisonnement à vie. Quant aux allégations de mauvais traitements, la haute juridiction les rejetait pour absence de fondement. À ce titre, elle faisait référence à la décision de classement sans suite du procureur S.O. du 13 avril 2006 (paragraphe 25 ci-dessous). Elle relevait enfin que le non-respect allégué des droits de la défense lors de l’instruction de l’affaire n’avait pas été confirmé, que toutes les actions procédurales avaient été effectuées conformément aux dispositions légales et que plusieurs enregistrements vidéo réalisés pendant l’enquête pénale montraient que les droits de la défense avaient été respectés. C. L’enquête des autorités sur les allégations de mauvais traitements Le 10 avril 2006, le parquet ouvrit d’office une enquête sur les allégations du requérant faites pendant son procès (paragraphe 21 ci-dessus). À des dates non spécifiées, le procureur S.O. recueillit les dépositions du procureur C.B. ayant diligenté l’enquête pénale contre le requérant, et des trois policiers ayant participé à l’arrestation de ce dernier. Le procureur C.B. avait notamment déclaré que le requérant avait signé ses aveux librement, en présence d’un avocat. Quant aux trois policiers, ils avaient reconnu avoir employé la force physique lors de l’arrestation du plaignant au motif que celui-ci était armé et qu’il était récidiviste ; ils avaient toutefois soutenu ne pas avoir dépassé les limites établies par la loi. Le 13 avril 2006, le procureur S.O. adopta une ordonnance de classement sans suite. Il faisait référence aux dépositions susdites et précisait en outre que, au stade de l’investigation, le requérant n’avait formulé aucune plainte concernant les mauvais traitements allégués. Il considérait dès lors que les allégations en question n’étaient pas étayées. À une date non précisée, le requérant contesta la décision du parquet. Il soutenait qu’il était en bonne santé avant son arrestation et reprochait aux autorités de ne pas avoir ordonné une expertise médicolégale à son égard et de ne pas avoir déployé tous leurs efforts aux fins d’identifier et d’interroger ses codétenus, qui auraient pu, selon lui, confirmer ses dires. Il soutenait enfin que, pendant sa détention dans l’IDP, aucun mécanisme de dépôt de plainte n’avait été mis à sa disposition. Par une décision du 14 juin 2006, un juge d’instruction du tribunal de Râşcani annula le classement sans suite du 13 avril 2006. Il estimait que le contrôle effectué par le parquet avait été incomplet. Il relevait que le procureur n’avait vérifié ni le registre médical de l’IDP ni l’existence d’appels au service des urgences, qu’il n’avait pas élucidé la question de savoir pourquoi le requérant était détenu dans l’IDP alors que, selon le mandat d’arrêt, il aurait dû être conduit dans un établissement pénitentiaire, et enfin qu’il n’avait entendu ni le requérant ni la mère de celui-ci. Il demandait dès lors au parquet d’effectuer un contrôle supplémentaire. Le 21 décembre 2006, la mère du requérant fournit au parquet une copie de la lettre de K.P. (paragraphe 9 ci-dessus). Le 9 janvier 2007, un procureur recueillit les dépositions du requérant et de son coaccusé, P.B. Le requérant déclarait qu’on l’avait battu dès les premières heures de sa détention et qu’on l’avait ensuite maltraité quotidiennement dans l’IDP pour, entre autres, lui arracher des aveux complets. Il indiquait en outre qu’il avait reçu de multiples coups sur la tête, le corps et la plante des pieds, que les policiers l’avaient obligé à dormir à même le sol de la cellule et qu’ils avaient introduit une bouteille dans son orifice anal. Il soutenait également que, à la suite des mauvais traitements qu’il dénonçait, il boitait, que son genou droit était enflé et douloureux et qu’il souffrait de maux de tête. Il mentionnait les noms de ses codétenus, dont K.P., en mesure selon lui de confirmer ses allégations. Quant à P.B., il déclarait également avoir été maltraité quotidiennement dans l’IDP. Par une ordonnance du 6 avril 2007, le procureur S.O. classa sans suite la procédure après avoir entendu une nouvelle fois le procureur C.B. et recueilli les dépositions de dix policiers chargés de la surveillance des détenus dans l’IDP. Il notait que tous avaient nié l’infliction de mauvais traitements au requérant. Il relevait en outre que, selon le registre des demandes d’aide médicale des personnes détenues dans l’IDP, le requérant n’avait pas fait de demande dans ce sens pendant sa détention dans cet établissement. Il notait également que, d’après le registre correspondant, le requérant avait quitté sa cellule à plusieurs reprises afin de participer aux mesures d’investigation. Quant à la lettre de K.P., il précisait qu’elle n’avait pas été envoyée au Procureur général à la date qui y était indiquée, mais qu’elle avait été produite pour la première fois après la condamnation du requérant par la juridiction de première instance. Enfin, il redisait que, le jour même de son arrestation, le requérant avait signé des aveux, sans contrainte et en présence d’un défenseur, et que ce dernier n’avait pas soulevé de grief pour mauvais traitements lors de l’instruction de l’affaire. Il concluait donc que les allégations du requérant n’avaient pas trouvé confirmation. D’après une attestation médicale délivrée au requérant le 6 avril 2007, celui-ci souffrait d’une « lésion du ligament croisé antérieur et du ligament collatéral latéral de l’articulation du genou droit ». Selon un extrait du 20 avril 2007 de la fiche médicale du requérant, celui-ci souffrait d’une arthrose et d’une instabilité du genou droit. Le 8 mai 2007, le requérant contesta l’ordonnance du 6 avril 2007. Il relevait, entre autres, que le parquet n’avait pas recueilli les témoignages de ses codétenus et qu’il n’y avait pas eu de confrontations entre lui et les responsables présumés des mauvais traitements. Il soulignait également qu’aucune expertise médicolégale n’avait été effectuée et que les circonstances dans lesquelles sa blessure au genou était survenue n’avaient pas été élucidées. Il estimait que l’enquête n’avait été ni effective ni rapide. Par une décision du 6 juillet 2007, un juge d’instruction du tribunal de Râşcani annula l’ordonnance du 6 avril 2007 et renvoya l’affaire. Le juge notait, entre autres, que le procureur S.O. n’avait pas interrogé les codétenus du requérant et l’infirmière de l’établissement pénitentiaire dans lequel l’intéressé avait été transféré après la détention dans l’IDP. Il relevait également que l’enquête n’avait pas établi quelles étaient les compétences des policiers qui avaient, à plusieurs reprises, emmené le requérant hors de sa cellule et conduit dans leurs bureaux. Enfin, il estimait nécessaire d’éclaircir les motifs du refus des policiers de transmettre au requérant les colis de ses proches. Selon un rapport d’expertise médicolégale établi le 22 août 2007, le requérant présentait dans la région occipitale une cicatrice que le médecin légiste qualifiait de blessure sans préjudice pour la santé. Toujours selon le rapport, il n’aurait décelé aucune lésion ou cicatrice dans la région anale. Enfin, d’après le rapport, l’examen eut eu lieu en présence d’un procureur. Par une lettre du 6 septembre 2007, le requérant se plaignit auprès du parquet général notamment d’avoir été examiné par le médecin légiste en présence d’un procureur. Il demandait à être examiné par une commission d’experts. Par une lettre du 25 septembre 2007, le parquet général rejeta la demande du requérant au motif qu’une commission d’experts pouvait être désignée uniquement lorsqu’une enquête pénale avait été ouverte. Par une ordonnance du 2 novembre 2007, le procureur S.O. classa à nouveau sans suite la procédure. Il reprenait la motivation de son ordonnance précédente, y ajoutant que les constats du rapport médicolégal du 22 août 2007 n’étaient pas concluants. Le 23 janvier 2008, le requérant contesta l’ordonnance du 2 novembre 2007. Il demandait expressément que ses codétenus fussent entendus et reprochait au procureur S.O. d’avoir fondé son ordonnance sur les seules déclarations des policiers. Il soutenait également que le parquet aurait dû ordonner une expertise médicolégale dès le mois de mai 2005, soit dès la réception de la première plainte déposée par sa mère. Le 10 février 2008, le premier adjoint du Procureur général annula l’ordonnance du 2 novembre 2007 et ordonna un contrôle supplémentaire. Il relevait qu’il était encore nécessaire d’interroger les codétenus du requérant dans l’IDP, le médecin qui aurait soigné la blessure occipitale de ce dernier et le personnel médical de l’établissement pénitentiaire. Il notait également que l’enquête devait élucider, d’une part, quelles étaient les compétences des policiers qui avaient emmené le requérant hors de sa cellule de l’IDP et, d’autre part, pourquoi le plaignant avait été privé des colis que lui avaient fait parvenir ses proches. Par une ordonnance du 4 avril 2008, le procureur M.C. classa sans suite la procédure. Il complétait le texte de l’ordonnance du 2 novembre 2007 par l’information selon laquelle, le 18 mai 2005, le requérant avait été transféré dans l’établissement pénitentiaire prévu. Il ajoutait à cet égard que les médecins affectés à cet établissement avaient constaté que l’entrant était en bonne santé et sans blessures apparentes. Le 21 avril 2008, le requérant contesta cette décision. Le 12 mai 2008, le premier adjoint du Procureur général confirma l’ordonnance du 4 avril 2008. Par une lettre du 22 mai 2008, le requérant demanda au parquet général de lui envoyer copie des ordonnances du premier adjoint du Procureur général des 10 février et 12 mai 2008. Par une lettre du 26 mai 2008, le parquet général l’informa que les dispositions légales ne prévoyaient pas l’envoi aux plaignants des copies des ordonnances adoptées par le procureur hiérarchique et qu’il aurait la possibilité de prendre connaissance de celles-ci lors de l’examen de son affaire par le juge d’instruction. Le 22 mai 2008, le requérant contesta devant le juge d’instruction les ordonnances des 4 avril et 12 mai 2008. Le 12 juin 2008, un juge d’instruction du tribunal de Râşcani refusa, sans examen au fond, d’accueillir la plainte du requérant au motif que l’ordonnance du premier adjoint du Procureur général du 12 mai 2008 n’y était pas jointe. Après la communication de la présente affaire au Gouvernement, le Procureur général annula, le 8 février 2012, les ordonnances des 4 avril et 12 mai 2008. Il estimait que le classement sans suite était arbitraire, notamment au motif que K.P. et les codétenus du requérant n’avaient pas été interrogés. Il demandait un complément d’enquête concernant les allégations de mauvais traitements du requérant. Par une ordonnance du 5 mars 2012, le procureur M.C. classa sans suite la procédure. Par rapport aux ordonnances précédentes, il ajoutait, d’une part, que K.P. avait quitté la Moldova et qu’il était impossible de vérifier ses déclarations, et que la mère du requérant avait fourni la copie de la lettre de K.P. plus d’un an et demi après les faits. Il ajoutait, d’autre part, que, d’après le dossier médical, le requérant avait subi, avant la détention, plusieurs traumatismes crâniens susceptibles d’être à l’origine de la cicatrice occipitale et que, selon l’avis d’un docteur en médecine, l’ostéophyte au niveau du tibia droit du requérant pouvait être d’origine dégénérative congénitale. Le 3 avril 2012, le requérant contesta cette ordonnance. Par une ordonnance du 25 avril 2012, le premier adjoint du Procureur général rejeta cette plainte et confirma le classement sans suite du 5 mars 2012. Le 15 mai 2012, le requérant forma un recours contre les ordonnances des 5 mars et 25 avril 2012. Il soutenait, entre autres, avoir été maltraité quotidiennement en représailles de son tir sur un policier. Par une décision définitive du 8 juin 2012, un juge d’instruction du tribunal de Râșcani rejeta comme mal fondé le recours du requérant. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent en l’espèce est résumé dans les arrêts Parnov c. Moldova (no 35208/06, § 17, 13 juillet 2010) et Buzilo c. Moldova (no 52643/07, § 20, 21 février 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1965 et réside à Chișinău. A. Contexte de l’affaire Le requérant souffre d’un trouble de la personnalité. Il a purgé plusieurs peines d’emprisonnement pour avoir commis diverses infractions, dont des vols, escroqueries et usurpations de fonctions. Sa première condamnation date de 1987. À partir de 1990, le requérant a été hospitalisé à plusieurs reprises, pendant sa détention, à la suite d’actes d’automutilation. Le 4 octobre 1999, le requérant, alors détenu, s’introduisit trois clous dans l’abdomen. Le même jour, il fut admis à l’hôpital pénitentiaire de Pruncul avec le diagnostic suivant : « automutilation ; corps étrangers dans la paroi antérieure de l’abdomen ». Le 5 octobre 1999, le requérant subit une intervention chirurgicale. Les médecins lui enlevèrent deux clous. D’après le dossier médical correspondant, l’extraction du troisième clou n’avait pas été possible à cause du refus du requérant de continuer l’opération. Le 7 octobre 1999, le requérant sortit de l’hôpital pénitentiaire dans un état satisfaisant. À une date non spécifiée, il fut remis en liberté. Le 11 octobre 2000, il subit une opération du foie. Le 23 octobre 2000, les autorités arrêtèrent le requérant, soupçonné d’escroquerie, et le placèrent en détention. Le 29 octobre 2000, un médecin examina le requérant et constata la réouverture de sa plaie postopératoire. Il recommanda l’hospitalisation d’urgence de l’intéressé. Les autorités s’y opposèrent dans un premier temps, puis, le 6 novembre 2000, elles transférèrent le requérant à l’unité médicale du pénitentiaire no 13 de Chișinău. Le 7 novembre 2000, le requérant aurait avalé des objets métalliques. Le 9 novembre 2000, les autorités conduisirent l’intéressé à l’hôpital pénitentiaire de Pruncul où le diagnostic préalable suivant fut posé : « automutilation ; corps étrangers multiples dans le système digestif ». Selon la fiche médicale correspondante, le requérant avait déclaré au médecin de garde avoir avalé entre dix et douze clous et avoir des douleurs dans la région épigastrique. Le 10 novembre 2000, les résultats d’un examen radiologique révélèrent chez le requérant la présence d’un objet métallique de 0,1 cm sur 12 cm dans la région inférieure gauche de l’abdomen au niveau de l’os iliaque. Par la suite, des examens radiologiques effectués les 5, 7 et 18 décembre 2000 confirmèrent la présence de ce corps étranger dans la région inférieure de l’abdomen. Les médecins programmèrent une intervention chirurgicale. Le 21 décembre 2000, le requérant subit sous anesthésie générale une laparotomie exploratrice. Après avoir examiné la cavité de l’abdomen, la paroi antérieure abdominale et les intestins, les médecins ne trouvèrent aucun objet métallique. Le requérant soutient qu’il a été amené de force au bloc opératoire, les mains liées, qu’il s’est fortement opposé à l’intervention chirurgicale et qu’il a constaté à son réveil l’ablation de son nombril. Le 25 décembre 2000, le requérant fut conduit de l’hôpital à l’audience devant un tribunal. Selon la fiche médicale correspondante, un chirurgien avait examiné ce jour-là le requérant et avait jugé son état satisfaisant. Le 27 décembre 2000, l’intéressé fut hospitalisé de nouveau à l’hôpital pénitentiaire avec le diagnostic de « plaie postopératoire de la paroi abdominale ; état après laparotomie ». B. Plaintes pénales du requérant contre les médecins À une date non spécifiée, le requérant déposa une plainte pénale contre les médecins qui avaient recommandé son intervention chirurgicale du 21 décembre 2000. Le 1er octobre 2002, le parquet classa sans suite la plainte en question (Ciorap c. Moldova (déc.), no 12066/02, 11 octobre 2005). Le 4 janvier 2006, le requérant déposa une autre plainte pénale contre les médecins impliqués dans son intervention chirurgicale. Il soutenait ne pas avoir avalé d’objets étrangers pendant la période en question et ne pas avoir fait de déclaration en ce sens à l’époque. De plus, il alléguait que l’intervention chirurgicale avait eu lieu contre son gré et il argüait que l’ablation de son nombril n’était pas nécessaire. Le 15 février 2006, le parquet ordonna une expertise médicolégale. L’expertise, effectuée entre le 24 février et le 29 mars 2006 par une commission d’experts médicolégaux, aboutissait aux constats suivants : « (...) L’intervention chirurgicale du 21 décembre 2000 (...) a été effectuée sur la base des résultats des examens radiologiques qui avaient révélé la présence du corps étranger métallique au niveau de l’os iliaque, à gauche. Par ces motifs, la commission conclut au bien-fondé de l’intervention chirurgicale. Compté tenu du fait que [le requérant] avait subi plusieurs interventions chirurgicales dans la région de l’abdomen, (...) il est impossible de déterminer lors de laquelle de ces interventions le nombril avait été enlevé (...) » Le 31 mars 2006, le procureur en charge de l’affaire classa sans suite la plainte du requérant. Il notait que les infractions d’atteinte grave à l’intégrité physique, de négligence professionnelle et d’abus de pouvoir, reprochées aux médecins, n’étaient pas caractérisées dans leurs éléments constitutifs. Il relevait notamment que la présence d’un corps métallique dans l’abdomen du requérant avait été confirmée par les clichés radiologiques, ce qui justifiait selon les experts médicolégaux l’intervention chirurgicale. À une date non spécifiée, le requérant contesta cette décision. Le 11 mai 2006, un juge d’instruction du tribunal de Buiucani confirma par un non-lieu définitif le classement sans suite du parquet. Par la suite, le requérant déposa plusieurs autres plaintes pénales concernant l’intervention chirurgicale du 21 décembre 2000, mais elles furent toutes classées sans suite par le parquet. C. Action civile engagée par le requérant contre les autorités Entre-temps, le requérant avait engagé le 22 mai 2003 une action civile dirigée, entre autres, contre l’hôpital pénitentiaire, tendant à l’obtention de dédommagements pour l’intervention chirurgicale qu’il estimait non nécessaire et non consentie. Il argüait également que sa sortie de l’hôpital, à ses yeux précoce, lui avait causé des souffrances importantes. Entre le 1er mars et le 4 avril 2007, une commission d’experts médicolégaux examina, sur demande d’un juge, le requérant et le dossier médical relatif à l’opération du 21 décembre 2000. Le rapport établi par cette commission confirmait les constats du rapport médicolégal précédent et ajoutait, entre autres, qu’il était probable que l’objet métallique dépisté en 2000 lors des examens radiologiques fût le clou non enlevé du corps du requérant en 1999 (paragraphe 10 ci-dessus). Par un jugement du 7 août 2007, le tribunal de Buiucani, après avoir entre autres entendu le requérant, accueillit partiellement l’action civile engagée par ce dernier. Il notait que, aux termes de l’article 23 § 1 de la loi sur la protection de la santé, l’accord du patient était nécessaire pour tout type de soins médicaux. Il constatait ensuite que les médecins de l’hôpital pénitentiaire n’avaient pas observé les dispositions de cet article car ni le requérant ni ses proches n’avaient donné leur accord pour l’intervention chirurgicale du 21 décembre 2000. En même temps, il rejetait comme mal fondée l’allégation du requérant selon laquelle sa sortie de l’hôpital – que l’intéressé qualifiait de prématurée – lui avait causé d’importantes souffrances. Le tribunal obligeait l’hôpital pénitentiaire à payer au requérant 346 lei moldaves (MDL) (soit 20 euros (EUR)) pour le dommage matériel et 200 MDL (soit 11 EUR) pour le dommage moral subis. À des dates non spécifiées, les deux parties interjetèrent appel. Dans son arrêt du 18 octobre 2007, la cour d’appel de Chișinău relevait que : « Il a été constaté que, le 21 décembre 2000, [le requérant] a subi contre son gré une intervention chirurgicale à l’hôpital pénitentiaire de Pruncul. L’article 23 § 1 de la loi no 411 du 28 mars 1995 sur la protection de la santé requiert expressément l’accord du patient pour toute prestation médicale proposée. Il ne ressort pas des éléments du dossier qu’il y avait une urgence à procéder à l’intervention chirurgicale afin d’extraire le corps étranger de l’organisme [du requérant]. D’autant plus que l’information selon laquelle [le requérant] aurait avalé des clous n’avait pas été confirmée et que l’objet métallique (...) n’a pas été retrouvé dans son corps. Compte tenu du fait que [le requérant] a subi une intervention chirurgicale non justifiée et qu’à la suite de celle-ci des complications sont survenues, ce qui est confirmé par son hospitalisation le 27 décembre 2000, le dédommagement moral alloué par la première instance n’est pas à même de compenser les souffrances subies par le requérant. » La cour d’appel allouait dès lors au requérant 5 000 MDL (soit environ 300 EUR) à titre de dommage moral. Elle confirmait le jugement de la première instance pour le restant. Le requérant avait participé aux audiences tenues par cette juridiction. Le 22 octobre 2007, le requérant forma un pourvoi en cassation. Il estimait, entre autres, que l’intervention chirurgicale effectuée contre son gré et sa sortie de l’hôpital quatre jours après l’opération étaient contraires à l’article 3 de la Convention. Il alléguait que certains rapports médicaux, notamment celui établissant qu’il avait avalé des clous le 7 novembre 2000, avaient été falsifiés. Il soutenait également que son nombril avait été enlevé contre son gré et en l’absence d’une nécessité médicale. Invoquant l’article 41 de la Convention, il demandait respectivement 1 000 000 MDL et 7 000 MDL pour les préjudices moral et matériel qu’il estimait avoir subis. Par une décision définitive du 7 février 2008, la Cour suprême de justice infirma l’arrêt de la cour d’appel dans sa partie concernant le quantum du dédommagement moral. Cette décision, dans ses parties pertinentes en l’espèce, se lit comme suit : « Après avoir entendu la représentante du requérant (...) Il a été constaté que, le 9 novembre 2000, [le requérant] a été hospitalisé à l’hôpital pénitentiaire de Pruncul avec le diagnostic de « automutilation, corps étrangers multiples dans le système digestif », et que, le 10 novembre 2000, les résultats de l’examen radiologique ont révélé la présence d’un corps étranger métallique de 0,1 cm sur 12 cm dans la partie inférieure gauche de l’abdomen (...) Ensuite, les résultats des examens radiologiques des 5, 7 et 18 décembre 2000 ont confirmé la présence du corps étranger et, le 21 décembre 2000, une opération programmée a été effectuée. (...) Selon la fiche médicale (...), lors de l’intervention chirurgicale, le corps étranger n’a pas été trouvé. Ainsi, [d’une part] l’intervention chirurgicale programmée, subie par [le requérant] le 21 décembre 2000, n’était pas urgente (...) et [d’autre part] il n’y avait pas non plus de risque pour sa vie au sens de l’article 24 de la loi sur la protection de la santé. De plus, l’intervention chirurgicale a été effectuée sans le consentement du patient. (...) Après l’intervention chirurgicale du 21 décembre 2000, [le requérant] est sorti le 25 décembre 2000 de l’hôpital pénitentiaire dans un état satisfaisant afin de participer à l’audience devant un tribunal. (...), la cour constate que la personnalité du requérant a été ébranlée par le traitement médical inhumain, inapproprié et non fondé sur une nécessité thérapeutique, ce qui relève du champ d’application de l’article 3 de la Convention. (...), la cour estime nécessaire d’allouer un dédommagement moral au requérant pour l’intervention chirurgicale non adéquate effectuée par les médecins de l’hôpital pénitentiaire de Pruncul le 21 décembre 2000. (...) Compte tenu du caractère et de la gravité des souffrances psychiques et physiques causées au requérant, la cour estime que le quantum du préjudice moral s’élève à 7 000 MDL ([soit environ 400 EUR]) (...) [et que cette somme] doit être versée par l’intermédiaire du ministère des Finances. » La Cour suprême de justice rejetait les autres allégations du requérant comme mal fondées. Il ressort d’un rapport médicolégal daté du 28 mai 2009 et établi à la demande du requérant que ce dernier était inapte, le jour de sa sortie de l’hôpital le 25 décembre 2000, à participer à la procédure pénale dirigée à son encontre. L’expertise avait été effectuée sur la base des documents médicaux antérieurs, et les médecins avaient tiré leurs conclusions en faisant référence à la littérature médicale spécialisée. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 411-XIII du 28 mars 1995 sur la protection de la santé se lisent comme suit : « Article 23. Consentement à la prestation médicale (1) Le consentement du patient est nécessaire pour toute prestation médicale proposée (prophylactique, diagnostique, thérapeutique, récupératrice). (2) En l’absence d’une opposition manifeste, le consentement est présumé pour les prestations qui ne présentent pas de risques importants pour le patient ou qui ne sont pas susceptibles de porter préjudice à son intimité. (3) Le consentement du patient incapable de discernement est donné par son représentant légal ou, en l’absence de celui-ci, par le parent le plus proche. (4) Le consentement du patient incapable de discernement, de manière temporaire ou permanente, est présumé en cas de danger de mort imminente ou de menace grave pour sa santé. (...) (7) Le consentement ou le refus du patient ou de son représentant légal est attesté par écrit (...) Article 24. Assistance médicale en cas d’urgence et dans les cas extrêmes (1) Les personnes bénéficient d’une assistance médicale urgente en cas de danger pour leur vie (accidents, maladies aiguës graves, etc.). (...) » Les dispositions pertinentes en l’espèce du code civil de 2002 sont ainsi libellées : « Article 1422. Réparation du préjudice moral (1) Lorsqu’une personne subit un préjudice moral (souffrances psychiques ou physiques) à la suite de faits qui portent atteinte à ses droits personnels non patrimoniaux, ainsi que dans d’autres cas prévus par la loi, le tribunal a le droit d’obliger la personne responsable à réparer le préjudice par un équivalent monétaire. (2) Le préjudice moral est réparé indépendamment de l’existence et de l’étendue du préjudice matériel. (...) Article 1423. Montant de la compensation pour le préjudice moral (1) Le montant de la compensation pour le préjudice moral est déterminé par le tribunal en fonction du caractère et de la gravité des souffrances psychiques ou physiques causées à la personne lésée, du degré de culpabilité de l’auteur du préjudice lorsque la culpabilité est une condition de la responsabilité, et de la manière dont cette compensation peut apporter satisfaction à la personne lésée. (2) Le caractère et la gravité des souffrances psychiques ou physiques sont appréciés par le tribunal compte tenu des circonstances dans lesquelles le préjudice a été causé, ainsi que du statut social de la personne lésée. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1957 et réside à Bălți. A. Contexte de l’affaire Le requérant était impliqué, avec O.I. et N.N., dans une série de transactions commerciales complexes ayant pour objet la construction par une société de bâtiment (« la société ») de dix-huit immeubles à Chișinău. Le 29 mars 2004, S.F. et L.B. fondèrent une société dans laquelle ils détenaient des parts sociales égales. Ils fixèrent le capital social initial à 5 400 lei moldaves (MDL) (environ 320 euros, EUR). Le 17 décembre 2004, L.B. vendit à S.F. dix pour cent de ses parts et, le 11 février 2005, elle céda les quarante pour cent de parts qu’elle détenait encore à F.M., un citoyen allemand. Les transactions en question furent enregistrées auprès de la chambre d’enregistrement d’État. Le 14 février 2006, N.N. engagea, au nom de F.M., une action contre S.F. aux fins d’obtenir l’exclusion de ce dernier des associés de la société au motif que, presque deux ans après la création de la société, S.F. n’aurait toujours pas versé le montant correspondant à ses parts. Le 15 mars 2006, le tribunal de Bălți accueillit l’action de F.M. et ordonna l’exclusion de S.F. des associés de la société, F.M. en devenant ainsi l’unique associé. Le 31 mars 2006, le jugement acquit force de chose jugée. Le même jour, la chambre d’enregistrement d’État procéda aux modifications qui s’imposaient dans les documents statutaires de la société. Le 31 mars 2006, F.M. vendit cinquante pour cent de ses parts sociales à deux particuliers. Le 1er avril 2006, un autre particulier, V.S., acheta, d’une part, les parts sociales de ces derniers et, d’autre part, vingt pour cent des parts sociales de F.M. Le 2 avril 2006, V.S. vendit toutes ses parts sociales à trois autres particuliers, représentés par O.I. À la même date, F.M. vendit dix pour cent de ses parts sociales à O.I. Le 3 avril 2006, l’office territorial de Bălți de la chambre d’enregistrement d’État enregistra une augmentation de 3 024 000 EUR du capital social de la société. Cela correspondait à la valeur d’un projet de construction estimée à 3 024 358,80 EUR par un rapport d’audit daté du 9 décembre 2005. À une date non spécifiée en 2006, S.F. interjeta appel du jugement du 15 mars 2006. Il demanda à la cour d’appel de Bălți de rayer l’affaire du rôle, soutenant que N.N. ne disposait pas des pouvoirs permettant d’engager une action au nom de F.M. Par un arrêt du 30 mai 2006, la cour d’appel de Bălți rejeta l’appel et la demande de radiation du rôle. Elle mentionna toutefois que la première instance avait examiné l’affaire en l’absence de S.F. qui n’aurait pas été cité à comparaître en bonne et due forme. S.F. forma un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel. Par une décision du 11 juillet 2006, la Cour suprême de justice accueillit le pourvoi, infirma les décisions des deux instances inférieures et renvoya l’affaire. Le 2 août 2006, la cour d’appel de Chișinău joignit à la procédure l’action reconventionnelle de S.F. dirigée contre F.M. et contre la chambre d’enregistrement d’État. L’action de S.F. tendait, d’une part, à l’annulation de tous les documents et écrits ayant mené à son exclusion des associés de la société et, d’autre part, à sa reconnaissance en tant qu’unique associé de cette dernière. Le 22 septembre 2006, la cour d’appel de Chișinău rejeta l’action engagée par N.N. au nom de F.M. et accueillit intégralement celle introduite par S.F. Par une décision définitive du 19 octobre 2006, la Cour suprême de justice confirma l’arrêt de la cour d’appel de Chișinău. B. Ouverture de l’enquête pénale et détention initiale du requérant Entre-temps, le 26 mai 2006, S.F. avait déposé une plainte pénale auprès du parquet général. Il y dénonçait son exclusion, illégale à ses yeux, des associés de la société et la dépossession de ses parts sociales par un groupe de personnes dont N.N. Le 9 juin 2006, un agent du Centre pour la lutte contre la criminalité économique et la corruption (CLCEC) ordonna l’ouverture d’une enquête pénale concernant les allégations de S.F. L’agent du CLCEC se fondait sur les seules affirmations de ce dernier. Le 3 mai 2007, le juge d’instruction M.D. du tribunal de Buiucani autorisa une perquisition au domicile du requérant à Bălți. Le 4 mai 2007, les autorités effectuèrent la perquisition et trouvèrent, entre autres, une copie du certificat d’enregistrement de la société. Le 19 juin 2007 à 11 h 59, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans les locaux du CLCEC. Le même jour, il fut examiné par un médecin légiste dont le rapport, dans ses parties pertinentes en l’espèce, se lit comme suit : « Circonstances [relatées par le requérant] : le 19 juin 2007 à 11 h 30, alors qu’il se dirigeait vers son automobile, [le requérant] a été attaqué par des inconnus et a perdu connaissance pendant quelques instants. [Maux exprimés par le requérant] : céphalée, vertiges, nausées, douleurs au niveau des articulations métacarpiennes des deux mains et au niveau des jambes. Examen : sur la partie antéro-médiale du tiers moyen de la jambe gauche (...), une excoriation de forme ovale irrégulière, de couleur rougeâtre et d’une dimension de 1,5 cm sur 1,5 cm ; sur la partie antéro-latérale du tiers moyen de la jambe droite (...), une excoriation de forme ovale irrégulière, de couleur rougeâtre et d’une dimension de 0,8 cm sur 0,7 cm. Conclusions : ... les excoriations sur les deux jambes ont été causées à la suite d’un choc contre un (des) objet(s) dur(s) (...) probablement au moment et dans les circonstances indiqués [par le requérant], et sont qualifiées de lésions corporelles sans préjudice pour la santé. » Le 22 juin 2007, le procureur du parquet Anticorruption en charge de l’affaire demanda au tribunal de Buiucani de placer le requérant en détention provisoire. Il relevait, entre autres, que F.M., N.N. et O.I. avaient contribué à l’exclusion de S.F. des associés de la société et que, le 31 mars 2006, date à laquelle le jugement du tribunal de Bălți du 15 mars 2006 avait acquis force de chose jugée, F.M. avait demandé à la chambre d’enregistrement d’État d’exécuter d’urgence ce jugement. Il indiquait que cette demande avait été faite sans que S.F. en eût été informé et dans le but – de l’avis du procureur – d’effacer les traces de l’infraction. Faisant référence aux résultats des « mesures d’investigation » (măsuri operativ-investigative) selon lesquels F.M., N.N. et O.I. avaient exécuté les ordres du requérant dirigés contre S.F., il notait que, eu égard aux actes du requérant, l’infraction de détournement de biens d’autrui dans de très grandes proportions était caractérisée dans ses éléments constitutifs. Les conseils du requérant plaidèrent en faveur de la remise en liberté de ce dernier invoquant, entre autres, l’absence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis l’infraction, la nécessité pour lui de continuer à travailler et l’absence d’entrave de sa part au déroulement de l’enquête pénale. Les avocats alléguaient en outre que, lors de l’arrestation du requérant, la force physique avait été employée d’une manière non justifiée et lui avait causé des lésions corporelles. Le même jour, le juge d’instruction I.M. du tribunal de Buiucani ordonna le placement du requérant en détention provisoire pour une durée de dix jours à compter du 19 juin 2007, 11 h 59. Il motiva sa décision comme suit : « (...) les éléments présentés par le procureur confirment l’existence de raisons plausibles de suspecter [le requérant] d’avoir commis l’infraction reprochée (...) [le tribunal] prend en compte le caractère et le degré préjudiciable des faits reprochés (...), leur gravité, la nécessité de protéger l’ordre public, le choc stressant que pourrait provoquer dans la société la libération du suspect [compte tenu du montant qui aurait été détourné], [ainsi que] l’existence de risques de fuite, d’obstacle à l’établissement de la vérité dans l’affaire, de collusion entre coaccusés et de fabrication de preuves à décharge, résultant de la nature de l’infraction reprochée (...), de la personnalité du suspect et de sa conduite durant le procès pénal. (...) A ce stade, le tribunal estime que les raisons invoquées par l’accusateur ont priorité et [que la détention du requérant] va contribuer au bon déroulement de la procédure pénale. (...) [L]e tribunal (...) adopte une décision interlocutoire adressée au procureur en vue de vérifier les allégations du suspect selon lesquelles la force physique avait été employée lors de son arrestation (...) » Le 25 juin 2007, le requérant forma un recours contre la décision du juge d’instruction. Il invoquait l’absence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis l’infraction et argüait, entre autres, que l’infraction qui lui était reprochée était de nature économique, qu’il souffrait d’une hépatite chronique C, qu’il avait un domicile fixe et un emploi stable, qu’il entretenait ses deux parents aveugles et qu’il n’avait pas d’antécédents pénaux. À une date non précisée, les avocats du requérant déposèrent devant le parquet une demande de récusation du procureur en charge de l’affaire. Le 26 juin 2007, un agent du CLCEC dressa un rapport dans lequel il consignait que le requérant n’avait pas de domicile fixe. Il notait que, selon une attestation délivrée par la mairie compétente, le requérant n’avait jamais habité à l’adresse de Chișinău mentionnée dans son acte d’identité. Le même jour, le procureur en charge de l’affaire informa les avocats du requérant que le lendemain, à 14 heures, ce dernier allait être inculpé et que leur présence était nécessaire. Les avocats se rendirent au centre de détention aux date et heure indiquées, mais, selon le requérant, le procureur ne se présenta pas. À 15 heures, les avocats auraient demandé par écrit au CLCEC de les tenir informés, conformément à la loi, de la date et de l’heure de la prochaine mesure procédurale relative au requérant. Par une ordonnance du 27 juin 2007, l’adjoint du procureur général rejeta comme mal fondée la demande de récusation déposée par les avocats du requérant. Par une ordonnance du 28 juin 2007, le procureur en charge de l’affaire décida, en vue d’inculper le requérant, de remplacer ses avocats, qui avaient été choisis par ce dernier, par un avocat nommé d’office. Le procureur notait que les avocats en question ne s’étaient pas présentés devant lui les 27 et 28 juin 2007. Le 28 juin 2007, le procureur, en présence d’un avocat commis d’office, inculpa le requérant des chefs de détournement de biens d’autrui et d’usage de faux. Concernant ce dernier chef, il relevait que la documentation technique relative au projet de construction précité (paragraphe 11 ci-dessus) avait été introduite sur le territoire de la République de Moldova assortie d’une procuration sur laquelle était apposée la signature falsifiée du directeur de la société. Il mentionnait de plus que les parts sociales que S.F. détenait au 1er janvier 2006 étaient évaluées à 20 165 034 MDL (environ 1 200 000 EUR). En raison de l’absence de ses avocats, le requérant refusa de signer l’acte d’inculpation. En outre, il déposa une plainte officielle demandant au parquet d’assurer leur présence. Avant d’être conduit à l’audience devant la cour d’appel de Chișinău qui devait se prononcer sur son recours, le requérant fut examiné par un médecin du centre de détention du CLCEC. Dans son rapport, le médecin indiquait, entre autres, que le requérant, pendant la période comprise entre le 19 et le 28 juin 2007, s’était constamment plaint d’hypertension psycho-émotionnelle, qu’il faisait l’objet d’une surveillance médicale quotidienne, qu’il lui avait été administré des sédatifs et qu’il lui avait été permis de recevoir des médicaments de la part de ses proches. Il relevait également qu’une consultation avec un neurologue avait été proposée au requérant, mais que celui-ci l’avait refusée dans l’espoir d’être libéré après l’audience. Enfin, il notait que le requérant souffrait, entre autres, d’hypertension artérielle de deuxième degré mais qu’il n’y avait pas de contre-indication médicale à sa participation aux actes de procédure pénale. Le 28 juin 2007, la cour d’appel de Chișinău rejeta le recours que le requérant avait formé contre la décision du 22 juin 2007. Faisant siennes les raisons retenues par le juge d’instruction du tribunal de Buiucani pour placer le requérant en détention provisoire, elle précisait que ce dernier risquait de s’enfuir par le territoire de la Transnistrie, ledit territoire échappant au contrôle des autorités de la République de Moldova. Elle indiquait enfin que le requérant pouvait être soigné dans l’hôpital pénitentiaire. Après l’audience, le requérant perdit connaissance et fut conduit par ambulance dans un hôpital de Chișinău. Il fut placé dans l’unité de réanimation avec un diagnostic d’infarctus cérébral du système vertébro-basilaire, de syndrome bulbaire de degré modéré et de convulsions clonico-toniques. Dans l’attestation correspondante du 29 juin 2007, les médecins mentionnaient que le transport du requérant à ce moment-là présentait un risque « majeur ». C. Première prolongation de la détention provisoire du requérant Le 28 juin 2007 à 10 h 40, le procureur demanda au tribunal de Buiucani de prolonger de trente jours la détention provisoire du requérant. Il indiquait des motifs similaires à ceux sur lesquels il avait fondé sa demande initiale de placement en détention provisoire du requérant. Il ajoutait par ailleurs que celui-ci n’avait pas de domicile fixe et que la collecte des témoignages des personnes susceptibles d’avoir connaissance des circonstances de l’affaire était encore incomplète. À l’audience du 29 juin 2007 devant le juge d’instruction, les avocats du requérant invitèrent le juge à rejeter la demande du procureur, alléguant, entre autres, que le requérant avait un domicile fixe et que la détention provisoire de l’intéressé avait expiré ce jour-là à 11 h 59. Le 29 juin 2007 à 14 h 25, le juge d’instruction M.D. du tribunal de Buiucani prolongea de vingt jours la détention provisoire du requérant, soit jusqu’au 19 juillet 2007, 11 h 59. Faisant référence aux dispositions de l’article 186 § 3 du code de procédure pénale (CPP), il mentionnait que, dans des circonstances exceptionnelles, en fonction de la complexité de l’affaire, de la gravité de l’infraction et du risque de fuite de l’inculpé, la détention provisoire pouvait être prolongée. Il notait que les raisons initiales qui avaient justifié le placement en détention provisoire du requérant étaient toujours d’actualité. Quant à l’expiration du délai précédent de la détention provisoire du requérant, le juge relevait que l’audience avait commencé avant cette échéance et que la loi avait dès lors été respectée. En raison de son hospitalisation, le requérant n’était pas présent à l’audience. En cours d’audience, les avocats du requérant invitèrent le juge d’instruction à déclarer nul l’acte d’inculpation au motif que, lors de la notification de ce document à leur client, le procureur les auraient abusivement remplacés par un avocat nommé d’office et que les droits du requérant auraient ainsi été méconnus. Ils lui demandèrent également de déclarer nulle la demande de prolongation de la détention provisoire du requérant argüant que le procureur avait omis de la déposer devant le juge d’instruction au moins cinq jours avant l’expiration du délai précédent de la détention, comme le voulait l’article 186 § 6 du CPP. Par une décision du 29 juin 2007, le juge d’instruction M.D. du tribunal de Buiucani rejeta les demandes susmentionnées des avocats du requérant. Il notait que l’ordonnance du procureur concernant le remplacement des avocats (paragraphe 30 ci-dessus) n’avait pas été contestée ni annulée. Pour ce qui est de la non-observation alléguée de l’article 186 § 6 du CPP, le juge relevait, faisant référence à un commentaire du CPP, que le délai de cinq jours correspondait seulement à un délai recommandé. Le 2 juillet 2007, les avocats du requérant formèrent un recours contre la décision du juge d’instruction de maintenir l’intéressé en détention provisoire. Ils invoquaient à nouveau l’absence de raisons plausibles de soupçonner le requérant d’avoir commis l’infraction. Ils reprochaient également au procureur de n’avoir présenté aucune preuve concrète susceptible de justifier le maintien de leur client en détention, soutenant que les poursuites pénales avait été engagées le 9 juin 2006 et que jusqu’alors le requérant n’avait jamais entravé le bon déroulement de l’enquête. Ils notaient en outre que le requérant avait un domicile fixe et qu’une perquisition y avait été effectuée deux mois auparavant. Les avocats soulignaient enfin que le procureur avait déposé sa demande de prolongation de la détention provisoire du requérant seulement un jour avant l’expiration du délai précédent de détention et que le juge d’instruction avait rendu sa décision environ deux heures et demie après l’expiration de ce délai. Le 6 juillet 2007, une commission médicale de l’hôpital où se trouvait le requérant délivra une attestation confirmant le diagnostic posé le 28 juin 2007 (paragraphe 34 ci-dessus). Les médecins notaient que l’état de santé du plaignant était stable, qu’il recevait des soins dans l’unité de réanimation et que, afin de préciser le diagnostic, il devait subir une tomographie du cerveau ce jour-là, à 13 heures, dans un autre établissement. Une fois la tomographie effectuée, le requérant fut transféré par ambulance à l’hôpital pénitentiaire de Pruncul. Le 10 juillet 2007, la cour d’appel de Chișinău rejeta, en présence du requérant, le recours que ce dernier avait formé contre la décision du 29 juin 2007 relative à son maintien en détention. Elle relevait, entre autres, que l’intéressé était soupçonné d’avoir commis une infraction très grave et que, selon les informations présentées par le procureur, des mesures procédurales nécessitant son concours devaient encore être effectuées. D. Demande d’habeas corpus et deuxième prolongation de la détention provisoire du requérant Le 12 juillet 2007, un des conseils du requérant saisit le juge d’instruction d’une demande d’habeas corpus. Il soutenait que la détention du requérant n’était plus justifiée, que l’état de santé de ce dernier s’était aggravé et que le risque de fuite pouvait être écarté par la saisie du passeport. Le même jour, l’avocat susmentionné déposa une plainte auprès du juge d’instruction demandant l’annulation de l’ordonnance du procureur du 28 juin 2007 concernant le remplacement des avocats (paragraphe 30 cidessus). Il demanda également de déclarer nul l’acte d’inculpation au motif qu’il avait été notifié quelques jours après l’expiration du délai de soixante-douze heures de garde à vue du requérant. À ce titre, l’avocat argüait que, selon l’article 63 § 2 du CPP, l’autorité de poursuite aurait dû, à l’issue de la garde à vue, soit inculper le requérant soit abandonner les poursuites. Le 16 juillet 2007, le procureur demanda au tribunal de Buiucani de prolonger encore de trente jours la détention provisoire du requérant. Le procureur soutenait que ce dernier présentait un risque de fuite car il n’avait pas de domicile fixe et qu’il pouvait exercer des pressions sur des témoins dont la majorité étaient ses subalternes ou des membres de sa famille. Il relevait également qu’il ressortait de l’enregistrement des conversations téléphoniques du requérant pendant la période allant de juillet à octobre 2006 que ce dernier avait entrepris « des mesures concrètes afin de guider les actions » d’autres participants au procès, à savoir un des coaccusés et quelques témoins. Le procureur soutenait enfin que le requérant pouvait se procurer de nouveaux papiers d’identité et falsifier d’autres documents dans le but de créer des preuves à décharge. Intervenant à la demande du procureur, le chef de l’hôpital pénitentiaire confirma, le 18 juillet 2007, le diagnostic antérieur posé à l’égard du requérant et nota que ce dernier ne pouvait pas participer à ce moment-là à l’audience devant le juge. Le 18 juillet 2007, le juge d’instruction M.D. du tribunal de Buiucani, sur demande des avocats, ajourna l’audience en raison de l’état de santé du requérant et de son impossibilité à comparaître. Par une décision du 19 juillet 2007, le juge d’instruction M.D. du tribunal de Buiucani rejeta la plainte du requérant du 12 juillet 2007 tendant à l’annulation, d’une part, de l’ordonnance du procureur relative au remplacement des avocats et, d’autre part, de l’acte d’inculpation. S’agissant du remplacement des avocats, le juge indiquait qu’il était légal aux motifs que l’inculpation du requérant le 27 juin 2007 à 14 heures n’avait pas été possible car ses avocats avaient introduit une demande en récusation du procureur qui n’avait pas été examinée à l’heure susmentionnée, que lesdits avocats invités à se présenter le jour même à 17 heures avaient déclaré être empêchés, et que le 28 juin 2007 ces avocats n’avaient pas répondu aux appels téléphoniques du procureur. Pour ce qui est de la notification de l’acte d’inculpation après l’expiration du délai de soixante-douze heures de garde à vue, le juge faisait référence à l’article 307 § 5 du CPP, aux termes duquel le délai maximal de détention d’un suspect était de dix jours. Le juge précisait toutefois que les dispositions applicables en l’espèce étaient confuses mais que l’inculpation en soi n’avait pas affecté les droits et libertés constitutionnels du requérant. Le 19 juillet 2007, dans le cadre de l’audience concernant la prolongation de la détention provisoire du requérant et qui avait commencé à 11 heures, le procureur en charge de l’affaire présenta au juge d’instruction une note écrite de la part de trois gardiens du lieu de détention du requérant selon laquelle ce dernier aurait refusé de se déplacer à l’audience. La défense du requérant demanda au juge de ne pas accepter comme preuve ladite note au motif que, selon l’article 321 § 2 CPP, le refus de comparaître du requérant devait être confirmé par son avocat. Les avocats faisaient également valoir que la demande de prolongation de la détention provisoire devait obligatoirement être examinée en présence du requérant et que, en conformité avec les dispositions de l’article 2871 du CPP, le procureur devait suspendre la procédure en raison de l’état de santé du requérant. Sur demande des avocats, le juge ajourna l’audience afin de vérifier l’information présentée par le procureur. Le même jour, à 12 heures, le procureur et un des avocats du requérant se rendirent au lieu de détention de ce dernier. En présence de deux codétenus du requérant, le procureur dressa un procès-verbal qui, dans ses parties pertinentes en l’espèce, se lit comme suit : « (...) Le présent procès-verbal confirme le fait que l’inculpé [le requérant] a été invité à indiquer s’il souhaitait ou non participer à l’examen par le tribunal de Buiucani de la demande de prolongation de sa détention provisoire (...) [Le requérant] a communiqué qu’il se sentait mal et qu’il devait être soigné. Il n’a pas réagi aux autres questions posées. (...) l’avocat note que : "L’état [du requérant] est grave. Selon les codétenus, dans la nuit du 18 au 19 juillet 2007, il a perdu connaissance à deux reprises et il se sentait très mal. [Le requérant] ne réagit pas aux questions posées et il semblerait qu’il est sous l’influence de médicaments. Son état de santé est inquiétant. Je demande au procureur d’entreprendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer les soins médicaux nécessaires [au requérant], y compris son transfert dans un établissement médical spécialisé. Le 18 juillet 2007, le procureur avait présenté au tribunal une attestation médicale qui prouve que [le requérant] souffre de plusieurs maladies graves. Cela met la vie [du requérant] en danger et peut même mener à son décès. En détention, [le requérant] ne peut pas bénéficier d’un suivi médical adapté à ses besoins." [Le requérant] a été invité à signer le présent procès-verbal mais il n’a aucunement réagi (verbalement ou par signe) à la demande du procureur. (...) objections et addendum : [L’avocat ajoute que] (...)"bien que [le requérant] ne réagisse pas, cela ne veut pas dire qu’il ne souhaite pas ou refuse de participer à l’audience. J’ai l’impression qu’il n’est pas conscient." » Le 19 juillet 2007 à 13 h 05, le juge d’instruction M.D. du tribunal de Buiucani rouvrit la procédure ajournée plus tôt le même jour. En cours d’audience, les avocats du requérant soutinrent que le délai précédent de la détention de leur client avait expiré à 11 h 59. Ils demandèrent le classement de la procédure et la libération sur-le-champ du requérant. Par une décision du même jour adoptée à 17 h 45, le juge d’instruction accueillit la demande du procureur et, se fondant sur les dispositions de l’article 186 § 3 du CPP, il prolongea de vingt jours la détention provisoire du requérant, soit jusqu’au 8 août 2007 à 11 h 59. Il notait : que le procureur avait introduit sa demande le 16 juillet 2007 à 13 h 50 ; que l’audience avait été fixée au 18 juillet 2007 à 9 heures ; que, compte tenu de l’état de santé du requérant et à la demande de ses avocats, l’audience avait été reportée au 19 juillet 2007 à 11 heures ; que, le jour de l’audience, le procureur avait présenté un acte non conforme aux normes de procédure selon lequel le requérant aurait refusé de se présenter à l’audience ; et que, le 19 juillet 2007 à 13 h 05, le procureur avait présenté un procès-verbal signé par un des avocats du requérant qui confirmait l’impossibilité pour celui-ci de comparaître en raison de son état de santé. Eu égard aux circonstances de l’affaire et au but de la détention provisoire, et invoquant le principe de continuité de l’audience, le juge estimait inopportun de classer la procédure. Le juge relevait également que le requérant était soupçonné d’avoir commis une infraction très grave, qu’il n’avait pas reconnu sa culpabilité, qu’il refusait de déposer et que l’enquête pénale n’était pas encore achevée. Le juge notait que les motifs ayant justifié le placement en détention provisoire du requérant étaient toujours valables et que, compte tenu du fait que tous les témoins n’avaient pas encore été entendus et que toutes les preuves n’avaient pas encore été recueillies, il existait un risque d’influence, de la part du requérant, sur le bon déroulement de l’enquête ainsi qu’un risque de trouble à l’ordre public en cas de libération. Le même jour, le juge d’instruction M.D. adopta une décision interlocutoire dans laquelle il notait que le procureur, en violation de l’article 186 § 6 du CPP, n’avait pas introduit sa demande de prolongation de la détention provisoire du requérant dans le délai de cinq jours avant l’expiration du délai précédent de détention. Il relevait également que le procureur avait présenté un document selon lequel le requérant aurait refusé de se présenter à l’audience et que ce document, contrairement aux exigences de l’article 321 § 2 du CPP, n’était pas signé par un avocat. Le juge estimait par conséquent que le procureur n’avait pas respecté les droits du requérant et il décidait d’en informer le procureur général. Le 20 juillet 2007, les avocats du requérant formèrent un recours devant la cour d’appel contre la décision de prolonger la détention provisoire de l’intéressé. Ils demandaient à ce que le témoignage de S.F. fut entendu et à ce que les preuves sur lesquelles le procureur avait fondé sa demande, à savoir l’enregistrement des conversations téléphoniques du requérant, fussent examinées. Ils sollicitaient également l’examen de la décision du 3 mai 2007 du juge d’instruction M.D. ordonnant une perquisition au domicile du requérant. Enfin, ils demandaient l’examen de l’intégralité des procès-verbaux d’audition des témoins au motif que le procureur en avait présenté seulement les premières pages sans fournir le texte des dépositions. Par une décision du 25 juillet 2007, la cour d’appel de Chișinău rejeta le recours et confirma la décision de l’instance inférieure. Elle notait, entre autres, que le requérant n’avait pas de domicile fixe et que, selon l’enregistrement des conversations téléphoniques de 2006, il avait donné des instructions à certains participants au procès. Le requérant était présent à l’audience, accompagné par un médecin. Entre-temps, le requérant avait fait l’objet le 20 juillet 2007 d’une autre tomographie cérébrale effectuée à « l’hôpital clinique républicain ». Par une lettre du 25 juillet 2007, le chef de l’hôpital pénitentiaire informa un des avocats du requérant que les soins prodigués dans son établissement étaient adéquats. Il précisait également que, bien que son établissement ne disposât pas des appareils nécessaires pour effectuer des examens médicaux complets, un patient pouvait toujours être transféré, en cas de besoin, dans un des nombreux centres de diagnostic du ministère de la Santé. E. Troisième prolongation de la détention provisoire du requérant Le 3 août 2007 à 8 h 40, le procureur en charge de l’affaire demanda au juge d’instruction de prolonger de trente jours la détention provisoire du requérant. Le procureur motivait sa demande par la gravité de l’infraction reprochée, par le risque de pressions sur les témoins et de collusion entre coaccusés, et par le risque de fuite du requérant en raison de l’absence d’un domicile fixe. Le même jour, le procureur compléta l’acte d’inculpation du requérant, lui reprochant, entre autres, d’avoir commis l’infraction d’incitation à de faux témoignages. Un des avocats du requérant demanda la remise en liberté de son client aux motifs, entre autres, que ce dernier ne s’était jamais soustrait à l’autorité de poursuite et qu’il devait subir des examens médicaux et continuer son traitement. Entre-temps, le requérant avait été examiné par les médecins de l’Institut de neurologie et neurochirurgie. Selon l’attestation médicale du 1er août 2007 délivrée par cet établissement, il souffrait de micro- et macroangiopathie cérébrale athérosclérotique de premier degré assortie à un syndrome asthénodépressif sévère, manifesté par des troubles fonctionnels de motilité dans l’hémicorps droit, et de céphalée de tension. Le 6 août 2007, le juge d’instruction I.M. du tribunal de Buiucani accueillit partiellement la demande du procureur et prolongea de vingt jours la détention provisoire du requérant, soit jusqu’au 28 août 2007 à 11 h 59. Le juge faisait siens les motifs avancés par le procureur en faveur du maintien en détention du requérant. Il notait que la durée de la détention provisoire était raisonnable et se justifiait par la complexité de l’affaire et par l’intérêt accru du public pour celle-ci. Enfin, il ajoutait que, dans les lieux de sa détention, le requérant bénéficiait des soins médicaux adéquats. L’audience se déroula, à la demande de l’avocat susmentionné et du procureur, en l’absence du requérant, empêché pour des raisons de santé. Sur recours d’un des avocats du requérant, la cour d’appel de Chișinău confirma, le 9 août 2007, la décision du juge d’instruction du 6 août 2007. F. Quatrième prolongation de la détention provisoire du requérant Le 17 août 2007, le procureur clôtura l’instruction et déféra l’affaire au tribunal de Buiucani. Le 22 août 2007, le procureur demanda au tribunal en question de prolonger de quatre-vingt-dix jours la détention provisoire du requérant. Il soutenait, entre autres, que le requérant pouvait, en cas de libération, se livrer à des atermoiements quant à l’examen de l’affaire. Il indiquait à ce titre que le plaignant avait simulé être dans un état grave et que le diagnostic initial le concernant avait été infirmé par le diagnostic du 1er août 2007 établi par les médecins de l’Institut de neurologie et neurochirurgie. Il réitérait que le requérant pouvait faire entrave à la justice, à savoir influencer les témoins et falsifier des documents ; il en voulait pour preuve la déposition du 19 juillet 2007 d’un témoin dans laquelle ce dernier rétractait ses déclarations initiales et affirmait que le requérant, en sa qualité de supérieur, l’avait déterminé à faire un faux témoignage. Le procureur soutenait également que le requérant pouvait prendre la fuite car il n’avait pas de domicile fixe et possédait un passeport roumain. Par un jugement du 28 août 2007, le tribunal de Buiucani accueillit la demande du procureur. Le requérant, représenté par ses avocats, n’était pas présent à l’audience. Le 3 septembre 2007, un des avocats du requérant forma un recours. Il mettait, entre autres, en exergue le fait que le tribunal de Buiucani avait rendu son jugement du 28 août 2007 à 17 heures alors que le délai précédent de la détention provisoire du requérant avait expiré à 11 h 59. Invoquant la jurisprudence de la Cour (Boicenco c. Moldova, no 41088/05, 11 juillet 2006, Sarban c. Moldova, no 3456/05, 4 octobre 2005, et Becciev c. Moldova, no 9190/03, 4 octobre 2005), l’avocat argüait également que le tribunal de Buiucani n’avait pas justifié le maintien du requérant en détention par des motifs pertinents et suffisants. Il soutenait en outre que le constat du tribunal selon lequel le requérant n’avait pas de domicile fixe était complètement erroné étant donné qu’une perquisition avait été effectuée le 4 mai 2007 au domicile de ce dernier à Bălți. Enfin, il alléguait que l’examen par le tribunal de Buiucani de la demande du procureur en l’absence du requérant avait porté atteinte aux droits de celui-ci garantis par l’article 5 § 4 de la Convention. Par une décision du 10 septembre 2007, la cour d’appel de Chișinău confirma le jugement du 28 août 2007. Elle relevait que le requérant avait déjà tenté d’entraver le déroulement normal de la procédure en faisant croire qu’il était gravement malade. Elle notait également que la détention provisoire du requérant était nécessaire compte tenu de la gravité de l’infraction reprochée, de la peine encourue et du besoin d’assurer par la suite le bon déroulement de la procédure. Elle relevait en outre que, bien qu’une perquisition eût été effectuée au domicile du requérant à Bălți, cela ne prouvait pas que l’intéressé résidait d’une manière permanente à cette adresse. Elle ajoutait que, en cas de remise en liberté, celui-ci risquait de s’enfuir par le territoire de la Transnistrie – ledit territoire échappant au contrôle des autorités de la République de Moldova. Elle soulignait également que l’audience du 28 août 2007 devant le tribunal de Buiucani avait commencé à 10 heures, soit avant l’expiration du délai de détention précédent, et que dès lors le jugement de l’instance inférieure était légal et fondé. Elle précisait également que les multiples demandes du requérant tendant à obtenir sa libération poursuivaient le but de faire entrave à la justice. Enfin, elle notait que : « (...) l’intention [du requérant] d’empêcher le déroulement normal de la procédure (...) est révélée également par le fait qu’il invoque des affaires examinées par la Cour européenne des droits de l’homme qui ne sont pas pertinentes en l’espèce. Ces affaires sont complètement différentes du cas présent et, par conséquent, [c]es affirmations poursuivent le but d’influencer indirectement les tribunaux afin d’obtenir la libération du requérant. » Le requérant n’était pas présent à l’audience, mais il était représenté par un de ses avocats. G. Nouvelle demande d’habeas corpus et libération du requérant Le 17 septembre 2007, les avocats du requérant déposèrent une nouvelle demande d’habeas corpus, invoquant principalement l’état grave de l’intéressé et la nécessité pour lui de bénéficier de soins médicaux spécialisés qui ne pouvaient pas être prodigués à l’hôpital pénitentiaire. Le même jour, le tribunal de Buiucani rejeta cette demande au motif qu’elle était non étayée. Sur recours des avocats, la cour d’appel de Chișinău confirma, le 3 octobre 2007, la décision de l’instance inférieure, précisant que l’hôpital pénitentiaire pouvait prodiguer tout type de soins médicaux. Entre-temps, le tribunal de Buiucani avait ordonné, le 17 septembre 2007, l’expertise médicale du requérant par une commission de médecins légistes, formée d’experts du Centre de médecine légale de la République de Moldova. Le tribunal avait également ajourné la procédure pénale à l’encontre du requérant et de ses coaccusés. Entre le 17 octobre et le 8 novembre 2007, la commission de médecins légistes examina tous les rapports médicaux concernant le requérant dressés pendant la période comprise entre le 19 juin et le 9 octobre 2007. Il ressort du rapport final rédigé par cette commission que, durant le séjour du requérant à l’hôpital pénitentiaire, ce dernier, tout en poursuivant son traitement, était sous la surveillance régulière des médecins. Telle que reproduite dans le rapport de la commission, la fiche médicale tenue par l’hôpital pénitentiaire comporte notamment seize mentions relatives à l’état général du requérant, aux différents médecins consultés et aux médicaments administrés. La dernière mention date du 9 octobre 2007. Le rapport fait également état d’une tomographie subie par le requérant le 20 juillet 2007. La conclusion du rapport de la commission, dans ses parties pertinentes en l’espèce, se lit comme suit : « Il ressort des documents médicaux présentés (...) que les maladies suivantes ont été établies chez [le requérant] : - maladie vasculaire cérébrale aiguë assortie à un syndrome bulbaire modéré prononcé du système vertébro-basilaire ; - micro- et macro-angiopathie cérébrale athérosclérotique de premier degré assortie à un syndrome asthénodépressif sévère, manifesté par des troubles fonctionnels de motilité dans l’hémicorps droit, et céphalée de tension [maux de tête] (confirmé par le conseil médical de l’Institut de neurologie et de neurochirurgie). Afin de [recevoir des soins pour] les maladies susmentionnées, [le requérant] a été hospitalisé du 28 juin au 6 juillet 2007 dans l’hôpital clinique municipal (...). Ensuite, il a été transféré à l’hôpital pénitentiaire, dans lequel il a été admis le 6 juillet 2007 et où il a continué son traitement jusqu’au 9 octobre 2007 (date de la dernière mention dans la fiche médicale). (...) la commission conclut que (...), compte tenu de son état de santé critique, [le requérant] a besoin de continuer son traitement pendant une longue période (...) dans un établissement médical spécialisé et que la durée de cette période dépendra de l’évolution de la maladie et de l’efficacité du traitement. » À des dates non spécifiées, le procureur demanda la prolongation de quatre-vingt-dix jours de la détention provisoire du requérant et un des avocats de ce dernier demanda sa remise en liberté. Le 23 novembre 2007, le tribunal de Buiucani, eu égard au contenu du rapport médical du 8 novembre 2007, rejeta la demande du procureur et accueillit celle de l’avocat en question. Il notait que les médecins entendus lors de l’audience avaient confirmé, d’une part, que le requérant était dans un état critique et, d’autre part, qu’il ne pouvait pas bénéficier d’un suivi médical spécialisé dans l’hôpital pénitentiaire. Le tribunal remplaça la détention provisoire du requérant par une interdiction de quitter le pays pendant une période de trente jours. Le 14 décembre 2007, le tribunal de Buiucani reprit la procédure pénale ajournée le 17 septembre 2007. La Cour n’a pas été informée de la suite de la procédure. H. Enquête relative aux allégations de mauvais traitements infligés lors de l’arrestation du requérant Par une ordonnance du 30 août 2007, un procureur du parquet Anticorruption classa sans suite la procédure engagée à la demande du juge d’instruction (paragraphe 24 ci-dessus) en vue de vérifier les allégations du requérant selon lesquelles il avait été battu lors de son arrestation. Le procureur notait que, selon l’enregistrement vidéo relatif à l’arrestation en question, le plaignant avait été arrêté le 19 juin 2007 à 11 h 50, que les policiers l’avaient immobilisé contre son automobile et que le requérant leur avait résisté. Il constatait que le requérant avait notamment tenté de libérer ses bras de l’emprise des policiers, obligeant ces derniers à les lui tordre derrière le dos et à lui mettre des menottes, qu’un agent du CLCEC s’était identifié entre-temps et que, le requérant ayant accepté de se calmer, les menottes avaient été enlevées trois minutes après avoir été mises, soit à 11 h 53. Le procureur relevait que la force employée par les policiers n’avait pas dépassé les limites légales et que d’autres manifestations de violence de la part des policiers n’avaient pas eu lieu. Il notait avoir entendu trois des policiers ayant participé à l’arrestation du requérant et que leurs dépositions concordaient avec l’enregistrement vidéo. Il constatait également que les deux excoriations sur les jambes du requérant, qualifiées par le médecin légiste de lésions corporelles sans préjudice pour la santé, étaient sans rapport direct avec l’application de la force par les policiers lors de l’arrestation en cause. Enfin, il relevait que le requérant avait refusé à plusieurs reprises de donner sa version des faits. Le 31 octobre 2007, le premier adjoint du procureur général annula, sur demande de l’un des avocats du requérant, l’ordonnance du 30 août 2007. Il notait que les investigations menées avaient été superficielles et qu’il était encore nécessaire d’entendre la version du requérant et de poser des questions supplémentaires au médecin légiste. Par une ordonnance du 26 décembre 2007, un procureur du parquet de Chișinău, après avoir entendu le requérant et obtenu les réponses du médecin légiste, classa sans suite la procédure. Le procureur notait que, selon le requérant, le 19 juin 2007, il avait été interpellé et brusqué dans la rue par dix ou douze personnes, qu’il avait ensuite reçu un coup sur la tête, qu’il était tombé après avoir reçu ce coup, que les personnes en question lui avaient asséné des coups sur le corps alors qu’il était par terre, qu’il avait perdu connaissance pendant quelques instants et que, seulement après cela, l’interpellation avait commencé à être filmée. Il relevait que les témoins désignés par le requérant avaient refusé de se présenter devant lui. Il notait également que, selon le médecin légiste, les deux excoriations sur les jambes du requérant avaient pu être provoquées lors de l’immobilisation de l’intéressé contre son automobile. Il relevait aussi que, selon les informations fournies par le CLCEC, six policiers avaient participé à l’arrestation du requérant, que trois d’entre eux avaient été interrogés, et que ces trois agents avaient déclaré que le requérant avait résisté et que la force physique employée par eux n’avait pas dépassé les limites légales autorisées. Après une appréciation globale des éléments recueillis, le procureur concluait que les allégations du requérant n’étaient pas fondées. Le requérant ne contesta pas l’ordonnance en question. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions internes pertinentes en l’espèce sont résumées dans les affaires Sarban c. Moldova (no 3456/05, §§ 51-56, 4 octobre 2005), Musuc c. Moldova (no 42440/06, § 22, 6 novembre 2007) et Ignatenco c. Moldova (no 36988/07, §§ 53 et 54, 8 février 2011). Les autres dispositions pertinentes en l’espèce du CPP sont ainsi libellées : Article 32 : le lieu d’examen des éléments des dossiers et des affaires pénales « L’examen des éléments des dossiers et des affaires pénales se déroule au siège du tribunal. Lorsque des motifs fondés le justifient, le tribunal (...) peut ordonner l’examen d’une affaire dans un autre endroit. » Article 63 : le suspect « (...) (2) L’autorité de poursuite ne peut pas maintenir en tant que suspect : 1) la personne gardée à vue – plus de 72 heures ; (...) » Article 186 : le délai de la détention provisoire et sa prolongation « (...) (3) Dans des cas exceptionnels, en fonction de la complexité de l’affaire pénale, de la gravité de l’infraction et lorsqu’il existe le danger de disparition de l’inculpé ou le risque qu’il exerce des pressions sur des témoins ou qu’il détruise ou détériore les moyens de preuve, la durée de la détention provisoire de l’inculpé lors de l’instruction de l’affaire peut être prolongée : 1) jusqu’à six mois, lorsque la personne est inculpée d’avoir commis une infraction passible d’une peine maximale de quinze ans d’emprisonnement ; 2) jusqu’à douze mois, lorsque la personne est inculpée d’avoir commis une infraction passible d’une peine maximale de vingt-cinq ans d’emprisonnement ou de la détention à vie. (...) (5) Chaque prolongation de la durée de la détention provisoire ne peut pas dépasser trente jours pendant l’instruction de l’affaire et quatre-vingt-dix jours pendant l’examen judiciaire de l’affaire. (6) Lorsqu’il est nécessaire de prolonger la durée de la détention provisoire de l’inculpé [ou] de l’accusé (du prévenu), le procureur dépose, au plus tard [dans les] cinq jours avant l’expiration du délai de détention, devant le juge d’instruction ou, selon le cas, devant le tribunal qui connaît de l’affaire une demande de prolongation de ce délai (...) » Article 2871 : les motifs, les modalités et les délais de suspension de l’instruction pénale « (1) L’instruction pénale est suspendue lorsqu’il existe un des motifs suivants qui empêche sa poursuite et son achèvement : (...) (4) l’inculpé est tombé malade d’une affection psychique ou d’une autre maladie grave qui l’empêche de participer à la procédure pénale, confirmée par la conclusion médicolégale d’un établissement médical d’État (...) » Article 307 : l’examen des demandes relatives au placement du suspect en détention provisoire ou à son assignation à domicile « (...) (5) Le délai de maintien en détention du suspect ne dépassera pas dix jours. (...) » Article 321 : la participation de l’accusé (du prévenu) à l’examen de l’affaire et les effets de son absence « (...) (2) L’examen de l’affaire en l’absence de l’accusé (du prévenu) peut avoir lieu : (...) 2) lorsque l’accusé (le prévenu), étant en détention, refuse d’être amené devant le tribunal pour l’examen de l’affaire et [que] ce refus est confirmé par son avocat ; (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1952 et réside à Leverkusen, en Allemagne. A. L’action en recherche de paternité formée contre le requérant Par jugement du 6 mars 1981 du tribunal de première instance de Bistriţa-Năsăud, le requérant fut déclaré père de l’enfant H.-A., né le 17 avril 1980, à la suite d’une action en recherche de paternité, formée par la mère de l’enfant. Ce jugement était fondé sur des témoignages qui attestaient d’une liaison entre la mère de l’enfant et le requérant et sur une expertise médicolégale des groupes sanguins qui indiquait que la paternité de l’enfant était indécise à l’égard du requérant (paternitate nedecisă), mais qu’on ne pouvait pas totalement exclure qu’il soit le père biologique de l’enfant. Ledit jugement fut confirmé, sur pourvoi en recours du requérant, par un arrêt du 6 mai 1981 du tribunal départemental de Bistriţa-Năsăud. En 2003, le requérant obtint le consentement de H.-A., devenu majeur, pour que tous les deux se soumettent à une expertise médico-légale extrajudiciaire afin d’établir s’il était son père biologique. Le 14 juillet 2003, l’Institut national de médecine légale « Mina Minovici » de Bucarest indiqua au requérant qu’à la suite des nouveaux tests de paternité effectués, il était exclu, du point de vue biologique, que H.-A. soit son enfant. Se fondant sur ce rapport d’expertise, le requérant saisit le tribunal de première instance de Năsăud d’une demande de révision du jugement du 6 mars 1981. Il indiqua qu’il avait auparavant été objectivement impossible pour lui de produire la preuve de la réalité biologique excluant qu’il soit le père de H.-A. Il indiqua également qu’à l’époque de l’action en recherche de paternité ses demandes formées devant les tribunaux d’effectuer une contre-expertise judiciaire avaient toutes été rejetées. Par jugement du 11 septembre 2003, le tribunal de première instance déclara la demande de révision irrecevable, au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions de recevabilité prévues par l’article 322 du code de procédure civile. Le tribunal considéra que le rapport d’expertise médicolégale du 14 juillet 2003 ne constituait pas un document (înscris) qui existait au moment du jugement de 1981 dont la révision était demandée et dont les parties n’avaient pas eu connaissance, au sens de l’article 322, point 5. Le requérant fit appel, puis se pourvut en recours contre ce jugement. Il fonda ses appel et pourvoi en recours sur la nécessité de rétablir la vérité sur sa paternité du point de vue légal et de préserver les intérêts successoraux de sa famille légitime. Il fit valoir qu’en 1981, en Roumanie, les possibilités de la science étaient bien plus limitées en matière d’établissement de la filiation biologique, de sorte qu’à l’époque le tribunal n’avait pas pu fonder sa décision sur une preuve scientifique incontestable. De même, il indiqua, dans son pourvoi en recours que lorsqu’ils avaient tranché le fond de l’action de recherche de paternité, les tribunaux n’avaient pas accédé à sa demande d’expertise supplémentaire et qu’à l’époque une expertise extra-judiciaire n’était pas permise par la loi. En outre, il avait indiqué qu’avant 2003, il n’avait pas réussi à obtenir le consentement de H.-A. et de sa mère pour que H.-A. se soumette à une nouvelle expertise médico-légale. Devant la cour d’appel, le requérant allégua qu’à l’époque du régime totalitaire régnant dans le pays avant 1989, une décision judiciaire rendue dans une action en recherche de paternité était considérée comme une sanction pour la nonreconnaissance volontaire de la paternité. L’appel et le pourvoi en recours formés par le requérant furent rejetés et le jugement du 11 septembre 2003 fut confirmé par décisions des 28 novembre 2003 et 16 février 2006, toutes les deux rendues par la cour d’appel de Cluj. Dans sa décision rendue le 28 novembre 2003, la cour d’appel rejeta l’appel interjeté par le requérant au motif que les conditions exigées par l’article 322, point 5 du code de procédure civile pour la recevabilité d’une demande de révision n’étaient pas remplies en l’espèce, dès lors que le rapport d’expertise médico-légale invoqué par le requérant ne représentait pas un document (înscris), au sens de cet article. Le 23 août 2005, la Haute Cour de Cassation et de Justice, qui avait été saisie par le pourvoi en recours du requérant contre la décision du 28 novembre 2003, renvoya l’affaire à la cour d’appel de Cluj, à la suite de la modification des règles de compétence des tribunaux, apportée par la loi no 219 du 6 juillet 2005. Dans son arrêt rendu le 16 février 2006, la cour d’appel justifia le rejet du pourvoi en recours du requérant par le fait qu’une action civile, voire une voie de recours extraordinaire, comme la révision, ne pouvaient être exercées que dans les conditions établies par la loi. B. Les informations fournies au Gouvernement par l’Institut national de médecine légale Par lettre du 18 octobre 2011, l’Institut national de médecine légale « Mina Minovici » fournit à l’agent du Gouvernement auprès de la Cour des informations selon lesquelles l’expertise réalisée en 2003 au sujet de la paternité biologique du requérant n’était pas réalisable en 1981. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. L’ancien code de la famille et le nouveau code civil Le droit substantiel pertinent en vigueur à l’époque des faits et jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2011, du nouveau code civil était le code de la famille, complété par des décisions de la Cour constitutionnelle. Le nouveau code civil a apporté des changements législatifs importants notamment à l’égard de la prescription des actions civiles dans le domaine de la filiation. Dispositions concernant l’action en recherche de paternité L’article 56 du code de la famille, en vigueur à l’époque des faits, tant en 1981 qu’en 2003, prévoyait que la filiation à l’égard du père de l’enfant né hors mariage pouvait être établie par une déclaration de reconnaissance de la part du père ou par décision de justice. La déclaration de reconnaissance pouvait être faite devant le service de l’état civil ou par acte authentique, ou par testament. En vertu de l’article 59 du code de la famille, l’action en recherche de paternité de l’enfant né hors mariage appartenait à l’enfant et pouvait être introduite en son nom par sa mère ou par son représentant légal. L’article 60 prévoyait que cette action pouvait être introduite dans un délai d’un an à compter de la naissance de l’enfant, soit, dans le cas de la cohabitation de la mère de l’enfant avec le père présumé, à partir de la fin de cette cohabitation. Le nouveau code civil entré en vigueur en 2011 prévoit dans son article 427 que cette action n’est pas prescriptible tout au long de la vie de l’enfant. Dispositions concernant la reconnaissance de la paternité et l’action en contestation de paternité Selon le droit en vigueur à l’époque des faits, la reconnaissance de la paternité d’un enfant né hors mariage pouvait être contestée par toute personne y ayant intérêt (article 58 du code de la famille). L’action était imprescriptible (voir la décision no 1554 du 7 décembre 2010 de la Cour Constitutionnelle). L’action en contestation de paternité (acţiunea în tăgada paternităţii) pouvait être introduite uniquement par l’époux de la mère de l’enfant né dans le cadre du mariage (article 54 du Code de la famille). Par la décision no 349/2001 du 19 décembre 2001, la Cour Constitutionnelle a jugé que cette disposition, qui excluait la possibilité que la mère ou l’enfant lui-même contestent la paternité non conforme à la réalité biologique, était contraire à la Constitution. Le délai de prescription de cette action en contestation de paternité était de six mois à partir du moment où le père présumé avait pris connaissance de la naissance de l’enfant (article 55 du code de la famille). Cette disposition légale a fait l’objet de plusieurs questions préliminaires de constitutionnalité, dont certaines étaient fondées sur la discrimination entre les titulaires de l’action, ou bien une discrimination par rapport à l’action imprescriptible en contestation d’une reconnaissance de paternité, prévue par l’article 58. La Cour Constitutionnelle rejeta toutes les exceptions d’inconstitutionnalité, en considérant qu’il n’y avait pas de discrimination et que, grâce à un délai aussi court, l’intérêt supérieur de l’enfant consistant dans la certitude sur son état civil était protégé (décisions nos 453/2003 du 2 décembre 2003, 390/2005 du 12 juillet 2005, 538/2005 du 18 octobre 2005, 646/2006 du 5 octobre 2006 de la Cour Constitutionnelle). La dernière de ces décisions de la Cour Constitutionnelle était accompagnée d’une opinion dissidente, selon laquelle l’action en contestation de paternité devrait être imprescriptible ou bien qu’un seul et même délai de prescription devrait être applicable à tous les titulaires de l’action. L’article 55 du code de la famille fut modifié par la loi no 288/2007 publiée au journal officiel no 749 du 5 novembre 2007 pour établir un délai de prescription de trois ans, au lieu de six mois, pour l’action en contestation de paternité de l’enfant né dans le cadre du mariage. Ce délai commençait à courir au moment où le père apprend la naissance de l’enfant. Cette disposition légale a fait l’objet de plusieurs questions préliminaires de constitutionnalité, dont certaines étaient fondées sur la discrimination par rapport à l’action imprescriptible en contestation d’une reconnaissance de paternité, prévue par l’article 58. La Cour Constitutionnelle rejeta toutes ces exceptions d’inconstitutionnalité, en considérant qu’il n’y avait pas de discrimination et que, par un délai qui était raisonnablement long, par rapport à l’ancienne version du code de la famille, l’intérêt supérieur de l’enfant consistant dans la certitude sur son état civil était ainsi protégé (décisions nos 582/2010, 1033/2010, 1328/2010 et 1554/2010 des 4 mai, 14 septembre, 19 octobre et 7 décembre 2010 de la Cour Constitutionnelle). La première question préliminaire de constitutionnalité, concernant le calcul du délai de prescription de trois ans, établi par la nouvelle loi, fut soulevée d’office par le tribunal départemental de Galaţi. Le tribunal estima que la loi en vigueur enfreignait l’article 8 de la Convention, dans la mesure où la vie de famille fondée sur la réalité sociale et biologique se trouvait mise en échec par une présomption légale. De ce fait, le tribunal jugea que le délai de prescription de trois ans ne devrait pas être calculé à partir du moment où le père apprenait la naissance de l’enfant mais à partir du moment où il apprenait l’existence de circonstances de nature à exclure sa paternité. En vertu des articles 430-433 du nouveau code civil, l’action en contestation de paternité de l’enfant né dans le cadre du mariage est imprescriptible à l’égard de l’enfant et du père biologique. En revanche, elle est prescriptible dans un délai de trois ans, à l’égard de la mère et de l’époux de cette dernière, qui est présumé père. Dans le cas de ce dernier, le délai de prescription est calculé à partir de la date à laquelle le père présumé apprend qu’il est présumé être le père de l’enfant ou à partir d’une date postérieure à la première, à laquelle le père présumé apprend que cette présomption ne correspond pas à la réalité (article 430 § 1). B. Le code de procédure civile Les dispositions du code de procédure civile sur la révision des décisions de justice en vigueur à l’époque des faits, à savoir au moment de l’introduction par le requérant de sa demande de révision, sont partiellement reprises dans les arrêts Lungoci c. Roumanie (no 62710/00, § 28, 26 janvier 2006) et Stanca Popescu c. Roumanie, (no 8727/03, § 60, 7 juillet 2009) et dans la décision I.L.V. c. Roumanie ((déc.), no 4901/04, § 20, 24 août 2010). Article 322 « La révision d’une décision rendue en appel ou devenue définitive faute d’appel, ainsi que d’une décision rendue en recours lorsqu’elle tranche le fond, peut être demandée : (...) si un juge, un témoin ou un expert qui avait participé à la procédure a été définitivement condamné pour avoir commis une infraction concernant l’affaire en question ou si la décision en cause a été rendue sur la base d’un document déclaré faux pendant l’instance ou par la suite ; dans le cas où il n’est plus possible de constater ladite infraction par la voie d’une décision pénale, l’instance qui examine la demande en révision doit se prononcer tout d’abord, par incident d’instance, sur l’existence ou l’inexistence de l’infraction. Si des documents (înscrisuri doveditoare) sont produits après la décision en cause, et qu’ils avaient été retenus par la partie adverse, ou n’avaient pas pu être présentés au tribunal en raison d’un événement étranger à la volonté des parties, ou si une décision ayant servi de fondement à la décision dont la révision est demandée est cassée ou modifiée. (...) » Selon la jurisprudence constante des juridictions roumaines, citée dans l’arrêt Lungoci (précité, § 28), les « documents » nécessaires pour la révision d’une décision définitive doivent exister à la date de l’adoption de la décision attaquée. N’est pas considéré comme tel un acte délivré après ladite date.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, ressortissant turc né en 1949, est actuellement détenu à la prison d’İmralı. Les faits de la cause survenus jusqu’à la date du 12 mai 2005 ont été présentés par la Cour dans l’arrêt Öcalan c. Turquie ([GC], no 46221/99, CEDH 2005IV). Ils peuvent se résumer comme suit. Le 15 février 1999, le requérant fut appréhendé par des agents de sécurité turcs dans un avion qui se trouvait dans la zone internationale de l’aéroport de Nairobi. Ramené du Kenya en Turquie, le requérant fut placé en garde à vue à la prison d’İmralı le 16 février 1999. Entre-temps, les détenus de cette prison avaient été transférés dans d’autres établissements. Le 23 février 1999, le requérant comparut devant un juge assesseur de la cour de sûreté de l’État d’Ankara, qui ordonna sa mise en détention provisoire. A. Le procès Par un arrêt du 29 juin 1999, la cour de sûreté de l’État d’Ankara déclara le requérant coupable d’avoir mené des actions visant à la sécession d’une partie du territoire de la Turquie et d’avoir formé et dirigé dans ce but une bande de terroristes armés, et elle le condamna à la peine capitale en application de l’article 125 du code pénal. Elle considéra que le requérant était le fondateur et le premier responsable de l’organisation illégale que constituait le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan – le « PKK »). La cour de sûreté de l’État jugea établi qu’à la suite de décisions prises par le requérant, et sur ses ordres et directives, le PKK avait procédé à plusieurs attaques armées, attentats à la bombe, sabotages et vols à main armée, et que, lors de ces actes de violence, des milliers de civils, de militaires, de policiers, de gardes de village et de fonctionnaires avaient trouvé la mort. Elle rappela entre autres que le requérant avait reconnu que l’évaluation par les autorités turques du nombre de morts (près de trente mille) et de blessés imputables aux agissements du PKK était proche de la réalité, que ce nombre pouvait même être plus élevé, et que les attaques avaient été perpétrées sur ses ordres et dans le cadre de la lutte armée menée par le PKK. La cour de sûreté de l’État n’admit pas l’existence de circonstances atténuantes permettant de commuer la peine capitale en réclusion à perpétuité, compte tenu notamment du nombre très élevé et de la gravité des actes de violence et eu égard au danger important et imminent que représentaient ces actes pour le pays. Par un arrêt adopté le 22 novembre 1999 et prononcé le 25, la Cour de cassation confirma l’arrêt du 29 juin 1999 en toutes ses dispositions. En octobre 2001, l’article 38 de la Constitution fut modifié dans le sens que la peine capitale ne pourrait plus être prononcée ni exécutée sauf en temps de guerre ou de danger imminent de guerre, ou en cas d’actes terroristes. Par la loi no 4771 publiée le 9 août 2002, la Grande Assemblée nationale de Turquie décida notamment d’abolir la peine de mort en temps de paix (c’est-à-dire sauf état de guerre ou menace de guerre imminente) et d’apporter les modifications nécessaires aux lois concernées, y compris au code pénal. Selon ces modifications, la réclusion à perpétuité, résultant de la commutation de la peine capitale déjà prononcée en raison d’actes de terrorisme, devait être purgée jusqu’à la fin des jours du condamné. Par un arrêt du 3 octobre 2002, la cour de sûreté de l’État d’Ankara commua en réclusion à perpétuité la peine capitale prononcée à l’égard du requérant. Le 20 février 2006, la Turquie ratifia le Protocole no 13 relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances. B. Les conditions de détention après le 12 mai 2005 Conditions de détention dans l’établissement pénitentiaire d’İmralı Les conditions de la détention du requérant à la prison d’İmralı jusqu’à la date du 12 mai 2005 se trouvent exposées dans l’arrêt de la même date (Öcalan, précité, §§ 192-196). Par ailleurs, le requérant fut l’unique détenu de la prison d’İmralı jusqu’au 17 novembre 2009, date à laquelle cinq autres personnes y furent transférées ; tous les détenus, y compris le requérant, furent alors installés dans un nouveau bâtiment qui venait d’être construit. En mai 2007 et en janvier 2010, donc pendant la période postérieure à l’arrêt de la Cour du 12 mai 2005, des délégations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») visitèrent l’établissement pénitentiaire d’İmralı. a) Avant le 17 novembre 2009 Avant le 17 novembre 2009, la cellule qu’occupait seul le requérant mesurait 13 m² environ, disposait d’un lit, d’une table, d’un fauteuil et d’une bibliothèque. La pièce était climatisée et dotée d’un coin toilette. Elle possédait une fenêtre donnant sur une cour intérieure et bénéficiait d’un éclairage naturel et artificiel suffisant. En février 2004, les murs avaient été renforcés par des panneaux en aggloméré permettant de réduire l’humidité. Le temps accordé au requérant pour sortir de sa cellule et profiter d’une cour intérieure (45 m² environ), entourée de hauts murs et couverte de grillage, était limité à une heure par jour (deux fois trente minutes, le matin et l’après-midi). Le requérant ne se trouvait pas en isolement sensoriel ou en isolement cellulaire. Comme il était le seul détenu présent dans cet établissement pénitentiaire, il ne pouvait avoir de contacts qu’avec les membres du personnel qui y travaillaient. Ces derniers n’étaient autorisés à communiquer avec lui que sur des sujets relevant de leurs fonctions et relatifs à la vie quotidienne à la prison. Le requérant disposait de livres et d’un poste de radio pouvant capter des émissions étatiques. Il ne lui était pas permis d’avoir un poste de télévision dans sa cellule, au motif qu’il était un détenu dangereux, était membre d’une organisation illégale et commettait des infractions disciplinaires répétitives. Pour les mêmes raisons, il n’avait pas non plus accès au téléphone. Soumis à un accès restreint à la presse quotidienne et hebdomadaire, le requérant pouvait disposer dans sa cellule d’un maximum de trois journaux à la fois. Ceux-ci dataient souvent de plusieurs jours. En fait, il recevait des journaux une fois par semaine : il s’agissait des numéros fournis par sa famille ou par ses avocats. En l’absence de visites de membres de sa famille et de ses avocats (en raison des difficultés d’accès à l’île), il arrivait au requérant de rester longtemps sans accès aux numéros récents de la presse écrite. Les journaux qui lui étaient remis étaient largement censurés. Le requérant avait le droit de correspondre avec l’extérieur, sous le contrôle des autorités pénitentiaires. Le courrier reçu par lui était vérifié et censuré. La correspondance avec l’extérieur fut interrompue pendant certaines périodes. Le requérant demeura dans la même cellule de la date de son transfert à l’établissement pénitentiaire d’İmralı – après son arrestation le 16 février 1999 – jusqu’à la date du 17 novembre 2009, soit durant près de dix ans et neuf mois. b) Depuis le 17 novembre 2009 Pour se conformer aux demandes formulées par le CPT afin qu’il fût mis un terme à l’isolement social relatif du requérant, les autorités gouvernementales construisirent de nouveaux bâtiments dans l’enceinte de l’établissement pénitentiaire d’İmralı. Le 17 novembre 2009, l’intéressé et cinq autres détenus transférés d’autres prisons y furent installés. Depuis cette date, le requérant occupe seul une cellule ayant une superficie de 9,8 m² (espace de vie) auxquels s’ajoutent 2 m² (salle d’eau et toilettes), possédant un lit, une petite table, deux chaises, une armoire métallique et un coin cuisine équipé d’un lavabo. Le bâtiment où se trouvent les cellules est bien protégé contre l’humidité. Selon le CPT, la cellule du requérant, bien que dotée d’une fenêtre de 1 m x 0,5 m et d’une porte en partie vitrée, les deux donnant sur une cour intérieure, ne bénéficie pas d’un ensoleillement direct suffisant en raison du mur de 6 m de haut qui entoure cette cour. La proposition du CPT d’abaisser le mur n’a pas été acceptée par le Gouvernement, dont les experts ont certifié que la cellule recevait assez de lumière naturelle. La prison est équipée d’une salle de sport contenant une table de pingpong et de deux autres salles dotées de chaises et de tables, toutes ces pièces recevant une abondante lumière naturelle. Chaque détenu, y compris le requérant, bénéficie de deux heures d’activités quotidiennes en extérieur, qu’il passe seul dans la cour intérieure réservée à sa cellule. Par ailleurs, chaque détenu peut passer une heure par semaine, seul, dans une salle de loisirs (où aucune activité spécifique n’est proposée) et deux heures par mois, seul, dans la bibliothèque de la prison. En outre, chaque détenu participe à des activités collectives, incluant une heure par semaine avec les autres détenus pour la conversation. À la suite de sa visite de janvier 2010, le CPT fit observer que le régime pénitentiaire appliqué au requérant n’était qu’un pas modeste dans le bon sens, surtout en comparaison du régime pratiqué dans les autres prisons de type F pour la même catégorie de condamnés, qui pouvaient se livrer à des activités en extérieur tout au long de la journée et à des activités collectives non surveillées avec les autres condamnés trois à sept jours par semaine. Au vu de ces observations, les autorités responsables de la prison d’İmralı entreprirent d’assouplir le régime en question, si bien que les détenus d’İmralı, y compris le requérant, peuvent désormais se livrer seuls à des activités hors cellule pendant quatre heures par jour, recevoir des journaux deux fois par semaine (au lieu d’une seule fois) et passer trois heures par semaine ensemble pour la conversation (au lieu d’une heure par semaine). Tous les détenus d’İmralı peuvent à leur demande pratiquer, à raison d’une heure par semaine, chacune des activités collectives suivantes : peinture et arts plastiques, ping-pong, échecs, volleyball, basketball. Selon les registres de la prison, le requérant fait en pratique du volleyball et du basketball, mais ne participe pas aux autres activités. Les autorités pénitentiaires informèrent également le CPT qu’elles envisageaient d’offrir aux détenus deux heures par semaine d’activités collectives supplémentaires (arts plastiques, jeux de société ou sport). Ainsi, le temps passé par le requérant hors de sa cellule serait élévé, en fonction de ses choix quant aux activités communes, jusqu’à trente-huit heures par semaine au maximum, dont dix heures au maximum en compagnie des autres détenus. Des aménagements techniques ayant été opérés, depuis le 20 mars 2010 le requérant dispose, comme les autres détenus de la prison d’İmralı, de dix minutes de conversation téléphonique avec l’extérieur tous les quinze jours. Dans son rapport du 9 juillet 2010, le CPT a recommandé au Gouvernement de veiller à ce que le requérant soit en compagnie des autres détenus lors des activités en extérieur, à ce que l’intéressé et les autres détenus puissent passer ensemble une partie raisonnable de la journée (par exemple huit heures) en dehors de leurs cellules pour se livrer à des activités variées. Le CPT a également conseillé d’autoriser le requérant à avoir un poste de télévision dans sa cellule, comme tous les autres détenus des prisons de haute sécurité. Les autorités pénitentiaires n’ont pas donné suite à ces dernières recommandations au motif que l’intéressé avait toujours le statut de détenu dangereux et ne se conformait pas au règlement de la prison, notamment lors des visites de ses avocats. Le 12 janvier 2012, un poste de télévision a été mis à la disposition du requérant. Restrictions apportées aux visites des avocats et membres de la famille du requérant a) La fréquences des visites Des membres de la famille et des avocats du requérant ont rendu visite à celui-ci maintes fois, mais ces visites n’ont pas été aussi fréquentes que l’auraient souhaité le requérant et les visiteurs, principalement en raison de « mauvaises conditions météorologiques », de l’« entretien des bateaux assurant la navette entre l’île et le continent » et de l’« impossibilité pour les bateaux navettes de faire face aux mauvaises conditions météorologiques ». En fait, l’ancien bateau İmralı 9 demeurait en service mais ne pouvait naviguer que par vent faible. Le grand bateau Tuzla, qui avait été promis par le Gouvernement alors que la précédente affaire Öcalan était pendante devant la Grande Chambre de la Cour, a été mis en service en 2006. Plus adapté que l’İmralı 9 aux conditions météorologiques difficiles, le Tuzla assure des navettes à une fréquence plus élevée entre l’île d’İmralı et le continent. Il a de temps en temps des pannes techniques, avec des réparations qui nécessitent parfois des travaux de plusieurs semaines. Concernant les visites, pendant la période mars-septembre 2006 par exemple, vingt et une demandes de visite sur trente et une furent rejetées. Ces décisions négatives se poursuivirent en octobre 2006, avec cinq refus pour six demandes, et en novembre 2006 avec six refus pour dix demandes. Après une brève amélioration en décembre 2006 (un refus pour six demandes), en janvier 2007 (deux refus pour six demandes) et en février 2007 (aucun refus pour les quatre demandes), la fréquence des visites chuta encore en mars 2007 (six refus pour huit demandes) et en avril 2007 (quatre refus pour cinq demandes), pour reprendre un rythme plus élevé en mai 2007 (un refus pour cinq demandes) et en juin 2007 (un refus pour quatre demandes). Le nombre total des visites de la famille s’est élevé à quatorze en 2005, à treize en 2006 et à sept en 2007. En fait, du 16 février 1999 jusqu’en septembre 2007, le requérant reçut 126 visites de ses frères et sœurs, et 675 de ses avocats ou conseils. Sur le restant de l’année 2007, en 2008, en 2009 et en général 2010, la fréquence des visites d’avocats ou de membres de la famille du requérant augmenta régulièrement. Courant 2009 par exemple, quarante-deux visites sur cinquante-deux demandées eurent lieu le jour prévu ou le lendemain (en raison de conditions météorologiques défavorables). En 2011 et en 2012, la proportion de refus par rapport aux demandes a augmenté de façon significative. À titre d’exemple, en 2011, le requérant n’a pu recevoir que deux visites de proches sur les six demandées. Encore en 2011, il n’a pu recevoir que vingt-trois visites de ses avocats sur les soixante-sept demandées. Trois visites de ses avocats ont eu lieu en janvier, deux en février, cinq an mars, trois en avril, quatre en mai, quatre en juin et deux en juillet 2011. D’août à décembre 2011, le requérant n’a reçu aucune visite, à l’exception d’une visite de proches le 12 octobre 2011, pour trentetrois demandes refusées. Les autorités pénitentiaires ont invoqué les mauvaises conditions météorologiques ou une panne de bateau pour justifier leurs refus. En 2012, le requérant a reçu quelques visites de son frère. Il n’a reçu aucune visite de ses avocats. b) Les visites des avocats En règle générale, les personnes détenues en Turquie peuvent s’entretenir avec leurs avocats les jours ouvrables, et ce pendant les heures de travail, sans restriction de fréquence sur une période déterminée. L’accès à l’île d’İmralı n’étant possible que par la navette maritime mise à disposition par l’administration de la prison d’İmralı, les visites des avocats du requérant avaient lieu en pratique les mercredis, lorsque le transport était assuré. i. Le déroulement des visites des avocats du requérant En règle générale, les détenus peuvent communiquer avec leur avocat en toute confidentialité, en dehors de la présence d’un surveillant. Cependant, le 1er juin 2005, la loi no 5275 sur l’exécution des peines et des mesures préventives est entrée en vigueur, remplaçant la législation précédente en la matière. En vertu de l’article 59 de la nouvelle loi, s’il s’avère, d’après des documents ou d’autres éléments de preuve, que les visites d’avocats à une personne condamnée pour crime organisé servent de moyen de communication au sein de l’organisation concernée, le juge de l’exécution des peines, sur demande du parquet, peut imposer les mesures suivantes : la présence d’un fonctionnaire lorsque le condamné s’entretient avec ses avocats, le contrôle des documents échangés entre le condamné et ses avocats lors de ces visites et/ou la saisie de tout ou partie de ces documents par le juge. Le 1er juin 2005, le requérant reçut la visite de ses avocats. Juste avant l’entretien, les autorités pénitentiaires communiquèrent à l’intéressé et à ses avocats une décision du juge de l’exécution des peines de Bursa, appliquant à cette visite l’article 59 de la loi no 5275. Un fonctionnaire fut donc présent lors de l’entrevue, la conversation entre le requérant et ses avocats fut enregistrée sur magnétophone et les documents apportés par les avocats furent soumis au juge pour examen. Pour protester contre la nouvelle procédure, le requérant interrompit l’entretien au bout de quinze minutes et demanda à ses avocats de ne plus venir lui rendre visite tant que ces mesures seraient en vigueur. Il déclara aux autorités pénitentiaires que la procédure en cause ne respectait nullement la confidentialité de l’entretien entre les avocats et leur client et qu’une telle pratique « rendait inutiles la visite et l’entretien pour la préparation de sa défense ». Lors des visites ultérieures, un fonctionnaire assista aux entretiens. Par ailleurs, la conversation entre le requérant et ses avocats fut à nouveau enregistrée sur magnétophone et soumise au juge de l’exécution des peines pour examen. Les avocats du requérant formèrent aussi un recours auprès de la cour d’assises de Bursa contre la décision du juge de l’exécution des peines de Bursa ayant ordonné la présence d’un fonctionnaire lors des entretiens et l’enregistrement des conversations. Par des décisions du 27 avril et du 9 juin 2006, la cour d’assises rejeta ce recours, aux motifs que les mesures attaquées visaient à empêcher la transmission d’ordres au sein d’une organisation terroriste, qu’elles ne concernaient pas les droits de la défense du requérant et que, du reste, la transcription des conversations montrait que celles-ci ne portaient pas sur la défense de l’intéressé dans une quelconque procédure mais sur le fonctionnement interne du PKK ou la stratégie à suivre par cette organisation illégale. Lors de la visite des avocats du 29 mars 2006, l’un des fonctionnaires présents dans la pièce où se déroulait l’entretien interrompit celuici au motif qu’il ne se limitait pas à la préparation de la défense du requérant devant un organe judiciaire. Les avocats de l’intéressé portèrent plainte contre le fonctionnaire en question pour abus de pouvoir et de compétences. Le 21 avril 2006, le parquet de Bursa rendit une ordonnance de classement sans suite. ii. Contenu des échanges entre le requérant et ses avocats Il ressort des comptes rendus des visites des avocats que les conversations commencent très souvent par un exposé des avocats sur les récents développements concernant le PKK. Le requérant consulte ses avocats sur les changements de personnes aux différents niveaux de structure de l’organisation, sur les diverses activités et réunions organisées par les organes du PKK (aux niveaux régional ou national, ou encore à l’étranger), sur la ligne politique suivie par les dirigeants du parti, sur la concurrence entre ces derniers ainsi que sur les pertes subies par les militants armés dans leur lutte contre les forces de sécurité. Le requérant, se présentant comme « le leader du peuple kurde », commente toutes les réponses des avocats et charge ceux-ci de transmettre ses idées et ses instructions en vue de la réorientation de la politique menée par le PKK en Turquie (il défend en général l’idée d’une reconnaissance des droits de la minorité kurde dans une Turquie complètement démocratique) ou dans d’autres pays. Par ailleurs, il approuve ou rejette les nominations des cadres dans diverses instances du PKK et donne des conseils sur l’organisation interne du parti. Il prône aussi l’abandon des armes par le PKK lorsque le Gouvernement aura mis fin aux hostilités et que les revendications formulées par le PKK seront satisfaites. À la demande du procureur de la République de Bursa, le juge de l’exécution des peines de Bursa refusa plusieurs fois de remettre au requérant et à ses avocats une copie de ces comptes rendus, au motif que ceux-ci contenaient des instructions directes ou indirectes du requérant au PKK, qui les utilisait pour réorienter sa stratégie et ses plans d’action. Depuis mai 2005, le requérant est resté actif dans sa participation au débat politique de la Turquie sur le mouvement armé séparatiste que constitue le PKK, qui le désigne comme son principal représentant, et ses instructions transmises par le biais de ses avocats ont été suivies attentivement par le public et ont fait l’objet de diverses réactions, même les plus extrêmes. Une part de la population en Turquie le considérait comme le terroriste le plus dangereux du pays, toujours actif même à partir de la prison. Ses partisans le voyaient comme leur leader et le chef ultime du mouvement séparatiste. Le requérant a aussi déclaré qu’il avait participé à des pourparlers avec certains responsables de l’État dans le but de résoudre les problèmes posés par le mouvement séparatiste armé, mais que la plupart de ses appels à la cessation du conflit armé n’avaient été entendus ni par le Gouvernement ni par le mouvement armé dont il était issu. iii. Exemples de sanctions disciplinaires infligées au requérant en raison de ses entretiens avec ses avocats Le requérant s’est vu imposer des sanctions de vingt jours d’isolement cellulaire au motif qu’il avait transmis des instructions à l’organisation dont il était le chef, lors des visites de ses avocats effectuées à ces dates : le 30 novembre 2005, le 12 juillet et le 27 septembre 2006, le 4 avril, le 4 juillet et 7 novembre 2007, le 9 avril et le 14 mai 2008, le 2 janvier et le 4 novembre 2009. Ainsi, selon l’enregistrement sur magnétocassette de l’entretien du 30 novembre 2005 entre le requérant et ses avocats, l’intéressé indiqua à ses défenseurs comment il estimait que les membres du PKK pouvaient inviter les citoyens d’origine kurde à manifester pour réclamer le droit à l’instruction dans la langue kurde. Le 12 décembre 2005, la commission disciplinaire de la prison d’İmralı, considérant que les paroles du requérant correspondaient à « des activités de formation et de propagande au sein d’une organisation criminelle », condamna le requérant à vingt jours d’isolement cellulaire. En application de cette sanction, l’administration pénitentiaire retira au requérant livres et journaux pendant vingt jours. Le recours du requérant contre cette mesure disciplinaire fut rejeté le 22 décembre 2005 par le juge de l’exécution des peines de Bursa, au motif que l’intéressé avait incité des femmes et des enfants à organiser des manifestations illégales, se livrant ainsi à ce que l’on pouvait qualifier de formation et de propagande au sein d’une organisation criminelle. Le 7 février 2006, la cour d’assises de Bursa rejeta le recours formé par les conseils du requérant contre la décision du 22 décembre 2005. La cour d’assises considéra, notamment, que la décision attaquée était conforme à la loi. Le requérant se vit infliger une autre sanction de vingt jours d’isolement cellulaire en raison d’un entretien avec ses avocats ayant eu lieu le 12 juillet 2006. Ses recours ayant été rejetés, il purgea cette peine du 18 août au 7 septembre 2006. Les avocats du requérant n’eurent connaissance de cette sanction que le 23 août 2006, lors du rejet d’une demande de visite au requérant. c) Les visites des membres de la famille Les visites des proches du requérant (frères et sœurs en l’occurrence) sont limitées à une heure tous les quinze jours. Au début, ces visites se déroulaient dans un parloir comportant un dispositif de séparation, les parloirs où détenu et visiteurs se mettent autour d’une table étant réservés aux parents du premier degré selon l’article 14 du règlement sur les visites aux condamnés et aux détenus. Le 2 décembre 2009, le Conseil d’État annula cette disposition. Le conseil d’administration de la prison d’İmralı, sans attendre que cette décision fût devenue définitive, accorda au requérant le droit de voir ses frères et sœurs sans dispositif de séparation. C’est ainsi que, le 26 juillet 2010, le requérant a pu pour la première fois accueillir son frère « autour d’une table ». En cas d’annulation d’une visite en raison des conditions météorologiques, les autorités ont la possibilité d’organiser, à la demande des membres de la famille, une autre visite dans les jours suivants. En pratique, les visites non effectuées le mercredi ne sont pas remplacées en l’absence de demande de la part des visiteurs. Par ailleurs, les visites de membres de la famille n’ont pas été aussi fréquentes que l’auraient souhaité le requérant ou ses proches, et ce en raison de l’insuffisance de moyens de transport face à des conditions météorologiques défavorables. Près de la moitié des visites demandées ont été refusées, au motif que la navette était en panne ou que les conditions météorologiques étaient mauvaises. Procédures engagées contre certains avocats du requérant a) Interdiction faite à certains avocats de représenter le requérant Le nouveau texte du code de procédure pénale, entré en vigueur le 1er juin 2005, prévoit à l’article 151/3-4 que les avocats ayant fait l’objet de poursuites pénales pour des crimes liés au terrorisme peuvent être frappés de l’interdiction de représenter des personnes condamnées pour des activités terroristes. Cette disposition vise à empêcher que les chefs d’organisations terroristes, une fois condamnés, continuent à diriger leur organisation à partir de leur lieu de détention par le biais de leurs avocats. Par un acte du 6 juin 2005, le parquet d’Istanbul invita la cour d’assises d’Istanbul à appliquer cette mesure à certains avocats du requérant. Par une décision du 7 juin 2005, la 9e cour d’assises décida de priver douze avocats de leur qualité de conseil du requérant, et ce pour une période d’un an. Le 20 juin 2005, la 10e cour d’assises d’Istanbul rejeta le recours formé par le requérant contre cette décision. b) Poursuites pénales déclenchées contre certains avocats du requérant pour avoir servi de messagers entre celui-ci et son ex-organisation armée Le 23 novembre 2011, sur ordre du parquet d’Istanbul, les forces de l’ordre arrêtèrent et placèrent en garde à vue trente-six avocats représentant le requérant dans seize départements de la Turquie (y compris six avocats représentant l’intéressé devant la Cour), perquisitionnèrent leurs bureaux et saisirent tous les documents concernant le requérant. Le parquet soupçonnait les avocats en question d’avoir servi de messagers entre le requérant et les autres dirigeants du PKK. Allégation d’intoxication du requérant Par une lettre du 7 mars 2007, les représentants du requérant informèrent la Cour qu’ils avaient demandé à un laboratoire médical de Strasbourg d’analyser six cheveux qu’ils considéraient comme ayant appartenu à l’intéressé, et que les analyses effectuées le 5 février 2007 montraient la présence de doses anormales de chrome et de strontium. Des analyses à partir d’échantillons prélevés directement sur le requérant à la prison ne révélèrent en revanche aucune trace d’éléments toxiques ou nocifs pour la santé. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 125 de l’ancien code pénal issu de la loi no 765 disposait : « Quiconque commet un acte tendant à soumettre tout ou partie du territoire de l’État à la domination d’un État étranger, à amoindrir son indépendance, à altérer son unité ou à soustraire une partie du territoire à l’administration de l’État, est passible de la peine capitale. » Le code pénal turc prohibe l’application rétroactive du droit pénal lorsqu’elle s’opère au détriment de l’accusé, et garantit l’application rétroactive de la loi pénale plus favorable au condamné ainsi qu’à l’accusé. L’article 1/A de la loi no 4771 portant réforme de diverses lois, adoptée le 3 août 2002, prévoit notamment la commutation de la peine de mort inscrite à l’article 450 du code pénal en une peine de réclusion criminelle à perpétuité. L’article 1/A de la loi no 5218 du 14 juillet 2004, publiée au Journal officiel le 21 juillet 2004, modifia notamment les articles 13 et 125 de la loi no 765. Cet article dispose : « (...) 3. Le premier paragraphe et la première phrase du second paragraphe de l’article 13 sont modifiés comme suit : La peine de réclusion lourde est la réclusion aggravée, la réclusion ou la réclusion à temps (muvakkat). La peine de réclusion lourde à perpétuité aggravée et la peine de réclusion lourde à perpétuité courent jusqu’au décès du condamné. (...) L’expression « peine capitale » employée à l’article 125 est remplacée par « peine de réclusion lourde à perpétuité aggravée ». La loi no 5237, adoptée le 26 septembre 2004 et publiée au Journal officiel le 12 octobre 2004, a refondu la législation pénale. Les dispositions du nouveau code pénal sont entrées en vigueur le 1er juin 2005. L’article 47 de cette loi dispose : « La réclusion criminelle est l’emprisonnement à perpétuité aggravée, l’emprisonnement à perpétuité ou l’emprisonnement à temps. La peine d’emprisonnement à perpétuité aggravée court jusqu’au décès du condamné. Elle est exécutée en vertu du régime de sécurité prévu par les lois et les règlements ». L’article 25 de la loi no 5275 sur l’exécution des peines et des mesures préventives du 13 décembre 2004, publiée au Journal officiel le 29 décembre 2004, est ainsi libellé : « Les principes du régime d’application de la peine de réclusion criminelle à perpétuité aggravée sont énoncés ci-dessous : a) le condamné est détenu dans une cellule individuelle ; b) le condamné bénéficie d’une heure de sortie en plein air et de sport [par jour] ; c) le condamné peut bénéficier d’un allongement du temps accordé pour sortir en plein air et faire du sport et peut être autorisé à avoir des contacts limités avec les condamnés séjournant dans la même unité, [s’il fait preuve] de bonne conduite eu égard aux impératifs de sécurité (...) et [s’il fait] des efforts dans le cadre de sa réhabilitation et de sa formation ; d) le condamné peut se livrer à une activité artistique ou professionnelle approuvée par le conseil d’administration, en fonction des possibilités offertes par l’établissement où il se trouve ; e) dans les cas que le conseil d’administration de l’établissement juge appropriés, le condamné peut téléphoner aux personnes visées à l’alinéa f) une fois tous les quinze jours, à raison de dix minutes ; f) le condamné peut recevoir la visite de son conjoint, de ses ascendants, de ses descendants, de ses frères et sœurs et de son tuteur au jour, à l’heure et aux conditions fixés, et ce tous les quinze jours pour une durée ne pouvant excéder une heure ; g) le condamné ne peut en aucun cas travailler en dehors de l’établissement pénitentiaire ni bénéficier d’une autorisation de congé ; h) le condamné ne peut participer à aucune activité sportive ou de réhabilitation autre que celles définies dans le règlement intérieur de l’établissement ; i) l’exécution de la peine ne peut en aucun cas être interrompue. Tous les traitements médicaux que le condamné doit recevoir, sauf exigences médicales (...), doivent être administrés dans un établissement pénitentiaire ou, si cela s’avère impossible, dans un hôpital d’État ou un hôpital universitaire pleinement habilité, dans une cellule individuelle ou dans une cellule de haute sécurité. (...) » L’article 107 de la loi no 5275 sur l’exécution des peines et des mesures de sécurité prévoit la possibilité de mise en liberté conditionnelle, sous réserve de bonne conduite, des personnes condamnées à la peine de réclusion [lourde] à perpétuité aggravée après une période minimale de détention de trente ans, des condamnés à la peine de réclusion à perpétuité (ordinaire) après une période minimale de détention de vingt-quatre ans et des autres condamnés une fois purgée la période correspondant aux deux tiers de leur peine d’emprisonnement. Cependant, toujours selon la même disposition, les condamnés à la peine de réclusion à perpétuité aggravée pour des crimes contre la sécurité de l’État, contre l’ordre constitutionnel et contre la défense nationale (code pénal, 2ème livre, 4ème chapitre, sous chapitres 4, 5 et 6) commis en bande organisée à l’étranger ne peuvent être admis au bénéfice de la mise en liberté conditionnelle. Selon l’article 68 du code pénal, les peines d’emprisonnement se prescrivent dans les délais suivants, qui commencent à courir à partir de la date de la condamnation définitive ou de la date de l’interruption de l’exécution de la peine (le restant de la peine entrant alors en ligne de compte) : quarante ans pour la peine perpétuelle aggravée ; trente ans pour la peine perpétuelle, vingt-quatre ans pour les peines d’emprisonnement de plus de vingt ans, vingt ans pour les peines d’emprisonnement de plus de cinq ans et dix ans pour les peines d’emprisonnement de moins de cinq ans ainsi que pour les amendes. Cependant, la prescription des peines ne s’appliquent pas à la peine de réclusion à perpétuité aggravée, à la peine de réclusion à perpétuité ordinaire et aux peines de plus de dix ans infligées pour des crimes contre l’État et la Nation commis en bande organisée à l’étranger (code pénal, 2ème livre, 4ème chapitre). En cas de maladie ou de vieillesse d’un condamné à perpétuité, le président de la République peut ordonner sa libération immédiate ou différée. À des intervalles plus ou moins réguliers, le législateur turc adopte une loi d’amnistie générale ou partielle (dans ce dernier cas, la libération conditionnelle est accordée après une période de sûreté) afin de faciliter la résolution des grands problèmes sociaux. III. SOURCES INTERNATIONALES Les récentes visites que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a effectuées à la prison fermée de haute sécurité de type F de l’île d’İmralı afin d’examiner les conditions de détention du requérant ont eu lieu du 20 au 22 mai 2007, les 26 et 27 janvier 2010 et du 21 au 28 juin 2012. Le CPT a publié des rapports à l’issue des visites de 2007 et de 2010 ( pour la visite de mai 2007 et pour celle de janvier 2010) et le Gouvernement y a répondu ( pour la visite de mai 2007 et pour celle de janvier 2010). Les conclusions et recommandations du CPT formulées dans son rapport portant sur sa visite de mai 2007 se lisent comme suit : « F. Conclusions and recommendations Abdullah Öcalan est incarcéré, seul et unique détenu dans la prison fermée de haute sécurité d’İmralı – une île difficile d’accès – depuis près de huit ans et demi. Bien que la situation d’isolement caractérisé auquel l’intéressé est astreint depuis le 16 février 1999 ait eu, au cours des années, des effets délétères, les visites précédentes du CPT n’avaient pas mis en évidence, du moins jusqu’à présent, des conséquences néfastes significatives sur son état physique et psychique. Cette évaluation doit maintenant être revue, à la lumière de l’évolution de l’état physique et mental d’Abdullah Öcalan. Les autorités turques sont maintenant à la croisée des chemins : ou elles ne modifient en rien la situation de l’intéressé (c’est le choix qu’elles ont délibérément suivi, en toute connaissance de cause, depuis 1999, avec les conséquences susmentionnées), ou elles prennent la décision de revoir la situation d’Abdullah Öcalan, en assurant notamment à ce dernier la possibilité d’entretenir des liens socio-affectifs minimum. A cet égard, il convient de rappeler que dès 2001, le CPT avait clairement indiqué aux autorités turques qu’Abdullah Öcalan « devrait, à la première occasion, être intégré dans un cadre lui permettant d’avoir des contacts avec d’autres détenus et un plus large éventail d’activités. Si les autorités turques (...) sont parvenues à la conclusion que son transfert dans un autre établissement pénitentiaire n’est pas possible pour l’instant, elles devraient prendre les mesures nécessaires pour créer à la Prison fermée d’Imrali le cadre qui vient d’être évoqué ». La même ligne de pensée transparaît dans l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme du 12 mai 2005, lorsque celle-ci indique : « Tout en estimant, conformément aux propositions du CPT, que les effets à long terme de l’isolement social relatif imposé au requérant devraient être atténués par son accès aux mêmes commodités que les autres détenus dans les prisons de haute sécurité en Turquie, notamment à la télévision et aux communications téléphoniques avec sa famille, la Grande Chambre, à l’instar de la Chambre, estime que les conditions générales de la détention du requérant à la prison d’İmralı n’ont pas atteint, pour le moment, le seuil minimum de gravité requis pour constituer un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention ». Le CPT est fermement convaincu que maintenir un détenu dans de telles conditions d’isolement, huit années et demi durant, ne peut plus trouver aucune justification, quelles que soient les circonstances. Il en appelle aux autorités turques afin qu’elles revoient complètement la situation du détenu Abdullah Öcalan, en vue de l’intégrer dans un environnement où les contacts avec d’autres détenus et une plus grande variété d’activités sont possibles. De plus, le CPT recommande que des mesures soient prises par les autorités turques afin : s’agissant du domaine médical : - de soumettre immédiatement le détenu à un examen ORL complet (en ce compris un examen endoscopique spécialisé et, si nécessaire, un scanner), et de pratiquer, le cas échéant, une intervention chirurgicale palliative/réparatrice ; - de faire procéder immédiatement à un examen radiographique du thorax du détenu ; - de faire bénéficier le détenu des consultations psychiatriques que nécessite l’évolution de son état mental ; - que les contrôles médicaux journaliers imposés au détenu soient remplacés par des examens médicaux moins fréquents, effectués par le même médecin. Les interventions des médecins spécialistes devraient être coordonnées par ce même médecin. La nature et les raisons motivant cette nouvelle approche devraient être expliquées en détail au détenu, à l’avance, par le médecin qui sera chargé de l’examiner ; - qu’au service médical, le laryngoscope soit en état de fonctionner et que les médecins de permanence disposent de la formation nécessaire pour utiliser tant le laryngoscope que le défibrillateur ; s’agissant des conditions matérielles et du régime de détention : - que l’intéressé soit autorisé à circuler librement durant la journée entre sa cellule et le local attenant ; - qu’il bénéficie d’un accès – même occasionnel – à une aire de promenade plus vaste et dotée d’un minimum d’équipement (protection contre les intempéries, banc, équipements sportifs,...) ; - qu’il puisse bénéficier d’un poste de télévision (loué ou acheté) dans sa cellule, ainsi que d’un minimum d’activités de nature variée ; s’agissant des contacts avec le monde extérieur : - que l’intéressé puisse bénéficier, une fois par mois, de « visites à table » de membres de sa famille, en amendant, si nécessaire, les textes applicables, et qu’une certaine souplesse soit de mise concernant la possibilité d’accumuler des temps de visite inutilisés (en raison des difficultés particulières d’accès à l’île d’İmralı) ; - que l’intéressé puisse téléphoner aux membres de sa famille (les communications pouvant être soumises à contrôle et être interrompues, si nécessaire). » Parallèlement, en mars 2008, vu l’absence d’avancées réelles de la part du Gouvernement sur les points indiqués dans le rapport sur la visite de mai 2007, le CPT a lancé la procédure visant à la formulation d’une déclaration publique, telle que prévue à l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Les conclusions du CPT formulées dans son rapport, adopté en mars 2010, portant principalement sur sa visite de janvier 2010, se lisent comme suit : « E. Conclusions Sur la base des constats de la délégation et des renseignements complémentaires donnés par les autorités turques dans leur lettre du 24 février 2010, le CPT a conclu que les conditions de détention d’Abdullah Öcalan s’étaient nettement améliorées par rapport à la situation observée lors de la visite de 2007. L’intégration d’un détenu dans « un environnement où les contacts avec d’autres détenus et une plus grande variété d’activités sont possibles » est maintenant en cours (voir paragraphe 3). De plus, le Comité a noté que l’accès à l’île pour les avocats d’Abdullah Öcalan et les membres de sa famille s’était nettement amélioré au cours de l’année écoulée. En conséquence, le CPT a décidé de clore la procédure prévue à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention, qui avait été engagée en mars 2008. Il continuera toutefois à suivre de près la situation d’Abdullah Öcalan (et des autres détenus de la prison d’İmralı) et n’hésitera pas à rouvrir cette procédure s’il s’avère que les améliorations susmentionnées ne sont pas maintenues. » Le 11 juillet 2002, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté les lignes directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, dont les extraits pertinents pour la présente affaire figurent au paragraphe 84 de l’arrêt Ramirez Sanchez c. France ([GC], no 59450/00, CEDH 2006IX). Le 11 janvier 2006, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation Rec(2006)2 aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, dont les extraits pertinents pour la présente affaire sont présentés au paragraphe 85 de l’arrêt Ramirez Sanchez précité. Dans le cadre des Nations Unies, le rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a estimé, dans son rapport intérimaire présenté à l’Assemblée générale le 5 août 2011, ce qui suit (pour l’accès à l’ensemble du rapport, voir : : « Conclusions Le Rapporteur spécial souligne que l’isolement cellulaire est une mesure excessive qui peut avoir de graves conséquences psychologiques et physiologiques pour les personnes, quelle que soit leur condition. Il estime que l’isolement cellulaire est contraire à l’un des objectifs essentiels du système pénitentiaire qui est de réhabiliter les délinquants et de faciliter leur réinsertion dans la société. Le Rapporteur spécial considère que tout isolement cellulaire d’une durée de plus de 15 jours est un isolement cellulaire prolongé. En fonction du motif de son application, des conditions dans lesquelles il est appliqué, de sa durée, de ses effets et d’autres circonstances, l’isolement cellulaire peut constituer une violation de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’un des actes définis à l’article premier ou à l’article 16 de la Convention contre la torture. En outre, le placement en isolement cellulaire accroît le risque de voir des actes de torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants passer inaperçus et demeurer impunis. Étant donné la douleur ou les souffrances psychiques et physiques graves que peut occasionner l’isolement cellulaire lorsqu’il est utilisé comme punition ou durant la détention provisoire, est appliqué de manière prolongée ou indéfinie, est imposé à des mineurs ou à des handicapés mentaux, l’isolement cellulaire peut constituer une torture ou une peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant. Le Rapporteur spécial estime que lorsque les conditions matérielles et le régime de l’isolement cellulaire ne respectent pas la dignité inhérente à la personne humaine et occasionnent une douleur ou des souffrances psychiques et physiques graves, l’isolement cellulaire constitue une peine ou traitement cruel, inhumain et dégradant. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1977 et réside à İzmir. Le 19 mai 2004, il fut arrêté puis placé en garde à vue. Il était soupçonné d’appartenir à une organisation illégale armée et d’avoir fait partie d’un groupe qui avait commis des dégradations sur la voie publique après une manifestation et qui avait agressé un policier avant de lui dérober son arme de service. Il avait été identifié par la victime sur une photographie que les enquêteurs avaient présentée à celle-ci lors de son audition après les faits. Lors d’une parade d’identification organisée le jour de l’arrestation, la victime désigna à nouveau le requérant comme étant l’un de ses agresseurs. Lors de son interrogatoire qui eut lieu les 19 et 20 mai 2004, le requérant avoua l’agression et le vol. Il déclara en outre n’avoir pas réussi à revendre l’arme et l’avoir démontée puis jetée à la mer. Il reconnut également avoir détenu un sac contenant des explosifs pour le compte de l’organisation illégale en question. Ce dernier point fut corroboré par plusieurs dépositions d’autres individus soupçonnés d’appartenir à la même organisation. Par la suite, l’avocat du requérant soutint que son client avait fait ces aveux sous l’effet d’un trouble psychologique passager. À l’issue de sa garde à vue, le requérant fut placé en détention provisoire. Le 26 mai 2004, il fut mis en accusation devant la cour de sûreté de l’État d’İzmir pour appartenance à une organisation illégale armée et pour vol avec violences. Après la suppression de ces juridictions, l’affaire fut attribuée à la cour d’assises d’İzmir. Le 29 décembre 2005, la cour d’assises d’İzmir reconnut le requérant coupable d’appartenance à une organisation illégale armée et le condamna à six ans et trois mois d’emprisonnement. Elle précisa que l’exécution de cette peine devait être soumise au régime relatif à la récidive. S’agissant du second chef d’accusation, elle prononça l’acquittement du requérant. Enfin, elle ordonna le maintien en détention de l’intéressé. À l’issue de toutes les audiences tenues jusqu’à cette date, les juges, se fondant sur « la nature de l’infraction », « l’état des preuves » et « le risque de fuite », avaient décidé de ne pas remettre le requérant en liberté. Le 10 juillet 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant contre sa condamnation. En revanche, elle cassa l’arrêt dans sa partie concernant l’acquittement. Le 7 novembre 2007, le parquet général près la Cour de cassation déposa une demande de rectification d’arrêt, reprochant à la haute juridiction d’avoir omis de statuer sur le pourvoi concernant l’un des coaccusés du requérant. Le 13 janvier 2009, le procureur général d’Urla, ville dans laquelle le requérant était détenu, adressa au parquet d’İzmir une lettre dans laquelle il précisait que l’intéressé devait bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle le 24 janvier 2009. Il indiquait que, malgré une condamnation prononcée en décembre 2005, il apparaissait que l’affaire était toujours pendante devant la Cour de cassation. En conséquence, il demandait au parquet d’İzmir de s’enquérir auprès de la cour d’assises de la suite donnée à l’affaire. Le 15 janvier 2009, l’administration pénitentiaire d’Urla informa la cour d’assises d’İzmir que le requérant n’était sous le coup d’aucune autre condamnation et qu’il devait bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle à partir du 24 janvier 2009. Par une lettre datée du 15 janvier 2009, le président de la cour d’assises d’İzmir transmit à la Cour de cassation les informations qui lui avaient été fournies au sujet de la mise en liberté conditionnelle du requérant. L’ordonnance d’exécution de la peine (müddetname) établie à cette date par le parquet retient comme date de libération conditionnelle le 24 janvier 2009. Le 24 janvier 2009, le requérant présenta, par l’entremise de son avocat, une demande de remise en liberté. Par ailleurs, le requérant soutient avoir adressé par télécopie à la Cour de cassation, le 26 janvier 2009, une demande de traitement prioritaire. Par un arrêt du 27 janvier 2009, la haute juridiction confirma la condamnation du coaccusé sur le pourvoi duquel elle avait omis de statuer. Elle précisa en outre qu’il y avait lieu de maintenir tel quel son arrêt du 10 juillet 2007. Le 30 janvier 2009, la cour d’assises d’İzmir demanda au parquet près la Cour de cassation de lui transmettre l’arrêt d’urgence, par télécopie, indiquant que, le 24 janvier 2009, le requérant avait effectué la durée de détention requise pour pouvoir bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle. Le 6 février 2009, le président de la cour d’assises adressa une lettre au parquet d’İzmir en réponse aux demandes présentées par le parquet et par l’administration pénitentiaire d’Urla. Il indiquait que la juridiction avait pris bonne note de ce que le requérant avait accompli la durée de détention requise pour pouvoir bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle, mais qu’aucune ordonnance de libération n’avait été prise à ce jour au motif que le dossier se trouvait toujours à la Cour de cassation. Il concluait qu’il y avait dès lors lieu d’attendre que la cour d’assises fût ressaisie de l’affaire. Le 9 février 2009, l’avocat du requérant présenta une nouvelle demande de libération conditionnelle à la cour d’assises. Il indiquait que le requérant avait fini de purger sa peine le 24 janvier 2009, qu’il n’était sous le coup d’aucune autre condamnation et qu’il était par conséquent détenu depuis quinze jours en dehors de toute base légale. Il affirmait en outre qu’il ne faisait aucun doute que le requérant, après une détention de cinq ans, se tiendrait à la disposition de la justice s’il devait être jugé pour les accusations de vol avec violences. Le 12 février 2009, la procédure reprit devant la cour d’assises d’İzmir au sujet des accusations de vol avec violences. À cette même date, à l’issue d’un examen sur dossier, les juges rendirent une ordonnance de maintien en détention provisoire du requérant, eu égard à la nature et à la gravité de l’infraction reprochée, et à la persistance du risque de fuite de l’intéressé. Par une ordonnance du 13 février 2009, la cour d’assises accorda au requérant le bénéfice de la liberté conditionnelle rétroactivement au 24 janvier 2009, précisant qu’il avait à cette date purgé la durée requise de sa peine et qu’il avait fait preuve de bonne conduite durant son incarcération. Lors de la première audience tenue après cassation le 30 avril 2009, la cour d’assises donna lecture de l’arrêt de cassation. Elle rappela que le requérant avait été condamné pour appartenance à une organisation illégale armée, que la sanction prononcée à cet égard était devenue définitive et que l’intéressé avait purgé sa peine. Elle indiqua que la période de détention provisoire qu’il avait subie avait été déduite de sa peine et qu’il était actuellement en détention provisoire exclusivement dans le cadre de la procédure relative aux accusations de vol avec violences. La cour d’assises entendit ensuite les déclarations des parties. Le requérant déclara qu’il avait été détenu pendant une durée supérieure à celle de la peine prononcée pour appartenance à une organisation illégale armée. Son avocat ajouta que l’ordonnance de détention incorporée à l’arrêt du 29 décembre 2005 concernait exclusivement l’infraction dont le requérant avait été reconnu coupable et qu’elle ne pouvait en aucun cas concerner les accusations de vol avec violences pour lesquelles son client avait bénéficié d’un acquittement. Dès lors, selon l’avocat, le surplus de détention subi par le requérant n’était pas couvert par ladite ordonnance. Dans l’ordonnance rendue à l’issue de l’audience, la cour d’assises précisa en réponse aux arguments du requérant que l’ordonnance de maintien en détention en lien avec les accusations de vol avec violences n’avait jamais été levée. Elle précisa par ailleurs que les périodes de détention antérieures au 24 janvier 2009 avaient été déduites de la peine prononcée le 29 décembre 2005. Prenant en compte la durée de la détention subie exclusivement en raison des accusations de vol avec violences, la nature de l’infraction reprochée et l’état des preuves, la cour d’assises considéra que le maintien de l’intéressé en détention provisoire s’imposait. Lors des audiences du 23 juillet 2009 et du 15 octobre 2009, la juridiction de première instance prolongea la détention provisoire pour des motifs similaires. Le 10 décembre 2009, elle reconnut le requérant coupable de vol avec violences. Elle le condamna à cinq ans d’emprisonnement sur le fondement des dispositions plus douces du nouveau code pénal. Considérant que la détention provisoire du requérant ne se justifiait plus, elle ordonna sa remise en liberté. L’arrêt fut à nouveau censuré par la Cour de cassation le 1er avril 2013 et l’affaire fut renvoyée en première instance. L’affaire est actuellement pendante devant la cour d’assises d’İzmir. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La libération conditionnelle pour bonne conduite L’article 108 § 1 de la loi no 5275 du 13 décembre 2004 relative à l’exécution des peines et des mesures préventives dispose que les récidivistes condamnés à titre définitif « peuvent » bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir purgé les trois quarts de leur peine, à condition qu’ils aient fait preuve de « bonne conduite » durant leur détention. L’article 89 de la même loi ainsi que l’article 133 du règlement no 2006/10218 du 20 mars 2006 relatif à l’administration des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines et des mesures préventives indique que le respect de la condition de « bonne conduite » est apprécié par le conseil administratif de l’établissement pénitentiaire où l’intéressé est détenu, après avis du conseil disciplinaire. Sont pris en compte à cet égard « le respect sincère des règles relatives à la protection de l’ordre et à la sécurité de l’établissement, la bonne foi dans l’usage des droits et la satisfaction à l’intégralité des obligations [des détenus] durant toute la période de détention ainsi que la capacité, acquise par le biais des programmes de réadaptation, à se réinsérer dans la société ». L’article 134 du règlement précise les cas dans lesquels une infraction disciplinaire empêche l’administration de prendre une « décision de bonne conduite » (iyi hal kararı). Les décisions prises par l’administration pénitentiaire, dont les décisions de bonne conduite, sont susceptibles de faire l’objet de recours devant le juge de l’exécution des peines. Enfin, aux termes de l’article 107 § 11 de la loi no 5275 : « Le rapport établi par l’administration pénitentiaire au sujet de la libération conditionnelle d’un condamné est transmis au tribunal ayant prononcé la condamnation ou, si l’intéressé est détenu dans un autre lieu, à un tribunal équivalent de ce lieu. Si le tribunal estime que le rapport est approprié, il ordonne la libération conditionnelle après examen sur pièce. Si le tribunal considère que le rapport n’est pas approprié, il en indique les motifs dans sa décision. Les décisions de refus peuvent l’objet d’un recours en opposition. » B. L’indemnisation en cas de détention d’une durée supérieure à la durée de la condamnation L’indemnisation en cas de détention d’une durée supérieure à la durée de la condamnation est prévue à l’article 141 § 1 f) du code de procédure pénale (CPP) en ces termes : « 1) Toute personne (...) f) qui a été condamnée à une peine inférieure à la durée de la détention provisoire ou de la garde à vue qu’il a subie (...) peut demander à l’Etat une indemnisation pour tous les préjudices matériels et moraux subis. » L’article 142 § 1 du CPP, relatif aux modalités de la demande d’indemnisation, dispose que : « L’indemnisation peut être demandée dans les trois mois suivant la notification à l’intéressé de la décision sur le fond ou du jugement définitifs ou, en tout état de cause, dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle la condamnation ou le jugement sont devenus définitifs. » S’agissant de la jurisprudence relative au recours en cas de détention d’une durée supérieure à celle de la peine prononcée, le Gouvernement a présenté plusieurs arrêts de la Cour de cassation, dont deux arrêts de la 12e chambre pénale du 17 décembre 2012 (E. 2012/20277 – K. 2012/27572) et du 3 janvier 2013 (E. 2012/24083 – K. 2013/1). L’arrêt du 17 décembre 2012 concernait un pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’assises de Bakırköy accordant une indemnité pour durée excessive de détention sur le fondement de l’article 141 § 1 f) du CPP. Le demandeur avait été détenu pendant quatre ans, un mois et neuf jours (soit 1 499 jours) alors qu’il avait finalement été condamné à trois ans, dix mois et sept jours d’emprisonnement. La cour d’assises avait décidé d’indemniser le préjudice à hauteur de trois mois et deux jours, soit la différence entre le quantum de la peine prononcée et la durée de détention subie. La Cour de cassation a constaté que le requérant avait effectivement été incarcéré trois mois et deux jours (soit 92 jours) de plus que la durée de la peine prononcée à son encontre. Elle a cependant considéré que la durée de la détention posant problème était bien plus élevée puisque, en vertu des dispositions concernant la libération conditionnelle de la loi relative à l’exécution des peines et eu égard à la bonne conduite de l’intéressé, la durée de la détention, une fois sa peine devenue définitive, aurait dû être de 559 jours. En d’autres termes, selon elle, le surplus de détention était non pas de 92, mais de 940 jours. Pour la Cour de cassation, la question à trancher était celle de savoir dans quelle mesure le demandeur était fondé à réclamer une indemnisation au motif que, si la procédure s’était achevée plus tôt et que, partant, sa condamnation était devenue définitive plus tôt, il aurait été détenu moins longtemps qu’il ne l’avait été. Le libellé de l’article 141 § 1 f) du CPP permettait seulement d’octroyer une indemnité pour la différence entre la durée de la détention subie et la durée de la peine prononcée sans prise en compte des dispositions relatives à la libération conditionnelle. Le texte, tel qu’il était formulé, n’envisageait pas la possibilité de demander réparation pour la durée de détention excédant celle que le demandeur aurait dû subir eu égard à la législation relative à l’exécution des peines et au bénéfice de la libération conditionnelle auquel il avait droit. La Cour de cassation a dès lors conclu que l’arrêt déféré était conforme aux formulations du CPP, ajoutant que, néanmoins, cette disposition devait être lue à la lumière de l’article 19 de la Constitution (intitulé « Liberté et sécurité de la personne »), de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour. Elle a estimé que, en vertu de l’article 5 § 3 de la Convention, le demandeur aurait dû être jugé dans un délai raisonnable ou libéré en cours de procédure. Si tel avait été le cas, l’intéressé n’aurait pas subi les 940 jours de détention en question. Il avait dès lors subi un préjudice en violation de ses droits découlant de la Convention. Partant, la haute juridiction a conclu que celui-ci devait être indemnisé. En conséquence, elle cassa l’arrêt déféré à sa censure. L’arrêt de la Cour de cassation du 3 janvier 2013 concernait une affaire similaire dans laquelle la haute juridiction avait suivi un raisonnement strictement identique. Dans ces deux affaires, les intéressés ont été libérés en 2007 et en 2008. C. L’indemnisation en cas de durée excessive de détention L’article 141 § 1 d) du code de procédure pénale prévoit la possibilité pour les personnes jugées alors qu’elles se trouvent en détention provisoire et n’ayant pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable de demander réparation du préjudice subi. La disposition se lit comme suit : « 1) (...) Toute personne (...) d) qui, même régulièrement placée en détention provisoire au cours de l’enquête ou du procès, n’a pas été traduite dans un délai raisonnable devant l’autorité de jugement et à l’égard de laquelle une décision sur le fond n’a pas été rendue dans un tel délai (...) peut demander à l’Etat une indemnisation pour tous les préjudices matériels et moraux subis. » L’article 142 du CPP dispose que l’introduction de la demande de réparation requiert une décision définitive sur le fond de l’affaire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1969 et réside à Brestovje, en Croatie. À l’époque des faits, le requérant était un employé du ministère de la Défense. En 2006, le ministère lui attribua un logement social, dans lequel il emménagea le 6 juin 2006. Le 3 août 2006, le ministère de la Défense demanda au conseil municipal de Chişinău de délivrer au requérant le bon d’attribution (ordin de repartiție) pour l’appartement en question. Le 5 janvier 2007, en l’absence de réponse de la part des autorités locales, le requérant introduisit une demande en justice pour l’obtention du bon susmentionné. Le 16 février 2007, le conseil municipal de Chişinău rejeta la demande du 3 août 2006. Le 15 mars 2007, la cour d’appel de Chişinău, saisie par le requérant, enjoignit au conseil municipal de Chişinău de lui délivrer le bon d’attribution pour l’appartement. Elle souligna que le requérant avait une ancienneté de travail dans l’armée supérieure à dix-huit ans et que ni lui ni sa famille ne détenaient d’autres immeubles à usage d’habitation dans leur propriété. Les juges ajoutèrent qu’à partir de quinze ans d’ancienneté dans l’armée et en l’absence d’autre logement, l’employé est en droit de privatiser l’habitation accordée. Le 13 juin 2007, la Cour suprême de justice confirma cet arrêt. Le 19 février 2009, le conseil municipal de Chişinău exécuta l’arrêt du 15 mars 2007. Le 31 mars 2011, le requérant envoya une déclaration écrite à l’huissier de justice, dans laquelle il déclarait n’avoir aucune prétention envers lui quant à l’exécution de l’arrêt susmentionné. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. L’exécution des décisions irrévocables Le droit moldave concernant l’exécution des décisions de justice irrévocables, tel qu’applicable à l’époque des faits, est résumé dans l’affaire Norma S.R.L. c. République de Moldova (no 38503/08, § 14, 3 novembre 2011). B. La privatisation des logements sociaux Quant à la privatisation des logements sociaux, les dispositions pertinentes peuvent se résumer comme suit : Le code des logements de la République de Moldova, du 3 juin 1983 Le code dispose que les citoyens moldaves sont habilités à jouir de la possession d’appartements appartenant à l’État, aux autorités municipales ou à d’autres organismes publics dans des conditions fixées par un bail. Certaines catégories d’individus « protégés » (handicapés, vétérans de guerre, victimes de Tchernobyl, policiers, militaires, etc.) ont droit à un traitement prioritaire pour ce qui est de l’attribution des logements. Toute décision d’attribution d’un logement se traduit par la remise à l’intéressé d’un bon d’attribution. Ce justificatif constitue la base légale l’habilitant à prendre possession de l’appartement qui s’y trouve mentionné et à signer le bail à conclure entre le locataire et l’autorité chargée de l’entretien des logements. Les membres de la famille du locataire (épouse, enfants, parents, personnes à charge handicapées et autres) ont en vertu du bail les mêmes droits et obligations que lui. Le locataire a le droit d’héberger d’autres personnes dans l’appartement. En cas de décès du locataire, un adulte de sa famille lui succède en tant que partie au bail. Les appartements sont attribués pour un usage permanent. Le locataire peut résilier le bail à tout moment avec l’accord des membres de sa famille. Il peut également sous-louer l’appartement. Le propriétaire peut mettre fin au bail pour les motifs prévus par la loi et sur la base d’une décision de justice. La loi sur la privatisation des habitations sociales, du 10 mars 1993 L’article 17 de cette loi se lit comme suit : « (...) les logements sociaux passent dans la propriété privée des : (...) militaires avec une durée de service d’au moins quinze ans » (...) La loi sur le statut des militaires, du 22 juillet 2005 L’article 21 prévoit que les militaires avec une ancienneté de quinze ans de service et plus bénéficient d’un logement social, avec la possibilité de le privatiser. Ce droit à la privatisation ne peut s’exercer que pour une seule habitation sociale.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1992 et réside à Chişinău. De son mariage avec T.A. naquit, le 24 janvier 2012, un fils (T.I.). Après la naissance de l’enfant, la famille s’installa dans la maison des beaux-parents de la requérante. La requérante allègue avoir été battue le 30 juin 2012 par son beau-père, qui lui aurait causé des lésions corporelles sans gravité. Le même jour, elle aurait été chassée de la maison. Depuis cette date, son conjoint, T.A., et ses beaux-parents ne lui permettent pas de voir son enfant. A. L’enquête concernant les allégations de mauvais traitements Le 4 juillet 2012, la requérante déposa auprès du parquet de Botanica (Chișinău) une plainte pour des mauvais traitements que lui aurait infligés son beau-père et pour enlèvement d’enfant. Le 5 juillet 2012, la procureure chargée de l’affaire envoya une copie de la plainte à la Direction de la protection des droits de l’enfant de Botanica (DPDEB), lui demandant de vérifier que le nourrisson ne se trouvait pas en danger. Le parquet procéda à une enquête et examina le certificat médical que la requérante avait produit pour prouver qu’elle présentait une ecchymose sur son bras. Le 23 août 2012, les représentants de la Direction municipale pour la protection des droits de l’enfant de Chișinău (DMPDEC), qui fait office d’autorité tutélaire pour la municipalité de Chișinău et pour la DPDEB, qui est une antenne de la DMPDEC, se rendirent au domicile de T.A., où résidaient également ses parents et son fils. Ils constatèrent que les conditions matérielles étaient satisfaisantes, que l’enfant disposait de tout ce dont un enfant de son âge aurait besoin et conclurent à l’absence de risque physique ou psychologique pour l’enfant. Le 3 octobre 2012, la procureure chargée de l’affaire rejeta la plainte du 4 juillet 2012, au motif que le beau-père de la requérante n’avait pas commis d’infraction à l’encontre de celle-ci. Une copie du dossier avait été adressée à la police aux fins de déterminer si le beau-père de la requérante pouvait être poursuivi pour contravention. La requérante contesta le refus du parquet devant le juge d’instruction, réitérant son grief relatif à l’enlèvement de son enfant et aux violences domestiques qui lui auraient été infligées par le beau-père. Le 28 décembre 2012, le juge d’instruction accueillit sa demande au motif que le procureur n’avait pas recueilli les explications du beau-père sur ce qui s’était passé et renvoya le dossier pour réexamen devant le parquet. Le 31 janvier 2013, le parquet classa la procédure sans suite. La procureure chargée de l’affaire estima en effet que les litiges portant sur les enlèvements d’enfants relevaient du droit civil et que, pour ce qui concernait les allégations de violences domestiques, compte tenu des déclarations de la victime et des expertises médicales, les faits n’étaient pas constitutifs d’une infraction. La requérante se pourvut en recours. Le 19 mars 2013, le juge d’instruction accueillit le recours de la requérante et renvoya l’affaire pour réexamen devant le parquet. La requérante n’a pas informé la Cour du déroulement ultérieur de cette procédure. B. Les actions de la requérante contre son conjoint en vue d’obtenir l’accès à son enfant La requérante déposa plusieurs plaintes contre son conjoint auprès de la police, du parquet et de l’autorité pour la protection des droits de l’enfant (les 3, 4, 22 et 30 juillet 2012, les 8 et 30 août 2012, le 2 septembre 2012, les 6, 13 et 14 novembre 2012, entre autres), aux fins d’obtenir le droit de voir son fils. Suite à des décisions du parquet du 17 septembre 2012 et des 3 et 16 octobre 2012, T.A. acquitta trois amendes contraventionnelles de 100 lei moldaves (MDL) chacune, soit 6 euros, à raison de son refus de permettre à la requérante de voir l’enfant. Le 11 octobre 2012, la police lui donna également un avertissement verbal. Le 15 novembre 2012, la DMPDEC convoqua les deux parents à un entretien pour examiner la situation de l’enfant. Seule la requérante se présenta à cette réunion. Le 22 novembre 2012, la DPDEB rendit une décision dans laquelle elle estimait souhaitable, compte tenu de son âge, que l’enfant habitât avec sa mère. Cette décision établissait en outre un horaire de visites au rythme de deux rencontres par jour. Elle ne fut pas respectée par T.A., qui s’opposa à tout contact entre la requérante et leur fils. Le 22 janvier 2013, la police constata à nouveau le refus de T.A. de permettre à la requérante de voir l’enfant, dressa un procès-verbal contraventionnel et envoya l’affaire devant le parquet. Le parquet décida de classer cette affaire sans suite en raison du non-respect par la police de la procédure contraventionnelle. Le 24 janvier 2013, la DPDEB fut informée que T.I. était régulièrement amené pour les visites médicales obligatoires à l’hôpital de secteur par son père ou par sa grand-mère paternelle. Le 13 mars 2013, les représentants des DMPDEC et DPDEB se rendirent une nouvelle fois au domicile de T.A. Ils constatèrent que T.A. et l’enfant n’y habitaient plus. Le 5 décembre 2013, DPDEB établit un nouvel horaire de visites pour la requérante. Entre novembre 2013 et février 2014, la requérante avait déposé de nombreuses plaintes auprès de la police, le parquet et la DMPDEC, se plaignant du refus du père de lui permettre de voir son enfant et de respecter l’horaire de visites du 5 décembre 2013. Le 26 février 2014, le parquet informa la requérante de l’ouverture d’une procédure contraventionnelle à l’encontre de T.A., pour son opposition à tout contact entre elle et son enfant. C. La procédure de divorce et l’attribution du droit de garde Le 14 septembre 2012, la requérante demanda le divorce et la fixation de la résidence de l’enfant auprès d’elle. Le 30 octobre 2012, le tribunal de première instance de Botanica (Chișinău) rejeta, par un jugement avant dire droit, la demande de fixation immédiate de la résidence de l’enfant auprès de sa mère. La requérante déposa un recours qui fut accueilli le 19 février 2013 par la cour d’appel de Chișinău. L’instance établit la résidence de l’enfant auprès de sa mère jusqu’au jugement sur le fond. Le 8 juillet 2013, le tribunal de Botanica prononça la dissolution du mariage et confia la garde de l’enfant à la requérante. Le père interjeta appel contre cette décision. Le 19 novembre 2013, la cour d’appel de Chișinău accueillit l’appel de T.A. Les juges changèrent le droit de garde de l’enfant en sa faveur et octroyèrent 20 000 lei moldaves à la requérante, pour le préjudice moral causé par la non-exécution du jugement du 19 février 2013. La requérante et T.A. se pourvurent en recours contre cette décision. Le 21 mai 2014, la Cour suprême de justice accueillit les recours et renvoya l’affaire pour un nouveau jugement sur le fond devant la cour d’appel de Chișinău. À ce jour, la procédure est toujours pendante. D. Les démarches menées par la requérante pour faire exécuter son droit de garde Entre-temps, le 20 février 2013, la requérante avait demandé l’assistance de la police pour la passation immédiate de l’enfant. L’issue de la demande n’est pas connue. Le 25 février 2013, l’huissier de justice engagea la procédure d’exécution du jugement rendu le 19 février 2013. Une copie du document exécutoire fut transmise à la DPDEB et au commissariat de police de Botanica (Chișinău). Le même jour, l’huissier se rendit au domicile du conjoint de la requérante, où un représentant de T.A. et le père de celui-ci déclarèrent d’abord qu’ils souhaitaient exécuter la décision de justice de leur propre gré pour finalement refuser de le faire. L’exécution fut établie de nouveau pour le 27 février 2013. L’huissier de justice informa les parties et requit la présence de T.A. ou de son représentant. Lors du déplacement au domicile de T.A., l’huissier de justice constata que le jugement en cause ne pouvait être exécuté en l’absence du père de l’enfant. Le 28 février 2013, il demanda au juge la permission de pénétrer dans la maison de T.A. par la force aux fins de prendre l’enfant et de le rendre à sa mère. Le 12 mars 2013, l’huissier de justice dressa un procès-verbal pour refus de T.A. d’exécuter ses demandes. Le 14 mars 2013, la requérante déposa une plainte pénale à l’encontre de T.A. au motif que celui-ci faisait obstacle à l’exécution d’une décision judiciaire. À une date non spécifiée, l’huissier de justice demanda au juge de lancer un avis de recherche à l’encontre de T.A., et de l’enfant. Il indiqua qu’il n’était pas sûr que T.A. demeurât à son domicile habituel et que la requérante avait mentionné plusieurs adresses auxquelles ils pourraient se trouver, dont l’une en dehors de Chișinău. Le 19 avril 2013, le tribunal de première instance de Buiucani (Chișinău) accueillit partiellement cette demande et lança un avis de recherche national de T.A. Le juge rejeta la partie de la requête concernant T.I., au motif que les dispositions légales ne permettaient pas de rechercher un mineur pendant la procédure d’exécution d’une décision judiciaire. Le 5 mai 2013, T.A. se vit infliger une amende contraventionnelle pour cause de refus de se conformer au jugement du 19 février 2013. Le 5 juin 2013, le parquet accueillit la plainte de la requérante du 14 mars 2013 et intenta un procès pénal à T.A. pour non-respect d’une décision de justice, à savoir le jugement avant dire droit du 19 février 2013. L’issue de cette procédure n’est pas connue. D’après les informations dont dispose la Cour, la requérante n’a pas pu voir son enfant depuis le 30 juin 2012. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code de la famille du 26 octobre 2000 L’article 63 du code de la famille prévoit que, lorsque les parents vivent séparés, la résidence de l’enfant mineur est déterminée par eux d’un commun accord. En l’absence d’un tel accord, la résidence est établie par l’instance judiciaire, qui doit demander également l’avis de l’autorité tutélaire. L’article 64 du code de la famille se lit comme suit : « 1. Le parent qui vit avec l’enfant n’a pas le droit d’empêcher le contact entre l’enfant et l’autre parent qui ne vit pas avec lui, sauf lorsque le comportement de ce dernier est préjudiciable aux intérêts de l’enfant ou présente un danger pour son état physique et psychique. Les parents peuvent conclure un accord concernant les droits parentaux de celui d’entre eux qui ne vit pas avec l’enfant. Les litiges sont tranchés par l’autorité tutélaire, dont la décision peut être contestée devant les instances judiciaires. Le parent qui se rend coupable de non-respect de la décision judiciaire est puni (...). En cas de récidive et à la demande du parent qui ne vit pas avec l’enfant, l’instance judiciaire peut modifier l’attribution du droit de garde. (...) » B. Le code contraventionnel du 24 octobre 2008 Selon l’article 64 du code contraventionnel, le fait d’empêcher un parent de communiquer avec son enfant ou de prendre part à son éducation est puni d’une amende contraventionnelle d’un montant maximal de 400 MDL, soit 25 EUR. L’article 318 du code prévoit qu’une personne qui refuse d’exécuter une décision de justice est passible d’une amende de 3 000 MDL maximum. C. Le code pénal du 18 avril 2002 L’article 320 du code pénal énonce que le refus d’exécuter une décision de justice, intervenu après la sanction contraventionnelle infligée pour les mêmes faits, est passible d’une amende de 6 000 MDL maximum ou d’une peine consistant en un travail d’intérêt général de 150 à 200 heures ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximum de deux ans. D. Le code de l’exécution du 24 décembre 2004 L’article 22 du code de l’exécution prévoit notamment que l’huissier de justice peut, entre autres : emmener les personnes et saisir les biens mentionnés dans le document exécutoire ; bénéficier de l’assistance des pouvoirs publics ; émettre des avis de recherche de la personne visée par le jugement d’exécution, et immobiliser, fouiller et saisir son véhicule. Selon l’article 154, les décisions judiciaires concernant la passation d’un enfant sont exécutées par l’huissier, avec la participation de la personne qui s’est vu attribuer la garde de l’enfant et en présence des agents des services sociaux. Si la personne visée par la décision judiciaire en empêche l’exécution, l’huissier de justice dresse un procès-verbal, et demande au tribunal ayant rendu la décision d’établir les modalités de l’exécution et de sanctionner l’intéressé. Si nécessaire, l’huissier peut saisir le tribunal d’une demande en placement de l’enfant dans une institution publique pour enfants. E. Le code de procédure civile du 30 mai 2003 L’article 178 du code prévoit que le jugement avant dire droit autorisant une mesure conservatoire (asigurare a acțiunii), est d’exécution immédiate, dans l’ordre établi pour l’exécution des décisions de justice.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, relèvent du même contexte historique et concernent la même procédure interne que l’arrêt Association « 21 Décembre 1989 » et autres c. Roumanie (nos 33810/07 et 18817/08, §§ 12-41, 24 mai 2011). Les requérants ont participé aux manifestations contre le régime communiste qui ont eu lieu entre le 21 et le 23 décembre 1989 à Bucarest et dans d’autres villes du pays et qui ont abouti à la chute du régime communiste. Au cours de l’année 1990, après la mort du dictateur et la chute du régime, le parquet militaire ouvrit d’office une enquête concernant la répression armée des manifestations dans les villes de Bucarest, Timişoara, Oradea, Constanţa, Craiova, Bacău, Târgu-Mureş et Cluj. Il ressort des documents du dossier que tous les requérants de la présente affaire furent entendus par les organes d’enquête en tant que témoins au sujet de la répression armée des manifestations. Par la suite, ils ont déposé des plaintes pénales avec constitution de partie civile, se plaignant de la terreur subie lors de la répression armée des manifestations auxquelles ils ont participé (voir tableau en annexe). Les attestations médicales versées au dossier d’enquête interne, établies entre septembre et novembre 2008, indiquent qu’à la date de l’examen, les requérants ne présentaient plus de symptômes pouvant mener à un diagnostic de traumatisme, mais que, compte tenu du caractère tragique des événements auxquels ils avaient participé, il n’était pas exclu qu’ils aient subi des traumatismes au moment où ces événements s’étaient produits. L’enquête s’acheva, pour ce qui est de la répression à Timişoara, par un renvoi en jugement et par la condamnation de certains hauts responsables du régime communiste (Şandru et autres c. Roumanie, no 22465/03, §§ 647, 8 décembre 2009). Pour ce qui est de la répression dans les autres villes, l’enquête est toujours pendante devant les organes d’investigation. Les principales étapes de l’enquête sont résumées dans l’affaire Association « 21 Décembre 1989 » et autres, précitée (§§ 12-41). Par la suite, l’enquête connut les développements suivants. Par une ordonnance du 18 octobre 2010, le parquet militaire près la Haute Cour de cassation et de justice (« HCCJ ») rendit un non-lieu dans la procédure concernant les militaires mis en examen, pour cause de prescription et de défaut de fondement. L’enquête concernant les gardes patriotiques, les policiers et le personnel pénitentiaire mis en examen fut disjointe et le parquet militaire déclina sa compétence en faveur du parquet près la HCCJ. Le 15 avril 2011, le procureur en chef du parquet militaire près la HCCJ annula l’ordonnance du 18 octobre 2010, au motif que l’enquête n’était pas finalisée, en ce qu’elle n’avait pas permis d’identifier l’ensemble des victimes et des auteurs des faits reprochés. Par une ordonnance du 18 avril 2011, le parquet militaire déclina sa compétence en faveur du parquet près la HCCJ, au motif que l’enquête devait porter sur l’éventuel lien entre les civils et les militaires dans la commission des faits. Le 9 mars 2012, à la suite de l’ouverture au public en 2010 d’informations jusqu’alors classées secrètes, l’enquête se vit attribuer un nouveau numéro de dossier dans l’optique de pouvoir réévaluer les faits à la lumière des informations nouvellement disponibles. L’enquête serait toujours pendante devant les autorités chargées de l’enquête.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants Micheline Guerdner, Johanna Guerdner, Tyson Guerdner, Célia Guerdner, Marie Guerdner, Rose Guerdner, Christophe Guerdner, Mauricette Schatz, Françoise Schatz, Jimmy Chabaud, Catherine Gimenez et Victoria Guerdner (voir annexe), sont tous membres de la famille de Joseph Guerdner, né en 1982 et issu de la communauté des gens du voyage, tué par un gendarme alors qu’il tentait de s’évader des locaux dans lesquels il était placé en garde à vue. A. L’interpellation de Joseph Guerdner, son placement en garde à vue et son évasion Le 22 mai 2008, Joseph Guerdner était interpellé à 14 h 15 et placé en garde à vue dans les locaux de la compagnie de gendarmerie de Brignoles alors qu’il venait pointer au titre du contrôle judiciaire auquel il était astreint depuis juillet 2006 dans le cadre d’une procédure pour tentative de vol. Cette interpellation faisait suite à une enquête pour des faits de vol à main armée en bande organisée avec enlèvement et séquestration, et qui montrait que Joseph Guerdner était impliqué dans la commission de cette infraction. Saisie conjointement de l’enquête relative à ce vol, la brigade de recherches de Draguignan et la section de recherches de Marseille, agissant sur commission rogatoire, avaient décidé de procéder à son interpellation, en procédant préalablement à son environnement. Ils apprirent à cette occasion que Joseph Guerdner avait fait l’objet de multiples procédures depuis 1996 pour des faits de vol et de violences. Conscients de sa dangerosité potentielle, les enquêteurs décidèrent de l’appréhender en limitant les risques. Une patrouille composée de deux gendarmes de la section de recherches de Marseille, X.M. et S.H., se déplaça dans les locaux de la gendarmerie de Brignoles où l’individu fut interpellé et elle avisa immédiatement les collègues de la brigade de recherches de Draguignan, C.M. et J.D.D., qui les rejoignirent sur les lieux. Dans le même temps, une perquisition à l’intérieur du véhicule à bord duquel Joseph Guerdner était venu jusqu’à la gendarmerie permit de découvrir un morceau de résine de cannabis et un pistolet de calibre 45 ACP. A cette occasion, le gendarme J.D.D. précisa avoir été frappé par le comportement de Joseph Guerdner qui observait les faits et gestes de ses collègues autour de lui, permettant de penser que l’intéressé était susceptible de vouloir s’évader. Compte tenu de ce comportement, il fut décidé que les gendarmes S.H., C.M. et X.M. le ramèneraient à Draguignan où devait se poursuivre la garde à vue, ce qu’ils firent aux alentours de 17 h 30. Compte tenu de l’attitude de l’intéressé, et en vue de limiter les risques d’évasion, les gendarmes décidèrent, en plus des menottes qu’il portait aux poignets, de lui passer une menotte au-dessus de la cheville droite, au niveau du tendon d’Achille de manière à gêner la marche. Pendant les interrogatoires, cette menotte passée à la cheville fut reliée à un anneau fixé au mur du bureau. Au cours de sa garde à vue, le requérant fut autorisé à plusieurs reprises à fumer une cigarette, dans une cage d’escalier, devant une fenêtre située à quatre mètres soixante du sol et en présence de deux gendarmes afin de minimiser les risques d’évasion. Le 23 mai 2008, à 21 h 30, alors que la dernière audition du requérant venait de se terminer, celui-ci demanda l’autorisation de fumer une cigarette. Le gendarme C.M., en tenue civile, accéda à sa demande et l’accompagna alors qu’il était toujours menotté. A 21 h 40, alors que la lumière du couloir s’éteignit, le gendarme se dirigea à reculons vers l’interrupteur pour rallumer la minuterie tandis que Joseph Guerdner ouvrit la fenêtre puis sauta à l’extérieur dans le vide. C.M. s’empara alors de son arme et tira à trois reprises en direction du fuyard. Celui-ci chuta et, se relevant, poursuivit sa course en direction d’une institution religieuse mitoyenne avec la gendarmerie. C.M. tira à nouveau en direction de Joseph Guerdner qui sauta par-dessus un grillage de deux mètres de haut, arriva dans le parc de l’école religieuse et escalada un arbre. Alertés par les coups de feu, les militaires présents dans la gendarmerie se rendirent dans le parc en question, certains d’entre eux, notamment S.H. et P.D., se lancèrent avec C.M. à la poursuite de Joseph Guerdner. Ils entendirent un bruit provenant d’un arbre puis la chute d’un corps sur le sol. Le requérant décéda des suites de ses blessures par balle après avoir reçu en vain les gestes de premiers secours. Son décès fut constaté à 22 h 50. B. Les investigations avant et après l’ouverture d’une information par le procureur de la République Une enquête fut immédiatement ouverte. Le procureur de la République se transporta sur les lieux et saisit les services de l’inspection technique de la Gendarmerie nationale (paragraphe 41 ci-dessous), par un appel téléphonique à 23 h 24. Cependant, le temps que ces services situés en région parisienne se rendent sur place, le procureur sollicita le transport de militaires de la section de recherches de Marseille pour réaliser les premières constatations en vue de la protection des traces et des indices et les premières auditions. Un médecin légiste près le tribunal de grande instance de Draguignan établit les premières constatations médico-légales. Le 24 mai 2008, C.M. fut placé en garde à vue et interrogé par un officier de la gendarmerie de la section de recherche de Marseille. Lors de son premier interrogatoire, le 24 mai, à 0 h 15, il déclara ce qui suit : « (...) la minuterie s’est éteinte. Nous nous sommes retrouvés dans le noir avec uniquement la luminosité des lampadaires extérieurs. Immédiatement j’ai ressenti que Guerdner allait faire un coup (...). Je suis en haut des escaliers sur le palier. J’ai du mal à trouver l’interrupteur afin de rallumer le couloir et je me tourne une fraction de secondes pour allumer ce couloir. (...) Il se recroqueville sur lui-même et se jette dans le vide, en avant sur la gauche. Je me précipite vers la fenêtre mais je n’ai pas le temps de l’attraper. Je monte à mon tour sur le rebord de la fenêtre pour sauter comme lui. Je me rends compte que la hauteur est importante et je me ravise. Je vois alors Guerdner dans les escaliers extérieurs. Il me semble qu’il est couché ou à moitié allongé (...). Je crie immédiatement et fortement : « il se barre ! ». Il se relève assez rapidement. Il passe devant un véhicule fourgon de gendarmerie stationné à gauche et face aux escaliers (...). Je tire à une première reprise alors qu’il se dirige vers la droite en direction du grillage délimitant l’enceinte militaire avec l’école religieuse. Guerdner poursuit sa fuite. Je tire une seconde fois, voire une troisième fois dans sa direction. Là j’ai l’image qu’il chute sur le sol. A ce moment-là, je lui crie « Arrête ». Il se relève. Je fais à nouveau usage de mon arme à deux ou trois reprises mais Guerdner poursuit sa fuite. Arrivé à l’angle du bâtiment de familles, il tourne à gauche et se dirige vers l’arrière de la caserne. Je le perds de vue. Au total je pense avoir tiré six balles. Je descends immédiatement les escaliers. Je crie « Evasion ». Je sors du bâtiment. Je vais dans la même direction que lui. Il fait noir. Je ne le vois pas. Le MDL/chef R. de la brigade territoriale qui se trouvait chez lui me crie de son balcon : « il a sauté le grillage (...) ». Le même jour, à 11 h 15, l’officier de police judiciaire ayant compétence nationale affecté au bureau des enquêtes judiciaires de l’inspection technique de la Gendarmerie nationale s’entretint avec le procureur de la République à l’occasion de sa présence dans les locaux de la caserne. Au cours de son second interrogatoire, réalisé à 13 h 30 par cet officier, C.M. fut invité à relire le procès-verbal de sa première audition et à le compléter. Il précisa à ce moment-là vouloir ajouter à sa déposition, après « il passe devant un véhicule fourgon gendarmerie stationné à gauche et face aux escaliers », la phrase suivante : « après avoir effectué une sommation « Arrête ou je tire », j’arme sur mon pistolet de service » ; après « Guerdner poursuit sa fuite », il ajouta : « comme il continue à s’enfuir malgré les sommations et [le] premier tir, je tire une seconde fois, voire une troisième fois ». Il précisa également qu’à chaque tir, il avait visé les jambes ou en tout cas la partie inférieure du corps, cherchant à empêcher Joseph Guerdner de fuir, sans avoir l’intention de le tuer. Le même jour, C.M. fut interrogé par les mêmes services à 17 heures et à 20 h 30, ainsi que le 25 mai à 8 heures. Au cours de ces interrogatoires, il indiqua qu’à chacun des tirs, Joseph Guerdner était en mouvement, tentant de s’enfuir, et qu’il avait agi conformément à la loi. A la question de savoir s’il pouvait le voir à chacun de ses tirs, le gendarme répondit positivement et précisa qu’« il faut dire quand même qu’il faisait sombre en tout état de cause j’ai au moins vu sa silhouette ». A la question de savoir pourquoi, compte tenu de la dangerosité de Joseph Guerdner dont il avait fait état dans ses déclarations, il était seul pour l’accompagner fumer une cigarette, il répondit comme ceci : « comme je vous l’ai dit, j’étais sûr qu’un de mes collègues allait me suivre lorsque je suis parti avec Guerdner pour lui faire fumer une cigarette. Je ne pensais pas me retrouver seul avec lui ». Il conclut qu’il avait agi en réplique à une évasion caractérisée d’un individu déterminé et dangereux, en précisant qu’il avait encore fallu le maîtriser lors de son arrestation dans le bosquet : « (...) si dans de telles circonstances, l’évasion n’est pas caractérisée il faut tout simplement que le code de la Défense soit abrogé ou réformé ; enfin que ce serait-il passé si pour finir il avait pris en otage une personne et attenté à sa vie ? Ni moi ni la gendarmerie n’en serait sortie grandis (...) ». Les 24 et 25 mai 2008, plusieurs gendarmes présents au moment des faits furent interrogés. a) J.D.D. « (...) J’ai entendu parler à voix forte, comme si quelqu’un criait ou interpellait quelqu’un d’autre, mais je n’ai pas compris ce qui se disait (...) j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait de jeunes gendarmes adjoints qui chahutaient et qui claquaient des portes, puis immédiatement après une succession d’environ cinq claquements, qui provenaient de la cage d’escalier ; Vu la rapidité de ces claquements, j’ai compris qu’il s’agissait de coups de feu et je me suis dirigé en courant jusque dans les bureaux de la brigade de recherche et j’ai constaté l’absence du gardé à vue et des gendarmes S.H. et C.M. ; j’ai compris qu’il y avait eu un problème dans la cage d’escalier (...) je suis descendu jusqu’à l’arrière du bâtiment (...) ». Sous un arbre, je constate Guerdner au sol se débattant maintenu par le gendarme H. et un gendarme adjoint du P.S.I.G. (...) Lorsque les pompiers sont arrivés j’ai ôté les menottes à la cheville droite, quelqu’un a voulu détacher les objets de sûreté du poignet, il y est arrivé pour le poignet gauche mais pas pour le poignet droit car elle était tordue et ne coulissait plus (...). C.M. a crié après Guerdner, je ne sais plus les propos mais c’était de s’arrêter et de ne pas s’évader. D’après ce que me disait C.M. sans que je puisse dire mot à mot, il a essayé en criant de le dissuader de s’enfuir et de s’arrêter. C.M. m’a dit que Guerdner ne l’avait pas écouté et qu’il était parti en courant et c’est là qu’il a fait usage de son arme. » b) X.M. Directeur de l’enquête dans le dossier du vol à main armée en bande organisée (paragraphe 6 ci-dessus), il expliqua que des mesures avaient été prises dès l’arrestation de Joseph Guerdner, qu’il avait décidé que trois gendarmes s’occuperaient de la garde à vue, et qu’il était présent dans les locaux tout au long de celle-ci. Il ajouta que pendant qu’il était en train de retranscrire une écoute, et alors que le gendarme S.H. venait de lui annoncer la fin de l’audition de Joseph Guerdner pour la nuit, il avait entendu plusieurs déflagrations et qu’il n’avait pas entendu crier le gendarme M. car il avait un casque sur les oreilles. Sur les mesures prises après le décès, il indiqua qu’il avait avisé tous ses supérieurs hiérarchiques et qu’il avait eu son commandant en ligne, lequel lui avait demandé de procéder au gel du lieu de la découverte de Joseph Guerdner et des lieux de l’usage de l’arme. c) S.H. Elle indiqua qu’en arrivant près du buisson où s’était arrêté Joseph Guerdner, elle avait entendu dire « je suis là, ne tirez pas » puis lui avait donné l’ordre de sortir mais qu’il n’arrivait pas à sortir. Elle expliqua que C.M. arriva assez vite, qu’il disait que Joseph Guerdner était blessé et qu’il fallait appeler un médecin. Elle poursuivit comme suit : « (...) moi je ne savais pas ce qu’il avait, on ne voyait rien. A aucun moment je n’ai pensé qu’il avait été blessé par balle, j’ai pensé que les tirs de C.M. étaient pour nous alerter ; de plus comme il avait sauté de la fenêtre je n’aurai jamais cru qu’il avait reçu une balle (...) j’ai cru qu’il était tombé de l’arbre et qu’il s’était blessé pendant sa chute ». d) V.T. Présente dans la gendarmerie alors qu’elle venait de finir le message de départ en patrouille dans la salle radio, elle se rendit à l’endroit où Joseph Guerdner fut retrouvé par ses collègues. Elle expliqua qu’il avait des menottes aux poignets et aux pieds. Elle déclara : « (...) lorsque les pompiers ont retourné Joseph Guerdner, j’ai vu qu’il avait les deux pieds entravés, j’ai dit au GAV D. de lui ôter les menottes. Les deux pieds étaient bien entravés par des menottes, de toute manière le médecin légiste pourra confirmer si Joseph a des traces aux deux chevilles. Je ne sais pas s’il avait ces menottes lors de sa fuite ou si ces menottes lui ont été mises par la suite ». Un gendarme habitant dans la caserne, C.R., déclara que, après les détonations, il était sorti de son balcon et avait vu Joseph Guerdner « passer la clôture telle une gazelle ». Le 25 mai 2008, à l’issue de la garde à vue de C.M., le procureur de la République requit à son encontre l’ouverture d’une information du chef d’homicide volontaire ainsi que son placement sous mandat de dépôt. Toutefois, à l’issue du premier interrogatoire, les deux juges d’instruction co-saisis du tribunal de grande instance de Draguignan requalifièrent les faits reprochés au gendarme et lui notifièrent sa mise en examen du chef de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Au cours de cet interrogatoire, C.M. précisa que c’était la première fois qu’il s’était servi de son arme depuis le début de sa carrière. Il indiqua de manière précise sa connaissance des instructions relatives à l’usage des armes à feu et précisa que, avec le recul, il aurait pu crier et descendre, mais qu’au moment des faits, il pensait qu’il faudrait trop de temps. Le même jour, C.M. fut suspendu de ses fonctions à titre conservatoire. Le 27 mai 2008, une autopsie du cadavre de Joseph Guerdner fut réalisée. Les conclusions du rapport d’autopsie sont ainsi libellées : « L’examen et l’autopsie mettent en évidence trois systèmes lésionnels par projectiles d’arme à feu dont un seul est à l’origine du décès : - un, thoracique droit, avec entrée dorsale entre la 9e et 10e côte et sortie en région bas-thoracique antérieure entre la 6e et la 7e côte entraînant lors de son trajet des perforations pulmonaires et hépatiques, responsables d’une déplétion sanguine massive extériorisée. - un, intéressant l’épaule gauche (...) sans doute associé à une plaie du lobule de l’oreille gauche ; - un, intéressant la région deltoïdienne (...) Par ailleurs, trois autres lésions traumatiques récentes sont présentes : une plaie à bords francs au dos du poignet droit pouvant être secondaire au port de la menotte et associé à une contusion du massif carpien ; une luxation du pouce gauche, une série de micro-ecchymoses, disposée irrégulièrement autour de la cheville droite pouvant être en rapport avec une contention. » Des prélèvements toxicologiques effectués immédiatement après l’incident indiquèrent que Joseph Guerdner était un consommateur habituel de cannabis et que C.M. avait uniquement des traces de paracétamol dans le sang. En juin et juillet 2008, les officiers de police judiciaire de l’inspection technique, sur commission rogatoire du juge d’instruction, interrogèrent plusieurs témoins. Le gendarme B.D., présent dans la gendarmerie le 23 mai 2008 pour prendre son armement et son matériel afin d’effectuer un service de nuit (avec quatre autres gendarmes), et s’étant rendu sur les lieux de l’arrestation de Joseph Guerdner, indiqua que ce dernier avait une paire de menottes aux deux mains et une attachée à une cheville, l’autre étant dans le vide. Il expliqua avoir enlevé la menotte autour de la cheville sans savoir ce qu’il en avait fait après. J.D.D fut de nouveau interrogé. Sur la demande de précision des critères de dangerosité pris en considération au titre de la garde à vue de Joseph Guerdner, il répondit que l’environnement de celui-ci avait été fait par les militaires de la section de recherches de Marseille, qu’il s’était rendu compte lui-même de son passé judiciaire par la base de la gendarmerie Judex et qu’il avait appris qu’il était sous contrôle judiciaire par les gendarmes de Marseille. Il indiqua qu’il avait été convenu que pour la garde à vue, plusieurs gendarmes seraient là afin d’éviter les incidents. Il précisa par ailleurs que « (...) étant donné que c’était une garde à vue de gitan, nous savons pertinemment que ce sont des gens dont il faut se méfier non seulement au titre d’une évasion mais aussi au titre de notre propre sécurité. C’est pour cela qu’il était menotté en permanence et dans les bureaux, il était enchaîné à un anneau au sol à l’aide d’une seconde paire de menottes ». Il conclut comme ceci : « Pour ma part, le gendarme C. avait effectué son travail dans les règles. Il n’avait aucun autre moyen d’empêcher l’évasion de ce criminel. En effet, une évasion réussie aurait été catastrophique de par la dangerosité de cet individu dans une caserne avec des familles et des enfants et à côté d’une école religieuse, sans compter les conséquences sur le dossier en cours, ou encore un auteur de la communauté gitane doit être interpellé et la moitié des objets volés restant à découvrir ». Le gendarme S.H. fut également réinterrogée. Elle affirma que son collègue avait agi dans le strict respect de la loi. Le commandant de la brigade de recherche de Draguignan par suppléance, T.B., interrogé également le 10 juin 2008, indiqua que C.M. n’avait pas d’autre solution que de faire usage de son arme pour inciter Joseph Guerdner à reconsidérer sa fuite car il était dangereux, au regard de ses antécédents, et parce qu’il s’enfuyait dans une caserne, à proximité d’une institution religieuse, où la prise d’otage n’était pas exclue. Le commandant de la brigade de recherche et le commandant de la compagnie de gendarmerie départementale furent auditionnés, en particulier sur la formation de leurs personnels relative à l’usage des armes à feu (paragraphe 24 ci-dessous). Le premier témoigna des mesures de sûreté prises dans le cadre de la garde à vue : « (...) lors des auditions des personnes en garde à vue, l’emploi des objets de sûreté est systématique. Il est arrivé en fonction de la dangerosité des individus ou de leur capacité à prendre la fuite, que nous les entravions sur une cheville avec deux menottes que nous inversons afin que cela provoque une action sur le tendon d’Achille afin qu’il y ait une gêne dans la démarche. C’était le cas pour ce qui concerne Joseph Guerdner ». Le 3 juin 2008, un procès-verbal de renseignement sur l’éclairage de la cour de la gendarmerie fut dressé. Celui-ci informa que le 28 mai 2008, une société avait procédé à des changements d’ampoules et à un contrôle de l’éclairage extérieur de la caserne, cette intervention faisant suite à des lampadaires défaillants. L’officier en charge de la commission rogatoire indiqua que le 23 mai 2008, jour des faits, sur les trois lampadaires situés le long de la clôture de séparation avec l’institution religieuse, celui qui se trouve le plus près du portail d’entrée fonctionnait par intermittence et les deux autres ne fonctionnaient pas. En revanche, les lampadaires implantés à l’angle des bâtiments ainsi que les deux se trouvant à l’entrée de la cour de service fonctionnaient. Le 12 juin 2008, un expert en armes et munition près la cour d’appel de Paris rendit un premier rapport d’étape, basé sur l’autopsie. Le 23 juin 2008, les requérants introduisirent auprès de la Cour de cassation une requête tendant au renvoi, pour cause de suspicion légitime, devant une autre juridiction du même ordre, de la connaissance de la procédure suivie contre le gendarme devant le juge d’instruction de Draguignan. Ils firent valoir que C.M. était en poste à Draguignan depuis de longues années, qu’il y avait dirigé de nombreuses enquêtes et que dans ce cadre, il entretenait des relations avec les membres du parquet et les juges d’instruction de Draguignan. Le 4 juillet 2008, une reconstitution fut organisée dans les mêmes conditions de luminosité qu’au moment des faits. Par un arrêt du 8 juillet 2008, notifié le 18 septembre 2008, la Cour de cassation rejeta la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime. Le 12 août 2008, les officiers de police judiciaire de l’inspection technique de la Gendarmerie nationale transmirent aux juges d’instruction un procès-verbal de synthèse de l’enquête. Concernant la formation sur l’usage des armes faite aux gendarmes et suivie par C.M. en particulier, il ressort du procès-verbal qu’une note du 17 janvier 2005 (émargée par C.M.) issue du commandant de la région de gendarmerie à Marseille avait été transmise aux commandants d’unité de gendarmerie de la compagnie de Draguignan leur demandant d’organiser une séance d’instruction spécifique sur le droit et les conditions réglementaires d’usage des armes et sur les règles de sécurité. Cette instruction était spécifiquement demandée au regard de l’actualisation du régime de l’usage des armes par l’ordonnance no 2004-1374 du 20 décembre 2004 (paragraphe 41 ci-dessous) et des autres textes existants, notamment le « TO no 8907 du 21 octobre 2003 », qui se référait à l’article 2 § 2 b) de la Convention et prescrivait que « l’usage de la force armée pour arrêter une personne en fuite ou pour immobiliser un véhicule ne doit être envisagée qu’en cas d’absolue nécessité ». Le procèsverbal indiqua également que C.M. avait participé aux séances d’instruction sur l’usage des armes des 22 mars 2005 et 13 mars 2006. Le commandant de la compagnie de gendarmerie départementale de Draguignan expliqua à ce propos que même s’il était organisé deux séances par mois afin d’augmenter les chances que tous les gendarmes puissent y assister, il peut se trouver difficile pour un gendarme d’y être présent du fait « des obligations opérationnelles et des contingences de service ». En particulier, concernant C.M., qui n’avait pas suivi les séances de novembre 2006 et 2007, le commandant précisa que celui-ci travaillait dans « un service très sollicité et qui demande une grande disponibilité » qui rendait « très compliquée » la présence aux instructions. Outre ces séances de formation, et toujours selon la déposition du commandant, « tous les ordres initiaux d’opérations provenant de la compagnie comportent en annexe une fiche de synthèse sur l’usage des armes et [il] est précisé qu’au départ des missions le responsable de l’opération doit faire un rappel verbal sur l’usage des armes ». Le 23 octobre 2008, les juges d’instruction organisèrent un second transport sur les lieux en présence du procureur de la République, du mis en examen et de l’avocat des parties civiles. A cette occasion, concernant la mise en situation d’une option alternative à l’ouverture du feu, il fut constaté que le temps nécessaire pour courir du palier supérieur au bas de l’escalier extérieur était de treize secondes et soixante centièmes. Les 19 novembre et 26 décembre 2008, les expertises psychiatrique et psychologique de C.M. furent déposées auprès du juge d’instruction. Elles n’indiquèrent aucun trouble particulier de la personnalité de ce dernier. Auparavant, le 9 décembre 2008, l’expert en armes et munitions désigné par ordonnances de commission d’expert des 26 mai 2008 et 13 juin 2008, rendit son rapport d’expertise balistique. Ce denier indiqua que C.M. avait tiré sept balles et que la victime avait été atteinte par trois ou quatre projectiles provoquant une blessure mortelle au thorax, une plaie en séton au cou, une autre au bras droit et une autre au lobe de l’oreille gauche. Ce sont les trois dernières balles qui touchèrent le requérant, tirées simultanément, d’entre seize et dixhuit mètres et de haut en bas. C. Le procès Le 3 juillet 2009, le procureur de la République remit son réquisitoire définitif en suggérant un non-lieu. Il fit valoir, après avoir notamment énuméré les conditions de l’usage des armes par les militaires de la gendarmerie (code de la Défense, circulaires et note, voir paragraphe 24 ci-dessus et paragraphes 41 et 42 ci-dessous), que le mis en examen avait agi dans le cadre des dispositions de l’article 174 du décret du 20 mai 1903, ce qui constituait un fait justificatif prévu par l’article 122-4 du code pénal (paragraphe 38 ci-dessous). Sur l’« absolue nécessité » de stopper la fuite de Joseph Guerdner, le procureur indiqua qu’elle résultait de la dangerosité objective de celui-ci (gravité des faits reprochés, antécédents connus des enquêteurs, extrême détermination, risques encourus par les tiers). Le 18 août 2009, le juge d’instruction de Draguignan rendit une ordonnance de non-lieu : « (...) L’usage des armes constituait à ce moment le seul moyen dont disposait le gendarme pour stopper la fuite de Joseph Guerdner et empêcher son évasion. Attendu et bien que l’on ne puisse que déplorer la mort d’un homme et compatir à la douleur de sa famille, il apparaît que toutes les conditions d’usage des armes sont au cas d’espèce remplies (fuite caractérisée, commission préalable d’une infraction criminelle, sommations, impossibilité d’arrêter le fuyard autrement) ». Les requérants firent appel de cette ordonnance. Dans leur mémoire, ils firent valoir que les critères autorisant, sous certaines conditions, les militaires de la gendarmerie à faire feu, n’étaient pas réunis. Ils indiquèrent à cet égard que le gendarme n’était pas en uniforme au moment des faits et qu’il n’avait pas fait les sommations d’usage conformément à la loi. Ils soulignèrent également qu’il existait d’autres moyens d’interpeller leur proche, compte tenu du nombre de gendarmes présents, du temps nécessaire pour descendre les escaliers et du fait qu’il n’était pas dangereux car entravé. Par un arrêt du 1er décembre 2009, la cour d’appel d’AixenProvence infirma l’ordonnance de non-lieu et prononça la mise en accusation de C.M. devant la cour d’assises du Var. Elle considéra qu’il était parfaitement établi et non contesté que C.M. ne se trouvait pas au moment des faits en état de légitime défense de lui-même ou d’autrui. Sur la sommation, elle indiqua que si les déclarations avaient été fluctuantes, l’expertise balistique avait révélé que seuls les trois derniers coups de feu tirés avaient atteint Joseph Guerdner, et « qu’il a nécessairement pu percevoir le risque qu’il encourrait à refuser d’obtempérer à l’ordre qui lui avait été intimé de s’arrêter ». Quant à la question de savoir si C.M. aurait pu remplir autrement son devoir, elle précisa ce qui suit : « Sur l’absolue nécessité de recourir à la violence Il est indéniable que c’est là le point le plus délicat et le plus discuté du dossier ; Cette exigence a été posée par la chambre criminelle de la Cour de cassation reprenant les exigences de l’article 2 de la Convention (...) En l’espèce, il existe incontestablement des éléments de la procédure montrant que Joseph Guerdner est un personnage éminemment dangereux ; (...) Toutefois cet état de dangerosité doit s’apprécier in concreto. Or force est de constater qu’au moment où il prend la fuite, Joseph Guerdner n’est pas armé, il a les deux mains entravées, par le port des menottes, il porte une menotte à la cheville destinée à restreindre ses mouvements ; Que compte tenu du caractère spontané de l’évasion, il profite de l’extinction de la lumière au moment où il se trouve près d’une fenêtre et il n’existe aucun élément pouvant laisser penser qu’un complice pourrait venir l’aider ; qu’il était certainement possible d’alerter les autres militaires présents et d’organiser une course poursuite, le temps nécessaire pour descendre les escaliers à partir de l’endroit où se trouvait C.M. ayant été estimé par l’expert à 13 secondes 60 [centièmes]. En outre, l’on peut penser que Joseph Guerdner, compte tenu de ses entraves, ne pouvait pas courir très loin ni très longtemps ; Le risque de prise d’otage invoqué dans l’ordonnance de non-lieu apparaît assez théorique dans la mesure où Joseph Guerdner ne disposait pas d’arme ni de la liberté de ses mouvements et qu’il n’existait aucun indice permettant de penser qu’il pourrait bénéficier de complicité à ce moment précis aux alentours de la gendarmerie ; ainsi l’usage d’arme à feu n’était pas le seul moyen d’arrêter Joseph Guerdner dans sa fuite ; Ces circonstances paraissent de nature à écarter l’application de l’article 122-4 du code pénal et doivent faire l’objet d’un débat devant la juridiction de fond. Dans les mémoires des parties civiles, il est invoqué que le nombre de coup de feu de même que les lésions mortelles caractérisent ipso facto l’intention homicide, cet élément étant formellement nié par C.M. (...) Eu égard aux conditions difficiles de tir : la nuit tombée, un endroit peu éclairé, une silhouette en mouvement se déplaçant vers une zone hors de la vue du gendarme, une position du tireur en surélévation à une distance estimée par l’expert entre 16 et 18 mètres, l’on peut estimer que le gendarme C.M. ne se trouvait pas en état de situation de viser dans des conditions lui permettant d’apprécier l’impact réel des tirs ». Décidant que l’intention homicide n’était pas caractérisée, la cour d’appel renvoya le gendarme devant la cour d’assises pour violences ayant entraîné la mort, sans intention de la donner, avec cette circonstance que les faits ont été commis par une personne dépositaire de l’autorité publique, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Le 9 juin 2010, le président de la cour d’assises du département du Var ordonna un complément d’expertise aux fins de déterminer si le port des bracelets de contention par la victime lors de sa fuite n’affectait que l’une des deux chevilles, et d’indiquer de quelle mobilité elle disposait compte tenu de ces entraves. Par un arrêt du 17 septembre 2010, la cour d’assises acquitta C.M. au motif qu’il avait agi selon les prescriptions législatives ou réglementaires. Le ministère public, représenté par la même personne que celle ayant fait les réquisitions en date du 3 juillet 2009 (paragraphe 28 cidessus), ne fit pas appel, ce qui rendit l’acquittement définitif. La suspension de C.M. de ses fonctions prit fin après son acquittement. Selon le Gouvernement, C.M. a définitivement quitté la Gendarmerie nationale le 31 décembre 2011. D. La saisine de la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales (CIVI) Le 25 janvier 2010, la première requérante, Micheline Guerdner, sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale (paragraphe 38 ci-dessous), saisit la CIVI du tribunal de grande instance de Draguignan d’une requête en indemnisation de 30 000 euros (EUR) pour le préjudice moral causé par la mort de son fils. Le 17 juin 2011, la CIVI considéra que les faits en cause constituaient l’élément matériel d’une infraction susceptible de faire droit à une indemnisation. Par ailleurs, et sans remettre en cause l’appréciation de la cour d’assises selon laquelle l’élément légal de l’infraction n’était pas constitué, elle nota qu’« il est permis de s’interroger sur l’absolue nécessité de recourir à la violence, condition indispensable à l’usage d’une arme (C.M. n’aurait-il pas pu alerter les autres militaires présents avant d’ouvrir le feu et organiser une course poursuite ?) ». La CIVI estima le préjudice moral de la requérante à 20 000 EUR mais retint que son fils avait commis une faute en tentant de s’évader et en continuant sa fuite, alors même que des coups de feu avaient été tirés en sa direction. Elle lui alloua 10 000 EUR. Le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions fit appel de ce jugement. Par un arrêt du 3 octobre 2012, la cour d’appel d’Aix-en-Provence infirma la décision de la CIVI. Elle considéra que les faits à l’origine du décès de Joseph Guerdner ne présentaient pas le caractère matériel d’une infraction, en raison de l’arrêt d’acquittement rendu par la cour d’assises, et qu’il n’y avait donc pas lieu à indemnisation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code pénal L’article 122-4 du code pénal est ainsi énoncé : « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires. N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal. » B. Le code de procédure pénale L’article 706-3 du code de procédure pénale indique que toute personne qui a subi un préjudice, résultant de faits volontaires ou non, qui présentent le caractère matériel d’une infraction, peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne lorsque ces faits ont notamment entraîné la mort. La CIVI statue sur les demandes d’indemnisation présentées par les victimes d’infractions ou leurs ayants droit. C. La Gendarmerie nationale La Gendarmerie nationale est une force armée et les gendarmes relèvent du statut général des militaires. Régie par le texte fondateur qu’était le décret du 20 mars 1903, ce dernier a été abrogé par une loi du 3 août 2009. Cette loi rattache la Gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur mais prévoit cependant que le ministre de la Défense participe à la gestion des ressources humaines pour laquelle il conserve ses attributions, notamment dans le domaine disciplinaire. La police judiciaire constitue l’une des missions essentielles de la gendarmerie (article L. 3211-3 du code de la Défense). Les officiers de gendarmerie exercent les attributions que les lois pénales leur confèrent en matière de police judiciaire ; le gendarme officier de police judiciaire mène à titre principal les enquêtes. Le procureur de la République et le juge d’instruction ont traditionnellement le choix des formations auxquelles appartiennent les officiers de police judiciaire, police nationale ou Gendarmerie nationale. Ceci a été réaffirmé par la loi du 3 août 2009 (article 12-1 du code de procédure pénale). La Gendarmerie départementale comprend des unités territoriales et des unités spécialisées, dont les unités de recherche, parmi lesquelles figurent les sections de recherches. Ces unités spécialisées se consacrent exclusivement à la police judiciaire. Elles assistent les brigades territoriales et prennent à leur charge les enquêtes nécessitant une technicité particulière ou une grande disponibilité. L’inspection générale de la Gendarmerie nationale (anciennement inspection technique) dispose d’une compétence nationale qui s’étend sur l’ensemble des personnels de la gendarmerie. Elle a pour fonction d’exécuter des missions de contrôle et d’audit et d’évaluation des services. Les gendarmes peuvent être saisis par l’autorité judiciaire de toute demande d’enquêtes relatives aux infractions susceptibles d’avoir été commises pendant le service ou en dehors du service par les personnels de la Gendarmerie nationale. A ce titre, les officiers de police judiciaire satisfont aux réquisitions judiciaires et diligentent les enquêtes judiciaires qui leur sont confiées. L’inspection générale de la gendarmerie est aussi chargée du respect des règles déontologiques au sein de la gendarmerie et peut conduire des enquêtes administratives. D. Textes, jurisprudence et rapport pertinent relatifs à l’usage des armes à feu par les gendarmes L’usage des armes par les militaires de la Gendarmerie nationale est régi par l’article 174 du décret organique du 20 mars 1903 dont les dispositions ont été reprises dans l’ordonnance du 20 décembre 2004 portant création du code de la Défense. Outres les dispositions de droit commun prévues par le code pénal qui indiquent que les représentants de la force publique peuvent faire usage des armes à feu dans les hypothèses où la loi ou le règlement les y autorisent ou les y obligent (article 122-4 du code pénal, précité, paragraphe 37 ci-dessus), de la légitime défense et de l’état de nécessité, l’article L. 2338-3 du code de la Défense prévoit quatre cas dans lesquelles les gendarmes peuvent recourir à la force : « Les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants : 1o Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ; 2o Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ; 3o Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « Halte gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ; 4o Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt. Ils sont également autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés tels que herses, hérissons, câbles, pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s’arrêtent pas à leurs sommations. » Des précisions relatives à l’usage des armes ont été posées par différentes circulaires de la direction générale de la Gendarmerie nationale. La circulaire du 30 août 1996 indique que la possibilité de faire usage des armes, hors situation de légitime défense, ne peut se concevoir qu’à défaut de tout autre moyen permettant d’arrêter le fuyard et qu’à l’encontre de personnes dont la fuite caractérisée est précédée ou accompagnée d’éléments généraux ou particuliers qui établissent ou font présumer leur participation à un crime ou délit grave. Elle préconise également un entraînement assidu en vue de l’acquisition des comportements réflexes. La circulaire no 6347 du 7 mars 2006 relative à l’emploi en service de l’armement de dotation par les militaires de la gendarmerie est ainsi libellée : « (...) L’application des règles spécifiques aux militaires de la gendarmerie appelle toutefois des précisions tenant : - à la qualité des militaires appelés à utiliser leur arme, - à l’action en uniforme, - au respect du principe d’absolue nécessité, - aux sommations qui précèdent le tir. (...) Hormis l’état de légitime défense dans lequel l’usage des armes doit être strictement nécessaire et proportionné, les militaires de la gendarmerie ne peuvent faire usage de leurs armes, en application des règles prévues par le code de la Défense ou le décret organique, qu’en raison d’une absolue nécessité. Cette exigence est affirmée par l’article 2.2 de la Convention. L’usage des armes ne peut donc se concevoir qu’à défaut de tout autre moyen permettant d’arrêter un fuyard ou d’immobiliser un véhicule ». Les sommations Dans les cas prévus par l’article L 2338-3 du code de la Défense (...), les militaires de la gendarmerie doivent, préalablement à l’usage des armes, procéder à des sommations par des appels à haute voix, pour rendre la personne à appréhender consciente du risque qu’elle encourt en refusant d’obtempérer aux injonctions. « Halte Gendarmerie » (article L 2338-3) (...) Lorsqu’ils ne parviennent pas à se faire entendre par un appel à haute voix, les militaires procèdent aux sommations par tout autre moyen permettant de signifier sans ambiguïté l’ordre d’arrêt (...) ». La circulaire no 133000 du 2 février 2009 a abrogé la circulaire du 7 mars 2006 précitée et a précisé encore les conditions dans lesquelles les gendarmes sont autorisés à utiliser leur arme, au regard de la législation française et de la Convention européenne des droits de l’homme. Après avoir énoncé ces textes, elle explicite notamment la transposition du principe d’absolue nécessité : « 1.2.2.3. La transposition opérationnelle du principe. L’interprétation par les juges du fond du principe d’absolue nécessité restreint de facto l’usage des armes : - à l’encontre des seules personnes : - dont la fuite caractérisée est précédée ou accompagnée d’éléments d’information généraux (antécédents judiciaires, dangerosité réputée, modes opératoires habituellement mis en œuvre, ...) et surtout immédiats (degré de violence exercée dans le temps de l’action ou très proche de l’action, nature et létalité de l’armement éventuellement détenu,...) qui établissent ou font présumer leur participation à un crime ou à un délit grave (Quel est mon adversaire? Quel est l’enjeu ?) ; Et/ou - représentant une menace pour la vie ou l’intégrité des personnes (quelle menace concrète mon adversaire fait-il peser sur moi-même ou sur autrui ?) ; - et en l’absence de toute autre possibilité d’action (existe-t-il une alternative immédiate à mon action (renforts encadrant mon dispositif, présence d’un dispositif d’interception en aval de ma zone, ...) ? L’usage des armes est-il l’ultime recours ?). Fruits d’une jurisprudence itérative, ces paramètres doivent impérativement être intégrés dans le processus décisionnel pouvant, dans l’action, conduire un militaire de la gendarmerie à déployer la force armée. La prise en compte de ces paramètres sous le signe de l’urgence et dans un environnement donné (présence de tiers pouvant être mis en danger collatéralement à titre d’exemple) s’opère par le biais d’une méthode d’analyse réflexe que doit scrupuleusement appliquer tout gendarme confronté à une situation menaçante. Ce processus se présente sous la forme de cinq questions : Quel est le cadre juridique de l’action ? Suis-je placé en situation de légitime défense ? À défaut, les conditions d’usage définies aux articles L. 2338-3 ou L. 4123-12 du code de la Défense sont-elles réunies ? Quel est mon adversaire ? Suis-je confronté à un individu dont la fuite caractérisée est précédée ou accompagnée d’éléments d’information généraux et surtout immédiats qui établissent ou font présumer sa participation à un crime ou à un délit grave ? L’usage de mon arme est-il l’ultime recours ? Existe-t-il une alternative immédiate à mon action ? Quelle menace mon adversaire fait-il peser sur moi-même ou autrui ? Son déplacement ou son attitude sont-ils de nature à mettre en danger mon intégrité physique ou celle d’un tiers ? Mon environnement est-il propice à l’usage des armes ? L’usage de mon arme présente-t-il un risque pour les tiers ? L’espace est-il sécurisé ? La mise en œuvre accélérée de cette méthode est rendue possible par la constitution d’un moyen mnémotechnique simple : « JARME » (Juridique Adversaire Recours Menace Environnement). (...) ». La chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé qu’un gendarme ne peut faire feu pour immobiliser un véhicule en fuite que s’il est en tenue militaire (Crim, 16 janvier 1996). Elle a surtout considéré que l’usage d’une arme ne peut être justifié que lorsqu’il est « absolument nécessaire en l’état des circonstances de l’espèce » (Cass crim, 18 février 2003, No 02-80095, Bull crim, no 41). La Cour de cassation a rappelé cette exigence dans un arrêt du 27 février 2008 (Cass crim., no 07-88470, non publié) en rejetant le pourvoi formé par un gendarme contre un arrêt de la cour d’appel de Nîmes le renvoyant devant une cour d’assises pour violences mortelles. Cet arrêt de renvoi indiquait que l’usage des armes devait « [é]galement s’analyser au regard de l’article 2 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme » et précisait que celui-ci « impose, pour parvenir à un équilibre entre le but et les moyens, un usage des armes avec mesure et discernement dans le cadre d’une nécessité absolue et à l’encontre de personnes impliquées dans des faits criminels ou de délinquance grave ». La cour d’appel avait ainsi considéré que « même si les faits doivent être replacés dans leur contexte très particulier et ont été réalisés à l’issue d’une course poursuite dangereuse, il n’en demeure pas moins que ne relevait pas d’une nécessité absolue l’usage d’une arme, à plusieurs reprises en dehors de tout ordre de tir en direction d’un véhicule qui prenait la fuite alors même, notamment, que la topographie des lieux et l’information générale qui entourait l’opération permettaient la mise en place de dispositifs d’interceptions ». En juillet 2012, la mission indépendante de réflexion sur la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes a rendu un rapport au ministre de l’Intérieur et lui a présenté ses conclusions et ses propositions. Dans son rapport, la mission écarte l’idée d’une modification du cadre légal d’usage des armes à feu. En revanche, elle propose de codifier, par une disposition réglementaire, les conditions jurisprudentielles d’un usage légal des armes à feu, à savoir les exigences d’actualité de la menace, d’absolue nécessité et de proportionnalité, afin de sécuriser le cadre juridique national d’usage des armes vis-à-vis de la Cour européenne des droits de l’homme. E. L’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire et la responsabilité de l’Etat du fait de l’activité des services de police judiciaire L’article L. 141-1 est ainsi libellé : « L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. » L’activité des services de police judiciaire relève en principe du champ d’application de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire. La Cour de cassation a considéré que « lorsque les dommages résultent de l’usage d’armes à feu, qui comporte des risques exceptionnels, l’Etat est responsable de ceux subis, en raison de la faute d’un de ses agents, par les personnes visées par les opérations de police judiciaire, sans qu’il soit nécessaire que cette faute présente le caractère d’une faute lourde » (Cass crim, 14 juin 2005, Bull. 2005 no 177). Dans cette affaire, la juridiction statuait sur le pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel de Rouen, qui avait jugé que la relaxe d’un gendarme, poursuivi pour le délit d’homicide involontaire, ne l’exonérait pas de sa responsabilité en application de l’article 1383 du code civil (responsabilité civile délictuelle). L’arrêt de la cour d’appel de Rouen précisait que les parties civiles n’avaient pas envisagé d’engager une action sur le fondement de l’article L. 781-1 (ancien article L. 141-1) du code de l’organisation judiciaire. Dans un arrêt du 22 mai 2007 (Crim 22 mai 2007, no 06-81.259), la Cour de cassation a rappelé que « si l’Etat est responsable, en cas d’usage d’armes à feu, qui comporte des risques exceptionnels, des simples fautes de service commises par ses agents à l’occasion d’une opération de police judiciaire, cette responsabilité doit être partagée lorsque la victime, qui était visée par l’opération, a commis une faute qui a concouru à la réalisation de son propre dommage ». Dans cette affaire, la cour d’appel de Versailles avait retenu une faute d’imprudence commise par un policier qui avait sorti son arme et appuyé involontairement sur la détente, blessant grièvement un conducteur qui avait refusé d’obtempérer à une sommation de s’arrêter avant que son automobile ne soit immobilisée, et s’était prononcée sur les intérêts civils des parties civiles. F. Principes internationaux Les principes de base de l’ONU sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois ont été rappelés à maintes occasions par la Cour, qui renvoie sur ce point, à l’arrêt Giuliani et Gaggio c. Italie ([GC], no 23458/02, § 154, CEDH 2011).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1990 et réside à Şırnak. Le 14 février 2009, à 12 heures, il fut arrêté lors d’une manifestation à Şırnak, puis placé en garde à vue par les forces de sécurité. Lors de son arrestation, le requérant était en possession d’un lance-pierre et de quarante et une billes qu’il utilisait comme armes. Il faisait partie d’un groupe de sympathisants du PKK qui avait placé des barricades sur la route, brûlé des pneus et lancé des pierres ainsi que des cocktails Molotov sur les forces de sécurité. Un procès-verbal d’incident et d’arrestation fut dressé le même jour ; il fut signé par les policiers ainsi que par le requérant. Il y était mentionné que le requérant avait tenté de s’enfuir mais qu’il avait été arrêté. Il n’y était pas noté que l’intéressé avait opposé de la résistance lors de son arrestation. Toujours le 14 février 2009, à 12 h 26, le requérant fut transféré à l’hôpital public d’İdil pour l’établissement d’un rapport médical de début de garde à vue. Les conclusions de ce rapport établi par le docteur M.E. peuvent se résumer comme suit : « Le contrôle physique du patient révèle que celui-ci est conscient [et] coopératif et [qu’il arrive à bien s’orienter]. Sensibilité de l’omoplate gauche du patient. Écorchures aux deux coudes. Écorchure sur la partie gauche du cou. Aucune autre [trace de] coups ou blessure n’a été observée. Les présentes lésions sont de nature à être traitées par simple intervention médicale. » Le rapport ne mentionnait pas quelles étaient les doléances du patient. Le 15 février 2009, le requérant subit deux nouveaux examens médicaux à l’hôpital public d’İdil. Le rapport médical no 109 établi le même jour par le docteur A.K. peut se résumer comme suit en ses parties pertinentes en l’espèce : « Écorchure autour du coude droit. Œdème douloureux sur l’omoplate gauche. Le patient se plaint d’une perte auditive. Perforation du tympan droit. Les troubles concernés sont de nature à être traités par simple intervention médicale. » Le rapport médical no 112 établi à la même date par le docteur A.K. précisait que l’examen médical du patient n’avait révélé aucune trace de coups, de rougeurs ou d’ecchymoses sur l’oreille du requérant. Il était également noté que le précédent rapport médical ne comportait pas d’informations détaillées relatives à l’examen clinique de l’oreille du patient en raison de la surcharge de travail dans le service des urgences lors de la consultation. Dans ses dépositions du 15 février 2009 devant le parquet d’İdil (« le parquet »), le requérant déclara que les policiers lui avaient porté des coups lors de son arrestation : il se plaignait notamment d’avoir reçu des coups à l’oreille droite, lesquels lui auraient causé des troubles de l’audition. L’avocat du requérant demanda au procureur de permettre à son client de consulter un oto-rhino-laryngologiste. Sa demande ne fut pas accueillie favorablement. Le même jour, assisté de son avocat, le requérant fut entendu par le juge du tribunal d’instance pénal d’İdil. Il se plaignit notamment d’avoir reçu des coups à l’oreille droite lors de son arrestation, qui auraient eu pour conséquence une baisse de son audition. Le juge ordonna le placement en détention provisoire du requérant au motif qu’il était accusé d’être membre d’une organisation terroriste armée et de faire la propagande de celle-ci. Le 23 février 2009, le requérant porta plainte devant le parquet à l’encontre des policiers et du médecin A.K., qui avait rédigé les rapports médicaux du 15 février 2009, respectivement pour mauvais traitements et pour abus de fonction. Le procureur de la République ouvrit une enquête pénale. Dans le cadre de cette enquête, il entendit le docteur A.K. qui déclara ce qui suit : « Je travaille en tant que médecin à l’hôpital public d’İdil. Le patient M. Mehmet Fidan s’était plaint d’une baisse d’audition. Je l’ai examiné et [j’ai] constaté une perforation tympanique au niveau de son oreille droite. La perforation du tympan peut être due à une infection avancée ou à un traumatisme. Je n’ai pas remarqué de lésion, de trace de coups ou de violence dans la région auriculaire. Dans cet hôpital, il n’y a pas d’oto-rhino-laryngologiste. Mon devoir est d’effectuer une consultation générale et non de faire un bilan de santé approfondi. Les proches de ce patient m’ont menacé. Malgré cela, j’ai établi un rapport médical de manière objective. » Le témoignage du docteur M.E., qui avait rédigé le rapport médical du 14 février 2009, fut recueilli. Les passages pertinents en l’espèce de cette déposition se lisent comme suit : « Le patient M. Mehmet Fidan s’est plaint d’une douleur à l’oreille. À l’examen, je n’ai pas remarqué de trace de coups ou de violence. Notre examen médical reste superficiel. Il permet juste d’établir [l’existence de] coups et blessures. J’ai estimé que le problème à l’oreille [du patient] était ancien et qu’il fallait un examen plus approfondi par un spécialiste. C’est pour cela que je n’en ai pas parlé dans mon rapport ». Le 27 janvier 2010, l’institut médicolégal délivra, à la demande du parquet, un rapport relatif à l’état de santé du requérant. Ce rapport peut se lire comme suit : « Le contrôle médical du patient a été effectué par notre commission le 11 janvier 2010. [Le patient] dit avoir été violemment battu par les forces de l’ordre lors de son arrestation. Il aurait notamment reçu une gifle à l’oreille et aurait été traîné par terre. Il dit avoir désormais peur des policiers et avoir fait des cauchemars pendant quelque temps après avoir été battu (...) Il estime avoir été placé en détention provisoire à tort. Le fait de ne pas pouvoir aider ses frères et sœurs le rend dépressif. L’examen oto-rhino-laryngologique montre que le tympan droit a été traité par la mise en place d’un tympan artificiel et qu’il n’y a plus de perte auditive (...) Dans la mesure où les caractéristiques dimensionnelles de la perforation ne sont pas mentionnées dans les précédents rapports médicaux, et en l’absence de précision sur la question de savoir si oui ou non la perforation était accompagnée d’un écoulement de sang, il n’est pas médicalement possible de dire si la blessure à l’oreille de M. Mehmet Fidan était bien le résultat de coups qui avaient été infligés [à ce dernier] comme il le prétend ou s’il s’agissait d’une ancienne blessure datant d’avant son arrestation. Conclusion : (...) La perforation du tympan droit n’a pas engagé le pronostic vital du patient. [Ses conséquences] sur le patient n’étaient pas de nature à [permettre un traitement] par une simple intervention médicale (...) » Le 12 mars 2010, le procureur rendit une ordonnance de non-lieu concernant le médecin A.K. pour insuffisance de preuves. Il nota qu’il n’avait pas été possible de déterminer de quand datait la blessure à l’oreille du requérant. Le requérant fit opposition contre cette ordonnance de non-lieu par l’intermédiaire de son avocat. Il alléguait notamment que, alors même qu’il avait porté plainte non seulement contre ledit médecin mais également contre les policiers responsables de sa garde à vue, le parquet n’avait pas mené d’enquête pour déterminer la responsabilité des policiers. Le 13 avril 2010, la cour d’assises rejeta l’opposition, estimant que la décision attaquée était conforme tant aux règles procédurales qu’aux dispositions législatives. Elle ne se prononça pas sur la responsabilité des policiers mis en cause par le requérant. Le 21 avril 2010, cette décision fut notifiée à l’avocat du requérant.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1967 et réside à La Haye. En mars 1987, elle fit la connaissance de M. W., qui, comme elle, était né au Surinam et y avait toujours vécu, et entama une relation avec lui. L’un et l’autre avaient acquis la nationalité surinamaise en 1975, année où le Surinam obtint son indépendance (article 3 de l’Accord entre le Royaume des Pays-Bas et la République du Surinam concernant l’attribution de la nationalité (Toescheidingsovereenkomst inzake nationaliteiten tussen het Koninkrijk der Nederlanden en de Republiek Suriname – paragraphe 62 cidessous). En septembre 1989, la requérante emménagea avec M. W. dans la maison du grand-père paternel de celui-ci au Surinam. Le 19 octobre 1991, M. W. se rendit du Surinam aux Pays-Bas pour y demeurer avec son père, après avoir obtenu un visa à cet effet. En 1993, il obtint la nationalité néerlandaise, ce qui impliquait qu’il renonçât à la nationalité surinamaise. M. W. a une sœur, deux frères et un demi-frère qui résident aux Pays-Bas, ainsi que deux demi-frères et une demi-sœur qui résident au Surinam. La requérante a un frère, G., qui a été expulsé des Pays-Bas vers le Surinam en 2009. Elle a également un demi-frère et une demi-sœur aux PaysBas ainsi qu’une demi-sœur au Surinam. A. Les demandes d’obtention d’un permis de séjour aux Pays-Bas formées par la requérante Entre 1991 et 1995, la requérante introduisit cinq demandes de visa pour visite familiale aux Pays-Bas. Ces demandes furent toutes rejetées, aux motifs que son hôte (referent) ne disposait pas de ressources suffisantes, qu’il n’avait pas signé l’attestation de prise en charge (garantverklaring) requise ou qu’il n’avait pas fourni les informations nécessaires à l’appréciation de la demande. La requérante ne forma pas de recours administratif contre ces refus de visa. Le 19 novembre 1996, elle introduisit une sixième demande de visa pour visite familiale, qui fut acceptée le 4 mars 1997. Elle se rendit ensuite aux Pays-Bas, où elle arriva le 12 mars. Lorsque son visa expira, 45 jours plus tard, elle ne retourna pas au Surinam mais resta aux Pays-Bas, qu’elle n’a plus quittés depuis lors. Elle a vécu à Rotterdam jusqu’au 20 juillet 1998, date à laquelle elle s’est installée à La Haye, où elle réside à la même adresse depuis le 17 décembre 1998. La demande du 20 octobre 1997 Le 20 octobre 1997, la requérante sollicita un permis de séjour afin, selon sa version des faits, de s’établir aux Pays-Bas avec son partenaire néerlandais, M. W. Selon le Gouvernement, elle déclara demander un titre de séjour en vue d’exercer un « emploi rémunéré ». Le 16 février 1998, le secrétaire d’État à la Justice (Staatssecretaris van Justitie) décida de ne pas traiter la demande (buiten behandeling stellen), la requérante ayant négligé par deux fois de se présenter en personne devant le service de l’Immigration pour communiquer des informations complémentaires sur sa demande. Lorsque, le 13 février 1998, l’avocate de la requérante avait sollicité un nouveau rendez-vous au motif qu’elle ne pourrait pas se rendre à celui prévu pour le 16 février, le service de l’Immigration l’avait informée que, malgré son absence à elle, sa cliente devrait se présenter en personne – ce que la requérante ne fit pas. Le 23 février 1998, la décision du secrétaire d’État du 16 février fut communiquée à la requérante. Celle-ci avait l’ordre de quitter le territoire dans un délai de sept jours. La requérante forma une objection (bezwaar) contre la décision du 16 février 1998. L’objection étant dépourvue d’effet suspensif, elle sollicita également l’application d’une mesure provisoire (voorlopige voorziening), en l’occurrence une injonction du tribunal qui interdirait son expulsion dans l’attente de l’issue de la procédure d’examen de l’objection. La demande de mesure provisoire et l’objection furent toutes deux rejetées, respectivement le 23 décembre 1999 par le président par intérim du tribunal (rechtbank) de La Haye siégeant à Haarlem et le 17 janvier 2000 par le secrétaire d’État. La requérante contesta la décision du secrétaire d’État devant le tribunal de La Haye et sollicita à nouveau l’application d’une mesure provisoire. Le 12 juillet 2001, le tribunal de La Haye siégeant à Utrecht rejeta ce recours et la demande qui l’accompagnait. Cette décision était quant à elle insusceptible de recours. Entre-temps, la requérante avait épousé M. W. le 25 juin 1999 et, en septembre 2000, un fils leur était né. En vertu des règles néerlandaises d’acquisition de la nationalité, cet enfant a la nationalité néerlandaise. Souffrant de problèmes de santé à sa naissance, il fit l’objet d’une hospitalisation de longue durée. Il fréquente actuellement un établissement d’enseignement secondaire et se porte bien. La demande du 20 avril 2001 Le 20 avril 2001, la requérante pria les autorités de lui délivrer un permis de séjour soit en application de la règle dite des trois ans (driejarenbeleid), soit pour des motifs impérieux d’ordre humanitaire. En vertu de la règle des trois ans, un titre de séjour pouvait être délivré aux personnes dont la demande de permis de séjour était restée sans réponse pendant trois ans pour des motifs qui ne leur étaient pas imputables et sous réserve qu’elles ne présentassent pas de contre-indication, par exemple des antécédents judiciaires. Le 23 février 2004, alors que la procédure relative à cette demande était en cours, le juge des mesures provisoires (voorzieningenrechter) du tribunal de La Haye siégeant à Amsterdam fit droit à une demande de mesure provisoire de la requérante (injonction interdisant l’éloignement). La décision définitive de rejet de la demande de permis de séjour fut rendue par le tribunal de La Haye siégeant à Amsterdam le 17 mai 2004. Le 10 décembre 2005, la requérante et son époux eurent un deuxième enfant, également de nationalité néerlandaise. La demande du 23 janvier 2007 Le 23 janvier 2007, la requérante introduisit une demande de permis de séjour aux fins de demeurer avec ses enfants aux Pays-Bas. Cette demande fut rejetée au motif que l’intéressée ne détenait pas le visa de séjour temporaire (machtiging tot voorlopig verblijf) requis alors qu’elle n’était pas exemptée de l’obligation d’en obtenir un. Ce visa doit être sollicité auprès d’une représentation des Pays-Bas dans le pays d’origine du demandeur et constitue une condition préalable à l’octroi d’un permis de séjour (verblijfsvergunning), qui confère un droit de séjour plus pérenne. La requérante contesta cette décision par un recours administratif qui fut définitivement rejeté par le tribunal de La Haye siégeant à Haarlem le 19 avril 2007. Le 7 mai 2007, la requérante pria le secrétaire d’État à la Justice de reconsidérer (heroverwegen) la décision négative rendue sur sa dernière demande. Le 28 septembre 2007, elle le saisit d’une réclamation contre le silence opposé à sa demande de reconsidération. Par une lettre du 12 novembre 2007, le secrétaire d’État l’informa que sa réclamation était fondée mais qu’il n’y avait en revanche pas de raison de reconsidérer la décision en question. La demande du 28 septembre 2007 Le 28 septembre 2007, la requérante demanda que lui fût octroyé un permis de séjour « à la discrétion du secrétaire d’État » (conform beschikking staatssecretaris) pour cause de circonstances individuelles particulières (vanwege bijzondere en individuele omstandigheden). Le 7 juillet 2008, le secrétaire d’État à la Justice rejeta cette demande. La requérante saisit le secrétaire d’État d’une objection contre cette décision et sollicita auprès du tribunal de La Haye l’application d’une mesure provisoire (injonction interdisant son éloignement dans l’attente de l’issue de la procédure d’examen de l’objection). Le 17 novembre 2008, notant que le secrétaire d’État ne s’était pas opposé à cette demande, le tribunal de La Haye accorda la mesure provisoire sollicitée. Le 11 mars 2009, après avoir tenu audience le 15 janvier 2009, le secrétaire d’État rejeta l’objection. La requérante contesta cette décision devant le tribunal de La Haye et sollicita le prononcé, à titre de mesure provisoire, d’une injonction de ne pas l’expulser dans l’attente de l’issue de la procédure. Elle fut déboutée le 8 décembre 2009 par le juge des mesures provisoires du tribunal de La Haye siégeant à Haarlem. En ses parties pertinentes, la décision du tribunal se lit ainsi : « 2.11 Il n’est pas contesté que l’appelante ne détient pas de visa de séjour temporaire valide et qu’elle ne peut prétendre à une exemption de l’obligation de détenir un tel visa en vertu de l’article 17 § 1 de la loi de 2000 sur les étrangers (Vreemdelingenwet 2000) ou de l’article 3.71 § 2 du décret de 2000 sur les étrangers (Vreemdelingenbesluit 2000). Le seul point litigieux est celui de savoir s’il y a lieu de l’exempter de cette obligation en vertu de l’article 3.71 § 4 du décret sur les étrangers [au motif d’une situation exceptionnellement difficile (onbillijkheid van overwegende aard)]. 12 Le tribunal estime que l’intimé pouvait raisonnablement conclure que, dans le cas de l’appelante, il n’existait pas de circonstances individuelles particulières permettant de considérer que le maintien de l’obligation de détenir un visa de séjour temporaire plaçait l’intéressée dans une situation exceptionnellement difficile. (...) 18 C’est à tort que l’appelante invoque l’article 8 de la Convention. Il existe bien une vie familiale entre elle, son époux et leurs enfants mineurs, mais le refus de l’intimé de l’exempter de l’obligation de détenir un visa de séjour temporaire ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie familiale, car ce refus ne prive pas l’appelante d’un permis de séjour lui permettant d’exercer sa vie familiale aux Pays-Bas. 19 Il n’apparaît pas que l’article 8 de la Convention impose aux Pays-Bas l’obligation positive d’exempter l’appelante de l’obligation de détenir un visa de séjour temporaire au mépris de la politique appliquée en la matière. D’emblée, le tribunal souligne l’importance du fait qu’il ne paraît pas y avoir d’obstacle objectif à l’exercice de la vie familiale hors des Pays-Bas. Vu le jeune âge des enfants de l’appelante, on peut aussi raisonnablement s’attendre à ce qu’ils la suivent au Surinam pendant la durée de la procédure d’obtention du visa de séjour temporaire, et ce même s’ils sont tous deux ressortissants des Pays-Bas. Enfin, le fait que l’époux de l’appelante se trouve actuellement en détention ne constitue pas non plus une raison de conclure (...) à l’existence d’un obstacle objectif. 20 L’appelante a cité les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Rodrigues da Silva [et Hoogkamer c. Pays-Bas, no 50435/99, CEDH 2006I], Said Botan [c. Pays-Bas (radiation), no 1869/04, 10 mars 2009] et Ibrahim Mohamed [c. Pays-Bas (radiation), no 1872/04, 10 mars 2009]. Pour les motifs qui suivent, ces références ne sont pas pertinentes. L’affaire Rodrigues da Silva ne concernait pas une séparation temporaire liée au maintien de l’obligation de détenir un visa de séjour temporaire, et ne peut donc être considérée comme comparable. Dans les affaires Said Botan et Ibrahim Mohamed, la Cour européenne a jugé que les raisons pour lesquelles elle avait été saisie étaient caduques, étant donné que, dans ces affaires, les requérants s’étaient vu délivrer un permis de séjour. Elle n’a donc pas examiné plus avant leurs griefs. Le tribunal ne voit dès lors pas en quoi les conclusions auxquelles la Cour européenne est parvenue dans ces deux affaires pourraient être pertinentes dans le cas de l’appelante. 21 L’appelante a également invoqué l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant. Pour autant que les dispositions invoquées constituent une norme directement applicable, elles n’ont pas d’implication au-delà du fait que dans des procédures telles que celle menée en l’espèce, il faut tenir compte de l’intérêt des enfants concernés. Dans la décision du 11 mars 2009, il a été expressément tenu compte de la situation des deux enfants mineurs de l’appelante. Les dispositions invoquées ne posant pas de norme quant au poids à accorder concrètement à l’intérêt de l’enfant, il n’y a pas de motif de conclure qu’elles ont été méconnues. 22 Partant, le tribunal déclare le recours non fondé. » Le 2 août 2009, à son retour aux Pays-Bas d’un voyage au Surinam, où il s’était rendu pour l’enterrement de sa mère adoptive, le mari de la requérante avait été arrêté pour avoir avalé des boulettes de cocaïne. Il avait ensuite été placé en détention provisoire. Le 8 octobre 2009, le tribunal de Haarlem siégeant en formation de juge unique (politierechter) l’avait jugé coupable d’infraction à la loi sur l’opium (Opiumwet) et l’avait condamné à sept mois d’emprisonnement. En raison de cette condamnation, la Maréchaussée royale (Koninklijke Marechaussee) des Pays-Bas l’avait inscrit pour trois ans sur une liste noire communiquée – aux fins de la prévention de la récidive – aux compagnies aériennes exploitant des vols directs entre les Pays-Bas et Aruba, les anciennes Antilles néerlandaises, le Surinam et le Venezuela. Le 31 décembre 2009, après avoir purgé sa peine, le mari de la requérante fut libéré de prison. Il fut radié de la liste noire le 2 août 2012. Le 7 janvier 2010, la requérante introduisit devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État (Afdeling bestuursrechtspraak van de Raad van State) un recours contre la décision rendue par le juge des mesures provisoires du tribunal de La Haye le 8 décembre 2009. La section du contentieux administratif rejeta le recours le 6 juillet 2010, jugeant qu’il ne pouvait conduire à l’annulation de la décision litigieuse (kan niet tot vernietiging van de aangevallen uitspraak leiden) et que, eu égard à l’article 91 § 2 de la loi de 2000 sur les étrangers, il n’était pas nécessaire de pousser l’examen plus loin, les arguments présentés ne soulevant pas de questions méritant d’être étudiées dans l’intérêt de l’unité juridique, du développement du droit ou de la protection juridique en général. Cette décision n’était pas susceptible de recours. La demande du 16 avril 2010 Entre-temps, le 16 avril 2010, la requérante avait saisi le ministre de la Justice (minister van Justitie) d’une cinquième demande de permis de séjour aux fins de pouvoir demeurer avec ses enfants, arguant qu’en raison de circonstances individuelles particulières elle devait être exemptée de l’obligation de détenir un visa de séjour temporaire. Le ministre avait rejeté cette demande le 11 mai 2010, estimant qu’il n’y avait pas de raison d’exempter la requérante de l’obligation de détenir un visa de séjour temporaire et que le refus de lui octroyer un permis de séjour n’était pas contraire à l’article 8 de la Convention. Tout en admettant qu’il existait une vie familiale au sens de l’article 8 entre la requérante, son mari et leurs enfants, il jugea que le refus d’accéder à la demande d’exemption émanant de la requérante ne la privait pas d’un permis de séjour lui permettant de vivre en famille aux Pays-Bas et qu’il n’y avait donc pas atteinte au droit au respect de la vie familiale. Sur le point de savoir si les droits de la requérante garantis par l’article 8 faisaient naître pour les Pays-Bas l’obligation positive de lui octroyer un permis de séjour, le ministre jugea que l’intérêt pour l’État d’appliquer une politique d’immigration restrictive l’emportait sur l’intérêt personnel de la requérante à exercer son droit à la vie familiale dans le pays. Dans la mise en balance de ces intérêts concurrents, il tint compte des facteurs suivants : la requérante entretenait déjà au Surinam, avant son arrivée aux Pays-Bas, une relation avec celui qui était désormais son époux ; elle était entrée sur le territoire national sans avoir obtenu le visa nécessaire pour y rejoindre son partenaire en vertu des règles pertinentes sur l’immigration, et elle y avait fondé une famille sans détenir de titre de séjour. Le ministre ajouta que lorsqu’il s’était révélé au cours de la procédure qu’elle était enceinte, rien n’avait permis d’établir ni même de faire apparaître qu’elle serait incapable, si une hospitalisation était nécessaire, d’accoucher dans un hôpital du Surinam, ni qu’il y eût des obstacles objectifs insurmontables à l’exercice par elle de sa vie familiale dans ce pays. Il nota à cet égard que l’on parlait néerlandais au Surinam, et il considéra que la transition ne serait donc pas spécialement difficile pour les enfants de la requérante, dont il estima qu’ils pourraient poursuivre leurs études normalement dans ce pays. Le ministre ajouta que le simple fait que le conjoint et les enfants de la requérante fussent des ressortissants néerlandais ne faisait pas automatiquement naître pour les autorités néerlandaises l’obligation d’octroyer à l’intéressée un permis de séjour et n’impliquait pas nécessairement que l’exercice de leur vie familiale ne fût possible qu’aux Pays-Bas. Il considéra que les autorités ne pouvaient être tenues pour responsables des conséquences du choix personnel qu’avait fait la requérante de venir aux Pays-Bas, de s’y installer et d’y fonder une famille sans être certaine qu’elle pourrait y obtenir un permis de séjour permanent. Dans cette mise en balance, il attribua une importance décisive au fait que la requérante n’avait jamais résidé légalement aux Pays-Bas et qu’absolument rien n’indiquait qu’il lui serait impossible de mener sa vie familiale au Surinam. Le ministre rejeta également l’argument de la requérante consistant à dire qu’elle devait être exemptée de l’obligation de détenir un visa de séjour temporaire, considérant notamment que la durée du séjour de l’intéressée aux Pays-Bas était la conséquence de son choix personnel d’y rester. Il observa qu’elle avait essuyé plusieurs refus à ses demandes de permis de séjour aux Pays-Bas mais qu’elle avait néanmoins choisi à chaque fois d’introduire une nouvelle demande, acceptant ainsi le risque de devoir à un moment ou à un autre quitter le pays, au moins temporairement. Il ajouta qu’elle était née et avait grandi au Surinam, qu’elle y avait passé l’essentiel de sa vie et que, vu son âge, elle devait être considérée comme capable d’y retourner et d’y subvenir à ses besoins, le cas échéant avec un soutien financier et/ou matériel envoyé des Pays-Bas, pendant l’examen de la demande de visa de séjour temporaire qu’elle devait introduire sur place. À cet égard, il conclut que l’affaire ne faisait pas apparaître de circonstances justifiant de conclure que la décision de ne pas exempter la requérante de l’obligation de détenir un visa de séjour temporaire la plaçait dans une situation exceptionnellement difficile au sens de l’article 3.71 § 4 du décret de 2000 sur les étrangers. Le 17 mai 2010, la requérante saisit le ministre d’une objection contre cette décision. Elle exposa des arguments supplémentaires à l’appui et communiqua des informations complémentaires dans des lettres des 20 mai, 25 mai et 8 juin 2010. Le 2 juillet 2010, la requérante pria le tribunal de La Haye d’adopter une mesure provisoire, en l’occurrence une injonction de ne pas l’expulser dans l’attente de l’issue de la procédure d’examen de cette objection. Par ailleurs, elle sollicita sur le fondement de l’article 64 de la loi de 2000 sur les étrangers (paragraphe 53 ci-dessous) un sursis à l’exécution de la mesure d’éloignement. Le 3 août 2010, après qu’une audience se fut tenue le 28 juillet 2010, le juge des mesures provisoires du tribunal de La Haye siégeant à Amsterdam, tenant compte du fait que l’examen de cette demande était pendant, rejeta la demande de mesure provisoire au motif qu’elle était sans objet. Le 19 décembre 2011, le ministre rejeta l’objection introduite par la requérante le 17 mai 2010. La requérante contesta cette décision par un recours que le tribunal de La Haye siégeant à Dordrecht rejeta le 17 juillet 2012 par une décision qui, en ses parties pertinentes, se lit ainsi : « 2.4.1. Il faut déterminer si l’intimé pouvait refuser d’exempter l’appelante de l’obligation de détenir un visa de séjour temporaire imposée par l’article 3.71 § 1 du décret de 2000 sur les étrangers au motif que l’éloignement de l’intéressée ne serait pas contraire à l’article 8 de la Convention. 4.2. Il ne fait pas controverse entre les parties qu’il y a une vie familiale entre l’appelante, son époux et leurs trois enfants mineurs. Pour autant, le rejet de la demande [de permis de séjour] ne constitue pas une ingérence au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. En effet, ce n’est pas comme si on lui avait retiré un titre de séjour lui permettant de mener sa vie familiale aux Pays-Bas puisqu’elle n’en a jamais eu. La question se pose alors de savoir s’il existe des faits et circonstances tels que l’on puisse considérer que le droit au respect de la vie familiale engendre pour l’intimé l’obligation positive d’autoriser l’appelante à résider [aux Pays-Bas]. Il faut dans ce cadre ménager un « juste équilibre » entre, d’une part, l’intérêt de l’étranger concerné à mener sa vie familiale aux Pays-Bas et, d’autre part, l’intérêt général de l’État néerlandais à appliquer une politique d’immigration restrictive. À cet égard, les autorités nationales jouissent d’une certaine marge d’appréciation. 4.3. Il était raisonnable pour l’intimé d’attacher plus de poids à l’intérêt général de l’État néerlandais qu’à l’intérêt personnel de l’appelante et des membres de sa famille. L’article 8 de la Convention ne lui imposait pas l’obligation d’octroyer à l’appelante un titre de séjour aux Pays-Bas. Dans la mise en balance des intérêts en jeu, l’intimé était fondé à retenir contre l’appelante, en lui accordant un grand poids, le fait qu’elle avait entamé sa vie familiale aux Pays-Bas sans y avoir obtenu de titre de séjour à cette fin et qu’elle avait continué de développer cette vie familiale malgré les refus opposés à ses demandes de titre de séjour. Le fait que, pendant un certain temps, l’appelante a résidé légalement sur le territoire néerlandais dans l’attente de l’issue de la procédure relative à sa demande de titre de séjour n’y change rien. 4.4. L’intimé était fondé à considérer que l’appelante devait assumer les conséquences découlant de ses choix. En vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas [no 50435/99, CEDH 2006I]), lorsque la vie familiale a commencé alors qu’il n’avait pas été accordé de permis de séjour à cette fin, l’éloignement n’emporte violation de l’article 8 que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Or l’appelante n’a pas établi qu’elle et sa famille relèvent de pareilles circonstances exceptionnelles. C’est à tort qu’elle invoque les arrêts Rodrigues da Silva et Hoogkamer et Nunez c. Norvège [(no 55597/09, 28 juin 2011)], car sa situation n’est pas comparable à celle des requérants dans ces affaires. Dans celles-ci, il était établi que les enfants ne pouvaient pas suivre leur mère dans son pays d’origine ; dès lors, l’éloignement de la mère aurait rendu impossible tout contact avec ses enfants. En l’espèce, en revanche, il n’est pas suffisamment certain que le mari et les enfants de l’appelante ne pourraient pas la suivre dans son pays d’origine pour que la famille y poursuive sa vie commune. L’appelante n’a pas avancé des éléments suffisants pour démontrer que les membres de sa famille auraient du mal à entrer au Surinam. La conséquence de l’inscription du mari sur une liste noire est que les compagnies aériennes peuvent lui refuser l’embarquement sur des vols directs des Pays-Bas vers les Antilles néerlandaises, Aruba, le Surinam et le Venezuela du 2 août 2009 au 2 août 2012. Il n’en découle pas forcément qu’il ne puisse pas être admis sur le territoire surinamais. L’appelante n’a pas non plus établi qu’il serait impossible pour son époux de se rendre au Surinam par d’autres moyens. En outre, il est important de noter que l’inscription sur la liste noire n’est que temporaire. 4.5. Le dossier ne révèle pas d’autres circonstances propres à faire conclure à l’existence d’un obstacle objectif à la poursuite par les intéressés de leur vie familiale au Surinam. On ne peut davantage parler d’un formalisme excessif. La situation de l’appelante n’est pas comparable à celle des requérantes dans l’affaire Rodrigues da Silva. L’intimé a suffisamment tenu compte, dans la mise en balance à laquelle il a procédé, de l’intérêt des enfants mineurs. Ceux-ci sont tous nés aux Pays-Bas et ont la nationalité néerlandaise. Au moment de la décision litigieuse, ils étaient âgés respectivement de onze ans, six ans et un an. Ils ont toujours vécu aux Pays-Bas. L’aîné a certes établi des liens avec le pays, mais l’intimé n’était pas tenu de considérer que cette circonstance constituait une base suffisante pour dire que les enfants ne pourraient pas s’enraciner au Surinam. À cet égard, il est pertinent aussi de noter qu’on parle néerlandais dans ce pays et que les deux parents en sont originaires. 4.6. Ne change rien à cela le fait que l’époux et les enfants de l’appelante sont de nationalité néerlandaise et que, en vertu de l’article 20 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« le TFUE »), leur qualité de citoyens de l’Union leur confère des droits. On peut déduire du raisonnement tenu par la Cour de justice de l’Union européenne (« la CJUE ») dans l’arrêt Dereci et al. du 15 novembre 2011 (C-256/11), où elle a précisé sa jurisprudence Ruiz Zambrano (arrêt du 8 mars 2011 (C-34/09)), que dans la détermination du point de savoir si un citoyen de l’Union qui exerce une vie familiale avec un ressortissant d’un pays tiers se trouvera privé du droit – qui découle directement de l’article 20 du TFUE – de résider sur le territoire de l’UE, le droit au respect de la vie familiale ne revêt qu’une importance limitée. Il découle en effet des paragraphes 68 et 69 de l’arrêt Dereci que ce droit, en tant que tel, n’est pas protégé par l’article 20 du TFUE mais par d’autres règles et normes du droit international, du droit de l’Union européenne et du droit interne, telles que l’article 8 de la Convention, l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les directives européennes et l’article 15 de la loi de 2000 sur les étrangers. Pour répondre à la question exposée ci-dessus, il ne faut, là aussi, accorder qu’une importance limitée au désir que peuvent avoir les membres d’une famille nucléaire de résider ensemble aux Pays-Bas ou sur le territoire de l’Union. 4.7. Le cas où un citoyen de l’Union se voit priver du droit de résider sur le territoire de l’Union ne se présente que lorsque ce citoyen dépend du ressortissant du pays tiers au point que, en conséquence de la décision des autorités nationales, il n’aurait pas d’autre choix que de s’installer avec cette personne hors du territoire de l’Union. Telle n’est pas la situation des membres de la famille de l’appelante. Le père peut prendre soin de ses enfants. Il est lui-même de nationalité néerlandaise. Ni lui ni les enfants ne sont tenus ou contraints d’accompagner l’appelante au Surinam lorsqu’elle ira y solliciter l’octroi d’un visa de séjour temporaire. Il n’y a donc pas violation des droits que leur confère leur qualité de citoyens de l’Union. 4.8. Il était raisonnable pour l’intimé d’estimer qu’il ne paraissait pas y avoir de circonstances individuelles extrêmement particulières de nature à faire conclure à l’existence d’une situation exceptionnellement difficile. Les procédures relatives aux précédentes demandes de permis de séjour formées par l’appelante et le déroulement des événements pendant son placement en centre de rétention pour les étrangers aux fins d’un éloignement ne peuvent être considérés comme relevant de cette qualification. La régularité des décisions prises relativement à ces demandes ne peut être examinée dans le cadre de la présente procédure. Par ailleurs, l’appelante n’a pas étayé son allégation consistant à dire qu’elle répondait à toutes les conditions requises lorsqu’elle a formé sa première demande de permis de séjour et qu’elle aurait donc dû alors se voir octroyer le permis demandé. (...) » Le tribunal considéra ensuite que la requérante n’avait pas étayé son argument selon lequel elle souffrait de problèmes de santé ni expliqué en quoi ces problèmes justifiaient de l’exempter de l’obligation de détenir un visa de séjour temporaire. Il jugea également qu’elle n’avait pas démontré que, comme elle le soutenait, elle répondait à toutes les exigences requises, hormis celle de détenir un visa de séjour temporaire, pour se voir délivrer un permis de séjour. Le 14 août 2012, la requérante contesta cette décision devant la section du contentieux administratif. Les parties n’ont pas communiqué d’autres informations sur la procédure relative à cette dernière demande de permis de séjour. B. Les principales mesures prises en vue de l’expulsion de la requérante et le placement de l’intéressée en rétention administrative Le 5 janvier 2007, la police des étrangers invita la requérante à se rendre dans ses locaux le 10 janvier 2007 aux fins de se voir remettre l’ordre lui enjoignant de quitter le territoire national dans un délai de deux semaines. Cet ordre fut par la suite retiré en raison de l’introduction par la requérante, le 23 janvier 2007, d’une troisième demande de permis de séjour (paragraphe 19 ci-dessus). Le 26 février 2010, la police des étrangers informa l’avocate de la requérante que, le recours formé par sa cliente contre l’arrêt du 8 décembre 2009 (paragraphes 23 et 25 ci-dessus) n’ayant pas d’effet suspensif, il allait être procédé à l’expulsion. Le 10 avril 2010, faute de s’être rendue dans les locaux de la police des étrangers où elle avait été convoquée le 4 mars 2010, la requérante fut placée en rétention administrative (vreemdelingenbewaring) aux fins de son expulsion en vertu de l’article 59 § 1 a) de la loi de 2000 sur les étrangers. Elle fut conduite au centre de rétention de Zeist, où on constata qu’elle était enceinte, l’accouchement étant prévu pour le 14 décembre 2010. Elle introduisit successivement trois demandes de remise en liberté, qui furent rejetées par le tribunal de La Haye siégeant à Rotterdam respectivement le 27 avril, le 1er juin et le 8 juillet 2010. Dans chacune de ces décisions, le tribunal jugea qu’il y avait des perspectives suffisantes que la requérante fût expulsée dans un délai raisonnable et que les autorités néerlandaises faisaient preuve de la diligence requise aux fins de la mise en œuvre de cette expulsion. Il rejeta par ailleurs l’argument de la requérante consistant à dire que sa grossesse rendait sa privation de liberté contraire à l’article 3 de la Convention et que, compte tenu de son état, ses conditions de détention étaient incompatibles avec cette disposition. La section pour les Pays-Bas d’Amnesty International exprima sa préoccupation relativement au placement de la requérante en rétention administrative dans une lettre du 29 juin 2010 adressée à son avocate, qui la versa au dossier de la procédure devant le tribunal. L’ONG considérait que si la requérante n’avait certes pas respecté l’obligation qui lui avait été imposée de se présenter à la police, une mesure moins sévère que la privation de liberté aurait été plus appropriée dans son cas particulier. Les 28 juin, 15 juillet et 3 août 2010, pendant sa privation de liberté, la requérante se plaignit de ses conditions de rétention auprès de la commission de contrôle (Commissie van Toezicht) compétente pour les deux centres où elle séjourna successivement. La commission statua sur ces plaintes dans deux décisions rendues respectivement le 12 et le 29 novembre 2010 respectivement. Elle rejeta l’ensemble des griefs, sauf celui que la requérante avait formulé le 28 juin 2010 quant au port d’entraves pendant ses transferts à l’hôpital, qu’elle jugea fondé dans la décision du 29 novembre 2010. La requérante contesta les décisions des 12 et 29 novembre 2010 par des recours que la commission de recours (beroepscommissie) du Conseil pour l’administration de la justice pénale et la protection de la jeunesse (Raad voor Strafrechtstoepassing en Jeugdbescherming) trancha définitivement le 6 juin 2011. Ledit organe jugea inadmissible l’utilisation de dispositifs d’entrave sur une femme enceinte et estima que la ration supplémentaire de nourriture servie à la requérante à son arrivée au centre de rétention de Rotterdam avait été insuffisante. La Cour a examiné ces griefs dans sa décision sur la recevabilité du 4 décembre 2012 (paragraphe 4 ci-dessus) et les a déclarés irrecevables pour les motifs exposés dans cette décision. La requérante fut remise en liberté le 5 août 2010 ; elle donna naissance à son troisième enfant le 28 novembre de la même année. Le 25 septembre 2012, le Consulat général du Surinam à Amsterdam délivra à la requérante un passeport surinamais valable jusqu’au 25 septembre 2017. II. LE DROIT NÉERLANDAIS ET LE DROIT SURINAMAIS PERTINENTS A. Le droit et la pratique néerlandais en matière d’immigration Jusqu’au 1er avril 2001, l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers étaient régis par la loi de 1965 sur les étrangers (Vreemdelingenwet 1965). Des règles supplémentaires étaient posées dans le décret sur les étrangers (Vreemdelingenbesluit), le règlement sur les étrangers (Voorschrift Vreemdelingen) et la circulaire sur les étrangers (Vreemdelingencirculaire). La loi générale sur le droit administratif (Algemene Wet Bestuursrecht) s’appliquait aux procédures engagées en vertu de la loi de 1965 sur les étrangers, sauf indication contraire dans celleci. En vertu de l’article 4:5 § 1 de la loi générale sur le droit administratif, lorsque l’auteur d’une demande a méconnu une règle légale afférente au traitement de sa demande ou que les informations et les documents fournis par lui sont insuffisants pour apprécier le bien-fondé de celle-ci, l’autorité administrative peut, après avoir imparti à l’auteur de la demande un délai pour compléter le dossier, décider de ne pas traiter la demande si l’auteur ne la régularise pas dans le délai fixé. En vertu de l’article 41 § 1 c) du décret de 1965 sur les étrangers, les ressortissants étrangers qui désiraient séjourner aux Pays-Bas pendant plus de trois mois devaient, aux fins de leur admission sur le territoire, être en possession d’un passeport en cours de validité portant un visa de séjour temporaire valable délivré par une représentation diplomatique ou consulaire des Pays-Bas établie dans leur pays d’origine ou de résidence ou, à défaut, dans le pays le plus proche. L’objectif de la condition de visa était notamment d’empêcher l’entrée et le séjour irréguliers de ressortissants étrangers sur le territoire national. Quiconque entrait aux Pays-Bas ou y demeurait sans détenir de visa de séjour temporaire était en infraction à la loi de 1965 sur les étrangers. Toutefois, le défaut de visa de séjour temporaire ne pouvait pas entraîner un refus de délivrance d’un permis de séjour si, au moment de la demande de permis, toutes les autres conditions requises étaient réunies. Le 1er avril 2001, la loi de 1965 sur les étrangers fut remplacée par la loi de 2000 sur les étrangers (« la loi de 2000 »). À la même date, le décret sur les étrangers, le règlement sur les étrangers et la circulaire sur les étrangers furent remplacés par de nouvelles versions reposant sur la loi de 2000. Sauf indication contraire dans la loi de 2000, la loi générale sur le droit administratif a continué de s’appliquer aux procédures relatives aux demandes d’entrée et de séjour formulées par des étrangers. En vertu des dispositions transitoires énoncées à l’article 11 de la loi de 2000, les demandes de permis de séjour dont le traitement était en cours au moment de l’entrée en vigueur de cette loi devaient être considérées comme relevant de ses dispositions. Dès lors qu’aucune règle transitoire n’avait été prévue pour les dispositions de fond du droit des étrangers, les dispositions de fond de la loi de 2000 sur les étrangers prirent effet immédiatement. L’article 1 h) de la loi de 2000, dans sa version en vigueur au moment des faits, était ainsi libellé : « Dans la présente loi et les dispositions prises pour son application, les expressions ci-dessous ont le sens suivant : (...) h) visa de séjour temporaire : visa délivré soit par une représentation diplomatique ou consulaire des Pays-Bas dans le pays d’origine ou de résidence habituelle, soit par les gouvernorats des Antilles néerlandaises ou d’Aruba dans ces pays, avec l’autorisation préalable de Notre ministre des Affaires étrangères, aux fins d’un séjour d’une durée de plus de trois mois ; » L’article 8 a), f), h) et j) de la loi de 2000 dispose : « Un étranger ne réside légalement aux Pays-Bas que : a) s’il détient un permis de séjour de durée déterminée visé à l’article 14 [de la présente loi, c’est-à-dire un permis de séjour délivré pour un motif autre que l’asile] ; (...) c) s’il détient un permis de séjour de durée déterminée visé à l’article 28 [de la présente loi, c’est-à-dire un permis de séjour délivré aux fins de l’asile] ; (...) f) dans l’attente d’une décision sur une demande de permis de séjour visé à l’article 14 ou à l’article 28 lorsque, en vertu de la présente loi ou d’une décision de justice, il ne peut être procédé à son expulsion tant que cette décision n’a pas été rendue ; (...) h) dans l’attente d’une décision sur une objection, une demande de réexamen ou un recours lorsque, en vertu de la présente loi ou d’une décision de justice, il ne peut être procédé à son expulsion tant que cette décision n’a pas été rendue ; (...) j) en cas d’obstacle à l’expulsion au sens de l’article 64 ; (...) » L’article 16 § 1 a) de la loi de 2000 est ainsi libellé : « 1. Les demandes d’octroi d’un permis de séjour de durée déterminée au sens de l’article 14 peuvent être rejetées si : a) l’étranger ne détient pas un visa de séjour temporaire valable correspondant au but pour lequel la demande de permis de séjour est introduite ; » En ses parties pertinentes, l’article 27 de la loi de 2000 dispose : « 1. Les conséquences d’une décision de rejet d’une demande d’octroi d’un permis de séjour de durée déterminée au sens de l’article 14 ou d’un permis de séjour de durée indéterminée au sens de l’article 20 sont, ipso jure, les suivantes : a) l’étranger n’est plus en situation de séjour régulier sur le territoire, à moins que son séjour puisse être réputé régulier pour un autre motif juridique ; b) l’étranger doit quitter de lui-même le territoire des Pays-Bas dans le délai prévu à l’article 62, à défaut de quoi il s’expose à une expulsion, et c) les agents de contrôle des étrangers sont habilités, après l’expiration du délai dans lequel l’étranger doit quitter de lui-même le territoire des Pays-Bas, à pénétrer en tous lieux, y compris dans des logements, sans le consentement de leur occupant, afin de procéder à l’expulsion de l’étranger. Le paragraphe 1 s’applique mutatis mutandis dans les cas suivants : a) lorsqu’il a été décidé, en vertu de l’article 24 [de la présente loi] ou en vertu de l’article 4:5 de la loi générale sur le droit administratif, de ne pas traiter la demande ; (...) » L’article 62 § 1 de la loi de 2000 se lit ainsi : « Lorsque l’étranger n’est plus en situation de séjour régulier, il doit quitter de luimême le territoire des Pays-Bas dans un délai de quatre semaines. » L’article 64 de la loi de 2000 dispose : « Un étranger ne peut être expulsé tant que sa santé ou celle de l’un des membres de sa famille constitue une contre-indication à ce qu’il voyage. » L’article 3.71 § 1 du décret de 2000 sur les étrangers est ainsi libellé : « Toute demande d’octroi d’un permis de séjour de durée déterminée au sens de l’article 14 de la loi est rejetée si l’étranger n’est pas en possession d’un visa de séjour temporaire valable. » En vertu de l’article 3.1 § 1 du décret de 2000 sur les étrangers, les ressortissants étrangers qui ont sollicité l’octroi d’un permis de séjour ne doivent pas être expulsés, à moins que le ministre ne juge que leur demande n’est que la simple répétition d’une demande antérieure. Selon la circulaire de 2000 sur la mise en œuvre de la loi sur les étrangers (« la circulaire de 2000 »), l’obligation pour les ressortissants étrangers d’obtenir un visa de séjour temporaire permet aux autorités néerlandaises de vérifier qu’ils répondent à toutes les conditions requises pour l’octroi de ce visa avant leur entrée sur le territoire national. Le pouvoir d’octroyer un visa de séjour temporaire est conféré au ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas. Les demandes de visa de séjour temporaire sont, en principe, appréciées sur la base des mêmes critères que les demandes de permis de séjour. Ce n’est qu’après avoir obtenu un tel visa que le ressortissant étranger peut se rendre aux Pays-Bas et y demander un permis de séjour. Un étranger qui entre et séjourne sur le territoire des PaysBas sans détenir de visa de séjour temporaire est en situation irrégulière. Pour des raisons liées à la démographie et à la situation de l’emploi aux Pays-Bas, le gouvernement néerlandais applique une politique d’immigration restrictive. Les étrangers ne peuvent entrer sur le territoire que sur la base d’accords internationaux directement applicables ou si leur présence sert un intérêt néerlandais essentiel, ou encore pour des motifs impérieux d’ordre humanitaire (article 13 de la loi de 2000). Le respect de la vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention est une obligation imposée par un accord international. La politique d’admission aux fins de la formation d’une famille (gezinsvorming) ou d’un regroupement familial (gezinshereniging) est énoncée au chapitre B1 de la circulaire de 2000. Le partenaire ou le conjoint d’un ressortissant néerlandais est en principe admissible sur le territoire, sous réserve que soient réunies certaines conditions supplémentaires en matière par exemple d’ordre public et de ressources. En vertu de l’article 3.71 § 1 du décret de 2000 sur les étrangers, la demande de permis de séjour pour formation d’une famille doit être rejetée si l’étranger n’est pas titulaire d’un visa de séjour temporaire valide. Plusieurs catégories d’étrangers sont cependant exemptées de l’obligation de détenir pareil visa (article 17 § 1 de la loi de 2000 combiné avec l’article 3.71 § 2 du décret de 2000 sur les étrangers), notamment ceux dont l’expulsion serait contraire à l’article 8 de la Convention. De plus, en vertu du paragraphe 4 de l’article 3.71 du décret de 2000 sur les étrangers, le ministre compétent peut décider de ne pas appliquer le paragraphe 1 du même article s’il considère que l’application de ce paragraphe placerait l’étranger dans une situation exceptionnellement difficile (onbillijkheid van overwegende aard). Le chapitre B1/2.2.1 de la circulaire de 2000 expose les règles à suivre pour l’application de cette clause de sauvegarde. En vertu du chapitre A4/7.6 de la circulaire de 2000, les femmes enceintes ne sont pas expulsables par voie aérienne dans les six semaines précédant le terme de la grossesse. La même disposition protège également les femmes ayant accouché depuis moins de six semaines. En dehors de ces périodes, la grossesse – hors complications médicales – ne constitue pas un motif de report de l’expulsion. En vertu de l’article 6:83 du livre premier du code civil (Burgerlijk Wetboek) néerlandais dans sa version en vigueur à la date – le 25 juin 1999 – du mariage de la requérante avec M. W., les époux étaient en principe tenus de cohabiter. Cette disposition fut supprimée du code civil par la loi du 31 mai 2001 portant modification des droits et obligations des époux et des partenaires civils, entrée en vigueur le 22 juin 2001. B. L’Accord entre le Royaume des Pays-Bas et la République du Surinam concernant l’attribution de la nationalité Ancien pays (land) du Royaume des Pays-Bas, le Surinam est devenu une république indépendante le 25 novembre 1975. En ses parties pertinentes, l’Accord entre le Royaume des Pays-Bas et la République du Surinam concernant l’attribution de la nationalité en date du 25 novembre 1975 (Tractatenblad (Recueil des traités des Pays-Bas) 1975 no 132, [1976] 997 Recueil des Traités des Nations Unies (RTNU) no 14598) tel que modifié par le Protocole du 14 novembre 1994 (Tractatenblad 1994 no 280) est ainsi libellé : Article 2 « 1. L’acquisition de la nationalité surinamaise en vertu du présent Accord entraîne la perte de la nationalité néerlandaise. L’acquisition de la nationalité néerlandaise en vertu du présent Accord entraîne la perte de la nationalité surinamaise. » Article 3 « Tous les ressortissants néerlandais majeurs qui sont nés au Surinam et qui, à la date d’entrée en vigueur du présent Accord, sont domiciliés ou résident effectivement en République du Surinam, acquièrent la nationalité surinamaise. (...) » C. Le droit et la pratique surinamais en matière d’immigration Les informations ci-après proviennent des pages Internet de la direction des étrangers (Hoofdafdeling Vreemdelingenzaken) du ministère surinamais de la Police et de la Justice (Ministerie van Politie en Justitie) et du Consulat général du Surinam à Amsterdam. Les étrangers soumis à l’obligation de visa (visumplichtige vreemdelingen) peuvent entrer au Surinam munis d’un visa de tourisme pour une durée maximale de 90 jours. S’ils souhaitent demeurer dans le pays plus longtemps, ils doivent obtenir au préalable un visa de court séjour (machtiging voor kort verblijf, « MKV ») auprès d’une ambassade ou d’un consulat du Surinam dans leur pays d’origine. Ce document leur permet de solliciter un permis de séjour à leur arrivée au Surinam. Les étrangers d’origine surinamaise sont exemptés de l’obligation d’obtenir un visa de court séjour. Ils peuvent entrer au Surinam en présentant un document de voyage de tourisme et demander un permis de séjour dans le pays à leur arrivée. Dans cette catégorie se trouvent notamment : – les personnes qui sont nées au Surinam mais qui sont d’une autre nationalité ; – les personnes qui sont nées hors du Surinam de parents dont l’un au moins est né au Surinam – sous réserve qu’elles aient ou qu’elles aient eu avec le ou les parents en question des liens familiaux juridiquement reconnus (familierechtelijke betrekkingen) – mais qui sont d’une autre nationalité ; – le conjoint et les enfants mineurs qui font effectivement partie de la famille de l’une de ces deux catégories de personnes. Par ailleurs, les étrangers d’origine surinamaise peuvent obtenir un visa de tourisme pour entrées multiples d’une durée de validité de trois ans (à condition de ne pas avoir fait l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire surinamais au cours des cinq années précédentes). Certains ressortissants étrangers, dont les ressortissants néerlandais, peuvent acheter une « carte de touriste » permettant une seule entrée sur le territoire. Dans le cas des étrangers d’origine surinamaise (tels que définis au paragraphe 63 ci-dessus) cette carte est valable pour une durée maximale de six mois (90 jours dans tous les autres cas). Les pièces à fournir sont un passeport d’une durée de validité d’au moins six mois à compter de l’arrivée, un billet de retour et, le cas échéant, une preuve de l’origine surinamaise. D. La loi surinamaise de 2013 sur les personnes d’origine surinamaise Le 20 décembre 2013, l’Assemblée nationale du Surinam a adopté la loi sur les personnes d’origine surinamaise (Wet Personen van Surinaamse Afkomst), également dénommée loi sur la diaspora. Cette loi a été publiée au Journal officiel (Staatsblad) du Surinam no 8-2014 du 21 janvier 2014 et elle est entrée en vigueur trois mois après sa publication. Elle définit les « personnes d’origine surinamaise » comme étant les individus qui ne détiennent pas la nationalité surinamaise mais qui sont nés au Surinam ou dont au moins l’un des parents ou deux des grands-parents sont originaires du Surinam. En vertu de son article 9, les « personnes d’origine surinamaise » telles que définies dans cette loi ont le droit d’entrer librement au Surinam, de s’y installer et d’y travailler, et elles ne sont pas soumises aux obligations de visa applicables aux ressortissants étrangers à ces fins. E. La langue officielle du Surinam La seule langue officielle du Surinam, et donc celle utilisée par le gouvernement et l’administration, est le néerlandais. Il est enseigné à l’école publique, et il est largement parlé, en plus des langues traditionnelles des différents groupes ethniques. III. LE DROIT EUROPÉEN ET LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS A. Le droit de l’Union européenne pertinent Les règles du droit de l’Union européenne (UE) applicables en matière de regroupement familial dépendent du statut de la personne qui reçoit l’étranger à cette fin (le regroupant). Il y a trois grandes catégories de regroupement familial : Le regroupement de la famille d’un ressortissant d’un pays tiers qui réside légalement dans un État membre de l’Union et qui souhaite être rejoint par un membre de sa famille également ressortissant d’un pays tiers. Ce cas relève de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial. Le regroupement de la famille d’un citoyen d’un État membre de l’Union qui a exercé son droit de libre circulation au sein de l’Union en s’installant dans un autre État membre que celui dont il a la nationalité. Ce cas relève de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Le regroupement dans un État membre de l’Union de la famille d’un ressortissant « statique » de cet État (c’est-à-dire d’un citoyen de l’Union qui a toujours vécu dans l’État dont il est ressortissant et qui n’a pas franchi de frontière pour s’installer dans un autre État membre de l’Union). En principe, ce cas relève de la compétence des États membres et échappe au champ d’application des directives 2003/86 et 2004/38, à moins qu’un refus d’admettre le ressortissant de pays tiers n’ait pour effet de priver le citoyen de l’Union « statique » concerné de la jouissance effective de l’essentiel des droits attachés au statut de citoyen de l’Union (voir les paragraphes 71-72 ci-dessous). L’article 20 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« le TFUE ») est ainsi libellé : « 1. Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. Les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres : a) le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ; b) le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu’aux élections municipales dans l’État membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ; c) le droit de bénéficier, sur le territoire d’un pays tiers où l’État membre dont ils sont ressortissants n’est pas représenté, de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ; d) le droit d’adresser des pétitions au Parlement européen, de recourir au médiateur européen, ainsi que le droit de s’adresser aux institutions et aux organes consultatifs de l’Union dans l’une des langues des traités et de recevoir une réponse dans la même langue. Ces droits s’exercent dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci. » Le 8 mars 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur l’affaire C34/09, Gerardo Ruiz Zambrano c. Office national de l’emploi (ONEm), qui concernait le droit pour deux ressortissants colombiens (M. Ruiz Zambrano et son épouse) de résider en Belgique à raison de la nationalité de leurs deux enfants mineurs, Belges par le fait qu’ils étaient nés en Belgique à une période où leurs parents bénéficiaient d’une protection humanitaire qui leur permettait d’y résider. Les parents avaient quant à eux fini par perdre leur statut de bénéficiaires de la protection humanitaire en Belgique. Dans cette affaire, la Cour de justice a dit ceci : « [L]’article 20 [du TFUE] doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre, d’une part, refuse à un ressortissant d’un État tiers, qui assume la charge de ses enfants en bas âge, citoyens de l’Union, le séjour dans l’État membre de résidence de ces derniers et dont ils ont la nationalité et, d’autre part, refuse audit ressortissant d’un État tiers un permis de travail, dans la mesure où de telles décisions priveraient lesdits enfants de la jouissance effective de l’essentiel des droits attachés au statut de citoyen de l’Union. » Dans l’affaire C256/11 (Murat Dereci et autres c. Bundesministerium für Inneres, arrêt du 15 novembre 2011), la Cour de justice a notamment examiné la question de savoir s’il fallait interpréter l’article 20 du TFUE comme empêchant un État membre de refuser d’accorder un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers souhaitant vivre avec son conjoint et ses enfants mineurs, citoyens de l’Union résidant en Autriche et ressortissants de cet État, alors que le conjoint et les enfants n’avaient jamais exercé leur droit de libre circulation au sein de l’Union et ne dépendaient pas du ressortissant du pays tiers pour leur subsistance. Elle a dit ceci : « 64. (...) la Cour a jugé que l’article 20 [du] TFUE s’oppose à des mesures nationales qui ont pour effet de priver les citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut (voir arrêt Ruiz Zambrano, précité, point 42). En effet, dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, se posait la question de savoir si le refus de séjour opposé à une personne, ressortissant d’un État tiers, dans l’État membre où résident ses enfants en bas âge, ressortissants dudit État membre, dont elle assume la charge ainsi que le refus d’octroyer à cette personne un permis de travail auront un tel effet. La Cour a notamment considéré qu’un tel refus de séjour aura pour conséquence que lesdits enfants, citoyens de l’Union, se verront obligés de quitter le territoire de l’Union pour accompagner leurs parents. Dans de telles conditions, lesdits citoyens de l’Union seraient, de fait, dans l’impossibilité d’exercer l’essentiel des droits conférés par leur statut de citoyen de l’Union (voir arrêt Ruiz Zambrano, précité, points 43 et 44). Il en découle que le critère relatif à la privation de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union se réfère à des situations caractérisées par la circonstance que le citoyen de l’Union se voit obligé, en fait, de quitter le territoire non seulement de l’État membre dont il est ressortissant, mais également de l’Union pris dans son ensemble. Ce critère revêt donc un caractère très particulier en ce qu’il vise des situations dans lesquelles, en dépit du fait que le droit secondaire relatif au droit de séjour des ressortissants d’États tiers n’est pas applicable, un droit de séjour ne saurait, exceptionnellement, être refusé à un ressortissant d’un État tiers, membre de la famille d’un ressortissant d’un État membre, sous peine de méconnaître l’effet utile de la citoyenneté de l’Union dont jouit ce dernier ressortissant. En conséquence, le seul fait qu’il pourrait paraître souhaitable à un ressortissant d’un État membre, pour des raisons d’ordre économique ou afin de maintenir l’unité familiale sur le territoire de l’Union, que des membres de sa famille, qui ne disposent pas de la nationalité d’un État membre, puissent séjourner avec lui sur le territoire de l’Union, ne suffit pas en soi pour considérer que le citoyen de l’Union serait contraint de quitter le territoire de l’Union si un tel droit n’est pas accordé. Cela ne préjuge certes pas la question de savoir si, sur d’autres bases, notamment en vertu du droit relatif à la protection de la vie familiale, un droit de séjour ne saurait être refusé. Cette question doit cependant être abordée dans le cadre des dispositions relatives à la protection des droits fondamentaux et en fonction de leur applicabilité respective. » B. La Convention relative aux droits de l’enfant Les dispositions pertinentes de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (« Convention relative aux droits de l’enfant ») signée à New York le 20 novembre 1989 sont ainsi libellées : Préambule « Les États parties à la présente Convention, (...) Convaincus que la famille, unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres et en particulier des enfants, doit recevoir la protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer pleinement son rôle dans la communauté, Reconnaissant que l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension, (...) Sont convenus de ce qui suit (...) » Article 3 « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées. Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. » Article 6 « 2. Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l’enfant. » Article 7 « 1. L’enfant (...) a dès [sa naissance] (...) le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux (...) » Article 9 « 1. Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant (...) » Article 12 « 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. » Article 18 « 1. Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant. » Article 27 « 1. Les États parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social. C’est aux parents ou autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant. Les États parties adoptent les mesures appropriées, compte tenu des conditions nationales et dans la mesure de leurs moyens, pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de l’enfant à mettre en œuvre ce droit (...) » Dans son Observation générale no 7 (2005) relative à la mise en œuvre des droits de l’enfant dans la petite enfance, le Comité des droits de l’enfant – l’organe d’experts indépendants qui contrôle la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant par les États qui y sont parties – a exprimé le souhait d’encourager les États parties à reconnaître que les jeunes enfants jouissent de tous les droits garantis par cette Convention et que la petite enfance est une période déterminante pour la réalisation de ces droits. Il s’est notamment exprimé sur l’intérêt supérieur de l’enfant au paragraphe 13, qui est ainsi libellé : « 13. Intérêt supérieur de l’enfant. L’article 3 de la Convention [relative aux droits de l’enfant] consacre le principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants. En raison de leur manque relatif de maturité, les jeunes enfants dépendent des autorités compétentes pour définir leurs droits et leur intérêt supérieur et les représenter lorsqu’elles prennent des décisions et des mesures affectant leur bien-être, tout en tenant compte de leur avis et du développement de leurs capacités. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est mentionné à de nombreuses reprises dans la Convention (notamment aux articles 9, 18, 20 et 21, qui sont les plus pertinents pour la petite enfance). Ce principe s’applique à toutes les décisions concernant les enfants et doit être accompagné de mesures efficaces tendant à protéger leurs droits et à promouvoir leur survie, leur croissance et leur bien-être ainsi que de mesures visant à soutenir et aider les parents et les autres personnes qui ont la responsabilité de concrétiser au jour le jour les droits de l’enfant : a) Intérêt supérieur de l’enfant en tant qu’individu. Dans toute décision concernant notamment la garde, la santé ou l’éducation d’un enfant, dont les décisions prises par les parents, les professionnels qui s’occupent des enfants et autres personnes assumant des responsabilités à l’égard d’enfants, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en considération. Les États parties sont instamment priés de prendre des dispositions pour que les jeunes enfants soient représentés de manière indépendante, dans toute procédure légale, par une personne agissant dans leur intérêt et pour que les enfants soient entendus dans tous les cas où ils sont capables d’exprimer leurs opinions ou leurs préférences ; (...) » Pour une analyse plus détaillée de cette question, voir l’arrêt Neulinger et Shuruk c. Suisse ([GC], no 41615/07, §§ 49-55, CEDH 2010).
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I. Les circonstances de l’espèce Le requérant est né en 1954 et réside à Patras. À une date non précisée, des poursuites pénales furent engagées à son encontre pour contrebande. Par jugement no 2451/1998 du 29 avril 1998, le tribunal correctionnel de Patras l’acquitta définitivement. Par acte du Directeur des douanes de Patras du 14 avril 1999, le requérant s’est vu imposer une amende de 2 732 000 drachmes (8 017,60 euros environ) pour contrebande. Le 24 juin 1999, le requérant saisit le tribunal administratif de première instance de Patras d’un recours en annulation de l’acte précité. Le 30 octobre 2000, le recours fut rejeté (décision no 621/2000). Cette décision fut notifiée au requérant le 9 mars 2001. Le 24 avril 2001, le requérant interjeta appel. Le 27 mars 2003, la cour administrative d’appel de Patras rejeta l’appel (arrêt no 142/2003). Le 25 juin 2003, le requérant se pourvut en cassation. Le 19 octobre 2005, la deuxième chambre du Conseil d’État renvoya l’affaire devant la formation plénière, afin que celle-ci se prononce sur une question de « grande importance », à savoir si l’acte commis par le requérant constituait une « simple infraction douanière » ou une infraction de contrebande (arrêt no 3463/2005). Le 19 janvier 2007, la formation plénière examina l’affaire et la renvoya devant la deuxième chambre (arrêt no 193/2007). Le 27 février 2008, la deuxième chambre du Conseil d’État annula l’arrêt no 142/2003 et renvoya l’affaire devant la cour administrative d’appel (arrêt no 747/2008). Par son arrêt no 607/2009, la cour administrative d’appel donna gain de cause au requérant, infirma la décision no 621/2000 et conclut à l’annulation de l’acte du Directeur des douanes de Patras. Elle nota que pour arriver à cette conclusion, elle avait pris en considération, entre autres, le jugement d’acquittement du tribunal correctionnel no 2451/1998 vu à la lumière de l’article 6 § 2 de la Convention et de la jurisprudence de la Cour y relative. Cet arrêt fut publié le 20 novembre 2009 et notifié au requérant le 3 mars 2010. II. Le droit interne pertinent La loi no 4055/2012 La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose: « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1962 et réside à Stuttgart (Allemagne). Le 8 mars 1997, la requérante, soupçonnée d’appartenance à une organisation illégale, fut arrêtée et placée en garde à vue à la section de lutte contre le terrorisme près la direction de la sûreté d’Istanbul. Le 12 mars 1997, au cours de sa garde à vue, la requérante fut conduite à l’hôpital civil de Haseki où elle fut soumise à un examen médical. Selon le rapport médical daté du même jour, elle présentait une hyperémie légère au niveau dorsal, sur l’omoplate gauche et sur l’avant-bras droit, une douleur et une sensibilité au niveau de l’épaule gauche et une restriction du mouvement de la même épaule. Le rapport indiquait que pareils constats nécessitaient une consultation en orthopédie. Le 14 mars 1997, à l’issue de sa garde à vue, la requérante fut emmenée à l’institut médicolégal. Le rapport médical établi à l’issue de l’examen confirmait les constatations figurant dans le rapport du 12 mars 1997 et précisait que la requérante présentait une douleur au niveau de l’épaule gauche ainsi qu’une restriction du mouvement de cette articulation. Il faisait en outre état d’une fracture de l’omoplate. Le même jour, la requérante comparut devant le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État devant lequel elle allégua avoir été torturée par des agents de police au cours de sa garde à vue. À l’issue de son audition, elle fut remise en liberté. Le 3 avril 1997, elle fut entendue par le procureur de la République devant lequel elle réitéra ses allégations de mauvais traitements. Le même jour, le procureur de la République demanda à la direction de la sûreté d’Istanbul des informations relatives à l’identité des agents de police chargés de la garde à vue de la requérante. Le 22 mai 1997, la direction de la sûreté fournit les noms demandés. Le 23 juillet, le 7 août et le 12 novembre 1997, le procureur de la République entendit les agents de police en question. Ceux-ci nièrent les allégations formulées par la requérante à leur encontre. Par un acte d’accusation du 9 janvier 1998, le parquet d’Istanbul engagea, sur le fondement de l’article 243 de la loi pénale no 765 réprimant les mauvais traitements, une action pénale à l’encontre de sept policiers attachés à la section de lutte contre le terrorisme. À une date non précisée, la requérante se constitua partie intervenante à la procédure devant la cour d’assises d’Istanbul. À l’audience du 28 mai 2001, une parade d’identification fut organisée. Parmi les policiers accusés et plusieurs autres personnes, la requérante déclara reconnaître formellement B.K. comme étant le policier qui l’avait placée en garde à vue et qui avait donné des ordres pendant celle-ci. Elle ajouta, en précisant toutefois n’en être pas tout à fait certaine parce que les policiers lui auraient recouvert les yeux d’un bandeau, que N.A. pouvait avoir été présent lors de l’infliction des mauvais traitements dont elle se plaignait. Un rapport établi par l’institut médicolégal le 21 novembre 2003 à la demande de la cour d’assises concluait, en s’appuyant sur des constats du rapport médical du 12 mars 1997, que la vie de la requérante n’avait pas été mise en danger et que l’intéressée aurait dû se voir prescrire une interruption de travail de vingt-cinq jours. Le 22 décembre 2003, la cour d’assises d’Istanbul mit fin pour prescription à la procédure diligentée à l’encontre des accusés B.K., C.B., N.A., Z.Ö. et S.T., et acquitta les policiers E.E. et Y.Ö. pour insuffisance de preuves. Le 22 décembre 2005, sur pourvoi de la requérante, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance pour autant qu’il concernait B.K., C.B., N.A., Z.Ö. et S.T. En revanche, elle infirma ce même arrêt pour autant qu’il concernait les deux autres policiers et décida l’action publique éteinte pour prescription. Cet arrêt ne fut pas signifié à la requérante. Le 1er mars 2006, la Cour de cassation transmit le dossier au greffe de la cour d’assises. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 243 de la loi pénale no 765 relatif aux infractions de torture et de mauvais traitements, en vigueur à l’époque des faits, était ainsi libellé : « Tout fonctionnaire ou autre agent de l’État qui torture une personne ou la soumet à un traitement cruel, inhumain ou dégradant en vue de lui faire avouer une infraction, ou d’empêcher une victime, un plaignant, une personne intervenant dans un procès ou un témoin de rapporter l’incident ou de porter plainte ou de signaler une infraction, ou parce qu’une personne s’est plainte, a signalé un délit ou a porté témoignage, ou pour tout autre motif, encourt une peine de réclusion criminelle pouvant aller jusqu’à huit ans, et est démis de ses fonctions soit à titre temporaire soit à vie. Dans le cas où un décès survient à la suite d’un tel acte, la peine prévue à l’article 452 (relatif aux homicides) et, dans les autres cas, celle prévue à l’article 456 (coups et blessures) seront aggravées d’un tiers ou de la moitié de la peine initiale encourue (pour chacune des infractions en cause). »
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A. Le contexte des affaires Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers. Les présentes requêtes portent sur des procédures engagées par les requérants ou leurs devanciers en vue d’obtenir le réajustement et l’augmentation du montant de leurs pensions conformément aux dispositions de ces lois. B. Les procédures en cause Requête no 27844/11 Le 23 janvier 2003, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 16 février 2004, considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État (Επιτροπή Ελέγχου Πράξεων Κανονισμού Συντάξεων). Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 6 juillet 2004, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet de sa demande. Le 21 avril 2005, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État rejeta l’opposition du requérant datée du 16 février 2004. Le 6 février 2006, le requérant demanda une fixation prioritaire de l’audience. Le 21 décembre 2006, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 2853/2006). Le 21 mai 2007, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 2853/2006. Le 30 juin 2010, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1793/2010). Cet arrêt fut notifié au requérant le 21 octobre 2010. Requête no 28622/11 Le 16 juillet 2001, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 17 décembre 2002, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 16 février 2004, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État. Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 12 juillet 2004, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet tacite de sa demande. Le 19 avril 2005, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État rejeta l’opposition du requérant datée du 16 février 2004. Le 4 novembre 2005, le requérant demanda une fixation prioritaire de l’audience. Le 16 mars 2007, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 424/2007). Le 24 janvier 2008, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 424/2007. Le 2 juin 2010, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1396/2010). Cet arrêt fut notifié au requérant le 26 octobre 2010. Requête no 17933/12 Le 26 septembre 2005, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 16 novembre 2005, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 23 février 2006, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État. Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 11 juillet 2006, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet de sa demande. Le 20 octobre 2006, le requérant demanda une fixation prioritaire de l’audience. Le 18 décembre 2007, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État rejeta l’opposition du requérant datée du 23 février 2006. Le 18 avril 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 986/2008). Le 17 juillet 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 986/2008. Le 21 septembre 2011, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 2346/2011). Cet arrêt fut notifié au requérant le 12 décembre 2011. Requête no 37832/12 Le 25 mai 2004, le requérant saisit la Comptabilité Générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 10 janvier 2005, suite au rejet tacite de sa demande, le requérant forma une opposition devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État. Considérant que sa demande était tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 1er juin 2005, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet tacite de l’administration. Une audience eut lieu le 18 novembre 2005. En raison de l’omission de la Comptabilité Générale de fournir le dossier de pension du requérant, la Cour des comptes, par un arrêt avant dire droit, reporta l’examen de l’affaire. Une nouvelle audience eut lieu le 2 mars 2007. Le 7 décembre 2007, la Cour des comptes, par son arrêt no 2622/2007, donna gain de cause au requérant. Le 6 mai 2009, l’État se pourvut en cassation. Le 21 septembre 2011, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 2298/2011). Cet arrêt fut notifié au requérant le 19 décembre 2011. C. Le droit interne pertinent La loi no 4239/2014 La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982 et réside à Antalya. Le 28 janvier 2007, vers 0 h 30, le requérant, alors qu’il se rendait à son travail de nuit en voiture, fut pris en chasse par une patrouille de police sur une route à Manavgat (district d’Antalya). Il ressort du procès-verbal établi que le requérant avait franchi la ligne blanche de la chaussée vers la droite et ne s’était pas arrêté malgré les sommations par haut-parleur et les gyrophares. Après une poursuite de voiture et, ayant constaté que le requérant était devenu dangereux pour la circulation de la ville, les policiers ouvrirent le feu en visant les pneus de son véhicule. Le pneu éclaté, le requérant s’arrêta au bord de la route. Le requérant tenta de s’enfuir et fut maîtrisé par la force. Il avait attaqué le policier, M.Ök., et l’avait blessé au cou. Il fut conduit au commissariat. Quant aux dires du requérant, avant l’immobilisation du véhicule, il avait téléphoné dans l’urgence à son patron A.A., pour lui demander du secours en lui disant que des inconnus lui avait tiré dessus. Le policier M.Ök. l’avait traîné par terre et insulté. Son patron A.A., était arrivé sur les lieux en compagnie de A.Ö. Le rapport médical établi le 28 janvier 2007 à 1 h 12 à l’hôpital civil de Manavgat fit état d’une sensibilité dans l’oreille gauche du requérant et préconisa un examen par les services d’oto-rhino-laryngologie (ORL). Le rapport notait en outre que le requérant avait refusé de souffler dans l’éthylomètre mais que son état général témoignait qu’il était sous l’emprise d’une forte alcoolémie. Il fut relâché vers 4 h 00 du matin. Le 29 janvier 2007, un spécialiste en ORL de l’hôpital civil de Manavgat fit un diagnostic de perforation tympanique de l’oreille droite de 2,5 mm dans le quadrant postéro-inférieur, et indiqua que celle-ci ne pourrait pas être guérie par une simple intervention médicale. A. La procédure pénale entamée à l’encontre des policiers. Le 3 avril 2007, le requérant porta plainte pour mauvais traitements et abus de pouvoir contre les policiers M.Ök., M.Ön. et V.A. Le 11 avril 2007, il fut entendu par le procureur. Il déclara en substance ceci : – Une voiture sans aucun signe distinctif le poursuivait sur la route de la plage, et avait ouvert le feu sur lui. Il avait eu le temps d’appeler son patron A.A. pour demander de l’aide. Il s’était arrêté et un policier l’avait tiré par son col et obligé à se coucher au sol tout en l’insultant. On l’avait frappé à coups de pied à la tête. Deux autres policiers lui avaient bloqué les bras pendant que le troisième le frappait. A.A. et A.Ö. étaient arrivés sur les lieux et l’avaient sauvé des coups des policiers. Celui qui lui avait porté des coups à la tête était M.Ök. Les témoins de l’incident A.A. et A.Ö. furent entendus par le parquet. Ils déclarèrent en substance ceci : – Quand le requérant les avait appelés, ils se trouvaient à 500 mètres de lui, et quand ils étaient arrivés sur place, ils avaient vu le policier M.Ök. l’extraire de sa voiture et le frapper au visage ; le requérant était alors tombé par terre et M.Ök. lui avait donné des coups de pied. Ils (A.A. et A.Ö) étaient intervenus pour les séparer. Le pneu de la voiture ayant éclaté, ils avaient attendu une remorque. Par la suite, seul le requérant avait été conduit au commissariat. Le 10 mai 2007, le parquet s’adressa à la préfecture de Manavgat pour demander l’autorisation d’ouverture d’une instruction à l’encontre des policiers. Le 15 juin 2007, le préfet refusa l’autorisation de l’ouverture d’une instruction pénale à l’encontre des policiers au sujet des allégations de mauvais traitements du requérant. Dans ses motifs, le préfet exposait la version des faits suivante : – Le requérant avait commis un délit de fuite après avoir grillé un feu rouge. Une équipe de police en service s’était lancée à sa poursuite et avait procédé à des sommations par mégaphone. Le requérant n’ayant pas obtempéré, les policiers avaient neutralisé sa voiture, et lors de la course poursuite à pied qui avait suivi, le requérant était tombé par terre. Lorsque le policier M.Ök. avait voulu soulever le requérant, ce dernier l’avait attrapé à la gorge. Il avait été arrêté au moyen de la force. Une autre équipe de police avait été appelée en renfort. Il s’était avéré que le requérant était sous l’emprise de l’alcool. Le Gouvernement versa dans le dossier un rapport médical constatant « des rougeurs légers sur le cou et sur les bras » du policier M.Ök. Le 29 juin 2007, le requérant s’opposa à cette décision devant le tribunal administratif d’Antalya. Le 12 juillet 2007, le parquet rendit une décision de non-lieu en se référant au refus d’autorisation d’ouverture d’une action pénale rendu par la préfecture. Le 26 septembre 2007, le tribunal administratif rejeta l’opposition formulée par le requérant. B. La procédure civile en indemnisation entamée par le requérant Le 4 avril 2007, le requérant engagea une action civile auprès du tribunal de grande instance de Manavgat contre le policier M.Ök. et demanda réparation du dommage matériel et moral qu’il estimait avoir subi. Lors de la procédure, le tribunal de grande instance entendit les policiers, le requérant et les témoins cités et versa dans le dossier le rapport médical du 29 janvier 2007 constatant que la blessure du requérant ne pourrait pas être soignée par une simple intervention médicale. Les témoins A.A. et A.Ö. réitérèrent leurs dépositions déjà recueillies par le parquet. Le 9 juin 2009, le tribunal de grande instance condamna M.Ök. à indemniser le requérant à hauteur de 500 livres turques (TRY) (environ 232 euros (EUR)) pour dommage matériel et 5 000 TRY (environ 2 325 EUR) pour dommage moral. Dans les motifs de son jugement, le tribunal de grande instance retint la responsabilité des policiers en les critiquant pour « avoir poursuivi comme un grand criminel le requérant, qui avait seulement grillé un feu rouge, en tirant des coups de feu dans les pneus de sa voiture ». Pour l’exécution du jugement, M.Ök. paya au requérant de façon mensuelle un montant proportionnel à son salaire. C. L’ouverture ultérieure d’une instruction pénale à l’encontre de l’agent de police M.Ök. Le 19 janvier 2012, après la communication de la requête au Gouvernement, le parquet de Manavgat a rouvert le dossier, en rappelant que depuis la modification de la loi no 4483 relative aux poursuites des fonctionnaires (paragraphe 21 ci-dessous), les plaintes concernant les mauvais traitements et abus de pouvoir dans l’exercice de la fonction publique n’étaient pas soumises à une demande d’autorisation. Le requérant et les policiers accusés, ainsi que les témoins furent de nouveau entendus par le parquet. Par un acte d’accusation du 23 juillet 2012, le procureur ouvrit une action publique à l’encontre de M.Ök. pour abus de pouvoir dans l’exercice de ses fonctions sur le fondement des articles 256, 86/1 et 53/1 du code pénal. Cette procédure est toujours en cours. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La loi no 4483 relative aux poursuites contre des fonctionnaires, entrée en vigueur le 2 décembre 1999, a été modifiée le 2 janvier 2003 par la loi no 4778, qui a exclu du champ d’application de la première les poursuites du chef de mauvais traitements (article 243 de l’ancien code pénal et articles 94 et 95 du nouveau code pénal du 26 septembre 2004) ou d’excès de recours à la force (article 245 de l’ancien code pénal et article 256 du nouveau code pénal). À l’heure actuelle, nonobstant l’éventuelle qualité d’agent de l’État de leur auteur, la poursuite de ces infractions relève du droit commun, donc de la compétence des procureurs de la République, sans nécessité d’une autorisation préalable d’ouverture d’instruction.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est une société de droit moldave, ayant son siège social à Chişinău. La société requérante avait une dispute concernant un lot de terrain qui faisait partie du domaine privé de la municipalité de Chişinău. Par une décision définitive du 26 décembre 2006, la cour d’appel de Chişinău fit droit à la requérante et enjoignit à la municipalité de Chişinău de lui vendre le terrain en litige. Le 11 mai 2010, la municipalité de Chişinău exécuta l’arrêt du 26 décembre 2006. Pendant la période d’inexécution, la société requérante et l’huissier de justice avaient demandé plusieurs fois à la municipalité de Chişinău d’exécuter l’arrêt du 26 décembre 2006. À toutes ces démarches, la municipalité de Chişinău avait répondu qu’elle examinerait bientôt l’affaire. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Aux termes de l’article 70 § 1 du code d’exécution du 24 décembre 2004, le titre exécutoire doit être mis à effet dans le délai prévu par ce document, ou, lorsqu’aucun délai n’est indiqué, dans un délai raisonnable. En vertu de l’article 70 § 2 du même code, l’huissier de justice doit entreprendre immédiatement toutes les actions qui s’imposent en vue d’exécuter la décision de justice ; l’écoulement du délai d’exécution est arrêté pendant la période de la suspension ou de l’ajournement de l’exécution.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1963 et réside à Ankara. En 1993, le requérant, qui était greffier d’audience (zabıt kâtibi) au greffe du tribunal fiscal d’Ankara, réussit un concours local organisé par la commission judiciaire d’Ankara pour un poste de greffier en chef (yazı işleri müdürü) au sein de la cour de sûreté de l’Etat de ce même lieu. Son rang de classement (15e place) ne lui ayant pas permis d’obtenir le poste, il fut placé sur la liste de réserve établie à l’issue du concours. Le premier candidat reçu fut nommé au poste en question. Le second candidat reçu fut nommé par la suite à un poste de greffier en chef à la deuxième chambre de la cour de sûreté de l’État d’Ankara. Le 20 août 1997, le requérant sollicita du ministère de la Justice sa nomination au poste de greffier en chef du tribunal administratif d’Eskişehir. Face au refus de l’administration de donner suite à sa demande, il saisit le tribunal administratif d’Ankara (« le tribunal administratif ») d’un recours en annulation. Par un jugement du 17 septembre 1998, le tribunal administratif fit droit aux prétentions du requérant. Il releva que, parmi les candidats reçus au concours précité, sept personnes mieux classées que le requérant et onze personnes moins bien classées que lui avaient été nommées à des postes de greffier en chef, et il en conclut que le refus de l’administration était dénué de base légale. Le ministère de la Justice forma un pourvoi contre ce jugement. Ce recours n’ayant aucun effet suspensif, ledit ministère procéda à la nomination du requérant au poste de greffier en chef à Eskişehir, afin de se conformer au jugement. Le 20 décembre 2000, la cinquième section du contentieux administratif du Conseil d’État (« la cinquième section du Conseil d’État ») cassa le jugement attaqué, sur conclusions contraires de l’avocat général, Mme A.Ö. Ladite section indiqua que le concours organisé par la commission judiciaire d’Ankara visait à l’attribution d’un poste au sein de la cour de sûreté d’Ankara et que l’inscription sur la liste de réserve n’ouvrait pas droit à l’attribution d’un poste de greffier en chef au sein d’un tribunal situé dans le ressort d’une autre commission judiciaire. Elle précisa qu’une nomination dans un autre ressort était possible uniquement sur demande de la commission judiciaire concernée ou bien pour les besoins du service sur décision du ministère de la Justice, lequel disposait en la matière d’un pouvoir discrétionnaire. Composée de cinq magistrats parmi lesquels figuraient Mme T.Ç. et M. M.R.Ü., la formation de jugement fut présidée par M. E.Ç. Le 21 mars 2002, cette même section rejeta la demande en rectification d’arrêt formée par le requérant, au motif qu’aucune des conditions nécessaires à l’exercice de ce recours et énumérées par le code du contentieux administratif n’était remplie. Le 1er juillet 2002, le tribunal administratif décida de maintenir sa position initiale, telle qu’exposée dans son premier jugement, choisissant ainsi de résister à celle adoptée par la cinquième section du Conseil d’État (ısrar kararı). À la suite d’un nouveau pourvoi formé par l’administration, l’affaire fut attribuée de plein droit à l’assemblée générale des sections du contentieux administratif du Conseil d’Etat (Danıştay İdari Dava Daireleri Genel Kurulu ; « l’assemblée du contentieux ») en raison de la résistance opposée par la juridiction de première instance. Le 17 janvier 2003, ladite assemblée cassa le jugement du tribunal administratif par vingt-deux voix contre neuf. MM. E.Ç. et M.R.Ü. siégèrent dans la formation de jugement qui fut présidée par Mme T.Ç. en sa qualité de vice-présidente du Conseil d’État, poste auquel elle avait été récemment élue. Siégèrent également dans la formation, trois magistrats qui avaient eu à connaître du recours en rectification d’arrêt concernant la décision de la cinquième section en date du 20 décembre 2000. À une date non précisée, le requérant présenta une demande en rectification d’arrêt. Le 11 décembre 2003, l’assemblée du contentieux rejeta cette demande au motif qu’aucune des conditions prévues par le code du contentieux administratif n’était remplie. Mme A.Ö., qui avait récemment été promue à un poste de conseiller d’État, ainsi que d’autres magistrats, qui avaient eu à connaître de l’affaire, siégèrent dans la formation de jugement.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1943 et réside à Bukavu (République démocratique du Congo). Le requérant fut mis sous mandat d’arrêt le 19 novembre 2002 au motif qu’il était soupçonné de trafic illégal d’or et d’infraction à la loi sur le blanchiment de capitaux. À cette occasion, les 50 kilogrammes d’or qu’il transportait furent confisqués et ses comptes bancaires belges furent bloqués. Le 11 décembre 2002, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles ordonna sa mise en liberté sous condition. Courant 2002, cinq autres personnes furent inculpées dans la même affaire. Le 11 avril 2005, le juge d’instruction en charge de l’affaire inculpa le requérant de blanchiment d’argent et transmit l’affaire au parquet. Le 25 novembre 2005, le requérant saisit la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles d’une requête sur pied de l’article 136 alinéa 2 du code d’instruction criminelle (« CIC », voir paragraphes 23 à 27, ci-dessous). Il se plaignait que le parquet n’avait pas encore pris ses réquisitions en vue du règlement de la procédure et de la durée excessive de la procédure en résultant. Par un arrêt du 8 décembre 2005, la chambre des mises en accusation considéra que le délai n’était pas anormal eu égard à l’ampleur et à la complexité de l’affaire. Elle estima ne devoir prendre aucune des mesures prévues par le CIC pour accélérer la procédure. Le requérant introduisit deux requêtes similaires en 2006 et 2007. Par un arrêt du 30 juin 2006, la chambre des mises en accusation reconnut que le requérant se plaignait à juste titre des lenteurs de la procédure. Toutefois, elle souligna que, malgré sa compétence de contrôle du bon déroulement des instructions, elle était sans pouvoir pour demander au parquet de prendre des réquisitions. La chambre des mises en accusation confirma cette position dans un arrêt du 15 février 2007 et prit note que : « (...) le procureur général, après avoir décrit les conditions de travail difficiles que connaît le parquet de Bruxelles, et plus particulièrement la section financière qui est en plein restructuration, a regretté le retard que connaissait la présente procédure et s’est engagé à ce qu’elle soit réglée prioritairement et dans les plus brefs délais ». Le 2 février 2007, le requérant saisit le juge d’instruction tendant à obtenir, sur fondement de l’article 61quater du CIC, la levée des saisies opérées au motif, notamment, que le délai raisonnable prévu par l’article 6 § 1 de la Convention avait été dépassé. Cette demande fut rejetée. Le requérant interjeta appel contre cette décision. Le 30 mai 2007, la chambre des mises en accusation considéra que, du fait de sa participation au retard qu’il dénonçait au moyen de droits certes légitimes, le requérant était malvenu de se plaindre des lenteurs de procédure. Par un arrêt du 3 octobre 2007, la chambre des mises en accusation, après avoir rappelé que le requérant se plaignait à juste titre des lenteurs de la procédure, souligna que celui-ci ainsi que les co-accusés faisaient usage sans parcimonie des droits accordés par la loi privant ainsi le ministère public de la possession matérielle du dossier indispensable pour prendre ses réquisitions. Dans ces circonstances, elle estima que le requérant ne pouvait pas invoquer le dépassement du délai raisonnable puisqu’il y contribuait en déposant multiples requêtes, notamment sur pied de l’article 136 alinéa 2 du CIC, empêchant tout règlement de la procédure. La chambre des mises en accusation fit le même constat dans des arrêts du 30 janvier et du 17 décembre 2008. Entre-temps, le 19 juin 2008, le parquet traça ses réquisitions finales de renvoi. L’affaire ne put toutefois être fixée en raison d’un pourvoi dont avait été saisie la Cour de cassation par un co-inculpé. Le 27 mars 2009, le requérant saisit la Cour de la présente requête. Le 29 mars 2010, la cour d’appel, saisie d’une requête en récusation par une co-inculpée, récusa le juge d’instruction en charge de l’affaire au motif qu’une lettre transmise par ce juge au parquet avait violé la présomption d’innocence de l’intéressée. La chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles considéra, par une ordonnance du 10 mai 2011, que le comportement sanctionné par la cour d’appel affectait également la régularité de la procédure relative au requérant, que des pièces devaient être écartées, avec pour conséquence l’annulation du blocage de ses comptes bancaires et de la saisie de l’or lui appartenant. La juridiction d’instruction considéra que vu la complexité particulière de l’affaire, il n’y avait pas lieu, à ce stade, de considérer que le délai raisonnable était dépassé. L’instruction n’étant pas complète, la chambre du conseil renvoya la cause au procureur du Roi. Les 4 novembre et 8 décembre 2011, le requérant saisit la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles en référé pénal tendant à obtenir, sur fondement de l’article 61quater du CIC, la levée des saisies opérées au motif, notamment, que le délai raisonnable prévu par l’article 6 § 1 de la Convention avait été dépassé. Par un arrêt du 19 septembre 2012, la chambre des mises en accusation constata que l’annulation du blocage et des saisies ordonnée par le tribunal de première instance de Bruxelles était devenue définitive. Elle considéra que le moyen tiré du dépassement du délai raisonnable était devenu sans objet compte tenu de l’annulation des saisies querellées. D’après les informations figurant au dossier, l’instruction est toujours pendante. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit belge prévoit plusieurs mesures en cas de dépassement du délai raisonnable d’une procédure pénale. A. Mesures prévues par le Code d’instruction criminelle Au cours de l’instruction Le CIC, en ses articles 136 et 136bis, combinés avec les articles 235 et 235bis, offre des techniques de contrôle « préventif » de la durée de la procédure au cours de l’instruction. Lorsque l’instruction n’a pas été clôturée après une année, l’article 136 du CIC permet à la partie civile et à l’inculpé de saisir la chambre des mises en accusation dans le cadre de sa mission de contrôle de l’instruction. De même, l’article 136bis du CIC donne au procureur général près la cour d’appel le droit de saisir la chambre des mises en accusation. Les articles 136 et 136bis du CIC énumèrent les mesures que la juridiction d’instruction peut prendre pour accélérer l’instruction et sa clôture. Elle peut donner des injonctions au juge d’instruction ou, dans les cas les plus graves, évoquer la cause en application de l’article 235 du CIC. Les dispositions précitées se lisent comme suit : Article 136 « La chambre des mises en accusation contrôle d’office le cours des instructions, peut d’office demander des rapports sur l’état des affaires et peut prendre connaissance des dossiers. (...) Si l’instruction n’est pas clôturée après une année, la chambre des mises en accusation peut être saisie par requête motivée adressée au greffe de la cour d’appel par l’inculpé ou la partie civile. La chambre des mises en accusation agit conformément à l’alinéa précédent et à l’article 136bis. La chambre des mises en accusation statue sur la requête par arrêt motivé, qui est communiqué au procureur général, à la partie requérante et aux parties entendues. Le requérant ne peut déposer de requête ayant le même objet avant l’expiration du délai de six mois à compter de la dernière décision. » Article 136bis « (...) le procureur du Roi fait rapport au procureur général de toutes les affaires sur lesquelles la chambre du conseil n’aurait point statué dans l’année à compter du premier réquisitoire. S’il l’estime nécessaire pour le bon déroulement de l’instruction, la légalité ou la régularité de la procédure, le procureur général prend, à tout moment, devant la chambre des mises en accusation, les réquisitions qu’il juge utiles. Dans ce cas, la chambre des mises en accusation peut, même d’office, prendre les mesures prévues par les articles 136, 235 et 235bis. Le procureur général est entendu. La chambre des mises en accusation peut entendre le juge d’instruction en son rapport, hors la présence des parties si elle l’estime utile. Elle peut également entendre la partie civile, l’inculpé et leurs conseils, sur convocation qui leur est notifiée par le greffier, par télécopie ou par lettre recommandée à la poste, au plus tard quarantehuit heures avant l’audience. » Article 235 « Dans toutes les affaires, les chambres des mises en accusation, tant qu’elles n’auront pas décidé s’il y a lieu de prononcer la mise en accusation, pourront d’office, soit qu’il y ait ou non une instruction commencée par les premiers juges, ordonner des poursuites, se faire apporter les pièces, informer ou faire informer, et statuer ensuite ce qu’il appartiendra. » En application de l’article 235bis du CIC, lors de la clôture de l’instruction (règlement de procédure) et dans tous les cas de saisine, y compris sur la base des articles 136 et 136bis du CIC, la chambre des mises en accusation peut contrôler, d’office, ou doit contrôler sur la réquisition du ministère public ou à la requête d’une des parties, la régularité de la procédure qui lui est soumise, y compris le dépassement éventuel du délai raisonnable. Cette disposition est actuellement rédigée comme suit : Article 235bis « § 1er. Lors du règlement de la procédure, la chambre des mises en accusation contrôle, sur la réquisition du ministère public ou à la requête d’une des parties, la régularité de la procédure qui lui est soumise. Elle peut même le faire d’office. § 2. La chambre des mises en accusation agit de même, dans les autres cas de saisine. § 3. Lorsque la chambre des mises en accusation contrôle d’office la régularité de la procédure et qu’il peut exister une cause de nullité, d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique, elle ordonne la réouverture des débats. § 4. La chambre des mises en accusation entend, en audience publique si elle en décide ainsi à la demande de l’une des parties, le procureur général, la partie civile et l’inculpé en leurs observations et ce, que le contrôle du règlement de la procédure ait lieu sur la réquisition du ministère public ou à la requête d’une des parties. § 5. Les irrégularités, omissions ou causes de nullités visées à l’article 131, § 1er, ou relatives à l’ordonnance de renvoi, et qui ont été examinées devant la chambre des mises en accusation ne peuvent plus l’être devant le juge du fond, sans préjudice des moyens touchant à l’appréciation de la preuve. Il en va de même pour les causes d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique, sauf lorsqu’elles ne sont acquises que postérieurement aux débats devant la chambre des mises en accusation. Les dispositions du présent paragraphe ne sont pas applicables à l’égard des parties qui ne sont appelées dans l’instance qu’après le renvoi à la juridiction de jugement, sauf si les pièces sont retirées du dossier conformément à l’article 131, § 2, ou au § 6 du présent article. § 6. Lorsque la chambre des mises en accusation constate une irrégularité, omission ou cause de nullité visée à l’article 131, § 1er, ou une cause d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique, elle prononce, le cas échéant, la nullité de l’acte qui en est entaché et de tout ou partie de la procédure ultérieure. Les pièces annulées sont retirées du dossier et déposées au greffe du tribunal de première instance, après l’expiration du délai de cassation. Les pièces déposées au greffe ne peuvent pas être consultées, et ne peuvent pas être utilisées dans la procédure pénale. La chambre des mises en accusation statue, dans le respect des droits des autres parties, dans quelle mesure les pièces déposées au greffe peuvent encore être consultées lors de la procédure pénale et utilisées par une partie. La chambre des mises en accusation indique dans sa décision à qui il faut rendre les pièces ou ce qu’il advient des pièces annulées. » Un pourvoi en cassation immédiat est ouvert contre un arrêt de la chambre des mises en accusation statuant sur la base de l’article 235bis du CIC (article 416 alinéa 2 du CIC). Devant les juridictions de jugement Quand la question du dépassement du délai raisonnable est soulevée devant les juridictions de jugement, l’article 21ter de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale (actuellement le CIC), inséré par la loi du 30 juin 2000, consacrant une jurisprudence antérieure, prévoit que : « Si la durée des poursuites pénales dépasse le délai raisonnable, le juge peut prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité ou prononcer une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi. Si le juge prononce la condamnation par simple déclaration de culpabilité, l’inculpé est condamné aux frais et, s’il y a lieu, aux restitutions. La confiscation spéciale est prononcée. » Jurisprudence de la Cour de cassation Dans ses conclusions avant l’arrêt de la Cour de cassation du 15 septembre 2010 (P.10.0572.F), l’avocat général à la Cour de cassation, D. Vandermeersch, fit le point sur la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qu’elle interprète les dispositions précitées du CIC quand le dépassement du délai raisonnable est invoqué, comme en l’espèce, avant la saisine des juridictions du fond. Selon la Cour de cassation, en principe, ce n’est pas la juridiction d’instruction mais le juge qui statue sur le bien-fondé des poursuites pénales, qui apprécie si la cause a été examinée dans un délai raisonnable et qui, en cas de dépassement de ce délai, détermine quelle est la réparation appropriée pour le prévenu (Cass. 8 novembre 2005, P.05.1191.N). Toutefois, dans la foulée de la jurisprudence Kudła c. Pologne ([GC], no 30210/96, CEDH 2000XI), la Cour de cassation reconnut que tout inculpé était autorisé à invoquer le dépassement du délai raisonnable dès la phase préparatoire du procès pénal, notamment devant les juridictions d’instruction lors du règlement de la procédure mais aussi devant la chambre des mises en accusation appelée à contrôler la régularité de la procédure en cours d’instruction. La méconnaissance du droit de chaque justiciable à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable doit donc pouvoir être constatée à chaque stade de la procédure pénale, même celui de l’instruction, et ensuite adéquatement réparée (Cass. 8 avril 2008, P.07.1903.N, et Cass. 28 mai 2008, P.08.0216.F). La Cour de cassation considère que lorsqu’une des parties demande à la chambre des mises en accusation, régulièrement saisie, de se prononcer sur le dépassement du délai raisonnable, cette dernière est tenue, d’une part, d’appliquer l’article 235bis §§ 1er, 2 et 3 du CIC et, d’autre part, en tant qu’instance nationale visée à l’article 13 de la Convention, de tenir des débats contradictoires et de statuer sur ce litige qui concerne la régularité de la procédure (Cass. 8 avril 2008, P.07.1903.N). S’agissant des sanctions ou compensations que la juridiction d’instruction, qui constate le dépassement du délai raisonnable, peut envisager en cours d’instruction ou lors du règlement de la procédure, l’avocat général s’exprima comme suit : « D’abord, lorsqu’elle constate que le dépassement du délai raisonnable a pour effet que l’exercice des droits de la défense et/ou l’administration de la preuve sont devenus, entre-temps, impossibles (Cass., 25 janvier 2000, Rev. dr. pén. crim., 2001, p. 255) et qu’il en résulte une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable, la chambre des mises en accusation doit, dans ce cas, déclarer les poursuites irrecevables (C. const., 18 février 2010, arrêt no 16/2010 et C. Const., 29 avril 2010, arrêt no 51/2010). Ainsi en est-il lorsque les prévenus ne pourront plus jouir devant le juge du fond de l’exercice entier de leurs droits de défense, notamment parce qu’ils n’ont plus la possibilité de contester la recevabilité des poursuites et le bien-fondé des préventions, de faire valoir tout moyen de défense et de présenter toutes demandes utiles au jugement de la cause et plus spécialement des éléments de preuve à décharge (Cass. 16 septembre 2008, J.L.M.B., 1998, p. 1348, F. KUTY, « Le contrôle de l’exigence de délai raisonnable au stade de l’instruction », J.T., 2009, p. 131). De même, si, lors du règlement de la procédure, la juridiction constate que la durée anormale de la procédure a eu pour résultat la déperdition ou le dépérissement des preuves et qu’en conséquence, les charges sont insuffisantes, la juridiction d’instruction doit prononcer le non-lieu. Mais il a été jugé que la juridiction d’instruction ne peut prononcer le non-lieu à l’égard de l’inculpé que dans la mesure où elle décide que le dépassement du délai raisonnable a gravement et irrémédiablement porté atteinte à l’administration de la preuve et aux droits de la défense de l’inculpé, rendant impossible un procès pénal équitable ainsi que l’appréciation de l’action civile. En dehors de ces deux hypothèses, la juridiction d’instruction n’a pas la compétence de prononcer l’extinction de l’action publique purement et simplement en raison du dépassement du délai raisonnable, sans plus faire cas de l’action civile (Cass. 24 novembre 2009, P.09.1080.N, Pas., 2009). Mais d’autres sanctions sont envisageables à ce stade de la procédure. Dans un arrêt récent, la Cour a considéré que, durant l’instruction ou à sa clôture, la réparation en droit peut consister, à ce stade de la procédure, en la simple constatation du dépassement du délai raisonnable, ce dont le juge de renvoi appelé à se prononcer sur le fond devra tenir compte lors de l’appréciation globale de la cause (Cass. 27 octobre 2009, P.09.0901.N, Pas., 2009). En réalité, la sanction consiste ici en l’annonce d’une sanction différée dans le temps : le juge du fond ne pourra pas s’abstenir de sanctionner le dépassement du délai raisonnable mais il lui appartiendra de déterminer la nature et la portée de cette sanction. Mais, dès lors que cette sanction n’offre pas, en elle-même, une satisfaction compensatoire concrète, elle doit s’accompagner, à mon sens, d’une satisfaction préventive consistant en l’accélération de la procédure à venir (...). Face au constat du dépassement du délai raisonnable en cours d’instruction, la chambre des mises en accusation peut envisager plusieurs réactions pour compenser ou réparer le dépassement du délai raisonnable ou en atténuer les conséquences. Il s’agit d’une compétence qui lui est spécialement reconnue dans le cadre du contrôle prévu aux articles 136 et 136bis C.i.cr. Dans le cadre du contrôle du bon déroulement de l’instruction, la chambre des mises en accusation peut prendre différentes mesures pour accélérer l’instruction et sa clôture. Elle peut donner des injonctions au juge d’instruction ou, dans les situations les plus graves, évoquer la cause en application de l’article 235 du Code d’instruction criminelle (...). Ainsi, la chambre des mises en accusation peut ordonner au juge d’instruction de prendre des mesures pour obvier aux retards mis par des experts pour rentrer leur rapport (...). Elle peut l’inviter à achever ses investigations en ce qu’elles concernent les inculpés et décider qu’il conviendra d’ordonner la disjonction des poursuites à l’égard d’autres personnes suspectes demeurées inconnues à ce jour (...). Elle peut également ordonner au magistrat instructeur de communiquer son dossier au procureur du Roi afin que celui-ci puisse prendre des réquisitions en vue du règlement de la procédure par la chambre du conseil (...). Si la réactivation de la procédure ou son accélération peuvent constituer des formes de compensation in natura du dépassement du délai raisonnable, elles ne pourront jamais effacer totalement le temps déraisonnablement et irrémédiablement perdu, situation qui devra être prise en compte par le juge du fond qui, le cas échéant, appliquera les conséquences prévues à l’article 21ter de la loi du 17 avril 1878 contenant le Titre préliminaire du Code de procédure pénale. Par ailleurs, s’il est exact que, lors du règlement de la procédure, la juridiction d’instruction ne peut prendre en compte le dépassement éventuel du délai raisonnable et ses conséquences au niveau de la détermination de la peine, dès lors qu’elle ne peut prononcer de peine, j’estime, pour ma part, qu’à titre de réparation adéquate du dépassement du délai raisonnable, elle pourrait, à ce stade de la procédure, prononcer une simple déclaration du culpabilité (...) ou ordonner, de l’accord de l’inculpé, la suspension du prononcé de la condamnation (Voy. les concl. du ministère public avant Cass. 28 mai 2008, P.08.0216.F, Pas., 2008). Certes, ces hypothèses ne sont pas prévues explicitement par la loi mais le juge n’est-il pas contraint, en l’absence de disposition légale fixant la réparation en droit adéquate, de combler cette lacune ? Le juge du fond s’était d’ailleurs livré au même exercice avant l’introduction de l’article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale (...). Il faut noter que la sanction du dépassement du délai raisonnable à ce stade sous la forme d’une simple déclaration de culpabilité ou d’une suspension du prononcé présente l’avantage indéniable que la juridiction d’instruction reste compétente pour statuer sur l’action civile, ce qui évite de pénaliser la partie civile pour une faute qui ne lui est pas imputable. Enfin, lorsque l’instruction s’est prolongée au-delà d’une durée raisonnable, il nous paraît cohérent de pouvoir mettre fin, à titre de sanction du dépassement du délai raisonnable, à certaines mesures de contrainte « conservatoires » prises à l’égard de l’inculpé ou de ses biens. Je songe ici à la non-prolongation des conditions imposées lors de la libération de l’inculpé ou à la restitution de la caution. Cela peut consister également en la levée d’une mesure de saisie. » Statuant sur les conclusions précitées de l’avocat général Vandermeersch, la Cour de cassation, sur un pourvoi du procureur général près la cour d’appel, cassa en ces termes un arrêt d’une juridiction du fond déclarant irrecevables des poursuites contre des prévenus : « 1. La constatation (...) d’un dépassement du délai raisonnable en cours d’instruction n’a pas pour effet de rendre nécessairement impossible la tenue d’un procès équitable devant la juridiction de jugement. Il incombe en effet à celle-ci de déterminer la réparation la plus adéquate, et prévue par la loi, du dommage subi par les parties. L’article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale dispose que, si un tel dépassement est constaté au préjudice du prévenu, le juge du fond peut prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité ou prononcer une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi. Dès lors que les droits garantis par l’article 6.1 de la Convention s’appliquent à toutes les parties au procès, la réparation adéquate allouée à l’une d’elle ne peut avoir pour effet de sanctionner son adversaire victime du même manquement à cet article. L’irrecevabilité de la poursuite ne sanctionne le caractère déraisonnable de la durée de la procédure que si cette longueur excessive a entraîné une déperdition des preuves ou rendu impossible l’exercice normal des droits de la défense. (...) L’affirmation d’après laquelle le Code d’instruction criminelle ne contiendrait aucun mécanisme permettant de prévenir ou de sanctionner, au stade de l’instruction, la durée anormalement longue de celle-ci, ne trouve pas d’appui dans la loi. En effet, si l’instruction n’est pas clôturée après une année, l’inculpé ou la partie civile peuvent saisir la chambre des mises en accusation pour qu’elle entende le magistrat instructeur ou les parties, demande des rapports sur l’état de l’affaire, délègue un de ses membres, se fasse apporter les pièces, informe ou fasse informer et statue ensuite ce qu’il appartiendra. De plus, lorsqu’elle est régulièrement invitée par une partie à exercer les pouvoirs que l’article 235bis du Code d’instruction criminelle lui confère, la chambre des mises en accusation est tenue de procéder au contrôle sollicité. Il ne lui appartient pas de s’y dérober au motif que celui-ci pourra avoir lieu lors du règlement de la procédure. Les vérifications qu’au titre de la disposition légale précitée, la chambre des mises en accusation doit effectuer lorsqu’elle est invitée à contrôler une instruction de longue durée, portent notamment sur l’existence de la cause de nullité, d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique alléguée par la partie qui la saisit. Par ailleurs, l’article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique que toute personne qui se plaint d’une violation de l’article 6.1 en raison du dépassement du délai raisonnable dans lequel une cause doit être entendue, doit pouvoir exercer un recours effectif devant une instance nationale afin de faire constater cette violation et obtenir une réparation adéquate. L’appréciation du dépassement éventuel de ce délai dès avant le règlement de la procédure ressortit au contrôle de la régularité de celle-ci au sens de l’article 235bis du Code d’instruction criminelle. Enfin, la constatation, par la juridiction d’instruction, que le délai raisonnable est dépassé peut constituer une réparation adéquate au bénéfice de l’inculpé néanmoins renvoyé devant la juridiction de jugement. Il appartiendra en effet à celle-ci d’en tirer les conséquences prévues par la loi. La procédure étant appréciée dans son ensemble, le recours ne perd pas son effectivité du seul fait qu’ayant été accueilli avant la saisine du juge du fond, il ne produit ses effets qu’après celle-ci. Les juges d’appel n’ont dès lors pas légalement justifié la fin de non- recevoir opposée aux poursuites, en tant qu’ils l’ont déduite de l’affirmation que le droit interne ne permet ni de prévenir ni de redresser de manière effective un dépassement du délai raisonnable au stade de l’instruction. Partant, l’arrêt ne décide pas légalement non plus qu’en pareil cas, seule l’irrecevabilité de l’action publique peut réparer adéquatement la violation dénoncée. (...) » B. Action en responsabilité civile Dans le cadre d’une affaire mettant en cause une durée de procédure en matière civile résultant de l’arriéré judiciaire dans les cours et tribunaux de la cour d’appel de Bruxelles, la Cour de cassation jugea qu’en déclarant l’État responsable en raison de la faute, au sens des articles 1382 et 1383 du code civil, consistant à avoir « omis de légiférer afin de donner au pouvoir judiciaire les moyens nécessaires pour lui permettre d’assurer efficacement le service public de la justice, dans le respect notamment de l’article 6 § 1 de la Convention », l’arrêt de la cour d’appel n’avait méconnu aucune disposition de droit interne ou international (Cass. 28 septembre 2006, C.02.05.70.F). Les dispositions précitées du code civil se lisent comme suit : Article 1382 « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par lequel il est arrivé, à le réparer. » Article 1383 « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1977 et 2007 et résident à Svinaře. A. Circonstances entourant la naissance du requérant La première requérante est la mère du second requérant. Pendant sa grossesse, elle fut régulièrement suivie par un médecin et fréquenta des cours de préparation à l’accouchement au sein de l’hôpital de Hořovice; dans son projet de naissance, elle exprima entre autres le souhait de quitter la maternité le plus tôt possible, sauf complications. Le 24 octobre 2007, la requérante prit contact avec la pédiatre S. qui accepta de prendre son enfant à naître en charge et de venir les voir à domicile dès leur retour de la maternité ; elle informa néanmoins la requérante qu’elle serait absente le week-end suivant. À cette occasion, la requérante lui indiqua son intention de quitter l’hôpital « plus tôt », sans plus de précisions ; S. déclara par la suite qu’elle n’avait pas compris que la requérante souhaitait partir quelques heures après l’accouchement. Le second requérant est né le vendredi 26 octobre 2007 à l’hôpital de Hořovice. Il s’agissait d’un accouchement physiologique, spontané et dépourvu de complications ; aucun problème de santé ne fut constaté chez les requérants, le score d’Apgar du nouveau-né (prenant en compte la fréquence cardiaque, la respiration, la coloration de la peau, le tonus musculaire et la réaction à l’excitation de la peau) était au maximum, selon l’évaluation de l’équipe médicale. Dans ces circonstances, la requérante décida de quitter l’hôpital le jour même, ce qu’elle fit vers 12 heures, malgré l’opposition de l’équipe médicale. Selon le communiqué de l’hôpital publié le 29 octobre 2007 à la suite de la médiatisation de l’affaire, son personnel avait proposé à la requérante de rester au moins 48 heures et l’avait avertie des risques possibles pour la santé de l’enfant, mais la requérante avait indiqué que l’enfant serait pris en charge par une pédiatre. Après le départ des requérants, les employés de l’hôpital informèrent la police, ce qui était le procédé standard dans les situations où un patient quittait l’hôpital prématurément sans l’accord du médecin et où cette démarche pouvait avoir des répercussions sur son état de santé ; l’autorité sociale ne fut informée qu’après que la pédiatre S. eut contacté l’hôpital (voir ci-dessous). L’hôpital jugea regrettable que la requérante n’eût pas formulé sa demande de quitter l’hôpital quelques heures après l’accouchement lors de sa préparation à l’accouchement. Dans un tel cas, son personnel lui aurait recommandé de se procurer un plan de soins individualisé pour le nouveau-né et un accord écrit du pédiatre (qui aurait ainsi été informé de façon suffisante et en temps utile), après quoi sa décision aurait été acceptée. La requérante aurait par ailleurs admis que les événements litigieux avaient peut-être leur origine dans un malentendu quant aux soins qui allaient être prodigués au nouveau-né. Il ressort des explications fournies par la pédiatre S. que, le 26 octobre 2007 vers 14 heures, elle avait été informée par l’infirmière de son cabinet, qui avait reçu un appel de la requérante, que cette dernière avait accouché le matin même et qu’elle était rentrée chez elle. S’agissant d’une situation inhabituelle, la pédiatre, qui s’apprêtait à partir pour le week-end et qui ne pouvait rendre visite aux requérants avant le lundi après-midi, en avertit le personnel de l’hôpital de Hořovice. D., le médecin de l’hôpital, décida alors de contacter l’autorité sociale, en l’occurrence l’office municipal de Černošice. Entre-temps, S. informa par téléphone la requérante qu’elle ne pourrait la voir avec son enfant que lundi après-midi, ce que la requérante accepta. Peu de temps après, la pédiatre fut contactée par une assistante sociale à qui elle décrivit la situation et transmit le numéro de téléphone de la requérante. Selon la note que l’office municipal de Černošice adressa à l’office municipal de Beroun (ci-après « l’autorité sociale ») le 26 octobre 2007, la requérante avait quitté l’hôpital ce jour-là à 12 heures, sans avoir prévenu les médecins ; elle ne vivait plus depuis trois ans à l’adresse qu’elle avait indiquée à l’hôpital ; le nom du village où elle séjournait et son numéro de téléphone avaient été fournis par la pédiatre contactée par l’autorité de Černošice ; à ce numéro, l’assistante sociale avait pu joindre le père de l’enfant qui, bien qu’informé de la possibilité d’une mesure provisoire au sens de l’article 76a du code de procédure civile, avait déclaré que les requérants ne retourneraient pas à l’hôpital et refusé de fournir l’adresse exacte de la famille. Sur demande de l’autorité sociale, le médecin D. établit une note constatant que « compte tenu du court laps de temps écoulé depuis la naissance, la santé et, le cas échéant, la vie même de l’enfant sont mises en péril si celui-ci est privé de soins hospitaliers ». Toujours le 26 octobre 2007, l’autorité sociale demanda au tribunal de district de Beroun d’adopter une mesure provisoire en application de l’article 76a du code de procédure civile, en vue de confier le second requérant au département de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de Hořovice. Cette demande fut accompagnée des notes susmentionnées établies par l’office municipal de Černošice et par le médecin D. Le jour même, le tribunal accéda à cette demande, reprenant les termes de la note établie par le médecin D. ; la décision rappelle que toute mesure provisoire est notifiée aux parties au moment de son exécution qui doit intervenir sans délai. Le 26 octobre 2007 à 16 heures 30, un huissier de justice et une assistante sociale accompagnés de policiers se rendirent au domicile des requérants. Bien qu’ils eurent expliqué au père de l’enfant que la requérante pouvait partir à l’hôpital avec ce dernier, il refusa de les emmener à l’hôpital de son plein gré. Une équipe médicale des urgences fut donc appelée à la rescousse. Ayant examiné le nouveau-né, le médecin présent ne constata chez lui aucun problème de santé mais convint avec les intéressés que, étant donné la mesure provisoire exécutoire, la mère et l’enfant seraient amenés à l’hôpital dans l’ambulance ; celle-ci fut suivie par le père, les policiers, l’assistante sociale ainsi que l’huissier de justice. Une fois à l’hôpital, le requérant fut de nouveau examiné, sans qu’un problème de santé fût constaté. Les requérants furent obligés de rester à l’hôpital pendant deux jours, et allèguent n’avoir subi aucun acte médical pendant ce temps-là. Il ressort par ailleurs du rapport de l’hôpital que la requérante avait refusé le dépistage néonatal et la vaccination du requérant. Sur demande expresse de la requérante qui signa alors le refus informé de la poursuite des soins (negativní revers), les requérants furent autorisés à quitter l’hôpital le 28 octobre 2007, environ 50 heures après l’accouchement. B. Procédures ultérieures Procédure en contestation de la mesure provisoire Le 29 octobre 2007, l’autorité sociale demanda au tribunal de district de Beroun de rapporter la mesure provisoire du 26 octobre 2007 car, les requérants étant sortis de l’hôpital, les motifs pour son adoption avaient cessé d’exister. Le jour même, le tribunal de district accéda à cette demande et rapporta la mesure, relevant que, selon une note établie par l’hôpital, le requérant avait quitté l’hôpital la veille car il n’était plus nécessaire, du point de vue médical, de poursuivre son hospitalisation. La requérante fit néanmoins appel de la mesure du 26 octobre 2007, qui avait selon elle enfreint, en son chef et en celui de son fils, leurs droits à la liberté et au respect de la vie privée et familiale, ce pourquoi elle avait l’intention de demander, en vertu de la loi no 82/1998, des dommages-intérêts au titre du préjudice moral. Elle soutint que les conditions légales pour procéder en application de l’article 76a du code de procédure civile n’avaient pas été réunies car il n’avait pas été démontré que le requérant avait été dépourvu de soins au moment de l’adoption de la mesure ou que son bon développement s’était trouvé compromis. La requérante reprocha au tribunal de ne pas avoir soumis l’ingérence en cause au test de légalité, de légitimité et de proportionnalité, en ce qu’il n’avait pas cherché à attester les faits sous-tendant la demande de l’autorité sociale et n’avait pas explicité dans sa décision le risque concret encouru par l’enfant. Elle souligna enfin qu’aucune loi ne prévoyait l’obligation pour le nouveau-né de rester dans un établissement hospitalier pendant un certain temps après la naissance ni l’obligation pour les parents d’accepter une telle hospitalisation. Le 30 avril 2008, le tribunal régional de Prague rejeta l’appel de la requérante, considérant que celui-ci était sans objet puisque la mesure contestée avait été rapportée le 29 octobre 2007. Dans ces circonstances, un éventuel examen au fond de cette mesure et l’issue de la procédure d’appel n’auraient plus aucune répercussion sur la procédure ; le fait que les parents avaient l’intention de réclamer des dommages-intérêts ne pouvait rien y changer. Les requérants introduisirent un recours constitutionnel, dirigé contre les décisions du 26 octobre 2007 et du 30 avril 2008 ainsi que contre la demande de l’autorité sociale ayant été à l’origine de la mesure contestée. Ils demandaient à la Cour constitutionnelle soit d’annuler ces décisions comme étant contraires à l’ordre constitutionnel tchèque, soit de constater que l’adoption de la mesure du 26 octobre 2007 avaient enfreint leurs droits fondamentaux garantis par les articles 5, 6, 8 et 13 de la Convention, soit de constater que leurs droits avaient été violés du fait même de la demande de l’autorité sociale. Par la décision du 17 décembre 2009, notifiée à l’avocat des requérants le 25 janvier 2010, la Cour constitutionnelle rejeta le recours des requérants en partie comme irrecevable et en partie comme manifestement mal fondé. Rappelant tout d’abord que le recours constitutionnel ne pouvait être dirigé que contre une ingérence d’une autorité publique dans les droits fondamentaux des individus, elle constata que, en elle-même, la demande tendant à l’adoption de la mesure provisoire n’avait aucunement affecté les droits et libertés des requérants. De même, le recours était irrecevable dans sa partie visant l’annulation de la mesure du 26 octobre 2007 car il n’était pas possible d’annuler une décision qui n’existait plus. La Cour constitutionnelle conclut que dans sa partie visant la décision du 30 avril 2008, le recours était manifestement mal fondé car le tribunal régional n’avait pas pu procéder autrement. De l’avis de la Cour constitutionnelle, en dénonçant une violation de leurs droits, les requérants voulaient obtenir l’annulation de la mesure provisoire pour s’ouvrir formellement la voie vers une demande en dommages-intérêts en vertu de la loi no 82/1998 ; or, le rôle de la cour n’était pas d’annuler les décisions contestées seulement pour aider les requérants dans cette démarche. En l’espèce, les autorités avaient accompli les tâches qui leur incombaient, dans une situation où leur ingérence était justifiée par les faits établis. En effet, la mère avait quitté l’hôpital avec l’enfant juste après l’accouchement, dans une situation où des complications post-accouchement ne pouvaient jamais être exclues, et n’avait pas communiqué l’adresse où elle pouvait être jointe. Procédure en dommages-intérêts selon la loi no 82/1998 Par une demande rédigée le 25 avril 2008 et notifiée au ministère de la Justice le 30 avril 2008, la requérante somma le ministère, en vertu de la loi no 82/1998, de lui présenter des excuses et de lui allouer une indemnisation de 40 000 CZK (1 500 EUR environ) au titre du dommage moral subi du fait du placement de son fils à l’hôpital. Le 29 septembre 2008, le ministère informa l’intéressée que sa demande était prématurée et qu’il était nécessaire d’attendre l’issue de son recours constitutionnel relatif à la mesure provisoire litigieuse. En effet, il n’était possible de demander des dommages-intérêts au titre d’une décision irrégulière que si la décision avait été annulée ou modifiée en raison de son irrégularité et si le justiciable avait exercé tous les recours que la loi lui offrait pour la défense de ses droits. Le 26 octobre 2010, la requérante intenta une procédure contre l’Etat représenté par le ministère de la Justice, demandant à ce qu’il lui présente ses excuses et verse 40 000 CZK de dommages-intérêts au titre de la violation de ses droits de la personnalité et des droits à la liberté et au respect de la vie privée et familiale, causée par le placement irrégulier de son fils à l’hôpital. Par jugement du 30 juin 2011, le tribunal d’arrondissement de Prague 2 rejeta cette demande pour prescription. Relevant que selon l’article 32 § 3 de la loi no 82/1998, le droit à l’indemnisation du préjudice moral devait être exercé dans un délai de six mois à compter du jour où le demandeur avait appris l’existence du préjudice, il estima que ce délai commençait en l’espèce à courir le jour où la mesure provisoire litigieuse avait cessé de produire ses effets, à savoir le 29 octobre 2007. Dès lors, le délai était déjà écoulé lorsque la requérante avait fait valoir son droit auprès du ministère de la Justice, le 30 avril 2008. De plus, deux autres années s’étaient écoulées entre la réponse négative du ministère et l’ouverture de la procédure judiciaire. Le tribunal ajouta que, même si son raisonnement relatif à la prescription était jugé erroné, l’issue de l’affaire n’en serait pas différente car la mesure provisoire n’avait pas été annulée pour son irrégularité, comme l’exigeait l’article 8 § 2 de la loi no 82/1998 qui reflétait le droit de l’État de définir les limites de sa responsabilité pour le dommage causé lors de l’exercice de la puissance publique. Le 14 décembre 2011, ce jugement fut confirmé par le tribunal municipal de Prague. Le 9 mars 2012, la requérante contesta ces décisions par un recours constitutionnel, dénonçant les motifs du rejet de sa demande en dommages-intérêts en invoquant les droits garantis par les articles 8 et 13 de la Convention. Elle demanda également l’annulation de l’article 32 § 3 de la loi no 82/1998, alléguant que le délai de prescription de six mois était excessivement court et enfreignait le principe de l’égalité puisque le code civil ainsi que l’article 32 § 1 de la loi no 82/1998 prévoyaient dans d’autres circonstances un délai de trois ans. La requérante invita également la Cour constitutionnelle à abroger l’article 8 § 2 de la loi no 82/1998 dans sa partie conditionnant l’octroi de dommages-intérêts par l’annulation de la décision irrégulière « à la suite d’un recours ordinaire », de manière à permettre aux justiciables de se voir accorder des dommages-intérêts même lorsqu’il n’est pas possible d’obtenir l’annulation de la décision car celle-ci est devenue sans objet. Le 17 juillet 2013, la Cour constitutionnelle rejeta le recours pour défaut manifeste de fondement. Elle rappela avoir déjà examiné le caractère du délai prévu par l’article 32 § 3 de la loi no 82/1998 et constata qu’un délai ne saurait être en soi contraire à la Constitution, ne pouvant l’apparaître qu’au vu des circonstances concrètes. Même la Cour européenne des droits de l’homme reconnaissait le droit du législateur national de fixer la durée d’un délai de prescription. La Cour constata que l’article 32 § 3 de la loi no 82/1998 était conforme à la Constitution, n’emportait pas une inégalité entre les demandeurs, ne privilégiait pas l’État et ne constituait pas une réglementation arbitraire. En effet, compte tenu du caractère spécifique du droit en jeu, la réglementation de la question de prescription pouvait être différente, sachant que le délai de prescription prévu offrait suffisamment de temps pour faire valoir ce droit. Dès lors, la Cour ne considéra pas utile d’examiner les autres arguments et griefs de la requérante. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Code de procédure civile (loi no 99/1963, version en vigueur au moment des faits) L’article 76a § 1 dispose que si un enfant mineur se retrouve dépourvu de soins, ou bien si sa vie ou son développement favorable sont gravement menacés ou atteints, le président de la chambre du tribunal civil ordonne par une mesure provisoire que l’enfant soit confié aux soins de la personne désignée par la mesure. Le paragraphe 2 précise que la décision n’est notifiée aux parties qu’au moment de l’exécution. Selon le paragraphe 4, la mesure provisoire rendue en vertu du paragraphe 1 est valable pendant un mois depuis le moment où elle est devenue exécutoire ; si une procédure sur le fond est intentée avant l’écoulement dudit délai, le tribunal peut de manière répétée prolonger la validité de la mesure d’un mois, sans que la durée globale de sa validité ne puisse dépasser six mois. L’article 76a § 5 dispose enfin que les parents du mineur, l’autorité de la protection sociale de l’enfant et le tuteur de l’enfant peuvent à tout moment demander au tribunal d’annuler la mesure provisoire. Une telle demande doit être tranchée au plus tard dans un délai de sept jours. B. Loi no 359/1999 sur la protection sociale de l’enfant L’article 16 dispose que si la vie ou le développement favorable d’un enfant sont gravement menacés ou atteints, l’autorité municipale compétente est obligée de demander sans délai à un tribunal d’adopter la mesure provisoire selon l’article 76a du code de procédure civile. C. Loi no 20/1966 sur les soins de santé (abrogée au 1er avril 2012) En vertu de l’article 23 § 2, lorsqu’un patient refusait, malgré les explications appropriées, les soins nécessaires, le médecin soignant devait lui demander une déclaration écrite en ce sens (revers). Lorsqu’un examen ou une intervention médicale urgents étaient indispensables pour sauver la vie ou la santé de l’enfant et que les parents n’y consentaient pas, le médecin pouvait décider de l’effectuer, sauf si l’enfant était suffisamment mûr pour juger du caractère indispensable d’un tel acte. D. Loi no 82/1998 sur la responsabilité de l’État pour le préjudice causé lors de l’exercice de la puissance publique par une irrégularité dans la décision ou la conduite de la procédure En vertu de l’article 8 § 1, l’intéressé ne peut demander d’indemnisation pour le préjudice causé par une décision irrégulière que si cette décision passée en force de chose jugée a été annulée ou réformée par l’autorité compétente. Le paragraphe 2 de l’article 8 précise que si le préjudice a été causé par une décision irrégulière exécutoire avant de passer en force de chose jugée, l’indemnisation pouvait être demandée même lorsque la décision avait été annulée ou réformée à la suite d’un recours ordinaire. En vertu de l’article 32 §§ 1 et 2, le droit à la réparation du dommage matériel selon cette loi est prescrit à l’écoulement de trois ans à compter du jour où la personne lésée a pris connaissance du dommage et de celui qui en est responsable. Si le droit aux dommages-intérêts est conditionné par l’annulation de la décision, le délai de prescription court à compter de la notification de cette décision d’annulation. Le droit est prescrit au plus tard à l’expiration d’un délai de dix ans à compter de cette notification, sauf lorsqu’il s’agit d’un préjudice à la santé. Aux termes de l’article 32 § 3, le droit à la réparation du préjudice moral selon cette loi est prescrit à l’écoulement de six mois à compter du jour où la personne lésée a pris connaissance du préjudice moral causé, et au plus tard à l’expiration d’un délai de dix ans à compter du jour où est survenu le fait générateur du préjudice moral. E. Bulletins du ministère de la Santé Le bulletin no 7/2005 publié en juillet 2005 énonce un conseil méthodique adressé par le ministère aux médecins en vue de minimiser leurs doutes et d’harmoniser leur approche. Selon ses termes, le nouveau-né pouvait habituellement sortir de l’hôpital entre autres si plus de 72 heures s’était écoulées depuis l’accouchement. Selon un avis d’experts ministériels cité par le Gouvernement, le laps de 72 heures permet aux enfants de s’adapter et aux médecins de dûment vérifier leurs fonctions vitales et de détecter d’éventuelles anomalies génétiques. En général, les nouveau-nés quittent l’hôpital lorsque leur courbe de croissance commence à remonter. En cas d’un séjour inférieur à 72 heures une partie des enfants ne se verront pas détecter à temps une déshydratation importante accompagnée d’hypernatrémie et d’un risque d’hémorragie cérébrale, d’autres troubles seront difficilement diagnostiqués, le développement de l’hyperbilirubinémie néonatale et la cicatrisation du cordon ombilical sectionné ne seront pas sous contrôle. Dans les premières 48 heures après l’accouchement le risque d’une mort subite est plus élevé. En outre, le raccourcissement du séjour à l’hôpital mènera probablement à la baisse du nombre d’enfants allaités. Un nouveau conseil méthodique a été publié en décembre 2013 dans le bulletin no 8/2013. Alors qu’il est toujours recommandé de garder le nouveau-né à l’hôpital au moins 72 heures après l’accouchement, le document énonce que le nouveau-né peut quitter l’hôpital avant l’écoulement des 72 heures si son représentant légal l’exige, à condition que ce dernier (a) retire par écrit son consentement aux soins dispensés au nouveau-né, ou déclare par écrit son désaccord avec la poursuite de ces soins, (b) ait été dûment informé des conséquences possibles de la sortie du nouveau-né avant l’écoulement des 72 heures, (c) ait été informé que les experts recommandent, dans l’intérêt d’un bon développement du nouveau-né, de le faire examiner par un spécialiste dans les 24 heures après sa sortie de l’hôpital et d’effectuer une prise de sang en vue du dépistage de certains troubles. Lorsque le service médical conçoit à la sortie du nouveau-né des soupçons sur l’existence d’un fait qui doit être porté à la connaissance de l’autorité de la protection sociale de l’enfant, il s’acquitte de son devoir d’information. Ne saurait être considéré comme tel le seul fait que le nouveau-né a quitté l’hôpital avant l’écoulement des 72 heures depuis son accouchement ou que son représentant légal n’a pas indiqué au service médical comment le nouveau-né serait pris en charge par la suite. F. Jugement (non définitif) du tribunal régional de Brno no 24 C 3/2011 Dans cette affaire, la demanderesse a introduit une action civile en protection des droits de la personnalité contre le médecin urgentiste. Ce dernier, après avoir été appelé au domicile de la demanderesse pour vérifier l’état de santé de l’enfant dont elle venait d’accoucher et sans avoir constaté chez celui-ci un quelconque problème de santé, l’avait à l’aide de la police obligée de se rendre avec son bébé immédiatement à l’hôpital pour un contrôle pédiatrique, alors qu’elle se disait prête à s’y rendre un peu plus tard. Vraisemblablement en conséquence de ce transport, l’enfant s’est retrouvé dans un état d’hypothermie. Par le jugement rendu en première instance le 16 novembre 2012, le tribunal régional de Brno a accédé à la demande et enjoint au service concerné des urgences médicales de présenter les excuses à la demanderesse et de lui verser des dommages-intérêts. Il constata entre autres que : l’exigence d’un contrôle immédiat à l’hôpital a été formulée sans lien avec l’état de santé actuel de l’enfant alors que le médecin urgentiste était compétent pour établir s’il existait un risque imminent pour la vie ou la santé du nouveau-né ; il s’agissait d’un problème juridique entre le médecin et la mère au vu de l’article 23 § 3 de la loi no 20/1966 en vigueur à l’époque, qui prévoyait une exception à la règle selon laquelle c’est en principe la mère qui décide au nom du nouveau-né de refuser un acte médical ou une hospitalisation, pour les cas où le refus de soins par un parent reviendrait à exposer le nouveau-né à un péril imminent, c’est-à-dire pour les cas où un acte médical urgent était indispensable pour sauver la vie ou la santé de l’enfant ; or, en l’espèce, le médecin n’avait constaté chez l’enfant aucun signe de trouble concret qui mettrait en péril sa vie ou sa santé, se référant seulement à une simple possibilité hypothétique que son état se dégrade, ce qui ne saurait suffire pour justifier une limitation de la liberté et du droit des parents de décider en vertu de l’article 23 § 3 de la loi no 20/1966 ; au lieu de recourir à une ingérence illégale et disproportionnée dans les droits à la liberté personnelle et au respect de la vie privée et familiale de la demanderesse et de son enfant, le médecin aurait dû faire signer à la première d’entre eux un refus informé de la poursuite des soins ; le préjudice moral directement causé par cette ingérence était d’autant plus important dans le chef de la demanderesse que les moments liés à l’accouchement d’un enfant (et les souvenirs s’y rapportant) constituent les éléments essentiels de la vie familiale et leur importance exceptionnelle pour la vie familiale est incontestable. III. LES TEXTES PERTINENTS DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES Concluding Observations of the Committee on the Elimination of Discrimination against Women on the Czech Republic (22 October 2010) “36. While acknowledging the need to ensure maximum safety for mothers and newborns during childbirth, as well as the State party’s low perinatal mortality rate, the Committee takes note of reports of interference with women’s reproductive health choices in hospitals, including the routine application of medical interventions, reportedly often without the woman’s free, prior and informed consent or any medical indication, a rapid increase in the caesarean section rate, separation of newborns from their mothers for up to several hours without health-related reasons, refusal to release the mother and child from hospital before 72 hours after childbirth, and patronizing attitudes of doctors which impede the exercise by mothers of their freedom of choice. It also notes reports about women’s limited options for delivering their babies outside hospitals. The Committee recommends that the State party consider accelerating the adoption of a law on patients’ rights, including women’s reproductive rights; adopt a protocol of normal birth care ensuring respect for patients’ rights and avoiding unnecessary medical interventions; ensure that all interventions are performed only with the woman’s free, prior and informed consent; monitor the quality of care in maternity hospitals; provide mandatory training for all health professionals on patients’ rights and related ethical standards; continue raising patients’ awareness of their rights, including by disseminating information; and consider taking steps to make midwife-assisted childbirth outside hospitals a safe and affordable option for women.”
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976 et réside à Istanbul. A. Incident du 10 décembre 2000 Le 10 décembre 2000, aux environs de 3 heures du matin, le requérant fut blessé par des policiers en patrouille, au cours d’une fusillade survenue au moment de son arrestation. Le même jour, les policiers impliqués dans la fusillade dressèrent un procès-verbal de l’incident. Dans ce document, ils déclaraient avoir aperçu un groupe de quatre personnes, aux visages masqués, en train d’écrire des slogans illégaux sur des murs. Ils affirmaient que ces personnes avaient ouvert le feu sur eux alors qu’ils étaient sur le point de contrôler leur identité. Ils indiquaient avoir alors sommé ces personnes de cesser leurs agissements, d’abord verbalement puis par des tirs. Ils ajoutaient qu’une des personnes, en tirant sur eux, avait pris la fuite et que les trois autres, refusant d’obtempérer avaient continué à tirer sur eux. Ils précisaient ensuite qu’un des individus, Ö.T., avait été tué et que les deux autres, Ş.Y. et le requérant – lequel était en possession d’une fausse carte d’identité d’après eux –, avaient été blessés lors de la fusillade. Ils déclaraient que ces deux individus, qui scandaient des slogans, avaient été arrêtés en usant de la force. Par ailleurs, dans le même procès-verbal, il était précisé que deux pistolets, trois chargeurs et de nombreuses douilles, ainsi que trois cagoules et une paire de gants avaient été trouvés sur les lieux. Aux environs de 3 h 30 du matin, une équipe de police se rendit sur les lieux de l’incident afin de recueillir des preuves. Elle procéda également à des prélèvements sur les mains de Ö.T., de Ş.Y. et du requérant. Les policiers établirent également un croquis localisant les éléments de preuve recueillis sur les lieux. Le même jour, le requérant fit l’objet de deux examens médicaux. Les médecins légistes constatèrent une blessure de 4 cm sur son oreille droite. A cette même date, deux rapports d’expertise furent versés au dossier. Le premier rapport faisait état de ce qu’un des pistolets retrouvé sur les lieux, de marque Star et de calibre 9, ainsi que les trois chargeurs ne portaient pas d’empreintes digitales susceptibles d’être analysées. S’agissant des prélèvements faits sur les mains de Ö.T., de Ş.Y. et du requérant, le deuxième rapport attestait de l’absence de résidus de tir ; il précisait également qu’il était possible de ne pas retrouver trace de tels résidus lorsque le tireur portait des gants. Le 13 décembre 2000, le laboratoire attaché au service criminel de la direction de la sûreté d’Istanbul établit un rapport d’expertise. Il en ressortait qu’une douille et une balle provenaient du pistolet appartenant au requérant, que sept douilles et deux balles provenaient du pistolet Star, que vingt-six douilles provenaient des armes des policiers, et que quatre douilles et une balle ne provenaient d’aucune arme saisie sur les lieux. Le 14 décembre 2000, la police recueillit la déposition du requérant, lequel avoua être membre d’une organisation illégale armée et avoir tiré sur les policiers lors de l’incident du 10 décembre 2000. Le 16 décembre 2000, le requérant fut de nouveau entendu par les policiers. Dans sa déclaration, il confirmait avoir tiré sur les policiers lors de l’incident. Une visite des lieux fut également effectuée en présence du requérant et des policiers. A la fin de cette visite, un croquis simple fut dressé. Le 17 décembre 2000, le requérant fut réexaminé par le médecin légiste de l’institut médicolégal de Fatih. Dans son rapport, ce dernier indiqua que la blessure à l’oreille du requérant avait été causée par une balle, qu’elle ne présentait pas de danger pour sa vie et qu’elle nécessitait un arrêt de sept jours. Par ailleurs, il précisa que le requérant ne présentait aucune trace de violence sur son corps. Le même jour, la déposition du requérant fut recueillie par le procureur de la République. L’intéressé confirma partiellement ses déclarations faites à la police le 14 décembre 2000 et déclara qu’un affrontement armé avait eu lieu entre les policiers et les trois autres suspects. Par ailleurs, il indiqua s’être muni d’un revolver de marque Star de calibre 9 lors de l’incident, ajoutant toutefois ne pas avoir utilisé cette arme. A cette même date, le juge près la cour de sûreté d’Istanbul entendit le requérant. Ce dernier confirma ses déclarations faites au procureur. En outre, il revint sur sa déposition faite à la police, la niant partiellement, et il affirma notamment avoir été soumis à des actes de torture aux fins d’obtenir des aveux. Le juge ordonna le placement en détention du requérant. Le 10 janvier 2001, une autopsie fut pratiquée sur le corps de Ö.T. Le rapport d’autopsie mentionnait la présence des orifices d’entrée et de sortie d’une balle dans la tête du défunt, ainsi que de deux orifices d’entrée et de sortie sur son corps. Il concluait que la mort était due à une hémorragie cérébrale causée par l’impact d’une balle reçue à la tête et tirée à longue distance. Au cours de l’année 2001, le procureur de la République entendit les policiers impliqués dans l’incident, à savoir A.M., N.D. et O.K. le 3 janvier, S.K. et M.Y. le 10 janvier, Seyfettin K. le 12 janvier, C.D. et G.K. le 15 janvier, Sabri K. le 21 janvier, K.K. le 26 janvier, Hüseyin Y. le 21 février, Halil Y. le 18 mai et N.O. le 8 octobre. Les policiers confirmèrent le procès-verbal de l’incident (paragraphe 7 ci-dessus). En outre, Hüseyin Y. déclara avoir tiré une fois en l’air, et K.K., C.K., A.M., M.Y., Seyfettin K. et N.D. affirmèrent avoir riposté aux tirs. B. Procédure pénale engagée contre les policiers Par un acte d’accusation du 24 novembre 2001, le procureur de la République de Beyoğlu engagea une action pénale contre les treize fonctionnaires de police susmentionnés, leur reprochant d’avoir causé la mort d’une personne et d’en avoir blessé deux autres, dont le requérant. Il requit leur condamnation en vertu des articles 49, 448 et 463 du code pénal. Le 5 février 2002, le requérant présenta une demande de constitution de partie intervenante à la procédure pénale, laquelle fut accueillie. Le 10 avril 2002, un rapport d’expertise fut versé au dossier. Ce rapport confirmait les conclusions des rapports déjà versés au dossier (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). Lors de l’audience du 27 avril 2004, trois témoins furent entendus. Ils déclarèrent ne pas avoir assisté à l’incident. Lors de l’audience du 11 novembre 2004, le témoin D.U. fut entendu. Il déclara ne pas avoir vu d’affrontement armé. Lors de la procédure devant la cour d’assises, un rapport d’expertise, présenté sur un cédérom et une cassette vidéo et contenant l’enregistrement audio et vidéo réalisé par la police sur les lieux de l’incident, fut versé au dossier. Il en ressortait que ces enregistrements n’apportaient aucun élément complémentaire susceptible d’éclaircir les faits. Par ailleurs, un rapport d’expertise établi en février 2007 et portant sur l’analyse des vêtements de Ö.T. fut versé au dossier. Il en ressortait que, même si le tir ayant causé la mort de Ö.T. n’avait pas été à bout portant, il n’était pas possible d’en établir la distance exacte. Lors des audiences du 11 novembre 2004, des 14 février et 24 mai 2005 et du 25 décembre 2007, le requérant demanda qu’une reconstitution des faits en sa présence soit effectuée sur les lieux de l’incident. Le procureur s’opposa à cette demande, au motif qu’une telle reconstitution ne pouvait être utile compte tenu du délai écoulé depuis l’incident. Le tribunal rejeta cette demande lors de l’audience du 25 décembre 2007. Lors de l’audience du 10 juin 2008, le requérant réitéra sa demande de reconstitution des faits sur les lieux de l’incident. Cette demande fut de nouveau rejetée. Entre 2001 et 2012, la cour d’assises tint au total 30 audiences. Au cours de celles-ci, nombre d’entre elles furent reportées en raison de l’absence des avocats des accusés, en particulier pour entendre l’accusé A.M. Ce dernier ne put être entendu qu’à l’audience du 29 mars 2010. Par un arrêt du 24 mai 2012, la cour d’assises décida de dispenser les accusés de sanction pénale en application de l’article 223 § 3 b) du code de procédure pénale, considérant qu’il y avait eu légitime défense. Elle tint pour établi que, lors de l’incident, les premiers coups de feu avaient été ouverts contre les policiers, présents sur les lieux pour accomplir leur devoir, et elle conclut que l’usage d’une arme à feu par les fonctionnaires de police était légitime au regard du droit national. Pour aboutir à cette conclusion, elle prit notamment en compte les résultats de l’enquête. Elle se fonda en particulier sur les croquis des lieux et les procès-verbaux versés au dossier, les déclarations des victimes et des accusés, ainsi que sur les rapports d’expertises. Le 29 mai 2012, le requérant se pourvut en cassation. À ce jour, la procédure est toujours pendante devant la Cour de cassation. C. Autres procédures engagées Entre-temps, une enquête administrative fut menée au sujet de l’incident du 10 décembre 2000 et elle se conclut par un non-lieu. En outre, le 1er juillet 2002, A.M. fut exclu de la police à l’issue d’une procédure disciplinaire concernant une infraction commise le 14 août 2001. De plus, le 16 décembre 2002, le procureur de la République de Fatih rendit, en l’absence de preuves suffisantes, une ordonnance de non-lieu à l’égard de trois policiers quant aux allégations de mauvais traitements infligés au requérant. Celui-ci ne forma aucune opposition contre cette décision. Par ailleurs, il ressort du dossier qu’une action pénale fut engagée contre le requérant devant la cour de sûreté d’Istanbul. Lors de l’audience tenue le 18 juin 2001 devant cette juridiction, le requérant fut entendu. Il déclara s’être muni d’un pistolet lors de l’incident du 10 décembre 2000, affirmant toutefois ne pas l’avoir utilisé, et il soutint également que ses amis ne portaient pas d’arme. Il ajouta que, lors de son arrestation, un policier avait pris son arme et avait tiré en l’air. En outre, il déclara avoir été soumis à des actes de torture lors de sa garde à vue et il rejeta partiellement les déclarations qu’il avait faites au procureur et au juge le 17 décembre 2000. Le 7 avril 2004, le requérant fut déclaré coupable d’atteinte à l’intégrité de l’Etat. Ce jugement fut confirmé le 14 avril 2005 par la Cour de cassation.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1952 et réside à Budapest. A. L’élection du requérant au poste de président de la Cour suprême et ses fonctions Le 22 juin 2009, après avoir été juge à la Cour européenne des droits de l’homme pendant dix-sept ans (1991–2008) puis juge à la cour d’appel de Budapest pendant plus d’un an, le requérant fut élu président de la Cour suprême par le Parlement hongrois (décision no 5/2009 (VI.24) OGY). Son mandat de six ans devait s’achever le 22 juin 2015. À ce poste, le requérant assumait des tâches managériales mais aussi un rôle judiciaire, présidant des délibérations sur les questions d’uniformité et orientant les décisions. Il présidait également le Conseil national de la justice, cette seconde fonction ayant été ajoutée aux tâches de président de la Cour suprême en 1997 par la loi sur l’organisation et l’administration des tribunaux (loi LXVI de 1997). En qualité de président du Conseil national de la justice, il était tenu à l’obligation légale expresse de formuler un avis sur les propositions de lois touchant l’ordre judiciaire, après avoir recueilli et synthétisé les opinions de différentes juridictions par le biais du Bureau du Conseil national de la justice. Le 13 octobre 2011, l’Assemblée générale du Réseau des présidents des cours suprêmes judiciaires de l’Union européenne l’élut à l’unanimité à la présidence du Réseau, pour un mandat de deux ans (2011–2013). B. La genèse de l’affaire En avril 2010, l’alliance entre Fidesz–Magyar Polgári Szövetség (Fidesz–Union civique hongroise – « Fidesz ») et le Parti populaire démocrate-chrétien (« le KDNP ») obtint au Parlement la majorité des deux tiers des voix et lança un vaste programme de réforme constitutionnelle. Par la suite, le requérant se fit entendre à plusieurs reprises au sujet de l’intégrité et de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Dans le cadre de ses fonctions professionnelles de président de la Cour suprême et du Conseil national de la justice, il donna son avis sur quatre questions : le projet de loi prévoyant l’annulation de certaines condamnations ; l’âge de la retraite des juges ; les amendements au code de procédure pénale ; et le projet de nouvelle loi sur l’organisation et l’administration des tribunaux. Premièrement, le projet de loi sur l’annulation de certaines condamnations (qui devint plus tard la loi XVI de 2011) visait à la réparation des condamnations relatives à la dispersion d’une foule survenue en automne 2006. Le requérant critiqua la manière dont il était prévu de parvenir à cet objectif, c’est-à-dire en réexaminant des affaires ayant abouti à des jugements définitifs et en annulant par le biais de la législation certaines décisions judiciaires. Le 12 février 2011, le porte-parole de M. Baka exposa ainsi l’avis de celui-ci dans le journal Népszabadság : « [L]e projet de loi prévoyant l’annulation de certaines décisions judiciaires rendues au sujet des émeutes de 2006 est préoccupant car il porte atteinte à la libre appréciation des éléments de preuve par les juges. Il s’agit là d’un grave problème constitutionnel (...) [L]’ordre judiciaire n’examine le projet de loi que d’un point de vue professionnel et se distancie de tout débat politique. András Baka [le requérant], président du Conseil national de la justice, espère que le Parlement choisira une technique juridique permettant d’éliminer le problème d’inconstitutionnalité ». Le 8 mars 2011, lendemain de l’adoption du projet de loi, István Balsai (député du Fidesz et à l’époque président de la commission parlementaire chargée de la constitution, de la justice et du règlement intérieur) répondit ainsi aux critiques de l’ordre judiciaire lors d’une conférence de presse : « La solution juridique adoptée a été qualifiée de regrettable. Eh bien je trouve quant à moi regrettable qu’un membre du corps judiciaire, quelles que soient ses fonctions, tente ainsi d’influer sur le processus législatif ». Deuxièmement, au sujet de la proposition d’abaissement de l’âge obligatoire de la retraite pour les juges (de soixante-dix ans à soixante-deux ans, l’âge général de la retraite) formulée à l’article 26 § 2 de la Loi fondamentale de la Hongrie, le 7 avril 2011 des présidents de juridictions, dont le requérant, adressèrent aux différents acteurs du processus constitutionnel (le président de la République, le Premier ministre, le président du Parlement) une lettre dans laquelle ils indiquaient les risques que cette proposition pouvait comporter pour le corps judiciaire. Ils s’inquiétaient du fait que, en supprimant la possibilité pour les juges de demeurer en fonction jusqu’à l’âge de soixante-dix ans, la règle proposée obligerait un dixième des juges hongrois (274 personnes) à mettre fin à leur carrière de manière soudaine en 2012. Le matin du 11 avril 2011 (jour du scrutin sur les propositions d’amendement), le requérant adressa au Premier ministre une lettre dans laquelle il déclarait que la proposition était humiliante et injustifiable sur le plan professionnel, qu’elle bafouait les principes fondamentaux relatifs à l’indépendance, au statut et à l’inamovibilité des juges, et qu’elle était de plus discriminatoire dès lors que seul le corps judiciaire était concerné. Il ajoutait ceci : « Il est (...) inadmissible qu’un parti politique ou la majorité du Parlement imposent leurs exigences politiques à l’ordre judiciaire et évaluent les juges selon des critères politiques. » Le même jour, le Parlement adopta la proposition en question (voir cidessous le Droit interne pertinent). Le 14 avril 2011, la formation plénière de la Cour suprême, le requérant en qualité de président du Conseil national de la justice, ainsi que les présidents de tribunaux régionaux et de district, adressèrent aux citoyens de la Hongrie et de l’Union européenne un communiqué plaidant pour l’autonomie et l’indépendance du pouvoir judiciaire et critiquant le nouvel âge obligatoire de la retraite imposé aux juges. Les extraits pertinents de ce communiqué se lisent ainsi : « Selon la proposition, l’âge obligatoire de la retraite pour les juges sera abaissé de huit ans à compter du 1er janvier 2012. En conséquence, les mandats de 228 juges (dont 121 juges chargés de l’administration des tribunaux et de l’encadrement professionnel) seront résiliés le jour même, sans aucune période de transition, au motif que les intéressés ont atteint l’âge de soixante-deux ans. Au 31 décembre 2012, 46 autres juges devront mettre un terme à leur carrière. Du fait de cette décision, les délais des procédures judiciaires se dégraderont sensiblement (il faudra réattribuer près de 40 000 affaires, ce qui pourrait engendrer un retard de plusieurs années dans les procédures qui concernent des dizaines de milliers de justiciables). L’administration des tribunaux sera gravement entravée car il est extrêmement difficile de remplacer des dizaines de juges qui partent à la retraite. Les effets multiples de la mise à la retraite forcée, sans réelle justification, de juges hautement qualifiés ayant plusieurs années d’expérience et de pratique, et dont la plupart sont au sommet de la hiérarchie, ébranleront de manière fondamentale le fonctionnement du système judiciaire – sans parler d’autres conséquences imprévisibles. De plus, la proposition est injuste et humiliante à l’égard des personnes concernées, qui ont prêté le serment de servir la République et d’administrer la justice et qui ont consacré leur vie à leur vocation judiciaire. Il est incompréhensible que la question de l’âge de la retraite des juges doive faire l’objet de dispositions dans la Loi fondamentale. Il n’y a qu’une explication à cela : intégrer cette question dans la Loi fondamentale a pour effet de supprimer toute possibilité de contester devant la Cour constitutionnelle cette règle juridique qui porte atteinte aux principes fondamentaux d’un État démocratique de droit. Une mesure aussi injustifiée suggère une motivation politique. » Troisièmement, le 14 juin 2011, le projet de loi no T/3522 sur la modification de certaines dispositions législatives concernant la procédure judiciaire et le système judiciaire (notamment le code de procédure pénale) fut présenté au Parlement. À la demande du requérant, la chambre pénale de la Cour suprême établit une analyse du projet de loi, qui fut communiquée aux députés. Aucune modification de fond n’ayant été apportée au projet (adopté le 4 juillet 2011 sous le titre de loi LXXXIX de 2011), le requérant décida de contester la loi devant la Cour constitutionnelle, plaidant l’inconstitutionnalité et la violation des obligations consacrées par les traités internationaux ; c’était la première fois dans l’histoire de la Hongrie que cette prérogative était exercée. Par la décision no 166/2011. (XII. 20.) AB du 19 décembre 2011, la Cour constitutionnelle confirma l’inconstitutionnalité des dispositions litigieuses et les annula (notamment celle relative au droit pour le procureur général d’établir la compétence d’une juridiction en dérogeant aux règles légales par défaut). Enfin, lors d’un débat parlementaire le requérant exprima son avis sur deux nouveaux projets de loi organiques : l’un concernant l’organisation et l’administration des tribunaux (no T/4743) et l’autre le statut juridique et la rémunération des juges (no T/4744). Le rapport explicatif de ces projets de loi indiquait qu’il était proposé de supprimer le Conseil national de la justice et de le remplacer par un Office judiciaire national et un Conseil judiciaire national. L’objet de ces propositions était de séparer les fonctions judiciaires et managériales, qui avaient été « réunies » en la personne du président de la Cour suprême, lequel présidait aussi le Conseil national de la justice. La réforme proposée visait à concentrer les tâches de management judiciaire entre les mains du président d’un nouvel Office judiciaire national, tout en laissant la responsabilité de veiller à l’administration uniforme de la justice au président de la Cour suprême (rebaptisée de l’appellation historique « Kúria »). Le 26 octobre 2011, le requérant adressa au Parlement une analyse détaillée des projets de loi tenant compte des commentaires reçus de magistrats de tout le pays. Par ailleurs, il décida d’exprimer son opinion directement devant le Parlement, en vertu de l’article 45 § 1 de la résolution parlementaire 46/1994 (IX.30) OGY sur le règlement du Parlement. Dans son discours prononcé le 3 novembre 2011, le requérant se déclara préoccupé par le fait que les projets de textes législatifs ne se penchaient pas sur les problèmes structurels de l’ordre judiciaire mais les laissaient à l’appréciation du chef d’une administration externe (le président de l’Office judiciaire national nouvellement créé), auquel des pouvoirs excessifs, et sans précédent en Europe, étaient conférés sans obligation adéquate de rendre des comptes. C. La destitution du requérant du poste de président de la Cour suprême La Loi fondamentale du 25 avril 2011 énonce que l’organe judiciaire suprême est la Kúria (appellation hongroise historique de la Cour suprême). Le 19 octobre 2011, dans une interview accordée à ATV, le secrétaire d’État chargé de la Justice et député Róbert Répássy déclara que, selon le projet de loi (no T/4743) sur l’organisation et l’administration des tribunaux, la nouvelle Kúria aurait la même fonction que la Cour suprême existante et que seul le nom de la juridiction suprême serait modifié. Il ajouta que le texte « ne fourni[rait] certainement aucune base juridique à un changement concernant la personne du président ». Quelques mois auparavant, le 14 avril 2011, lors d’un débat sur la Loi fondamentale, un autre homme politique du Fidesz, le député Gergely Gulyás avait déclaré sur Inforádió que le président de la Cour suprême resterait en place et que seul le nom de l’institution serait modifié. Le 19 novembre 2011, Gergely Gulyás présenta au Parlement un projet de loi (no T/4996) proposant un amendement à la Constitution de 1949. Cet amendement prévoyait que le Parlement élirait le président de la Kúria le 31 décembre 2011 au plus tard. Le 20 novembre 2011, les députés János Lázár et Péter Harrach, dirigeants du Fidesz et du KDNP respectivement, présentèrent au Parlement un projet de loi (no T/5005) sur les dispositions transitoires de la Loi fondamentale de la Hongrie. L’article 11 disposait que le successeur légal de la Cour suprême et du Conseil national de la justice serait la Kúria pour l’administration de la justice, et le président de l’Office judiciaire national pour l’administration des tribunaux. L’article 11 § 2 des dispositions transitoires indiquait que les mandats du président de la Cour suprême ainsi que du président et des membres du Conseil national de la justice seraient résiliés dès l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale. Les motifs du projet de loi exposaient que ce texte réglait de façon complète la succession de la Cour suprême, du Conseil national de la justice et de leur président. Le successeur (organe ou personne) serait différent suivant la nature des fonctions, lesquelles seraient disjointes. Le projet de loi indiquait qu’eu égard aux modifications du système judiciaire, les mandats du président de la Cour suprême alors en poste ainsi que du président et des membres du Conseil national de la justice seraient résiliés dès l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale. Le 23 novembre 2011, aux fins de faire concorder d’autres dispositions législatives sur cette question, Ferenc Papcsák, député du Fidesz, présenta un amendement relatif aux articles 185 et 187 du projet de loi sur l’organisation et l’administration des tribunaux. Cet amendement visait à mettre un terme aux mandats des membres et président du Conseil national de la justice et aux mandats du président et du vice-président de la Cour suprême dès l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale. Le 28 novembre 2011, le Parlement adopta le projet de loi sur l’organisation et l’administration des tribunaux (loi CLXI de 2011) ainsi que le projet de loi portant modification de la Constitution de la République de Hongrie (loi CLIX de 2011), dont le contenu est décrit ci-dessus. Le projet de loi sur les dispositions transitoires de la Loi fondamentale de la Hongrie fut adopté sans amendement le 30 décembre 2011 et publié (comme dispositions transitoires de la Loi fondamentale de la Hongrie) au Journal officiel le 31 décembre 2011. La date d’entrée en vigueur de la Loi fondamentale fut fixée au 1er janvier 2012. Le mandat du requérant prit fin le 1er janvier 2012, soit trois ans et demi avant le terme normalement prévu. D. Élection d’un nouveau président à la Kúria Pour permettre l’élection en temps voulu d’un nouveau président à la Kúria, la loi portant modification de la Constitution de la République de Hongrie (loi CLIX de 2011, adoptée le 28 novembre 2011 – voir paragraphe 22 ci-dessus) entra en vigueur le 2 décembre 2011. Le 9 novembre 2011, le projet de loi sur l’organisation et l’administration des tribunaux avait été amendé par l’introduction d’un nouveau critère relatif à l’élection du nouveau président de la Kúria : celui-ci serait élu par le Parlement parmi les juges nommés pour un mandat à durée indéterminée et ayant exercé la fonction de magistrat pendant au moins cinq ans (article 114 § 1 de la loi CLXI de 2011 – voir ci-dessous le Droit interne pertinent). Le 9 décembre 2011, le président de la République proposa au Parlement d’élire Péter Darák président de la Kúria et Tünde Handó président de l’Office judiciaire national. Le 13 décembre 2011, le Parlement élut ces candidats conformément à la proposition du président de la République. E. Conséquences de la cessation anticipée du mandat du requérant en tant que président de la Cour suprême Le requérant est actuellement juge à la nouvelle Kúria (chambre civile). Les règles internes de la Kúria relatives aux contacts avec la presse ne lui permettent plus d’exprimer librement ses opinions, car il faut pour pouvoir accorder une interview obtenir l’accord préalable du président de la Kúria. La cessation prématurée de son mandat a également eu des conséquences financières. Tout d’abord, le requérant a perdu le bénéfice du salaire et d’autres avantages (sécurité sociale, résidence présidentielle, protection personnelle) auxquels le président de la Cour suprême a droit pendant toute la durée fixe de son mandat. Ensuite, les présidents sortants de la Cour suprême pouvaient prétendre à certains avantages (allocation versée pendant les six mois consécutifs à la fin du mandat, mise à disposition d’un bureau et d’un secrétariat doté de deux employés pendant deux ans, et complément de pension à vie), dont le requérant s’est également vu priver. La loi de 2000 sur la rémunération et les allocations, qui traitait notamment des droits du président de la Cour suprême, a été abrogée au 1er janvier 2012. L’article 227 § 1 de la loi de 2011 sur le statut juridique et la rémunération des juges (telle que modifiée le 28 novembre 2011 et en vigueur depuis le 1er janvier 2012) est venu compléter cette abrogation, énonçant que la loi abrogée serait appliquée à un ancien président de la Cour suprême uniquement si celui-ci avait droit à l’allocation visée aux articles 26 § 1 et 22 § 1 (complément de pension à vie), s’il avait atteint l’âge de la retraite à la date de l’entrée en vigueur de la loi et s’il avait demandé l’allocation en question. Le requérant, qui n’avait pas atteint l’âge de la retraite au 1er janvier 2012, ne put prétendre au bénéfice de cet avantage d’après-mandat. F. Les procédures de la Commission européenne et devant la Cour de justice de l’Union européenne Le 12 décembre 2011, Viviane Reding, commissaire européenne à la justice, adressa aux autorités hongroises une lettre exprimant sa préoccupation au sujet de l’âge de la retraite des juges. Dans une annexe à sa lettre, elle soulevait également la question du président du nouvel Office judiciaire national et celle de la transformation de la Cour suprême en Kúria, évoquant en particulier la cessation anticipée, avant le terme normal, du mandat du requérant en tant que président de la Cour suprême. Les autorités hongroises répondirent et, le 11 janvier 2012, la Commission européenne émit une déclaration sur la situation de la Hongrie. Le 17 janvier 2012, la Commission décida d’ouvrir une procédure d’infraction « accélérée » contre la Hongrie, notamment sur l’indépendance du système judiciaire. Concernant le nouvel âge obligatoire de la retraite pour les juges (et les procureurs), elle déclara que les règles de l’UE sur l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (Directive 2000/78/CE) interdisaient toute discrimination sur le lieu de travail fondée sur l’âge. Elle indiqua que selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE une justification objective et proportionnée était nécessaire si un gouvernement décidait de n’abaisser l’âge de la retraite que pour une catégorie de personnes donnée, à l’exclusion des autres. Elle précisa qu’elle n’avait trouvé aucune justification objective à l’application aux juges et aux procureurs d’un traitement différent de celui des autres catégories, notamment à un moment où l’âge de la retraite était progressivement augmenté dans l’ensemble de l’Europe. La Commission demanda également à la Hongrie de plus amples informations sur la nouvelle loi organisant les tribunaux. Dans son communiqué de presse IP/12/24, elle déclara ce qui suit : « Cette loi concentre dans les mains du président du [nouvel Office judiciaire national] tous les pouvoirs relatifs à la gestion opérationnelle des tribunaux, aux ressources humaines, au budget et à l’attribution des dossiers (...) En outre, le mandat de l’ancien président de la Cour suprême, qui avait été élu pour six ans en juin 2009, a été prématurément résilié fin 2011, alors que d’autres juges de cette même juridiction continuent d’exercer leur mandat au sein de la Curia, l’instance qui remplace l’ancienne Cour suprême. » Le 7 mars 2012, la Commission européenne décida d’adresser à la Hongrie un avis motivé sur les mesures relatives à l’âge de la retraite des juges ainsi qu’une lettre administrative demandant des explications supplémentaires concernant l’indépendance du système judiciaire, notamment sur les pouvoirs dévolus au président de l’Office judiciaire national (pouvoir de désigner une juridiction dans une affaire donnée et de transférer des juges sans leur consentement). Le 7 juin 2012, la Commission européenne renvoya l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne (C-286/12). Le 6 novembre 2012, la Cour de justice déclara qu’en adoptant un régime national imposant la cessation de l’activité professionnelle des juges, des procureurs et des notaires ayant atteint l’âge de soixante-deux ans, régime qui entraînait une différence de traitement fondée sur l’âge n’ayant pas un caractère proportionné aux objectifs poursuivis, la Hongrie avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. La Cour de justice releva que les catégories de personnes concernées par lesdites dispositions avaient bénéficié, jusqu’à l’entrée en vigueur de celles-ci, d’une dérogation leur permettant de demeurer en fonction jusqu’à l’âge de soixante-dix ans, ce qui avait fait naître dans le chef de ces personnes l’espérance fondée de leur maintien en fonction jusqu’à cet âge ; elle constata toutefois que les dispositions en cause avaient abaissé de manière abrupte et considérable la limite d’âge de cessation obligatoire d’activité, sans prévoir de mesures transitoires de nature à protéger la confiance légitime des personnes concernées. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La Constitution de 1949 Les articles pertinents de la Constitution (tels qu’amendés et en vigueur à l’époque des faits) disposaient : Article 47 « 1. La Cour suprême est l’organe juridictionnel suprême de la République de Hongrie. La Cour suprême garantit l’uniformité dans l’application de la loi par les juridictions ; ses directives relatives à l’uniformité s’imposent à toutes les juridictions. » Article 48 § 1 « [l]e Parlement élit le président de la Cour suprême sur proposition du président de la République (...) L’élection du président de la Cour suprême requiert la majorité des deux tiers des voix des députés. » B. La loi sur l’organisation et l’administration des tribunaux (loi LXVI de 1997) L’article 62 de la loi LXVI de 1997 faisait figurer le président d’une juridiction sur la liste des « chefs de juridiction », c’est-à-dire des juges chargés de la gestion et de l’administration des tribunaux et unités juridictionnelles organisationnelles. Selon l’article 69 de la loi, les chefs de juridiction étaient nommés pour six ans. L’article 73 de la loi dressait une liste exhaustive des motifs de résiliation du mandat d’un chef de juridiction, énonçant ce qui suit : « [l]e mandat d’un chef de juridiction prend fin par : a) consentement mutuel ; b) démission ; c) destitution ; d) expiration du mandat ; e) résiliation du mandat de juge de l’intéressé. » En vertu de l’article 74/A § 1 de la loi, si l’appréciation de l’activité managériale du chef de juridiction aboutissait au constat de son incompétence pour un tel poste de direction, l’intéressé devait être relevé de ses fonctions, la mesure prenant effet sur-le-champ. Pour contester celle-ci, le chef de juridiction ainsi destitué pouvait former un recours devant une juridiction administrative interne, et ce dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l’avis de destitution (article 74/A § 2). La loi LXVI de 1997 a institué le Conseil national de la justice et prévu que le président de la Cour suprême présiderait en même temps cet organe. Le président du Conseil national de la justice était tenu à l’obligation légale expresse de formuler un avis sur les propositions de lois touchant l’ordre judiciaire, après avoir recueilli et synthétisé les opinions de différentes juridictions par le biais du Bureau du Conseil national de la justice (chapitre 46 § 1 q) de la loi). C. La loi sur le statut juridique et la rémunération des juges (loi LXVII de 1997) En vertu de l’article 57 § 2, alinéas ha) et hb) de la loi, un juge pouvait rester en fonction jusqu’à l’âge de soixante-dix ans, c’est-à-dire audelà de l’âge général du départ à la retraite. D. La Loi fondamentale de la Hongrie du 25 avril 2011, entrée en vigueur le 1er janvier 2012 Les articles 25 et 26 de la Loi fondamentale disposent : Article 25 « 1. Les tribunaux rendent la justice. L’organe juridictionnel suprême est la Kúria. Les tribunaux statuent sur : a) les affaires pénales, les litiges de droit privé et les autres questions définies par la loi ; b) la légalité des décisions administratives ; c) les conflits de normes entre les dispositions locales et la loi et sur l’annulation de ces dispositions ; d) le manquement d’une autorité locale à ses obligations déterminées par la loi. Outre les fonctions définies à l’alinéa 2, la Kúria assure l’unité de la jurisprudence dans l’application de la loi et prend les décisions appropriées, qui s’imposent aux tribunaux. (...) Les dispositions détaillées concernant l’organisation et l’administration des tribunaux, ainsi que le statut et la rémunération des magistrats sont définies par une loi organique. Article 26 Les juges sont indépendants et ne sont soumis qu’à la loi ; ils ne peuvent recevoir d’instructions dans l’exercice de leur activité judiciaire. Les juges ne peuvent être relevés de leurs fonctions que pour les motifs et selon la procédure définis par une loi organique. Les juges ne peuvent être affiliés à un parti politique ni participer à une activité politique. Les juges professionnels sont nommés par le président de la République conformément à une loi organique. Un juge ne peut être nommé s’il n’a pas atteint l’âge de trente ans. À l’exception du président de la Kúria, les juges ne peuvent rester en fonction au-delà de l’âge général du départ à la retraite. Le président de la Kúria est élu parmi les juges, pour neuf ans, par le Parlement, sur proposition du président de la République. L’élection du président de la Kúria a lieu à la majorité des deux tiers des voix de tous les députés. » E. La loi portant modification de la Constitution de la République de Hongrie (loi CLIX de 2011), entrée en vigueur le 2 décembre 2011 Pour ce qui concerne l’élection du président de la Kúria, la Constitution hongroise a été modifiée comme suit : Article 1 « La Constitution est modifiée par l’article suivant : « Article 79. Conformément à l’article 26 § 3 de la Loi fondamentale, le Parlement élira le président de la Kúria le 31 décembre 2011 au plus tard. » F. Les dispositions transitoires de la Loi fondamentale de la Hongrie (31 décembre 2011) En leurs parties pertinentes, les dispositions transitoires de la Loi fondamentale de la Hongrie disposent : Article 11 « 1) Les successeurs légaux de la Cour suprême, du Conseil national de la justice et de leur président sont la Kúria pour l’administration de la justice et le président de l’Office judiciaire national pour l’administration des tribunaux, sauf exception définie par la loi organique pertinente. 2) Les mandats du président de la Cour suprême ainsi que du président et des membres du Conseil national de la justice seront résiliés dès l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale. » Article 12 § 1 « Si un juge a atteint l’âge général de la retraite fixé à l’article 26 § 2 de la Loi fondamentale avant le 1er janvier 2012, ses fonctions prendront fin le 30 juin 2012. Si un juge atteint l’âge général de la retraite visé à l’article 26 § 2 de la Loi fondamentale entre le 1er janvier et le 31 décembre 2012, ses fonctions prendront fin le 31 décembre 2012. » Article 29 « 2) (...) Les dispositions transitoires font partie intégrante de la Loi fondamentale. » G. La loi sur l’organisation et l’administration des tribunaux (loi CLXI de 2011) Les parties pertinentes de la loi sur l’organisation et l’administration des tribunaux sont ainsi libellées : Chapitre VIII Le président de la Kúria et les chefs de juridiction Le président de la Kúria Article 114 « 1. Le président de la Kúria est élu par le Parlement parmi les juges nommés pour une durée indéterminée et ayant au moins cinq ans d’expérience judiciaire conformément à l’article 26 § 3 de la Loi fondamentale. » Chapitre XV Dispositions transitoires Première élection du président de l’Office judiciaire national et du président de la Kúria Article 177 « 1. Le président de la République nommera le président de l’Office judiciaire national et le président de la Kúria pour la première fois le 15 décembre 2011 au plus tard. Les personnes nommées seront entendues par la commission parlementaire chargée de la justice. Le Parlement élira le président de l’Office judiciaire national et le président de la Kúria pour la première fois d’ici le 31 décembre 2011 (...) » Fixation de la date d’expiration des mandats et début des nouveaux mandats Article 185 « 1. Les mandats du Conseil national de la justice (ci-après le « CNJ »), de ses membres et de son président, ainsi que du président et du vice-président de la Cour suprême et du directeur et du directeur adjoint du Bureau du CNJ seront résiliés dès l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale. Les mandats du président de l’Office judiciaire national et du président de la Kúria débuteront le 1er janvier 2012 (...) » Article 187 « Les mandats des chefs de juridiction nommés avant le 1er janvier 2012 demeureront valables pour la durée fixée au moment de la nomination, excepté dans les cas visés à l’article 185 § 1. » Article 188 « 1. Les successeurs légaux de la Cour suprême, du Conseil national de la justice et de leur président sont la Kúria pour les activités relatives à l’administration de la justice, et le président de l’Office judiciaire national pour l’administration des tribunaux, sauf disposition contraire des lois organiques. » En vertu de l’article 173 de la loi, l’article 177 est entré en vigueur le lendemain de sa promulgation (3 décembre 2011), et les articles 185, 187 et 188 à la date du 1er janvier 2012. H. La loi sur le statut juridique et la rémunération des juges (loi CLXII de 2011), entrée en vigueur le 1er janvier 2012 Les parties pertinentes de la loi sur le statut juridique et la rémunération des juges se lisent ainsi : Article 90 « Un juge est exempté [de ses fonctions judiciaires] : (...) h) s’il ha) a atteint l’âge de la retraite applicable (ci-après, la « limite d’âge supérieure ». Cette disposition ne s’applique pas au président de la Kúria (...) ». Article 227 « 1. La personne qui occupait le poste de président de la Cour suprême avant l’entrée en vigueur de la présente loi relève des dispositions de la loi XXXIX de 2000 sur la rémunération et les avantages octroyés au président de la République, au Premier ministre, au président du Parlement, au président de la Cour constitutionnelle et au président de la Cour suprême, dans la mesure où elle a droit aux avantages visés à l’article 26 § 1 et à l’article 22 § 1 de ladite loi si elle a atteint l’âge de la retraite à la date de l’entrée en vigueur de la présente loi et a sollicité les avantages en question. » Article 230 « 1. Les dispositions de la présente loi s’appliquent aux juges qui auront atteint la limite d’âge supérieure avant le 1er janvier 2013, sous réserve des précisions définies aux paragraphes 2 et 3. Si un juge a atteint la limite d’âge supérieure avant le 1er janvier 2012, la période d’exemption débute le 1er janvier 2012 et s’achève le 30 juin 2012. Son mandat de juge prend fin au 30 juin 2012. La proposition d’exemption est formulée à une date permettant l’adoption de la décision d’exemption le 30 juin 2012 au plus tard. Si un juge atteint la limite d’âge supérieure entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2012, la période d’exemption débute le 1er juillet 2012 et s’achève le 31 décembre 2012. Son mandat de juge prend fin au 31 décembre 2012. La proposition d’exemption est formulée à une date permettant l’adoption de la décision d’exemption le 31 décembre 2012 au plus tard. » I. L’arrêt de la Cour constitutionnelle no 33/2012 du 16 juillet 2012 Dans son arrêt du 16 juillet 2012, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelles, et en conséquence annula, les dispositions sur l’âge obligatoire de la retraite des juges (articles 90 ha) et 230 de la loi de 2011), avec effet à compter du 1er janvier 2012 (date de l’entrée en vigueur de la loi sur le statut juridique et la rémunération des juges). Elle estima que la nouvelle règle emportait violation des normes constitutionnelles relatives à l’indépendance du pouvoir judiciaire, et ce pour des raisons à la fois « formelles » et « matérielles ». Elle expliqua, que du point de vue formel, une loi organique devait déterminer la durée de la fonction judiciaire et l’âge de la retraite afin de garantir l’inamovibilité des juges, et que la référence à l’« âge général de la retraite » dans une loi ordinaire ne satisfaisait pas à cette exigence. Concernant l’inconstitutionnalité matérielle de la disposition, la haute juridiction jugea que la nouvelle règle entraînait la destitution des juges à bref délai (trois mois). Malgré la relative liberté du législateur de fixer la limite d’âge supérieure des juges, et le fait qu’aucun âge ne pouvait être déduit de la Loi fondamentale, la Cour constitutionnelle déclara que l’abaissement de l’âge de la retraite des juges devait être progressif, comporter une période de transition adéquate et ne pas violer le principe d’inamovibilité des juges. Elle ajouta que plus il y avait d’écart entre le nouvel âge de la retraite et l’âge de soixante-dix ans, plus la période de transition requise pour l’abaissement de l’âge de la retraite devait être longue, estimant que dans le cas contraire il y aurait atteinte au principe d’inamovibilité des juges, élément essentiel de l’indépendance du pouvoir judiciaire. J. La décision de la Cour constitutionnelle no IV/2309/2012 du 19 mars 2013 Le vice-président de la Cour suprême, qui avait été nommé par le président de la République sur proposition du requérant, pour un mandat de six ans débutant le 15 novembre 2009, fut également relevé de ses fonctions de direction à la date du 1er janvier 2012. Cette mesure fut prise en vertu de l’article 185 § 1 de la loi sur l’organisation et l’administration des tribunaux (loi CLXI de 2011), qui disposait que le mandat du vice-président de la Cour suprême devait être résilié dès l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale. L’ancien vice-président saisit la Cour constitutionnelle d’un recours dans lequel il alléguait que la résiliation de ses fonctions était contraire à l’état de droit, à l’interdiction des lois rétroactives et à son droit à un recours. Par la décision no IV/2309/2012, adoptée par huit voix contre sept, la Cour constitutionnelle rejeta le recours. Elle déclara que la cessation prématurée du mandat de l’intéressé en tant que vice-président de la Cour suprême n’avait pas porté atteinte à la Loi fondamentale dès lors que la mesure était suffisamment justifiée par la réorganisation complète du système judiciaire et les importants changements apportés aux fonctions et compétences du président de la Kúria. Elle releva que les fonctions et compétences de la Kúria avaient été élargies, eu égard en particulier au contrôle de la légalité des règlements adoptés par les conseils municipaux. Sept juges dissidents estimèrent que les changements au niveau du système judiciaire ou de la nouvelle Kúria n’avaient pas eu d’effet fondamental sur le statut du vice-président. Ils conclurent que la cessation prématurée du mandat du demandeur avait sapé les garanties relatives à la séparation des pouvoirs, était contraire à l’interdiction de la rétroactivité des lois et avait emporté violation du principe de prééminence du droit et du droit à un recours. III. DOCUMENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE A. Avis de la Commission de Venise Les extraits pertinents de l’Avis sur la nouvelle Constitution de la Hongrie, adopté par la Commission de Venise lors de sa 87e session plénière (Venise, 17-18 juin 2011, CDL-AD(2011)016), se lisent ainsi : « 107. L’article 25.1 de la nouvelle Constitution indique que la Kúria (le nom historique de la Cour suprême hongroise) est l’organe judiciaire suprême en Hongrie. En l’absence de dispositions transitoires, et bien que la nouvelle Constitution ne modifie pas le mécanisme d’élection de son président, une question se pose : ce changement de nom va-t-il s’accompagner du remplacement du président de la Cour suprême par un nouveau président de la Kúria ? Quant aux juges, ils seront « nommés par le Président de la République selon les dispositions d’une loi organique » (article 26.2) ; l’appréciation de la nécessité de modifier ou non la composition de l’organe suprême devient donc aussi affaire d’interprétation. 108. L’article 26.2 assujettit les juges à l’âge général de la retraite. Tout en reconnaissant que l’abaissement de l’âge de la retraite des juges (de 70 à 62 ans) s’inscrit dans la réforme envisagée du système judiciaire, la Commission s’interroge sur cette mesure, eu égard aux règles et principes fondamentaux d’indépendance, de statut et d’inamovibilité des juges. Diverses sources indiquent que cette disposition va contraindre quelque trois cents juges parmi les plus chevronnés à prendre leur retraite l’année prochaine, ce qui va créer trois cents vacances à pourvoir. Cela pourrait entraver le fonctionnement des tribunaux, compromettre la continuité et la sécurité juridique, mais aussi ouvrir la voie à des ingérences dans la composition du pouvoir judiciaire. En l’absence d’informations suffisantes sur les raisons de cette décision, la Commission espère que des solutions adéquates et conformes aux exigences de la primauté du droit seront trouvées, dans le cadre de la réforme, aux obstacles et aux difficultés que suscite cette mesure. (...) 140. Comme indiqué précédemment, la référence à la Constitution de 1949 figurant au deuxième paragraphe des dispositions finales paraît en contradiction avec le Préambule, où ladite Constitution de 1949 est déclarée « nulle et non avenue ». La Commission de Venise interpréterait cette incohérence apparente comme confirmant que l’affirmation du Préambule n’a pas valeur juridique. Elle n’en recommande pas moins aux autorités hongroises de clarifier ce point. L’adoption des dispositions transitoires prévues au paragraphe 3 des dispositions finales est particulièrement importante du fait qu’elle offrira une précieuse occasion de clarifier les ambiguïtés de certaines dispositions de la nouvelle Constitution – mais elle ne devrait certainement pas servir à mettre un terme au mandat de personnes élues ou nommées sous la Constitution précédente. » Dans la Position du gouvernement hongrois sur cet avis, communiquée le 6 juillet 2011 par le ministre hongrois des Affaires étrangères le 6 juillet 2011 (CDL(2011)058), le Gouvernement indiqua qu’il souscrivait sans réserve à la suggestion formulée au paragraphe 140 de l’avis et assurait la Commission de Venise que la rédaction des dispositions transitoires de la Loi fondamentale ne servirait pas à mettre indûment fin au mandat de personnes élues sous le régime juridique précédent. Les passages pertinents de l’Avis sur la loi CLXII de 2011 sur le statut juridique et la rémunération des juges et la loi CLXI de 2011 sur l’organisation et l’administration des tribunaux de la Hongrie, adopté par la Commission de Venise lors de sa 90e session plénière (Venise, 16-17 mars 2012, CDL-AD(2012)001), se lisent ainsi : « 2. Président de la Curia 111. Dans son avis sur la nouvelle Constitution, la Commission de Venise a appelé les autorités hongroises à veiller à ce que la nouvelle Constitution ne serve pas à « mettre un terme au mandat de personnes élues ou nommées sous la Constitution précédente ». Répondant à la Commission de Venise, le [gouvernement] hongrois a indiqué que « la Hongrie souscrit sans réserve à cette suggestion et assure la Commission que la rédaction des dispositions transitoires ne servira pas à mettre indûment un terme au mandat de personnes élues sous le régime juridique précédent ». 112. L’article 25 de la Loi fondamentale dispose que l’organe judiciaire suprême est la Curia. D’après l’article 11 des dispositions provisoires de la Loi fondamentale, la Curia est l’héritière (successeur légal) de la Cour suprême. Tous les juges de la Cour suprême sont demeurés en fonction à l’exception du président. L’article 114 de la LOAT [loi sur l’organisation et l’administration des tribunaux] a fixé un nouveau critère d’élection du président, qui conduit à l’inéligibilité de l’ancien président de la Cour suprême. Ce critère renvoie à la période pendant laquelle la personne a exercé la charge de magistrat en Hongrie, sans que la fonction de juge au sein d’une Cour européenne par exemple soit prise en compte. Pour beaucoup, le nouveau critère est destiné à empêcher une personne, l’actuel président de la Cour suprême, d’être éligible. Bien que formulée en des termes généraux, la loi produit des effets contre une personne donnée. Les lois de ce type sont contraires à la prééminence du droit. 113. Dans d’autres pays, les périodes pendant lesquelles les juges ont exercé à l’étranger sont acceptées. Conformément à l’article 28.3 de la LSJRJ [loi sur le statut juridique et la rémunération des juges], le détachement d’un juge à l’étranger pendant une longue période est pris en considération et sa durée s’ajoute à celle du poste occupé avant ce détachement. La loi n’oblige pas un juge à avoir exercé en Hongrie pendant une période minimale avant de se voir confier une mission à l’étranger. En conséquence, il conviendrait de fixer des règles d’équivalence entre les fonctions nationales et les fonctions internationales, en particulier en ce qui concerne les conditions qu’une personne doit remplir pour être nommée par exemple présidente de la Curia. En outre, il est très rare d’adopter des réglementations qui soient rétroactives et entraînent la destitution d’une personne occupant des fonctions aussi élevées que celles de président de la Curia. 114. Il est difficile de justifier l’inégalité de traitement entre les juges de la Cour suprême et leur président. Les autorités hongroises semblent faire valoir que la nature des tâches du président de la Curia sont radicalement différentes de celles du président de la Cour suprême et que ce dernier se serait davantage occupé de questions administratives en tant que président du précédent Conseil national [de la justice] alors que le président de la Curia s’occuperait davantage de droit positif et veillerait à l’uniformité de la jurisprudence. Cet argument n’est toutefois pas convaincant. L’expérience de la Cour européenne des droits de l’homme pourrait être particulièrement utile en regard des tâches du président de la Curia. 115. Étant donné que l’on peut voir dans la disposition de la Loi fondamentale sur l’éligibilité à la fonction de président de la Curia une tentative de se débarrasser d’une personne en particulier qui serait candidate à la présidence et aurait présidé l’instance qui a précédé la Curia, la loi peut fonctionner comme une sorte de sanction à l’encontre de l’ancien président de la Cour suprême. Même s’il n’en est pas ainsi, l’impression qu’il pourrait en être ainsi risque d’avoir un effet dissuasif et donc de menacer l’indépendance du système judiciaire. » Les passages pertinents de l’Avis sur les lois organiques relatives au pouvoir judiciaire qui ont été modifiées à la suite de l’adoption de l’Avis CDL-AD(2012)001 sur la Hongrie, adopté par la Commission de Venise lors de sa 92e session plénière (Venise, 12-13 octobre 2012, CDLAD(2012)020), se lisent ainsi : [Traduction du greffe] « XII. Questions liées à la transition – Départ à la retraite des juges et du président de la Curia Les amendements à la LSJRJ (loi CLXII de 2011 sur le statut juridique et la rémunération des juges) ne sont pas liés aux critiques formulées dans l’Avis de la Commission de Venise sur les dispositions relatives à l’âge de la retraite. Tous les juges qui auraient atteint la limite d’âge au 31 décembre 2012 au plus tard ont été relevés de leurs fonctions par décision présidentielle du 7 juillet 2012. La Commission de Venise prend acte de l’arrêt no 33/2012 (VII. 17) AB határozat du 16 juillet 2012 de la Cour constitutionnelle hongroise, qui a déclaré inconstitutionnel l’abaissement soudain de la limite d’âge supérieure applicable aux juges. Elle ne doute pas que les autorités hongroises respecteront cet arrêt et veilleront à son exécution, c’est-à-dire réintégreront les anciens juges à leur poste. Les juridictions du travail semblent avoir commencé à réintégrer les juges retraités. La délégation de la Commission de Venise a toutefois appris que l’exécution de cet arrêt avait donné lieu à une grande incertitude juridique. Si la base légale de la retraite anticipée a été annulée ex tunc, les résolutions individuelles du président de la Hongrie, qui ont destitué quelque 10 % des juges hongrois, sont considérées comme demeurant en vigueur alors même que leur base légale n’existe plus. Le président de la Hongrie ne les a pas abrogées. Le législateur devrait adopter des dispositions pour que les juges destitués soient réintégrés à leur ancien poste sans avoir à passer par une nouvelle procédure de nomination. La présidente de l’Office judiciaire national a invité les juges concernés à saisir les juridictions du travail afin de faire annuler les décisions de révocation. Plusieurs juges ont déjà obtenu gain de cause devant ces juridictions, mais les décisions de celles-ci ont été attaquées par la présidente de l’Office judiciaire national, qui en contestait le raisonnement. Qui plus est, même les jugements définitifs des juridictions du travail n’aboutiraient pas à la réintégration des juges concernés à leur ancien poste, ceux-ci devant passer par une nouvelle procédure de nomination et pouvant être affectés à d’autres juridictions qu’à celles dont ils relevaient avant leur destitution. En septembre 2012, le gouvernement hongrois a présenté le projet de loi T/8289, qui amenderait les dispositions transitoires de la Loi fondamentale en fixant à soixante-cinq ans le nouvel âge de départ à la retraite applicable aux juges et aux procureurs. Les juges de plus de soixante-cinq ans pourraient (après leur nouvelle nomination) demeurer en fonction pendant un an avant de devoir prendre leur retraite. La proposition ne dit rien cependant de la façon dont les juges destitués doivent être réintégrés, ce qui ne laisse ouverte que la voie des juridictions du travail. Il a été indiqué à la délégation de la Commission qu’une réintégration automatique serait impossible parce que de nouveaux juges ont été nommés dans l’intervalle et que tous les juges ne souhaitent pas être réintégrés. La Commission estime qu’il doit être possible de trouver une solution législative qui tienne compte des différentes situations. En outre, le projet de loi prévoit que les juges de plus de soixante-deux ans ne pourront pas occuper de postes de direction au sein des tribunaux. Cela concerne les juges réintégrés mais à l’avenir vaudra également pour tous les autres juges qui atteignent l’âge de soixante-trois ans. Ces personnes perdraient leur poste de direction et serait contraintes de finir leur carrière comme juges ordinaires. Outre le fait que ces juges sont les plus expérimentés pour diriger les tribunaux, une telle limitation constitue une évidente discrimination fondée sur l’âge. La délégation s’est vu expliquer que ces juges expérimentés devaient former les juges plus jeunes et non occuper des postes de direction dans les tribunaux. C’est là un argument difficile à admettre, car les juges plus jeunes apprennent de leurs aînés précisément en les voyant agir aux postes de direction. La situation des juges destitués est très insatisfaisante. Le législateur devrait adopter des dispositions prévoyant la réintégration à leur ancien poste des juges destitués qui le souhaitent sans les obliger à passer par une nouvelle procédure de nomination. Le législateur hongrois n’a pas tenu compte des commentaires sur l’éligibilité au poste de président de la Curia, qui devraient être révisés. » B. Communiqué de presse du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Les passages pertinents du communiqué de presse publié le 12 janvier 2012 par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe se lisent ainsi : « Par ailleurs, le Commissaire constate que la Hongrie a pris des mesures qui risquent de porter atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire. À la suite de l’abaissement de l’âge du départ à la retraite pour les juges, plus de 200 nouveaux juges vont devoir être nommés. Cette mesure s’accompagne d’une modification de la procédure de nomination, qui repose désormais sur la décision d’une seule personne, désignée par le pouvoir politique. De plus, le Commissaire regrette que le Président de la Cour suprême ait dû quitter son poste prématurément, en application de la nouvelle loi sur le système judiciaire. « Une procédure selon laquelle les juges sont nommés par le Président de l’Office [judiciaire national], désigné par le Gouvernement pour neuf ans, suscite de sérieuses réserves. Le pouvoir judiciaire doit être protégé contre toute ingérence indue du pouvoir politique. » » C. L’Assemblée parlementaire Le 25 avril 2013, la Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres de l’Assemblée parlementaire adopta l’Avis AS/Mon(2013)08 et recommanda à l’Assemblée d’ouvrir une procédure de suivi pour la Hongrie en raison de préoccupations graves et durables concernant la manière dont le pays remplissait son obligation de maintenir les normes les plus élevées possible en matière de démocratie, de respect des droits de l’homme et de prééminence du droit. Les passages de cet Avis qui ont trait à la cause du requérant se lisent ainsi : « 4.3.3. La destitution du président de la Cour suprême 113. La Curia, qui a été instituée par la Loi fondamentale, est le successeur légal de la Cour suprême de la Hongrie. C’est pourquoi, la loi cardinale relative au système judiciaire dispose que l’ensemble des juges de la Cour suprême peuvent rester en fonction jusqu’à la fin de leur mandat. Toutefois, une exception a été faite pour le président de la Cour suprême, qui a dû être réélu. En outre, un nouveau critère de sélection a été adopté pour le président de la Cour suprême, aux termes duquel un candidat doit avoir exercé la charge de magistrat en Hongrie pendant au moins cinq ans. La durée des mandats éventuellement remplis dans des tribunaux internationaux n’est pas prise en compte. 114. La différence de traitement appliquée au président de la Cour suprême est particulièrement contestable. Les nouvelles dispositions sont considérées par beaucoup comme ayant été adoptées dans le seul but de destituer le président de la Cour suprême en exercice, M. Baka, qui, par le passé, avait critiqué les politiques du Gouvernement en matière de réforme judiciaire et contesté, avec succès, plusieurs décisions du Gouvernement et lois devant la Cour constitutionnelle. M. Baka était le juge de la Hongrie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme de 1991 à 2007 et avait été élu président de la Cour suprême par le Parlement hongrois en juin 2009. Il n’avait pas exercé la charge de magistrat en Hongrie auparavant et de ce fait, malgré ses 17 ans d’expérience comme juge au sein de la Cour européenne des droits de l’homme, était inéligible aux fonctions de président de la Curia. La sensation que ces dispositions juridiques ont été adoptées contre une personne particulière est renforcée par le fait qu’en juin 2011, le Parlement a adopté une décision suspendant toutes les procédures de nomination de juges jusqu’au 1er janvier 2012, date à laquelle M. Baka ne serait plus en poste. Cette décision a été prise malgré le nombre d’affaires en souffrance, qui est souvent mentionné par les autorités comme l’une des raisons ayant motivé la réforme du système judiciaire. Comme mentionné par la Commission de Venise, les dispositions juridiques formulées en termes généraux qui, en réalité, visent une ou des personnes particulières sont contraires au principe de la prééminence du droit. En outre, la destitution pour des motifs politiques du président de la Cour suprême pourrait avoir des répercussions négatives et menacer l’indépendance du système judiciaire. » Le 25 juin 2013, l’Assemblée parlementaire décida de ne pas ouvrir de procédure de suivi à l’égard de la Hongrie, mais de suivre de près l’évolution de la situation dans ce pays. Elle appela les autorités hongroises à poursuivre leur dialogue ouvert et constructif avec la Commission de Venise (Résolution 1941(2013). D. La Charte européenne sur le statut des juges (8-10 juillet 1998) Les passages pertinents de la Charte sont les suivants : « 1.3. Pour toute décision affectant la sélection, le recrutement, la nomination, le déroulement de la carrière ou la cessation de fonctions d’un juge ou d’une juge, le statut prévoit l’intervention d’une instance indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif au sein de laquelle siègent au moins pour moitié des juges élus par leurs pairs suivant des modalités garantissant la représentation la plus large de ceux-ci. (...) 1. Le manquement par un juge ou une juge à l’un des devoirs expressément définis par le statut ne peut donner lieu à une sanction que sur la décision, suivant la proposition, la recommandation ou avec l’accord d’une juridiction ou d’une instance comprenant au moins pour moitié des juges élus, dans le cadre d’une procédure à caractère contradictoire où le ou la juge poursuivis peuvent se faire assister pour leur défense. L’échelle des sanctions susceptibles d’être infligées est précisée par le statut et son application est soumise au principe de proportionnalité. La décision d’une autorité exécutive, d’une juridiction ou d’une instance visée au présent point prononçant une sanction est susceptible d’un recours devant une instance supérieure à caractère juridictionnel. (...) 1. Le ou la juge cessent définitivement d’exercer leurs fonctions par l’effet de la démission, de l’inaptitude physique constatée sur la base d’une expertise médicale, de la limite d’âge, du terme atteint par leur mandat légal ou de la révocation prononcée dans le cadre d’une procédure telle que visée au point 5.1. 2. La survenance d’une des causes visées au point 7.1., autre que la limite d’âge ou le terme du mandat légal, doit être vérifiée par l’instance visée au point 1.3. » E. La Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres aux États membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités Les passages pertinents de l’annexe à cette Recommandation se lisent ainsi : « Inamovibilité et terme des fonctions L’inamovibilité constitue un des éléments clés de l’indépendance des juges. En conséquence, les juges devraient être inamovibles tant qu’ils n’ont pas atteint l’âge obligatoire de la retraite, s’il en existe un. Le terme des fonctions des juges devrait être établi par la loi. Il ne devrait être mis fin à une nomination définitive qu’en cas de manquement grave d’ordre disciplinaire ou pénal établi par la loi, ou lorsque le juge ne peut plus accomplir ses fonctions judiciaires. Un départ anticipé à la retraite ne devrait être possible qu’à la demande du juge concerné ou pour des motifs d’ordre médical. (...) Un juge ne devrait recevoir une nouvelle affectation ou se voir attribuer d’autres fonctions judiciaires sans y avoir consenti, sauf en cas de sanctions disciplinaires ou de réforme de l’organisation du système judiciaire. » IV. LE PARLEMENT EUROPÉEN Dans sa Résolution du 16 février 2012 sur les « récents événements politiques en Hongrie » (2012/2511(RSP)), le Parlement européen exprima ses graves inquiétudes quant à la situation hongroise, concernant notamment l’exercice de la démocratie, l’état de droit, le respect et la protection des droits de l’homme et des droits sociaux, et le système d’équilibre des pouvoirs. Il expliqua que selon la Loi fondamentale et ses dispositions transitoires, la Cour suprême avait été renommée « Kúria » et qu’il avait été mis fin prématurément – après deux ans seulement – au mandat de six ans de l’ancien président de la Cour suprême. Le Parlement européen demanda à la Commission européenne de surveiller attentivement les éventuelles modifications et la mise en œuvre des lois en question ainsi que leur conformité avec les traités européens et de réaliser une étude approfondie pour garantir « la pleine indépendance de l’appareil judiciaire, en veillant en particulier à ce que l’autorité judiciaire nationale, le cabinet du procureur et les tribunaux en général soient exempts de toute influence politique, et pour s’assurer que le mandat des juges nommés en toute indépendance ne puisse être raccourci de façon arbitraire. » V. AUTRES TEXTES INTERNATIONAUX RELATIFS À L’INDÉPENDANCE DU POUVOIR JUDICIAIRE Les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature ont été adoptés par le septième Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à Milan en 1985. Ils ont été confirmés par l’Assemblée générale des Nations unies dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985. Les paragraphes pertinents se lisent ainsi : « 12. Les juges, qu’ils soient nommés ou élus, sont inamovibles tant qu’ils n’ont pas atteint l’âge obligatoire de la retraite ou la fin de leur mandat. (...) Un juge ne peut être suspendu ou destitué que s’il est inapte à poursuivre ses fonctions pour incapacité ou inconduite. (...) Des dispositions appropriées doivent être prises pour qu’un organe indépendant ait compétence pour réviser les décisions rendues en matière disciplinaire, de suspension ou de destitution. Ce principe peut ne pas s’appliquer aux décisions rendues par une juridiction suprême ou par le pouvoir législatif dans le cadre d’une procédure quasi judiciaire. » Dans son Observation générale no 32 sur l’article 14 (droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, publiée le 23 août 2007, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a déclaré ce qui suit : « La garantie de compétence, d’indépendance et d’impartialité du tribunal au sens du paragraphe 1 de l’article 14 est un droit absolu qui ne souffre aucune exception. La garantie d’indépendance porte, en particulier, sur la procédure de nomination des juges, les qualifications qui leur sont demandées et leur inamovibilité jusqu’à l’âge obligatoire de départ à la retraite ou l’expiration de leur mandat pour autant que des dispositions existent à cet égard ; les conditions régissant l’avancement, les mutations, les suspensions et la cessation de fonctions ; et l’indépendance effective des juridictions de toute intervention politique de l’exécutif et du législatif. Les États doivent prendre des mesures garantissant expressément l’indépendance du pouvoir judiciaire et protégeant les juges de toute forme d’ingérence politique dans leurs décisions par le biais de la Constitution ou par l’adoption de lois qui fixent des procédures claires et des critères objectifs en ce qui concerne la nomination, la rémunération, la durée du mandat, l’avancement, la suspension et la révocation des magistrats, ainsi que les mesures disciplinaires dont ils peuvent faire l’objet. Une situation dans laquelle les fonctions et les attributions du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif ne peuvent pas être clairement distinguées et dans laquelle le second est en mesure de contrôler ou de diriger le premier est incompatible avec le principe de tribunal indépendant. Il est nécessaire de protéger les magistrats contre les conflits d’intérêts et les actes d’intimidation. Afin de préserver l’indépendance des juges, leur statut, y compris la durée de leur mandat, leur indépendance, leur sécurité, leur rémunération appropriée, leurs conditions de service, leurs pensions et l’âge de leur retraite sont garantis par la loi. Les juges ne peuvent être révoqués que pour des motifs graves, pour faute ou incompétence, conformément à des procédures équitables assurant l’objectivité et l’impartialité, fixées dans la Constitution ou par la loi. La révocation d’un juge par le pouvoir exécutif, par exemple avant l’expiration du mandat qui lui avait été confié, sans qu’il soit informé des motifs précis de cette décision et sans qu’il puisse se prévaloir d’un recours utile pour la contester, est incompatible avec l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il en va de même lorsque, par exemple, le pouvoir exécutif révoque des juges supposés être corrompus sans respecter aucune des procédures légales. » Dans sa jurisprudence relative à l’indépendance du pouvoir judiciaire, la Cour interaméricaine des droits de l’homme renvoie aux Principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la magistrature ainsi qu’à l’Observation générale no 32 du Comité des droits de l’homme. Dans l’arrêt Tribunal constitutionnel (Camba Campos et autres) c. Équateur (28 août 2013, paragraphe 199), elle a établi que l’indépendance de la magistrature incluait le droit subjectif du juge à n’être relevé de ses fonctions que dans les situations prévues par la loi, soit à travers une procédure équitable offrant des garanties judiciaires, soit en cas d’expiration de son mandat. Lorsqu’il y a atteinte arbitraire au droit du juge à rester en fonction, la Cour interaméricaine conclut à la violation du droit à l’indépendance du pouvoir judiciaire, garanti à l’article 8 § 1 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, combiné avec le droit d’entrer et de demeurer, à égalité de conditions générales, dans la fonction publique, droit protégé par l’article 23 § 1 c) de la Convention américaine. La Charte universelle du juge a été approuvée par l’Association internationale des juges le 17 novembre 1999. Son article 8 est ainsi libellé : [Traduction du greffe] « Inamovibilité Un juge ne peut être transféré, suspendu ou destitué que si une telle mesure est prévue par la loi et uniquement en vertu d’une décision prise dans le cadre d’une procédure disciplinaire adéquate. Un juge doit être nommé à vie ou pour une période et à des conditions garantissant l’absence de péril pour l’indépendance des juges. Une modification de l’âge obligatoire de départ à la retraite des juges ne peut pas avoir d’effet rétroactif. » Les Règles internationales révisées du Mont Scopus sur l’indépendance du pouvoir judiciaire ont été approuvées le 19 mars 2008 par l’Association internationale pour l’indépendance du pouvoir judiciaire et la paix mondiale, dans le cadre du Projet international pour l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les passages pertinents se lisent ainsi : [Traduction du greffe] « 3.2. Un texte législatif qui modifie les modalités et conditions d’exercice de la fonction judiciaire ne peut être appliqué aux juges qui sont en poste au moment de son adoption que si les modifications améliorent les conditions d’exercice de la fonction et sont généralement appliquées. 3. En cas de texte législatif qui réorganise ou supprime des juridictions, les juges employés au sein de ces juridictions ne peuvent être touchés que par un transfert vers une autre juridiction de même niveau ou d’un niveau matériellement comparable. »
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Le requérant, M. A.B., est un ressortissant suisse, né en 1965 et résidant à Porrentruy. Il est journaliste de profession. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 15 octobre 2003, le requérant fit paraître dans l’hebdomadaire L’Illustré, un article intitulé Drame du Grand-Pont à Lausanne – la version du chauffard – l’interrogatoire du conducteur fou. L’article en question concernait une procédure pénale dirigée contre M. B., automobiliste ayant été placé en détention préventive pour avoir foncé sur des piétons avant de se jeter du pont de Lausanne le 8 juillet 2003. Il tua trois personnes et en blessa huit autres. Cet incident avait suscité beaucoup d’émotion et d’interrogations en Suisse eu égard aux circonstances très particulières de cette affaire. L’article commençait de la manière suivante : « Nom : B. Prénom : M. Né le 1er janvier 1966 à Tamanrasset (Algérie), fils de B.B. et de F.I., domicilié à Lausanne, titulaire d’un permis C, époux de M.B. Profession : aide-infirmier ... Il est 20h15, ce mardi 8 juillet 2003, dans les locaux austères de la police judiciaire de Lausanne. Six heures après sa tragique course folle sur le Grand-Pont, qui a fait trois morts et huit blessés, le chauffard se retrouve seul, pour la première fois, face à trois enquêteurs. Va-t-il se mettre à table ? En fait, il ne semble pas vraiment comprendre ce qui lui arrive, comme s’il était imperméable aux événements et à l’agitation qui l’entourent. L’homme, qui a mis tout Lausanne en émoi, en cette belle journée d’été n’est guère bavard. C’est un Algérien renfermé, introverti, hermétique, voire totalement opaque. Pourtant, les questions fusent. Quelles sont les raisons de cet « accident », écrit assez maladroitement un des policiers, comme si sa conviction était déjà faite. La réponse tient en quatre mots : « Je ne sais pas ». » L’article se poursuivait par un résumé des questions des policiers et du juge d’instruction et des réponses de M. B. Il y figurait également que M. B. était « inculpé d’assassinat, subsidiairement de meurtre, lésions corporelles graves, mise en danger de la vie d’autrui et violation grave des règles de circulation » et qu’il « ne parai[ssait] avoir aucun remords ». L’article était accompagné de plusieurs photographies de lettres que M. B. avait adressées au juge d’instruction. Il s’achevait par le paragraphe suivant : « Du fond de sa prison, M.B. ne cesse désormais d’envoyer des courriers au juge d’instruction [...] : au début de sa détention, il veut qu’on lui rende sa montre, qu’on lui apporte une tasse pour le café, des fruits secs et du chocolat. Le 11 juillet, trois jours après les faits, il demande même à bénéficier de « quelques jours » de liberté provisoire. « J’aimerais bien téléphoner à mon grand frère en Algérie », supplie-t-il encore un peu plus tard. Enfin, le 11 août, il annonce qu’il a pris « une décision définitive » : il a congédié son avocat, Me M.B., par « manque de confiance ». Deux jours plus tard, nouvelle lettre : le juge peut-il lui envoyer « le livre d’ordre d’avocats vaudois », pour qu’il puisse trouver un nouveau défenseur ? Mais avec ces mensonges à répétition, ces omissions, ce mélange de naïveté et d’arrogance, d’amnésie et de douce folie qui caractérisent toutes ses dépositions, B. ne fait-il finalement pas tout pour se rendre indéfendable ? » L’article comportait également un bref résumé, intitulé « Il a perdu la boule ... », des déclarations de l’épouse de M. B. et du médecin traitant de celui-ci. M. B. ne porta pas plainte contre le requérant. Ce dernier fit cependant l’objet de poursuites pénales d’office pour avoir publié des documents secrets. Au cours de l’instruction, il apparut qu’une des parties civiles à la procédure dirigée contre M. B. avait photocopié le dossier et aurait égaré un des exemplaires dans un centre commercial. Un inconnu l’aurait alors apporté à la rédaction de l’hebdomadaire dans lequel était paru l’article litigieux. Par ordonnance du 23 juin 2004, le juge d’instruction de Lausanne condamna le requérant à un mois de prison avec sursis pendant un an. Sur opposition du requérant, le tribunal de police de Lausanne, par jugement du 22 septembre 2005, remplaça la condamnation à une peine de prison par une amende de 4 000 francs suisses (CHF) (environ 2 667 euros (EUR)). Le requérant se pourvut en cassation. Il fut débouté, le 30 janvier 2006, par la cour de cassation pénale du canton de Vaud. Le requérant saisit le Tribunal fédéral qui rejeta, le 29 avril 2008, le recours de droit public et le pourvoi en nullité interjetés par le requérant. La décision fut notifiée au requérant le 9 mai 2008. Les passages pertinents de cette décision sont les suivants : « 7. En résumé, le recourant fait valoir que sa condamnation pour violation de l’art. 293 CP est contraire au droit fédéral. Il ne conteste pas que les informations qu’il a publiées, puissent relever de l’art. 293 CP. Il soutient en revanche, dans la perspective d’une interprétation des art. 293 et 32 CP à la lumière des principes dégagés de l’art. 10 CEDH par la Cour européenne des droits de l’Homme, qu’ayant reçu de bonne foi et sans se les procurer de façon illicite ces informations, il avait, en qualité de journaliste professionnel, le devoir au sens de l’art. 32 CP de les publier en raison de l’intérêt, qu’il qualifie d’évident, de l’affaire dite « du Grand Pont » pour l’opinion publique de Suisse romande. 1 Conformément à l’art. 293 CP (Publication de débats officiels secrets), celui qui, sans en avoir le droit, aura livré à la publicité tout ou partie des actes, d’une instruction ou des débats d’une autorité qui sont secrets en vertu de la loi ou d’une décision prise par l’autorité dans les limites de sa compétence sera puni d’une amende (al. 1). La complicité est punissable (al. 2). Le juge pourra renoncer à toute peine si le secret livré à la publicité est de peu d’importance (al. 3). Selon la jurisprudence, cette disposition procède d’une conception formelle du secret. Il suffit que les actes, débats ou instructions concernés aient été déclarés secrets par la loi ou une décision de l’autorité, autrement dit, que l’on ait voulu en exclure la publicité, indépendamment de la classification choisie (p. ex « top secret » ou confidentiel). Le secret au sens matériel suppose, en revanche, que son détenteur veuille garder un fait secret, qu’il y ait un intérêt légitime, et que le fait ne soit connu ou accessible qu’à un cercle restreint de personnes ( consid. 2a, p. 242 et 2c/aa, p. 244). L’entrée en vigueur de l’alinéa 3 de cette disposition, le 1er avril 1998 (RO 1998 852 856; FF 1996 IV 533) n’y a rien changé. Cette règle n’a en effet pas trait à des secrets au sens matériel, mais à des cachotteries inutiles, chicanières ou exorbitantes ( consid. 2c/bb, p. 246). Pour exclure l’application de cet alinéa 3, le juge doit donc examiner à titre préjudiciel les raisons qui ont présidé à la classification du fait comme secret. Il ne doit cependant le faire qu’avec retenue, sans s’immiscer dans le pouvoir d’appréciation exercé par l’autorité qui a déclaré le fait secret. Il suffit que cette déclaration apparaisse encore soutenable au regard du contenu des actes, de l’instruction ou des débats en cause. Le point de vue des journalistes sur l’intérêt à la publication n’est, pour le surplus, pas pertinent ( consid. 2d, p. 246). Dans arrêt Stoll c. Suisse, 10 décembre 2007, la Cour européenne des droits de l’Homme a confirmé que cette conception formelle du secret n’était pas contraire à l’art. 10 CEDH, dans la mesure où elle n’empêchait pas le Tribunal fédéral de contrôler la compatibilité d’une ingérence avec l’art. 10 CEDH, en procédant, sous l’angle de l’examen de l’art. 293 al. 3 CP, à un contrôle de la justification de la classification d’une information, d’une part, et à une mise en balance des intérêts en jeu, d’autre part (arrêt Stoll c. Suisse, précité, §§ 138 et 139). 2 En l’espèce, l’infraction reprochée au recourant avait trait à la publication de procès-verbaux d’audition et de correspondances figurant dans le dossier d’une instruction pénale en cours. Conformément à l’art. 184 du Code de procédure pénale du canton de Vaud (CPP/VD), toute enquête demeure secrète jusqu’à sa clôture définitive (al. 1). Le secret s’étend aux éléments révélés par l’enquête elle-même ainsi qu’aux décisions et mesures d’instruction non publiques (al. 2). La loi précise en outre que sont tenus au secret tant les magistrats ou collaborateurs judiciaires (sous réserve de l’hypothèse où la communication est utile à l’instruction ou justifiée par des motifs d’ordre public, administratif ou judiciaire; art. 185 CPP/VD), que les parties, leurs proches et familiers, leurs conseils, les collaborateurs, consultants et employés de ceux-ci, ainsi que les experts et les témoins, envers quiconque n’a pas accès au dossier, la révélation faite aux proches ou familiers par la partie ou son conseil n’étant cependant pas punissable (art. 185a CPP/VD). La loi aménage enfin diverses exceptions. Ainsi, en dérogation à l’article 185, le juge d’instruction cantonal et, avec l’accord de celui-ci, le juge chargé de l’enquête ou les fonctionnaires supérieurs de police spécialement désignés par le Conseil d’Etat (art. 168, al. 3) peuvent renseigner la presse, la radio ou la télévision sur une enquête pendante, lorsque l’intérêt public ou l’équité l’exige, notamment lorsque la collaboration du public s’impose en vue d’élucider un acte punissable, lorsqu’il s’agit d’une affaire particulièrement grave ou déjà connue du public ou lorsqu’il y a lieu de rectifier des informations fausses ou de rassurer le public (art. 185b al. 1 CPP/VD). On se trouve donc dans l’hypothèse où le secret est imposé par la loi et non par une décision d’autorité. 3 L’existence d’un tel secret de l’enquête, que connaissent la plupart des procédures pénales cantonales, est en règle générale motivée par les nécessités de protéger les intérêts de l’action pénale, en prévenant les risques de collusion, ainsi que le danger de disparition et d’altération de moyens de preuve. On ne peut cependant méconnaître non plus les intérêts du prévenu, notamment sous l’angle de la présomption d’innocence, et, plus généralement de ses relations et intérêts personnels (Hauser, Schweri et Hartmann, Schweizerisches Strafprozessrecht, 6e éd., 2005, § 52, n. 6, p. 235; Gérard Piquerez, op. cit., § 134, n. 1066, p. 678; le même, Procédure pénale suisse, Manuel, 2e éd., 2007, n. 849, p. 559 s.), ainsi que la nécessité de protéger le processus de formation de l’opinion et de prise de décision au sein d’un organe de l’Etat, que tend précisément à protéger l’art. 293 CP ( consid. 2c/aa, p. 245). La Cour européenne des droits de l’Homme a déjà eu l’occasion de juger qu’un tel but était en soi légitime. Il s’agit de garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire selon la terminologie de l’art. 10 al. 2 CEDH, qui mentionne en outre notamment la protection de la réputation et des droits d’autrui (voir Weber c. Suisse, arrêt du 22 mai 1990, § 45; Dupuis et autres c. France, arrêt du 7 juin 2007, § 32). Aussi, dans la mesure où la publication litigieuse portait sur des extraits de procès-verbaux d’audition de l’inculpé et reproduisait certaines correspondances adressées par ce dernier au juge d’instruction, il est soutenable de soumettre ces éléments au secret, soit d’en prohiber l’accès au public, comme l’a fait le législateur cantonal vaudois. Cette conclusion s’impose en ce qui concerne les procès-verbaux d’audition de l’inculpé, dont il n’est pas admissible qu’ils puissent faire, avant clôture de l’instruction, avant jugement et hors contexte, l’objet d’exégèses sur la place publique, au risque d’influencer le processus des décisions du juge d’instruction et de l’autorité de jugement. Elle s’impose de la même manière en ce qui concerne les correspondances adressées par l’inculpé au Juge d’instruction, qui avaient essentiellement trait à des problèmes pratiques et des critiques envers son conseil (jugement, consid. 4, p. 7). On peut préciser sur ce point qu’il ressort de la publication litigieuse que les autorités cantonales n’ont pas reproduite in extenso dans leurs décisions, mais à laquelle elles se réfèrent et dont le contenu n’est pas discuté, que les problèmes pratiques mentionnés portaient sur des demandes de mise en liberté provisoire et d’accès à des effets personnels (lettres du 11 juillet 2003), de changement de cellule (lettre du 7 août 2003) ou d’autorisation de téléphone (lettre du 6 août 2003). Indépendamment de la garantie de la présomption d’innocence et de ce qui pourrait être déduit dans le procès pénal de telles correspondances sur la personnalité du détenu, ce dernier dont la liberté est restreinte dans une mesure importante même pour des actes de la vie courante relevant de sa sphère privée, voire intime, peut prétendre de l’autorité qui restreint sa liberté qu’elle le protège d’un étalage public des contingences pratiques de sa vie de détenu et de prévenu (cf. art. 13 Cst.). Il s’ensuit que l’on ne peut, en l’espèce, qualifier de secret de peu d’importance au sens de l’art. 293 al. 3 CP les informations publiées par le recourant en tant qu’elles avaient trait au contenu des procès-verbaux d’audition de l’inculpé et à sa correspondance avec le juge d’instruction. Cela étant, la publication litigieuse réalisait l’état de fait visé par l’art. 293 al. 1 CP. 4 Au demeurant, les informations en cause peuvent être qualifiées de secret matériel. Elles n’étaient en effet accessibles qu’à un nombre restreint de personnes (le juge d’instruction et les parties à la procédure). L’autorité d’instruction avait par ailleurs la volonté de les maintenir secrètes et non seulement un intérêt légitime mais l’obligation de le faire, imposée par la loi de procédure pénale cantonale, dont la justification a été rappelée ci-dessus (v. supra consid. 7.3). 5 Seule demeure ainsi litigieuse l’existence d’un fait justificatif. En bref, le recourant soutient qu’il avait le devoir de profession (ancien art. 32 CP) en tant que journaliste professionnel de publier les informations en cause en raison de l’intérêt pour l’opinion publique de Suisse romande de l’affaire « du Grand-Pont », qu’il qualifie d’évident. Selon lui, il y aurait lieu, à la lumière de la jurisprudence européenne, de partir de l’idée que la publication est a priori justifiée, sauf s’il existe un besoin social impérieux de maintenir le secret. Sous l’angle de la bonne foi, l’art. 32 devrait être appliqué au journaliste qui n’est pas à l’origine de l’indiscrétion commise par un tiers et qui reçoit des informations sans commettre lui-même d’autre infraction que la violation du secret résultant de la publication. Enfin, la forme de la publication ne constituerait pas un critère pertinent. 1 Sur le premier point, la cour cantonale a constaté que si l’accident du 8 juillet 2003, dont les circonstances sont sans nul doute inhabituelles, avait suscité une vive émotion au sein de la population, il n’en demeurait pas moins que cela restait, sur le plan juridique, un accident de la circulation aux conséquences mortelles, ce qui ne revêtait pas en soi un intérêt général évident. On ne pouvait à cet égard parler de traumatisme collectif de la population lausannoise, qui aurait justifié qu’elle soit rassurée et renseignée séance tenante sur l’état de l’enquête (arrêt entrepris, consid. 2, p. 9). Il est vrai que l’affaire « du Grand-Pont » a été largement médiatisée (jugement, consid. 4 p. 8, auquel renvoie l’arrêt cantonal [arrêt entrepris, consid. B, p. 2]). Cette seule circonstance, de même que le caractère inhabituel de l’accident, ne suffisent pourtant pas à justifier l’existence d’un intérêt public considérable à la publication des informations confidentielles en question. Sauf à se justifier par lui-même, l’intérêt éveillé dans le public par la médiatisation des faits ne peut en effet constituer un intérêt public à la révélation d’informations classifiées, car il suffirait alors de susciter l’intérêt du public pour un événement pour justifier ensuite la publication d’informations confidentielles permettant d’entretenir cet intérêt. Un tel intérêt public fait en outre manifestement défaut en ce qui concerne les correspondances publiées. On a vu ci-dessus (v. supra consid. 7.3) que ces correspondances ne concernaient quasiment que des critiques émises par l’inculpé à l’adresse de son conseil et des problèmes pratiques tels que des demandes de mise en liberté provisoire et d’accès à des effets personnels, de changement de cellule ou d’autorisation de téléphone. De telles informations n’apportent aucun éclairage pertinent sur l’accident et les circonstances l’entourant. Elles ressortissent à la sphère privée, voire intime, de la personne détenue préventivement et l’on perçoit mal à quel autre intérêt leur publication pouvait répondre qu’une certaine forme de voyeurisme. Il n’en va pas différemment des démarches entreprises par l’intéressé auprès du juge d’instruction en relation avec le choix de son défenseur. On ne discerne pas non plus, en ce qui concerne les procès-verbaux d’audition, quelle question politique ou d’intérêt général se serait posée ou aurait mérité d’être débattue sur la place publique et les autorités cantonales ont expressément exclu l’existence d’un traumatisme collectif qui aurait justifié de rassurer la population ou de la renseigner. Cette constatation de fait, que le recourant ne discute pas dans son recours de droit public, lie la cour de céans (art. 277bis PPF). Dans ces conditions, le recourant ne démontre pas en quoi résiderait l’intérêt « évident » pour le public des informations publiées et l’on ne saurait faire grief à la cour cantonale d’avoir retenu qu’un tel intérêt relevait tout au plus de la satisfaction d’une curiosité malsaine. 2 Les deux autres éléments invoqués par le recourant ont trait à son comportement (bonne foi dans l’accès aux informations et forme de la publication). 2.1 Il convient tout d’abord de relever que l’art. 293 CP réprime la seule divulgation des informations, indépendamment de la manière dont l’auteur y a eu accès. Par ailleurs, même en application de l’art. 10 CEDH, la Cour européenne n’attache pas une importance déterminante à cette circonstance lorsqu’il s’agit d’examiner si l’intéressé a respecté ses devoirs et responsabilités. Le facteur prépondérant réside plutôt dans le fait qu’il ne pouvait ignorer que la divulgation l’exposait à une sanction (arrêt Stoll c. Suisse, précité, § 144 et arrêt Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, CEDH 1999I).). Ce point est constant en l’espèce (v. supra consid. B). 2.2 Quant à la forme de la publication, elle peut en revanche jouer un rôle plus important, sous l’angle de la garantie de la liberté d’expression. La Cour européenne des droits de l’Homme, tout en rappelant qu’il ne lui appartient pas - pas plus qu’aux juridictions internes - de se substituer à la presse dans le choix d’une technique de compte rendu, tient néanmoins compte, dans la pesée des intérêts en jeu, du contenu de la publication, du vocabulaire utilisé, de la mise en page de la publication ainsi que des titres et sous-titres (sans qu’il importe qu’ils aient été choisis par le journaliste ou sa rédaction) ou encore de la précision des informations (arrêt Stoll c. Suisse, précité, §§ 146 ss, spéc. 146, 147 et 149) En l’espèce, la cour cantonale a jugé que le ton adopté par le recourant dans son article démontrait qu’il n’était pas, comme il le prétend, principalement animé par la volonté d’informer le public sur l’activité étatique que constituait l’enquête pénale. Le titre de l’article (« L’interrogatoire du conducteur fou », « la version du chauffard ») manquait déjà d’objectivité. Il suggérait que l’affaire était déjà jugée pour l’auteur, en ce sens que les morts du Grand-Pont n’étaient pas le fait d’un conducteur ordinaire mais d’« un conducteur fou », d’« un homme imperméable aux événements et à l’agitation qui l’entourent », dont le journaliste se demandait en conclusion s’il ne faisait pas tout « pour se rendre indéfendable ». La mise en situation des extraits des procès-verbaux des auditions et la reproduction de lettres du prévenu au juge étaient révélatrices des mobiles qui avaient animé l’auteur des lignes litigieuses, qui s’était borné à faire dans le sensationnel, ne cherchant par son opération qu’à satisfaire la curiosité relativement malsaine que tout un chacun ressent pour ce genre d’affaires. En prenant connaissance de cette publication très partielle, le lecteur se faisait une opinion et préjugeait sans aucune objectivité de la suite qui serait donnée par la justice à cette affaire, sans le moindre respect pour la présomption d’innocence (arrêt entrepris, consid. 2, p. 9 s.). La cour cantonale en a conclu que cet élément d’appréciation ne parlait pas en faveur de la prédominance de l’intérêt public à l’information. On ne saurait lui en faire grief. 3 Le recourant soutient encore que les procès-verbaux et la correspondance étaient, quoi qu’il en soit, appelés à être évoqués en audience publique ultérieurement. Il en déduit que le maintien de la confidentialité de ces informations ne pouvait ainsi se justifier par un « besoin social impérieux ». Toutefois, la seule possibilité que le secret qui domine l’instruction pénale puisse être levé dans une phase ultérieure de la procédure, notamment lors des débats qui, dans la règle, sont soumis au principe de la publicité, ne remet pas en cause la justification du secret de l’instruction, dès lors qu’il en va notamment de protéger le processus de formation de l’opinion et de prise de décision non seulement de l’autorité de jugement mais également de l’autorité d’instruction jusqu’à la clôture de cette phase secrète de la procédure. La publication en cause, loin d’être neutre et complète, comportait du reste des commentaires et des appréciations qui présentaient sous un jour particulier les informations litigieuses, sans offrir les possibilités de discussion contradictoire qui sont l’essence même des débats devant l’autorité de jugement. 4 Le recourant ne formule enfin expressément aucune critique quant à la quotité de la peine qui lui a été infligée. Il ne remet pas non plus en question le refus d’un délai d’épreuve et de radiation de cette amende (ancien art. 49 ch. 4 en corrélation avec l’ancien art. 106 al. 3 CP) au regard de l’application du droit suisse. Dans la perspective de la pesée de l’intérêt à l’ingérence, on peut se borner à relever que l’amende infligée, dont la quotité tenait compte d’un antécédent en 1998 (condamnation à une amende de 2000 francs avec délai d’épreuve pour la radiation de 2 ans pour contrainte et diffamation) n’excède pas la moitié d’un revenu mensuel que le recourant réalisait au moment des faits (jugement, consid. 1, p. 5) et rien n’indique que sa situation d’indépendant au moment du jugement de première instance ait conduit à une diminution significative de ses revenus. Il convient également de souligner que par 4000 francs le montant de l’amende n’atteint pas le maximum légal prévu par l’ancien art. 106 al. 1 CP (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006) et que ce montant maximal, fixé par le législateur il y a plus de trente ans, n’a pas été réévalué avant l’entrée en vigueur de la nouvelle partie générale du Code pénal, qui le fixe dorénavant à 10 000 francs (art. 106 al. 1 CP dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2007). La sanction de la contravention reprochée au recourant ne l’a, par ailleurs, pas empêché de s’exprimer puisqu’elle est intervenue après la publication de l’article (cf. arrêt Stoll c. Suisse, précité, § 156). Dans ces conditions, on ne voit pas que compte tenu de la nature de l’infraction retenue (la moins grave dans la classification du Code pénal suisse), de la quotité de la sanction et du moment où elle est intervenue, la sanction infligée au recourant puisse être appréhendée comme une sorte de censure. 5 Il résulte de ce qui précède que le recourant a divulgué un secret au sens de l’art. 293 al. 1 CP et qu’il ne peut invoquer aucun fait justificatif en sa faveur. La décision entreprise ne viole pas le droit fédéral, interprété à la lumière des dispositions conventionnelles invoquées par le recourant. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code pénal suisse du 21 décembre 1937 (version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006) Les dispositions pertinentes du code pénal suisse (version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006) se lisent ainsi : Article 39 – Arrêts « 1. Les arrêts sont la peine privative de liberté la moins grave. Leur durée est d’un jour au moins et de trois mois au plus (...).» Article 293 – Publication de débats officiels secrets « 1Celui qui, sans en avoir le droit, aura livré à la publicité tout ou partie des actes, d’une instruction ou des débats d’une autorité qui sont secrets en vertu de la loi ou d’une décision prise par l’autorité dans les limites de sa compétence sera puni des arrêts ou de l’amende. 2La complicité est punissable. 3Le juge pourra renoncer à toute peine si le secret livré à la publicité est de peu d’importance. » B. Le code pénal suisse du 21 décembre 1937 (version en vigueur dès le 1er janvier 2007) Les dispositions du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (version en vigueur dès le 1er janvier 2007) se lisent ainsi : Article 293 – Publication de débats officiels secrets « 1Celui qui, sans en avoir le droit, aura livré à la publicité tout ou partie des actes, d’une instruction ou des débats d’une autorité qui sont secrets en vertu de la loi ou d’une décision prise par l’autorité dans les limites de sa compétence sera puni de l’amende. 2La complicité est punissable. 3Le juge pourra renoncer à toute peine si le secret livré à la publicité est de peu d’importance. » C. Le code de procédure pénale du canton de Vaud du 12 décembre 1967 Les dispositions du code de procédure pénale du canton de Vaud du 12 décembre 1967 se lisent ainsi : Article 166 – Secret « Les recherches préliminaires de la police judiciaire sont secrètes. Les articles 184 à 186 sont applicables par analogie. » Article 184 – Secret de l’enquête « 1Toute enquête demeure secrète jusqu’à sa clôture définitive. 2Le secret s’étend aux éléments révélés par l’enquête elle-même ainsi qu’aux décisions et mesures d’instruction non publiques. » Article 185 – Personnes tenues « Les magistrats ou collaborateurs judiciaires ne peuvent communiquer ni pièces, ni renseignements sur l’enquête à quiconque n’a pas accès au dossier, sinon dans la mesure où la communication est utile à l’instruction ou justifiée par des motifs d’ordre public, administratif ou judiciaire. » Article 185a « 1Les parties, leurs proches et familiers, leurs conseils, les collaborateurs, consultants et employés de ceux-ci, ainsi que les experts et les témoins sont tenus de respecter le secret de l’enquête envers quiconque n’a pas accès au dossier. 2La révélation faite aux proches ou familiers par la partie ou son conseil n’est pas punissable. » Article 185b « 1En dérogation à l’article 185, le juge d’instruction cantonal et, avec l’accord de celui-ci, le juge chargé de l’enquête ou les fonctionnaires supérieurs de police spécialement désignés par le Conseil d’Etat (art. 168, al. 3) peuvent renseigner la presse, la radio ou la télévision sur une enquête pendante, lorsque l’intérêt public ou l’équité l’exige, notamment dans l’un des cas suivants : a. lorsque la collaboration du public s’impose en vue d’élucider un acte punissable ; b. lorsqu’il s’agit d’une affaire particulièrement grave ou déjà connue du public ; c. lorsqu’il y a lieu de rectifier des informations fausses ou de rassurer le public. 2Lorsqu’une conférence de presse est organisée, les conseils des parties et le Ministère public sont conviés à y participer. 3Lorsqu’une information inexacte a été transmise à la presse, la radio ou la télévision, les parties peuvent requérir du juge d’instruction cantonal qu’il en ordonne la rectification, par la même voie. » Article 186 – Sanction « 1Celui qui aura violé le secret de l’enquête sera puni d’une amende jusqu’à cinq mille francs, à moins que l’acte ne soit punissable en vertu d’autres dispositions protégeant le secret. 2Dans les cas de très peu de gravité, il pourra être exempté de toute peine (...) » D. Les directives du Conseil Suisse de la presse Les directives relatives à la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste émises par le Conseil Suisse de la presse présentant un intérêt en l’espèce se lisent ainsi : Directive 3.8 : Audition lors de reproches graves « En vertu du principe d’équité (fairness) et du précepte éthique général consistant à entendre les deux parties dans un conflit (« audiatur et altera pars »), les journalistes ont pour devoir d’entendre avant publication une personne faisant l’objet de reproches graves. Ce faisant, ils doivent décrire avec précision les reproches graves qu’ils comptent publier. Il n’y a pas d’obligation de donner à la partie touchée par des reproches graves la même place, en termes quantitatifs, qu’à la critique la concernant. Mais sa prise de position doit être reproduite de manière loyale dans le même récit médiatique » Directive 7.2 – Identification « Les journalistes soupèsent avec soin les intérêts en jeu (droit du public à être informé, protection de la vie privée). La mention du nom et/ou le compte rendu identifiant est admissible : - si la personne concernée apparaît publiquement en rapport avec l’objet de la relation médiatique ou si elle donne son accord à la publication de toute autre manière ; - si la personne jouit d’une grande notoriété et que la relation médiatique est en rapport avec les causes de sa notoriété ; - si la personne exerce un mandat politique ou une fonction dirigeante étatique ou sociale et que la relation médiatique s’y rapporte ; - si la mention du nom est nécessaire pour éviter une confusion préjudiciable à des tiers ; - si la mention du nom ou le compte rendu identifiant est justifié par ailleurs par un intérêt public prépondérant. Dans les cas où l’intérêt de protéger la vie privée l’emporte sur l’intérêt du public à une identification, les journalistes ne publient ni le nom, ni d’autres indications qui permettent l’identification d’une personne par des tiers n’appartenant pas à l’entourage familial, social ou professionnel, et qui donc sont informés exclusivement par les médias. » III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT La Recommandation Rec(2003)13 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres, sur la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales, se lit ainsi : « (...) Rappelant que les médias ont le droit d’informer le public eu égard au droit de ce dernier à recevoir des informations, y compris des informations sur des questions d’intérêt public, en application de l’article 10 de la Convention, et qu’ils ont le devoir professionnel de le faire ; Rappelant que les droits à la présomption d’innocence, à un procès équitable et au respect de la vie privée et familiale, garantis par les articles 6 et 8 de la Convention, constituent des exigences fondamentales qui doivent être respectées dans toute société démocratique ; Soulignant l’importance des reportages réalisés par les médias sur les procédures pénales pour informer le public, rendre visible la fonction dissuasive du droit pénal et permettre au public d’exercer un droit de regard sur le fonctionnement du système judiciaire pénal ; Considérant les intérêts éventuellement conflictuels protégés par les articles 6, 8 et 10 de la Convention et la nécessité d’assurer un équilibre entre ces droits au regard des circonstances de chaque cas individuel, en tenant dûment compte du rôle de contrôle de la Cour européenne des Droits de l’Homme pour garantir le respect des engagements contractés au titre de la Convention ; (...) Désireux de promouvoir un débat éclairé sur la protection des droits et intérêts en jeu dans le cadre des reportages effectués par les médias sur les procédures pénales, ainsi que de favoriser de bonnes pratiques à travers l’Europe, tout en assurant l’accès des médias aux procédures pénales ; (...) Recommande, tout en reconnaissant la diversité des systèmes juridiques nationaux en ce qui concerne les procédures pénales, aux gouvernements des Etats membres : de prendre ou de renforcer, le cas échéant, toutes mesures qu’ils considèrent nécessaires en vue de la mise en œuvre des principes annexés à la présente recommandation, dans les limites de leurs dispositions constitutionnelles respectives, de diffuser largement cette recommandation et les principes qui y sont annexés, en les accompagnant le cas échéant d’une traduction, et de les porter notamment à l’attention des autorités judiciaires et des services de police, et de les mettre à la disposition des organisations représentatives des juristes praticiens et des professionnels des médias. Annexe à la Recommandation Rec(2003)13 – Principes concernant la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales Principe 1 – Information du public par les médias Le public doit pouvoir recevoir des informations sur les activités des autorités judiciaires et des services de police à travers les médias. Les journalistes doivent en conséquence pouvoir librement rendre compte de et effectuer des commentaires sur le fonctionnement du système judiciaire pénal, sous réserve des seules limitations prévues en application des principes qui suivent. Principe 2 – Présomption d’innocence Le respect du principe de la présomption d’innocence fait partie intégrante du droit à un procès équitable. En conséquence, des opinions et des informations concernant les procédures pénales en cours ne devraient être communiquées ou diffusées à travers les médias que si cela ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence du suspect ou de l’accusé. (...) Principe 6 – Information régulière pendant les procédures pénales Dans le cadre des procédures pénales d’intérêt public ou d’autres procédures pénales attirant particulièrement l’attention du public, les autorités judiciaires et les services de police devraient informer les médias de leurs actes essentiels, sous réserve que cela ne porte pas atteinte au secret de l’instruction et aux enquêtes de police et que cela ne retarde pas ou ne gêne pas les résultats des procédures. Dans le cas des procédures pénales qui se poursuivent pendant une longue période, l’information devrait être fournie régulièrement. (...) Principe 8 – Protection de la vie privée dans le contexte de procédures pénales en cours La fourniture d’informations sur les personnes suspectées, accusées ou condamnées, ainsi que sur les autres parties aux procédures pénales devrait respecter leur droit à la protection de la vie privée conformément à l’article 8 de la Convention. Une protection particulière devrait être offerte aux parties qui sont des mineurs ou d’autres personnes vulnérables, aux victimes, aux témoins et aux familles des personnes suspectées, accusées ou condamnées. Dans tous les cas, une attention particulière devrait être portée à l’effet préjudiciable que la divulgation d’informations permettant leur identification peut avoir à l’égard des personnes visées dans ce Principe. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, Mmes Emine Kaymaz et Makbule Kaymaz et M. Reşat Kaymaz, sont des ressortissants turcs nés respectivement en 1939, en 1971 et en 1980, et résidant à Mardin. Mme Makbule Kaymaz est la veuve de A. Kaymaz (né en 1973) et la mère de U. Kaymaz (né en 1992). Mme Emine Kaymaz et M. Reşat Kaymaz sont respectivement la mère et le frère de A. Kaymaz. Il ressort du dossier que, le jour de l’incident, au domicile de la famille Kaymaz résidaient A. Kaymaz, Makbule Kaymaz, leurs enfants dont U. Kaymaz, ainsi qu’Emine Kaymaz. Les requérants indiquent avoir introduit la présente requête en leurs noms propres, et également au nom d’autres proches parents des défunts, notamment des enfants des époux Kaymaz (excepté son fils décédé, U. Kaymaz, Makbule Kaymaz a indiqué avoir six enfants ; cette affirmation n’a pas été contestée par le Gouvernement). A. Les circonstances de l’espèce Le décès des proches des requérants Selon un procès-verbal dressé le 21 novembre 2004 à 14 heures et signé par des policiers attachés à la section de lutte contre le terrorisme de la direction de la sûreté de Mardin, un homme avait téléphoné à la police le 20 novembre 2004, à 19 h 55, et déclaré que de nombreuses personnes suspectes et armées s’étaient rendues à une certaine adresse. D’après ce procès-verbal, la police avait identifié cette adresse comme étant celle du domicile de A. Kaymaz, lequel était suspecté d’avoir mené des activités illégales en faveur du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Ce procès-verbal indiquait qu’une réunion avait été organisée le 21 novembre 2004, à 13 heures, à la direction de la sûreté afin d’évaluer la situation, au motif que le district était l’une des cibles privilégiées des terroristes. Le procès-verbal indiquait aussi que, à l’issue de cette réunion, il avait été décidé, sur ordre du procureur de la République, de mener une opération antiterroriste à l’adresse en question. Selon le dossier, le domicile de la famille Kaymaz fut placé les 20 et 21 novembre 2004 sous surveillance jour et nuit, au motif que les personnes armées s’y trouvant pouvaient ouvrir le feu. Le 21 novembre 2004, le procureur de la République de Kızıltepe délivra un mandat de perquisition dudit domicile. Il ressort d’un document intitulé « plan d’opération », établi ce jour-là et signé par K.D., directeur adjoint de la direction de la sûreté de Mardin, qu’une opération visant à l’arrestation de membres du PKK soupçonnés de vouloir mener une attaque terroriste avait été planifiée. Dans ce document, il était précisé que l’opération ciblait le domicile de la famille Kaymaz et qu’il serait procédé aux arrestations, après rapprochement dudit domicile, à l’extérieur. À cette même date, vers 17 heures, A. Kaymaz et son fils, U. Kaymaz, furent tués par balles près de leur domicile. Le même jour, à 17 h 15, six policiers se rendirent sur les lieux de l’incident. Ils prirent des photographies et procédèrent à la recherche d’éléments de preuve et à des prélèvements sur les mains des défunts. Un croquis des lieux fut dressé. Selon le procès-verbal établi le jour même, à 17 h 30, par trois policiers, A. et U. Kaymaz avaient été tués devant leur domicile à la suite d’un affrontement armé survenu entre eux et les forces de l’ordre, et l’inspection des lieux avait établi que la rue, théâtre de l’affrontement, était dépourvue de lampadaires et non éclairée. Le même jour, un camion-citerne appartenant à A. Kaymaz, garé devant le domicile des défunts, fut fouillé et des vêtements y furent retrouvés. Selon le procès-verbal de perquisition établi le 21 novembre 2004, de nombreux documents concernant les activités du PKK avaient été retrouvés au domicile de A. Kaymaz. D’après le procès-verbal d’incident dressé également le 21 novembre 2004, à 18 h 30, il avait été décidé la veille de placer le domicile de la famille Kaymaz sous surveillance les 20 et 21 novembre 2004, jour et nuit, considérant que les personnes armées s’y trouvant pouvaient ouvrir le feu. Par ailleurs, ce procès-verbal indiquait qu’il avait été décidé d’arrêter les suspects à leur sortie de cette maison afin de ne pas mettre en danger la vie des policiers et des membres de la famille nombreuse qui y résidaient. De plus, il précisait que la porte de ladite maison avait été laissée ouverte et que, de temps en temps, les personnes se trouvant à l’intérieur regardaient vers l’extérieur. D’après ce procès-verbal, le jour de l’incident, vers 16 h 30, il avait été décidé de renforcer la surveillance étant donné qu’il faisait sombre et de procéder, le cas échéant, à l’arrestation des suspects en transférant une équipe de la police spéciale sur les lieux. Le procès-verbal précisait également que, lorsque les policiers, en tenue civile et portant des gilets avec l’inscription « police », s’étaient rendus à pied sur les lieux, ils avaient soudainement rencontré deux personnes qui se dirigeaient vers le côté conducteur du camion-citerne. Il indiquait que, compte tenu des agissements suspects de ces personnes qui étaient armées, les policiers avaient procédé à une sommation verbale en criant « Halte ! Police ! », que des tirs en direction des policiers avaient eu lieu et que les policiers y avaient riposté. Il précisait également que, au cours de cet affrontement, tant les policiers que les suspects étaient en mouvement. Toujours le jour de l’incident, à une heure non précisée, le procureur se rendit sur les lieux. Dans le procès-verbal établi à cet effet, il était précisé que le corps de U. Kaymaz se trouvait devant le camion-citerne avec une kalachnikov à proximité et que le corps de A. Kaymaz se trouvait à côté du camion-citerne, du côté conducteur. Le soir du 21 novembre 2004, il fut procédé à un examen préliminaire des corps en présence du procureur de la République, d’un avocat, d’un médecin expert et de son assistant, d’un photographe et d’un secrétaire. Le rapport correspondant faisait état de la présence, sur le corps de U. Kaymaz lequel mesurait, selon le procès-verbal y relatif, 1,65 m de treize orifices d’entrée et de sortie de balles, dont trois sur les bras et neuf sur la poitrine et le dos [il ressort du dossier que U. Kaymaz avait été atteint au total par onze balles. Trois autres orifices - dont l’origine est inconnue - ont également été dénombrés, voir §§ 20 et 47 ci-dessus]. Toujours d’après ce rapport, le corps de A. Kaymaz présentait un orifice d’entrée de balle sur la jambe gauche, un orifice d’entrée de balle sur le bras gauche, cinq orifices sur la poitrine et trois orifices sur le dos [il ressort du dossier que A. Kaymaz avait été atteint au total de six balles, voir §§ et 20 et 47 ci-dessus]. Par ailleurs, un diplôme, le permis de conduire, des clés et de l’argent furent trouvés sur les vêtements de A. Kaymaz. Il fut décidé de procéder à une autopsie approfondie des deux corps. Le 22 novembre 2004, six policiers se rendirent sur les lieux de l’incident à 9 h 45 du matin. Suivant les instructions du procureur, ils prirent des photographies des lieux et procédèrent à la recherche d’éléments de preuve complémentaires. Ils ne relevèrent aucune trace ou indice sur le camion-citerne se trouvant sur place. Des photographies du véhicule furent prises. Deux croquis simples localisant les éléments de preuve recueillis sur les lieux furent versés au dossier. Selon ces croquis, les lieux – qui avaient été le théâtre de l’incident – se trouvaient au bord d’une route principale à double sens, une station-service se positionnait du côté droit de la route, et entre le camion-citerne garé à quelques mètres de là et la station-service, il y avait un espace vide, puis un petit canal et ensuite une petite ruelle. Ces croquis indiquaient que le domicile de la famille Kaymaz était la deuxième maison dans cette ruelle. Ils montraient que le corps de A. Kaymaz se trouvait du côté gauche du camion-citerne, près de la porte avant du camion, côté conducteur, et qu’aucune douille provenant d’une kalachnikov n’avait été retrouvée près de ce corps alors qu’une dizaine de douilles provenant des armes des policiers avaient été recueillies. Ils indiquaient également que le corps de U. Kaymaz était devant le même camion à quelques mètres du corps de A. Kaymaz, qu’un fusil se trouvait près de la main gauche du défunt, que des douilles provenant des kalachnikovs se trouvaient près du corps de U. Kaymaz et près d’un canal, et qu’une ceinture avec quatre chargeurs pleins et deux grenades à main se trouvaient à proximité des pieds de A. Kaymaz. Par ailleurs, selon le deuxième croquis, huit douilles provenant des armes des policiers avaient été retrouvées devant le domicile de la famille Kaymaz. Il ressort de ces croquis que des douilles provenant de l’arme de Y.A. ont été retrouvées du côté opposé du camion, à savoir le côté conducteur. En outre, aucune douille provenant des armes de M.K. et S.A.T. n’a été recueillie derrière le camion ou du côté conducteur. En outre, alors que les deux douilles provenant de l’arme de M.K. avaient été recueillies près du canal, aucune douille provenant de l’arme de S.A.T. n’a été retrouvée sur les lieux de l’incident (voir paragraphe 47 ci-dessous). Le 22 novembre 2004, à 3 h 47 du matin, un médecin légiste et son assistant, en présence du procureur de la République, d’un chauffeur et d’un secrétaire, effectuèrent une autopsie classique sur les corps des défunts. Le médecin dénombra sur le corps de A. Kaymaz six orifices d’entrée et de sortie de balles, dont un sur le dos, deux sur la poitrine, un sur le ventre, et deux sur le dos de la main et la jambe gauche. Il releva sur le corps de U. Kaymaz – qui, selon le procès-verbal y relatif, mesurait 1,60 m –, onze orifices d’entrée et de sortie de balles, dont neuf sur le dos et deux sur le bras et la main, ainsi que trois autres orifices. D’après le rapport, le décès de A. Kaymaz était dû à une hémorragie interne et celui de U. Kaymaz à des blessures par balles au niveau du cœur et des poumons. L’enquête Le 22 novembre 2004, le parquet de Kızıltepe déclencha d’office une enquête. Par ailleurs, le même jour, sur demande du parquet, le tribunal de police de Kızıltepe classa le dossier d’enquête comme « confidentiel », en vertu de l’article 143 § 2 du code de procédure pénale (le CPP). Le 24 novembre 2004, le directeur de la sécurité près la direction de la sécurité de Kızıltepe adressa une lettre au parquet de Kızıltepe. Il y indiquait que, à la suite d’un appel téléphonique reçu le 20 novembre 2004 et selon lequel de nombreuses personnes suspectes et armées s’étaient rendues au domicile de la famille Kaymaz, un certain nombre de mesures avaient été prises, qu’un mandat de perquisition avait été délivré, et que le domicile en question avait été constamment surveillé par la police les 20 et 21 novembre 2004. Cette lettre ajoutait que, le 21 novembre 2004, vers 16 h 30, alors qu’il avait commencé à faire sombre, une équipe de la police spéciale s’était rendue sur les lieux pour prévenir une attaque armée du type de celles dirigées contre les forces de l’ordre, que vers 17 heures les policiers avaient remarqué deux personnes armées se dirigeant vers un camion-citerne garé devant le domicile en question, qu’ils avaient alors lancé maintes sommations en criant « Halte ! Police ! » et que les deux suspects avaient répondu par des tirs en direction des policiers. Elle indiquait également que, à l’issue d’un affrontement armé de quelques minutes, les deux suspects avaient été touchés, que les policiers les avaient identifiés comme étant A. Kaymaz et U. Kaymaz. Elle précisait que A. Kaymaz, qui se trouvait allongé par terre sur le dos, tenait une kalachnikov et portait une ceinture avec quatre chargeurs pleins et deux grenades à main (kütüklük), que cette ceinture avait été séparée du corps afin de parer à un éventuel danger, et que U. Kaymaz, qui était allongé en position latérale, avait en main une kalachnikov (elinde bulunan bir adet). Cette lettre précisait également que, vingt à vingt-cinq minutes plus tard, une équipe sanitaire était arrivée sur les lieux et avait constaté le décès des deux suspects, qu’une perquisition avait ensuite été effectuée au domicile de A. Kaymaz, et que de nombreux documents relatifs aux activités du PKK y avaient été retrouvés. Elle indiquait aussi que Makbule Kaymaz et Emine Kaymaz, qui se trouvaient chez leur voisin au moment de l’incident, avaient été invitées à se rendre au commissariat de police pour y faire leurs déclarations. Le 25 novembre 2004, l’Association des droits de l’homme publia un rapport contenant notamment les témoignages recueillis après l’incident du 21 novembre 2004. Il ressort de ce rapport que Makbule Kaymaz avait déclaré à l’association qu’elle avait vu son fils maintenu à genou devant le camion et les policiers tirer sur lui. Le 26 novembre 2004, le requérant Reşat Kaymaz déposa une plainte contre les policiers en charge de l’opération au cours de laquelle son frère et le fils de celui-ci avaient perdu la vie. Il reprochait aux forces de l’ordre d’avoir délibérément tué ses proches. Il précisait que, au moment des faits, son frère, qui travaillait comme chauffeur, et son neveu, élève en cinquième année à l’école élémentaire, ne faisaient rien d’autre que préparer un transport de marchandises pour l’Irak. a) Témoins Le 30 novembre 2004, A.T., un voisin de la famille Kaymaz, fut entendu par le parquet en tant que témoin non oculaire. Il déclara s’être trouvé à son domicile le jour de l’incident, avoir entendu d’abord deux fusillades successives, puis une série de tirs isolés pendant environ deux minutes. Il ajouta que Makbule Kaymaz était entrée chez lui en disant que les policiers tenaient U. Kaymaz par la nuque et qu’ils lui inclinaient la tête, et que deux policiers en civil s’étaient ensuite rendus chez lui. Le même jour, A.A, un résident du quartier, fut entendu par le procureur. Il déclara qu’il y avait eu des tirs et que, après leur cessation, il avait vu un corps allongé sur la route. Il précisa que, malgré l’absence de lampadaires, le corps était visible car éclairé par les phares des voitures passant à proximité. Il ajouta ne pas avoir immédiatement remarqué d’armes à côté du corps et n’avoir aperçu les armes et un deuxième corps qu’une fois l’endroit éclairé. À cette même date, M.T., un voisin de la famille Kaymaz, fut entendu. Il déclara avoir entendu des coups de feu peu avant 17 heures, précisant qu’il faisait sombre. Il ajouta ensuite que Makbule Kaymaz avait frappé à la porte, qu’elle bégayait et avait dit « Uğur, police, à côté du camion-citerne ». Il indiqua qu’elle était rentrée chez lui avec Emine Kaymaz et trois enfants, qu’il lui avait demandé pourquoi elle était venue, et qu’elle lui avait dit « ils tenaient Uğur par la nuque et ils l’inclinaient ». Il déclara ne pas avoir vu l’incident. Le 7 décembre 2004, le procureur de la République de Kızıltepe enregistra la déposition de la requérante Makbule Kaymaz, faite avec l’assistance d’un interprète. L’intéressée déclara qu’elle pratiquait le jeûne ce jour-là et qu’elle avait préparé le repas après la prière du soir. Contredisant ses déclarations précédentes, d’après lesquelles elle avait dit avoir reçu la visite d’une personne le jour de l’incident, elle affirma que personne ne leur avait rendu visite ce jour-là. Elle ajouta que son mari et son fils étaient sortis du domicile pour déposer leurs bagages dans le camion avant leur départ prévu pour le soir ou le lendemain, et qu’aucun des deux ne portait une arme. Elle déclara qu’elle avait ensuite entendu à deux reprises le bruit d’une fusillade, qu’elle n’avait alors pas vu son mari, mais qu’elle avait vu son fils debout, vivant, entouré de gens. Elle indiqua qu’elle était ensuite partie avec sa belle-mère chez leur voisin. Elle déclara qu’elle portait plainte contre les responsables du décès de son mari et de son fils. Toujours le 7 décembre 2004, la requérante Makbule Kaymaz fut également entendue par le procureur de la République de Kızıltepe en qualité d’accusée dans le cadre d’une enquête pénale portant sur sa supposée assistance au PKK. Elle était appelée à répondre en particulier à une question concernant une photo sur laquelle elle apparaissait devant le domicile familial, vêtue d’une tenue de peshmerga. La requérante affirma avoir mis la tenue traditionnelle de son mari car cela leur faisait plaisir. Par ailleurs, elle déclara que personne ne se cachait à leur domicile le 21 novembre 2004. À cette même date, le requérant M. Reşat Kaymaz fut entendu par le procureur. Il déclara avoir porté également la tenue de peshmerga de son frère Ahmet. Selon lui, il s’agissait d’une tenue qui était traditionnellement portée par les gens de la région pendant les fêtes et que son frère avait fait faire en Irak. En outre, le même jour, la requérante Emine Kaymaz fut entendue ; elle confirma les dépositions de Makbule Kaymaz. Par ailleurs, Murat Kaymaz, frère de A. Kaymaz, fut également questionné par le procureur. Il déclara ne pas avoir vu l’incident et indiqua qu’un des voisins de la famille Kaymaz, prénommé Ali, lui avait dit ne pas avoir vu d’armes à côté des corps de A. et U. Kaymaz. Le 8 décembre 2004, A.D., un résident du quartier, fut entendu par le procureur de la République. Il déclara que, le jour de l’incident, il était rentré à son domicile, qu’il avait entendu un bruit peu après et, soupçonnant un vol, était sorti. Il ajouta que des policiers l’avaient alors arrêté et allongé par terre, et avaient signalé à leurs collègues avoir arrêté un suspect. Il précisa qu’un policier l’avait giflé et lui avait demandé : « Où est Murat ? ». Il indiqua qu’il avait ensuite entendu des coups de feu et que, après leur cessation, les policiers avaient reçu par talkie-walkie un message disant que « deux personnes avaient été tuées » et qu’ils avaient félicité leurs collègues. Il déclara qu’il avait ensuite été interrogé et battu, et finalement libéré sur place sans avoir vu les corps de ses voisins. Le même jour, E.S., un résident du quartier, fut entendu par le procureur de la République. Il déclara notamment : « (...) [le jour de l’incident], j’étais descendu du bus à 17 h 10. Lorsque [je me trouvais encore] dans le bus, j’avais déjà remarqué qu’il y avait un corps à terre, entouré de nombreuses personnes. [Les lieux de l’incident] étaient éclairés par un projecteur spécial. Pensant qu’il pouvait s’agir d’un accident, j’ai couru vers le cadavre. Les policiers m’ont arrêté à deux mètres du défunt (...) J’ai regardé le corps. Il s’agissait d’un homme allongé à plat ventre se trouvant devant le camion-citerne. Je n’ai pas vu [son] visage (...) Je n’ai pas remarqué s’il y avait ou non une arme à côté du défunt. Je ne me rappelle pas qu’il y en avait (gördüğümü hatırlamıyorum) (...) Ensuite, on m’a conduit vers la maison qui se trouvait au bout de la rue. A ce moment, j’ai tourné la tête et j’ai vu que la porte du camion était ouverte et qu’un autre cadavre se trouvait vers le canal. Je n’ai pas vu s’il y avait une arme ou non à côté de ce cadavre car il faisait sombre (...) ». À cette même date, M.B.O. fut entendu par le procureur. Il déclara que A. Kaymaz et lui-même, chacun avec son véhicule, devaient partir à İskenderun le jour de l’incident. Il ajouta qu’il s’était rendu ce jour-là – le 21 novembre 2004 – chez A. Kaymaz, que le véhicule de ce dernier se trouvait dans la boue à cause de la pluie, et qu’il avait aidé A. Kaymaz à mettre le véhicule en mouvement. Il déclara qu’il avait été convenu que, le soir du 21 novembre 2004, ils se rendraient à İskenderun pour transporter du carburant, et qu’ils n’avaient pas pu partir à cause de l’incident. M.B.O. précisa qu’il n’était pas un témoin oculaire. Le 9 décembre 2004, le témoin E.E., un résident du quartier, fut entendu par le procureur de la République. Il déclara qu’il n’avait pas vu l’incident. Il expliqua que, alors qu’il s’apprêtait à dîner, il avait entendu des coups de feu pendant un court laps de temps et, après cinq minutes de silence, à nouveau des coups de feu. Le même jour, le témoin C.S. fut également entendu et confirma les déclarations de E.E. Quant aux témoins A.S. et H.S., qui furent aussi entendus à cette même date, ils déclarèrent avoir entendu des coups de feu. Le 13 décembre 2004, M.D., un résident du quartier, fut entendu par le procureur. Il déclara avoir vu seulement des véhicules et des personnes le jour de l’incident. Par ailleurs, le procureur entendit plusieurs autres résidents du quartier. Ceux-ci déclarèrent ne pas avoir vu l’incident. b) Rapports d’expertise Le 30 novembre 2004, le laboratoire attaché au service criminel de la direction de la sûreté d’Adana établit un rapport d’expertise. Il en ressortait que l’examen balistique des deux fusils kalachnikov retrouvés sur les lieux de l’incident avait permis d’établir qu’ils avaient été utilisés et qu’il n’était cependant pas possible de déterminer à quelle date remontaient les derniers tirs effectués avec ces armes. Par ailleurs, le rapport d’expertise précisait que vingt et une douilles de calibre 9 mm provenaient d’un pistolet de marque MP-5 référencé sous le numéro 41630 et appartenant à Y.A., six douilles de calibre 9 mm provenaient d’un autre pistolet de marque Uzi référencé MU-CB-940875 et appartenant à S.A., deux douilles de calibre 9 mm provenaient d’un pistolet de marque Uzi référencé MU-OB-932852 et appartenant à M.K., une douille de calibre 5,56 mm provenait d’un fusil de marque M-16 A2 référencé sous le numéro 8192388, huit douilles de calibre 7,65 mm provenaient d’un fusil kalachnikov référencé sous le numéro 1974316727 et supposé appartenir à U. Kaymaz, cinq douilles de calibre 7,65 mm provenaient d’un fusil kalachnikov référencé sous le numéro 1976647698 et supposé appartenir à A. Kaymaz, trois balles de calibre 9 mm provenaient d’un pistolet de marque MP-5 référencé sous le numéro 41630 et appartenant à Y.A., une balle de calibre 9 mm extraite du corps de U. Kaymaz provenait d’un pistolet de marque MP-5 référencé sous le numéro 41630 et appartenant à Y.A., une balle de calibre 9 mm extraite de la jambe de A. Kaymaz provenait d’un pistolet de la marque Uzi référencé sous le numéro MU-CB-940875 et appartenant à S.A. Le 7 décembre 2004, à 14 h 10, un examen des lieux fut effectué par le procureur, en présence de Makbule Kaymaz. Cet examen avait pour but de déterminer si U. Kaymaz avait été l’objet d’un tir à bout touchant (bitişik atış), auquel cas des balles auraient pu pénétrer dans le sol. Il fut procédé à la recherche de telles balles, aux endroits indiqués par Makbule Kaymaz, au moyen d’un détecteur de métal et en creusant la terre ; aucune balle ne put être retrouvée dans le sol. Un rapport d’expertise relatif aux deux grenades trouvées sur les lieux fut établi le 7 décembre 2004 et versé au dossier d’enquête. Selon ce rapport, il s’agissait de deux grenades de fabrication russe, couramment utilisées par le PKK, sur lesquelles aucune empreinte n’avait été trouvée. Le 9 décembre 2004, un examen des vêtements des défunts fut réalisé. D’après un rapport daté du même jour, l’examen des orifices laissés par les balles montrait que celles-ci n’avaient pas été tirées à une distance de 35 à 40 cm, considérée comme une distance de tir proche pour les armes à canon court, ni à une distance de 75 à 100 cm, considérée comme une distance de tir proche pour les armes à canon long. Ce rapport concluait que la distance des tirs ne pouvait pas être déterminée avec précision. Par ailleurs, il précisait que les neuf orifices observés sur le dos de U. Kaymaz étaient les orifices d’entrée de balles. Selon le rapport d’expertise du 13 décembre 2004 effectué sur les deux kalachnikovs retrouvées sur les lieux, celle portant le numéro de série 1976-647698 avait été utilisée lors d’une attaque terroriste survenue le 9 août 2004. En ce qui concerne la seconde arme, ce rapport indiquait qu’il n’était pas établi qu’elle avait été utilisée lors d’un quelconque incident. Selon un rapport d’expertise du 20 décembre 2004 dressé par l’institut médicolégal, des analyses d’antimoine et de plomb avaient été réalisées à partir des prélèvements effectués sur les mains de A. et U. Kaymaz, étant précisé qu’aucune analyse de baryum n’avait été faite. Le rapport concluait que, vu leur quantité, les traces d’antimoine et de plomb décelées devaient être considérées comme des résidus de tirs. Selon deux autres rapports d’expertise dressés le 22 décembre 2004, il n’avait pas été possible de déterminer si les proches des requérants, avant leur décès, s’étaient trouvés en mouvement lors de l’incident. Le rapport d’expertise du 22 décembre 2004 dressé par une commission spécialisée de l’institut médicolégal confirma notamment les conclusions des rapports établis les 9 et 22 décembre 2004 concernant la distance des tirs et la position des défunts lors de l’incident. Par ailleurs, il précisait que trois balles extraites du corps de A. Kaymaz avaient poursuivi une trajectoire vers le haut. Par des lettres des 1er février et 8 avril 2005, les sociétés de distribution d’électricité informèrent le parquet que la rue où s’était déroulé l’incident ne bénéficiait pas de l’éclairage public. Le 14 avril 2005, le laboratoire rattaché à la direction de la police criminelle d’Istanbul réalisa une expertise balistique des armes, douilles et balles retrouvées sur les lieux de la fusillade. Un rapport déterminant la position de ces preuves sur un croquis fut établi. Il précisait, entre autres, que vingt-neuf douilles de calibre 9 mm, une douille de calibre 5,56 mm et treize douilles de kalachnikov de calibre 7,65 mm avaient été examinées. Selon ce rapport : – deux douilles de calibre 9 mm provenaient d’un pistolet de marque Uzi [MU-OB-932852, appartenant à M.K.], – six douilles de calibre 9 mm provenaient d’un autre pistolet de marque Uzi [MU-CB-940875, appartenant à S.A.], – vingt et une douilles de calibre 9 mm provenaient d’un pistolet de marque MP-5 [no 41630, appartenant à Y.A.], – la douille de calibre 5,56 mm provenait d’un fusil de marque M-16 A2 [no 8192388], – cinq douilles de calibre 7,65 mm provenaient d’un fusil kalachnikov [1976-647698, supposé appartenir à A. Kaymaz], – huit douilles de calibre 7,65 mm provenaient d’un fusil kalachnikov [1974-316727, supposé appartenir à U. Kaymaz], – et une balle de calibre 9 mm, extraite du corps de A. Kaymaz, provenait d’un pistolet de la marque Uzi [MU-CB-940875, appartenant à S.A.]. Le 3 août 2005, sur demande de la cour d’assises, deux rapports d’expertise établis par les instances dirigeantes de l’institut médicolégal et signés par neuf médecins légistes furent versés au dossier. D’après ces rapports, A. Kaymaz, qui avait été atteint par six balles au total, n’avait plus été en mesure de tirer après avoir été touché par ces balles et il était décédé de ses blessures. Les rapports concluaient également que les neuf balles tirées dans le dos de U. Kaymaz lui avaient occasionné des blessures mortelles et que le jeune homme n’avait pu continuer à tirer après avoir été ainsi touché. Les rapports concluaient que U. Kaymaz avait été atteint par onze balles au total et faisaient état également de trois autres orifices dont l’origine demeurait inconnu. Par ailleurs, ces rapports précisaient qu’il n’était pas possible de déterminer si les proches des requérants avaient commencé à tirer les premiers. Enfin, ils confirmaient les conclusions de l’examen balistique du 14 avril 2005. Le 10 octobre 2006, un rapport balistique établi par l’institut médicolégal précisa que des traces de poudre qui avaient été décelées sur les mains des défunts pouvaient provenir tant de tirs simulés effectués post mortem que de tirs à bout touchant ou à courte distance. c) Dépositions des policiers Le 4 décembre 2004, soit plus de dix jours après l’incident, le procureur procéda à l’audition des policiers responsables de l’opération. Tout d’abord, il consigna la déposition de K.D., directeur adjoint de la direction de la sûreté de Mardin, qui avait organisé et coordonné l’opération du 21 novembre 2004. K.D. déclara que le PKK avait commis de nombreux attentats dans le district de Kızıltepe et que la police avait pris des mesures aux fins d’arrêter les personnes suspectées. Il indiqua que le domicile de la famille Kaymaz avait été placé sous surveillance la nuit du 20 novembre 2004 ainsi que la journée du lendemain et qu’initialement aucun incident suspect n’avait été remarqué au cours de cette surveillance. Il ajouta que, plus tard dans la journée du 21 novembre 2004, aux environs de 16 h 30, il avait commencé à faire sombre et qu’il avait alors été décidé d’arrêter les suspects lors de leur sortie de cette maison étant donné que, d’après lui, les membres du PKK perpétraient en général des attentats pendant la nuit. Il précisa que, lors de l’incident, il s’était posté à proximité du domicile des Kaymaz, sur le parking d’une station-service. Il indiqua que, lors de leur déplacement de la station-service vers ledit domicile, les policiers avaient rencontré deux suspects armés et que, ayant lui-même entendu des sommations suivies de tirs, il s’était rendu sur les lieux de l’incident. Il déclara avoir attiré l’attention de ses hommes sur le danger imminent qui les menaçait, mais ne pas avoir donné l’ordre de tuer quiconque. À cette même date, R.M.Y., directeur délégué de la police spéciale près la direction de la sûreté de Mardin, fut entendu par le parquet. Il déclara avoir été informé par K.D., le 20 novembre 2004, qu’une opération policière allait être organisée contre les membres du PKK. Il indiqua qu’il s’était rendu ce jour-là à Kızıltepe avec son équipe entre 21 heures et 21 h 30, et que des policiers en civil avaient été postés à divers endroits dans le district. Il précisa qu’il avait été décidé de ne pas arrêter les suspects près du domicile placé sous surveillance pour ne pas mettre en péril la vie de personnes innocentes. Il ajouta que, le lendemain, il avait rassemblé les membres de son équipe devant la station-service et avait ordonné leur déplacement vers le domicile de la famille Kaymaz ainsi que l’encerclement de cette maison pour que les forces de l’ordre puissent arrêter les suspects quand ils en sortiraient. Il précisa que les policiers M.K., S.A.T., Y.A., L.F. et S.K. s’étaient dirigés vers l’entrée de la maison en question, et que, ayant entendu des sommations puis des tirs, lui-même s’était dirigé vers les lieux de l’incident et avait vu deux personnes à terre. Il ajouta que, par la suite, il avait entendu un tir de sommation effectué par le policier I.R. Il déclara également qu’il avait ensuite entendu d’autres tirs, qu’il avait pris pour des tirs de sommation faits par d’autres policiers qui, d’après lui, auraient pu s’être rendus sur place pour contrer une probable attaque armée. Le même jour, le policier M.K. fut entendu par le procureur de la République. Il déclara que ses collègues S.A.T., Y.A., L.F. et S.K. et luimême s’étaient dirigés vers l’entrée du domicile des Kaymaz et qu’ils avaient rencontré deux personnes transportant des objets qui ressemblaient à des armes. Il ajouta que son collègue Y.A. avait sommé ces suspects de s’immobiliser en criant à plusieurs reprises « Halte ! Police ! », que ceux-ci s’étaient mis à tirer sur eux et que, à l’issue d’un affrontement armé de quelques minutes, ces deux individus avaient été touchés. Il déclara notamment : « (...) Y.A., S.A.T., S.K., L.F. et moi-même (...) avons été chargés de surveiller la maison en question. Nous nous sommes éloignés de la station-service. S.K. et L.F. se sont séparés de nous et se sont dirigés vers les baraques. Moi-même et mes deux autres collègues, nous avons avancé et, [après avoir] dépassé le camion-citerne garé sur le côté de la rue, nous avons soudain rencontré deux personnes. Nous avons vu des objets similaires à des armes [dans leurs mains]. Y.A. était devant nous et a fait une sommation en hurlant « Halte ! Police ! ». Les personnes ont répondu à cette sommation par des tirs. Toutefois, je ne me rappelle pas [laquelle de ces deux personnes] s’est mise à ouvrir le feu car il faisait sombre. Lorsque [ces] personnes se sont mises à ouvrir le feu, Y.A. s’est dépêché [« öne doǧru fırladı »], alors que moi-même et S.A.T. nous nous sommes dirigés derrière le camion-citerne Entre-temps, nous avons également fait une sommation en disant « Halte ! Police ! ». Sur ce, les personnes ont commencé à tirer [dans notre direction]. Afin de nous défendre, nous avons commencé à répliquer aux tirs. Nous étions en mouvement afin de ne pas devenir des cibles fixes. En même temps, nous avons continué à tirer. L’affrontement armé a duré pendant un certain temps. Lors de cet affrontement, j’ai ouvert le feu en direction de [l’endroit d’où provenaient les] tirs. Lors de l’incident, j’étais muni d’un pistolet de la marque Uzi (...) Lorsque les personnes ont cessé de tirer, nous avons également arrêté nos tirs. Ensuite, nous nous sommes rapprochés avec précaution des suspects. Deux personnes immobiles étaient allongées au sol. J’ai enlevé la ceinture qui était attachée autour de la taille [d’une des personnes et qui contenait] deux grenades et quatre chargeurs (...) ». Également le 4 décembre 2004, les policiers S. A. T. et Y. A. furent entendus par le procureur de la République. Ils confirmèrent principalement les déclarations de M.K. S. A. T. déclara notamment ouvert le feu en direction des suspects. Quant à Y.A., il déclara également: « (...) Le 20 novembre 2004, nos supérieurs nous ont réunis. Ils [nous ont dit] qu’il y avait des personnes armées dans une maison située dans le district de Kızıltepe, que ces personnes projetaient de perpétrer une attaque terroriste et qu’elles devaient être arrêtées. Le même jour, aux environs de 21 heures, nous nous sommes rendus [dans ce] district (...) Ce soir-là, considérant qu’il pouvait se trouver des personnes innocentes dans cette maison (...), nous n’avons pas mené d’opération (...) Le lendemain, on nous a demandé de nous réunir aux environs de 16 h 30 à la station Moil [qui se trouve] sur la route de Kızıltepe. On [s’est retrouvés à cet endroit](...) Y.A., S.A.T., S.K., L.F. et moi-même, nous avons été chargés de surveiller la maison en question. Nous nous sommes éloignés de la station-service. S.K. et L.F. se sont séparés de nous et se sont dirigés vers les baraques, [pour] surveiller la maison et assurer notre sécurité. Moi-même et mes deux autres collègues, nous nous sommes dirigés vers [la maison, en suivant la signalisation de la] direction de Kızıltepe. Devant nous, il y avait un camion-citerne garé sur le côté gauche de la route. Lorsque nous sommes passés du côté droit du camion, nous avons rencontré deux personnes. Il faisait sombre. Considérant qu’ils étaient armés, j’ai fait une sommation en disant « Halte ! Police ! ». J’étais devant mes collègues. Les personnes ont répondu à ma sommation par des tirs. Sur ce, en m’élançant [« ileriye doǧru atlayarak »], j’ai répondu par des tirs. Ensuite, il y a eu un échange de tirs (...) réguliers entre [ces personnes] et nous-mêmes [les policiers]. On était en mouvement. J’ai entendu les sommations de mes collègues qui disaient « Halte ! Police ! Jetez vos armes ! » [depuis] l’arrière du véhicule. Sur ce, les personnes ont commencé à ouvrir le feu sur mes [deux] collègues, qui y ont répondu par des tirs. L’affrontement armé a duré pendant un certain temps. Ensuite, on a constaté que les [personnes] avaient cessé [leurs tirs]. Nous aussi, nous avons cessé de tirer. Nous nous sommes rapprochés (...) et nous avons vu que deux personnes étaient allongées à terre. Toutes deux étaient munies de kalachnikovs (...) » Le policier S.A. fut également entendu par le procureur de la République le 4 décembre 2004. Il confirma les déclarations de ses collègues, en précisant qu’il n’avait pas vu l’affrontement parce qu’il faisait sombre. Il déclara qu’il avait tiré en l’air lorsqu’il s’était trouvé devant la porte de la maison des suspects. Le 23 novembre 2005, soit plus d’un an après l’incident, les dépositions de deux policiers, S.O. et M.A., furent enregistrées en vertu d’une commission rogatoire. Il ressort du dossier qu’ils avaient été chargés de surveiller le domicile de la famille Kaymaz et qu’ils n’avaient signalé aucune activité suspecte. Ces deux agents déclarèrent avoir surveillé la maison en question du 20 novembre 2004 au soir jusqu’au 21 novembre 2004 à 16 heures environ. L’agent S.O. affirma avoir remarqué une personne regardant par la porte aux environs de minuit, le 20 novembre 2004. Quant à l’agent M.A., il affirma qu’il avait patrouillé aux environs de la maison, qu’il avait remarqué que la porte de cette maison était ouverte et qu’une personne avait regardé par la porte. Il ajouta qu’il avait ensuite été posté dans la station-service et qu’il avait participé à la perquisition de la maison en question. d) Restriction d’accès au dossier d’enquête Le 1er décembre 2004, trois avocats demandèrent au parquet de Kızıltepe la copie de l’intégralité des pièces du dossier. Le 2 décembre 2004, se référant à sa décision du 22 novembre 2004 de classer le dossier comme confidentiel, le tribunal de police de Kızıltepe rejeta cette demande. Il précisa également que seul l’avocat des accusés pouvait contester la décision en question. Le 3 décembre 2004, les avocats du requérant Reşat Kaymaz formèrent opposition contre la décision du 22 novembre 2004. Cette opposition fut rejetée le 8 décembre 2004 par le tribunal correctionnel de Kızıltepe. Celui-ci précisa à l’intéressé que, selon l’article 143 § 3 du CPP, la confidentialité du dossier ne portait ni sur les procès-verbaux d’interrogatoire des accusés, ni sur les rapports d’expertise, ni sur les autres procès-verbaux. e) Enquête administrative Une enquête administrative fut menée par deux inspecteurs, à savoir un directeur de la sûreté et un chef-inspecteur rattachés au ministère de l’Intérieur. Le rapport établi le 11 février 2005 à l’issue de cette enquête fut versé au dossier. Il ressort de ce rapport qu’avant que le procureur en charge ait questionné les policiers responsables de l’opération, les enquêteurs avaient auditionné K.D., le chef de police ayant mené l’opération litigieuse, le 26 novembre 2004, puis M.K., S.A.T. et Y.A., les trois policiers qui avaient tiré sur les proches des requérants, le 27 novembre 2004. Il en ressort également que, le 10 décembre 2004, ils avaient à nouveau auditionné ces policiers, ainsi que les autres policiers ayant participé à l’opération en question. D’après ce rapport, M.K., S.A.T. et Y.A. avaient notamment fait part, dans leurs dépositions initiales faites le 27 novembre 2004, des éléments suivants : le 21 novembre 2004, vers 17 heures, ils avaient quitté la station-service et, après avoir dépassé le camion-citerne garé sur le côté de la rue, ils avaient soudainement rencontré deux personnes ; Y.A., qui était devant ses collègues, avait alors fait une sommation en hurlant « Halte ! Police ! » ; les deux individus avaient répondu à cette sommation par des tirs, à la suite desquels les trois policiers s’étaient jetés par terre (« o anda kendimizi yere attık »), étant précisé qu’une courte distance séparait les policiers de ces personnes (« aramızda çok kısa mesafe vardı ») ; l’affrontement armé avait duré pendant un laps de temps très court ; et les deux personnes avaient fini par être neutralisées. Il ressort également du dossier que M.K., S.A.T. et Y.A. avaient sensiblement modifié leur version des faits dans leurs déclarations obtenues le 10 décembre 2004. Dans ces dernières déclarations, ils indiquaient notamment que, lorsqu’ils avaient soudainement rencontré deux personnes, seul Y.A. s’était élancé (« ileriye doǧru hamle yaptım ») et s’était jeté par terre (« kendimi güvenli bir yere attım ») et que M.K. et S.A.T. s’étaient dirigés derrière le camion-citerne et avaient ouvert le feu depuis cet endroit. Après avoir évalué les preuves du dossier, à savoir les croquis des lieux, les rapports d’expertise et les déclarations des policiers, les enquêteurs conclurent qu’il convenait d’attendre le résultat de la procédure pénale engagée entre-temps contre les policiers (paragraphes 60 à 79 ciaprès) avant de décider de l’issue de l’enquête administrative. Aucune information complémentaire n’a été transmise à la Cour quant au déroulement ultérieure de cette enquête. L’action pénale Le 27 décembre 2004, le procureur de la République déposa devant la cour d’assises de Mardin un acte d’accusation à l’encontre des policiers M.K., Y.A., S.A.T. et S.A., pour homicide résultant de l’usage d’une force meurtrière dans des circonstances dépassant le cadre de la légitime défense, cette infraction étant réprimée par les articles 448 et 463 du code pénal (le CP). Le 6 janvier 2005, S.A., un des policiers mis en cause, présenta une demande aux fins de déterminer l’origine de la balle qui avait été extraite de la jambe de A. Kaymaz. Il indiquait que, selon le rapport d’expertise établi le 30 novembre 2004, cette balle provenait de son pistolet de marque Uzi portant le numéro de série 940875, alors que, à ses dires, il n’avait pas tiré en direction des proches des requérants. Il soutenait qu’il devait s’agir probablement d’une erreur étant donné que, d’après lui, le numéro de série de l’arme de son collègue S.A.T. était 940878 et se distinguait de celui de son arme par le dernier chiffre. Il demandait qu’une expertise complémentaire soit effectuée. Le dossier ne permet pas d’établir si une telle expertise complémentaire a été effectuée ou non. Le 21 février 2005, les requérants présentèrent une demande de constitution de partie intervenante. Le même jour, la demande de Makbule et Emine Kaymaz fut accueillie, tandis que celle de Reşat Kaymak fut rejetée au motif que celui-ci ne pouvait être considéré comme une victime directe de l’incident. Selon un rapport d’expertise établi le 9 mars 2005, il n’avait pas été possible de déterminer, à partir des orifices d’entrée et de sortie des balles et de leurs trajectoires, si les proches des requérants s’étaient trouvés en mouvement lors de l’incident. Il était également précisé, s’agissant de neuf balles qui avaient atteint U. Kaymaz dans le dos, qu’elles avaient suivi une trajectoire de l’arrière vers l’avant du corps. Le 26 avril 2005, la Cour de cassation décida que l’affaire devait être transférée à la cour d’assises d’Eskişehir. Le 6 mai 2005, la cour d’assises de Mardin déclina sa compétence et renvoya l’affaire devant la cour d’assises d’Eskişehir (« la cour d’assises »). Le 9 décembre 2006, N.S., une voisine de la famille Kaymaz, fut entendue par le procureur. Elle déclara qu’elle avait entendu deux séries de tirs provenant, d’après elle, du même endroit, qu’un intervalle de trois minutes environ les séparait et que les seconds tirs avaient été plus importants. a) Audiences tenues par la cour d’assises d’Eskişehir Entre le 20 juillet 2005 et le 18 avril 2007, la cour d’assises tint plusieurs audiences. Lors de l’audience du 20 juillet 2005, la cour d’assises entendit les accusés, M.K., Y.A., S.A.T. et S.A., ainsi que Reşat et Murat Kaymaz. Les accusés réitérèrent leurs déclarations faites au stade de l’instruction. L’accusé S.A. réitéra également sa déclaration selon laquelle il avait uniquement tiré en l’air et il contesta la conclusion du rapport balistique selon laquelle la balle extraite de la jambe de A. Kaymaz provenait de son arme. Par ailleurs, lors de la même audience, la cour d’assises revint sur la décision du 21 février 2005 (paragraphe 60 ci-dessus) et elle accueillit la demande de constitution de partie intervenante présentée par Reşat et Murat Kaymaz. Les avocats de la partie intervenante demandèrent qu’une reconstitution des faits sur les lieux de l’incident soit réalisée. Par ailleurs, ils demandèrent que les accusés soient placés en détention et/ou suspendus de leurs fonctions, compte tenu d’un risque d’altération des preuves. À cet égard, ils contestèrent également le classement du dossier comme confidentiel. À l’audience du 24 octobre 2005, les représentants des requérants s’opposèrent au fait que l’affaire soit examinée par la cour d’assises d’Eskişehir en raison, d’après eux, d’une atteinte aux droits des plaignants de participer activement au procès. Par ailleurs, ils soutinrent que le véhicule d’un groupe constitué de certains des avocats des requérants avait été arrêté à l’entrée d’Eskişehir et que les avocats en question n’avaient pas pu participer à l’audience. À l’audience du 19 décembre 2005, les avocats des requérants présentèrent à nouveau une demande de reconstitution des faits sur les lieux de l’incident. Ils demandèrent également que les origines des douilles trouvées sur les lieux soient déterminées. Ces demandes furent rejetées par la cour d’assises. À l’audience du 22 février 2006, Murat Kaymaz affirma que, lors de l’attaque armée effectuée contre un poste de police au cours de laquelle avait été utilisée la kalachnikov retrouvée près du corps de son frère, celui-ci se trouvait en Irak. Par ailleurs, il protesta contre l’emploi du terme de « terroriste » à l’égard de son neveu, U. Kaymaz, qui était un mineur. En outre, il demanda à nouveau une reconstitution des faits. Lors de l’audience du 10 mai 2006, les représentants des requérants présentèrent à nouveau leur demande de reconstitution des faits. En outre, ils demandèrent que les enregistrements vidéo relatifs aux lieux de l’incident et versés au dossier soient visionnés lors de l’audience. La cour d’assises décida de visionner ces enregistrements et elle ordonna une expertise afin de déterminer les origines des douilles trouvées sur les lieux. À l’audience du 19 juillet 2006, les représentants des requérants présentèrent une nouvelle fois une demande de reconstitution des faits. Ils déclarèrent qu’il ressortait des enregistrements vidéo que, s’agissant de la mise sous surveillance du domicile de la famille Kaymaz, il était possible de remarquer les entrées et sorties effectuées. Ils ajoutèrent en outre que les enregistrements vidéo avaient démarré à partir de 18 h 33, alors que, d’après eux, l’incident avait eu lieu vers 16 h 30. Les 27 septembre et 29 novembre 2006, ainsi que le 7 février 2007, la cour d’assises tint des audiences. À l’audience du 14 mars 2007, il fut constaté qu’un rapport d’expertise daté du 29 août 2006 avait été versé au dossier. Par ailleurs, les représentants des requérants déclarèrent que les emplacements des douilles ne concordaient pas avec la thèse d’un affrontement armé. Le 18 avril 2007, une dernière audience eut lieu. Les avocats des requérants dénoncèrent la manière dont l’enquête et la procédure avaient été menées. Ils déclarèrent que la version selon laquelle A. et U. Kaymaz avaient été tués à l’issue d’un affrontement armé n’était étayée par aucune preuve. Ils ajoutèrent que, avant l’incident, le père et le fils portaient des chaussons et s’apprêtaient à dîner et que, par ailleurs, aucune trace de balles n’avait été retrouvée à proximité des corps, sur le camion-citerne ou sur les murs des bâtiments. Ils conclurent en considérant que l’incident était une exécution extrajudiciaire. b) Arrêt du 18 avril 2007 Par un arrêt du 18 avril 2007, la cour d’assises acquitta les policiers en cause, en application de l’article 49 § 1 du CP. Les parties pertinentes en l’espèce de cet arrêt peuvent se lire comme suit : « (...) En l’espèce, il n’y a pas de preuves obtenues illégalement. Les dépositions obtenues contrairement aux règles de procédure n’ont pas été prises en considération dans la décision finale. Selon les réquisitions [du procureur], [les plaidoiries de] la défense, les déclarations des témoins, les rapports médicolégaux, les procès-verbaux et l’ensemble des pièces du dossier, il est établi que : Le 20 novembre 2004, à 19 h 55, [est parvenue au centre d’information de la direction de la sûreté de Kızıltepe] une dénonciation selon laquelle des personnes munies d’armes à canon long s’étaient rendues au domicile de Ahmet Kaymaz au sujet duquel il existait des fichiers démontrant qu’il était en relation avec l’organisation terroriste [PKK] et des informations établissant qu’il faisait partie de la milice de cette organisation. [Sur ce,] une équipe d’action spéciale composée de policiers se rendit sur les lieux, conformément à un mandat de perquisition délivré par le parquet de Kızıltepe. Toutefois, en raison d’un risque d’affrontement armé pouvant causer un préjudice aux personnes civiles présentes dans le domicile, la maison fut mise sous surveillance. Le 21 novembre 2004, après 16 h 13, alors qu’il faisait sombre, les policiers accusés M.K., S.A.T. et Y.A. et les autres policiers, à savoir L.F. et S.K., se [rapprochèrent] des lieux pour effectuer leur mission de surveillance et pour procéder à l’arrestation des personnes qui allaient sortir de la maison en question. Les cinq policiers quittèrent la station-service Moil et se dirigèrent vers la maison en question. L.F. et S.K. se positionnèrent aux environs des baraques afin de surveiller la maison et les trois autres policiers, ceux accusés, se dirigèrent [vers la maison, en suivant la signalisation de la] direction de Kızıltepe (...) [Au moment où] M.K., S.A.T. et Y.A. [approchaient] des lieux, ils rencontrèrent les [proches des requérants] : un affrontement armé se produisit, et [ces deux] personnes trouvèrent la mort à la suite des coups de feu [échangés]. D’après la défense de l’accusé S.A. et les déclarations des témoins ayant confirmé sa version des faits, lors de l’incident, ce policier, après s’être positionné près du domicile de la famille Kaymaz, avait tiré six fois avec son arme portant le numéro de série MU-CB 940875, Ahmet Kaymaz avait alors reçu une balle au pied à la suite de ces tirs et cette balle avait ensuite été extraite lors de l’autopsie. S’agissant du déroulement de l’incident, les accusés et leurs défenseurs soutiennent que [Ahmet et Uğur Kaymaz] ont ouvert le feu avec leurs armes à canon long, nonobstant de nombreuses sommations, et qu’ils ont été tués lors d’un affrontement armé déclenché à la suite de leurs tirs. Les intervenants et leurs défenseurs réfutent la thèse d’un affrontement armé et soutiennent que [les deux hommes] ont été tués intentionnellement et qu’ensuite les preuves ont été altérées. [Au vu] des rapports d’expertise dressés pendant l’enquête et la procédure, des procès-verbaux [d’examen] des lieux établis conformément aux règles en la matière et des déclarations des autres policiers présents sur les lieux, [il peut passer pour établi que,] lorsque les accusés M.K., S.A.T. et Y.A. se sont rendus sur les lieux pour surveiller les suspects et procéder à leur arrestation, ils ont rencontré [Ahmet et Uğur Kaymaz] en arrivant près du camion garé sur les lieux, qu’il n’y avait pas d’éclairage public sur les lieux, qu’il faisait sombre, et que les proches des requérants n’ont pas obtempéré à la sommation « Halte ! Police ! » et ont tiré treize fois au total (huit fois et cinq fois) avec leurs armes à canon long. [Il peut également être admis que, sur ce,] les accusés ont répondu à ces tirs avec leurs armes (...) dans le cadre de la mission qui leur avait été confiée, [et qu’Ahmet et Uğur Kaymaz] ont trouvé la mort à cause des blessures résultant des tirs des accusés. Les autres versions des faits soutenues par les intervenants n’ont pas été jugées dignes de foi. A côté du défunt Ahmet Kaymaz a été retrouvée une kalachnikov (...) portant le numéro de série 1976-647698, et à côté du défunt Uğur Kaymaz une kalachnikov (...) portant le numéro de série 1976-6316727. Il peut passer pour établi que les défunts avaient utilisé ces armes, dans la mesure où le rapport dressé par l’institut médicolégal après examen des prélèvements sur [leurs] mains faisait état de résidus de tirs, [dans la mesure où] des douilles provenant des armes avaient été retrouvées sur les lieux et [dans la mesure où] le rapport précisait que celles-ci provenaient de ces armes. Il est [aussi] établi que l’arme portant le numéro de série 1976-647698, retrouvée à côté de Ahmet Kaymaz, avait été utilisée lors d’une attaque armée dirigée contre le poste de police de Yenişehir à Mardin. Par conséquent, compte tenu de ces preuves matérielles, la thèse selon laquelle les résidus de tirs étaient le résultat d’une simulation de tirs effectuée ultérieurement et ces armes avaient été déposées sur les lieux après l’incident a été jugée [comme étant] une hypothèse dénuée de tout fondement et [ne reposant sur] aucune preuve tangible. En outre, la thèse de la partie intervenante selon laquelle, eu égard aux emplacements et au nombre des blessures et aux [orifices d’]entrée et de sortie des balles, un affrontement armé ne s’était jamais produit, n’a pas été jugée crédible compte tenu de la soudaineté de l’affrontement, de sa durée et de son évolution, et eu égard au fait que les deux groupes étaient en mouvement et que les balles atteignant un corps ne suivent pas toujours une trajectoire linéaire. De même, la thèse d’une exécution extrajudiciaire n’a pas été jugée crédible, dans la mesure où, selon le rapport d’institut médicolégal, les balles n’avaient été tirées ni à courte distance ni à bout touchant et [dans la mesure où] l’examen des lieux effectué (...) le 7 décembre 2004 au moyen d’un détecteur de métal et en creusant la terre ainsi que les enregistrements vidéo n’ont pas confirmé cette thèse. Les allégations selon lesquelles les personnes tuées n’étaient pas membres de l’organisation illégale PKK KONGRA-GEL ou n’avaient pas de lien avec cette organisation n’ont pas été jugées crédibles, dans la mesure où l’arme utilisée par Ahmet Kaymaz avait déjà été utilisée lors d’une attaque terroriste et [dans la mesure où] de nombreux documents ont été retrouvés lors de la perquisition. Il peut passer pour établi que le suspect Ahmet Kaymaz avait quitté son domicile avec son fils Uğur Kaymaz en possession des armes en question. Même s’il est allégué que, au vu des emplacements où ont été retrouvées les douilles, un affrontement armé n’a pas eu lieu, cette allégation n’a pas été jugée crédible, dans la mesure où toutes les douilles n’étaient pas restées à leurs emplacements d’origine car les deux groupes étaient en mouvement lors de l’incident, il faisait sombre et il y avait plusieurs policiers présents sur les lieux. Pour ce qui est de la thèse selon laquelle l’absence d’impacts de balles sur le camion et sur la ceinture [contenant] les deux grenades et les quatre chargeurs démontre qu’il n’y avait pas eu d’affrontement armé, elle est également jugée hypothétique, dans la mesure où l’absence d’impacts de balles sur la ceinture pourrait dépendre tant de la position de la ceinture que de la manière dont elle était portée, [et dans la mesure où] l’absence de balles sur le camion pourrait s’expliquer par la soudaineté de l’affrontement, par le fait que les groupes étaient mobiles et par l’absence de toute autre trace de balles nonobstant le nombre élevé de tirs. Au vu des éléments du dossier, tels que discutés ci-dessus, l’on peut parvenir à la conclusion que l’incident est survenu à la suite d’un affrontement armé (...) (...) [Après appréciation de] l’incident à la lumière de la législation en la matière, on arrive [également] à la conclusion que, à la suite d’une dénonciation et [après obtention] d’informations, des policiers se sont rendus sur les lieux afin d’arrêter les membres d’une organisation illégale après qu’un mandat de perquisition eut été délivré par l’autorité compétente. Aucun affrontement armé ou opération [similaire] n’avait été planifié et, la perquisition n’a pas été effectuée [afin d’éviter un affrontement armé]. Lorsqu’il fut décidé d’encercler la maison en question pour arrêter les personnes armées qui allaient la quitter, l’affrontement armé survint soudainement. Compte tenu de la législation en la matière et des caractéristiques des armes [retrouvées sur les lieux], les accusés se sont servis de leurs armes dans le cadre des lois et en respectant le principe de proportionnalité et, compte tenu de la soudaineté de l’incident, aucune autre mesure de sécurité n’aurait pu être prise par l’Etat (...) L’on conclut qu’il s’agissait d’un usage légitime de la force, qui ne dépasse pas les limites de la légitime défense (...) [A] la suite de l’information parvenue au procureur à 17 heures, celui-ci s’est rendu sur les lieux et toute l’enquête s’est déroulée sous sa supervision et selon ses ordres. Tant les accusés que les intervenants ont été entendus lors des audiences, leurs mémoires écrits ont été versés aux dossiers et pris en compte, les demandes ont été examinées et [ont fait l’objet de décisions]. A cet égard, les demandes qui n’étaient pas susceptibles d’apporter un éclaircissement au dossier et qui risquaient de prolonger la procédure ont été rejetées (...) » c) Pourvoi des requérants Le 16 mai 2007, les requérants se pourvurent en cassation. Dans leur mémoire, ils soutinrent que A. et U. Kaymaz avaient été l’objet d’une exécution extrajudiciaire. Les principales thèses des requérants peuvent se résumer comme suit. a) Il est établi que le domicile des défunts était sous surveillance depuis le soir du 20 novembre 2004. Lors de la préparation de l’opération, la probabilité d’un affrontement armé a été jugée forte et il a été constaté qu’une famille vivait dans cette maison. Dans de telles conditions, les déclarations selon lesquelles les policiers avaient soudainement rencontré deux suspects ne peuvent être jugées crédibles. b) Les éléments suivants donnent à penser que la thèse selon laquelle les décès étaient survenus à la suite d’un affrontement armé violent est dénuée de fondement : – l’incident s’est déroulé dans un espace de 6 m2 à côté d’un camion-citerne. Il était soutenu que des dizaines de tirs avaient été effectués. Toutefois, aucun impact de balles n’a pu être décelé sur le camion-citerne et sur les murs des habitations près de l’incident. – un des policiers, S.A., a déclaré avoir tiré en l’air devant le domicile des défunts. Or, selon les rapports de l’institut médicolégal, une balle a été extraite de la jambe de A. Kaymaz. – A. Kaymaz était un civil, sorti de son domicile pour déposer des objets en rapport avec son activité professionnelle dans son véhicule. Il a été tué alors que la porte du véhicule était ouverte. – les déclarations des accusés ont évolué avec le temps. Les policiers M.K., S.A.T. et Y.A. avaient déclaré le 27 novembre 2004, lors de leur audition dans le cadre d’une enquête administrative, qu’il y avait eu un affrontement armé et que tous les trois s’étaient jetés par terre et avaient ouvert le feu. Or, dans leurs déclarations du 4 décembre 2004 devant le procureur, ils ont dit que seul Y.A. s’était élancé et que les deux autres s’étaient dirigés derrière le camion-citerne et avaient tiré depuis l’arrière de ce véhicule. – selon le rapport d’expertise du 3 août 2005, « six balles avaient touché le corps de A. Kaymaz. Chacune des blessures faites par ces balles au niveau de la poitrine et du ventre était mortelle ». Il en découle que A. Kaymaz ne pouvait plus tirer après avoir reçu les balles en question. De même, il ressort de ce rapport que chacune des blessures occasionnées par neuf des balles qui avaient atteint U. Kaymaz dans le dos était mortelle. – selon le rapport du 10 novembre 2006, les traces de poudres décelées sur les mains des défunts pouvaient provenir d’un tir à bout touchant ou portant. De même, il est étonnant qu’aucune trace de tir n’ait été retrouvée sur la ceinture enlevée par un des policiers. c) Les investigations menées n’ont pas permis d’éclaircir les faits de la cause : – avant que le procureur ne se rende sur les lieux, les accusés avaient altéré les preuves. En particulier, M.K. a déclaré avoir enlevé la ceinture de A. Kaymaz dans laquelle se trouvaient deux grenades et quatre chargeurs. – les armes des accusés n’ont pas été saisies et aucun prélèvement sur leurs mains n’a été effectué. Treize jours après l’incident, le procureur a demandé à la direction de la sûreté de lui fournir les informations nécessaires sur les armes en question. – dès le début, la préfecture de Mardin a traité A. et U. Kaymaz de « terroristes » étant donné que, dans un communiqué de presse, il était précisé que « deux membres armés de l’organisation [PKK] qui avaient participé à un affrontement armé avec les forces de l’ordre ont été tués ». – le dossier d’enquête a été classé comme « confidentiel » en vertu de l’article 143 § 2 du CPP. Cela a considérablement entravé la participation des proches des victimes au déroulement de l’enquête. – de nombreuses irrégularités ont été constatées dans la collecte des preuves. – aucune reconstitution des faits n’a été effectuée. Or, il ressort des éléments de preuve que l’entrée et la sortie du domicile surveillé pouvaient être observées à partir de la station Moil. De même, devant ce domicile se trouve un terrain inhabité permettant de voir ce qui se passe aux environs. Les parties pertinentes de ce mémoire peuvent se lire comme suit : « (...) APPRÉCIATION : Il ressort du dossier et des déclarations des accusés que le domicile de A. et U. Kaymaz était sous surveillance au moins vingt-quatre heures avant l’incident. Les entrées et sorties étaient contrôlées et cette surveillance avait duré jusqu’au commencement de l’opération. Par conséquent, l’allégation selon laquelle les accusés ont soudainement rencontré les défunts ne pourrait être jugée crédible (...) (...) Même si le tribunal a jugé établi – comme le prétendaient les accusés – qu’il y a eu un ‘affrontement armé’, compte tenu des positions des défunts et eu égard au fait qu’ils portaient des pantoufles lors de l’incident, cette [thèse] est dénuée de fondement. Le fait que l’incident se soit déroulé dans un espace de 6 m2 [et] que le camion-citerne (...) ne portait aucune trace de balles, compte tenu des positions des douilles, démontre qu’un affrontement n’a jamais eu lieu et qu’une fusillade à ‘sens unique’ s’est produite (...) [Après avoir résumé les positions des douilles collectées sur les lieux et mentionnées dans les croquis :] L’accusé M.K. a déclaré avoir utilisé sept balles, or uniquement deux douilles provenant de son arme ont été recueillies sur les lieux. L’accusé S.A.T. a déclaré avoir tiré plusieurs fois lors de l’incident ; or aucune douille provenant de son arme n’a été retrouvée sur les lieux. Un des policiers dont l’identité n’a pas été dévoilée a déclaré avoir tiré six fois ; or aucune douille provenant de son arme n’a pu être retrouvée (...) Alors qu’une douille [provenant d’un fusil de marque M16] avait été retrouvée derrière le camion-citerne et qu’un des policiers dont l’identité n’a pas été dévoilée avait utilisé un fusil de marque M16, un non-lieu a été adopté à l’égard de ce policier. Si l’on compare les rapports d’expertise et les déclarations des accusés : a) (...) Il en ressort que les accusés ont altéré les preuves. b) Dans ses déclarations l’accusé Y.A. a déclaré avoir rencontré deux personnes et [s’être] élancé immédiatement (...) Il en découle que l’accusé se trouvait toujours devant le camion (...) Or, la preuve no 8 mentionnée dans le second procès-verbal d’incident [une douille de 9 mm] provenait de l’arme appartenant à Y.A. et [a été] retrouvée devant le domicile de la famille Kaymaz (...) Alors que l’accusé a déclaré constamment qu’il ne se trouvait pas du côté gauche du camion-citerne, les douilles provenant de son arme avaient été retrouvées de [ce] côté (...) Cela démontre que l’accusé ne disait pas la vérité et qu’aucune confrontation n’a eu lieu (...) Si l’on apprécie ces éléments dans leur ensemble, on peut conclure que, comme [démontré par] les expertises, les positions des douilles et les déclarations des accusés ne sont pas concordantes (...) [or] l’argument du tribunal selon lequel les douilles avaient été déplacées à cause de la présence de plusieurs personnes sur les lieux signifie que notre thèse concernant l’altération des preuves avait été implicitement accueillie. En tout état de cause, le fait qu’une douille provenant de l’arme de Y.A., lequel avait déclaré se trouver devant le camion-citerne et que l’affrontement avait eu lieu à cet endroit-là, ait été retrouvée devant le domicile des Kaymaz demeure inexpliqué (...) RAPPORTS D’AUTOPSIE A. En ce qui concerne les balles ayant touché Uğur Kaymaz (...) La position de deux balles est intéressante. L’orifice de sortie de deux balles situées dans le dos (...) se trouve au-dessous de l’orifice d’entrée ; cela laisse à penser que les tirs ont eu lieu selon un angle du haut vers le bas (...) Cet élément confirme la thèse de Makbule Kaymaz qui avait déclaré avoir vu son fils maintenu à genoux et les policiers tirer sur lui (...) B. En ce qui concerne les balles ayant touché Ahmet Kaymaz (...) Une des balles se situait au niveau de la taille (...), [sur laquelle étaient visibles] les orifices d’entrée et de sortie [laissés par ce projectile]. Or la ceinture [contenant] les quatre chargeurs et les deux grenades ne portait aucune trace de balles ; cela confirme la thèse selon laquelle ces objets ont été déposés après l’incident. En outre, une balle a touché la main gauche du défunt et traversé la paume (...) ; cela démontre que, lors de l’impact, [Ahmet Kaymaz] ne tenait pas en main le fusil (...) De même, autour des orifices des balles qui ont touché Uğur Kaymaz et Ahmet Kaymaz, des traces de poudre ont été relevées. Cela démontre que les tirs ont eu lieu à courte distance (...) La question principale, posée par nous-mêmes et par l’opinion publique, est de savoir pourquoi aucune trace de balles n’a pu être retrouvée si un affrontement armé a [bien] eu lieu (...) ». d) Arrêt de la Cour de cassation Par un arrêt du 11 juin 2009, notifié aux requérants le 15 juillet 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Selon l’article 448 du CP en vigueur à l’époque des faits, toute personne qui tuait délibérément une autre personne était condamnée à une peine comprise entre vingt-quatre et trente ans d’emprisonnement. L’article 49 du même code se lisait comme suit : « Echappe à toute sanction quiconque a agi : en vertu d’une disposition de la loi ou d’un ordre de l’autorité compétente qu’il était obligé d’exécuter ; poussé par la nécessité de contrer immédiatement une attaque illégale dirigée contre sa vie ou contre son honneur, ou contre la vie ou l’honneur d’autrui ; poussé par la nécessité de sauver sa vie ou celle d’autrui d’un danger grave, imminent et personnel qui n’était pas la conséquence d’un acte volontaire de sa part et qui ne pouvait être évité (...) » Aux termes de l’article 143 du CPP, tel qu’en vigueur à l’époque des faits : « L’avocat a le droit de prendre connaissance des pièces préparatoires et du dossier de l’affaire et d’obtenir sans frais le document qu’il souhaite. Il est possible de restreindre ce droit lors de l’enquête préliminaire lorsque l’examen par l’avocat des pièces préparatoires ou l’obtention d’une copie des pièces préparatoires peut porter atteinte au déroulement de l’enquête préliminaire. Le paragraphe 2 ne s’applique pas au procès-verbal contenant l’interrogatoire de la personne arrêtée ou accusée, aux rapports d’experts, ou aux autres actes juridiques pour lesquels l’accusé a le droit d’être présent. » Avec l’entrée en vigueur du nouveau CPP le 1er juin 2005, le recours en rectification d’arrêt – auparavant prévu par le CPP – a été supprimé. Le nouveau code a institué un recours en opposition, dont les conditions d’exercice sont définies à l’article 308 de la loi no 5271. Cette disposition est ainsi libellée : « Voies de recours extraordinaires Pouvoir d’opposition du procureur général près la Cour de cassation Le procureur général près la Cour de cassation peut, d’office ou sur demande, dans les trente jours suivant la remise à sa personne d’un arrêt d’une des chambres pénales de la Cour de cassation, former opposition devant l’assemblée plénière criminelle. Aucun délai n’est requis lorsque l’opposition est au bénéfice de l’accusé. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1951 et en 1959 et résident à İzmir. À l’époque des faits, ils étaient respectivement maire et maire adjoint de la ville d’Urla. Le 24 avril 2005, la ville d’Urla vendit à la société ÜRİT, par voie d’appel d’offres, un terrain municipal dont elle était propriétaire à hauteur de 95 %. La chambre régionale de l’agriculture introduisit une action en annulation de cette vente ; cette action fut rejetée par le tribunal administratif d’İzmir le 9 février 2006. Entre-temps, le 30 mai 2005, la société ÜRİT avait accordé à la société ETAŞ le marché relatif à la construction d’un centre d’affaires sur le terrain municipal acquis. Le 26 janvier 2007, un incendie se déclara dans les locaux de la société ÜRİT. À la suite de la parution d’articles dans la presse locale qualifiant de volontaire cet incendie – lequel aurait été provoqué aux fins de destruction de preuves de malversations lors de la passation de marchés publics –, le procureur de la République d’Urla ouvrit une enquête. Dans le cadre de l’enquête préliminaire, un inspecteur du ministère de l’Industrie et du Commerce (« l’inspecteur ») fut désigné pour procéder à des vérifications. Le rapport préliminaire présenté par l’inspecteur le 1er mai 2007 révéla certaines irrégularités dans le cadre de la procédure de passation du marché pour le centre d’affaires. Le 4 mai 2007, sur requête du procureur de la République, le juge d’instance pénale d’Urla (« le juge ») autorisa, en vertu de l’article 135 du code de procédure pénale (« le CPP »), l’écoute des lignes téléphoniques de plusieurs personnes soupçonnées d’être impliquées dans des malversations, dont les requérants. Le 14 juillet 2007, le juge prit la décision, sur le fondement de l’article 153 du CPP, de limiter l’accès des suspects et de leurs avocats au dossier d’enquête pour éviter de compromettre le bon déroulement de celleci. Le même jour, la ville d’Urla accorda le marché public concernant un nouveau projet urbain à un consortium de trois sociétés. À la suite de la parution d’articles dans la presse locale quant à des irrégularités qui auraient également été commises dans le cadre de ce marché public, le procureur de la République ouvrit une enquête qu’il joignit à la première. Le 30 juillet 2007, les requérants furent arrêtés. Le même jour, le juge rejeta les demandes de mise en liberté et de levée de la restriction d’accès au dossier d’enquête formulées par les requérants. Le 31 juillet 2007, le juge écarta à nouveau la demande de remise en liberté des intéressés. Les 1er et 2 août 2007, les requérants furent interrogés par la police, en présence de leurs avocats, sur les accusations portées contre eux ainsi que sur les déclarations de coaccusés les mettant en cause et sur les constats de l’inspecteur. Ils furent également interrogés sur le contenu de conversations téléphoniques interceptées qui mettaient en évidence un certain nombre de concertations et collusions les impliquant. L’ensemble de ces informations fut transcrit dans le procès-verbal d’interrogatoire. Le 2 août 2007, les requérants furent traduits devant le juge qui ordonna leur placement en détention provisoire compte tenu de la nature des infractions reprochées (à savoir, fraude en matière de passation de marchés publics et association de malfaiteurs), de l’état des preuves, ainsi que du risque d’altération de celles-ci et de pressions sur les témoins. L’opposition formée contre cette décision fut rejetée le 7 août 2007. Dans l’intervalle, le 6 août 2007, le requérant M. S. Karaosmanoğlu avait été provisoirement démis de ses fonctions de maire par le ministère de l’Intérieur. Au cours de l’enquête, les requérants demandèrent à plusieurs reprises leur élargissement. Les 6 août, 13 août, 17 août, 31 août, 24 septembre, 1er octobre, 4 octobre, 26 octobre et 8 novembre 2007, statuant sur dossier, le juge écarta les demandes d’élargissement des intéressés en prenant en compte plusieurs des motifs suivants : la nature et la qualification des infractions reprochées ; l’état des preuves ; l’ampleur de l’enquête ; l’absence d’élément nouveau permettant la levée des mesures de détention provisoire ; le fait que les preuves n’avaient pas encore été recueillies, notamment le rapport d’expertise qui n’avait pas encore été versé au dossier ; et le risque d’altération des preuves. Le juge mentionna aussi les risques de pressions sur les témoins et de fuite. Les oppositions formées contre les décisions des 13 août et 24 septembre 2007 furent respectivement écartées le 21 août et le 24 septembre 2007, après un examen sur dossier, en raison de la persistance des motifs précités. L’inspecteur remit son rapport le 27 septembre 2007. Le 31 octobre 2007, un contrôleur du ministère de l’Intérieur remit également un rapport. Le 2 novembre suivant, il rendit un rapport complémentaire. Le 16 novembre 2007, les requérants furent inculpés des chefs de fraude aux règles de passation de marchés publics, de constitution et de participation à une association de malfaiteurs et de détournement de biens publics. Le requérant H. H. Özden fut également inculpé pour tentative de corruption passive. Trente-cinq autres personnes furent inculpées pour des infractions similaires. Le 30 novembre 2007, la cour d’assises autorisa la mise en accusation et le procès commença devant cette juridiction. Étant donné la nature des infractions reprochées et l’état des preuves, la cour d’assises décida de maintenir la détention des requérants en application de l’article 100 §§ 2 a) et b) et 3 c) du CPP, en raison d’un risque de fuite, d’un risque d’altération des preuves et de pressions sur des témoins, victimes ou autres personnes, ainsi que d’une présomption légale quant à l’existence des motifs de détention. Le 28 décembre 2007, la cour d’assises rejeta les demandes d’élargissement des requérants et ordonna leur maintien en détention, compte tenu de la nature des infractions reprochées, de l’état des preuves, des peines encourues et des motifs de détention. Le 22 janvier 2008, la cour d’assises tint sa première audience. À cette occasion, elle entendit les requérants, ainsi que onze autres accusés détenus, en leur défense. À l’issue de cette audience, elle ordonna la libération de dix coaccusés des requérants. Concernant en revanche ces derniers, compte tenu de la nature et de la qualification des infractions reprochées, de l’état des preuves et du fait que celles-ci n’avaient pas été entièrement recueillies, elle décida de les maintenir en détention provisoire en application de l’article 100 §§ 1 et 2 b) 1. et 2. du CPP, en raison de forts soupçons quant à la commission des infractions et d’un risque d’altération des preuves et de pressions sur les témoins, victimes ou autres personnes. Le 25 janvier 2008, la cour d’assises, statuant sur dossier, rejeta l’opposition formée par les requérants contre sa décision de maintien en détention. Le 19 février 2008, les avocats des requérants demandèrent l’élargissement de leurs clients, au besoin contre une caution. L’avocat du requérant M. S. Karaosmanoğlu indiqua que son client disposait d’un travail et d’un domicile fixe et qu’à ce titre il n’y avait pas de risque de fuite de sa part. Il soutint que toutes les preuves avaient été recueillies et versées au dossier et qu’il n’y avait pas de risque d’altération de celles-ci. De même, il allégua l’absence d’un quelconque risque de pressions sur les témoins, victimes ou autres personnes. Le 20 février 2008, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement des requérants au vu de la nature des infractions, de l’état des preuves, des peines encourues et des motifs de détention. Lors de la deuxième audience tenue le 12 mars 2008, la cour d’assises poursuivit l’audition des accusés, et elle procéda notamment à l’audition d’une coaccusée des requérants qui était jugée libre et qui avait fait des déclarations incriminant ces derniers. À l’issue de cette audience, elle décida de libérer les requérants sous caution, compte tenu de la période passée par eux en détention et au motif que les preuves avaient été en grande partie recueillies. Elle fixa le montant de la caution à 10 000 livres turques (soit environ 5 250 euros) pour chacun des requérants. Par ailleurs, à la suite de l’invalidation par les juridictions administratives de la révocation du requérant M. S. Karaosmanoğlu (paragraphe 17 cidessus), ce dernier fut réintégré dans ses fonctions le 25 décembre 2008. En outre, le 2 juin 2010, le tribunal administratif d’İzmir rejeta une action en annulation qui avait été intentée contre la décision de la ville d’Urla du 14 juillet 2007 d’accorder un marché public concernant un nouveau projet urbain à un consortium de trois sociétés (paragraphe 11 cidessus). Le 13 mars 2012, la cour d’assises reconnut les requérants coupables de fraude aux règles de passation du marché public du 30 mai 2005 (paragraphe 6 ci-dessus) et elle les condamna à quatre ans et deux mois d’emprisonnement. De plus, elle considéra que les faits qui leur étaient reprochés pour les accuser de détournement de biens publics relevaient en fait d’abus de pouvoir commis dans l’exercice de leurs fonctions. Elle condamna en conséquence les intéressés pour abus de pouvoir et elle leur infligea une peine d’un an, dix mois et quinze jours d’emprisonnement assortie d’un sursis à exécution. Les requérants furent acquittés des autres chefs d’inculpation retenus contre eux. Les requérants formèrent un pourvoi en cassation contre cette décision. Ce pourvoi est pendant à ce jour. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Selon l’article 3 h) de la loi no 4483 relative à la poursuite des agents de la fonction publique, l’autorisation du ministère de l’Intérieur est nécessaire pour l’ouverture d’une enquête pénale contre un maire. Cependant, l’article 17 de la loi no 3628 relative à la lutte contre la corruption et les malversations dispose que pour certaines infractions, dont celle de fraude en matière de passation de marchés publics – cette infraction étant reprochée en l’espèce aux requérants –, les dispositions de la loi relative à la poursuite des agents de la fonction publique ne s’appliquent pas. L’article 235 § 1 du code pénal (« le CP ») tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits punissait la fraude aux règles de passation des marchés publics (İhaleye fesat karıştırma) de cinq à dix ans d’emprisonnement. Selon l’article 220 du CP, la constitution d’une association de malfaiteurs (Suç işlemek amacıyla örgüt kurma) est punie de deux à six ans d’emprisonnement. Le fait d’être membre d’une telle association est puni d’un à trois ans d’emprisonnement. L’article 247 du CP dispose que le détournement de biens publics (Zimmet) est puni de cinq à douze ans d’emprisonnement. La peine est augmentée de moitié lorsque le délit est commis au moyen de manœuvres visant à la dissimulation du détournement. L’article 252 du CP punit la corruption (Rüşvet) de quatre à douze ans d’emprisonnement.
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A. Le contexte de l’affaire Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers. Les présentes requêtes portent sur des procédures engagées par les devanciers des requérants en vue d’obtenir le réajustement et l’augmentation du montant de leurs pensions conformément à ces lois. B. Les procédures en cause La demande des devanciers des requérants devant la Comptabilité générale de l’État et la procédure devant la troisième Chambre de la Cour des comptes Le 19 avril 2001, les devanciers des requérants saisirent la Comptabilité générale de l’État d’une seule demande tendant à obtenir le réajustement du montant de leurs retraites. Le 23 avril 2002, la Comptabilité générale de l’État rejeta leur demande. Le 12 juin 2002, les devanciers des requérants saisirent la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale. Le 29 juin 2006, la Cour des comptes accepta le recours (arrêt no 1966/2006). Le 20 novembre 2007, l’État se pourvut en cassation, séparément pour chaque requérant ou son devancier, devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 1966/2006. La succession dans la procédure par les requérants et la procédure en cassation (a) Requête no 4310/11 Le 3 décembre 2002, le devancier des requérants décéda. Le 15 décembre 2005, ces derniers lui succédèrent dans la procédure. Le 5 mai 2010, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1008/2010). Cet arrêt fut notifié aux requérants le 23 juin 2010. (b) Requête no 54297/11 Le 5 septembre 2002, le devancier de la requérante décéda. Le 2 février 2006, cette dernière lui succéda dans la procédure. Le 6 octobre 2010, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 2424/2010). Cet arrêt fut notifié à la requérante le 25 février 2011. (c) Requête no 77047/12 Le 15 mars 2003, le devancier des requérants décéda. Le 3 février 2006, ces derniers lui succédèrent dans la procédure. Le 30 juin 2010, dans une décision avant dire droit, la Cour des comptes reporta l’examen de l’affaire. Une nouvelle audience eut lieu le 4 mai 2011. Le 7 mars 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 729/2012). Cet arrêt fut notifié aux requérants le 31 mai 2012. (d) Requête no 77081/12 Le 22 septembre 2009, le devancier des requérants décéda. Le 1er février 2011, ces derniers lui succédèrent dans la procédure. Le 7 mars 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 715/2012). Cet arrêt fut notifié aux requérants le 28 mai 2012. C. Le droit interne pertinent La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose: « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, mari et femme, sont nés respectivement en 1942 et 1951 et résident à Drobeta Turnu Severin. Le 1er novembre 2005, les requérants saisirent le tribunal de première instance de Drobeta Turnu Severin d’une action en réparation contre la Caisse d’épargne et le ministère des Finances afin de se voir verser 15 961,13 lei roumains (RON), représentant les intérêts pour des sommes qu’ils avaient déposées sur des comptes ouverts auprès de la Caisse d’épargne entre 1986 et 1990. Le 22 novembre 2005, le tribunal de première instance ordonna aux requérants de payer un droit de timbre d’un montant de 1 136,30 RON. Le 13 décembre 2005, les requérants firent une demande d’exonération de paiement du droit de timbre, en faisant valoir qu’ils étaient retraités et que leurs charges mensuelles étaient plus élevées que le montant de ce droit. Ils versèrent au dossier des certificats médicaux et une attestation selon laquelle le requérant percevait une pension de retraite de 657 RON par mois. Par un jugement avant dire droit du 13 décembre 2005, rendu en chambre du conseil, le tribunal rejeta leur demande, au motif qu’ils n’avaient pas fait la preuve de leur situation financière. Le tribunal reprocha aux requérants de ne pas avoir versé au dossier d’informations prouvant qu’ils n’avaient pas d’autres sources de revenus, des biens immeubles ou meubles et qu’ils avaient d’autres personnes à charge. Le jugement avant dire droit était définitif. Les requérants ne s’acquittèrent pas du droit de timbre exigé avant l’audience suivante qui eut lieu le 17 janvier 2006. Lors de cette audience, ils firent à nouveau savoir qu’ils n’avaient pas de moyens financiers pour s’acquitter du droit de timbre. Par un jugement du 17 janvier 2006, le tribunal annula leur action pour non-paiement du droit de timbre, en se fondant sur les articles 20 § 3 de la loi no 146/1997 sur le droit de timbre. Les requérants ne relevèrent pas appel de ce jugement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La législation sur le droit de timbre en vigueur à l’époque des faits et ses modifications ultérieures sont présentées dans les arrêts Postolache c. Roumanie (no 2) (no 48269/08, §§ 23-26, 6 juillet 2010) et Rusen c. Roumanie (no 38151/05, §§ 14-18, 8 janvier 2009).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les griefs exposés dans les requêtes se rapportent à des procédures administratives et/ou judiciaires d’indemnisation ou de restitution engagées par les requérants en tant que bénéficiaires des lois de restitution de biens confisqués ou nationalisés par le régime communiste qui ont été adoptées par la Roumanie après la chute de ce régime, en décembre 1989. A. Circonstances propres à chaque requête Les faits propres à chaque requête, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Requête no 9584/02 introduite par Mme Victoria Preda Par une décision définitive du 5 juin 1991 fondée sur la loi de restitution no 18/1991, la commission de restitution créée auprès de la commune de Oarja (Argeş) restitua plusieurs dizaines d’hectares de terrain aux habitants de cette commune. Le 2 juin 1997, la requérante devint propriétaire d’une parcelle de 5 500 m² situé sur le territoire de cette commune à la suite de la donation que lui avait faite E.V. d’un terrain que ce dernier s’était vu restituer par la décision administrative du 5 juin 1991. a) Litiges concernant la procédure de restitution Par un arrêt définitif du 19 septembre 2001, la cour d’appel de Piteşti annula la décision administrative de restitution du 5 juin 1991. Elle estima que la parcelle en question était située non pas sur le territoire de la commune de Oarja, mais sur celui de la commune de Bradu (Argeş) et que, dès lors, elle devait être restituée aux habitants de Bradu et non pas à ceux de Oarja. Par la suite, l’ensemble du terrain qui avait été restitué aux habitants de Oarja – y compris les 5 500 m² dont la requérante était devenue propriétaire le 2 juin 1997 – fut restitué par des décisions administratives définitives à des habitants de la commune de Bradu. Les bénéficiaires de ces restitutions vendirent les terrains à des tiers. La société commerciale SC Aws Singapore Properties SRL acheta à ces tiers un terrain qui incluait, aux dires de la requérante, les 5 500 m² sur lesquels elle possédait un titre de propriété, et y construisit un centre commercial. Dans une décision définitive du 14 mars 2011, le tribunal départemental d’Argeş, se fondant sur un rapport d’expertise et constatant que le terrain de 5 500 m² appartenant à la requérante n’était pas le même que celui sur lequel des tiers, y compris la société commerciale SC Aws Singapore Properties SRL, possédaient des titres de propriété, refusa d’annuler le titre de propriété de la société commerciale. Alléguant que le rapport d’expertise pris en considération dans la procédure susdécrite était inexact et que le terrain vendu à des tiers, y compris à la société commerciale susmentionnée, correspondait bien à son terrain de 5 500 m², la requérante déposa une plainte pénale, à la suite de laquelle, selon les parties, des poursuites ont été ouvertes en 2010 à l’encontre de l’expert. La procédure serait toujours pendante. b) Autres litiges Le 16 octobre 2000, la requérante introduisit une action à l’encontre de l’entreprise Arpechim, qui exploitait du pétrole sur un terrain voisin. Elle demandait à être dédommagée pour des dégâts qu’un déversement de pétrole avait, à ses dires, provoqués sur son terrain. Par une décision définitive du 17 novembre 2004, la cour d’appel de Piteşti ordonna à cette entreprise de procéder au nettoyage du terrain de la requérante et octroya à celle-ci 601 727 320 lei (ROL) en guise de dédommagement. Par une décision définitive du 13 janvier 2010, la Cour de cassation constata que, par la faute de la requérante, l’entreprise Arpechim n’avait pu exécuter qu’en partie la décision du 17 novembre 2004. Requête no 33514/02 introduite par M. Alexandru Mocănaşu En 1977, les autorités procédèrent à la démolition d’une maison appartenant au requérant, située dans le centre de Iaşi. Celui-ci fut relogé dans un appartement situé dans un quartier périphérique de cette ville. L’intéressé et son épouse occupèrent ce logement en tant que locataires jusqu’en 1991, année où ils l’achetèrent. En 1985, le terrain sur lequel était construite la maison, d’une superficie de 246 m², fut exproprié par décret. Le requérant ne se vit octroyer aucune indemnité. Après la chute du régime communiste et l’adoption de la loi no 18/1991, le requérant demanda la restitution du terrain. Tant le préfet de Iaşi – par une décision du 15 septembre 1993 – que les juridictions nationales rejetèrent sa demande, au motif que la loi no 18/1991 ne permettait pas une telle restitution. Après l’entrée en vigueur de la loi de restitution no 10/2001, le requérant déposa auprès de la préfecture de Iaşi une demande d’indemnisation pour la maison et pour le terrain. Il fut informé qu’il lui fallait attendre la publication des règlements d’application de la loi précitée. Par la décision no 645 du 22 mars 2006, le maire de Iaşi rejeta la demande d’indemnisation pour la maison au motif que celle-ci avait été démolie à la suite du séisme de 1977, mais il accorda pour le terrain une indemnité dont le montant devait être calculé et octroyé conformément à la procédure prévue par la loi no 247/2005. Par une décision du 8 juillet 2008, la Commission centrale d’indemnisation (Comisia centrală pentru Stabilirea Despăgubirilor, « la Commission centrale ») émit en faveur des héritiers du requérant, décédé en février 2005, des titres de paiement, en dédommagement pour le terrain, d’un montant de 60 354,25 lei (RON) à l’ordre de M. Mihai Mocănaşu et du même montant à l’ordre de Mme Liliana Macovei. À ce jour, les requérants n’ont pas perçu les sommes octroyées par la décision du 8 juillet 2008. Requête no 38052/02 introduite par M. Manole Corocleanu Le requérant introduisit des demandes de restitution portant sur plusieurs biens. a) L’immeuble sis 40 rue Libertăţii, à Sighişoara Le 31 août 2007, le requérant se vit restituer cet immeuble en l’état, à savoir avec les contrats de location en cours pour dix unités locatives. Il affirme que, depuis la restitution, les locataires occupent son bien sans aucune contrepartie et que les autorités locales refusent de s’acquitter de l’obligation que leur ferait la loi no 84/2008 de reloger ailleurs ces personnes. b) L’immeuble sis 68 rue Libertăţii, à Sighişoara Cet immeuble fut vendu aux locataires. Le requérant se vit octroyer, en vertu de la loi no 112/1995, un dédommagement qu’il perçut à une date non précisée. c) L’immeuble sis boulevard Kogălniceanu, à Bucarest Le 24 juin 1992, le requérant entama devant le tribunal de Bucarest une procédure judiciaire en vue de la restitution de cet immeuble. Après un arrêt rendu par ce tribunal et une décision adoptée par la cour d’appel de Bucarest, la procédure prit fin par un arrêt définitif du 19 novembre 2004, par lequel la Cour de cassation rejetait la demande du requérant au motif qu’il n’était plus possible de déterminer avec exactitude la partie qui avait appartenu aux parents du requérant en raison des aménagements intérieurs successifs auxquels il aurait été procédé sur l’ensemble immobilier dans lequel se trouvait le bien réclamé. L’intéressé introduisit également une demande administrative de restitution en 2001. Il se vit restituer cet immeuble par une décision administrative du 21 février 2004. Par la suite, en 2008, il le vendit à des tiers. d) L’immeuble sis 24 rue Nicolae Bălcescu, à Sibiu Par une décision de justice de 2006, confirmée par un arrêt définitif du 23 octobre 2007 du tribunal départemental de Sibiu, la mairie de Sibiu fut condamnée, en vertu de la loi no 10/2001, à octroyer un dédommagement au requérant pour cet immeuble, dont la restitution en nature n’était pas possible. Le 26 février 2008, le maire de Sibiu délivra une décision reconnaissant le droit du requérant à percevoir une indemnité pour l’immeuble. À ce jour, aucune somme n’a été fixée à cet égard. e) Le terrain forestier de 123 ha situé dans le département de Mureş Le requérant déposa sa demande de restitution en 1994. Le terrain lui fut restitué par étapes en 2006 et 2007. f) Le terrain situé dans le département de Sibiu Héritier d’un terrain ayant appartenu à ses parents dans la région de Şelimbăr (Sibiu), le requérant se vit restituer une partie de ce terrain et offrir un autre terrain en compensation de la partie non restituée. Requête no 25821/03 introduite par M. Ioan Butoi En février 1995, le requérant introduisit devant la cour d’appel de Braşov une action en restitution d’un terrain intra-muros situé à Râşnov (Braşov). À l’appui de sa demande, il invoquait la loi de restitution no 18/1991. Il y avait joint des documents dont il ressortait qu’il avait été propriétaire d’un terrain d’environ 328 m² à Râşnov et que l’État en avait pris possession, de manière abusive à ses yeux, en l’absence de tout titre. Sa demande fut rejetée par une décision définitive du 27 mars 1997 de la Cour suprême de justice, au motif qu’il n’était pas en droit de bénéficier des dispositions de la loi no 18/1991. À la suite des modifications successives apportées par la loi no 18/1991 et par d’autres lois de restitution, la préfecture de Braşov demanda à plusieurs reprises en 2002 à la mairie de Râşnov de restituer le terrain au requérant ou, à défaut de terrain disponible, d’octroyer à l’intéressé un dédommagement dans le délai prescrit par l’article 23 de la loi no 10/2001. Le 12 juillet 2007, la mairie de Râşnov rejeta cette demande au motif que ni le requérant, décédé en 2003, ni son héritier n’avaient fourni tous les documents nécessaires pour l’examen de la demande, dont notamment « l’acte d’expropriation » et une déclaration sur l’honneur devant notaire attestant que le requérant n’avait pas été dédommagé pour « l’expropriation » subie. Requête no 29652/03 introduite par M. Reimar Karl Orendi Le 19 septembre 2001, après l’adoption de la loi no 10/2001, le requérant et d’autres membres de sa famille déposèrent une demande en restitution d’un bien immeuble composé d’un chalet et d’un terrain de 200 m² situés à Păltiniş (Sibiu). À la suite du décès du requérant, survenu le 10 juin 2005, la procédure fut poursuivie par ses héritiers, à savoir sa veuve, Mariana Orendi, et B.O. Par une décision définitive rendue le 28 avril 2011, la cour d’appel de Alba-Iulia ordonna à la mairie de Păltiniş d’octroyer un dédommagement à Mme Orendi et à B.O. pour une quote-part correspondant à la moitié du bien. La décision n’a pas été exécutée à ce jour. Requête no 3736/03 introduite par Mme Rodica Rodan et M. Sorin-Emanuel Rodan En 1950, l’État, invoquant le décret no 92/1950, s’appropria l’immeuble sis 28 rue Moise Nicoară, à Bucarest, et appartenant à la mère des requérants, Mme Lydia Rodan. L’immeuble fut ensuite partagé en trois appartements occupant chacun un étage, que l’État mit en location. Jusqu’en 1990, Mme Rodan demanda en vain à plusieurs reprises aux autorités communistes de lui restituer le bien. Elle soutenait que sa situation n’entrait pas dans le champ d’application du décret no 92/1950. Après la chute du régime communiste, fin décembre 1989, Mme Lydia Rodan réitéra sans succès auprès des autorités sa demande de restitution, argüant de l’illégalité de la nationalisation du bien. En 1993, elle informa les locataires de l’immeuble qu’elle avait été illégalement privée de son bien et qu’elle avait l’intention de le récupérer. Elle les invita également à chercher d’autres solutions pour se loger. Lydia Rodan décéda en 1995, laissant ses biens en héritage à ses deux enfants, qui poursuivirent les démarches qu’elle avait entreprises. Le 30 septembre 1996, l’État vendit l’appartement situé au premier étage de l’immeuble aux locataires qui l’occupaient. Par un jugement du 20 novembre 1998, le tribunal de première instance du 3e arrondissement de Bucarest accueillit l’action en revendication immobilière introduite par les requérants, confirma l’illégalité de la prise de possession par l’État et ordonna à ce dernier de restituer l’immeuble aux requérants, propriétaires légitimes. Ce jugement fut confirmé en dernier ressort le 3 février 2000 par une décision de la cour d’appel de Bucarest. Le 27 janvier 2002, la mairie de Bucarest, gestionnaire des logements d’État, ordonna la restitution du bien, à l’exception de l’appartement du premier étage qui n’était plus propriété de l’État. Le 13 février 2002, les requérants demandèrent à la mairie de Bucarest de leur restituer cet appartement ou, à défaut, de leur octroyer un dédommagement d’un montant équivalent à sa valeur. Par un arrêt définitif du 14 juin 2002, la cour d’appel de Bucarest rejeta l’action en justice que les requérants avaient introduite en vue d’obtenir l’annulation de la vente par l’État de l’appartement situé au premier étage. Après avoir constaté la légitimité des titres de propriété des requérants et des tiers acheteurs, elle refusa d’annuler la vente en se fondant sur la bonne foi des acheteurs lors de l’achat. À ce jour, les requérants n’ont ni retrouvé la possession de l’appartement ni obtenu de dédommagement. Requête no 17750/03 introduite par Mme Ilinca Burcea et M. Năstase Burcea Mme Ilinca Burcea est la mère de M. Năstase Burcea. a) Procédures civiles concernant le terrain Le 6 juin 1995, en application de la loi no 18/1991, la requérante se vit octroyer un titre de propriété pour un terrain de 4,42 ha situé à Tătărăştii de Jos (département de Teleorman). Les requérants utilisèrent le terrain sans entrave jusqu’en 1999. En 1996, un titre de propriété pour le même terrain fut délivré à des tiers. Ceux-ci introduisirent une action en annulation du titre de propriété de la requérante, action qui fut rejetée par un arrêt définitif de la cour d’appel de Bucarest du 24 octobre 2001, au motif que les tiers avaient la possibilité d’engager une action en rectification du titre de propriété de la requérante. Les tiers introduisirent une telle action, qui fut rejetée par une décision définitive de la cour d’appel de Bucarest du 12 septembre 2002. À ce jour, les deux titres de propriété délivrés aux noms, d’une part, de la requérante et, d’autre part, des tiers sont restés inchangés. Dans une communication datée du 4 octobre 2013, la mairie de Tătărăştii de Jos informa le Gouvernement qu’il appartenait à la commission départementale de restitution ou d’indemnisation de Teleorman, créée en vertu de la loi de restitution no 165/2013, d’annuler, en application de l’article 47 § 1 de ladite loi, l’un des deux titres de propriété délivrés dans la présente affaire. b) Procédures pénales pour entrave à l’utilisation du terrain Entre-temps, le 6 avril 1998, la chambre pénale du tribunal départemental de Teleorman avait acquitté la requérante des accusations d’entrave à l’usage du terrain portées contre elle par les tiers qui détenaient eux aussi un titre de propriété pour le même bien. Les tiers déposèrent une nouvelle plainte pénale en juillet 1998. Par une décision définitive du 11 janvier 1999, le tribunal départemental de Teleorman déclara la requérante coupable d’entrave à l’usage du terrain et la condamna à une peine de deux ans et six mois d’emprisonnement avec sursis. En juin 1998, la requérante déposa une plainte pénale à l’encontre des mêmes tiers pour entrave à l’usage du terrain. Par une décision définitive du 23 février 1999, la chambre pénale du tribunal départemental de Teleorman déclara les tiers coupables d’entrave à l’usage du terrain au sens de l’article 220 du code pénal. Par une décision définitive du 19 septembre 2002, le tribunal départemental de Teleorman, saisi d’un recours en révision, annula les décisions de condamnation des 11 janvier et 23 février 1999, constatant que des titres de propriété avaient été délivrés en faveur tant de la requérante que des tiers et que, dès lors, tous les bénéficiaires avaient le droit d’utiliser ledit terrain. Requête no 28688/04 introduite par MM. Alexandru Baizath, Francisc Bajsat et Istvan Bajsat et Mmes Susana Konradi et Victoria Bajzat En 1953, en vertu du règlement no 398/1953, l’État confisqua un terrain de 6 500 m² appartenant aux époux F. Par la suite, ce terrain devint la propriété, dans un premier temps, de B.S. puis, dans un deuxième temps, de la coopérative agricole de production de la localité de Nimigea. Les requérants sont les héritiers de B.S. Par une décision du 28 janvier 1992 rendue en vertu de la loi no 18/1991, la commission locale de restitution ou d’indemnisation de Nimigea attribua à B.S. la propriété d’un terrain englobant le terrain susmentionné. B.S. en devint formellement propriétaire le 8 juin 1995, sur la base d’un procès-verbal qui clôturait la procédure de restitution. T.S., K.C. et K.R. sont les héritiers des époux F. Par une décision administrative de 1991, la commission locale leur attribua la propriété, en vertu de la loi no 18/1991, d’un terrain de 4,48 ha, sans toutefois en préciser l’emplacement. Leur demande visant à l’octroi du terrain de 6 500 m² confisqué aux époux F. en 1953 fut rejetée au motif que B.S. en était devenu propriétaire le 8 juin 1995. Après l’entrée en vigueur de la loi no 1/2000 portant modification de la loi no 18/1991, T.S., K.C. et K.R. réitérèrent leur demande d’octroi de la propriété du terrain litigieux. Par une décision du 20 novembre 2000, la commission départementale de restitution ou d’indemnisation de Bistriţa-Năsăud annula le procès-verbal du 8 juin 1995 (paragraphe 54 ci-dessus) et enjoignit à la commission locale d’octroyer à T.S., K.C. et K.R. la propriété du terrain de 6 500 m² jusqu’alors utilisé par B.S. En 2001, B.S. introduisit une action en justice demandant l’annulation de la décision du 20 novembre 2000. À la suite du décès de B.S., les requérants poursuivirent la procédure. Le 19 décembre 2003, le tribunal départemental de Bistriţa-Năsăud rejeta l’action, jugeant qu’au vu des preuves du dossier T.S., K.C. et K.R. étaient en droit de se voir reconnaître un droit de propriété sur ce terrain. À ce jour, les requérants n’ont ni obtenu la propriété d’un autre terrain ni touché une indemnisation. Dans une communication datée du 2 octobre 2013, la mairie de Nimigea informa le Gouvernement qu’il appartenait à la commission locale de Nimigea, créée en vertu de la loi no 165/2013, de faire aux héritiers de B.S. une nouvelle proposition d’octroi de la propriété d’un terrain ayant la même surface que celui dont la propriété avait été attribuée à B.S. en 1992. B. L’arrêt pilote Maria Atanasiu et autres c. Roumanie et ses incidences sur les autres affaires similaires Le 12 octobre 2010, la Cour a rendu l’arrêt pilote Maria Atanasiu et autres c. Roumanie (nos 30767/05 et 33800/06). Dans cet arrêt, elle a notamment dit que l’État roumain devait prendre, dans un délai de dix-huit mois suivant la date à laquelle l’arrêt deviendrait définitif, des mesures de caractère général visant à l’efficacité du mécanisme d’indemnisation et de restitution et à la protection effective dans ce contexte des droits énoncés par l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. La Cour a aussi décidé d’ajourner pour une période de dix-huit mois à compter de la date à laquelle cet arrêt deviendrait définitif l’examen de toutes les requêtes résultant de la même problématique générale, en attendant l’adoption par les autorités roumaines de mesures aptes à offrir un redressement adéquat à l’ensemble des personnes concernées par les lois de réparation (Maria Atanasiu et autres, précité, § 241 et points 6 et 7 du dispositif). Tout comme de nombreux autres requérants se trouvant dans une situation similaire, les requérants dans la présente affaire ont été informés que l’examen de leurs requêtes serait suspendu jusqu’au 12 juillet 2012 et que la procédure ultérieure serait fixée par la Cour à la lumière des mesures d’exécution de l’arrêt pilote que prendrait le gouvernement roumain. Le 5 juin 2012, la Cour a décidé d’accéder à la demande du Gouvernement visant à proroger jusqu’au 12 avril 2013 le délai qui lui avait été accordé pour remédier aux dysfonctionnements du mécanisme d’indemnisation et de restitution conformément aux décisions prises par la Cour dans son arrêt pilote. Le 2 avril 2013, à la demande du Gouvernement, la Cour a prorogé ce délai jusqu’au 12 mai 2013. Le 7 mai 2013, la Cour a décidé de maintenir l’ajournement de l’examen des requêtes résultant de la problématique visée par l’arrêt pilote jusqu’à ce qu’elle ait examiné les suites données par le Gouvernement à l’arrêt pilote. Le 16 mai 2013, le Parlement a adopté la loi no 165/2013 relative à la finalisation du processus de restitution, en nature ou par équivalent, des biens immeubles transférés abusivement dans le patrimoine de l’État sous le régime communiste en Roumanie. Le 10 septembre 2013, la Cour a décidé de demander aux parties de formuler des observations sur l’efficacité du mécanisme de restitution et d’indemnisation tel que modifié par la loi no 165/2013. Le 10 octobre 2013, les parties ont formulé des observations en réponse. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le cadre législatif, la pratique administrative et la jurisprudence des tribunaux quant au droit à restitution et/ou à indemnisation avant l’entrée en vigueur de la loi no 165/2013 Les principales dispositions législatives, la pratique administrative et la jurisprudence concernant la restitution et l’indemnisation pour les biens immeubles et terrains nationalisés ou confisqués par l’État sous le régime communiste ont été décrites dans l’arrêt pilote Maria Atanasiu et autres (précité, §§ 44-80, avec les références qui y figurent). L’article 22 de la loi no 10/2001 relative au régime juridique de certains biens immeubles que l’État s’est appropriés abusivement pendant la période comprise entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, qui est entrée en vigueur le 14 février 2001, prévoyait que les bénéficiaires disposaient d’un délai de six mois, sous peine de déchéance, pour demander la restitution de leur bien ou un dédommagement. Ce délai a été ensuite prolongé jusqu’au 14 février 2002 par les ordonnances d’urgence du gouvernement no 109/2001 et no 145/2001. B. La loi no 165/2013 relative à la finalisation du processus de restitution, en nature ou par équivalent, des biens immeubles transférés abusivement dans le patrimoine de l’État sous le régime communiste en Roumanie Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 165/2013, entrée en vigueur le 20 mai 2013, se lisent comme suit : Chapitre II La restitution en nature des immeubles transférés abusivement dans le patrimoine de l’État sous le régime communiste Article 3 « Au sens de la présente loi, les expressions et termes ci-dessous s’entendent ainsi : (...) (7) le tableau d’évaluation (grila) des notaires : guide précisant les valeurs indicatives des propriétés immobilières, utilisé par les chambres des notaires et mis à jour conformément à l’article 771 (5) [concernant la valeur marchande (de circulaţie) des biens immeubles] de la loi no 571/2003 sur le code fiscal (...) » Article 4 « Les dispositions de la présente loi sont applicables aux demandes qui ont été formulées et déposées auprès des entités instituées par la loi dans les délais prescrits, et qui n’ont pas été réglées avant l’entrée en vigueur de la présente loi, ainsi qu’aux litiges concernant la restitution des biens immeubles pris abusivement et qui, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, sont pendants devant les juridictions internes ou qui sont enregistrés au rôle de la Cour européenne des droits de l’homme et dont l’examen a été ajourné en vertu de l’arrêt pilote du 12 octobre 2010 rendu dans l’affaire Maria Atanasiu et autres contre la Roumanie. » Article 5 « Une commission locale chargée de l’inventaire des terrains sera créée au niveau de chaque département, par ordre du préfet, dans un délai de trente jours à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi (...) » Article 8 « (1) Dans un délai de cent vingt jours à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, les commissions locales de restitution des terrains devront centraliser toutes les demandes de restitution non réglées afin de déterminer la superficie de terrain nécessaire à la finalisation du processus de restitution. » Article 11 « (1) Les commissions locales et départementales de restitution des terrains ou, selon le cas, la commission municipale de restitution des terrains de Bucarest ont l’obligation de finaliser au 1er janvier 2016 tous les dossiers de demandes de restitution, de mise en possession et d’émission de titres de propriété. » Article 12 « (1) Lorsque la restitution des terrains agricoles à leur emplacement d’origine n’est pas possible, après que les commissions départementales de restitution des terrains ou, le cas échéant, la commission municipale de restitution des terrains de Bucarest auront validé l’étendue de leurs droits, l’ancien propriétaire ou ses héritiers se verront octroyer la propriété d’un terrain sur l’un des emplacements ci-dessous, dans l’ordre suivant : – sur un terrain qui fait partie de la réserve de la commission locale de restitution des terrains ; – sur le pâturage communal ; – sur un terrain qui se trouvait dans la propriété publique et qui a été transféré, dans le respect de la loi, dans la propriété privée de l’État, ou sur un terrain qui se trouvait dans la propriété privée de l’État et dont la gestion a été confiée à des instituts, stations de recherche et autres institutions publiques faisant partie de la même collectivité territoriale ; (...) (3) L’octroi de la propriété des terrains par la commission locale de restitution des terrains se fait suivant l’ordre chronologique d’enregistrement des demandes initiales de restitution, dans le strict respect de l’ordre des catégories de terrains prévues au premier alinéa. L’ancien propriétaire ou ses héritiers peuvent refuser le terrain proposé s’il fait partie de la réserve de la commission locale ou du pâturage communal. » Article 13 « (1) Lorsque la restitution des terrains forestiers à leur emplacement d’origine n’est pas possible, l’octroi de la propriété se fait sur d’autres emplacements de la même collectivité territoriale, même lorsque ces terrains ont appartenu à l’État avant 1948 ou qu’ils sont devenus propriété de l’État après cette date ou qu’ils ont été inclus dans des aménagements forestiers après cette date. (2) Lorsqu’il n’y a pas de terrain forestier disponible dans la même collectivité territoriale, l’octroi de la propriété se fait sur des terrains forestiers situés dans d’autres collectivités territoriales du même département, avec l’approbation de la commission départementale de restitution des terrains (...) » Chapitre III L’octroi de mesures compensatoires Article 16 « (1) Les demandes de restitution que les entités instituées par la loi n’ont pas pu régler par une restitution en nature seront réglées par l’octroi d’une compensation fondée sur un système de points, dont le nombre sera calculé conformément à l’article 21 §§ 6 et 7. » Article 17 « (1) En vue de la finalisation du processus de restitution, en nature ou par équivalent, de biens immeubles transférés abusivement dans la propriété de l’État pendant le régime communiste, la Commission nationale pour la compensation des immeubles, ci-après dénommée la Commission nationale, a été constituée sous l’autorité de la chancellerie du Premier Ministre. Elle a pour missions principales : – de valider/d’invalider tout ou partie des décisions prises par les entités instituées par la loi et comportant la proposition d’octroi d’une compensation ; – d’ordonner l’émission des décisions de compensation ; (...) » Article 21 « (1) En vue de l’octroi d’une compensation pour les biens immeubles qui ne peuvent pas être restitués en nature, les entités instituées par la loi transmettent au secrétariat de la Commission nationale les décisions contenant la proposition d’octroi d’une compensation, les documents sur lesquels ces décisions sont fondées et les documents attestant la situation juridique du bien à la date de la décision. (...) (3) Les décisions des autorités de l’administration publique locale, émises conformément à la loi n10/2001 (...), sont transmises au secrétariat de la Commission nationale après un contrôle de légalité par le préfet. Les dispositions de l’article 11, alinéas (1) et (2), de la loi n554/2004 sur le contentieux administratif (...) restent applicables (...) (6) L’évaluation du bien immeuble objet de la décision se fait par l’application, par le secrétariat de la Commission nationale, des montants indiqués dans le tableau d’évaluation des notaires valable à la date d’entrée en vigueur de la présente loi. La valeur est exprimée en points. Un point équivaut à 1 leu. (...) (9) En cas de validation de la décision de l’entité instituée par la loi, la Commission nationale émet la décision de compensation indiquant la valeur, exprimée en points, de l’immeuble saisi abusivement. » Article 24 « (1) Le nombre de points fixé par la décision de compensation émise au nom du titulaire du droit de propriété, c’est-à-dire au nom de l’ancien propriétaire ou de ses héritiers ou légataires, ne pourra être limité par des mesures de plafonnement. » Article 27 « (1) Les points octroyés par la décision de compensation pourront, dès le 1er janvier 2016, servir à l’achat de biens immeubles du Fonds national dans des procédures d’enchères nationales publiques. » Article 31 « (1) Dans un délai de trois ans à compter de l’émission de la décision de compensation par points, mais au plus tôt le 1er janvier 2017, le bénéficiaire pourra opter pour la conversion des points en numéraire. (2) Dans ce but, le bénéficiaire pourra, à compter du 1er janvier 2017, solliciter annuellement auprès de l’Autorité nationale pour la restitution des propriétés [ANRP] l’émission d’un titre de paiement pour un maximum de 14 % des points que lui a octroyés la décision de compensation et qui n’auront pas été utilisés lors des enchères immobilières. La dernière tranche annuelle sera de 16 % des points octroyés. (3) Les sommes indiquées dans les titres mentionnés au deuxième alinéa seront payées par le ministère des Finances publiques dans un délai maximal de cent quatre-vingts jours à compter de la date de l’émission du titre. (4) Les points qui n’ont pas été convertis en numéraire pourront continuer à être utilisés lors des enchères nationales immobilières. (5) La procédure d’échange des points en numéraire sera fixée par les règlements d’application de la présente loi. » Chapitre IV Mesures relatives à l’accélération du règlement des demandes de restitution Article 32 « (1) Les personnes qui s’estiment concernées disposent d’un délai de quatre-vingt-dix jours pour compléter par des documents les dossiers qu’elles ont déposés auprès des entités instituées par la loi. Le délai court à compter de la date à laquelle la personne concernée a été informée par écrit des documents à fournir pour le règlement de sa demande. » Article 33 « (1) Les entités instituées par la loi doivent procéder au règlement des demandes formulées en vertu de la loi n10/2001 (...) qui étaient enregistrées mais non réglées à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, en délivrant une décision d’admission ou de rejet, dans les délais suivants : (...) – trente-six mois pour les entités instituées par la loi qui ont encore plus de 5 000 demandes en attente. (2) Les délais prévus au premier alinéa courent à compter du 1er janvier 2014. » Article 34 « (1) Les dossiers enregistrés auprès du secrétariat de la Commission centrale d’indemnisation seront réglés dans un délai de soixante mois à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, à l’exception des dossiers concernant la restitution des terrains extra-muros, qui seront réglés dans un délai de trente-six mois. (2) Les dossiers qui seront envoyés au secrétariat de la Commission nationale après l’entrée en vigueur de la présente loi seront réglés dans un délai de soixante mois à compter de la date de leur enregistrement, à l’exception des dossiers concernant la restitution des terrains extra-muros, qui seront réglés dans un délai de trente-six mois. » Article 35 « (1) Les décisions prises conformément aux articles 33 et 34 peuvent être attaquées par la personne qui s’estime concernée auprès de la chambre civile du tribunal départemental dans le ressort duquel se trouve le siège de l’entité dans un délai de trente jours à compter de la communication de la décision. (2) Lorsque l’entité instituée par la loi ne prend pas de décision dans les délais prévus par les articles 33 et 34, la personne qui s’estime concernée peut s’adresser au tribunal mentionné au premier alinéa dans un délai de six mois à compter de l’expiration des délais prévus par la loi pour la prise de décision. (3) Dans les cas mentionnés aux alinéas (1) et (2), le tribunal se prononce tant sur l’existence que sur l’étendue du droit de propriété et ordonne, selon le cas, la restitution en nature ou l’octroi d’une compensation selon la présente loi. (4) Les décisions de justice prononcées en vertu de l’alinéa (3) peuvent être attaquées par voie d’appel uniquement. (5) Les demandes ou actions en justice formulées en vertu des alinéas (1) et (2) sont exemptées de droit de timbre. » Chapitre VI Dispositions transitoires et diverses Article 41 « (1) Le paiement des sommes représentant des dédommagements approuvés par la Commission centrale d’indemnisation avant l’entrée en vigueur de la présente loi, ainsi que le paiement des sommes fixées par des jugements qui sont définitifs et irrévocables à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, s’effectueront dans un délai de cinq ans à compter du 1er janvier 2014, par tranches annuelles égales. (2) La valeur d’une tranche ne pourra être inférieure à 5 000 lei. (3) En vue de l’exécution des obligations prévues au premier alinéa, la Commission nationale émettra des titres de paiement en dédommagement selon la procédure suivie par la Commission centrale d’indemnisation. (4) Le titre de paiement sera émis par l’Autorité nationale pour la restitution des propriétés dans les conditions prévues par les alinéas (1) et (2) et sera payé par le ministère des Finances publiques dans un délai maximal de cent quatre-vingts jours à compter de son émission. (5) Les obligations relatives à l’émission des titres de paiement en dédommagement établis par des jugements qui sont définitifs et irrévocables à la date d’entrée en vigueur de la présente loi seront exécutées conformément à l’article 21. » Article 47 « (...) (2) Lorsque deux ou plusieurs titres de propriété ont été délivrés pour tout ou partie d’un même terrain sur le même emplacement, la commission départementale aura compétence pour annuler intégralement ou partiellement les titres les plus récents. (3) La commission départementale ordonnera l’émission d’un nouveau titre en remplacement du titre annulé ou, selon le cas, proposera l’octroi de mesures compensatoires conformément à la présente loi. » C. Dispositions pertinentes des règlements d’application de la loi no 165/2013 Le 19 juin 2013, le gouvernement adopta les règlements d’application de la loi no 165/2013, entrés en vigueur le jour de leur publication au Journal officiel, le 29 juin 2013. Les chapitres I et II des règlements contiennent des dispositions concernant la constitution et le mode de fonctionnement de la commission prévue à l’article 5 de la loi. Le chapitre III décrit la procédure de conversion des points en numéraire prévue à l’article 31 de la loi, dont les articles pertinents en l’espèce se lisent ainsi : Article 20 « (1) Lorsque les droits découlant des décisions de compensation ont été transmis ou convertis en partie dans le cadre des enchères ou en numéraire, l’Autorité nationale pour la restitution des propriétés délivrera des attestations de détention de points. (2) En vertu de la décision de compensation émise au nom du titulaire du droit de propriété, des attestations de détention de points seront délivrées, à titre individuel, dans les cas suivants : (...) (3) La forme, le mode d’enregistrement et le délai de délivrance de l’attestation de détention de points seront fixés par ordre du président de l’Autorité nationale pour la restitution des propriétés. (4) L’original de la décision de compensation sur la base de laquelle l’attestation de détention de points a été délivrée restera détenu par l’Autorité nationale pour la restitution des propriétés. » Article 21 « (4) L’original du titre de paiement sera communiqué au ministère des Finances publiques et aux bénéficiaires. (5) Aux fins de conversion du titre de paiement, un point équivaut à 1 leu. (6) La procédure de paiement sera fixée par le ministère des Finances publiques au plus tard le 31 décembre 2016 et devra être approuvée par un ordre du ministre. » Article 22 « (1) Les titres de paiement seront émis dans l’ordre d’enregistrement des dossiers de demande créés auprès de l’Autorité nationale pour la restitution des propriétés avant l’entrée en vigueur de la loi no 165/2013 et des titres de paiement en dédommagement délivrés en vertu de l’article 41 de la même loi. (2) Pour chaque tranche annuelle, l’Autorité nationale pour la restitution des propriétés émettra un titre de paiement. Un original de ce titre sera transmis dans un délai de cinq jours à compter de son émission au ministère des Finances publiques et aux bénéficiaires. (3) La procédure de paiement des titres mentionnés au premier paragraphe sera fixée par le ministère des Finances publiques au plus tard le 31 décembre 2013 et devra être approuvée par un ordre du ministre. » Par l’ordonnance no 1857, entrée en vigueur le 26 novembre 2013, le ministre des Finances publiques approuva la procédure de paiement des montants figurant dans les titres de paiement émis conformément à l’article 41 § 4 de la loi no 165/2013. L’article 1 en est ainsi rédigé : Article 1 Procédures de paiement « (...) (3) Les titres de paiement émis conformément à l’ordre du président de l’Autorité nationale pour la restitution des propriétés (...) sont transmis par cette dernière à un rythme hebdomadaire au ministère des Finances publiques, dans un délai de cinq jours à compter de leur émission. (...) (6) Les paiements seront effectués par le ministère des Finances publiques dans un délai maximum de cent soixante-quinze jours à compter de la réception du titre, sans toutefois dépasser le délai prévu à l’article 41 § 4 de la loi no 165/2013. Ils seront traités par ordre chronologique à compter de la réception du titre par l’Autorité nationale pour la restitution des propriétés et dans la limite des crédits budgétaires ouverts à cet effet (...) » D. La réglementation pertinente concernant l’évaluation des biens Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 571/2003 sur le code fiscal se lisent ainsi : Article 771 « (1) Lors du transfert du droit de propriété et des démembrements de celui-ci par actes entre vifs (...), les contribuables sont redevables d’un impôt (...) (4) L’impôt (...) sera calculé à partir de la valeur déclarée par les parties auxquelles le droit de propriété est transféré (...) Lorsque la valeur déclarée est inférieure à la valeur de référence résultant de l’expertise établie par les soins de la chambre des notaires, l’impôt sera calculé en fonction de la valeur indiquée dans l’expertise (...) (5) Les chambres des notaires mettront à jour au moins une fois par an les expertises relatives à la valeur transactionnelle des biens immeubles, qui seront communiquées aux directions territoriales du ministère des Finances. » Selon l’ordonnance du gouvernement (ordonanţă de guvern) no 24/2011, entrée en vigueur le 5 septembre 2011, l’évaluation des biens immobiliers ne peut être faite que par des experts agréés par l’Association nationale des experts agréés de Roumanie, selon la procédure et dans les conditions définies par cette ordonnance.
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A. Les circonstances de l’espèce Le requérant est né en 1971 et réside à Athènes. En 2001, le Conseil supérieur pour le recrutement du personnel à la fonction publique (« l’ASEP ») annonça un concours pour le recrutement d’experts en informatique à la préfecture d’Athènes. Le requérant participa audit concours et fut inscrit au tableau de classement. Le 7 décembre 2001, il fut embauché à la Municipalité de Nea Smyrni. Le 24 juillet 2002, l’ASEP enleva le requérant du tableau de classement, faute pour lui d’avoir respecté les conditions de nomination (acte no 1498/2002). Le 30 septembre 2002, le requérant saisit la cour d’appel d’Athènes d’un recours en annulation de l’acte no 1498/2002. Le 20 février 2003, son recours fut accepté (arrêt no 168/2003). Le 14 mai 2003, l’ASEP interjeta appel contre l’arrêt no 168/2003. Le 19 avril 2007, le Conseil d’État envoya l’affaire devant la formation de sept juges (décision no 1202/2007). Le 8 octobre 2009, ladite formation du Conseil d’État accepta l’appel, examina le recours du requérant et le rejeta, après avoir constaté que l’acte no 1498/2002 était suffisamment motivé. Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 29 décembre 2009. B. Le droit interne pertinent La loi no 4055/2012 La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose: « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive. (...)
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, dont la liste figure en annexe, sont trente-deux ressortissants afghans, deux ressortissants soudanais et un ressortissant érythréen. Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit. A. Les faits allégués dans la requête Les requérants affirment avoir, à différentes dates au cours des années 2007 et 2008, gagné le territoire grec en provenance de pays en proie à des conflits armés affectant les civils (en l’occurrence l’Afghanistan, le Soudan et l’Érythrée). Après s’être embarqués clandestinement à Patras sur des navires à destination de l’Italie, ils seraient arrivés entre janvier 2008 et février 2009 dans les ports de Bari, Ancône et Venise, où la police des frontières les aurait interceptés et refoulés immédiatement. Selon les requérants, cette pratique du refoulement immédiat était suivie par les autorités italiennes depuis de nombreux mois déjà. Les requérants auraient subi des violences de la part des policiers italiens, puis des équipages des navires et, enfin, de la police grecque. Selon eux, ni l’Italie ni la Grèce ne leur auraient permis de demander l’asile. En ce qui concerne l’Italie, les requérants n’auraient pas eu la possibilité d’entrer en contact avec des avocats et des interprètes. Aucune information sur leurs droits ne leur aurait été fournie. De même, ils n’auraient reçu aucun document « officiel, écrit et traduit » relatif à leur refoulement. Ils allèguent que la police des frontières italienne les a immédiatement ramenés dans les navires dont ils venaient de débarquer et qu’ils ont été enfermés dans des cabines ou même dans les toilettes tout au long du voyage de retour vers la Grèce. À l’encontre de la Grèce, ils se plaignent d’avoir, dans un premier temps, été placés dans des centres de rétention, puis d’avoir dû, après leur remise en liberté, vivre dans des conditions précaires dans le camp de Patras. Ils soulignent les difficultés rencontrées dans les démarches à accomplir pour l’obtention de l’asile. B. La position des gouvernements défendeurs concernant l’identité des requérants et les faits allégués dans la requête Le gouvernement italien affirme que, parmi les requérants, seul M. Reza Karimi aurait atteint le territoire italien. Caché avec dix-sept autres clandestins dans un camion transportant des légumes, le requérant aurait été découvert par la police dans le port d’Ancône le 14 janvier 2009 et refoulé vers la Grèce le jour même. Il serait arrivé à Patras le 15 janvier. L’âge déclaré le 14 janvier par l’intéressé ne correspondrait toutefois pas à celui indiqué dans la requête. À l’appui de ces affirmations, le 11 septembre 2009, le Gouvernement a soumis à la Cour copie d’un formulaire de la police des frontières d’Ancône, daté du 14 janvier 2009, rempli à la main et signé par M. Reza Karimi, contenant les informations suivantes : nom, prénom, prénom du père, nom et prénom de la mère, lieu de naissance, année de naissance, nationalité. De son côté, le gouvernement grec fait savoir que les registres du service de l’immigration de son ministère de l’Intérieur ne confirment la présence en Grèce que de dix des requérants seulement. Il donne à leur sujet les précisions suivantes. – Nima Rezai : il s’agirait probablement, selon les déclarations de l’intéressé, de Nema Rezai, ressortissant afghan né le 1er janvier 1990, arrêté à Patras le 3 décembre 2008 en raison de l’illégalité de son entrée et de son séjour en Grèce. Le 6 décembre 2008, la direction de la police d’Achaia adopta à son encontre un arrêté d’expulsion (no 2541/08-1A). Un exemplaire de la brochure d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion lui aurait été remis. N’ayant pas été considéré comme dangereux pour l’ordre public ou la sécurité, le requérant fut remis en liberté avec ordre de regagner son pays dans les 30 jours. Le 30 juin 2009, il fut de nouveau arrêté à Patras au motif qu’il résidait illégalement en Grèce. Il se vit remettre une nouvelle brochure d’information et la direction de la police d’Achaia adopta un deuxième arrêté d’expulsion (no 2541/08-2A) et lui imposa un placement en rétention. Il fut par la suite transféré au commissariat de police de Pyrgos en raison de la situation de surpeuplement du centre de rétention de la direction de la police d’Achaia. Le 16 septembre 2009, le directeur général de la police de la Grèce-Occidentale suspendit l’exécution de l’expulsion et remit le requérant en liberté, sur le vu de la traduction fournie par lui de la décision de la Cour en date du 23 juin invitant le gouvernement grec à surseoir à son expulsion. – Sarpar Agha Khan : il s’agirait probablement, selon les déclarations de l’intéressé, de Sardayasha Khan, ressortissant afghan né le 1er janvier 1982, arrêté à Patras le 1er octobre 2008 en raison de l’illégalité de son entrée et de son séjour en Grèce. Parti sur un navire à destination de l’Italie le 29 octobre 2008, il fut refoulé et fit retour en Grèce le 31 octobre. Le 4 novembre 2008, la direction de la police d’Achaia adopta à son encontre un arrêté d’expulsion (no 2212/08-1b), notifié le 6 novembre. La brochure d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion avec placement en rétention lui aurait été remise. Le requérant fut par la suite transféré dans l’établissement spécial de rétention des étrangers de Kyprinos (Orestiada, département de l’Évros) en raison de la situation de surpeuplement du centre de rétention de la direction de la police d’Achaia. Entre temps, le 28 novembre 2008, le requérant introduisit une demande d’asile politique, laquelle fut rejetée le 14 janvier 2009 par un arrêté de la direction des étrangers (no 4/886727). Notifiée à l’intéressé le 22 janvier, la décision ne fit l’objet d’aucune opposition de sa part. Le 24 juin 2009, le requérant fit retour de Vienne vers la Grèce en application du règlement no 343/2003 (dit règlement « Dublin II » – ou, couramment, « règlement Dublin » –, voir paragraphes 54 et suivants cidessous), puis, le 27 juin, le service des étrangers de l’Attique adopta un nouvel arrêté d’expulsion (no 404983/2-a) sans placement en rétention, avec fixation d’un délai de 30 jours pour quitter le territoire grec. – Reza Karimi : il s’agirait probablement, selon les déclarations de l’intéressé, de l’individu du même nom, ressortissant afghan né le 1er janvier 1974, arrêté à Patras le 16 janvier 2008 en raison de l’illégalité de son entrée et de son séjour en Grèce. Le 16 janvier 2009, la direction de la police d’Achaia adopta à son encontre un arrêté d’expulsion (no 150/09-14) avec placement en rétention. La brochure d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion lui aurait été remise. Le 24 janvier, l’exécution de l’expulsion fut suspendue faute de papiers d’identité pour le voyage de retour ; en conséquence de quoi, le requérant fut remis en liberté, avec obligation de quitter le territoire grec dans les 30 jours. – Rahim Raximi : il s’agirait probablement, selon les déclarations de l’intéressé, de Rahim Rahimi, ressortissant afghan né le 1er janvier 1990, arrêté à Patras le 14 octobre 2008 pour défaut de permis de séjour. Parti à destination de l’Italie à bord du navire Sofoklis Venizelos, le requérant revint en Grèce le 13 octobre 2008 après avoir été refoulé par les autorités italiennes. Le lendemain, le requérant, auquel la brochure d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion fut remise, se vit notifier un arrêté d’expulsion (no 1061/08-1a) sans placement en rétention, adopté à la même date par la direction de la police d’Achaia. Il fut remis en liberté, avec obligation de quitter le territoire grec dans les 30 jours. – Mohammad Issa Sayyed Hashemi : il s’agirait probablement, selon les déclarations de l’intéressé, de Mohamed Issa Hashemi, ressortissant afghan né le 1er janvier 1985, arrêté à Samos le 17 novembre 2008 car dépourvu de papiers. Le requérant, auquel la brochure d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion fut remise, se vit notifier à une date non précisée un arrêté d’expulsion (no 6634/2/2041-10) sans placement en rétention, adopté le 30 novembre par la direction de la police de Samos. Il fut ainsi remis en liberté, avec obligation de quitter le territoire grec dans les 30 jours. – Gabel Omar : il s’agirait probablement, selon les déclarations de l’intéressé, de Gabel Ali, ressortissant somalien né le 1er janvier 1984, arrêté à Samos le 5 décembre 2009 en raison de l’illégalité de son entrée et de son séjour en Grèce. Après avoir reçu la brochure d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion, le requérant se vit notifier à une date non précisée un arrêté d’expulsion (no 6634/2/2063-12) sans placement en rétention, adopté le 8 décembre par la direction de la police de Samos. Il fut remis en liberté, avec obligation de quitter le territoire grec dans les 30 jours. – Nawid Kabiri : il s’agirait probablement, selon les déclarations de l’intéressé, de Nawid Kabiru, ressortissant afghan né le 1er janvier 1992, arrêté à Samos le 17 novembre 2008 car sans papiers. Parti vers l’Italie le 4 janvier 2009 à bord du navire Super Fast XII, il fut refoulé par les autorités italiennes le 6 février 2009. Le 7 février, le requérant fut remis à la division de la sécurité de Patras par l’autorité portuaire centrale de la même ville car il était sans papiers. Le requérant reçut immédiatement un exemplaire de la brochure d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion et se vit notifier un arrêté d’expulsion (no 255/09 1a) sans placement en rétention, adopté le même jour par la direction de la police d’Achaia. Il fut remis en liberté, avec obligation de quitter le territoire grec dans les 30 jours. – Nazar Mohammed Yashidi : il s’agirait probablement, selon les déclarations de l’intéressé, de Nazari Mohamed, ressortissant afghan né le 1er janvier 1988, arrêté à Samos le 9 juin 2008 car sans papiers. Le requérant reçut la brochure d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion et se vit notifier à une date non précisée un arrêté d’expulsion (no 6634/2/1642-e) sans placement en rétention, adopté le 12 juin par la direction de la police de Samos. Il fut remis en liberté, avec obligation de quitter le territoire grec dans les 30 jours. – Rahmat Wahidi : il s’agirait probablement, selon les déclarations de l’intéressé, de l’individu du même nom, ressortissant afghan né le 1er janvier 1990, arrêté à Patras le 8 janvier 2009 en raison de l’illégalité de son entrée et de son séjour en Grèce. Le requérant se vit remettre la brochure d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion avec placement en rétention. Le 11 janvier 2009, la direction de la police d’Achaia adopta à son encontre un arrêté d’expulsion (no 23/09 1b), notifié à une date non précisée. Le 10 janvier, le requérant fut transféré auprès de l’établissement spécial de rétention des étrangers de Kyprinos (Orestiada, département de l’Évros) en raison de la situation de surpeuplement du centre de rétention de la direction de la police d’Achaia. Le 19 janvier, considérant que, faute de papiers d’identité, l’expulsion ne pouvait être exécutée, le directeur général de la police de la Grèce Occidentale suspendit l’exécution de l’expulsion et remit le requérant en liberté. Le requérant était invité à quitter le territoire grec dans les 30 jours. – Mohamad Anif Servery : il s’agirait probablement, selon les déclarations de l’intéressé, de l’individu du même nom, ressortissant afghan né le 1er janvier 1995, arrêté à Samos le 19 août 2008 en raison de l’illégalité de son entrée en Grèce. Le requérant reçut la brochure d’information sur les droits des personnes visées par un arrêté d’expulsion et se vit notifier à une date non précisée un arrêté d’expulsion (no 6634/2/1777-B) sans placement en rétention, adopté le 22 août par la direction de la police de Samos. Le 2 octobre, sur ordre du parquet près le tribunal de première instance de Samos, le requérant fut transféré au centre de Theomitor à Agiagos (Lesvos). C. La correspondance postérieure à l’introduction de la requête et les contacts entre les requérants et leur conseil Le 19 mai 2009, Me Ballerini demanda à la Cour d’indiquer au gouvernement grec, en application de l’article 39 de son règlement, de surseoir à toute expulsion des requérants afghans vers leur pays. Elle expliquait que, quelques jours auparavant, plusieurs groupes de demandeurs d’asile avaient été expulsés du camp de Patras vers la Turquie et, de là, vers l’Afghanistan. Cependant, elle admettait ne pas savoir, en raison des difficultés de communication, combien de requérants avaient déjà été expulsés ni où se trouvaient les autres. Par une lettre du 20 mai 2009, annoncée par télécopie le 19 mai, Me Ballerini fut invitée à étayer sa demande, en indiquant le lieu de rétention des requérants, la date éventuelle de leur expulsion et les risques courus par eux au cas où ils seraient expulsés vers l’Afghanistan. Par une télécopie du 20 mai 2009, Me Ballerini précisa l’emplacement du camp de Patras, en renvoyant pour le reste aux informations contenues dans le formulaire de requête. Le 22 mai 2009, la présidente de la section rejeta la demande d’application d’une mesure provisoire. Par une lettre du 19 juin 2009, Me Ballerini informa la Cour de ce que, dans le cadre de plusieurs descentes de la police grecque dans le camp de Patras et d’opérations similaires menées dans la ville d’Athènes, une centaine de réfugiés avaient été expulsés vers la Turquie, parmi lesquels un des requérants, M. Habib Yosufi (mineur). Un autre requérant (M. Mozamil Azimi) avait déjà été rapatrié en Afghanistan. La situation de certains autres requérants était décrite comme suit : six se trouvaient dans le camp de Patras, six se trouvaient à Athènes, quatre se trouvaient « en Grèce, mais sans qu’on sache où exactement », quatre se trouvaient « probablement encore en Grèce » et un était « entre la Grèce et l’Italie ». Quant aux autres requérants, l’avocate expliquait qu’en raison « du caractère tragique de la situation et des difficultés objectives pour les requérants en termes de mouvement et de communication », elle ne savait pas où ils se trouvaient mais s’efforçait de les joindre. Sa lettre se concluait comme suit : « Je vous demande donc de prendre toutes mesures conservatoires [au sens de l’article 39 du règlement de la Cour] pour éviter le rapatriement des personnes qui se trouvent maintenant dans le camp de Patras [...]. » Le 23 juin 2009, la Cour, en application de l’article 39 de son règlement, invita le gouvernement grec à surseoir à l’expulsion des requérants suivants : MM. Nima Rezai, Malik Merzai, Mustafa Said Mustafa, Alidad Rahimi, Faroz Ahmadi et Hasan Najibi. Par une lettre télécopiée du 2 juillet 2009, Me Ballerini informa la Cour du refoulement de M. Faroz Ahmadi vers la Turquie en dépit de la mesure provisoire susmentionnée (paragraphe 17 cidessus) ainsi que, sans plus de précisions, du refoulement de M. Habib Yosufi (paragraphe 16 cidessus). Dans cette lettre, l’avocate faisait état d’une situation dramatique à Patras, par suite de la fermeture du camp décidée par les autorités grecques et des arrestations massives de demandeurs d’asile par la police. Par une lettre du même jour, envoyée aussi par télécopie, la Cour rappela au gouvernement grec les obligations découlant pour lui de la mesure adoptée en application de l’article 39 du règlement et l’invita à communiquer au greffe dans le plus bref délai toute information utile sur le sort de M. Faroz Ahmadi. Par un message télécopié du 14 juillet 2009, Me Ballerini informa la Cour que la police grecque avait fait évacuer le camp de Patras, en y détruisant les abris des demandeurs d’asile et en arrêtant certains requérants, dont elle affirmait toutefois ne pas être à même d’indiquer les noms à cause de la situation confuse qui régnait. Par un message télécopié du 16 juillet 2009, Me Ballerini indiqua que MM. « Mustafa Mustafa Said et Najibi Haidar », présentés comme étant deux des requérants visés par la mesure adoptée par la Cour en application de l’article 39, avaient été placés en rétention dans une prison aux confins de l’Albanie en vue de leur refoulement, en expliquant que la police grecque niait à ladite mesure tout caractère contraignant. Par une lettre du 17 juillet 2009, la Cour rappela au gouvernement grec les obligations découlant pour lui de la mesure adoptée en application de l’article 39 du règlement, en l’invitant à communiquer au greffe dans le plus bref délai toute information utile sur le sort des requérants. Par une lettre du 26 août 2009, Me Ballerini informa la Cour de ce que M. Nima Rezai se trouvait incarcéré à la prison de Pyrgos, car les autorités grecques, auxquelles il avait montré « la mesure provisoire adoptée par la Cour le 23 juin 2009 », l’accusaient de faux. Selon ses dires, lesdites autorités prétendaient que même les agents du HCR n’avaient pas reconnu l’authenticité du document présenté par l’intéressé. Par une télécopie du 28 septembre 2009, Me Ballerini informa la Cour qu’elle avait adressé à l’antenne du Conseil italien pour les réfugiés (« CIR ») dans le port d’Ancône la lettre suivante : « Je vous écris au nom et dans l’intérêt de M. Rezai Nima, mineur âgé de seize ans et de nationalité afghane, qui est actuellement retenu dans vos bureaux. Je vous informe que M. Rezai Nima a introduit par mon intermédiaire une requête contre l’Italie devant la Cour européenne des droits de l’homme. Cette requête s’est vu attribuer le no 16643/09. La Cour, par une décision du 23 juin 2009, a fait droit à ma demande d’application de l’article 39 du règlement de la Cour en vue de l’interdiction du rapatriement, entre autres, de M. Rezai. Compte tenu de ce qui précède et eu égard au fait que ce mineur est en droit de demander, par mon intermédiaire, la protection de l’Italie et l’octroi du statut de réfugié, je vous demande de bien vouloir le relâcher dans les plus brefs délais afin qu’il puisse me contacter et se rendre à mon cabinet [...]. Je vous rappelle, en outre, que M. Rezai Nima, en tant que mineur et demandeur d’asile, ne peut être ni expulsé ni refoulé, ainsi qu’il ressort, au demeurant, de la décision de la Cour [du 23 juin 2009]. » Par une lettre du 5 octobre 2009, la Cour invita Me Ballerini à indiquer si M. Nima Rezai se trouvait réellement en Italie alors que, selon les informations précédemment reçues (paragraphe 23 cidessus), il était retenu en Grèce. Le 14 octobre 2009, Me Ballerini transmit à la Cour par télécopie le message suivant : « Je vous informe que nous n’avons plus de nouvelles de M. Rezai Nima depuis qu’il est entré en Italie. En effet, il aurait dû se présenter au CIE (Centre d’identification et d’expulsion) d’Ancône, mais il n’y est jamais allé. » Par une lettre du 19 octobre 2009, la Cour demanda au gouvernement italien de préciser si – et dans l’affirmative, quand – M. Nima Rezai était effectivement arrivé en Italie, et si les autorités des frontières avaient procédé à son identification. Par une lettre du 2 novembre 2009, le Gouvernement fit parvenir à la Cour une note du ministère de l’Intérieur faisant savoir qu’entre la date du 1er janvier 2007 et celle du 30 septembre 2009, aucune mention du nom de M. Rezai Nima ne figurait dans les registres de la police des frontières du port d’Ancône. Par une télécopie du 1er décembre 2009, Me Ballerini informa la Cour avoir reçu de M. Ahang la lettre suivante : « À l’occasion de mon dernier voyage en Grèce, en août 2009, j’ai rencontré certains des requérants qui se trouvent encore en Grèce ; et je souligne “certains”, car les autres ont été renvoyés en Afghanistan ou se sont rendus dans d’autres pays européens. Je me suis entretenu avec Feroz Ahmadi, lequel m’a dit vivre dans un parc d’Athènes après avoir purgé trois mois de prison pour avoir montré à la police grecque les documents relatifs à la requête devant la Cour, car leur authenticité n’est pas reconnue [...]. Malik Merzai, par ailleurs, vit dans une forêt près de Patras à la suite de la destruction du camp des demandeurs d’asile [...]. Je continue à recevoir des appels téléphoniques des requérants, qui demandent des informations sur l’état de leur requête devant la Cour et sont très inquiets [...]. Veuillez trouver cidessous les numéros de téléphone de Feroz Ahmadi et Malik Merzai, vu qu’ils existent, et qu’il en est de même des autres requérants, contrairement à ce que le Gouvernement [italien] affirme. » Par une télécopie du 9 décembre 2009, Me Ballerini fit parvenir à la Cour une lettre qu’elle aurait reçue le 6 décembre 2009 de M. Malik Merzai et dans laquelle celui-ci affirmait se trouver en Grèce et vivre, comme les autres demandeurs d’asile, dans des conditions extrêmement difficiles. Par une télécopie du 22 décembre 2009, Me Ballerini informa la Cour de la situation de certains des requérants, en faisant état d’un courriel reçu de M. Ahang le 16 décembre 2009, ainsi libellé en substance : « 1) Rahim Rhaimi se trouve actuellement à Patras ; il m’a contacté et m’a informé que le délai prévu dans l’ordre d’expulsion a expiré et qu’il risque donc d’être renvoyé en Afghanistan [...] ; 2) Najib Haidari se trouve actuellement à Patras avec Rhaim et sa situation est similaire à celle de son ami [...] ; 3) Yasir Zaidi se trouve actuellement en Suède et demande votre aide [...] ; 4) Rahmat Wahidi se trouve actuellement en Suisse [...] ; 5) Mozamil Azimi, après avoir été rapatrié en Afghanistan cet été, a réussi à revenir en Grèce et à se rendre ensuite en Norvège, où il se trouve actuellement [...] ; 6) Abdul Nabi Ahmad se trouve actuellement en Norvège [...] ; 7) Alireza Ekhlasi se trouve actuellement en Autriche [...] ; 8) Reza Karimi se trouve actuellement en Norvège [...] avec Mozamil [...] ; 9) Ahsannullah Amar Khel (dont le nom n’a pas été transcrit correctement, car son vrai nom est Ehsanullah Amarkhail [...]) se trouve actuellement en Norvège, où il a obtenu des papiers car il est mineur ; 10) Alisina Sharifi se trouve actuellement en Norvège [...]. Je vous envoie aussi, en pièce jointe, la photo d’un des requérants, Mohammad Isa Sayeed Hashemi, qui a été hospitalisé à la suite d’une agression qu’il a subie de la part de la police grecque. Pour l’instant, je n’ai pas de nouvelles de sa part et je ne sais pas où il se trouve. » Dans ce document, les numéros de téléphone de toutes les personnes mentionnées étaient aussi indiqués, à l’exception de celui de M. Reza Karimi, qui aurait appelé M. Ahang depuis une cabine téléphonique. Par une télécopie du 15 juin 2010, Me Ballerini envoya à la Cour un document attestant qu’en mai 2010 l’un des requérants, M. « Nagib Haidari », avait déposé une demande de protection internationale à la préfecture de police de Parme (Italie). L’avocate expliquait que l’intéressé était parvenu à s’échapper de Patras, où il se trouvait auparavant, et voyait dans ce document la démonstration du caractère purement spéculatif des doutes émis, par les deux gouvernements défendeurs, quant à l’existence des requérants. Le 22 juin 2010, le gouvernement italien répondit à ce sujet. Après avoir tout d’abord observé que le nom en question (« Nagib Haidari ») ne figurait pas dans la liste des requérants, mais que celle-ci contenait un nom voisin (« Najeeb Heideri »), il poursuivait ainsi : « [...] le 22 décembre 2009, Me Ballerini a affirmé [...] qu’à cette date M. Najib (et non Nagib) Haidari se trouvait à Patras et qu’il n’était jamais entré en Italie. Par la suite, dans sa lettre du 15 juin 2010, Me Ballerini affirme que M. Haidari Nagib [...] a introduit, auprès de la préfecture de police de Parme, une demande d’asile politique le 17 mai 2010, soit huit mois après les observations du gouvernement italien [...] affirmant [à juste titre] que M. Heideri Najeeb n’ [apparaissait] jamais comme étant entré en Italie ». Par une lettre du 27 août 2010, Me Ballerini expliqua, en premier lieu, que l’incohérence relevée entre les nom et prénom figurant dans son message télécopié du 15 juin 2010 (paragraphe 32 cidessus) et ceux indiqués dans le formulaire de requête découlait du fait qu’il avait fallu les transposer phonétiquement en caractères latins depuis la langue persane. En pièces jointes à cette lettre figurait une déclaration signée par le requérant en question, écrite en caractères persans puis traduite en italien, dont le contenu était le suivant : « Au début mon prénom a été transcrit dans l’alphabet anglais et écrit “Najeeb”, en Italie en revanche mon nom a été écrit “Nagib”, mais je suis la même personne. La même chose s’est passée avec mon nom de famille, qui au début a été écrit “Heideri”, puis en Italie “Haidari” ». Au sujet de la deuxième singularité supposée, Me Ballerini rétorqua qu’il n’y avait aucune contradiction entre le fait que le requérant ne se trouvait pas en Italie en décembre 2009 et le fait que, par la suite, en mai 2010, il avait réussi à s’y rendre et à demander la protection internationale auprès de la préfecture de police de Parme. La lettre continuait ainsi : « Je vous adresse cidessous une liste des requérants et de leur situation géographique : 1) Sharifi Alisina est en Norvège ; 2) Rezai Nima est en Norvège ; 4) Reza Karimi se trouve en Italie, à Trente ; 7) Ekhlasi Alireza se trouve en Autriche ; 9) Ebrahemi Mohammad Harron est en France ; 12) Merzai Malik est en Italie, à Rome : 13) Mustafa Mustafa Said est en Iran ; 14) Rahimi Alidad est en Norvège ; 15) Rahimi Rahim est en Suede ; 17) Hashemi Mohammad Isa Sayyes se trouve en Norvège ; 18) Zaidi Yasir est en Allemagne ; 24) Kabiri Nawid est en France ; 26) Yashidi Nazar Mohammed est en France ; 28) Azimi Mozamil est en Norvège ; 29) Wahidi Rahmat est en Suisse ; 33) Faroz Ahmadi est encore en Grèce, à Athènes. Je vous informe aussi que [...] je pourrai vous fournir le numéro de téléphone de Rahimi Alidad, Ekhlasi Alireza, Kabiri Nawid et Azimi Mozamil. » Le 6 septembre 2010, la Cour reçut un message de M. Mozamil Azimi, qui demandait des informations sur la requête et priait la Cour de lui envoyer d’urgence certaines pièces du dossier, guère mieux identifiées. Le message avait été envoyé par télécopie depuis le centre d’accueil Heimly mottakssenter de Finnsnes (Norvège), dont le logo et l’adresse figuraient en en-tête. Par un message télécopié du 6 octobre 2010, Me Ballerini demanda à la Cour de lui envoyer, dans le plus bref délai, une attestation d’instance d’examen de la requête au nom, entre autres, de M. Mozamil Azimi, expliquant que celui-ci se trouvait dans un centre d’accueil en Norvège et avait besoin d’un tel document pour éviter d’être refoulé. Par un message télécopié daté du 26 octobre 2010 et reçu par le greffe le 27 octobre 2010, Me Ballerini demanda à la Cour de lui envoyer, dans le plus bref délai, une attestation d’instance d’examen de la requête au nom, entre autres, de M. Reza Karimi , expliquant que celui-ci se trouvait dans un centre d’accueil en Italie et que, après avoir vainement demandé l’asile politique en Norvège, il avait introduit une deuxième demande à cette fin auprès de la préfecture de police de Bolzano. Par une lettre du 13 avril 2011, Me Ballerini informa la Cour de la situation de certains des requérants : – M. Reza Karimi se trouvait en Afghanistan. Il y était revenu au terme de l’itinéraire suivant : – après avoir regagné le territoire italien, il avait introduit auprès de la préfecture de police de Bolzano une demande visant à l’obtention du statut de réfugié ; dans un premier temps, il avait été invité à se présenter le 24 août 2010 dans le cadre de l’instruction de son dossier mais, à la suite d’une décision du ministère de l’Intérieur du 28 décembre 2010, il avait été renvoyé en Norvège en vertu des règles de compétence établies par le règlement Dublin II ; arrivé en Norvège, il avait été refoulé sur-le-champ vers l’Afghanistan ; – M. Ali Reza Ichlasi, alias Ekhlasi, se trouvait en Autriche (son adresse et son numéro de téléphone étaient indiqués), où il avait contesté en justice le rejet de sa demande d’asile ; – M. Malik Merzai se trouvait en France (son adresse et son numéro de téléphone étaient indiqués), où il avait demandé l’asile ; – M. Mustafa Said Mustafa avait été rapatrié en Iran (son numéro de téléphone était indiqué) ; – M. Rahim Rahimi se trouvait en Allemagne (son adresse et son numéro de téléphone étaient indiqués) ; – M. Nawid Kabiri se trouvait en France (son adresse et son numéro de téléphone étaient indiqués) ; – M. Mozamil Azimi se trouvait en Norvège, où il avait demandé l’asile et était pris en charge par le centre d’accueil Heimly mottakssenter de Finnsnes ; – M. Whaidi Rahmat se trouvait en Suisse (son adresse et son numéro de téléphone étaient indiqués), où il avait obtenu un permis de séjour pour raisons humanitaires, valable un an ; – M. Najeeb Heideri se trouvait en Italie, auprès d’un centre d’accueil. Il avait introduit une demande d’asile devant la préfecture de police mais, par une décision du 5 novembre 2010, le ministère de l’Intérieur avait ordonné son transfèrement en Hongrie, en application des règles de compétence établies par le règlement Dublin II. M. Heideri avait attaqué cette décision devant le tribunal administratif régional (TAR) de Rome, sans toutefois pouvoir obtenir à titre provisoire un sursis à son exécution ; – M. Faroz Ahmadi se trouvait encore en Grèce (son adresse et son numéro de téléphone étaient indiqués). En revanche, Me Ballerini indiqua ne pas être en mesure de localiser M. Alidad Rahimi, tout en attirant l’attention de la Cour sur l’existence, dans le réseau social Facebook, d’un profil au nom de Ali Rahimi, dont la photo correspondait à celle du requérant lors de son séjour à Patras. Par une lettre du 6 mai 2011, Me Ballerini fit parvenir à la Cour copie de la correspondance entretenue avec un avocat du CIR de Gorizia, et qui contenait des informations sur la situation de M. Reza Karimi en Afghanistan. Par une télécopie du 13 mai 2011, Me Ballerini fit parvenir à la Cour copie de la correspondance entretenue entre M. Yasir Zaidi et Mme Sciurba. Il ressort de cette correspondance que le requérant se trouvait en Allemagne en juin 2009 et en Suède en juillet 2009. Son dernier courriel, dans lequel il demandait des nouvelles de sa requête devant la Cour, datait du 7 mai 2011. Par une lettre du 17 novembre 2011, Me Ballerini fit parvenir à la Cour copie de la correspondance entretenue ultérieurement avec le même avocat du CIR de Gorizia, et qui contenait d’autres informations sur la situation de M. Reza Karimi en Afghanistan. Le 6 janvier 2012, la Cour invita Me Ballerini à lui faire connaître la situation de tous les requérants. Par une lettre du 30 janvier 2012, Me Ballerini apporta les réponses partielles suivantes : – M. Mozamil Azimi se trouvait en rétention en Norvège, où il était représenté par un autre avocat (les coordonnées de celui-ci étaient indiquées) ; – M. Ali Reza Ichlasi (alias Ekhlasi) se trouvait en Autriche (son adresse était indiquée), où il avait contesté en justice le rejet de sa demande d’asile ; – M. Nawid Kabiri, se trouvait en France (son adresse et son numéro de téléphone portable étaient indiqués) ; – M. Rahmat Whaidi vivait en Suisse (son adresse et son numéro de téléphone étaient indiqués), où il avait obtenu un permis de séjour pour raisons humanitaires, valable un an ; – M. Malik Merzai se trouvait en France (son adresse et son numéro de téléphone figuraient dans la lettre) et attendait la décision des autorités sur sa demande de protection internationale ; – M. Najeeb Heideri se trouvait en Italie, dans un centre d’accueil, en attendant la décision du TAR ; – M. Reza Karimi avait été rapatrié en Afghanistan ; – M. Alidad Rhaimi se trouvait encore en Norvège (son numéro de téléphone était indiqué) ; – M. Yasir Zaidi se trouvait encore en Grèce (son numéro de téléphone était indiqué). Par une lettre du 23 mai 2012, Me Ballerini fit parvenir à la Cour des articles de presse relatant des accrochages s’étant produits près de Patras (Grèce) entre la police et des militants d’extrême droite opposés à la présence des demandeurs d’asile. Elle affirmait : « [La] situation ne cesse de s’aggraver et rend manifestement impossible de localiser de nouveau les requérants. » Le 3 avril 2013, Me Ballerini informa la Cour, pièces à l’appui, que M. Najeeb Heideri (alias Najib Haidari) avait obtenu le statut de réfugié en Italie. Dans le cadre de cette procédure le requérant avait déclaré notamment avoir essayé à deux reprises de se rendre clandestinement en Italie depuis la Grèce et avoir fait l’objet dans le port d’Ancône d’un refoulement informel, sans identification préalable. Le 10 septembre 2013, le gouvernement italien a fait parvenir à la Cour tous les documents concernant la procédure d’asile de M. Najeeb Heideri (alias Najib Haidari), en soulignant dans ses commentaires que ce requérant n’avait jamais été inscrit dans la base de données « Eurodac » comme étant demandeur d’asile en Grèce. II. LE DROIT INTERNATIONAL ET LE DROIT EUROPÉEN PERTINENTS Renvoyant à l’exposé exhaustif du droit international et européen pertinents figurant dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, §§ 54-87, CEDH 2011, la Cour estime opportun de citer certains textes et dispositions. A. La Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés L’Italie et la Grèce ont ratifié la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés (« la Convention de Genève »), qui définit les modalités selon lesquelles un État doit accorder le statut de réfugié aux personnes qui en font la demande, ainsi que les droits et les devoirs de ces personnes. L’article 33 § 1 de la Convention de Genève se lit comme suit : « 1. Aucun État contractant n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » Dans sa note sur la protection internationale du 13 septembre 2001 (A/AC.96/951, § 16), le HCR, qui a pour mandat de veiller à la manière dont les États parties appliquent la Convention de Genève, a indiqué que ce principe, dit du « non-refoulement », était : « un principe de protection cardinal et ne tolérant aucune réserve. À bien des égards, ce principe est le complément logique du droit de chercher asile reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce droit en est venu à être considéré comme une règle de droit international coutumier liant tous les États. En outre, le droit international des droits de l’homme a établi le non-refoulement comme un élément fondamental de l’interdiction absolue de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’obligation de ne pas refouler est également reconnue comme s’appliquant aux réfugiés indépendamment de leur reconnaissance officielle, ce qui inclut de toute évidence les demandeurs d’asile dont le statut n’a pas encore été déterminé. Elle couvre toute mesure attribuable à un État qui pourrait avoir pour effet de renvoyer un demandeur d’asile ou un réfugié vers les frontières d’un territoire où sa vie ou sa liberté serait menacée, et où il risquerait une persécution. Cela inclut le rejet aux frontières, l’interception et le refoulement indirect, qu’il s’agisse d’un individu en quête d’asile ou d’un afflux massif. » B. La recommandation R (84) 1 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative à la protection des personnes qui ne sont pas formellement reconnues comme réfugiés Adoptée par le Comité des Ministres le 25 janvier 1984, lors de la 366e réunion des Délégués des Ministres, la Recommandation no R (84) 1 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative à la protection des personnes remplissant les conditions de la Convention de Genève qui ne sont pas formellement reconnues comme réfugiés est ainsi libellée : « Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe, Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres ; Vu la Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 amendée par le Protocole relatif au statut des réfugiés du 31 janvier 1967, et en particulier l’article 33 de cette convention ; Considérant que dans les États membres du Conseil de l’Europe se trouvent des personnes qui satisfont aux critères de la définition du terme “réfugié” au sens de l’article 1er de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés amendée par le Protocole du 31 janvier 1967 mais qui, parce qu’elles n’ont pas demandé le statut de réfugié ou pour d’autres raisons, ne sont pas formellement reconnues comme réfugiés ; Rappelant l’attitude libérale et humanitaire des États membres du Conseil de l’Europe à l’égard des personnes demandant l’asile et, en particulier, leur engagement en faveur du principe de non-refoulement comme il ressort de la Résolution (67) 14 sur l’asile en faveur des personnes menacées de persécution et de la Déclaration relative à l’asile territorial de 1977 ; Considérant que le principe de non-refoulement est reconnu comme un principe général applicable à toute personne ; Ayant à l’esprit la Convention européenne des Droits de l’Homme et en particulier son article 3 ; Considérant la Recommandation 773 (1976) de l’Assemblée Consultative relative à la situation des réfugiés de facto, Recommande aux gouvernements des États membres d’assurer, sans préjudice des exceptions prévues à l’article 33, paragraphe 2, de la Convention de Genève, que le principe selon lequel aucune personne ne devrait faire l’objet d’un refus d’admission à la frontière, d’un refoulement, d’une expulsion ou de toute autre mesure qui aurait pour effet de l’obliger à retourner ou à demeurer dans un territoire où elle craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, soit appliqué indépendamment du fait que cette personne ait été ou non reconnue comme réfugié selon la Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 et le Protocole du 31 janvier 1967. » C. Le droit de l’Union européenne Les règlements « Dublin » et « Eurodac » Le règlement no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (dit règlement « Dublin II » – ou simplement « règlement Dublin ») s’applique aux États membres de l’Union européenne ainsi qu’à la Norvège, à l’Islande et à la Suisse. Ce règlement remplace les dispositions de la Convention de Dublin relative à la détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes (système « Dublin I »), qui avait été signée le 15 juin 1990. Il est complété par un règlement d’application (no 1560/2003, du 2 septembre 2003). Ainsi qu’il ressort du deuxième considérant de l’exposé des motifs figurant en tête de celui-ci, le règlement « Dublin II » repose sur la présomption que les États membres respectent le principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et sont considérés comme des pays sûrs. En vertu du règlement, les États membres sont tenus de déterminer, sur la base de critères objectifs et hiérarchisés (articles 5 à 14), l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée sur leur territoire. Notamment, si le demandeur d’asile a franchi irrégulièrement la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre reste responsable de l’examen de la demande d’asile dans les douze mois suivant le franchissement de sa frontière (article 10 § 1). Ce système vise à éviter le phénomène de demandes multiples, et en même temps à garantir que le cas de chaque demandeur d’asile sera traité par un seul État membre. Si l’application des critères mis en place par le règlement désigne un autre État membre comme responsable, ce dernier est sollicité pour prendre en charge le demandeur d’asile et, partant, pour examiner sa demande. Dans l’hypothèse où l’État requis reconnaît sa responsabilité (ou ne répond pas dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande), le premier État membre est tenu de notifier au demandeur une décision motivée l’informant de son obligation de le transférer. Ce transfert doit avoir lieu au plus tard dans les six mois à compter de l’acceptation de la demande de prise en charge. Si le transfert n’est pas exécuté dans les délais, la responsabilité incombe à l’État membre auprès duquel la demande d’asile a été introduite. Chaque État membre reste libre d’examiner, par dérogation à la règle générale, une demande d’asile dont l’examen ne lui échoit pas en vertu des critères fixés dans le règlement (article 3 § 2). Il s’agit de la clause dite de « souveraineté ». Dans ce cas, cet État devient l’État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. En outre, tout État membre peut, même si l’application des critères définis par le règlement ne lui en confère pas la responsabilité, rapprocher des membres d’une même famille, ainsi que d’autres parents à charge pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels (article 15 § 1). Il s’agit de la clause dite « humanitaire ». Dans ce cas, cet État membre examine, à la demande d’un autre État membre, la demande d’asile de la personne concernée. Les personnes concernées doivent y consentir. Ce règlement est complété par le règlement no 2725/2000 du 11 décembre 2000 relatif à la création du système Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales. Ce système impose aux États d’enregistrer les empreintes digitales des demandeurs d’asile. Les données sont transmises à l’unité centrale d’Eurodac, gérée par la Commission européenne, qui les enregistre dans la base de données centrale et les compare avec les données qui y sont déjà stockées. Le règlement Dublin II a été refondu par le règlement no 604/2013 du 26 juin 2013 (dit règlement « Dublin III »). Entré en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne (JO L 180/31 du 29 juin 2013), le règlement Dublin III est applicable aux demandes de protection internationale introduites à partir du premier jour du sixième mois suivant son entrée en vigueur (soit le 1er janvier 2014), ainsi qu’à toute requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de demandeurs, quelle que soit la date de leur demande. Cette réforme du système de Dublin vise, notamment, à accroître la protection des demandeurs d’asile dans le processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de leur demande. Dans ce but, le nouveau règlement prévoit que : – le demandeur d’asile a le droit d’être informé, entre autres : des conséquences de la présentation d’une autre demande dans un État membre différent, ainsi que des conséquences du passage d’un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l’État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale examinée ; des critères de détermination de l’État membre responsable, de leur hiérarchie et de leur durée ; de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; – la Commission rédige, au moyen d’actes d’exécution, une brochure commune ainsi qu’une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations susmentionnées ; – l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable pour examiner la demande mène, au moyen de personnel qualifié, un entretien individuel et confidentiel avec le demandeur, dans une langue qu’il comprend ou avec l’aide d’un interprète ; – l’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le règlement. Les États membres veillent, en particulier, à ce que tout mineur non accompagné soit représenté ou assisté dans toutes les procédures prévues par le règlement. Les droits et garanties prévus par le nouveau règlement s’appliquent dès qu’une demande de protection internationale a été introduite, c’est à dire à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l’État membre concerné (articles 2 c), 4 et 20 § 2). Le règlement Eurodac a été également refondu par le règlement no 603/2013 du 26 juin 2013 (dit « Eurodac II ») (JO L 180 du 29 juin 2013). Les directives « Accueil » et « Procédure » La directive 2003/9 du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (dite « directive Accueil »), entrée en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel (JO L 31 du 6 février 2003), prévoit que les États doivent garantir aux demandeurs d’asile : – certaines conditions d’accueil matérielles, notamment en ce qui concerne le logement, la nourriture et l’habillement, qui doivent être fournis en nature ou sous forme d’allocations financières. Les allocations doivent être suffisantes pour empêcher que le demandeur ne tombe dans une situation d’indigence ; – des dispositions appropriées afin de préserver l’unité familiale ; – les soins médicaux et psychologiques ; – l’accès des mineurs au système éducatif et aux cours de langues lorsque cela est nécessaire pour leur assurer une scolarité normale. Dans sa rédaction initiale, l’article 3 (« Champ d’application ») de ladite directive se lisait comme suit : « 1. La présente directive s’applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui déposent une demande d’asile à la frontière ou sur le territoire d’un État membre tant qu’ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs d’asile, ainsi qu’aux membres de leur famille, s’ils sont couverts par cette demande d’asile conformément au droit national. » La directive Accueil a fait l’objet d’une refonte par la directive no 2013/33 du 26 juin 2013 (JO L 180/96 du 29 juin 2013), dans le but de garantir un régime européen commun concernant les conditions matérielles d’accueil et les droits fondamentaux des demandeurs d’asile, et de faire en sorte que la mise en rétention des demandeurs d’asile ne soit envisagée que comme mesure de dernier ressort. Dans sa nouvelle version, l’article 3 (« Champ d’application ») de la directive Accueil est ainsi libellé : « La présente directive s’applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui présentent une demande de protection internationale sur le territoire d’un État membre, y compris à la frontière, dans les eaux territoriales ou les zones de transit, tant qu’ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs, ainsi qu’aux membres de leur famille, s’ils sont couverts par cette demande de protection internationale conformément au droit national. » La directive 2005/85 du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (dite « directive Procédure »), entrée en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel (JO L 326/13 du 13 décembre 2005), garantit, entre autres, les droits suivants : – les demandeurs d’asile doivent être informés de la procédure à suivre, de leurs droits et obligations, et du résultat de la décision prise par l’autorité responsable de la détermination des personnes à protéger ; – les demandeurs d’asile doivent bénéficier, en tant que de besoin, des services d’un interprète pour présenter leurs arguments aux autorités compétentes ; – les demandeurs d’asile doivent bénéficier de la possibilité de communiquer avec le HCR. Plus généralement, les États membres doivent permettre au HCR d’accéder aux demandeurs d’asile, y compris ceux placés dans des lieux de rétention, ainsi qu’aux informations concernant les demandes et procédures d’asile, et lui permettre de donner son avis à toute autorité compétente ; – les demandeurs d’asile doivent avoir la possibilité effective de consulter, à leurs frais, un conseil juridique. La directive Procédure à fait l’objet d’une refonte par la directive no 2013/32 du 29 juin 2013 (JO L 180/60 du 29 juin 2013), dans le but d’augmenter l’équité, la rapidité et la qualité des décisions en matière d’asile en mettant au point des normes concernant les procédures d’octroi et de retrait de la protection internationale dans les États membres en vue d’établir une procédure d’asile commune dans l’Union. Les principes de la directive Procédure refondue – tels que résumés dans l’exposé des motifs – sont notamment les suivants : – chaque demandeur doit avoir un accès effectif aux procédures, pouvoir coopérer et communiquer de façon appropriée avec les autorités compétentes afin de présenter les faits pertinents le concernant, et disposer de garanties de procédure suffisantes pour faire valoir ses motifs à tous les stades de la procédure ; – chaque demandeur doit, par ailleurs, avoir la possibilité de communiquer avec un représentant du HCR et avec les organisations qui fournissent aux demandeurs de protection internationale des conseils ou des orientations ; – afin de garantir l’accès effectif à la procédure d’examen des demandes d’asile, les agents qui entrent en premier en contact avec les personnes demandant une protection internationale, en particulier les agents chargés de la surveillance des frontières terrestres ou maritimes ou des contrôles aux frontières, reçoivent des informations pertinentes et une formation adéquate, de sorte qu’ils soient en mesure de fournir aux ressortissants de pays tiers ou aux apatrides qui se trouvent sur le territoire des États membres, y compris à la frontière, dans les eaux territoriales ou dans les zones de transit, et qui demandent une protection internationale, les informations pertinentes leur permettant de savoir où et comment ils peuvent introduire une demande de protection internationale. Des garanties accrues sont prévues pour les mineurs non accompagnés. Notamment, certaines limites sont envisagées en ce qui concerne le traitement de leurs demandes d’asile dans le cadre de procédures d’examen accélérées ou menées à la frontière. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile Le règlement no 439/2010 du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 (JO L 132/27 du 29 mai 2010) a institué un Bureau européen d’appui en matière d’asile (« le Bureau d’appui »), afin de contribuer à améliorer la mise en œuvre du régime d’asile commun, de renforcer la coopération pratique en matière d’asile entre les États membres et d’apporter un appui opérationnel aux États membres dont les régimes d’asile et d’accueil sont soumis à des pressions particulières ou de coordonner la fourniture de cet appui. Le Bureau d’appui coordonne, notamment, les actions d’appui aux États membres dont les régimes d’asile et d’accueil sont soumis à des pressions particulières, par exemple en raison de l’arrivée soudaine d’un grand nombre de ressortissants de pays tiers susceptibles de nécessiter une protection internationale ou à cause de la situation géographique ou démographique de l’État membre. Dans ce cadre, le Bureau assure le déploiement sur le territoire de l’État concerné, pour une durée limitée, d’une ou plusieurs équipes d’appui asile chargées d’apporter une assistance technique, en particulier en ce qui concerne les services d’interprétation, les informations sur les pays d’origine et la maîtrise du traitement et de la gestion des dossiers d’asile. Le 1er février 2011, le Bureau d’appui est devenu opérationnel comme agence de l’Union européenne. Le cadre juridique de Schengen L’Accord de Schengen signé le 14 juin 1985 entre l’Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas vise à supprimer progressivement les contrôles aux frontières communes aux États signataires et à instaurer un régime de libre circulation des personnes, aussi bien pour leurs propres ressortissants que pour ceux des autres États membres ou de pays tiers. L’accord est complété par une convention, qui définit les conditions d’application et les garanties de mise en œuvre de cette libre circulation. Signée à Schengen le 19 juin 1990 par les cinq mêmes États membres, elle n’est entrée en vigueur qu’en 1995. L’Italie et la Grèce ont signé ces accords le 27 novembre 1990 et le 6 novembre 1992, respectivement. L’Accord et la Convention de Schengen, ainsi que les accords connexes, forment ce qu’il est convenu d’appeler « l’acquis de Schengen ». Depuis 1999, l’acquis de Schengen est intégré au cadre institutionnel et juridique de l’Union européenne en vertu d’un protocole annexé aux traités. Le 15 mars 2006, le Parlement européen et le Conseil ont adopté le règlement (CE) no 562/2006 (JO L 105 du 13 avril 2006), établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (dit « code frontières Schengen »). Ce règlement opère une réforme de l’acquis existant en matière de contrôle frontalier. Il vise à consolider et à développer le volet législatif de la politique de gestion intégrée des frontières, en précisant les règles relatives au franchissement des frontières extérieures – sachant que les contrôles frontaliers entre États membres sont, en principe, supprimés. Le vingtième considérant du code des frontières Schengen se lit ainsi : « Le présent règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il devrait être mis en œuvre dans le respect des obligations des États membres en matière de protection internationale et de non-refoulement. » L’article 3 du code des frontières Schengen est ainsi libellé : « Le présent règlement s’applique à toute personne franchissant la frontière intérieure ou extérieure d’un État membre, sans préjudice : [...] b) des droits des réfugiés et des personnes demandant une protection internationale, notamment en ce qui concerne le non-refoulement. » D. L’accord bilatéral de réadmission de 1999 Le 30 mars (ou le 30 avril, selon le gouvernement italien) 1999, l’Italie et la Grèce ont signé un accord bilatéral concernant la réadmission des personnes en situation irrégulière (« l’accord bilatéral de 1999 »). Le texte de cet accord, qui n’a pas été versé au dossier par les gouvernements défendeurs, a été publié dans le Journal officiel de la République hellénique du 7 novembre 2000 ; il n’a pas fait l’objet d’une publication officielle en Italie. L’article 5 de cet accord prévoit que chacune des Parties contractantes réadmet sur son territoire, à la demande de l’autre et sans aucune formalité, tout ressortissant d’un pays tiers qui est entré sur le territoire de la seconde après avoir, dans les douze mois précédant la demande, transité ou séjourné sur le territoire de la première. La demande de réadmission doit être introduite dans le délai de trois mois à compter de la constatation de la présence de l’étranger dans l’État demandeur. L’article 6 exclut du champ d’application de cette obligation de réadmission : a) les ressortissants des États ayant une frontière en commun avec l’État demandeur ; b) les individus bénéficiant d’un titre de séjour dans une des Parties contractantes; c) les individus dont le séjour sur le territoire de l’État demandeur s’est prolongé plus de six mois après la transmission de la demande de réadmission ; d) les réfugiés reconnus comme tels par l’État demandeur en application de la Convention de Genève de 1951, et les apatrides tels que définis par la Convention de New York de 1954 ; e) les individus relevant du champ d’application de la Convention de Dublin ; f) les individus qui ont déjà fait l’objet d’un éloignement depuis l’État demandeur vers leur pays d’origine ou un État tiers ; g) les individus possédant un titre de séjour délivré par un des États parties à l’Accord de Schengen ; h) les individus dont le séjour sur le territoire de l’État demandeur a pris fin plus d’un an avant la demande de réadmission. L’article 7 souligne les efforts que les Parties contractantes doivent déployer pour que la reconduite des personnes visées par une demande de réadmission soit assurée de manière prioritaire. Un protocole sur l’exécution de l’accord est annexé à celui-ci. L’article 8 de l’accord renvoie notamment audit protocole pour l’exposé détaillé des conditions d’introduction des demandes de réadmission, ainsi que pour la question des frais de transfert de la personne visée par une telle demande. L’article 22 de l’accord renvoie également à ce protocole pour la liste des autorités habilitées à traiter les demandes de réadmission. Ainsi, selon le protocole sur l’exécution, la demande de réadmission doit mentionner, notamment, les données permettant d’identifier la personne visée, sa nationalité, et être accompagnée de deux photos. Cette demande, rédigée sur un formulaire comportant l’indication des autorités demanderesses et des autorités requises, doit être transmise à ces dernières par télécopie ; elles doivent répondre dans le plus bref délai et au plus tard 48 heures après la réception de la demande. Enfin, l’article 23 de l’accord contient une clause de sauvegarde précisant que celui-ci ne fait pas obstacle à l’application de la Convention de Genève de 1951 ou des autres accords et conventions par lesquels seraient liées les Parties en matière de protection des droits de l’homme. III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES GRECS PERTINENTS Le droit et la pratique grecs pertinents et applicables ratione temporis sont résumés dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 88-127. Il ressort du plan d’action soumis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe dans le cadre de l’exécution de l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, en vue de la réunion DH no 1120 (13 14 septembre 2011), que la procédure d’asile en Grèce a été réformée, d’abord, par le décret présidentiel no 114/2010 (JO A 195/22 novembre 2010) et, ensuite, par les articles 1 à 15 de la loi no 3907/2011 (JO A 26 janvier 2011). Cette réforme vise, notamment, à constituer un service de premier accueil, chargé de l’organisation et de la gestion de centres de premier accueil établis localement ainsi que dans des unités extraordinaires ou mobiles. Ces centres assurent, notamment, l’assistance d’interprètes dans les langues des pays d’origine des immigrants (art. 9 § 4). Dans ces centres, les nouveaux venus sont informés de leurs droits et obligations ; les demandeurs d’asile et ceux qui appartiennent à des catégories vulnérables (mineurs, femmes enceintes ou en couches, personnes âgées, familles monoparentales) sont séparés des autres personnes. En vue de la réunion DH no 1144 (4-6 juin 2012), le gouvernement grec a informé le Comité des Ministres des développements intervenus dans la mise en œuvre de la réforme de la procédure d’asile, en soulignant notamment la réalisation, en coopération avec le HCR, d’une brochure d’information pour les demandeurs d’asile dans quatorze langues. Pour de plus amples informations sur la législation et la pratique pertinentes, voir aussi les arrêts Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013), et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013). IV. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ITALIENS PERTINENTS Le droit et la pratique italiens pertinents et applicables ratione temporis sont résumés dans la décision Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie, no 27725/10, §§ 33-41, 2 avril 2013. Le Conseil italien pour les réfugiés (CIR) est une organisation non gouvernementale italienne qui offre assistance aux personnes contraintes de fuir leur pays. À l’époque des faits de la cause, il était chargé du service d’accueil, d’assistance et d’information en matière d’asile et d’autres formes de protection internationale à l’égard des étrangers débarqués, notamment, dans les ports d’Ancône, Bari et Venise, sur la base de conventions avec les préfectures de ces villes. V. DOCUMENTS INTERNATIONAUX CONCERNANT les conditions D’accueil des demandeurs d’asile AINSI QUE la procédure d’asile en Grèce Une liste des documents et des rapports internationaux concernant, notamment, les conditions des demandeurs d’asile ainsi que la procédure d’asile en Grèce figurent dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité (§§ 159 et suivants). Dans les décisions adoptées dans le cadre de l’exécution de l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité (CM/Del/Dec(2011)1120/2, du 14 septembre 2011 ; CM/Del/Dec(2012)1144/5, du 6 juin 2012 ; CM/Del/Dec(2013)1164/5, du 5 mars 2013), le Comité des ministres a pris note avec intérêt des mesures présentées par les autorités grecques, et notamment de l’entrée en vigueur de la loi no 3907/2011 « sur l’établissement d’un service de l’asile et d’un service de premier accueil », destinée à mettre les conditions de détention et de vie des demandeurs d’asile comme la procédure d’asile en conformité avec les conclusions de la Cour dans ledit arrêt. Toutefois, dans la décision no 5 du 6 juin 2012, précitée, le Comité des ministres a invité les autorités grecques à intensifier leurs efforts pour restaurer un plein accès à la procédure d’octroi d’asile. Dans la décision no 5 du 7 mars 2013, précitée, le Comité des ministres a « invité instamment les autorités grecques à intensifier leurs efforts en vue d’accélérer les réformes retardées (en particulier le fonctionnement du nouveau Service de l’asile) et de résoudre les problèmes pratiques concernant l’accès à la procédure d’asile [...] et l’introduction de demandes d’asile en détention ». Le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Nils Muižnieks, publié le 16 avril 2013 à la suite de sa visite en Grèce du 28 janvier au 1er février 2013, se lit comme suit en ce qui concerne les migrants mineurs et non accompagnés (traduction par le greffe) : « 146. [...] Le Commissaire est particulièrement inquiet au sujet de la situation des migrants mineurs non accompagnés. Il a rencontré un groupe de jeunes migrants afghans dans le parc « Pediontou Areos » d’Athènes où ils s’abritent dans des conditions difficiles en l’absence de toute autre solution d’hébergement. 147. Le Commissaire s’inquiète de la persistance de la plupart des problèmes déjà signalés en 2009 et 2010 au sujet des migrants mineurs. Il n’y a pas de procédures adéquates pour identifier les mineurs non accompagnés ou séparés de leurs parents ni de dispositifs de protection adéquats, y compris la garde du mineur. Ces lacunes rendent les migrants mineurs très exposés à la traite, à la contrebande et à la violence raciste. » 100. En ce qui concerne, de manière plus générale, le sujet du droit et de la pratique grecs en matière d’asile et de migrations, le rapport susmentionné du Commissaire aux droits de l’homme se conclut comme suit (traduction par le greffe) : « 150. Le Commissaire se félicite des mesures adoptées par les autorités grecques depuis 2011 [voir les paragraphes 91-92 cidessus] afin de mettre en place une procédure d’asile effective en Grèce. Il recommande vivement aux autorités de veiller à ce que les nouveaux services d’asile deviennent opérationnels sans nouveaux délais et d’améliorer de manière substantielle la capacité d’accueil des demandeurs d’asile. En outre, il faut mettre fin à la pratique administrative suivie par la direction de la police d’Athènes concernant l’introduction des demandes d’asile, car cette pratique est dégradante pour les demandeurs d’asile. En attendant, les États de l’Union européenne doivent se prévaloir de la “clause de souveraineté” prévue par l’article 3 § 2 du règlement Dublin et ne doivent pas renvoyer les demandeurs d’asile en Grèce. » VI. DOCUMENTS INTERNATIONAUX CONCERNANT LES CONDITIONS D’ACCUEIL DES DEMANDEURS D’ASILE et LA PRATIQUE DES AUTORITÉS FRONTALIÈRES ITALIENNES DANS LES PORTS DE LA MER ADRIATIQUE 101. Plusieurs rapports d’organisations nationales et internationales ainsi que d’organisations non gouvernementales relatent des épisodes de refoulement indiscriminé vers la Grèce de la part des autorités frontalières italiennes dans les ports de la mer Adriatique, parmi lesquels les ports de Bari, Ancône et Venise. Il ressort de ces rapports que ce n’est qu’au bon vouloir de la police des frontières que les personnes interceptées et dépourvues de papiers seraient mises en contact avec un interprète et des agents à même de leur fournir les informations minimales concernant le droit d’asile et la procédure pertinente ; très souvent, elles ne rencontreraient que des agents de police et seraient confiées immédiatement aux capitaines de navires de commerce ou de tourisme en vue d’être reconduites en Grèce. Des défaillances dans l’identification et l’assistance des mineurs sont également signalées. 102. La liste des principaux rapports figure ci-après : – CIR, Rapporto attività 2007, mai 2008 ; – Progetto Melting Pot Europa, Diritti respinti. Gli atti dell’assemblea cittadina sul porto di Venezia, 11 décembre 2008 ; – Integration Catholic Migration Commission, May Day! Strengthening responses of assistance and protection to boat people and other migrants arriving in Southern Europe, septembre 2011 ; – Pro Asyl – Greek Council for Refugees, Human Cargo. Arbitrary readmissions from the Italian sea ports to Greece, juillet 2012 ; – HCR, Recommendations on Important Aspects of Refugee Protection in Italy, juillet 2012 ; – Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Report by Nils Muižnieks, Commissioner for Human Rights of the Council of Europe following his visit to Italy from 3 to 6 July 2012, 18 septembre 2012 ; – European Network for Technical Cooperation on the Application of Dublin II Regulation, Dublin II Regulation National Report. Italy, 19 décembre 2012 ; – Human Rights Watch, Turned Away. Summary Returns of Unaccompanied Migrant Children and Adult Asylum Seekers from Italy to Greece, janvier 2013 ; – Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Report by the Special Rapporteur on the human rights of migrants, François Crépeau. Mission to Italy (29 September – 8 October 2012), 30 avril 2013. 103. Le rapport du rapporteur spécial du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe se lit ainsi (traduction par le greffe) : « Le Commissaire prend note du grand arrêt Hirsi Jamaa [et autres c. Italie [GC], no 27765/09, CEDH 2012] concernant le renvoi en Libye de migrants interceptés, et se félicite des déclarations des plus hauts représentants politiques selon lesquelles, eu égard à cet arrêt, l’Italie ne poursuivra pas cette politique. Il estime que la renégociation de l’accord bilatéral avec la Libye doit inclure des garanties du respect des droits de l’homme afin d’empêcher que des violations similaires [à celles constatées dans l’affaire Hirsi Jamaa, précitée] puissent se produire en cas d’expulsion, d’interception ou de renvoi. Il exprime son inquiétude à propos des rapports selon lesquels des problèmes similaires sont entraînés par l’application d’autres accords bilatéraux, comme l’accord de réadmission avec l’Égypte et la Tunisie, et des renvois automatiques en Grèce. Le Commissaire recommande vivement aux autorités italiennes de veiller à ce que tous les migrants, y compris ceux qui sont interceptés, aient pleinement accès à la procédure d’asile et, dans ce but, de prévoir la formation continue des agents impliqués, comme les agents de la police des frontières. » 104. Le rapport du rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme des Nations unies se lit ainsi (traduction par le greffe) : « [...] on constate une augmentation de l’arrivée [en Italie] de migrants irréguliers depuis la Grèce. À cet égard, il y a lieu de mentionner l’accord de réadmission Grèce Italie de 1999, aux termes duquel les deux Parties acceptent le renvoi des migrants sans papiers qui sont entrés irrégulièrement dans l’un de ces deux pays en provenance de l’autre. En fait, le nombre des renvois en Grèce sur la base de cette procédure n’apparaît pas très élevé. Toutefois, le Rapporteur spécial s’inquiète beaucoup d’une autre pratique, à savoir le renvoi non enregistré d’immigrants irréguliers interceptés comme passagers clandestins des ferry-boats arrivés dans les ports italiens de la mer Adriatique. Ces ferry-boats, souvent en provenance de Patras et Igoumenitsa en Grèce, arrivent dans les ports italiens d’Ancône, Bari, Brindisi et Venise. Selon les témoignages reçus par le Rapporteur spécial, les immigrants interceptés dans les ferry-boats sont remis aux mains du capitaine du navire et ne sont même pas autorisés à débarquer [...]. Ils sont renvoyés en Grèce par le même navire [...]. Le Rapporteur spécial note que ces refoulements semblent avoir lieu sans garanties procédurales propres à permettre de vérifier de manière adéquate les éventuels besoins de protection, notamment les demandes d’asile, bien que la loi italienne reconnaisse le droit de demander l’asile ainsi que de recevoir les informations et l’assistance nécessaires à cet égard [...]. En outre, bien que les autorités desdits ports aient signé des accords avec des ONG pour assister les immigrants, ces mêmes ONG allèguent avoir un accès réduit et limité aux personnes concernées. En particulier, il a été dit au Rapporteur que la police des frontières n’informe pas régulièrement ces ONG de l’interception des personnes arrivées irrégulièrement et certaines de ces ONG ont signalé qu’elles n’ont pas accès à la “zone stérile”, c’est-à-dire à la zone du port où ces personnes sont gardées avant d’être refoulées. L’accès aux procédures d’asile semble dépendre de la décision de la police des frontières dans les ports, dont les agents ont souvent une connaissance limitée du droit international concernant la protection des demandeurs d’asile [...]. Une autre grave préoccupation tient au fait que, dans le cadre de ces refoulements, des mineurs non accompagnés ont été renvoyés en Grèce. Le renvoi de mineurs non accompagnés constitue une violation directe du droit international et italien [...]. Le Rapporteur spécial a appris par les autorités italiennes que ces renvois sont considérés comme justifiés sur la base de l’accord de réadmission de 1999 entre l’Italie et la Grèce. L’application de cet accord de réadmission dans ce contexte apparaît cependant discutable [...]. [Il] apparaît que ces personnes sont renvoyées sans aucune procédure de réadmission ou de demande d’autorisation vers la Grèce, ce qui doit être considéré comme [en contradiction avec les stipulations] dudit accord de réadmission. On cite aussi les règles de Schengen comme base légale fondamentale de ces renvois, en affirmant qu’ils sont bien justifiés dans l’espace Schengen. Pourtant le Rapporteur spécial note que le code des frontières de Schengen prévoit clairement qu’il sera appliqué dans le respect des droits fondamentaux et conformément aux obligations internationales des États en matière de protection internationale et de non refoulement [...]. Eu égard à l’arrêt M.S.S., [précité], l’Italie devrait prohiber formellement la pratique des refoulements automatiques et informels vers la Grèce. En outre, des procédures officielles de contrôle et de triage devraient être mises en place, au cours desquelles tout immigrant intercepté par les autorités portuaires devrait avoir la possibilité de faire valoir ses besoins de protection et de demander l’asile. Toutes les autorités portuaires devraient recevoir officiellement une formation en droit international des droits de l’homme, y compris le droit de demander l’asile et les droits des mineurs ; de même, elles devraient être sensibilisées au fait que les avocats ainsi que les représentants d’ONG et d’organisations internationales doivent avoir pleinement et librement accès au port et à toute autre zone ou pourraient se trouver des immigrants. » VII. DOCUMENTS INTERNATIONAUX DÉCRIVANT LA SITUATION EN AFGHANISTAN 105. Depuis 2007, le HCR publie des « Lignes directrices sur l’appréciation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile en provenance d’Afghanistan », qui sont mises à jour périodiquement. Les éléments pertinents de la version de juillet 2009 (dont un aperçu plus détaillé figure dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 197-202) peuvent se résumer comme suit. 106. Sur la base des informations recueillies entre novembre 2007 et mars 2009, l’Afghanistan est décrit comme le théâtre d’un conflit armé en cours d’intensification, qui oppose le gouvernement et ses alliés internationaux à plusieurs groupes d’insurgés, dont les talibans, le Hezb-e Islami et Al-Qaïda, et dans le cadre duquel une nébuleuse complexe de groupes armés légaux et illégaux et de groupements criminels organisés joue également un rôle important. 107. Dans ce contexte, l’évaluation du besoin de protection internationale des demandeurs d’asile provenant d’Afghanistan doit avoir lieu, selon le HCR, sur une base individuelle, en considérant de manière favorable ceux qui appartiennent à certaines catégories ou proviennent de certaines zones du pays. 108. Le HCR relève, notamment, les éléments suivants : a) les personnes appartenant à l’ethnie hazâra continuent de faire l’objet des discriminations sociales dont elles sont traditionnellement victimes de la part des personnes appartenant à l’ethnie pachtoune, et peuvent être menacées par la croissance du pouvoir des « seigneurs de la guerre », même si ces risques n’ont pas la même envergure dans tout le pays ; b) le conflit armé s’est exacerbé dans certaines provinces situées dans le centre du pays, comme celle de Ghazni, où des exécutions sommaires et des meurtres de civils sont signalés ; les ONG font état de sérieuses difficultés d’accès à cette province ; c) les mineurs non accompagnés ou séparés de leurs parents constituent l’une des catégories les plus vulnérables en Afghanistan ; le nombre de mineurs qui font l’objet de meurtres, d’exploitation, ou de violences en tout genre ne cesse d’augmenter, ainsi que leur recrutement forcé dans les milices des divers groupes combattants. 109. La possibilité de réinstallation interne est considérée comme exceptionnelle.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1942 et réside à Sighişoara. En 2005, elle demanda au tribunal de première instance de Suceava l’annulation de la vente de plusieurs terrains conclue entre son frère et des tiers en 1999 et en 2000. La requérante soutenait que cette vente portait atteinte à ses droits successoraux. Par un jugement du 14 septembre 2006, le tribunal rejeta l’action au motif que, au regard de la législation en vigueur à la date de la signature des contrats, la vente était valable. La requérante forma un pourvoi. Le 3 janvier 2007, elle reçut une citation à comparaître devant le tribunal départemental de Suceava le 30 janvier 2007 et fut invitée à payer le droit de timbre avant cette date sous peine d’annulation de son pourvoi. Le 19 janvier 2007, la requérante acquitta le droit de timbre. Par une lettre recommandée du 24 janvier 2007, son avocat en informa le tribunal. Il demanda également un report de la comparution de sa cliente au motif que, le 30 janvier 2007, il devait plaider d’autres affaires devant d’autres juridictions. Le 30 janvier 2007, en l’absence de la requérante, le tribunal départemental annula le pourvoi qu’elle avait formé au motif qu’elle n’avait pas payé le droit de timbre dans le délai qui aurait été requis par la loi. La requérante forma une contestation en annulation, alléguant que l’annulation de son pourvoi était la conséquence d’une erreur matérielle du tribunal. Elle versa au dossier la preuve de l’envoi par lettre recommandée de la quittance attestant qu’elle avait bien effectué le paiement du droit de timbre. Par un arrêt définitif du 15 mars 2007, le tribunal départemental de Suceava rejeta la contestation au motif que la preuve du paiement manquait au dossier du tribunal qui avait examiné le pourvoi. Dès lors, il jugea que l’annulation reflétait « la réalité objective que les magistrats avaient perçue le jour de l’audience » et que, par conséquent, il ne s’agissait pas d’une erreur. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le code de procédure civile en vigueur à l’époque des faits disposait notamment ce qui suit : Article 104 « Pour les actes de procédure envoyés aux tribunaux par courrier, les délais légaux sont réputés respectés si la lettre recommandée a été déposée au bureau de poste avant le terme des délais. » Article 318 « Les arrêts définitifs peuvent faire l’objet d’une contestation en annulation lorsqu’ils sont le résultat d’une erreur matérielle (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1955 et 1958 et résident à Mersin. Le 28 novembre 2006, le fils des requérants, Murat Erten (« Murat »), fut victime d’un accident pendant l’accomplissement de son service militaire obligatoire : il se trouvait derrière un camion militaire ; le conducteur, le soldat H.G., fit une marche arrière sans avoir vu Murat ; celui-ci fut heurté par le véhicule et mortellement blessé. A. Enquête pénale Une instruction pénale fut aussitôt ouverte. À l’issue de celle-ci, par un jugement du tribunal militaire du 22 avril 2009, le soldat H.G. fut reconnu coupable d’homicide involontaire et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an, onze mois et dix jours avec sursis. B. Action en dommages et intérêts Entre-temps, le 12 avril 2007, les requérants avaient saisi, par l’intermédiaire de leur avocat, la Haute Cour administrative militaire d’une action en dommages et intérêts contre le ministère de la Défense fondée sur la survenance du décès de leur fils pendant son service militaire obligatoire. Ils réclamaient 500 livres turques (TRY) (soit environ 250 euros (EUR)) pour préjudice matériel. Ils demandaient également 30 000 TRY (soit environ 15 000 EUR) pour préjudice moral. Les juges ordonnèrent une expertise aux fins de déterminer le préjudice matériel subi par les requérants. Dans leur rapport d’expertise du 3 juin 2010, les experts mandatés évaluaient à 42 609 TRY (soit environ 21 305 EUR) le préjudice matériel subi par les intéressés. Se fondant sur le rapport d’expertise, les requérants demandèrent alors à la Haute Cour administrative militaire la réévaluation (ıslah) du montant qu’ils avaient initialement demandé. La Haute Cour administrative militaire rejeta cette demande, indiquant que le cadre du contentieux administratif ne permettait pas de demander une réévaluation. Elle rappela également l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 juin 2008 (E. 2004/103 – K. 2008/121) selon lequel l’impossibilité en droit administratif turc de demander une réévaluation en cours d’instance était compatible avec la Constitution, eu égard aux particularités du contentieux administratif et à la marge d’appréciation accordée au législateur en la matière. Dans son arrêt du 29 septembre 2010, la Haute Cour administrative indiquait que, dans la mesure où le proche des intéressés était décédé pendant l’accomplissement de son service militaire obligatoire, le lien de causalité était établi et que la responsabilité de l’État devait être retenue. En conséquence, se fondant sur le rapport d’expertise mais sans prendre en considération la demande de réévaluation des requérants, elle condamnait l’administration défenderesse à payer aux intéressés la somme qu’ils avaient réclamée dans la requête introductive d’instance, à savoir 500 TRY (soit environ 250 EUR) au titre du dommage matériel. S’agissant du préjudice moral, elle l’évalua à 22 000 TRY (soit environ 11 000 EUR) et alloua cette somme aux requérants à titre d’indemnité. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Okçu c. Turquie (no 39515/03, §§ 19-32, 21 juillet 2009) et Sabri Güneş c. Turquie (no 27396/06, §§ 16-27, 24 mai 2011). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 1602 du 4 juillet 1972 relative à la Haute Cour administrative militaire sont ainsi libellées : Article 43 « Toute personne s’estimant lésée par un acte de l’administration doit saisir l’autorité compétente d’une demande en réparation dans un délai d’un an à compter de la notification de l’acte en question ou de la date de prise de connaissance de cet acte, ou bien au plus tard dans un délai de cinq ans après l’acte en question. En cas de rejet de tout ou partie de la demande, un recours de pleine juridiction peut être introduit dans un délai de soixante jours suivant la notification de la décision ou l’absence de réponse (...) » Article 46 § 4 (avant la modification de cette disposition intervenue le 30 avril 2013) « Les parties ne peuvent prétendre à un droit sur le fondement de mémoires en défense ou de mémoires additionnels qui ont été présentés après l’expiration des délais impartis. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est un ressortissant iranien né en 1962. Il réside actuellement en Suède. A. Genèse de l’affaire et procédures devant les autorités suédoises Le 16 novembre 2009, le requérant demanda l’asile et une autorisation de séjour en Suède. Devant le bureau des migrations (Migrationsverket), il déclara ce qui est exposé ci-après. En Iran, il avait travaillé avec des personnes liées à différentes universités et connues pour leur opposition au régime. Pour l’essentiel, son activité avait consisté à créer et publier des pages web. Avec l’une des personnes concernées, il avait été arrêté en avril 2007. Il avait été remis en liberté au bout de vingt-quatre heures, puis hospitalisé pendant dix jours pour une hypertension artérielle. Avant les élections du 12 juin 2009, il avait travaillé avec le mouvement des Verts – qui avait soutenu la candidature de Moussavi au poste de président – en diffusant son message par Internet. La veille des élections, ses amis et lui avaient été arrêtés, interrogés et détenus au bureau de vote, jusqu’au lendemain. Après les élections, il avait pris part à des manifestations et à d’autres activités. Il avait été arrêté à nouveau en septembre 2009 et emprisonné pendant vingt jours. En octobre 2009, il avait été conduit devant le tribunal révolutionnaire, qui l’avait remis en liberté au bout d’un jour sous réserve qu’il coopérât avec les autorités et espionnât ses amis. Il avait accepté ces exigences et cédé ses locaux professionnels à titre de garantie. Il avait également donné l’assurance qu’il ne participerait à aucune manifestation et répondrait aux convocations. Après avoir été relâché dans un parc, il avait constaté que ses locaux professionnels avaient été fouillés. Il y conservait des documents politiquement sensibles, que les autorités avaient dû remarquer, et son passeport ainsi que d’autres documents avaient disparu. Le 2 novembre 2009, il avait été convoqué devant le tribunal révolutionnaire. Il avait contacté un ami, lequel avait obtenu l’aide d’un passeur pour lui permettre de quitter le pays. Après son arrivée en Suède, il s’était converti au christianisme. Il soumit notamment une citation à comparaître devant le tribunal révolutionnaire montrant qu’il avait été convoqué à la prison d’Evin, à Téhéran, le 2 novembre 2009. Le 29 avril 2010, le bureau des migrations rejeta la demande du requérant. Elle déclara tout d’abord que l’intéressé n’avait pas prouvé son identité mais avait rendu probable son identité et sa citoyenneté. Concernant le récit livré par le requérant, le bureau estima que la participation à des manifestations ou l’affiliation au mouvement des Verts ne pouvaient pas en soi faire naître un risque de persécution, de mauvais traitements ou de châtiments lors du retour en Iran. Le bureau releva qu’au cours de la procédure le requérant avait changé certaines parties de son récit. Il avait notamment modifié ses déclarations concernant le nombre d’arrestations subies. De plus, il n’avait pas été en mesure de nommer le parc où on l’avait relâché. Le bureau y voyait donc des raisons de se demander si l’intéressé avait jamais été arrêté. Il considérait en outre que ses activités politiques avaient été limitées. Après l’interrogatoire de 2007 et jusqu’aux élections de 2009, le requérant avait pu continuer à travailler sur les pages web qui contenaient des éléments critiques alors même que les autorités étaient censées à cette époque être au courant de ses activités. Pour ces raisons, le bureau des migrations estima que le requérant ne pouvait pas intéresser les autorités en raison de ses activités et des documents en sa possession. Concernant sa conversion au christianisme, le bureau observa qu’il n’avait pas présenté de certificat de baptême et n’avait pas souhaité au départ invoquer son affiliation religieuse à l’appui de sa demande d’asile parce qu’il s’agissait à ses yeux d’une question d’ordre privé. Le bureau jugea que dans ces conditions il n’était pas vraisemblable que le requérant risquât d’être persécuté en Iran en raison de son affiliation religieuse. En conclusion, il constata que le requérant n’avait pas démontré qu’il avait besoin de protection en Suède. Le requérant fit appel auprès du tribunal des migrations (Migrationsdomstolen). Il maintint ses griefs et ajouta les éléments ci-après. La raison pour laquelle il n’avait pas souhaité au début évoquer son affiliation religieuse était qu’il n’avait pas voulu banaliser le sérieux de sa foi. Il soumit un certificat de baptême au tribunal. Lors de l’audience, il ajouta que son ordinateur avait été saisi dans ses locaux professionnels pendant qu’il était en prison. Des documents critiques à l’égard du régime en place étaient stockés dans son ordinateur, car il avait visité certaines pages web et avait reçu par courriel des dessins caricaturaux. Il y avait donc suffisamment d’éléments pour prouver qu’il était un opposant au régime. La citation à comparaître devant le tribunal révolutionnaire fut présentée au tribunal des migrations. Le requérant n’avait plus ensuite reçu de nouvelle convocation et les membres de sa famille n’avaient pas été inquiétés, ou du moins n’avaient pas eu de problèmes dont ils eussent voulu l’accabler. Il ne prétendait pas que sa conversion constituât un motif de lui accorder l’asile mais soutenait qu’elle lui créerait clairement des problèmes en cas de retour en Iran. Le 9 mars 2011, le tribunal des migrations rejeta l’appel formé par le requérant. Il ne mettait pas en doute son récit ni le fait que les incertitudes relevées par le bureau des migrations avaient reçu une explication satisfaisante. Cependant, concernant la citation à comparaître devant le tribunal révolutionnaire qui avait été soumise au bureau des migrations, le tribunal jugea que, sans considération de l’authenticité du document, celui-ci ne pouvait en soi étayer le besoin de protection du requérant. En effet, ce document était une simple convocation et aucun élément n’indiquait pourquoi le requérant devait se présenter à la prison d’Evin. S’agissant du récit livré par l’intéressé, le tribunal estima que les informations relatives à ses activités politiques étaient vagues et imprécises. Le requérant avait seulement déclaré avoir participé à la campagne de l’opposition avant les élections de 2009, en prenant part à des manifestations et en ayant des contacts avec des étudiants et le mouvement étudiant, qu’il avait aidés dans l’élaboration de leurs pages web. De plus, il avait déclaré que les documents qui étaient en sa possession à l’époque de son interrogatoire de 2007 n’étaient pas différents de ceux qu’il détenait en 2009. Ces circonstances, combinées au fait qu’il n’avait plus été convoqué devant le tribunal révolutionnaire après novembre 2009 et que sa famille n’avait pas été inquiétée, amenaient le tribunal à douter que la nature et la portée de ses activités politiques eussent pu entraîner les conséquences alléguées par le requérant. Le tribunal estima que l’intéressé avait exagéré l’importance et les conséquences de ses activités politiques, et donc l’intérêt que les autorités lui portaient. Pour ces raisons, le tribunal considéra que le requérant n’avait pas établi que les autorités iraniennes s’intéressaient particulièrement à lui ; dès lors, il n’avait pas besoin de protection. Le requérant forma un recours auprès de la cour d’appel des migrations (Migrationsöverdomstolen). Le 8 juin 2011, celle-ci lui refusa l’autorisation de la saisir. En septembre 2011, le requérant demanda au bureau des migrations de surseoir à l’exécution de l’arrêté d’expulsion et de réexaminer sa précédente décision à la lumière de faits nouveaux. Il déclara notamment qu’en Iran le fait de renoncer à l’islam pour se convertir à une autre religion était passible de la peine de mort. Le 13 septembre 2011, le bureau des migrations estima qu’on ne lui avait soumis aucun fait nouveau propre à justifier un sursis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion visant le requérant ou l’octroi à celui-ci d’une autorisation de séjour. Le bureau releva que pendant la procédure antérieure le requérant avait déclaré avoir été baptisé par une église chrétienne et s’être converti au christianisme, et également que sa conversion était une question d’ordre personnel qu’il ne souhaitait pas invoquer à l’appui de sa demande d’asile. Pour le bureau, il était surprenant que le requérant soulevât à présent la question de sa conversion alors qu’il avait eu la possibilité de développer ce point pendant l’audience devant le tribunal des migrations mais avait refusé de le faire. Le requérant saisit le tribunal des migrations en maintenant ses allégations. Le 6 octobre 2011, le tribunal des migrations le débouta. Il observa que les autorités étaient déjà au courant de la conversion de l’intéressé lors de la procédure antérieure. Cet élément, dès lors, ne pouvait pas être considéré comme un « fait nouveau ». Le fait que le requérant eût précédemment décidé de ne pas invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile ne changeait rien à l’appréciation du tribunal sur ce point. Le requérant saisit la cour d’appel des migrations. Le 22 novembre 2011, celle-ci lui refusa l’autorisation de la saisir. B. Application de l’article 39 du règlement de la Cour et développements ultérieurs dans l’affaire Le 12 juillet 2011, le requérant introduisit sa requête auprès de la Cour et demanda à celle-ci d’appliquer l’article 39 de son règlement aux fins d’obtenir un sursis à l’exécution de son expulsion. Il déclara qu’il s’était opposé activement au régime iranien, avant et pendant les élections présidentielles de 2009. Qui plus est, il s’était converti au christianisme environ deux ans plus tôt. La conversion avait eu lieu avant toute décision relative à sa procédure d’asile. Renoncer à l’islam pour se convertir à une autre foi ou religion était sévèrement puni par le régime et la société iraniens. À l’appui de ses griefs, le requérant soumit notamment copie d’un certificat daté du 13 avril 2011, par lequel un pasteur et un fidèle déclaraient qu’ils avaient fait la connaissance du requérant au cours de l’été 2010, que celui-ci s’était converti au christianisme et qu’il appartenait à leur paroisse depuis février 2011. Ces deux personnes indiquaient également que leurs offices religieux étaient diffusés sur Internet, ce qui d’après eux signifiait que tout un chacun avait accès aux retransmissions. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les principales dispositions applicables à l’espèce et régissant l’entrée et le séjour des étrangers sur le territoire suédois figurent dans la loi sur les étrangers, telle qu’en vigueur depuis le 1er janvier 2010. Selon le chapitre 5, article 1, de cette loi, un étranger ayant obtenu le statut de réfugié ou ayant besoin de protection à un autre titre a le droit, sauf exceptions, de se voir délivrer une autorisation de séjour en Suède. Le chapitre 4, article 1, de la loi dispose que le terme « réfugié » s’entend d’un étranger se trouvant hors du pays dont il a la nationalité parce qu’il a de solides motifs de craindre d’être persécuté à cause de sa race, de sa nationalité, de ses convictions religieuses ou de ses opinions politiques, ou de son sexe, de ses orientations sexuelles ou d’une autre appartenance à un groupe social déterminé, et qu’il ne peut ou ne veut, du fait de ses craintes, se prévaloir de la protection de ce pays. Ce qui précède s’applique tant dans le cas où la persécution est le fait des autorités du pays en question que dans celui où l’on ne peut s’attendre à ce qu’elles offrent une protection contre la perpétration d’actes de persécution par des particuliers. Selon le chapitre 4, article 2, de la loi, est un « étranger ayant besoin de protection à un autre titre » notamment celui qui a quitté le pays dont il a la nationalité en raison de la crainte bien fondée d’être condamné à la peine capitale ou à des châtiments corporels ou d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. Par ailleurs, si une autorisation de séjour ne peut pas être accordée à un étranger sur le fondement des motifs susmentionnés, elle peut néanmoins lui être octroyée si l’évaluation globale de sa situation fait apparaître l’existence de circonstances particulièrement difficiles (synnerligen ömmande omständigheter) justifiant qu’on l’autorise à séjourner sur le territoire suédois (chapitre 5, article 6, de la loi sur les étrangers). Concernant l’exécution d’une mesure de refoulement ou d’expulsion, il faut tenir compte du risque pour l’intéressé de subir la peine capitale ou la torture ou d’autres formes de peines ou traitements inhumains ou dégradants. Selon une disposition particulière relative aux empêchements à l’exécution d’une mesure d’éloignement – le chapitre 12, article 1, de la loi –, un étranger ne peut être expulsé vers un pays où il y a raisonnablement lieu de croire qu’il risquerait de se voir infliger la peine capitale, des châtiments corporels, la torture ou d’autres formes de peines ou traitements inhumains ou dégradants. En outre, un étranger ne doit pas en principe être envoyé vers un pays où il risque d’être persécuté (chapitre 12, article 2, de la loi). Sous certaines conditions, un étranger peut se voir octroyer une autorisation de séjour même si la mesure de refoulement ou d’expulsion est devenue exécutoire. Tel est le cas, selon le chapitre 12, article 18, de la loi, lorsque sont découverts des faits nouveaux signifiant qu’il existe des motifs raisonnables de penser, notamment, que l’exécution de la mesure exposerait l’étranger au risque d’être soumis à la peine capitale ou à des châtiments corporels, à la torture ou à d’autres formes de peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou lorsque des raisons médicales ou d’autres motifs particuliers justifient la non-exécution de la mesure. Si une autorisation de séjour ne peut pas être octroyée en vertu du chapitre 12, article 18, de la loi, le bureau des migrations peut à la place réexaminer la question. Ce réexamen est effectué lorsque des faits nouveaux invoqués par l’étranger donnent à penser que l’exécution de la mesure se heurte à des empêchements durables qui sont de la nature visée au chapitre 12, articles 1 et 2, de la loi, et que ces faits ne pouvaient être invoqués précédemment ou que l’intéressé démontre qu’il a une raison valable de ne pas l’avoir fait. Si les conditions applicables ne sont pas remplies, le bureau des migrations ne procède pas au réexamen (chapitre 12, article 19, de la loi). Selon la loi sur les étrangers, les questions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire suédois sont traitées par trois instances : le bureau des migrations, le tribunal des migrations et la cour d’appel des migrations. Une décision du bureau des migrations refusant l’octroi d’une autorisation de séjour sur le fondement du chapitre 12, article 18, de la loi n’est toutefois pas susceptible de recours (voir, a contrario, le chapitre 14 de la loi).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1962 et réside à Bălți. A. Ouverture de l’enquête pénale et détention initiale du requérant Le 26 mai 2006, S.F. déposa une plainte pénale auprès du parquet général. Il y dénonçait son exclusion, illégale à ses yeux, des associés d’une société de bâtiment (« la société ») et la dépossession de ses parts sociales. Le 9 juin 2006, un agent du Centre pour la lutte contre la criminalité économique et la corruption (CLCEC) ordonna l’ouverture d’une enquête pénale concernant les allégations de S.F. Le 3 mai 2007, un juge d’instruction autorisa la perquisition du domicile de Bălți du requérant. Le 4 mai 2007, les autorités dressèrent un procès-verbal de perquisition. Le 19 juin 2007 à 11 h 55, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans les locaux du CLCEC. Le 22 juin 20+0207, le procureur en charge de l’affaire demanda au tribunal de Buiucani de placer le requérant en détention provisoire. Il relevait, entre autres, que le requérant avait contribué à l’exclusion de S.F. des associés de la société et que, eu égard aux actes du requérant et de ses complices, l’infraction de détournement de biens d’autrui était caractérisée dans ses éléments constitutifs. Le conseil du requérant plaida en faveur de la remise en liberté de ce dernier, invoquant l’absence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis l’infraction, un état de santé précaire et la nécessité de suivre un traitement contre le diabète. Le même jour, un juge d’instruction du tribunal de Buiucani ordonna le placement du requérant en détention provisoire pour une durée de dix jours. Il motiva sa décision comme suit : « [Le tribunal] prend en compte le caractère et le degré préjudiciable des faits reprochés (...), leur gravité, la nécessité de protéger l’ordre public, le choc stressant que pourrait provoquer dans la société la libération du suspect (...), l’existence de risques de fuite, d’obstacle à l’établissement de la vérité dans l’affaire, de collusion entre coaccusés et de fabrication de preuves à décharge, résultant de la nature de l’infraction reprochée (...), de la personnalité du suspect et de sa conduite durant le procès pénal. (...) A ce stade, le tribunal estime que les raisons invoquées par l’accusateur ont priorité et que [la détention du requérant] va contribuer au bon déroulement de la procédure pénale. (...) [L]e tribunal (...) ordonne au procureur et à l’administration du lieu de détention de veiller à ce que des soins médicaux appropriés soient prodigués au suspect. » À une date non spécifiée, le requérant forma un recours contre la décision du juge d’instruction. Il argüait, entre autres, que l’enquête pénale durait depuis un an, qu’il s’était auparavant présenté devant l’autorité de poursuite chaque fois qu’il y avait été invité, qu’il avait un domicile fixe et qu’il n’avait pas d’antécédents pénaux. Le 26 juin 2007, un agent du CLCEC dressa un rapport dans lequel il consignait que le requérant n’habitait plus depuis trois ans à son adresse de Bălți. Le même jour, le procureur en charge de l’affaire inculpa le requérant des chefs de détournement de biens d’autrui et d’usage de faux. Concernant ce dernier chef, il relevait que la documentation technique relative à un projet de construction avait été importée sur le territoire de la République de Moldova assortie d’une procuration sur laquelle était apposée la signature falsifiée du directeur de la société. Il mentionnait en outre que les parts sociales que S.F. détenait au 1er janvier 2006 étaient évaluées à 20 165 034 MDL (environ 1 200 000 EUR). Le 28 juin 2007, la cour d’appel de Chișinău rejeta le recours que le requérant avait formé contre la décision du 22 juin 2007. Elle fit siennes les raisons retenues par le juge d’instruction du tribunal de Buiucani pour placer le requérant en détention provisoire, relevant en outre que ce dernier risquait de s’enfuir par le territoire de la Transnistrie échappant au contrôle des autorités de la Moldova. Elle indiqua enfin que le requérant pouvait être soigné à l’hôpital pénitentiaire. B. Procédures relatives à la prolongation de la détention provisoire et à l’assignation à résidence du requérant Le 28 juin 2007, le procureur demanda au tribunal de Buiucani de prolonger de trente jours la détention provisoire du requérant. Il indiquait des motifs similaires à ceux sur lesquels il avait fondé sa demande initiale de placement en détention provisoire du requérant. Il ajoutait par ailleurs que le requérant n’avait pas de domicile fixe et que la collecte des témoignages des personnes susceptibles d’avoir connaissance des circonstances de l’affaire était encore incomplète. Les avocats du requérant sollicitèrent le rejet de la demande du procureur. Le même jour, un juge d’instruction du tribunal de Buiucani prolongea de vingt jours la détention provisoire du requérant. Le juge notait que l’infraction reprochée au requérant était grave, que l’enquête pénale était en cours et que d’autres mesures d’investigations devaient encore être prises. Faisant référence aux dispositions de l’article 186 § 3 du code de procédure pénale (CPP), il mentionnait en outre que, dans des circonstances exceptionnelles, en fonction de la complexité de l’affaire, de la gravité de l’infraction et du risque de fuite de l’inculpé, la détention provisoire pouvait être prolongée. Il indiquait que le requérant n’avait pas de domicile fixe, car, selon l’information de la police, il n’habitait plus depuis trois ans à son adresse de Bălţi. À une date non précisée, le requérant forma un recours. Il reprochait au procureur de n’avoir présenté aucune preuve concrète qui pût justifier son maintien en détention, soutenant qu’il n’avait aucun moyen d’influer sur le déroulement de l’enquête ou de faire pression sur les témoins. Il s’engageait également à se présenter devant les autorités chaque fois qu’il serait invité à le faire. Le 10 juillet 2007, la cour d’appel de Chișinău rejeta ce recours et confirma la décision du juge d’instruction. Le 16 juillet 2007, le procureur demanda au tribunal de Buiucani de prolonger de trente jours la détention provisoire du requérant. Il indiquait, entre autres, que le requérant pouvait se procurer de nouveaux papiers d’identité et faire falsifier d’autres documents afin de créer des preuves à sa décharge, et que l’identité des personnes qui avaient contrefait les documents utilisés par le requérant et les autres inculpés pour commettre l’infraction restait inconnue. Le 18 juillet 2007, un juge d’instruction du tribunal de Buiucani accueillit la demande du procureur et, se fondant sur les dispositions de l’article 186 § 3 du CPP, prolongea de vingt jours la détention provisoire du requérant. Le juge notait que le requérant était soupçonné d’avoir commis une infraction très grave, qu’il n’avait pas reconnu sa culpabilité et qu’il refusait de déposer. Il notait en outre que les arguments du procureur en faveur de la détention du requérant étaient plus convaincants que ceux que la défense avait avancés en faveur de la libération de son client. Le requérant forma un recours contre cette décision. Par une décision du 24 juillet 2007, la cour d’appel de Chișinău accueillit le recours, infirma le jugement du 18 juillet 2007 et assigna le requérant à résidence, à son adresse de Bălţi, pour une période de trente jours, soit jusqu’au 23 août 2007. Elle astreignit le requérant à ne pas quitter son domicile, à ne pas communiquer directement ou par téléphone avec les personnes interrogées dans le cadre de l’affaire, à ne rien entreprendre qui pût faire obstacle à l’établissement de la vérité, à répondre à tous les appels téléphoniques du procureur ou de l’officier des poursuites pénales et à comparaître à la date, à l’heure et à l’endroit fixés. Elle fonda sa décision sur les motifs que le requérant avait un domicile fixe et un emploi, qu’il était généralement bien estimé, qu’il n’avait pas d’antécédents pénaux, que son état de santé était critique et qu’il s’était vu reconnaître le deuxième degré d’invalidité. Le 7 août 2007, le procureur demanda au tribunal de Buiucani de prolonger de trente jours l’assignation à résidence du requérant. Il invoqua les motifs qu’il avait déjà présentés. Le requérant argüa pour la levée de l’assignation à résidence qu’il était malade et qu’il devait être hospitalisé, qu’il n’y avait aucun risque qu’il entravât le bon déroulement de la procédure et qu’il ne détenait pas de faux papiers d’identité. Le 8 août 2007, un juge d’instruction du tribunal de Buiucani accueillit partiellement la demande du procureur et prolongea l’assignation à résidence du requérant de cinq jours, soit jusqu’au 28 août 2007 à 11 h 55. Le juge évoquait le risque d’entrave à la justice de la part du requérant. Il mentionnait par ailleurs que la défense n’avait présenté aucune preuve confirmant la nécessité d’une hospitalisation du requérant. Le 17 août 2007, le procureur clôtura les investigations et déféra l’affaire au tribunal de Buiucani. Le 22 août 2007, le procureur demanda au tribunal de Buiucani de remplacer l’assignation à résidence du requérant par une détention provisoire de quatre-vingt-dix jours. Il soutenait que le requérant pouvait faire entrave à la justice, à savoir influencer les témoins et faire falsifier des documents. Par un jugement du 28 août 2007, le tribunal de Buiucani assigna le requérant à résidence pour une nouvelle période de quatre-vingt-dix jours. Il estimait que le procureur n’avait pas présenté de preuve suffisante pour justifier le placement en détention provisoire du requérant. Il autorisa également le requérant à suivre un traitement médical dans l’établissement de son choix. L’audience devant le tribunal s’était tenue en présence du requérant entre 10 heures et 17 heures. Le requérant forma à nouveau un recours. Il soutenait, entre autres, que le tribunal de Buiucani avait rendu son jugement le 28 août 2007, à 17 heures, alors que le délai précédent de l’assignation à résidence avait, selon lui, déjà expiré. Par une décision du 10 septembre 2007, la cour d’appel de Chișinău confirma le jugement du 28 août 2007. Elle indiquait que l’assignation à résidence du requérant s’imposait compte tenu de la gravité de l’infraction ainsi que de la nécessité d’assurer le bon déroulement du procès pénal et de maintenir l’ordre public. Elle soulignait en outre que l’audience du 28 août 2007 devant le tribunal de Buiucani avait commencé à 10 heures et que, dès lors, la procédure avait été respectée. Le 23 novembre 2007, le tribunal de Buiucani accueillit la demande du procureur et prolongea de trente jours l’assignation à résidence du requérant. Sur recours du requérant, ce jugement fut confirmé par la cour d’appel de Chișinău le 4 décembre 2007. Le 20 décembre 2007, le tribunal de Buiucani assigna le requérant à résidence pour soixante jours supplémentaires. L’intéressé forma un recours. Par une décision du 29 décembre 2007, la cour d’appel de Chișinău accueillit le recours, infirma le jugement du 20 décembre 2007, mit fin à l’assignation à résidence et ordonna au requérant de ne pas quitter le territoire du pays pendant soixante jours. La Cour n’a pas été informée de la suite de la procédure. C. État de santé du requérant Selon une attestation médicale délivrée à une date non spécifiée par l’hôpital municipal de Bălți, le requérant fut hospitalisé du 11 au 21 mai 2007 avec un diagnostic de cirrhose hépatique virale, de pancréatite chronique et de diabète de type II. Toujours selon cette attestation, le requérant devait être examiné après un délai d’un mois par un endocrinologue. Le requérant fut détenu dans les locaux du CLCEC du 19 juin au 24 juillet 2007. Selon le registre médical du centre de détention du CLCEC, il fut examiné par un médecin à plusieurs reprises. Le 20 juin 2007, le médecin contrôla notamment le taux de glycémie du requérant et lui administra de l’insuline. Le 22 juin 2007, le matin, le médecin nota dans le registre que le requérant ne présentait pas de douleurs, que son état général était satisfaisant et qu’on lui administrait des doses d’insuline ; le soir, le médecin consigna que le requérant avait reçu un colis de la part de ses proches contenant, entre autres, de l’insuline et des seringues. Le 26 juin 2007, le matin, le médecin contrôla le taux de glycémie et nota dans le registre que le requérant recevait régulièrement de l’insuline, à savoir deux fois par jour. Le même jour, le médecin examina le requérant qui accusait un état de faiblesse dû, selon ce dernier, à « ses nerfs » ; le médecin vérifia la tension artérielle du requérant et nota que son état général de santé était satisfaisant. Le 28 juin 2007, le médecin contrôla à nouveau le taux de glycémie du requérant et lui administra de l’insuline. Il nota que l’état général de santé de ce dernier était satisfaisant. Le 30 juin 2007, il nota que le requérant s’était plaint à l’ombudsman de l’interdiction qui lui aurait été faite de prendre certains médicaments. Il précisa qu’il s’agissait de médicaments que le requérant aurait cherché avec insistance à prendre et qui n’auraient pas été identifiables. Le 24 juillet 2007, soit le dernier jour de sa détention, le requérant nota dans le registre médical qu’il n’avait aucune plainte à formuler quant aux soins médicaux reçus. Entre-temps, le 26 juin 2007, le médecin du centre de détention du CLCEC avait dressé un rapport médical concernant le requérant, dans lequel il avait noté, entre autres, que ce dernier avait déclaré souffrir de diabète insulinodépendant, nécessiter des injections d’insuline deux fois par jour et être en mesure de faire lui-même ces injections. Le médecin avait indiqué également que le taux de glycémie était contrôlé constamment et que l’état de santé du requérant était « satisfaisant ». Toutefois, il avait noté que, afin d’évaluer objectivement l’état de santé de l’intéressé, celui-ci pouvait être examiné par un endocrinologue indépendant. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions internes pertinentes en l’espèce sont résumées dans les affaires Sarban c. Moldova (no 3456/05, §§ 51-56, 4 octobre 2005), Musuc c. Moldova (no 42440/06, § 22, 6 novembre 2007) et Ignatenco c. Moldova (no 36988/07, §§ 53 et 54, 8 février 2011).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE Le requérant est né en 1944 et réside à Glyfada. Il est militaire à la retraite. A. Première procédure Le 11 mars 1999, le requérant introduisit une action en dommages-intérêts contre l’État devant la Cour administrative de première instance du Pirée. En particulier, il sollicita les sommes suivantes : a) 3 790 438 drachmes (11 123,81 euros environ) comme réajustement de sa pension et b) 20 000 000 drachmes (58 694,06 euros environ) comme dommage moral qu’il aurait subi à cause de son licenciement. Le 31 mars 2002, l’examen de son affaire fut reporté (décision no 1304/2002). Le 31 janvier 2003, le tribunal administratif du Pirée rejeta son action comme irrecevable (arrêt no 143/2003). B. Seconde procédure Le 15 juillet 2003, le requérant introduisit une nouvelle action contre l’État devant la Cour des comptes. Il sollicita a) 11 653,75 euros comme réajustement de sa pension et b) 58 694,05 euros comme dommage moral qu’il aurait subi à cause de son licenciement. Le 18 janvier 2008, la Cour des comptes par un arrêt avant dire droit reporta l’examen de l’affaire (décision no 181/2008). Une nouvelle audience eut lieu le 7 novembre 2008. Le 6 novembre 2009, la Cour des comptes accepta partiellement son action. En particulier, elle ordonna l’État à verser au requérant la somme de 1 210,08 euros comme réajustement de sa pension. En outre, ladite Cour rejeta sa demande pour dommage moral comme dénuée de fondement. Elle observa que, en tenant compte de l’âge et du statut social et économique du requérant, ce dernier n’avait pas subi de dommage moral (arrêt no 3325/2009). Cet arrêt lui a été notifié le 27 novembre 2009.
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A. Le contexte des affaires Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers. Les présentes requêtes portent sur des procédures engagées par les requérants ou leurs devanciers en vue d’obtenir le réajustement et l’augmentation du montant de leurs pensions conformément aux dispositions de ces lois. B. Les procédures en cause Requête no 75226/12 À une date non précisée, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 5 avril 2002, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 19 mars 2003, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État. Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit le 12 août 2003 la Cour des comptes d’un recours contre le rejet tacite de sa demande. Le 22 janvier 2004, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État rejeta l’opposition du requérant datée du 19 mars 2003 par sa décision no 248/2004. Le 18 avril 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 1011/2008). Le 17 juillet 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 1011/2008. Le 8 février 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 461/2012). L’arrêt fut notifié au requérant le 15 mai 2012. Requête no 75972/12 À une date non précisée, le devancier des requérants saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 10 décembre 2001, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 20 décembre 2002, le devancier des requérants saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale. Le 12 janvier 2006, le devancier des requérants décéda. Ces derniers lui succédèrent dans la procédure. Une audience eut lieu le 19 janvier 2007. En raison de l’omission de la Comptabilité générale de fournir le dossier de pension du devancier des requérants, la Cour des comptes par un arrêt avant dire droit reporta l’examen de l’affaire. Une nouvelle audience eut lieu le 7 décembre 2007. Le 7 mars 2008, la Cour des comptes donna gain de cause aux requérants (arrêt no 563/2008). Le 17 juin 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 563/2008. Le 7 décembre 2011, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 3234/2011). L’arrêt fut notifié aux requérants le 22 mai 2012. Requête no 76954/12 Le 7 avril 2003, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 11 août 2003, suite au rejet tacite de sa demande, il forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État. Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 24 novembre 2003, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet tacite de sa demande. Le 23 février 2005, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État rejeta l’opposition du requérant datée du 11 août 2003 par sa décision no 846/2005. Le 6 juin 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 1485/2008). Le 24 septembre 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 1485/2008. Le 4 avril 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 924/2012). L’arrêt fut notifié au requérant le 29 mai 2012. Requête no 78721/12 Le 31 décembre 2005, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 23 janvier 2006, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 3 août 2006, le requérant saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale. Le 27 juin 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 1773/2008). Le 7 octobre 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 1773/2008. Le 4 avril 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 933/2012). L’arrêt fut notifié au requérant le 7 juin 2012. Requête no 78786/12 Le 20 décembre 2002, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. À une date non précisée, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 19 février 2003, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État. Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 10 décembre 2003, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet tacite de sa demande. Entretemps, le 22 septembre 2003, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État, par sa décision no 1483/2003, avait rejeté l’opposition du requérant datée du 19 février 2003. Le 27 juin 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 1761/2008). Le 7 octobre 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 1761/2008. Le 7 mars 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 746/2012). L’arrêt fut notifié au requérant le 5 juin 2012. Requête no 909/13 Le 24 septembre 2002, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Par décision du 17 décembre 2002, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 2 mai 2003, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État. Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 30 janvier 2004, la Cour des comptes. Le 16 septembre 2004, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État, par sa décision no 2649/2004, rejeta l’opposition du requérant datée du 2 mai 2003. Le 27 juin 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 1696/2008). Le 7 octobre 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 1696/2008. Le 4 avril 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 939/2012). L’arrêt fut notifié au requérant le 20 juin 2012. Requête no 920/13 Le 3 décembre 2001, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Par décision du 17 décembre 2002, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 16 février 2004, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État. Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 6 juillet 2004, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet tacite de l’administration. Le 20 avril 2005, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État, par sa décision no 1822/2005, rejeta l’opposition du requérant datée du 16 février 2004. Le 27 juin 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 1694/2008). Le 7 octobre 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 1694/2008. Le 2 mai 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1392/2012). L’arrêt fut notifié au requérant le 28 juin 2012. Requête no 1304/13 À une date non précisée, le devancier des requérants saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. À une date non précisée, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 10 juillet 2002, le devancier des requérants saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale. Le 4 octobre 2003, le devancier des requérants décéda. Le 17 février 2006, ces derniers lui succédèrent dans la procédure. Une audience eut lieu le 17 novembre 2006. En attente d’une décision de la formation plénière sur la question de la constitutionnalité d’une disposition, la Cour des comptes reporta l’examen de l’affaire. Une nouvelle audience eut lieu le 6 juin 2008. Le 17 octobre 2008, la Cour des comptes donna gain de cause aux requérants (arrêt no 2377/2008). Le 16 novembre 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 2377/2008. Le 2 mai 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1426/2012). L’arrêt fut notifié aux requérants le 3 juillet 2012. Requête no 2394/13 Le 27 avril 2001, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Par décision du 17 décembre 2002, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande. Le 16 février 2004, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État. Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 7 juillet 2004, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet tacite de sa demande. Le 19 mai 2005, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État, par sa décision no 2266/2005, rejeta l’opposition du requérant datée du 16 février 2004. Le 21 novembre 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 2594/2008). Le 16 novembre 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 2594/2008. Le 2 mai 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1418/2012). L’arrêt fut notifié au requérant le 6 juillet 2012. C. Le droit interne pertinent La loi no 4239/2014 La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose: « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est une ressortissante suisse née en 1964. Elle réside actuellement en Suisse, à Binningen, dans le canton de Bâle-Campagne. La requérante fut autrefois mariée avec un ressortissant français qui travaille à Bâle, en Suisse, depuis vingt-cinq ans. Les époux avaient leur domicile commun à Saint-Louis, en France, près de la frontière suisse. De leur mariage sont nés deux enfants, F. et M., respectivement en 1993 et 1999. Le divorce du couple fut prononcé le 10 octobre 2000 par le tribunal de grande instance de Mulhouse. Le tribunal constata que les parties étaient convenues que l’autorité parentale sur les enfants serait exercée en commun. La résidence principale de ceux-ci fut fixée chez la mère, le père se voyant reconnaître un droit de visite. Les deux parties interjetèrent appel. Par un arrêt du 24 janvier 2006, la cour d’appel de Colmar rejeta l’appel de chacun des parents. Elle observa en effet que les enfants évoluaient bien dans leur situation actuelle et estima prudent de ne pas modifier leur résidence habituelle chez leur mère. En sens inverse, la cour d’appel rejeta la demande de la mère tendant à ce que l’exercice de l’autorité parentale lui soit attribué à titre exclusif. Le 12 mai 2006, le père adressa à la requérante, après avoir appris son intention de déménager en Suisse, une lettre l’informant qu’il s’opposait « radicalement » à cette « décision unilatérale » de changement de domicile et de lieu de scolarité des enfants, et qu’il avait l’intention de saisir immédiatement le juge afin qu’il statue sur ce différend. Le 19 mai 2006, la requérante quitta la France pour s’installer à Binningen, à environ 7 km du domicile du père. Près d’un an plus tard, par une demande du 9 mai 2007, le père des enfants sollicita leur retour, en se fondant sur la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Par une décision du 13 juin 2007, la présidente du tribunal de district d’Arlesheim, après avoir entendu les deux enfants le 23 mai 2007, rejeta la demande de retour. Le compterendu relatant les déclarations des enfants fut rédigé par le greffier du tribunal de district d’Arlesheim alors que la présidente du tribunal menait l’entretien. L’aînée, F., exprima le souhait que ses déclarations ne soient pas communiquées aux parties. Selon le Gouvernement, la motivation de la décision aurait été exposée oralement aux parties lors du prononcé. De plus, un procès-verbal des débats devant ce tribunal fut rédigé et remis aux parties, procès-verbal dont le Gouvernement a remis une copie à la Cour. Le père forma un recours devant le tribunal cantonal de Bâle-Campagne. Dans ses observations du 6 juillet 2007 à l’attention du tribunal cantonal, le tribunal de district d’Arlesheim expliqua, entre autres, son jugement comme suit. En premier lieu, à ses yeux il ne s’agissait pas d’un enlèvement d’enfants proprement dit, mais plutôt d’une violation par la requérante du droit de garde, en ce sens que celle-ci n’avait pas respecté le refus fermement opposé par son ex-mari à son projet de déplacement des enfants. Selon le tribunal de district, en effet, eu égard à la distance peu importante entre l’ancien et le nouveau domicile, il n’y avait jamais eu de véritable « enlèvement ». On pouvait également avoir des doutes, au vu des circonstances très particulières de l’espèce, sur la question de savoir si la Convention de La Haye était applicable. En second lieu, lors de l’audition, F. avait selon lui déclaré clairement et sans équivoque qu’elle voulait vivre en Suisse et qu’elle s’opposait à son retour en France, et cela sans être influencée par quiconque. Par une décision du 4 septembre 2007, le tribunal cantonal de Bâle-Campagne accueillit le recours du père et ordonna le retour des enfants dans un délai expirant le 18 octobre 2007. Dans ses motifs, le tribunal cantonal nota tout d’abord que le compterendu de l’audition des enfants par la présidente du tribunal de district faisait apparaître : – que M., âgé alors de 8 ans, avait déclaré qu’il lui était égal de vivre en France ou en Suisse pourvu qu’il puisse rester avec sa mère ; – que sa sœur F., âgée alors de 14 ans, avait déclaré de son côté qu’elle préférait rester en Suisse chez sa mère. Tout en jugeant que le compte-rendu de cette audition des enfants en première instance était « problématique » et qu’il aurait été préférable que fût établi un procès-verbal détaillant les questions posées et les réponses des intéressés, le tribunal cantonal estima qu’il en ressortait déjà qu’on ne pouvait déduire des déclarations de la fille de la requérante une aversion ou une opposition à proprement parler à l’idée d’un retour en France. En l’absence de raisons sérieuses et compréhensibles, les motifs donnés par celle-ci n’étaient pas, aux yeux du tribunal cantonal, de nature à justifier en l’espèce l’application de l’exception au retour prévue à l’article 13 alinéa 2 de la Convention de La Haye (paragraphe 23 cidessous). Partant, le tribunal cantonal conclut qu’eu égard à la finalité claire de la Convention de La Haye il eût été arbitraire d’entrer, pour refuser leur retour en France, dans des considérations d’ordre général relatives à l’intérêt supérieur des enfants, qui n’étaient pas pertinentes en l’espèce (« (...) es willkürlich ist, wenn entgegen der klaren Zielsetzung des Übereinkommens die Rückgabe unter Verweis auf nicht zulässige allgemeine Kindeswohlüberlegungen verweigert wird »). Le 8 octobre 2007, la requérante saisit le Tribunal fédéral d’un recours en matière civile, exposant qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants qu’ils restent auprès d’elle en Suisse. Elle soutenait également que les constatations du tribunal cantonal étaient en contradiction avec les conclusions que la juridiction de première instance avait tirées de l’audition des enfants. De même, à ses yeux, si le tribunal cantonal estimait lacunaire le compte-rendu de l’instance inférieure, il aurait dû ordonner une nouvelle audition des enfants. Faute d’avoir procédé ainsi, c’était selon elle à tort que le tribunal cantonal avait refusé l’application des exceptions au retour des enfants en vertu de l’article 13 de la Convention de La Haye. Par un arrêt 5A.582/2007 du 4 décembre 2007 (publié au Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse (ATF) 134 III 88), le Tribunal fédéral rejeta le recours. Dans le dispositif de l’arrêt, le Tribunal fédéral ordonna le retour des enfants en France dans un délai expirant le 31 janvier 2008. L’arrêt motivé fut notifié à l’avocat de la requérante le 21 janvier 2008. Dans ses motifs, le Tribunal fédéral estima que l’on se trouvait dans un cas d’enlèvement d’enfant au sens de l’article 3 alinéa, lettre a), de la Convention de La Haye, ce qui n’avait pas véritablement été mis en doute par la requérante. Le tribunal examina ensuite si la requérante pouvait se prévaloir de l’article 13 alinéa 2 de ladite Convention, qui permet à l’autorité judiciaire ou administrative de refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’y oppose et qu’il a atteint un âge et une maturité justifiant qu’il soit tenu compte de son opinion. Ensuite, le Tribunal fédéral se posa la question de savoir si, au vu de certaines carences du compte-rendu de l’audition devant la juridiction de première instance, il y avait lieu de renvoyer l’affaire au tribunal cantonal afin que celui-ci procède à une nouvelle audition. Il considéra que le compte-rendu était tout de même relativement détaillé et précisait notamment les raisons pour lesquelles F., en particulier, préférait rester en Suisse, à savoir le fait qu’elle y avait trouvé rapidement de nouveaux amis sans perdre totalement le contact avec ceux qu’elle avait gardés en France et que ses résultats scolaires étaient généralement satisfaisants. Dès lors, selon lui, une nouvelle audition ne s’imposait pas. Par ailleurs, pour le Tribunal fédéral, il était tout à fait normal qu’après avoir passé deux ans à Binningen, F. ait déclaré qu’elle préférait rester en Suisse. En tout état de cause, on ne pouvait pas prétendre qu’elle s’« oppos[ait] » véritablement à son retour, au sens de l’article 13 alinéa 2 de la Convention de La Haye. Selon le Tribunal fédéral, l’opposition envisagée par ladite convention devait s’appuyer sur des motifs compréhensibles et particuliers et être affirmée avec vigueur (« mit nachvollziehbaren speziellen Gründen unterlegt sein und überdies mit einem gewissen Nachdruck vertreten werden »). En ce qui concernait M., le Tribunal fédéral estima que celui-ci n’était pas capable de former une volonté autonome à propos de la question de son retour en France et nota, de surcroît, que la requérante n’alléguait aucune opposition semblable de sa part. Le 28 janvier 2008, la Cour refusa d’indiquer des mesures provisoires en application de l’article 39 de son règlement. Par une lettre du 4 juillet 2008, l’avocat de la requérante informa la Cour qu’afin de se conformer à l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral, sa cliente avait pris résidence à Saint-Louis depuis le 25 janvier 2008. Sur demande de la Cour, la requérante a fait savoir, par une lettre du 19 décembre 2013, parvenue au greffe le 2 janvier 2014, que par une ordonnance du juge aux affaires familiales du 21 avril 2008, le tribunal de grande instance de Mulhouse avait rejeté la demande du père tendant à ce que lui soit attribué l’exercice exclusif de l’autorité parentale à l’égard des enfants et à ce que la résidence des enfants soit transférée au domicile paternel. La requérante a informé également la Cour que par un jugement du 13 juillet 2009 le tribunal de grande instance de Mulhouse avait décidé que les enfants seraient scolarisés en Suisse et que, à la suite de ce jugement, elle était retournée avec ses enfants à Binningen. Elle a précisé que la partie du dispositif du jugement du tribunal de grande instance de Mulhouse du 13 juillet 2009 fixant la résidence habituelle des enfants chez leur mère comportait la mention de son adresse à « Binningen ». Par une procuration du 19 mars 2014, F., la fille de la requérante, a autorisé la Cour à consulter le compte-rendu de son audition du 23 mai 2007 par la présidente du tribunal de district d’Arlesheim, rédigé par le greffier du tribunal (paragraphe 13 cidessus). Il ressort de ce document que F. avait déclaré en substance : qu’elle désirait rester en Suisse où elle s’était bien intégrée ; qu’elle y avait rencontré de nouveaux amis sans totalement perdre le contact avec ses amis restés en France ; que ses résultats scolaires étaient généralement satisfaisants ; et qu’elle craignait de devoir, dans l’éventualité d’un retour en France, intégrer une nouvelle école où elle ne connaîtrait personne. II. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, traité international entré en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 1984 (recueil systématique no 0.211.230.02), sont ainsi libellées : Article 1 : « La présente Convention a pour objet : a. d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant ; b. de faire respecter effectivement dans les autres États contractants les droits de garde et de visite existant dans un État contractant. (...) Article 3 : Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite : a. lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour, et b. que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus. Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État. Article 12 : Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat. L’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu. Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis a des raisons de croire que l’enfant a été emmené dans un autre État, elle peut suspendre la procédure ou rejeter la demande de retour de l’enfant. Article 13 : Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit : (...) b. qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable. L’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion. Dans l’appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l’Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’État de la résidence habituelle de l’enfant sur sa situation sociale. (...) » L’article 12 de la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant, entrée en vigueur pour la Suisse le 26 mars 1997, est libellé comme suit : « 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. » Selon l’observation générale no 12 (2009) du Comité des droits de l’enfant des Nations unies du 20 juillet 2009 relative à l’article 12 de la Convention sur les droits de l’enfant, l’enfant ne doit pas être interrogé plus souvent que nécessaire car une audition est un processus difficile qui peut avoir pour lui des conséquences traumatisantes.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1970 et réside actuellement en Roumanie. A. Les conditions de détention à la prison d’Anvers La version du requérant Le 10 octobre 2011, le requérant fut arrêté et placé en détention préventive dans la maison d’arrêt d’Anvers. Il expose qu’il fut obligé de dormir sur un matelas posé à même le sol dans une cellule de 8 m² qu’il partageait avec deux codétenus qui fumaient beaucoup et consommaient de la drogue dans la cellule. Il demanda au médecin de la prison de recevoir un autre matelas en raison de ses problèmes de dos mais il n’en aurait pas reçu. Le médecin lui aurait simplement prescrit des antidouleurs. La version du Gouvernement Le Gouvernement expose que le requérant occupa plusieurs cellules au cours de son séjour à la prison d’Anvers entre le 10 octobre et le 23 novembre 2011. Du 10 octobre au 17 octobre 2011, le requérant occupa une cellule qui mesurait 18,4 m² et qui comprenait quatre lits superposés, une fenêtre, le chauffage central et une toilette dans un espace séparé. La cellule était occupée par cinq détenus, dont un devait dormir sur un matelas posé au sol. Du 17 octobre au 2 novembre 2011, le requérant occupa une cellule de 8,4 m² qui comprenait deux lits superposés, une fenêtre, le chauffage central et une toilette dans un espace séparé. La cellule était occupée par trois personnes, dont une devait dormir sur un matelas posé au sol. Entre le 2 novembre et le 11 novembre 2011, le requérant occupa une cellule de 10,4 m² qui comprenait deux lits superposés, une fenêtre, le chauffage central et une toilette derrière un paravent. La cellule était occupée par le requérant et un autre détenu. Du 11 novembre au 23 novembre 2011, le requérant occupa une cellule de 9,12 m² qui comprenait deux lits superposés, une fenêtre, le chauffage central et une toilette dans un espace séparé. La cellule était occupée par le requérant et un autre détenu. Le Gouvernement précise également que pour les détenus qui ne travaillent pas, deux types de journées s’alternent avec un jour sur deux, deux périodes de promenades de chacune une heure et demie (jour A) et l’autre jour, une période de promenade de deux heures (jour B). Les détenus auraient également la possibilité de s’inscrire à des cours ayant lieu entre 13h et 15h et à des activités sportives. Un accès aux douches serait prévu un jour sur deux. B. Les conditions de détention à la prison de Merksplas La version du requérant Le 23 novembre 2011, le requérant fut transféré à la prison de Merksplas. Pendant neuf semaines, il rapporte qu’il fut placé dans le pavillon « cellules » dans une cellule sans eau ni toilette avec un autre détenu qui fumait. Le 2 janvier 2012, il fut placé dans le pavillon « A » dans une cellule de 16 m² partagée avec trois codétenus fumeurs. Il expose qu’il demanda à l’administration pénitentiaire d’être placé dans une cellule non-fumeur mais que sa demande fut refusée au motif que le requérant « n’était pas à l’hôtel ». Jusqu’au 19 septembre 2012, le requérant allègue que sa cellule était éclairée quotidiennement par une lumière de type néon allumée en continu entre 6h30 et 22h. Le requérant expose qu’il demanda à plusieurs reprises au médecin de la prison d’effectuer des analyses et radiographies en raison de ses problèmes de dos et de genou. Le médecin aurait refusé et lui aurait prescrit des antidouleurs. Le requérant aurait également demandé à être hospitalisé mais cela lui aurait été refusé. Le requérant dit avoir brièvement été transféré à la prison de Bruges en février et mars 2012. La version du Gouvernement Le Gouvernement fait valoir que, entre le 23 novembre 2011 et le 2 janvier 2012, le requérant séjourna au pavillon pour les nouveaux entrants, dit pavillon « cellules ». Il y fut détenu dans une cellule de 8,6 m² qui comprenait deux lits superposés, une table et deux chaises, une télévision, un frigo, le chauffage central, un ventilateur et une fenêtre. Les cellules de ce pavillon ne sont équipées ni de lavabos ni de toilettes. De l’eau chaude et de l’eau froide seraient cependant distribuées le matin et l’après-midi. D’après le Gouvernement, il y a des toilettes dans le couloir auxquelles les détenus peuvent librement accéder en journée, et ils disposent d’un seau hygiénique pour la nuit. Le requérant séjourna dans une telle cellule avec un autre détenu. Les détenus disposent d’un temps de promenade d’une heure et demie à deux heures par jour. Après un bref passage de dix jours dans le pavillon « A bis », le requérant fut placé dans le pavillon « A » le 12 janvier et ce jusqu’au 11 juillet 2012. Le requérant séjourna dans une cellule de 18,4 m² qui comprenait quatre lits superposés, un frigo, un ventilateur, une table et quatre chaises, le chauffage central et une fenêtre. La cellule disposait également de deux lavabos et d’une toilette dans un espace séparé. Le requérant séjourna dans cette cellule avec trois autres détenus. Une journée classique dans le pavillon « A » se déroule avec quatre heures de travail dans la matinée, près de quatre heures de travail l’après-midi, puis d’une promenade ou autre activité en soirée après 19h. Concernant l’absence alléguée de soins médicaux, le Gouvernement expose que peu après l’arrivée du requérant à la prison de Merksplas, un lumbago fut diagnostiqué au requérant et il fut prescrit des antiinflammatoires le 20 avril 2012. Le requérant obtint également des séances de kinésithérapeute le 31 juillet et le 23 août 2012. Un rendez-vous fut également pris auprès d’un médecin spécialiste pour le mois de décembre 2012 mais le requérant fut entre-temps mis en liberté (voir paragraphe 25, ci-dessous). Par ailleurs, le Gouvernement indique que le requérant fut placé dans le pavillon « cellules » de la prison de Merksplas entre le 27 mars et le 14 avril 2012 « pour des raisons d’organisation de la prison », non spécifiques au requérant. Le Gouvernement ne précise rien quant aux conditions de détention du requérant après le 11 juillet 2012 et jusqu’à sa mise en liberté. C. Les demandes de mise en liberté du requérant Entre-temps, au cours de sa détention, le requérant introduisit une requête de mise en liberté conditionnelle en vue de rentrer en Roumanie. Le 7 novembre 2011, le tribunal de l’application des peines d’Anvers rejeta sa demande. Le 13 décembre 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par le requérant. Elle considéra notamment que l’article 6 de la Convention ne s’appliquait pas à la procédure devant le tribunal de l’application des peines. Le 6 avril 2012, le tribunal de l’application des peines rejeta une nouvelle demande de libération conditionnelle du requérant. Le requérant dit qu’il souhaita se pourvoir en cassation à l’encontre de ce jugement mais que son avocat commis d’office refusa d’introduire un pourvoi. Le 22 octobre 2012, le requérant fut mis en liberté et renvoyé en Roumanie. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Règles relatives au statut juridique des détenus Les droits des détenus sont actuellement régis par la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus, souvent dite « Loi Dupont » (ci-après « la loi de principes »). L’article 180 de cette loi prévoit que ses dispositions entrent en vigueur à une date fixée par arrêté royal. Les dispositions de la loi de principes entrent donc en vigueur progressivement, au gré des arrêtés royaux d’exécution adoptés. L’article 5 § 1er de la loi de principes, entré en vigueur le 15 janvier 2007 en application de l’arrêté royal du 28 décembre 2006, prévoit : « L’exécution de la peine ou mesure privative de liberté s’effectue dans des conditions psychosociales, physiques et matérielles qui respectent la dignité humaine, permettent de préserver ou d’accroître chez le détenu le respect de soi et sollicitent son sens des responsabilités personnelles et sociales. » L’article 19 de cette même loi, entré en vigueur le 1er septembre 2011 en application de l’arrêté royal du 8 avril 2011, prévoit en son paragraphe 1er : « Lors de son accueil, le détenu sera informé de ses droits et de ses devoirs, des règles en vigueur dans la prison ou dans la section, du rôle du personnel ainsi que des possibilités existant sur place ou accessibles à partir de là en matière d’aide médicale, juridique, psychosociale et familiale, en matière de soutien moral, philosophique ou religieux ainsi qu’en matière d’aide sociale. » Les articles 41 à 44 de la loi de principes régissent les conditions de vie matérielles des détenus. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er septembre 2011 en application de l’arrêté royal du 8 avril 2011, et prévoient ce qui suit : Article 41 « § 1er. Le détenu a le droit d’aménager à sa guise l’espace de séjour qui lui est dévolu, pour autant qu’il respecte les dispositions du règlement d’ordre intérieur relatives à l’ordre et à la sécurité. § 2. Le Roi fixe les conditions auxquelles les espaces de séjour et les espaces réservés aux activités communes doivent répondre en matière de santé, de sécurité incendie et d’hygiène, et fixe à cet effet des règles portant au minimum sur les dimensions, l’éclairage, l’aération, les installations sanitaires et l’entretien. » Article 42 « L’alimentation du détenu doit être fournie en quantité suffisante, respecter les normes d’hygiène modernes et, le cas échéant, être adaptée aux exigences de son état de santé. » Article 43 « § 1er. En prison, le détenu a le droit de porter ses propres vêtements et chaussures pour autant que ceux-ci répondent aux normes dictées par une cohabitation forcée avec autrui sur le plan de l’hygiène, de la bienséance, de l’ordre ou de la sécurité. La prison met des chaussures et des vêtements adéquats à la disposition des détenus qui ne souhaitent pas porter leurs propres vêtements et chaussures. § 2. Le directeur peut obliger le détenu à porter des chaussures ou vêtements adéquats mis à sa disposition par la prison lorsque les chaussures et vêtements personnels du détenu ne répondent pas aux normes fixées au § 1er, alinéa 1er. § 3. Durant le travail ou d’autres activités, le détenu peut être contraint de porter les chaussures ou vêtements adaptés qui lui sont fournis. § 4. Les règles en vigueur dans la prison en matière de port et d’entretien des vêtements et des chaussures sont précisées dans le règlement d’ordre intérieur. » Article 44 « Le chef d’établissement veille à ce que le détenu soit en mesure de soigner chaque jour convenablement son apparence et son hygiène corporelle. » Dans l’attente de l’entrée en vigueur de l’ensemble des dispositions de la loi de principes, les droits des détenus sont régis par l’arrêté royal du 21 mai 1965 portant règlement général des établissements pénitentiaires et l’arrêté ministériel du 12 juillet 1971 portant instructions générales pour les établissements pénitentiaires. La loi de principes a été complétée par la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine. Cette loi confie à la direction générale Établissements pénitentiaires (« DG EPI ») du Service public fédéral (« SPF ») de la Justice (ministère de la Justice) l’exécution des peines et mesures privatives de liberté. La direction de la gestion de la détention, qui relève de la DG EPI, est chargée de la gestion des permissions de sortie et des congés pénitentiaires ainsi que du choix de la prison dans laquelle un détenu est placé initialement ou transféré par la suite. B. Les recours disponibles aux détenus L’action en référé et la jurisprudence fournie par le Gouvernement Une personne détenue qui s’estime lésée dans ses droits subjectifs peut, sur la base de l’article 584 du code judiciaire, saisir d’une action en référé le président du tribunal de première instance compétent. Cette disposition prévoit que : « Le président du tribunal de première instance statue au provisoire dans les cas dont il reconnaît l’urgence, en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire. Le président du tribunal du travail et le président du tribunal de commerce peuvent statuer au provisoire dans les cas dont ils reconnaissent l’urgence, dans les matières qui sont respectivement de la compétence de ces tribunaux. Le président est saisi par voie de référé ou, en cas d’absolue nécessité, par requête. Il peut notamment : [...] 3o ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde des droits de ceux qui ne peuvent y pourvoir, y compris la vente des meubles délaissés ou abandonnés ; [...] » À titre d’illustration de l’utilisation de cette procédure par les détenus, le Gouvernement fournit plusieurs exemples développés cidessous. a) Quant aux relations avec d’autres détenus Par une ordonnance du 26 juillet 1998, le président du tribunal de première instance de Bruxelles sanctionna l’exposition à un risque important de récidive de toxicomanie pour un détenu ayant fait preuve d’une volonté réelle de désintoxication. Aussi, par une ordonnance du 18 décembre 2008, le président du tribunal de première instance de Verviers jugea non fondée la requête d’un détenu qui se plaignait de ne pas être seul en cellule. b) Quant aux mesures de sécurité Par un arrêt du 14 juillet 2004, la cour d’appel de Gand, statuant en référé, ordonna l’arrêt des fouilles à corps hebdomadaires auxquelles un détenu était soumis sans justification suffisante. De même, par un arrêt du 17 mars 2010, la cour d’appel d’Anvers, statuant en référé, ordonna l’arrêt de fouilles demandant que les détenus se déshabillent entièrement sans qu’il y ait eu une décision spécifique du directeur. c) Quant au droit à la santé physique et psychique Par un arrêt du 31 août 2009, la cour d’appel de Liège, statuant en référé, condamna l’État belge à adapter le régime alimentaire d’un détenu aux recommandations médicales d’application à l’égard de ce détenu. Dans le même ordre, par une ordonnance du 13 août 2010, le président du tribunal de première instance de Bruxelles condamna l’État belge à conduire le requérant dans un hôpital afin qu’il y reçoive les soins requis par son état de santé. Aussi, par une ordonnance du 10 septembre 2012, le président du tribunal de première instance de Bruxelles condamna l’État belge à remettre provisoirement un détenu en liberté pour raison médicale. Enfin, par une ordonnance du 16 juillet 2013, le président du tribunal de première instance de Bruxelles ordonna que des mesures soient prises visant à permettre un suivi psychiatrique et psychologique régulier d’un détenu en détention préventive. d) Quant aux conditions de vie matérielles du détenu Le Gouvernement fournit deux exemples à ce sujet. Premièrement, il fait valoir que par une ordonnance du 12 décembre 2012, le président du tribunal de première instance de Hasselt rejeta la demande d’un détenu à disposer d’un ordinateur personnel. Deuxièmement, par un arrêt du 29 janvier 2013, la cour d’appel de Bruxelles, statuant en référé, déclara non fondée la demande d’un détenu à disposer en cellule de divers objets. L’action en réparation et la jurisprudence fournie par le Gouvernement Une personne détenue peut également introduire devant le juge judiciaire une procédure contre l’État sur le fondement de l’article 1382 du code civil aux fins de le voir jugé responsable d’une faute résultant d’une violation d’un droit subjectif et condamné à une réparation du dommage. L’article 1382 du code civil dispose ce qui suit : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. » Le Gouvernement fournit trois exemples d’utilisation de ce recours par des personnes détenues. Premièrement, par un jugement du 17 septembre 1992, le tribunal de première instance de Liège retint la responsabilité de l’État belge dans un cas où un détenu s’était blessé alors qu’il jouait au football, en raison de l’état défectueux du terrain de jeu de la prison et condamna l’État belge au paiement d’indemnités au bénéfice du détenu. Le tribunal de première instance de Gand parvint le 7 septembre 2012 à la même conclusion dans une affaire où le détenu avait été blessé au cours de son travail effectué en prison. Enfin, par citation du 8 août 2006 devant le tribunal de première instance de Bruxelles, un demandeur qui avait été placé en détention préventive du 31 janvier 2006 au 11 mai 2006 se plaignait devant le juge du fond de ses conditions de détention à la prison de Forest (mauvaises conditions d’hygiène, pas de traitement médical approprié, pas d’eau courante ni de toilette en cellule). Le demandeur demandait 10 000 euros à titre provisionnel. Suite à sa mise en liberté, il n’avait cependant pas poursuivi la procédure et il n’y eut dès lors pas de jugement. Les commissions de surveillance En 2003, des commissions de surveillance auprès de chaque prison et un conseil central de surveillance pénitentiaire furent créés en vertu de l’arrêté royal du 21 mai 1965 portant règlement général des établissements pénitentiaires, modifié par l’arrêté royal du 4 avril 2003. L’instauration de ces commissions visait à répondre aux nombreuses critiques concernant le manque de contrôle indépendant sur les prisons. La mission et la compétence des commissions de surveillance sont ainsi définies dans l’arrêté royal du 21 mai 1965 : Article « La Commission de Surveillance a pour mission : 1o d’exercer un contrôle indépendant sur la prison auprès de laquelle elle a été instituée, sur le traitement réservé aux détenus et sur le respect des règles les concernant * 2o de soumettre au Ministre et au Conseil central de surveillance pénitentiaire, soit d’office, soit sur demande, des avis et des informations concernant des questions, qui, dans la prison présentent un lien direct ou indirect avec le bien-être des détenus, et de formuler les propositions qu’elle juge appropriées ; 3o de rédiger annuellement pour le Conseil central de surveillance pénitentiaire un rapport sur tout ce qui concerne le traitement réservé aux détenus et le respect des règles en la matière dans la prison pour laquelle elle est compétente. » « § 1er. Pour autant que cela soit nécessaire à l’accomplissement de leurs missions définies à l’article 138ter, les membres de la Commission de surveillance ont librement accès à tous les endroits de la prison et ont le droit de consulter sur place, sauf exceptions prévues par la loi, tous les livres et documents se rapportant à la prison et, moyennant accord écrit préalable du détenu, toutes les pièces contenant des informations individuelles le concernant. § 2. Ils ont le droit d’entretenir une correspondance avec les détenus sans être contrôlés et d’entrer en contact avec eux sans être surveillés. § 3. Le président de la Commission de surveillance rencontre le conseiller-directeur des prisons de la prison une fois par mois ainsi que chaque fois que des circonstances particulières le requièrent. » Le droit de plainte instauré par la loi de principes Le titre VIII de la loi de principes prévoit l’instauration d’un droit de plainte des détenus auprès d’une commission des plaintes instituée auprès de chaque commission de surveillance. Ces commissions des plaintes seront qualifiées pour traiter les plaintes individuelles des détenus ; les commissions de surveillance exerceront également une fonction de surveillance générale. Les détenus se verront donc reconnaître le droit de contester auprès de cette instance les décisions les concernant, la commission des plaintes ayant le pouvoir d’annuler une décision de la direction. Toutefois, à ce jour, ce titre de la loi de principes n’est pas encore entré en vigueur parce qu’un arrêté royal d’exécution n’a pas encore été pris. C. Les demandes de libération conditionnelle en vue de l’éloignement du territoire En vertu de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine, le tribunal de l’application des peines rend des décisions sur l’exécution des peines privatives de liberté. Les éléments de la procédure devant le tribunal de l’application des peines pertinents pour le cas d’espèce sont ainsi décrits dans la loi précitée : Article 30 « § 1er. La libération conditionnelle et la mise en liberté provisoire en vue de l’éloignement du territoire ou de la remise sont accordées par le juge de l’application des peines sur demande écrite du condamné. [...] » Article 35 « § 1er. Le juge de l’application des peines entend le condamné et son conseil, le ministère public, et, si le condamné est en détention, le directeur. [...] » Article 36 « L’audience se déroule à huis clos. Lorsque le juge de l’application des peines a refusé trois fois d’accorder une modalité d’exécution de la peine, le condamné peut demander de comparaître en audience publique. Cette demande ne peut être rejetée, par décision motivée, que si cette publicité est dangereuse pour l’ordre public, les bonnes mœurs ou la sécurité nationale. » Article 96 « Les décisions du juge de l’application des peines et du tribunal de l’application des peines relatives à l’octroi, au refus ou à la révocation des modalités d’exécution de la peine visées au Titre V, et à la révision des conditions particulières, ainsi que les décisions prises en vertu du Titre XI sont susceptibles de pourvoi en cassation par le ministère public, soit d’office, soit par les ordres du Ministre de la Justice, et le condamné. » Article 97 « § 1er. Le ministère public se pourvoit en cassation dans un délai de vingt-quatre heures à compter du prononcé du jugement. Le condamné se pourvoit en cassation dans un délai de quinze jours à compter du prononcé du jugement. La déclaration de recours en cassation doit être signée par un avocat. Les moyens de cassation sont proposés dans un mémoire qui doit parvenir au greffe de la Cour de cassation au plus tard le cinquième jour qui suit la date du pourvoi. [...] » III. LA SITUATION CARCÉRALE EN BELGIQUE En Belgique, les établissements pénitentiaires relèvent de la compétence du SPF de la Justice. En 2013, elle comptait 32 établissements pénitentiaires, dont 16 en Flandre, 14 en Wallonie et 2 à Bruxelles. Ces établissements se divisent en deux catégories : les maisons d’arrêt qui accueillent des personnes incarcérées en application de la loi sur la détention préventive, et les établissements pour peine où sont incarcérées les personnes qui ont été condamnées à exécuter une peine privative de liberté. D’après la Notice 2013 de l’état du système carcéral belge (publiée le 23 août 2013) de l’Observatoire international des prisons - section belge, la capacité carcérale en 2012 était de 8 930 places. IV. RAPPORTS INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Textes généraux Les recommandations pertinentes adoptées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, ainsi que les parties pertinentes des rapports généraux du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (« CPT ») ont été rappelées par la Cour dans l’arrêt Torreggiani et autres c. Italie (nos 43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10, §§ 30-32, 8 janvier 2013). B. Rapports relatifs à la situation en Belgique La situation générale Dans sa Notice 2013 de l’état du système carcéral belge (publiée le 23 août 2013), l’Observatoire international des prisons – section belge s’exprime en ces termes : « Or, on écrivait en 2008 que, depuis 1980, la population carcérale avait augmenté de 74%, passant de 5.677 à 9.873 détenus (moyenne annuelle), sans aucune preuve que la délinquance se soit pour autant accrue. Le 15 juin 2009, il y avait 10.519 détenus. En 2010, la population carcérale augmente encore, la croissance globale sur l’année écoulée étant de 4%. En 2012, la population carcérale moyenne (hommes et femmes) atteignait 11.107 détenus, et 11.865 détenus le 27 décembre 2012. [...] De manière générale, les conditions de salubrité et d’hygiène, telles que décrites dans les précédents rapports de l’OIP, ne se sont pas du tout améliorées et la majorité des lieux de détention belges ne sont toujours pas conformes aux règles d’hygiène et de sécurité les plus élémentaires. Aucune réelle politique globale de rénovation des prisons n’a été entreprise alors que 20 de nos 36 établissements pénitentiaires datent du XIXème siècle. Les fréquents rappels à l’ordre des instances de contrôle nationales et internationales ne semblent pas incliner les Ministres de la Justice successifs à revoir leur copie et l’état de délabrement général du système carcéral belge se fait, chaque année, plus durement ressentir. » Dans son rapport au Gouvernement belge relatif à la visite effectuée en Belgique du 23 au 27 avril 2012 (CPT/Inf (2012) 36), le CPT a souligné : « 73. Le thème de la surpopulation carcérale a été examiné à plusieurs reprises par le CPT lors de ses précédentes visites en Belgique. Force est de constater que malgré les efforts entrepris par les autorités belges ces dernières années (et notamment la location de 650 places à la prison de Tilburg [aux Pays-Bas]), la situation en matière de surpopulation carcérale n’a cessé de s’aggraver, le nombre de personnes incarcérées croissant de 300 à 400 personnes par an. D’un taux de surpopulation moyen de 17 % en 2010, on est ainsi passé à 20,2 % en 2011 pour atteindre 24 % au 1er juin 2012. » La prison d’Anvers Lors de sa première visite de la prison d’Anvers en 2001, le CPT constata les éléments suivants (CPT/Inf (2002) 25) : « 70. Comme déjà indiqué, la Prison d’Anvers avait bénéficié d’un programme de rénovation approfondi. L’établissement était doté de quatre types de cellules (mono, duo, trio et quatuor), qui offraient un espace de vie adéquat par rapport à leur capacité officielle (+ 8m² pour les cellules individuelles, + 10 m² pour les duo, + 18 m² pour les trio, et environ 30 m² pour les quatuor). L’équipement des cellules était, en principe, tout à fait adéquat (lit et literie, table, chaises, armoires, sanitaires cloisonnés, frigo, câble TV), ainsi que l’éclairage et la ventilation. Malheureusement, cette situation favorable était loin de se vérifier en pratique. En effet, à l’exception des ailes D (femmes) et E (semi-liberté), toutes les autres ailes de la prison étaient affectées par une surpopulation chronique très importante (les cellules hébergeaient un, voire deux, détenus en surnombre). La délégation du CPT a constaté avec consternation que huit ans après sa première visite en Belgique, des détenus dormaient encore sur un matelas posé à même le sol, par manque d’espace disponible afin d’y installer un lit. Le CPT est conscient que la direction de l’établissement utilisait tous les outils mis à sa disposition pour juguler la surpopulation et que les racines du phénomène échappaient à son contrôle ; toutefois, il convient de ne pas se départir d’une règle élémentaire : un détenu, un lit. » Dans son rapport du 17 juin 2009 faisant suite à sa visite en Belgique du 15 au 19 décembre 2008 (CommDH(2009)14), le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, écrivait notamment ce qui suit : « 35. Le Commissaire constate qu’avec 1449 détenus en surnombre au début de l’année 2008, la surpopulation carcérale est un réel fléau qui n’a cessé d’augmenter ces dernières années en Belgique. Plus de 75 % des établissements pénitentiaires sont surpeuplés et certains atteignent des taux de 150 %. [...] Le Commissaire a visité les maisons d’arrêt d’Anvers et de Forest qui sont gravement touchées par la surpopulation. Dans son rapport publié en 2002, le CPT avait déjà constaté que la prison d’Anvers était affectée par une surpopulation chronique très importante. Au jour de la visite, la maison d’arrêt d’Anvers contenait 715 détenus (dont 44 femmes) pour une capacité de 439 places. La capacité de la prison de Forest est de 405 places. Lors de la visite du Commissaire, 690 personnes y étaient détenues. Bien que la maison d’arrêt d’Anvers ait été rénovée et bien entretenue, la surpopulation a pour effet de porter atteinte à l’organisation logistique au sein de l’établissement. La maison d’arrêt de Forest est délabrée et insalubre, et la surpopulation ne fait qu’y aggraver les conditions de détention. Le Commissaire a constaté durant sa visite que la surpopulation carcérale a de graves conséquences sur les conditions de détention en termes d’hygiène, de promiscuité et de sécurité. Ainsi certaines prisons manquent de linge pour les détenus, la quantité de nourriture distribuée est parfois insuffisante, l’accès aux douches est limité. Le temps de promenade est réduit et le régime d’activités est minime. En conséquence, les détenus de certains établissements, dont celui de Forest, passent 23 heures par jour dans leur cellule en surnombre. Le nombre de visites diminue proportionnellement à l’augmentation du nombre de détenus. La surpopulation cause des tensions voire des violences au sein des établissements. Les délais de transferts vers les hôpitaux ou les tribunaux sont allongés et, dans certains cas, l’accès des détenus à leur avocat est restreint. Lors de sa visite, le Commissaire a été frappé par le nombre de détenus par cellule : à Anvers, une cellule prévue pour quatre personnes peut accueillir jusqu’à dix personnes, de même qu’une cellule prévue pour une personne peut en accueillir trois. Comme cela avait déjà été dénoncé par le CPT lors de sa visite, une partie des détenus dorment sur des matelas posés à même le sol par manque d’espace disponible pour ajouter des lits. Au total, au sein de l’établissement, 100 détenus sont privés de lit. » La prison de Merksplas Dans son rapport publié le 18 juin 1998 (CPT/Inf (98) 11), le CPT décrivait le pavillon « cellules » de la prison de Merksplas dans les termes suivants : « 129. [...] le pavillon « Cellen » [est] réservé aux entrants ainsi qu’aux détenus disciplinairement sanctionnés/isolés [...]. Ce pavillon était vétuste et son état d’entretien laissait à désirer. Les cellules hébergeant les entrants mesuraient 9 m², ce qui est adéquate pour une personne ; toutefois un certain nombre d’entre elles était occupé par deux détenus. Il est à ajouter que les cellules ne disposaient pas d’eau courante et les détenus étaient contraints d’utiliser des tinettes pour satisfaire leurs besoins naturels. En somme, les conditions matérielles de ce pavillon étaient très médiocres. Des mesures s’imposent sans attendre pour remédier à cette situation. » S’agissant notamment du pavillon « A », le CPT précisait ce qui suit : « 127. [...] Les pavillons A, A bis et C présentaient des conditions matérielles de niveau acceptable. Les cellules étaient de dimensions adéquates pour le nombre de détenus hébergés (quatre dans 20 m²), bien équipées et bénéficiaient d’une bonne luminosité naturelle ainsi que d’un éclairage artificiel satisfaisant. Il convient également de relever que les annexes sanitaires en cellule étaient entièrement encloisonnées. » Dans son rapport annuel de 2007, le Conseil central de surveillance pénitentiaire a décrit les conditions matérielles et d’hygiène d’une série d’établissements dont la prison de Merksplas comme étant « dignes du Moyen Âge, puisqu’ils ne disposent ni d’eau courante ni de sanitaires ». En ce qui concerne le pavillon « cellules » de la prison de Merksplas, il ajouta : « La commission [de surveillance de Merksplas] rapporte que la distribution d’eau courante destinée à l’hygiène personnelle, ainsi qu’à la consommation et la lessive, se fait au moyen d’une cruche en plastique ouverte, mal nettoyée et présentant de ce fait des dépôts de calcaire ainsi que d’autres traces peu appétissantes. Lorsque l’on sait que certains détenus utilisent ces cruches comme urinoir, il est clair qu’un nettoyage approfondi et quotidien n’est certainement pas un luxe superflu. L’absence de toilettes dans les cellules contraint les détenus à faire usage de seaux hygiéniques vidés seulement deux fois par jour, ce qui provoque des nuisances olfactives insupportables dans la section et pousse certains détenus à répandre le contenu des seaux sur le sol et les murs de leurs cellules. L’odeur pénétrante de l’urine dans le bloc cellulaire empoisonne non seulement la vie des détenus, mais également celle du personnel. La Commission de surveillance de Merksplas a déjà signalé plusieurs fois les faits ci-dessus aux diverses autorités concernées. » Le CPT a effectué une nouvelle visite périodique en Belgique du 24 septembre au 4 octobre 2013, et il s’est notamment rendu dans les prisons d’Anvers et de Merksplas. Le rapport du CPT n’a cependant, au jour de l’adoption du présent arrêt (le 21 octobre 2014), pas été rendu public. Les voies de recours disponibles aux détenus S’agissant des voies de recours disponibles, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ajoutait ce qui suit dans son rapport de 2009 (précité au paragraphe 48, ci-dessus) : « 57. Des Commissions de surveillance et un Conseil Central de surveillance pénitentiaire ont été créés en 2003 en Belgique. Leur mission est d’exercer une surveillance indépendante sur le traitement des détenus et sur le respect des règles en vigueur. Le Commissaire relève cependant que ces Commissions ne sont pas professionnalisées, leurs membres étant bénévoles, et que par conséquent certaines d’entre elles ne fonctionnent pas en pratique. Les contrôles effectués par les Commissions sont disséminés et parcellaires. Le manque de coopération entre les Commissions et le Conseil central empêche la publication d’un rapport annuel consolidé des problèmes dans l’ensemble des prisons. Le Commissaire recommande aux autorités belges de ratifier l’OPCAT [le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants] et de mettre en place rapidement un mécanisme efficace de visite des lieux privatifs de liberté, conformément aux obligations découlant de ce Protocole. La loi Dupont instaure un droit de plainte au profit des détenus devant les Commissions des plaintes qui seront créées auprès des Commissions de surveillance. Ces Commissions des plaintes auront compétence pour traiter des plaintes individuelles des détenus qui pourront contester devant elles les décisions prises à leur égard par la direction. Pourtant, ces dispositions de la loi Dupont ne sont à ce jour pas entrées en vigueur. Le Commissaire recommande aux autorités belges de mettre en place un système efficace de plaintes individuelles pour les détenus par la création d’un organe indépendant. » Le rapport alternatif de la Ligue des droits de l’homme présenté au Comité des droits de l’homme des Nations Unies en vue de l’examen du cinquième rapport périodique de l’État belge (février 2010) faisait le constat suivant : « Le droit de plainte est une partie fondamentale de la loi de principes. Malgré cela, cette partie de la loi n’est pas entrée en vigueur. Si les Commissions de surveillance ont bien été instituées, elles n’ont pas l’autorité d’annuler et de prendre des décisions, leur seule compétence reconnue étant celle de remplir le rôle de médiateur entre le détenu et la direction. En outre, les Commissions de surveillance sont composées de bénévoles et ne disposent que d’un budget très réduit pour mener à bien leurs missions. Malheureusement, il ne semble pas rentrer dans les priorités du gouvernement d’instaurer, à court terme, un droit de plainte du détenu. Au contraire, il est prévu d’attendre l’entrée en vigueur de tous les autres passages de la loi de principes avant d’instaurer ce droit de plainte. » Dans son rapport publié le 23 juillet 2010 (CPT/Inf (2010) 24), le CPT rendit les conclusions suivantes : « 158. [...] En ce qui concerne les plaintes, le Titre VIII de la Loi de principes prévoit l’instauration d’un véritable droit de plainte des détenus auprès d’une « Commission des plaintes » instituée auprès de chaque Commission de surveillance. Une procédure formelle est prévue, ainsi que des pouvoirs très étendus pour la Commission des plaintes (par exemple, celui d’organiser une médiation entre des parties en litige, ou de mener des enquêtes au sein de l’établissement pénitentiaire concerné). Cette Commission sera par ailleurs investie du pouvoir d’annuler une décision de la direction de l’établissement pénitentiaire, et ses décisions, motivées, seront susceptibles d’appel devant la Commission d’appel du Conseil central de surveillance pénitentiaire. Or, faute d’arrêté royal d’application, le Titre VIII susmentionné n’est pas encore entré en vigueur. Le CPT recommande aux autorités belges de prendre immédiatement des mesures afin que les dispositions du Titre VIII de la Loi de principes entrent en vigueur. »
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A. Les circonstances de l’espèce Les cinq premiers requérants sont des militaires à la retraite. La sixième requérante fut l’épouse de T.T., le septième requérant son fils, et la huitième requérante sa fille. Le 28 décembre 2000, les cinq premiers requérants, ainsi que les trois derniers requérants en leur qualité d’héritiers de T.T., saisirent le tribunal administratif de première instance d’Athènes d’une action en dommages-intérêts contre l’État tendant à obtenir l’augmentation de leur allocation de départ du service. Le 27 mai 2004, le tribunal rejeta leur action comme infondée (décision no 5926/2004). Cette décision fut notifiée aux requérants le 28 février 2005. Le 28 avril 2005, les requérants interjetèrent appel. Le 30 juin 2006, la cour administrative d’appel d’Athènes rejeta l’appel (arrêt no 2464/2006). Cet arrêt fut notifié aux requérants le 22 juin 2007. Le 20 novembre 2007, les requérants se pourvurent en cassation. Le 15 juillet 2009, le Conseil d’État rejeta leur recours (arrêt no 2382/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 12 février 2010. B. Le droit interne pertinent La loi no 4055/2012 La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose: « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont des demandeurs de protection internationale d’origine sahraouie. A. Faits survenus avant l’arrivée des requérants en Espagne Le 10 octobre 2010, des personnes d’origine sahraouie installèrent des tentes, en signe de protestation contre leurs conditions de vie, leur marginalisation et pour réclamer des emplois et un logement convenable, au camp Gdeim Izik, à 12 km à l’est de Laâyoune, situé dans le territoire du Sahara occidental. Selon les autorités marocaines, l’installation du camp était illégale et non-autorisée. Le 8 novembre 2010, des affrontements éclatèrent lorsque les forces de sécurité marocaines intervinrent pour évacuer de force et démanteler le camp. Onze membres des forces de sécurité et deux Sahraouis furent tués dans ces violences. D’après un rapport d’Amnesty international (« Des civils sahraouis jugés devant un tribunal militaire au Maroc : un procès vicié à la base », document du 1er février 2013), quelques 200 sahraouis furent arrêtés par les forces de sécurité dans les jours qui suivirent. D’autres interpellations intervinrent en décembre 2010. À la suite du démantèlement du campement, les requérants arrivèrent à bord de bateaux de fortune sur les côtes de Fuerteventura, aux îles Canaries, entre le 5 janvier 2011 et le 19 août 2012. Quelques jours après leur arrivée, ils déposèrent des demandes de protection internationale auprès de l’Office de l’asile et des réfugiés du ministère de l’Intérieur. B. Demandes de protection internationale Les faits exposés par les requérants sont les suivants : 6528/11 A C. Au moment de présenter sa demande de protection internationale, le requérant aurait fourni une photo sur laquelle il apparait en compagnie d’un autre activiste sahraoui, portant des drapeaux du Front Polisario. D’après lui, le frère de cet autre activiste aurait été brûlé vif par les autorités marocaines en 2005. Le requérant soutient avoir fait l’objet de mauvais traitements en 2008, lorsqu’il fut arrêté par la police marocaine dans son domicile familial et jugé dans le cadre d’un procès inéquitable à l’issue duquel il fut condamné à une peine de prison pour un délit de trafic de stupéfiants. Il affirme à cet égard que les jeunes activistes sahraouis sont habituellement accusés de la commission de ce type de délit et condamnés sans respecter les garanties du droit à un procès équitable. Le requérant purgea la peine dans la « prison noire » de Laâyoune où il affirme avoir été victime d’une agression sexuelle et de traitements dégradants. 6529/11 M.L. Le requérant allègue avoir été cruellement frappé par les autorités marocaines lors de son arrestation au camp de protestation en novembre 2010. Il fut transféré à un endroit près de Río de Oro, d’où il s’enfuit. Il affirme que sa sœur aurait également été arrêtée et remise en liberté ultérieurement. 6530/11 M.A.E.K. Le requérant se plaint d’avoir été frappé à la tête lors du démantèlement du campement. Au moment où il présenta sa demande de protection internationale devant les autorités espagnoles, il avait une cicatrice et se sentait désorienté à cause de forts maux de tête qui auraient leur origine dans le coup reçu. 6559/11 H.B. Le 11 novembre 2010, des agents des forces de l’ordre marocaines entrèrent de force dans le domicile du requérant et d’autres personnes résidant à Laâyoune. Il se trouvait au travail au moment de l’intrusion, mais décida de porter plainte pour dénoncer les dégâts causés dans son domicile. Au commissariat de police, il affirme avoir été battu par les agents, accusé de collaborer avec la cause sahraouie. 6562/11 M.M. Le requérant affirme que l’un de ses frères a été battu lors des affrontements entre les sahraouis et la police marocaine. Il est resté caché jusqu’à son départ vers l’Espagne. Des policiers l’ont depuis cherché à son domicile de Laâyoune. 6569/11 H.E.M. Le requérant craint des représailles par les autorités marocaines. Après le démantèlement du campement, ses parents ont été arrêtés à leur domicile et remis en liberté quelques heures plus tard. Ses cousins ont été aussi arrêtés et sont en prison. Il allègue avoir été arrêté à plusieurs reprises et battu au commissariat. 6572/11 M.A. Le requérant craint des représailles du fait d’avoir été détenu à deux reprises par la police marocaine et condamné à une peine d’un mois de prison pour désordre public alors qu’il se promenait avec des amis sahraouis. Il n’a pas résidé dans le campement, il fournissait de l’eau et des aliments. Des agressions brutales par la police marocaine à d’autres sahraouis ont eu lieu et il craint une nouvelle détention. 6574/11 R.E.K. Le requérant affirme avoir été battu par la police marocaine pendant le démantèlement du campement. Craignant des représailles par les autorités marocaines il s’enfuit dans le désert pour éviter son arrestation. Suite à la diffusion de sa demande de protection internationale et de son identité par des photographies dans les médias, les autorités marocaines ont harcelé sa famille. 6586/11 B.B. Le requérant soutient avoir été battu par des autorités marocaines et ne pas avoir été soigné à hôpital après sa libération du fait de son origine sahraouie. Il affirme avoir déjà été arrêté et harcelé pendant deux jours par les autorités marocaines en 2005 pour avoir participé à une manifestation. Le 14 et le 21 novembre 2010 la police marocaine demanda des renseignements sur lui à son domicile. Il décida alors de se réfugier dans le désert. Il craint pour sa vie et son intégrité physique s’il était arrêté par les autorités marocaines. 6590/11 F.E.W. Craignant des représailles par les autorités marocaines, le requérant s’enfuit dans le désert pour éviter son arrestation. Il soutient que des agents des forces de l’ordre marocaines entrèrent de force dans son domicile familial le jour du démantèlement du campement et causèrent des dégâts et violèrent sa sœur âgée de 18 ans. Son père porta plainte mais il ne fut pas assisté et, étant illettré, il ne put pas la déposer formellement. Il craint pour sa vie et son intégrité physique s’il était arrêté par les autorités marocaines. 6595/11 A.E.M. Le requérant craint des représailles par les autorités marocaines en raison de sa participation active en tant que membre d’un de ses groupes de surveillance du le camp de protestation de Gdeim Izik. Des membres de sa famille ont été durement attaqués par les autorités marocaines après le démantèlement du campement, avec l’entrée de force au domicile de sa tante, où sa sœur fit l’objet d’une agression sexuelle par un/des agents de police. Le requérant empêcha ensuite le passage de la police marocaine en brûlant un véhicule. Il blessa avec un couteau un policier qui le menaçait avec une arme et s’enfuit alors dans le désert. Des policiers l’ont cherché depuis à son domicile de Laâyoune, et il craint pour sa vie. 6602/11 S.R. Le jour du démantèlement du campement, les agents des forces de sécurité marocaine auraient battu tous les membres de sa famille. Le requérant craint d’être détenu et emprisonné en cas de retour au Maroc. 6605/11 S.S. Le requérant se plaint que le 8 novembre 2010 lui et d’autres membres de sa famille firent l’objet de coups et blessures infligés par les autorités marocaines lorsqu’elles entrèrent de force dans leur domicile. Il affirme avoir participé aux combats entre des sahraouis, des marocains et des forces de l’ordre qui eurent lieu dans les rues de Laâyoune. Il craint des représailles des autorités marocaines, car il reconnait avoir commis un délit de désordre public. Il allègue avoir fait l’objet de persécution de la part des autorités marocaines dans le passé. Il dénonce en outre le harcèlement policier dont sa famille fait l’objet depuis son arrivé en Espagne. 6869/11 A.B. Le requérant allègue avoir été condamné et incarcéré dans la « prison noire » de Laâyoune en 2008 pour avoir battu un policier qui avait frappé sa mère. Il affirme avoir participé à des manifestations en 2006, 2007 et 2009, après avoir été mis en liberté. Lors du démantèlement du camp, la police militaire entra dans son domicile pour l’arrêter. Il fut frappé et s’évada par une fenêtre, se cassant une cheville. L’hôpital refusa de le soigner en raison de son origine sahraouie. Il dénonce que les agents de la police militaire agressèrent sexuellement ses sœurs. Les parents du requérant n’ont pas dénoncé les agressions sexuelles par peur des représailles. 6875/11 A.M. À la suite du démantèlement du camp de protestation, la police se présenta dans le domicile familial pour arrêter le requérant. Il s’enfuit et se cacha dans le désert. Sachant que la police le recherchait, le requérant embarqua sur un bateau de fortune pour les Iles Canaries. 19730/11 B.T. La requérante soutient avoir été arrêtée en 2006 pour avoir participé à des manifestations et avoir été violée par un agent de police. Elle ne dénonça pas le viol pour ne pas déshonneur sa famille et fut mariée de force. Au camp de Gdeim Izik elle put s’exprimer librement en faveur du peuple Sahraoui. Le 8 novembre 2010 elle affronta l’assaut des forces de sécurité marocaines avec des pierres et des bâtons. Elle s’enfuit en Espagne par crainte de représailles. Depuis, la police l’a cherché à trois reprises à son domicile. 19739/11 S.A. Le requérant allègue avoir été poursuivi par les autorités marocaines lors de sa participation, avec d’autres jeunes, à des manifestations pour l’indépendance du Sahara. Il affirme avoir été arrêté pendant trois jours au cours desquels il fut torturé et soumis à des interrogatoires. L’auteur des tortures fut « Tuhima », connu pour ses techniques de torture. Par ailleurs, la police aurait fouillé son domicile. 19766/11 M.A. Le requérant allègue avoir été arrêté pour la première fois en 2006 pour avoir participé à une manifestation où il a été pris en photo par les autorités marocaines avec d’autres manifestants. Après s’être refugié en Mauritanie, il retourna au Maroc où il fut arrêté et détenu pendant une semaine à la prison de Laâyoune où il affirme avoir été torturé. Il participa à une manifestation l’année suivante et il fut de nouveau détenu et torturé. Suite au démantèlement du campement, il retourna à Laâyoune. Depuis, la police s’est présenté à son domicile à plusieurs reprises. 19774/11 H.B. Le requérant indique qu’il a déjà participé à des actes de protestation contre l’occupation du Sahara occidental avec le groupe El Uali auquel il appartenait. En 2005, il fut arrêté en raison de ses activités dans ce groupe, ainsi que pour avoir participé à une manifestation en faveur de l’indépendance du Sahara dans le quartier de Matallah. La police lui reprocha également l’exposition sur la voie publique de drapeaux du Front Polisario. Il fut arrêté pendant 15 jours au commissariat central de Laâyoune, puis purgea une peine de prison à la « Prison noire » de la même ville. En 2006, il fut arrêté pendant deux mois, accusé de distribuer des brochures pour l’indépendance du Sahara. Il affirme que les autorités marocaines contrôlent ses mouvements. Il soutient que la police a menacé sa famille si elle ne dévoilait pas l’endroit où il se trouve. 19783/11 H.A. Le requérant est membre d’une famille pro-sahraouie qui inclut d’éminents dissidents. Il soutient avoir été arrêté et maltraité à plusieurs reprises du fait de sa participation à diverses manifestations en 2008 et 2010. À la suite du démantèlement du campement, où il s’était installé avec sa famille, il se réfugia à Smara mais fut détenu et battu par la police. De retour à Laâyoune, la police le chercha infructueusement. 19791/11 E.G. Le requérant s’installa au campement de Gdeim Izik entre le 12 octobre et le 8 novembre 2010, où il était un membre actif du groupe chargé de la sécurité. Étudiant, il avait participé à des manifestations en faveur de l’Indépendance du Sahara occidental à Laâyoune et avait été persécuté par les autorités marocaines de ce fait. Sa participation à une manifestation promue par Mohamed Salem Ayach entraina son arrestation et sa détention pendant trois jours au commissariat de Skeikima Avenue où il fut torturé. Il fut par la suite arrêté à plusieurs reprises pour sa participation à des manifestations en faveur du Front Polisario. La police marocaine fouilla son domicile plusieurs fois. Son frère ainé fut arrêté dans le campement, torturé et puis relâché. Le requérant craint des représailles en raison de ses activités en tant que dissident. 19796/11 E.E.M. Le requérant fut arrêté en raison de sa participation à des mouvements de protestation contre l’occupation marocaine du Sahara occidental. Au cours de celles-ci et d’autres détentions il affirme avoir été torturé par Aziz Awuche. Il se plaint également d’avoir été arrêté puis torturé après le démantèlement du camp Gdeim Izik. De peur des représailles, il se réfugia dans le désert et quitta le pays à bord d’un bateau de fortune. 19837/11 A.E.J. Le requérant craint des représailles en raison de sa participation au camp de protestation de Gdeim Izik. Il signale qu’il fut arrêté pour la première fois en raison de son activité dissidente le 15 juillet 2001, alors qu’il distribuait des drapeaux du Front Polisario. Il faisait alors partie d’une organisation d’étudiants nommée Chahid el Hafed, promue par les sympathisants d’Ali Salem Tamek, un important activiste politique détenu dans la prison de Casablanca. Ce dernier serait également en contact avec Aminetu Haidar. Le requérant fut arrêté pendant 15 jours au commissariat central de Laâyoune, où il fut battu, avec comme résultat des cicatrices au visage et une déviation de l’os frontal du nez. Il fut également victime d’une hémorragie interne pour laquelle il fut opéré dans une clinique à Agadir. Le 20 mai 2005 il fut arrêté à nouveau lors d’une manifestation pour l’indépendance du Sahara. Lorsqu’il quitta le camp de Gdeim Izik, le requérant se réfugia provisoirement chez des amis à Tan Tan. Ultérieurement, il regagna son domicile pour quitter le pays peu après de peur que la police ne vienne le chercher. 19846/11 M.C. Le requérant affirme avoir fait l’objet de détentions arbitraires. En 2005 il fut illégalement accusé d’avoir brûlé une voiture de police dans la station-service de Joumani. Il fut arrêté et détenu pendant une semaine dans une prison où il fut torturé pour obtenir des aveux. En 2006, alors qu’il était en vacances, il fut détenu pendant treize jours au commissariat à Douirat, où il fut de nouveau torturé. Le requérant se référa à ses blessures à la tête lors de sa demande de protection internationale. Il affirme que le jour du démantèlement du campement, il fut arrêté dans le quartier de Al Mataar où il fut brutalement battu dans une voiture. Le 11 novembre 2010 il fut convoqué au commissariat mais ne s’y présenta pas par crainte de représailles. Sa mère comparut à sa place et fut gardée au commissariat pendant six heures. Il s’enfuit et se cacha pendant un mois dans le désert, avant d’arriver en Espagne. 19854/11 M.M.E.A. Le requérant fut arrêté en 2009 dans le cadre d’une protestation lorsqu’il était en train de placer des drapeaux sahraouis. De ce fait, il fut condamné à deux ans de prison pour (fausse) accusation de vol. Il quitta la prison trois mois plus tard, sa famille ayant soudoyé le ministère public. Il s’installa alors au camp Gdeim Izik. Lors du démantèlement violent du camp, il fut blessé par arme blanche à une jambe et fut transporté dans un hôpital éloigné, les hôpitaux proches refusant de traiter les blessés sahraouis. La police est entrée de force à son domicile à deux reprises. Son frère a été arrêté et détenu afin qu’il donne des renseignements sur le requérant. Il fut remis en liberté sous la menace de représailles si M.M.E.A. ne se présentait pas devant les autorités. De peur d’être arrêté et incarcéré, le requérant quitta le pays à bord d’un bateau de fortune. 19913/11 Y.E.Y. Le requérant fut détenu en 2005 pendant deux jours, pour avoir participé à une manifestation. Il s’installa au camp Gdeim Izik. Il fait valoir que sa famille est harcelée et persécutée pour des raisons politiques (ils sont liés de façon directe et active avec le Front Polisario). Ceci est accrédité par son oncle, qui travaille dans la délégation du Front Polisario à Las Palmas. Un autre oncle est l’adjoint au représentant du Front Polisario à Madrid. Il a été convoqué à plusieurs reprises par l’ancien gouverneur (wali) de Laâyoune pour être interrogé sur les activités de sa famille. En 2010 il fut arrêté et détenu, avec 22 autres jeunes, lors de l’arrivée de l’activiste sahraoui Aminetu Haidar à Laâyoune, et fut torturé pendant la nuit et remis en liberté le lendemain. Il a joué un rôle très actif au camp Gdeim Izik, où il s’occupait de la sécurité, sous la supervision de son frère Mohamed Yahyaoui, résident en Espagne, qui se rendit à Laâyoune pour s’installer dans le camp. Après le démantèlement du camp, les autorités marocaines ont exercé des représailles contra sa famille. Elles sont entrées de force au domicile familiale. Il s’enfuit et, de peur de représailles, il quitta le pays à bord d’un bateau de fortune. 19920/11 H.H. Le requérant craint les représailles des autorités marocaines en raison de sa participation au camp de Gdeim Izik. Il explique qu’il est connu pour son intervention dans des mouvements de protestation contre l’occupation marocaine du Sahara occidental, à la suite desquels il fut arrêté et torturé à plusieurs reprises entre 2006 et 2008. Par ailleurs, le requérant souligne que la maison de sa famille fut attaquée et son frère emprisonné dans la « Prison noire » de Laâyoune, motifs qui l’amenèrent à quitter le pays. 19951/11 I.S. Le requérant fut arrêté par la police marocaine en 2005 du fait qu’il portait des drapeaux sahraouis et fut accusé, jugé et condamné à deux ans d’emprisonnement pour un délit de trafic de stupéfiants. Il purgea sa peine dans la « prison noire » et dans la prison de Melloul. Il fut violemment expulsé du campement de Gdeim Izik lors du démantèlement et partit à Laâyoune. Face à la situation de désordres qu’il y retrouva, il décida de s’enfuir. Il craint des représailles pour ses activités dans le campement ainsi qu’en raison de son casier judiciaire. 61912/12 Y.H. Le requérant craint que s’il est expulsé vers le Maroc, il fasse l’objet de représailles de la part des autorités marocaines, en raison de sa participation au camp de protestation de Gdeim Izik, démantelé le 8 novembre 2010. Il explique appartenir à la tribu sahraoui Erguibat Sahel. Lui et sa famille auraient été parmi les premiers à participer à ce camp. Avant cela, le requérant affirme avoir pris part à plusieurs actions organisées par le peuple sahraoui et avoir été arrêté et frappé par la police. Par ailleurs, un groupe policier nommé « le groupe de la mort » l’aurait menacé de l’accuser de trafic de drogues s’il n’arrêtait pas ses revendications. Finalement, il informe que depuis sa fuite, sa famille a reçu la visite de la police à son domicile à sa recherche, ce qui lui fait craindre pour son intégrité physique s’il retourne au Maroc. 6249/12 A.E.G. Le requérant craint que s’il est expulsé vers le Maroc, il fasse l’objet de représailles de la part des autorités marocaines. Il affirme être le neveu de Brahim Noumria, activiste politique défenseur des droits fondamentaux dans le Sahara occidental, emprisonné et torturé à plusieurs reprises en raison de ses activités en défense du peuple sahraoui. Le requérant affirme avoir pris part à plusieurs actions organisées par le peuple sahraoui, et avoir été arrêté et frappé par la police. Suite à la diffusion de leurs demandes de protection internationale et de leurs identités par des photographies dans les médias, les autorités marocaines auraient harcelé les familles de certains de ces requérants. C. Procédures entamées en Espagne Procédures administratives Entre le 14 janvier 2011 et le 3 septembre 2012, le ministre de l’Intérieur rendit trente décisions de rejet de ces demandes de protection internationale. Il motiva les décisions en se référant à l’article 21 § 2 b) de la loi 12/2009 du 30 octobre 2009 relative au droit d’asile, considérant que les demandes des requérants étaient fondées sur des allégations contradictoires et insuffisantes, leurs exposés des faits étant vagues et imprécis quant aux motifs qui auraient animé la persécution alléguée. Les requérants sollicitèrent le réexamen de ces décisions en fournissant de nouvelles informations. La délégation du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Espagne indiqua que les motifs invoqués et les informations fournies par les requérants étaient cohérents et apportaient des indices suffisants pour justifier la recevabilité de leurs demandes de protection internationale. Toutefois, par des décisions rendues entre le 19 janvier 2011 et le 6 septembre 2012, le ministre de l’Intérieur confirma les décisions attaquées. Procédures judiciaires Le 21 janvier 2011, les treize premiers requérants formèrent des recours de contentieux administratif devant l’Audiencia Nacional contre les décisions du ministre de l’Intérieur. En même temps, ils demandèrent la suspension de l’exécution de la mesure d’expulsion, sur la base de l’article 135 de la loi no 29/1998 du 13 juillet 1998 sur la juridiction du contentieux administratif. Le restant des requérants fit de mêmes à des dates ultérieures. Pour ce qui est des treize premiers requérants, le 27 janvier 2011, l’Audiencia Nacional ordonna à l’Administration de surseoir provisoirement aux expulsions (suspensión cautelarísima), le temps d’examiner les demandes de mesures provisoires présentées. Toutefois, le 28 janvier 2011, l’Audiencia Nacional décida de rejeter lesdites demandes de suspension des ordres d’expulsion pris à l’encontre desdits requérants, considérant que les moyens formulés à l’appui de leurs recours ne permettaient de conclure ni à l’existence dans leur chef de situations d’urgence spéciale susceptibles de justifier une suspension de toute expulsion du territoire national ni à la perte d’efficacité de la procédure au fond en cas d’exécution des mesures d’expulsion en cause. Par diverses décisions rendues entre janvier 2011 et septembre 2012, L’Audiencia Nacional rejeta également les demandes de suspension des ordres d’expulsion pris à l’encontre des autres requérants, par des décisions adoptées aussi dans des courts délais après le sursis provisoire à l’Administration. Entre le 28 janvier 2011 et le 1er octobre 2012, les requérants saisirent la Cour de trente demandes de mesures provisoires sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Ils exposaient avoir subi par le passé ou lors de leur arrestation et pendant le démantèlement du camp de Gdeim Izik en novembre 2010 des mauvais traitements de la part des autorités marocaines, en rapport avec leur origine sahraouie, ou indiquaient se sentir menacés et avoir peur de représailles. Aux dates indiquées au paragraphe 4 ci-dessus, la Cour décida d’indiquer au gouvernement espagnol, en application de l’article 39 de son règlement, de ne pas procéder au renvoi des requérants pendant la durée de la procédure devant la Cour. Les procédures entamées auprès de l’Audiencia Nacional suivirent leur cours. Par divers arrêts dont les dates figurent en annexe, elle rejeta les recours présentés par certains des requérants (la Cour ne dispose pas d’information sur les éventuels arrêts ou décisions prononcés à l’égard de tous les requérants). Ils ont saisi le Tribunal suprême de pourvois en cassation. Les suites desdits pourvois n’ont pas été portées à la connaissance de la Cour par les parties à ce jour. II. CONTEXTE DE L’AFFAIRE A. Le Sahara occidental Selon la lettre du 29 janvier 2002 adressée au président du Conseil de sécurité des Nations unies par le Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques de cette organisation, le statut juridique du Sahara occidental est le suivant : Protectorat espagnol depuis 1884, le Sahara espagnol a été inscrit en 1963 sur la liste des territoires non autonomes relevant du Chapitre XI de la Charte des Nations unies (A/5514, annexe III). Le 14 novembre 1975, une Déclaration de principes sur le Sahara occidental a été signée à Madrid par l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie (l’Accord de Madrid). En vertu de cette déclaration, les pouvoirs et responsabilités de l’Espagne, en tant que Puissance administrante du territoire, ont été transférés à une administration tripartite temporaire. L’Accord de Madrid ne prévoyait pas de transfert de souveraineté sur le territoire ni ne conférait à aucun des signataires le statut de puissance administrante, statut que l’Espagne ne pouvait d’ailleurs unilatéralement transférer. Le transfert des pouvoirs administratifs au Maroc et à la Mauritanie en 1975 n’a pas eu d’incidence sur le statut du Sahara occidental en tant que territoire non autonome. Le 26 février 1976, l’Espagne a informé le Secrétaire général des Nations unies qu’à dater de ce jour, elle mettait fin à sa présence au Sahara occidental et renonçait à ses responsabilités sur le territoire, laissant ainsi de fait le Maroc et la Mauritanie administrer le territoire dans les zones placées respectivement sous leur contrôle. La Mauritanie s’étant retirée du territoire en 1979, à la suite de la conclusion de l’accord mauritano-sahraoui du 19 août 1979 (S/13503, annexe I), le Maroc administre seul le territoire du Sahara occidental depuis cette date. Toutefois, le Maroc ne figurant pas comme puissance administrante du territoire sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU, il ne communique pas de renseignements sur le territoire en vertu de l’alinéa e de l’Article 73 de la Charte des Nations unies. B. Le Rapport d’Amnesty International du 20 décembre 2010 Dans un rapport rendu publique le 20 décembre 2010, l’organisation non gouvernementale Amnesty International appela les autorités marocaines à mener une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur l’ensemble des atteintes aux droits humains qui se seraient produites en lien avec les évènements du 8 novembre 2010 à Laâyoune, et à poursuivre en justice les auteurs des abus perpétrés. Selon ce rapport, des affrontements violents éclatèrent en début de journée lundi 8 novembre, lorsque les forces de sécurité marocaines intervinrent pour faire évacuer le campement de Gdeim Izik, qui avait été dressé dans le désert, à quelques kilomètres de Laâyoune, début octobre 2010, par des sahraouis pour protester contre la marginalisation dont ils se disaient victimes et contre l’absence d’emplois et de logements appropriés. Le rapport, intitulé Rights Trampled : Protests, Violence and Repression in Western Sahara, fait état des affrontements violents qui éclatèrent en début de journée le lundi 8 novembre 2010, lorsque les forces de sécurité marocaines intervinrent pour faire évacuer le camp de Gdeim Izik, qui avait été dressé dans le désert à quelques kilomètres de Laâyoune au début du mois d’octobre 2010 par des sahraouis, pour protester contre la marginalisation dont ils se disaient victimes et contre l’absence d’emplois et de logements appropriés. Les troubles s’étendirent ensuite à Laâyoune, où manifestants sahraouis et résidents marocains se livrèrent à des attaques incendiaires contre des maisons, des boutiques et des commerces ainsi que des bâtiments publics. De nombreux sahraouis furent arrêtés et frappés ou soumis à des actes de torture ou autres mauvais traitements. Selon ce rapport, treize personnes, onze membres des forces de sécurité et deux sahraouis, décédèrent à la suite des violences dans le campement et à Laâyoune. Le bilan le plus lourd fut enregistré lors de l’opération de démantèlement du campement par les forces de sécurité marocaines qui perdirent neuf de leurs hommes, tués lors des affrontements ou dans des attaques délibérées par des sahraouis résistant à la destruction de leur campement. Les enquêteurs d’Amnesty International qui se rendirent sur place fin novembre interrogèrent de nombreux témoins qui affirmèrent que des membres des forces de sécurité n’avaient pas hésité à frapper des femmes âgées à coups de matraque pour les obliger à partir avant de déchirer leurs tentes. Certaines portaient encore des blessures visibles plus de deux semaines plus tard. La nouvelle de l’évacuation du campement par les forces de sécurité atteignit Laâyoune où, alimentée par des rumeurs exagérément alarmistes faisant état de morts parmi les sahraouis et d’actes de brutalité de la part des forces de sécurité, elle provoqua de violentes manifestations des sahraouis qui s’en prirent à des bâtiments publics, des banques, des voitures et autres biens appartenant à des citoyens marocains ou à des sahraouis considérés comme favorables à l’administration du Sahara occidental par le Maroc. Après une période d’accalmie, de nouvelles violences éclatèrent, les résidents marocains s’en prenant à des maisons, des boutiques et des commerces appartenant à des sahraouis ; plusieurs résidents sahraouis furent frappés. Les forces de sécurité présentes n’intervinrent pas lors des attaques des maisons et des commerces sahraouis et prêtèrent même parfois main forte aux agresseurs. Les forces de sécurité marocaines arrêtèrent environ 200 sahraouis lundi 8 novembre et dans les jours et les semaines qui suivirent. Toutefois, selon Amnesty International, aucune interpellation ni poursuite en justice en lien avec les attaques menées par des résidents marocains contre des sahraouis, leurs maisons ou leurs biens n’avaient été enregistrées à la date de publication du rapport. Tous les sahraouis interviewés par Amnesty international décrivirent la façon dont ils avaient été battus, torturés ou les mauvais traitements qui leur avaient été infligés au moment de leur arrestation ou lors de leur garde à vue par les autorités marocaines ; la plupart d’entre eux avaient des cicatrices et des blessures visibles à l’appui de leur témoignage. Malgré cela, les autorités marocaines ne prirent aucune mesure pour enquêter sur les allégations de torture et autres mauvais traitements comme le prévoient la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auxquels le Maroc est État partie. Plus de 130 sahraouis étaient passibles de poursuites en justice après les évènements du lundi 8 novembre. Certains sont des militants politiques sahraouis déjà connus qui prônent l’autodétermination du Sahara occidental. Leur arrestation a fait renaître la crainte que les autorités ne cherchent à impliquer dans les évènements du 8 novembre des personnes critiques du gouvernement et des opposants pacifiques, du fait de leurs opinions politiques. Certains des accusés comparurent devant un juge d’instruction sans assistance juridique et plusieurs d’entre eux auraient présenté des signes visibles de torture et autres mauvais traitements et se seraient plaints des violences subies. Aucun ne fut cependant vu par un médecin et aucune enquête n’aurait été diligentée concernant l’objet de leurs plaintes. Des détenus déclarèrent qu’à l’issue de leur interrogatoire, ils avaient dû signer ou apposer l’empreinte du pouce au bas de déclarations qu’ils n’avaient pas été autorisés à lire, ce qui faisait craindre que ces déclarations faites sous la torture ou la contrainte ne soient utilisées comme preuve à charge contre eux lors de leur procès, en violation du droit international. Les conclusions de ce rapport se fondèrent sur une visite d’établissement des faits réalisée par Amnesty International au Maroc et au Sahara occidental entre le 22 novembre et le 4 décembre 2010. Dans le cadre de cette visite, Amnesty International rencontra des responsables gouvernementaux à Rabat et Laâyoune et s’entretinrent avec des familles de sahraouis et des membres des forces de sécurité tués ou blessés, des proches de détenus, d’anciens détenus, des défenseurs des droits humains et des avocats, entre autres. C. Human Rights Watch Selon l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch dans une dépêche publiée le 26 novembre 2010, les autorités marocaines devraient ouvrir une enquête sur la riposte violente aux affrontements du 8 novembre 2010. Le texte de la dépêche était le suivant : « Les forces de sécurité marocaines ont à plusieurs reprises battu et maltraité des personnes qu’elles ont arrêtées à la suite des troubles survenus le 8 novembre 2010 à El-Ayoun, capitale du Sahara occidental, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Une enquête de Human Rights Watch a démontré qu’elles avaient également attaqué directement des civils. Les autorités marocaines doivent immédiatement mettre fin aux mauvais traitements des détenus et mener une enquête indépendante sur ces exactions, a indiqué Human Rights Watch. Le 8 novembre à l’aube, les forces de sécurité marocaines sont intervenues pour démanteler le camp de tentes de Gdeim Izik où des Sahraouis avaient dressé quelque 6 500 tentes au début du mois d’octobre en signe de protestation contre leurs conditions économiques et sociales au Sahara occidental, région sous contrôle marocain. Ceci a déclenché de violents affrontements entre les résidents et les forces de sécurité tant au sein du camp que dans la ville voisine d’El-Ayoun. Onze membres des forces de sécurité et au moins deux civils ont été tués, d’après les chiffres officiels. Un grand nombre de bâtiments publics et privés et de véhicules ont été incendiés dans la ville. « Les forces de sécurité marocaines ont le droit de recourir à la force avec mesure pour empêcher la violence et protéger les vies humaines, mais rien ne peut justifier le passage à tabac de personnes en détention provisoire jusqu’à ce qu’elles perdent conscience », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. Suite à ces premiers affrontements violents, les forces de sécurité marocaines ont participé avec des civils marocains à des attaques en représailles contre des civils et des maisons et ont empêché des Sahraouis blessés d’avoir accès à des soins médicaux. Ce comportement et le passage à tabac de personnes en détention ne peuvent être considérés comme un usage légitime de la force pour empêcher ou mettre un terme à des actes violents perpétrés par quelques manifestants comme par exemple des jets de pierres ou des incendies volontaires, a indiqué Human Rights Watch. À la suite des violences du 8 novembre, les responsables marocains de la sécurité ont arrêté des centaines de Sahraouis dans le cadre des troubles survenus, dont plus d’une centaine sont toujours détenus. Neuf autres ont été transférés à Rabat pour qu’une enquête soit menée par un tribunal militaire, ont raconté à Human Rights Watch des avocats sahraouis d’El-Ayoun spécialistes des droits humains. Un accès limité aux informations : Après le démantèlement du camp de tentes, les autorités marocaines ont rigoureusement limité l’accès à El-Ayoun, n’autorisant que peu de journalistes ou de représentants d’organisations non gouvernementales à atteindre la ville et faisant faire demi-tour à nombre de ceux qui ont essayé. Un chercheur de Human Rights Watch a été empêché à deux reprises d’embarquer sur un vol à destination d’El-Ayoun le 11 novembre et a finalement pu prendre un vol pour s’y rendre le 12 novembre. Le chercheur et un assistant de recherche de Human Rights Watch basé à El-Ayoun ont été en mesure, entre le 12 et le 16 novembre, d’interroger des civils et des policiers blessés dans les hôpitaux et à leur domicile. Ils ont également rencontré Mohamed Jelmous, gouverneur de la région d’El-Ayoun-Boujdour-Saguia el-Hamra. « Nous sommes heureux que le Maroc ait changé de position et ait autorisé Human Rights Watch à mener une enquête à El-Ayoun », a déclaré Sarah Leah Whitson, « mais un gouvernement qui n’a de cesse de répéter qu’il n’a rien à cacher se doit de le prouver en autorisant tous les médias et toutes les organisations non gouvernementales à se rendre sur place et recueillir des informations sans entraves. » (...) Mauvais traitements en détention : Human Rights a interrogé sept Sahraouis détenus suite aux violences du 8 novembre puis libérés. Tous ont affirmé que la police ou les gendarmes les avaient maltraités en détention, les passant même à tabac dans certains cas jusqu’à ce qu’ils perdent conscience, leur jetant de l’urine dessus, et les menaçant de viol. Les avocats représentant ceux restant en détention ont raconté à Human Rights Watch qu’au moins l’un des détenus avait déclaré à un juge d’instruction qu’il avait été violé en détention, tandis que nombre d’autres ont indiqué au juge d’instruction et au procureur des passages à tabac et autres abus qu’ils auraient endurés en détention. Les témoins interrogés par Human Rights Watch présentaient de graves contusions et d’autres blessures récentes suggérant qu’ils avaient été passés à tabac en détention. Les membres des familles des détenus ont affirmé à Human Rights Watch que les autorités marocaines ne les avaient pas informées des détentions pendant plusieurs jours et qu’en date du 23 novembre, les autorités ne leur avaient pas encore donné l’autorisation de rendre visite à leurs proches mis en détention pour certains depuis deux semaines, bien que les avocats chargés de leur défense aient pu les voir pour la première fois ce jour-là. Du fait de ces délais, il a été difficile pour nombre de familles d’établir rapidement le lieu où se trouvaient les personnes disparues ou d’obtenir des informations sur la manière dont elles étaient traitées en détention. Human Rights Watch a prié les autorités d’informer immédiatement la famille de chaque personne placée en détention, comme le prévoit l’article 67 du Code de Procédure Pénale marocain. Les Sahraouis incarcérés à la prison d’El-Ayoun faisaient l’objet d’une enquête pour des accusations telles que la création d’un gang criminel dans le but de commettre des crimes contre des personnes et des biens, la possession d’armes, la destruction de biens publics ou encore la participation à la prise en otage et séquestration de personnes, à l’incendie volontaire de bâtiments, à l’usage de la violence contre des membres des forces de l’ordre entraînant des blessures et la mort et à des groupements armés. (...) Attaques de maisons appartenant à des Sahraouis : Human Rights Watch s’est rendu dans les quartiers de Haï Essalam et Colomina Nueva, où de nombreuses maisons appartenant à des Sahraouis ont été attaquées les 8 et 9 novembre par des groupes composés notamment de membres des forces de sécurité et de personnes en tenue de ville, parmi lesquelles certaines semblaient être des civils marocains, ont déclaré les habitants. Les personnes interrogées ont décrit la façon dont les agresseurs avaient passé à tabac les résidents dans leurs maisons et avaient causé des dégâts matériels. Les autorités ont, selon certaines informations, pris des mesures pour dédommager les propriétaires des dégâts causés, mais n’ont annoncé, d’après ce que Human Rights Watch a pu établir, aucune arrestation ni aucune inculpation de civils marocains impliqués dans les violences. Un résident du quartier de Columina Nueva âgé de 30 ans a décrit la manière dont un groupe de civils marocains s’est rassemblé devant sa maison près de la rue Moulay Ismaïl, aux environs de 15h00 le 8 novembre. Les Marocains étaient accompagnés de policiers en civil, identifiables grâce à leur équipement de protection, et de policiers en uniforme armés de gaz lacrymogène et de pistolets. Les civils sont entrés dans sa maison par effraction et l’ont frappé à la tête avec une machette, le laissant inconscient et avec une entaille profonde. Son frère a été témoin de la scène pendant laquelle les civils ont saccagé sa maison, volant des télévisions, des appareils ménagers de cuisine et beaucoup d’autres objets de valeur et détruisant fenêtres et meubles. Environ une douzaine de maisons sahraouies de la rue Moulay Ismaïl ou à proximité ont été envahies et endommagées. À deux pâtés de maisons de là, un groupe composé de quelque 40 soldats et policiers ont envahi le domicile de deux femmes âgées à 10h30 le 8 novembre. Les femmes ont déclaré que les envahisseurs avaient ouvert le feu dans la maison avec des fusils anti-émeute à balles en plastique, dit à la famille de quitter les lieux et volé un ordinateur et des bijoux. (...) III. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT Pour un exposé du droit du Conseil de l’Europe en matière d’asile, la Cour renvoie aux paragraphes 75, 76 et 82 de l’arrêt I.M. c. France (no 9152/09, 2 février 2012). Pour ce qui est du droit espagnol, les demandes de protection internationale présentées par les requérants ont été traitées selon la procédure prévue pour les demandes présentées aux frontières, avec les garanties prévues dans la loi no 12/2009 du 30 octobre 2009 relative au droit d’asile et à la protection subsidiaire qui, en la matière, dispose ce qui suit: Article 18. Droits et obligations des demandeurs. Après avoir présenté sa demande, le demandeur d’asile a droit, selon les termes des articles 16, 17, 19, 33 et 34 de la présente loi : a) à recevoir un document attestant de son statut de demandeur de protection internationale ; b) à l’aide juridictionnelle gratuite et aux services d’un interprète ; c) à ce que sa demande soit communiquée au HCR ; d) à ce que toute procédure d’éloignement, d’expulsion ou d’extradition qui pourrait affecter le demandeur soit suspendue ; e) à prendre connaissance du contenu du dossier à tout moment ; f) aux soins de santé dans les conditions applicables ; g) à percevoir les prestations sociales spéciales selon les termes de la présente loi. Article 21. Demandes introduites aux postes-frontière. « 1. Lorsqu’un étranger ne réunissant pas les conditions lui permettant d’entrer sur le territoire espagnol présente une demande de protection internationale à un poste-frontière, le ministre de l’Intérieur peut déclarer la demande irrecevable, par la voie d’une décision motivée, dans les cas visés à l’article 20 § 1. Dans tous les cas, la décision doit être notifiée à l’intéressé dans un délai maximal de quatre jours à compter de la présentation de la demande. De même, le ministre de l’Intérieur peut rejeter la demande par la voie d’une décision motivée, qui sera notifiée à l’intéressé dans un délai maximal de quatre jours à compter de la présentation de ladite demande, dans les cas visés ci-après : a) dans les cas visés à l’article 25 § 1 c), d) et f) ; b) lorsque le demandeur présente des arguments incohérents, contradictoires, invraisemblables, insuffisants ou contredisant les informations suffisamment vérifiées sur son pays d’origine, ou de résidence habituelle dans le cas d’un apatride, de telle manière que lesdits arguments mettent en évidence que la demande est infondée quant à l’existence d’une crainte fondée d’être poursuivi ou de souffrir un dommage grave. Le délai prévu au précédent paragraphe peut être prolongé jusqu’à dix jours maximum par une décision du ministre de l’Intérieur, sur demande motivée du HCR, si l’une des conditions prévues à l’article 25 § 1 f) est remplie. Lorsqu’une décision d’irrecevabilité ou de rejet de la demande est rendue, le demandeur dispose d’un délai de deux jours à compter de la notification [de cette décision] pour présenter une demande de réexamen, qui est [alors] suspensive des effets de la décision. La décision relative à cette demande incombe au ministre de l’Intérieur et doit être notifiée à l’intéressé dans un délai de deux jours à compter de la présentation de la demande. À l’expiration du délai imparti pour décider de l’irrecevabilité ou du rejet d’une demande présentée aux frontières, ou d’une demande de réexamen, ou pour statuer sur un recours en reposición en cas d’absence de notification expresse de la décision, la [demande d’asile] suit la procédure ordinaire [applicable en dehors des postes-frontière] et implique la concession de l’autorisation d’entrée et de séjour provisoire au demandeur, sans préjudice de la décision définitive qui sera rendue dans chaque cas. » Article 22. Séjour du demandeur d’asile pendant la durée du traitement de sa demande. « Dans tous les cas, pendant la durée du traitement de la demande de réexamen et du recours en reposición prévus à l’article 21§§ 4 et 5 de la présente loi, ainsi que dans les cas où une demande d’adoption des mesures visées à l’article 29 § 2 est introduite, le demandeur d’asile séjournera dans les locaux habilités à cet effet. » Article 25. Procédure d’urgence. « (...) Lorsque la demande de protection internationale est présentée dans un centre de rétention pour étrangers, celle-ci est traitée selon les dispositions de l’article 21 de la loi, relatif aux demandes présentées aux frontières. Dans tous les cas, les demandes ainsi présentées et jugées recevables sont traitées selon la procédure d’urgence visée au présent article. » Article 29. Recours. « (...) Lorsqu’un recours de contentieux administratif est introduit et que la suspension de l’acte attaqué est demandée, cette demande entre dans la catégorie des cas d’urgence particulière visés à l’article 135 de la loi no 29/1998 du 13 juillet 1998 sur la juridiction du contentieux administratif. » Article 34. Intervention dans la procédure de demande. « Toute présentation d’une demande de protection internationale est communiquée au HCR [des Nations unies], lequel pourra s’informer de la situation du dossier, être présent lors des auditions du demandeur et présenter des rapports, qui devront être versés au dossier. À cet effet, le HCR a accès aux demandeurs de protection, y compris ceux qui se trouvent dans les locaux des postes-frontière, les centres de rétention pour étrangers ou les centres pénitentiaires ». Article 35. Intervention dans le traitement de la protection internationale. « 1. Le représentant du HCR en Espagne est convoqué aux séances de la Commission interministérielle de l’asile et des réfugiés. De même, il est immédiatement informé de la présentation des demandes aux frontières et peut rencontrer les demandeurs s’il le souhaite. Avant qu’une décision sur une demande ne soit prise, selon les termes de l’article 21 §§ 1, 2 et 3, le HCR est entendu. Lorsque les demandes sont traitées selon la procédure d’urgence, (...) si la décision proposée par l’Office de l’asile et des réfugiés est défavorable, le HCR dispose d’un délai de dix jours pour présenter, s’il y a lieu, un rapport. » Dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 30 octobre 2011, l’article 135 de la loi no 29/1998 du 13 juillet 1998 sur la juridiction du contentieux administratif, relatif aux mesures d’urgence, était ainsi libellé: « Le juge ou le tribunal peut [dans un premier temps], au terme d’une appréciation des circonstances d’urgence particulière présentes dans le cas d’espèce, adopter la mesure sans audition de la partie adverse. Cette décision n’est pas susceptible de recours. Dans la même décision, le juge ou le tribunal convoque les parties à une audience qui doit se tenir dans un délai de trois jours et qui porte sur la levée, le maintien ou la modification de la mesure adoptée. Après la tenue de l’audience, le juge ou le tribunal statue par une décision, qui est susceptible de recours conformément aux règles générales. (...)» Depuis le 31 octobre 2011, l’article 135 de ladite loi se lit ainsi : « 1. Lorsque les intéressés invoquent des circonstances d’urgence particulière, le juge ou le tribunal peut, sans audition de la partie adverse, par une décision [prise] dans un délai de deux jours : a) Estimer qu’il existe des circonstances d’urgence particulière justifiant d’adopter ou de refuser la mesure par la voie de l’article 130. Cette décision n’est pas susceptible de recours. Dans la même décision, l’organe judiciaire invite la partie adverse à présenter, dans un délai de trois jours, les observations qu’elle estime pertinentes, ou bien cite les parties à comparaître en audience dans les trois jours de l’adoption de la mesure. Une fois les observations reçues, les parties comparues ou le délai écoulé selon le cas, le juge ou le tribunal rend une décision de levée, de maintien ou de modification de la mesure adoptée, décision qui est susceptible de recours conformément aux règles générales. (...) b) Estimer qu’il n’existe pas de circonstances d’urgence particulière et ordonner l’examen de la demande de mesures provisoires par la voie de l’article 131, auquel cas les intéressés ne pourront plus demander d’autres mesures prévues par le présent article. Dans le cas de procédures administratives en matière d’étrangers, d’asile ou d’octroi du statut de réfugié pouvant déboucher sur un éloignement de l’intéressé [du territoire national], si celui-ci est mineur l’organe judiciaire entend le ministère public avant de rendre la décision motivée mentionnée au paragraphe 1 du présent article. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est officier de gendarmerie. Il exerce les fonctions de contrôleur de gestion de la région de gendarmerie de Picardie depuis 2005. Par ailleurs, il est chercheur associé dans un laboratoire rattaché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). En avril 2007, fut créé un forum sur internet, intitulé « gendarmes et citoyens », que le requérant décrit comme un espace administré et modéré, destiné à permettre l’expression et l’échange entre les gendarmes et les citoyens. Fin mars 2008, une association baptisée « Forum gendarmes et citoyens » (ci-après « l’association ») se constitua pour donner un cadre juridique à cet espace, le requérant en étant membre fondateur puis vice-président. Outre des civils ou des gendarmes retraités, d’autres militaires de la gendarmerie en activité participèrent à l’association en tant que membres, certains siégeant au conseil d’administration. L’objet de l’association, tel qu’il ressort de l’article 2 de ses statuts, déposés à la sous-préfecture de Brest, était le suivant : « Faciliter l’expression et l’information des gendarmes et des citoyens sur la situation et le fonctionnement des forces de sécurité et de défense, en vue de renforcer la compréhension et les liens entre les citoyens et les agents de la force publique qu’ils entretiennent pour l’intérêt de tous, conformément aux principes posés par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ; mettre à la disposition de ses membres et du public des forums en ligne et éditer des publications électroniques ou autres ; mener et publier toutes études, analyses et réflexions utiles en vue de la transparence, l’efficacité, la qualité du service public de sécurité au bénéfice des citoyens et de la défense de la situation matérielle et morale des gendarmes. » Cette association, outre la responsabilité du forum internet, édita une revue de presse et une revue numérique. Le 6 avril 2008, le requérant informa par courrier le directeur général de la gendarmerie nationale de la création de l’association. Exposant son objet, il précisa qu’elle s’adressait notamment aux militaires en activité, leur permettant d’exercer les « nouvelles possibilités d’expression offertes par leur statut ». Il ajouta qu’elle souhaitait développer l’information, la réflexion et les propositions sur les questions de sécurité et de défense, sans oublier la situation des personnels. Cependant, il indiqua que l’association n’avait pas de caractère professionnel, son objet étant centré sur la communication. Un autre courrier avait été précédemment adressé par le requérant à la revue L’Essor de la gendarmerie pour expliquer le positionnement de l’association et préciser que la présence importante de gendarmes en activité en son sein, notamment parmi son conseil d’administration, n’en faisait pas une association professionnelle. Dans un entretien accordé à ce même périodique en mai 2008, le sous-directeur des ressources humaines de la gendarmerie précisa que, le 12 avril 2008, le directeur général avait indiqué qu’il se prononcerait sur la situation née de la création de cette association après avoir analysé la compatibilité de l’adhésion de gendarmes en activité avec leur statut. Le 26 mai 2008, l’annonce officielle de la création de l’association fut publiée au Journal officiel de la République française. Le 27 mai 2008, le directeur général de la gendarmerie nationale donna l’ordre au requérant et aux autres gendarmes en activité membres de l’association d’en démissionner sans délai et de lui en rendre compte par écrit sous huit jours, sous peine d’application de la réglementation applicable en cas de violation des dispositions statutaires. Il estima que l’association présentait les caractéristiques d’un groupement professionnel à caractère syndical, étant destinée à participer à « la défense de la situation matérielle et morale des gendarmes ». Le 28 mai 2008, le requérant écrivit au nom de l’association au directeur général afin de l’informer que celle-ci était prête à modifier dans ses statuts les mentions ambiguës au regard des obligations militaires. Sans faire référence au courrier précédent qu’il n’avait apparemment pas encore reçu, il mentionna que des militaires en activité participaient à « de nombreuses associations de type professionnel » sans qu’ils soient inquiétés, citant notamment « la Saint-Cyrienne » ou l’association éditrice de la revue Essor de la gendarmerie. Le 5 juin 2008, il démissionna de l’association. Le 9 juin 2008, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, saisi par le requérant et l’association, se déclara incompétent pour ordonner le retrait ou la suspension de la décision contestée du directeur général, en l’absence de voie de fait justifiant la compétence des juridictions judiciaires, dès lors que cette décision n’était pas manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’autorité militaire. Le 26 juillet 2008, l’association se réunit en assemblée générale extraordinaire. Un nouveau conseil d’administration fut désigné. Les statuts furent modifiés pour supprimer la mention ayant motivé l’ordre de démission donné aux membres militaires en activité, à savoir « la défense de la situation matérielle et morale des gendarmes ». Le 27 octobre 2008, après avis de la commission de recours, le ministre de la Défense rejeta le recours administratif préalable du requérant contre la décision litigieuse, considérant qu’aucun militaire en activité ne pouvait adhérer à l’association, dès lors qu’elle revêtait, au regard de ses modalités d’action, de ses statuts et des objectifs affichés sur son site internet, les caractéristiques d’un groupement professionnel au sens de la loi applicable. Le 5 novembre 2008, le requérant saisit le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision ministérielle. Le 21 janvier 2010, le secrétariat de la 7ème sous-section du contentieux lui adressa un avis d’audience pour le 29 janvier suivant. Le 2 février 2010, de retour d’une permission, le requérant en accusa réception, sollicitant par courrier électronique les conclusions du rapporteur public et leur sens. Le 3 février 2010, le rapporteur public lui répondit qu’il avait conclu au rejet de la requête. Le requérant mentionne que les autorités militaires produisirent devant le juge administratif des pièces établies après son départ de l’association. Il s’agit de deux lettres adressées, l’une à un parlementaire le 4 septembre 2008 et l’autre au ministre de l’Intérieur le 6 novembre 2008, ainsi que des projets tirés du blog de l’association le 29 septembre 2008, exposant les positions arrêtées à l’issue d’une série de débats et de vote d’avril à septembre 2007, ainsi que depuis début 2008. Par un arrêt du 26 février 2010, le Conseil d’Etat rejeta la requête du requérant. Il estima tout d’abord que son grief relatif à la prévisibilité de la notion de groupement militaire professionnel à caractère syndical et des règles de la discipline militaire n’était pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier la portée. Il considéra par ailleurs que la disposition légale applicable constituait une restriction légitime au sens des articles 10 et 11 de la Convention, ne faisant pas obstacle à l’adhésion des personnes concernées à d’autres groupements que ceux ayant pour objet la défense de leur intérêt professionnel. Il ajouta que le caractère exécutoire de plein droit de la décision litigieuse n’avait pas pour effet d’interdire l’exercice de voies de recours et précisa que le refus de la commission de recours de prendre en compte des faits postérieurs à sa saisine n’était pas incompatible avec les articles 6 et 13 de la Convention. Il considéra encore que l’existence d’autres associations de militaires, à la supposer démontrée, n’avait pas d’influence sur la légalité de la décision en cause. Enfin, il jugea qu’il ressortait des pièces du dossier que l’association « Forum gendarmes et citoyens » constituait un groupement professionnel au sens de la loi applicable, son objet étant, entre autres, la défense de la situation matérielle et morale des gendarmes. II. LE DROIT INTERNE ET EUROPEEN PERTINENTS A. Le droit et la pratique internes pertinents Le code de la Défense Les dispositions pertinentes relatives à l’exercice des droits civils et politiques par le personnel militaire sont issues d’une loi no 2005-270 du 24 mars 2005, reprenant pour l’essentiel les dispositions de l’ancien article 10 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, et figurent dans le code de la défense aux articles suivants : Article L. 4121-1 « Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens. Toutefois, l’exercice de certains d’entre eux est soit interdit, soit restreint dans les conditions fixées au présent livre. » Article L. 4121-2 « Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire. Cette règle s’applique à tous les moyens d’expression. Elle ne fait pas obstacle au libre exercice des cultes dans les enceintes militaires et à bord des bâtiments de la flotte. (...) » Article L. 4121-3 « Il est interdit aux militaires en activité de service d’adhérer à des groupements ou associations à caractère politique. (...) » Article L. 4121-4 « L’exercice du droit de grève est incompatible avec l’état militaire. L’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l’adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire. Il appartient au chef, à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés et de rendre compte, par la voie hiérarchique, de tout problème de caractère général qui parviendrait à sa connaissance. » Le statut de la gendarmerie a par ailleurs connu une réforme importante initiée en 2002 et parachevée par la loi no 2009-971 du 3 août 2009, qui place les gendarmes sous la tutelle du ministère de l’Intérieur pour ce qui concerne leurs missions de caractère civil, comprenant notamment celles relevant de la police administrative (article L. 3225-1 du code de la Défense). La gestion du corps proprement dite continue toutefois de relever du ministère de la Défense. Cette évolution du statut de la gendarmerie a été prise en compte par le Comité européen des Droits Sociaux, dans ses conclusions pour la France des 31 mars 2002 et 31 mai 2004, dans la mesure où le rapprochement avec la police est de nature à influer sur les contours des droits sociaux reconnus aux gendarmes au titre de la Charte sociale européenne. La jurisprudence du Conseil d’État Dans un arrêt Remy du 26 septembre 2007 (no 263747), le Conseil d’État a jugé qu’un groupement qui « a notamment pour objet la défense des intérêts matériels et moraux des militaires (...) constitue un groupement professionnel » auquel les militaires ne peuvent adhérer. Le Conseil d’État a également jugé que « les dispositions (...) de l’article L. 4121-4 du code de la Défense, qui ne font en rien obstacle à ce que les militaires adhèrent à d’autres groupements que ceux qui ont pour objet la défense de leurs intérêts professionnels, constituent des restrictions légitimes au sens de ces stipulations de l’article 11 » de la Convention (Association de défense des droits des militaires, 11 décembre 2008, nos 306962, 307403 et 307405). Dans ses conclusions, le rapporteur public a souligné que la notion de « groupement professionnel » avait été spécialement choisie par le législateur pour être plus large que celle de « syndicat », afin de couvrir toute « structure qui servirait de paravent à une action de type syndical », et ce pour maintenir une interdiction totale de toute activité syndicale, conformément aux recommandations de la commission de révision du statut général des militaires présidée par Renaud Denoix de Saint Marc dans son rapport remis en 2003. B. Le droit européen Le Conseil de l’Europe L’article 5 de La Charte sociale européenne (révisée) prévoit ce qui suit s’agissant du droit syndical : Article 5 – Droit syndical « En vue de garantir ou de promouvoir la liberté pour les travailleurs et les employeurs de constituer des organisations locales, nationales ou internationales, pour la protection de leurs intérêts économiques et sociaux et d’adhérer à ces organisations, les Parties contractantes s’engagent à ce que la législation nationale ne porte pas atteinte, ni ne soit appliquée de manière à porter atteinte à cette liberté. La mesure dans laquelle les garanties prévues au présent article s’appliqueront à la police sera déterminée par la législation ou la réglementation nationale. Le principe de l’application de ces garanties aux membres des forces armées et la mesure dans laquelle elles s’appliqueraient à cette catégorie de personnes sont également déterminés par la législation ou la réglementation nationale. » Dans sa décision du 4 décembre 2000 (sur le bien-fondé de la réclamation 2/1999), le Comité européen des Droits Sociaux a considéré, en citant les travaux préparatoires de la Charte, que « les États sont autorisés à apporter « n’importe quelle limitation et même la suppression intégrale de la liberté syndicale des membres des forces armées » » (§ 28). Dans ses conclusions pour la France du 31 mars 2002, le Comité a rappelé que l’article 5, repris tel quel dans la Charte révisée, autorise la suppression totale du droit syndical aux membres des forces armées, mais que, s’agissant de la police, le droit syndical peut tout au plus faire l’objet de limites. Il a ajouté que les associations professionnelles de policiers autorisées doivent être en mesure d’exercer certaines prérogatives syndicales telles que le droit de négocier les conditions de travail, la rémunération, ainsi que la liberté de réunion. Le Comité a dès lors demandé que le prochain rapport pour la France indique pourquoi il est considéré que les fonctions de la gendarmerie sont d’une nature militaire. Dans ses conclusions pour la France du 31 mai 2004, le Comité a relevé que « (...) toute action de la gendarmerie nationale s’inscrit dans un cadre statutaire militaire, tel que défini par la loi no 72-662 du 13 juillet 1972. Par conséquent, tout militaire de la gendarmerie, quels que soient la mission confiée et éventuellement le ministère au profit duquel il est employé, agit en permanence en qualité de militaire. Même si la gendarmerie est normalement amenée dans le cadre de son service à assurer différentes missions administratives ou judiciaires, son caractère militaire n’est nullement altéré ou remis en cause ». Le 11 avril 2006, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté une recommandation 1742 (2006) sur les droits de l’homme des membres des forces armées, par laquelle elle demande aux États membres « d’autoriser les membres des forces armées à s’organiser dans des associations professionnelles représentatives ou des syndicats ayant le droit de négocier sur des questions concernant les salaires et les conditions de travail, et de mettre en place des organismes consultatifs à tous les niveaux réunissant ces associations ou syndicats, représentant toutes les catégories de personnel » (9.1). Dans le même texte, elle recommande au Comité des Ministres d’adopter en faveur des membres des forces armées des lignes directrices contenant au minimum certains droits, dont le « droit à la liberté de réunion et d’association, y compris [le] droit de se syndiquer et [le] droit d’appartenir à un parti politique » (10.2.2), tout en précisant que l’exercice de ces droits peut connaître certaines restrictions. Dans son rapport du 24 mars 2006 ayant abouti à l’adoption de la recommandation citée au point précédent, le rapporteur du projet notait que 19 des 42 États membres dotés de forces armées ne garantissaient pas le droit d’association à leur personnel militaire et que 35 ne garantissaient pas le droit de négociation collective, alors que seule l’Espagne avait fait officiellement une réserve à l’article 11 de la Convention. Enfin, dans sa Recommandation CM/Rec(2010)4 du 24 février 2010 le Comité des Ministres a considéré que « Les membres des forces armées devraient bénéficier du droit d’adhérer à des instances indépendantes défendant leurs intérêts et du droit syndical et de négociation collective. Lorsque ces droits ne sont pas accordés, la validité de la justification donnée devrait être réexaminée, et les restrictions inutiles et disproportionnées au droit à la liberté de réunion et d’association devraient être levées » (§ 54). L’Union Européenne L’article 12 § 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne se lit comme suit : « Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique, ce qui implique le droit de toute personne de fonder avec d’autres des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1955 et est domicilié à Cusco (Pérou). Au moment des faits, il résidait à Zürich. La procédure pénale contre le requérant suite à l’assassinat de son épouse Le 6 avril 1995, l’épouse du requérant fut retrouvée morte. Le requérant qui, selon les examens toxicologiques auxquels il fut soumis par la suite, était sous l’emprise de l’alcool et de la cocaïne, avait frappé sa femme de 49 coups de couteau. Il lui avait également tranché la tête et l’avait jetée par la fenêtre de l’appartement où s’était déroulé le drame. A une date indéterminée, le requérant fut mis en examen et inculpé du meurtre de son épouse. Le 16 mai 1995, le parquet du district de Zürich demanda à la clinique psychiatrique de l’université de Zürich (Psychiatrische Universitätsklinik Zürich) d’établir une expertise psychiatrique du requérant. Le 10 octobre 1995, le Docteur R., psychiatre, rendit son rapport. Il constata que le requérant souffrait depuis plusieurs années d’une schizophrénie paranoïde chronique et qu’il abusait de stupéfiants. Il estima que le délit commis était en rapport direct avec sa maladie et l’abus de drogue. Il en déduisit qu’au moment des faits, le requérant avait agi en état d’irresponsabilité. Vu le danger grave que celui-ci faisait courir à la sécurité publique, le Dr R. recommanda son internement dans un lieu fermé. Le 31 mai 1996, le tribunal de district de Zürich constata, au vu des preuves administrées, que le requérant avait tué son épouse et qu’il était totalement irresponsable de ses actes au moment des faits. La juridiction ordonna son internement au sens de l’article 43 du code pénal, dans sa version alors en vigueur. L’internement du requérant et la deuxième expertise psychiatrique L’internement du requérant fut mis à exécution dès le 29 août 1996 au sein du pénitencier de Pöschwies, à Regensdorf (canton de Zürich). La levée de la mesure fut refusée les 14 juillet 1997, 29 juillet 1998, 24 septembre 1999 et 17 août 2000. Le 7 juin 2001, à la demande du service de probation et d’exécution du canton de Zürich (Bewährungs- und Vollzugsdienste des Kantons Zürich), l’état mental du requérant fut examiné par un médecin-chef et un médecin-assistant de la clinique psychiatrique cantonale de Rheinau (Kantonale Psychiatrische Klinik Rheinau), qui établirent un second rapport d’expertise. Les experts psychiatres constatèrent que le requérant n’avait rencontré aucune difficulté particulière dans l’établissement pénitentiaire où il se trouvait depuis 1997. Au sein de la prison, il avait successivement travaillé comme relieur de livres, à l’officine, comme jardinier et enfin comme cuisinier. Les experts prirent acte de ce que, selon un rapport d’une psychologue du 5 juin 1998, le requérant n’avait montré aucune conscience de sa maladie et aucune capacité d’introspection. S’agissant de son état de santé mentale, les experts conclurent qu’il souffrait d’une schizophrénie paranoïde chronique et que dans le milieu « peu stimulant » de la prison, « les symptômes florides de la maladie étaient plutôt passés à l’arrière-plan », même s’il « montr[ait] encore une interprétation délirante des faits de l’infraction. » Sa situation n’avait donc guère changé depuis l’expertise psychiatrique de 1995. Vu l’absence de traitement, les experts considérèrent qu’ « aucune indication ne p[ouvait] être donnée concernant d’autres étapes d’assouplissement de l’exécution de la mesure, ou concernant une libération à l’essai. » Les 14 janvier 2002, 23 septembre 2002 et 21 août 2003, l’Office de l’exécution judiciaire du canton de Zürich (Justizvollzug des Kantons Zürich) refusa une libération à l’essai du requérant. Le requérant contesta la décision du 23 septembre 2002 devant le Tribunal administratif du canton de Zürich (Verwaltungsgericht des Kantons Zürich) qui le débouta par un jugement du 4 décembre 2002. Le 23 mars 2004, le Service de psychiatrie et psychologie de l’Office de l’exécution judiciaire rendit un rapport annuel de thérapie, signé par deux psychologues, dont l’un avait suivi le requérant. Le rapport confirmait les conclusions de l’expertise psychiatrique réalisée en 2001 et faisait état d’un pronostic légal défavorable en raison de la personnalité du requérant et de l’impossibilité de traiter ses symptômes psychotiques résiduels. Le requérant continuait notamment de nier sa maladie et refusait de suivre le traitement médical qui lui avait été prescrit. Les psychologues en déduisirent que les conditions d’une libération à l’essai n’étaient pas réunies. A la fin de leur rapport, ils indiquèrent avoir discuté de ce rapport avec le requérant et lui en avoir remis une copie. Le refus de libérer le requérant et la procédure devant les juridictions internes Le 24 juin 2004, après avoir entendu personnellement le requérant lors d’une audition tenue le 6 mai 2004, l’Office de l’exécution judiciaire du canton de Zürich refusa sa libération à l’essai. Il se basa sur le rapport de la direction de l’établissement pénitentiaire de Pöschwies du 27 avril 2004, sur le rapport annuel du 23 mars 2004 et sur l’expertise psychiatrique de 2001. Assisté d’un avocat, le requérant recourut auprès de la Direction de la justice et de l’intérieur du canton de Zürich, en faisant valoir qu’une nouvelle expertise neutre était nécessaire. Il demanda l’assistance judiciaire. La Direction de la justice et de l’intérieur débouta le requérant par décision du 28 septembre 2004. Il fut exempté de payer les frais administratifs, mais l’assistance gratuite d’un avocat lui fut refusée, au motif que son recours paraissait dénué de toute chance de succès, la libération à l’essai ayant déjà été refusée à plusieurs reprises et aucun changement n’étant intervenu entre temps. Le requérant forma un recours auprès du Tribunal administratif du canton de Zürich. A nouveau, il fit valoir que le contrôle de la nécessité de son internement devait se baser sur une nouvelle expertise psychiatrique, établie par un médecin neutre. Il réclamait également le bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite et demandait à ce qu’une audience soit tenue en usant des termes suivants : « Il est indispensable que l’intéressé ait accès à un tribunal et l’occasion d’être entendu lui-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation, sans cela il [ne peut] "jouir des garanties fondamentales qui doivent être appliquées dans une procédure de privation de liberté" (arrêt de la CourEDH Winterwerp contre Pays-Bas, du 24 octobre 1979, Série A, no 33, § 60). Si les exigences de l’article 5 § 4 CEDH [se distinguent] de celles prescrites à l’article 6 CEDH, qui s’applique aux procédures civiles et pénales, cette disposition commande, selon la science juridique, que des garanties suffisantes soient offertes afin de garantir un contrôle judiciaire effectif. Si une nouvelle expertise ne devait pas être ordonnée, il se justifierait au moins que l’auteur du rapport puisse être entendu à l’audience du tribunal et que [le requérant] puisse lui poser des questions. Comme dit, la science juridique européenne garantit dans des cas semblables une audience contradictoire et l’audition de témoins. Elle justifie qu’une contre-expertise puisse s’avérer nécessaire afin de respecter les droits de la personne internée. » Le Tribunal administratif rejeta le recours du requérant par décision du 19 janvier 2005. Il estima qu’au vu des circonstances, l’expertise de 2001 était toujours valable. Les doutes émis par le requérant au sujet de cette expertise avaient déjà fait l’objet d’un jugement définitif du tribunal administratif du 4 décembre 2002. Par ailleurs, l’audition de l’expert n’était pas nécessaire, celui-ci s’étant exprimé de manière claire et détaillée dans son rapport. Aucun nouvel élément pertinent ne pouvait donc être attendu d’une telle audition. De surcroît, le requérant ne démontrait pas en quoi son droit d’accès à un tribunal avait été lésé en l’espèce. Il n’indiquait pas les raisons qui l’autorisaient à penser que le Tribunal administratif n’était pas en mesure de respecter les règles fondamentales de procédure ou d’exercer un contrôle suffisant. Enfin, l’assistance judiciaire fut refusée, au motif que le recours apparaissait dénué de toute chance de succès, deux recours dans la même affaire ayant déjà été rejetés et aucun changement n’étant intervenu entre temps. Le requérant déposa un recours de droit administratif auprès du Tribunal fédéral. Il reprit les griefs formulés devant le Tribunal administratif : la dernière expertise datait maintenant de quatre ans, le rapport de thérapie ne constituait pas une expertise neutre et n’était pas suffisant. De plus, étant donné que différentes constatations de l’expertise reposaient sur de fausses interprétations, une contre-expertise ou l’audition contradictoire de l’expert était nécessaire. Le requérant avait, par ailleurs, droit à la tenue d’une audience publique et contradictoire. Enfin, le refus de l’assistance judiciaire par l’instance inférieure violait le droit d’accès à un tribunal. Le requérant ayant droit au contrôle régulier de la légalité de sa détention, le fait qu’il recoure à nouveau contre une décision de refus ne saurait constituer un motif de refus de l’assistance judiciaire. Le requérant demanda également à être mis au bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite dans le cadre de la procédure devant le Tribunal fédéral. Par arrêt du 19 octobre 2005, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant. La juridiction déclara irrecevable le grief portant sur l’absence d’audience publique, au motif qu’aucune requête formelle en ce sens n’avait été formulée devant les instances cantonales. S’agissant de la nécessité d’une nouvelle expertise neutre, elle releva tout d’abord que l’article 45 du code pénal ne l’exigeait pas, même si la jurisprudence en avait admis la nécessité dans des circonstances particulières. En l’espèce, le Tribunal fédéral estima qu’une nouvelle expertise psychiatrique n’était pas nécessaire, car le diagnostic initial avait été confirmé dans les rapports de thérapie ultérieurs et « qu’aucun changement ne p[ouvait] être identifié ». Il en déduisit qu’aucune autre mesure d’exécution des peines n’entrait en ligne de compte, de sorte que le maintien de la mesure d’internement du requérant s’avérait proportionné. S’agissant, finalement, du grief tiré du refus de mettre le requérant au bénéfice de l’assistance judiciaire, le Tribunal fédéral constata, tout d’abord, qu’il avait pu faire usage des voies de recours à sa disposition. Il releva ensuite que l’article 5 § 4 de la Convention n’exigeait que des contrôles de la légalité de la détention à des intervalles raisonnables, intervalles qui étaient plus longs s’agissant des malades mentaux, les circonstances ne se modifiant qu’à moyen terme. Dans le cas d’espèce, la dernière décision prise par un tribunal datait du 4 décembre 2002. Lors du contrôle annuel par l’administration pénitentiaire en 2004, il avait été constaté que les circonstances ne s’étaient manifestement pas modifiées depuis cette date. Le recours apparaissait dès lors dénué de toute chance de succès. Cela constituait, aux yeux du Tribunal fédéral, un motif légitime pour refuser l’assistance judiciaire. Au vu de ces éléments, le bénéfice de l’assistance judiciaire fut refusé également pour ce qui était de la procédure devant le Tribunal fédéral lui-même. Développements postérieurs Le 11 septembre 2007, le tribunal du district de Zürich ordonna une nouvelle expertise psychiatrique du requérant, comme l’exigeait désormais le nouvel article 62d du Code pénal suisse, entré en vigueur le 1er janvier 2007. Le 28 avril 2008, l’expert désigné, le Docteur M.K, chef du service de psychiatrie légale de la clinique de psychiatrie de l’université de Zürich, déposa son rapport. S’agissant de l’état du requérant au moment de son crime, il supposa qu’il avait agi sous l’empire d’un « état de nécessité psychotique », sans qu’on puisse identifier les caractéristiques d’une maladie à caractère schizophrénique. Concernant la situation actuelle du requérant, l’expert émit l’opinion que les symptômes affectant le requérant relevaient d’une « accentuation des traits de la personnalité narcissique » sans toutefois qu’on puisse parler d’une affection psychiatrique sous la forme d’un trouble de la personnalité. Il exclut qu’il puisse souffrir d’un trouble de la personnalité paranoïde ou d’un trouble de la personnalité schizoïde, contrairement à ce qui avait été relevé par les auteurs des expertises de 1995 et de 2001. Dans un rapport du 27 novembre 2008, le service de psychologie du pénitencier inter-cantonal de Bostadel constata que le requérant s’était remarié en prison et que le couple avait l’intention de quitter le territoire suisse. Le rapport préconisait de leur octroyer un congé conjugal. Par décision du 13 mars 2009, l’Office des migrations du canton de Zürich refusa de prolonger le titre de séjour du requérant et ordonna son expulsion immédiate du territoire suisse. Cette décision ne fut pas contestée. Par décision du 21 juillet 2009, l’Office de l’exécution judiciaire du canton de Zürich prit acte du nouveau diagnostic médical concernant le requérant. Relevant que ce dernier donnait l’impression de faire preuve d’une plus grande maîtrise de soi qu’au début de son internement, l’autorité administrative estima qu’elle pouvait endosser la responsabilité de libérer le requérant. Elle mit le requérant au bénéfice de libération conditionnelle assortie d’un délai d’épreuve de cinq ans. A sa sortie de prison, le requérant fut immédiatement expulsé vers le Pérou où il réside depuis lors. Le requérant conteste et a toujours contesté la validité scientifique des diagnostics établis lors des expertises de 1995 et de 2001. D’après lui, il n’a jamais souffert de schizophrénie paranoïde et le meurtre de sa femme fut commis dans un accès de colère passionnelle et sous l’emprise de l’alcool et de la cocaïne. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le Code pénal du 21 décembre 1937 (version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006) Article 43 « 1 Lorsque l’état mental d’un délinquant ayant commis, en rapport avec cet état, un acte punissable de réclusion ou d’emprisonnement en vertu du présent code, exige un traitement médical ou des soins spéciaux et à l’effet d’éliminer ou d’atténuer le danger de voir le délinquant commettre d’autres actes punissables, le juge pourra ordonner le renvoi dans un hôpital ou un hospice. Il pourra ordonner un traitement ambulatoire si le délinquant n’est pas dangereux pour autrui. Si, en raison de son état mental, le délinquant compromet gravement la sécurité publique et si cette mesure est nécessaire pour prévenir la mise en danger d’autrui, le juge ordonnera l’internement. Celui-ci sera exécuté dans un établissement approprié. Le juge rendra son jugement au vu d’une expertise sur l’état physique et mental du délinquant, ainsi que sur la nécessité d’un internement, d’un traitement ou de soins. 2 En cas d’internement ou de placement dans un hôpital ou un hospice, le juge suspendra l’exécution d’une peine privative de liberté. En cas de traitement ambulatoire, le juge pourra suspendre l’exécution de la peine si celle-ci n’est pas compatible avec le traitement. Dans ce cas, il pourra imposer au condamné des règles de conduite conformément à l’article 41, chiffre 2, et, au besoin, le soumettre au patronage. 3 Lorsqu’il est mis fin à un traitement en établissement faute de résultat, le juge décidera si et dans quelle mesure des peines suspendues seront exécutées. Si le traitement ambulatoire paraît inefficace ou dangereux pour autrui et que l’état mental du délinquant nécessite néanmoins un traitement ou des soins spéciaux, le juge ordonnera le placement dans un hôpital ou un hospice. Lorsque le traitement dans un établissement est inutile, le juge décidera si et dans quelle mesure des peines suspendues seront exécutées. Au lieu de l’exécution des peines, le juge pourra ordonner une autre mesure de sûreté, si les conditions en sont remplies. 4 L’autorité compétente mettra fin à la mesure lorsque la cause en aura disparu. Si la cause de la mesure n’a pas complètement disparu, l’autorité compétente pourra ordonner une libération à l’essai de l’établissement ou du traitement. Le libéré pourra être astreint au patronage. La libération à l’essai et le patronage seront rapportés, s’ils ne se justifient plus. L’autorité compétente communiquera sa décision au juge avant la libération. 5 Après avoir entendu le médecin, le juge décidera si et dans quelle mesure des peines suspendues seront exécutées au moment de la libération de l’établissement ou à la fin du traitement. Il pourra y renoncer totalement s’il y a lieu de craindre que l’effet de la mesure n’en soit sérieusement compromis. » Article 45 « 1 L’autorité compétente examinera d’office si et quand la libération conditionnelle ou à l’essai doit être ordonnée. 2 En matière de libération conditionnelle ou à l’essai de l’un des établissements prévus à l’article 42 ou 43, l’autorité compétente prendra une décision au moins une fois par an, en cas d’internement selon l’article 42 pour la première fois à l’expiration de la durée minimum légale de la mesure. 3 L’intéressé ou son représentant sera toujours préalablement entendu, et un rapport de la direction de l’établissement requis (...). » Le Code pénal du 21 décembre 1937 (version en vigueur dès le 1er janvier 2007) Article 56 « 1 Une mesure doit être ordonnée : a. si une peine seule ne peut écarter le danger que l’auteur commette d’autres infractions ; b. si l’auteur a besoin d’un traitement ou que la sécurité publique l’exige et c. si les conditions prévues aux art[icles] 59 à 61, 63 ou 64 sont remplies. 2 Le prononcé d’une mesure suppose que l’atteinte aux droits de la personnalité qui en résulte pour l’auteur ne soit pas disproportionnée au regard de la vraisemblance qu’il commette de nouvelles infractions et de leur gravité. 3 Pour ordonner une des mesures prévues aux art[icles] 59 à 61, 63 et 64 ou en cas de changement de sanction au sens de l’art[icle] 65, le juge se fonde sur une expertise (...) 4 Si l’auteur a commis une infraction au sens de l’art[icle] 64, al[inéa] 1, l’expertise doit être réalisée par un expert qui n’a pas traité l’auteur ni ne s’en est occupé d’une quelconque manière (...). » Article 59 « 1 Lorsque l’auteur souffre d’un grave trouble mental, le juge peut ordonner un traitement institutionnel aux conditions suivantes : a. l’auteur a commis un crime ou un délit en relation avec ce trouble ; b. il est à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ce trouble (...). » Article 62d « 1 L’autorité compétente examine, d’office ou sur demande, si l’auteur peut être libéré conditionnellement de l’exécution de la mesure ou si la mesure peut être levée et, si tel est le cas, quand elle peut l’être. Elle prend une décision à ce sujet au moins une fois par an. Au préalable, elle entend l’auteur et demande un rapport à la direction de l’établissement chargé de l’exécution de la mesure. 2 Si l’auteur a commis une infraction prévue à l’art[icle] 64, al[inéa] 1, l’autorité compétente prend une décision sur la base d’une expertise indépendante, après avoir entendu une commission composée de représentants des autorités de poursuite pénale, des autorités d’exécution et des milieux de la psychiatrie. L’expert et les représentants des milieux de la psychiatrie ne doivent ni avoir traité l’auteur ni s’être occupés de lui d’une quelconque manière. » Article 64 « 1 Le juge ordonne l’internement si l’auteur a commis un assassinat, un meurtre, une lésion corporelle grave, un viol, un brigandage, une prise d’otage, un incendie, une mise en danger de la vie d’autrui, ou une autre infraction passible d’une peine privative de liberté maximale de cinq ans au moins, par laquelle il a porté ou voulu porter gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui et si : a. en raison des caractéristiques de la personnalité de l’auteur, des circonstances dans lesquelles il a commis l’infraction et de son vécu, il est sérieusement à craindre qu’il ne commette d’autres infractions du même genre, ou b. en raison d’un grave trouble mental chronique ou récurrent en relation avec l’infraction, il est sérieusement à craindre que l’auteur ne commette d’autres infractions du même genre et que la mesure prévue à l’art[icle] 59 semble vouée à l’échec (...). » Jurisprudence du Tribunal fédéral S’agissant de la nécessité d’ordonner une expertise avant de refuser la levée d’une mesure d’internement, le Tribunal fédéral s’est prononcé de la manière suivante, par un arrêt du 13 janvier 1995, publié au recueil officiel ATF 121 IV 1 : « Il est vrai que l’art[icle] 45 ch[iffre] 1 al[inéa] 3 CP n’exige expressément qu’un rapport de la direction de l’établissement. Le sens de cette disposition n’exclut cependant pas d’emblée que, dans certains cas, sur requête de l’intéressé, l’avis d’un expert-psychiatre indépendant soit requis. Il faut au contraire admettre que, compte tenu de l’importance de l’opinion d’un expert pour statuer sur une libération conditionnelle ou à l’essai, il peut se justifier dans certains cas de requérir sur ce point l’avis d’un expert qui jusque-là ne s’est pas occupé du cas de l’intéressé. Cela ne signifie pas que l’avis d’un expert indépendant doive toujours être requis, notamment que l’autorité compétente qui doit prendre une décision au moins une fois par an doive chaque fois requérir un tel avis; le texte de l’art[icle] 45 ch[iffre] 1 al[inéa] 3 CP ne permet pas de poser une telle exigence. La question de savoir quand et à quelles conditions l’avis d’un expert indépendant doit être demandé dépend des circonstances du cas concret et il faut en tout cas que l’intéressé ait présenté une requête en ce sens. » III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS Recommandation REC(2004)10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux, du 22 septembre 2004 Chapitre III – Placement involontaire pour trouble mental dans des établissements psychiatriques, et traitement involontaire pour trouble mental (...) Article 17 – Critères pour le placement involontaire Sous réserve que les conditions suivantes sont réunies, une personne peut faire l’objet d’un placement involontaire : i. la personne est atteinte d’un trouble mental ; ii. l’état de la personne présente un risque réel de dommage grave pour sa santé ou pour autrui ; iii. le placement a notamment un but thérapeutique ; iv. aucun autre moyen moins restrictif de fournir des soins appropriés n’est disponible ; v. l’avis de la personne concernée a été pris en considération. (...) Article 18 – Critères pour le traitement involontaire Sous réserve que les conditions suivantes sont réunies, une personne peut faire l’objet d’un traitement involontaire : i. la personne est atteinte d’un trouble mental ; ii. l’état de la personne présente un risque réel de dommage grave pour sa santé ou pour autrui ; iii. aucun autre moyen impliquant une intrusion moindre pour apporter les soins appropriés n’est disponible ; iv. l’avis de la personne concernée a été pris en considération. Article 19 – Principes relatifs au traitement involontaire Le traitement involontaire devrait : i. répondre à des signes et à des symptômes cliniques spécifiques ; ii. être proportionné à l’état de santé de la personne ; iii. faire partie d’un plan de traitement écrit ; iv. être consigné par écrit ; v. le cas échéant, avoir pour objectif le recours, aussi rapidement que possible, à un traitement acceptable par la personne. Outre les conditions énoncées dans l’article 12.1 ci-dessus, le plan de traitement devrait : i. dans la mesure du possible, être élaboré après consultation de la personne concernée et, le cas échéant, de sa personne de confiance, ou du représentant de la personne concernée ; ii. être réexaminé à des intervalles appropriés et, si nécessaire, modifié, chaque fois que cela est possible, après consultation de la personne concernée, et, le cas échéant, de sa personne de confiance, ou du représentant de la personne concernée. Les États membres devraient s’assurer que les traitements involontaires ne sont effectués que dans un environnement approprié. Article 20 – Procédures pour la prise de décision sur le placement et/ou le traitement involontaires Décision La décision de soumettre une personne à un placement involontaire devrait être prise par un tribunal ou une autre instance compétente. Le tribunal ou l’autre instance compétente devrait : i. prendre en considération l’avis de la personne concernée ; ii. prendre sa décision selon les procédures prévues par la loi, sur la base du principe suivant lequel la personne devrait être vue et consultée. La décision de soumettre une personne à un traitement involontaire devrait être prise par un tribunal ou une autre instance compétente. Le tribunal ou l’autre instance compétente devrait : i. prendre en considération l’avis de la personne concernée ; ii. prendre sa décision selon les procédures prévues par la loi, sur la base du principe suivant lequel la personne devrait être vue et consultée. Toutefois, la loi peut prévoir que, lorsqu’une personne fait l’objet d’un placement involontaire, la décision de la soumettre à un traitement involontaire peut être prise par un médecin possédant les compétences et l’expérience requises, après examen de la personne concernée, en prenant en considération l’avis de cette personne. Toute décision de soumettre une personne à un placement ou à un traitement involontaires devrait être consignée par écrit et indiquer la période maximale au-delà de laquelle, conformément à la loi, elle doit être officiellement réexaminée. Cela s’entend sans préjudice des droits de la personne aux réexamens et aux recours, en accord avec les dispositions de l’article 25. Procédures préalables à la décision Le placement ou le traitement involontaires, ou leur prolongation, ne devraient être possibles que sur la base d’un examen par un médecin possédant les compétences et l’expérience requises, et en accord avec des normes professionnelles valides et fiables. Ce médecin ou l’instance compétente devrait consulter les proches de la personne concernée, sauf si cette dernière s’y oppose, si cela ne peut être réalisé pour des raisons pratiques ou si, pour d’autres raisons, cela n’est pas approprié. Tout représentant de cette personne devrait être informé et consulté. (...) Article 24 – Arrêt du placement et/ou du traitement involontaires Il devrait être mis fin au placement ou au traitement involontaires si l’un des critères justifiant cette mesure n’est plus rempli. Le médecin responsable des soins de la personne devrait aussi vérifier si l’un des critères pertinents n’est plus rempli, à moins qu’un tribunal ne se soit réservé la responsabilité de l’examen des risques de dommage grave pour autrui ou qu’il n’ait confié cet examen à une instance spécifique. Sauf si la levée d’une mesure est soumise à une décision judiciaire, le médecin, l’autorité responsable et l’instance compétente devraient pouvoir agir, sur la base des critères énoncés ci-dessus, pour mettre fin à l’application de cette mesure. Les États membres devraient s’efforcer de réduire au minimum, chaque fois que cela est possible, la durée du placement involontaire, au moyen de services de postcure appropriés. Article 25 – Réexamen et recours concernant la légalité d’un placement et/ou d’un traitement involontaires Les États membres devraient s’assurer que les personnes qui font l’objet d’un placement ou d’un traitement involontaires peuvent exercer effectivement le droit : i. d’exercer un recours contre une décision ; ii. d’obtenir d’un tribunal le réexamen, à intervalles raisonnables, de la légalité de la mesure ou de son maintien ; iii. d’être entendues en personne ou par l’intermédiaire d’une personne de confiance ou d’un représentant, lors des procédures de réexamen ou d’appel. Si la personne concernée ou, le cas échéant, la personne de confiance ou le représentant, ne demande pas de réexamen, l’autorité responsable devrait en informer le tribunal et veiller à ce qu’il soit vérifié à intervalles raisonnables et réguliers que la mesure continue d’être légale. Les États membres devraient envisager la possibilité pour la personne d’être assistée d’un avocat dans toutes les procédures de ce type engagées devant un tribunal. Lorsque la personne ne peut agir en son nom propre, elle devrait avoir droit aux services d’un avocat et, conformément au droit national, à une aide juridique gratuite. L’avocat devrait avoir accès à toutes les pièces en possession du tribunal, et avoir le droit de contester les preuves devant le tribunal. Si la personne a un représentant, ce dernier devrait avoir accès à toutes les pièces en possession du tribunal, et avoir le droit de contester les preuves devant le tribunal. La personne concernée devrait avoir accès à toutes les pièces en possession du tribunal, sous réserve du respect de la protection de la confidentialité et de la sûreté d’autrui, en accord avec la législation nationale. Si la personne n’a pas de représentant, elle devrait pouvoir bénéficier de l’assistance d’une personne de confiance dans toutes les procédures engagées devant un tribunal. Le tribunal devrait prendre sa décision dans des délais brefs. S’il observe une quelconque violation de la législation nationale applicable en la matière, il devrait le signaler à l’instance pertinente. Il devrait être possible de faire appel de la décision du tribunal. (...) Chapitre VI – Implication du système de justice pénale Article 34 – Implication des tribunaux Conformément au droit pénal, les tribunaux peuvent imposer le placement ou le traitement pour un trouble mental que la personne concernée consente ou non à la mesure en question. Les États membres devraient s’assurer que la personne peut exercer effectivement le droit au réexamen par un tribunal, à intervalles raisonnables, de la légalité de la mesure ou de son maintien. Les autres dispositions du chapitre III devraient être prises en compte pour de tels placements et traitement ; toute non-application de ces dispositions devrait pouvoir être justifiée. Les tribunaux devraient prendre de telles décisions concernant le placement ou le traitement pour un trouble mental sur la base de normes d’expertise médicale valides et fiables, et en prenant en considération la nécessité pour les personnes atteintes de troubles mentaux d’être traitées dans un lieu adapté à leurs besoins de santé. Cette disposition s’entend sans préjudice de la faculté pour un tribunal d’imposer, conformément à la loi, une évaluation psychiatrique et un suivi psychiatrique ou psychologique comme alternative à l’emprisonnement ou au prononcé d’une décision définitive. Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes du 11 janvier 2006 Annexe à la Recommandation Rec(2006)2 Partie I Principes fondamentaux 1 Les personnes souffrant de maladies mentales et dont l’état de santé mentale est incompatible avec la détention en prison devraient être détenues dans un établissement spécialement conçu à cet effet. Principes pour la protection des personnes atteintes de maladie mentale et pour l’amélioration des soins de santé mentale (A/RES/46/119) adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1991 Principe 4 Décision de maladie mentale Il ne peut être décidé qu’une personne est atteinte de maladie mentale que conformément aux normes médicales acceptées sur le plan international. (...) Principe 5 Examen médical Nul ne sera astreint à subir un examen médical pour déterminer s’il est ou non atteint de maladie mentale, si ce n’est en application d’une procédure autorisée par la législation nationale. (...) Principe 9 Traitement Tout patient a le droit d’être traité dans l’environnement le moins restrictif possible et selon le traitement le moins restrictif ou portant atteinte à l’intégrité du patient répondant à ses besoins de santé et à la nécessité d’assurer la sécurité physique d’autrui. Le traitement et les soins dispensés au patient doivent se fonder sur un programme individuel discuté avec lui, régulièrement revu, modifié le cas échéant, et appliqué par un personnel spécialisé qualifié. Les soins de santé mentale doivent, toujours, être dispensés conformément aux normes d’éthique applicables aux praticiens de santé mentale, y compris aux normes acceptées sur le plan international, telles que les Principes d’éthique médicale applicables au rôle du personnel de santé, en particulier des médecins, dans la protection des prisonniers et des détenus contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies. Il ne doit jamais être abusé des connaissances et des méthodes de soins de santé mentale. (...) Principe 11 Consentement au traitement Aucun traitement ne doit être administré à un patient sans qu’il y ait donné son consentement en connaissance de cause, sous réserve des cas prévus aux paragraphes 6, 7, 8, 13 et 15 du présent principe. (...) Excepté dans les cas prévus aux paragraphes 7, 8, 12, 13, 14 et 15 du présent principe, le traitement proposé peut être dispensé au patient sans son consentement donné en connaissance de cause, si les conditions suivantes sont remplies : a) Le patient n’est pas un patient volontaire au moment considéré ; b) Une autorité indépendante, ayant en sa possession tous les éléments d’information nécessaires, y compris les éléments indiqués au paragraphe 2 du présent principe, est convaincue que le patient n’a pas, au moment considéré, la capacité de donner ou de refuser son consentement en connaissance de cause au traitement proposé ou, si la législation nationale le prévoit, que, eu égard à la sécurité du patient ou à celle d’autrui, le patient refuse déraisonnablement son consentement ; c) L’autorité indépendante est convaincue que le traitement proposé répond au mieux aux besoins de la santé du patient. Le paragraphe 6 ci-dessus ne s’applique pas à un patient ayant un représentant personnel habilité par la loi à consentir au traitement en son nom, étant entendu toutefois que, dans les cas prévus aux paragraphes 12, 13, 14 et 15 du présent principe, le traitement peut être administré audit patient sans son consentement donné en connaissance de cause si son représentant personnel, après avoir eu connaissance des éléments d’information indiqués au paragraphe 2 du présent principe, y consent en son nom. Excepté dans les cas prévus aux paragraphes 12, 13, 14 et 15 du présent principe, le traitement peut également être dispensé à un patient sans son consentement donné en connaissance de cause si un praticien de santé mentale qualifié, habilité par la loi, conclut que ce traitement est urgent et nécessaire pour prévenir un dommage immédiat ou imminent au patient ou à autrui. Ce traitement ne doit durer que le temps strictement nécessaire à cet effet. Lorsqu’un traitement est autorisé sans le consentement du patient donné en connaissance de cause, tout est fait néanmoins pour tenter d’informer le patient de la nature du traitement et de tout autre mode de traitement possible, et pour faire participer le patient dans la mesure du possible à l’application du traitement. Tout traitement est immédiatement inscrit dans le dossier du patient, avec mention de son caractère volontaire ou non volontaire. La contrainte physique ou l’isolement d’office du patient ne doivent être utilisés que conformément aux méthodes officiellement approuvées du service de santé mentale, et uniquement si ce sont les seuls moyens de prévenir un dommage immédiat ou imminent au patient ou à autrui. Le recours à ces mesures ne doit durer que le temps strictement nécessaire à cet effet. Toutes les mesures de contrainte physique ou d’isolement d’office, les raisons qui les motivent, leur nature et leur étendue, doivent être inscrites dans le dossier du patient. Tout patient soumis à la contrainte physique ou à l’isolement d’office doit bénéficier de conditions humaines et être soigné et régulièrement et étroitement surveillé par un personnel qualifié. Dans le cas d’un patient ayant un représentant personnel, celui-ci est avisé sans retard, le cas échéant, de toute mesure de contrainte physique ou d’isolement d’office. (...) Dans les cas visés aux paragraphes 6, 7, 8, 13, 14 et 15 du présent principe, le patient ou son représentant personnel ou toute personne intéressée ont, à l’égard de tout traitement auquel le patient est soumis, le droit de présenter un recours auprès d’un organe judiciaire ou d’une autre autorité indépendante. (...) Principe 16 Placement d’office Une personne ne peut être placée d’office dans un service de santé mentale ou, ayant déjà été admise volontairement dans un service de santé mentale, ne peut y être gardée d’office, qu’à la seule et unique condition qu’un praticien de santé mentale qualifié et habilité à cette fin par la loi décide, conformément au principe 4 ci-dessus, que cette personne souffre d’une maladie mentale et considère : a) Que, en raison de cette maladie mentale, il y a un risque sérieux de dommage immédiat ou imminent pour cette personne ou pour autrui ; ou b) Que, dans le cas d’une personne souffrant d’une grave maladie mentale et dont le jugement est atteint, le fait de ne pas placer ou garder d’office cette personne serait de nature à entraîner une grave détérioration de son état ou empêcherait de lui dispenser un traitement adéquat qui ne peut être administré que par placement dans un service de santé mentale conformément au principe de la solution la moins contraignante. Dans le cas visé à l’alinéa b, un deuxième praticien de santé mentale répondant aux mêmes conditions que le premier et indépendant de celui-ci est consulté si cela est possible. Si cette consultation a lieu, le placement ou le maintien d’office du patient ne peut se faire qu’avec l’assentiment de ce deuxième praticien. La mesure de placement ou de maintien d’office est prise initialement pour une brève période prévue par la législation nationale aux fins d’observation et de traitement préliminaire, en attendant que la décision de placement ou de maintien d’office soit examinée par l’organe de révision. Les raisons du placement ou de maintien d’office sont communiquées sans retard au patient, de même que le placement ou le maintien d’office et les raisons qui les motivent sont aussi communiqués sans délai à l’organe de révision, au représentant personnel du patient, s’il en a un, et, sauf objection du patient, à la famille de celui-ci. (...) Principe 17 Organe de révision L’organe de révision est un organe judiciaire ou un autre organe indépendant et impartial établi et agissant selon les procédures fixées par la législation nationale. Il prend ses décisions avec le concours d’un ou plusieurs praticiens de santé mentale qualifiés et indépendants et tient compte de leur avis. Comme prescrit au paragraphe 2 du principe 16 ci-dessus, l’organe de révision procède à l’examen initial d’une décision de placer ou de garder d’office un patient dès que possible après l’adoption de cette décision et selon des procédures simples et rapides fixées par la législation nationale. L’organe de révision examine périodiquement les cas des patients placés d’office à des intervalles raisonnables fixés par la législation nationale. Tout patient placé d’office peut présenter à l’organe de révision une demande de sortie ou de placement volontaire, à des intervalles raisonnables fixés par la législation nationale. A chaque réexamen, l’organe de révision examine si les conditions du placement d’office énoncées au paragraphe 1 du principe 16 ci-dessus sont toujours réunies, sinon, il est mis fin au placement d’office du patient. Si, à tout moment, le praticien de santé mentale chargé du cas estime que les conditions pour maintenir une personne en placement d’office ne sont plus réunies, il prescrit qu’il soit mis fin au placement d’office de cette personne. Un patient ou son représentant personnel ou toute autre personne intéressée a le droit de faire appel devant une instance supérieure d’une décision de placement ou de maintien d’office d’un patient dans un service de santé mentale. Principe 18 Garanties de procédure Le patient a le droit de choisir et de désigner un conseil pour le représenter en tant que tel, y compris pour le représenter dans toute procédure de plainte ou d’appel. Si le patient ne s’assure pas de tels services, un conseil sera mis à la disposition du patient sans frais pour lui dans la mesure où il n’a pas de moyens suffisants pour le rémunérer. Le patient a aussi le droit à l’assistance, si nécessaire, des services d’un interprète. S’il a besoin de tels services et ne se les assure pas, ils seront mis à sa disposition sans frais pour lui dans la mesure où il n’a pas de moyens suffisants pour les rétribuer. Le patient et son conseil peuvent demander et présenter à toute audience un rapport établi par un spécialiste indépendant de la santé mentale et tous autres rapports et éléments de preuve verbaux, écrits et autres qui sont pertinents et recevables. Des copies du dossier du patient et de tous les rapports et documents devant être présentés doivent être données au patient et au conseil du patient, sauf dans les cas spéciaux où il est jugé que la révélation d’un élément déterminé au patient nuirait gravement à la santé du patient ou compromettrait la sécurité d’autrui. Au cas où la législation nationale le permet et si la discrétion peut être garantie, tout document qui n’est pas donné au patient devrait être donné au représentant et au conseil du patient. Quand une partie quelconque d’un document n’est pas communiquée à un patient, le patient ou le conseil du patient, le cas échéant, doit être avisé de la noncommunication et des raisons qui la motivent, et la décision de noncommunication pourra être réexaminée par le tribunal. Le patient, le représentant personnel et le conseil du patient ont le droit d’assister, de participer à toute audience et d’être entendus personnellement. Si le patient, le représentant personnel ou le conseil du patient demandent que telle ou telle personne soit présente à l’audience, cette personne y sera admise, à moins qu’il ne soit jugé que la présence de la personne risque d’être gravement préjudiciable à l’état de santé du patient, ou de compromettre la sécurité d’autrui. Lors de toute décision sur le point de savoir si l’audience ou une partie de l’audience doit se dérouler en public ou en privé et s’il peut en être rendu compte publiquement, il convient de tenir dûment compte des vœux du patient lui-même, de la nécessité de respecter la vie privée du patient et d’autres personnes et de la nécessité d’empêcher qu’un préjudice grave ne soit causé à l’état de santé du patient ou d’éviter de compromettre la sécurité d’autrui. La décision qui sera prise à l’issue de l’audience et les raisons qui la motivent seront indiquées par écrit. Des copies en seront données au patient, à son représentant personnel et à son conseil. Pour décider si la décision doit ou non être publiée intégralement ou en partie, il sera pleinement tenu compte des vœux du patient lui-même, de la nécessité de respecter sa vie privée et celle d’autres personnes, de l’intérêt public concernant la transparence dans l’administration de la justice et de la nécessité d’empêcher qu’un préjudice grave ne soit causé à la santé du patient ou d’éviter de compromettre la sécurité d’autrui. Principe 19 Accès à l’information Un patient (terme qui s’entend également d’un ancien patient dans le présent principe) doit avoir accès aux informations le concernant se trouvant dans ses dossiers médical et personnel que le service de santé mentale détient. Ce droit peut faire l’objet de restrictions afin d’empêcher qu’un préjudice grave ne soit causé à la santé du patient et d’éviter de compromettre la sécurité d’autrui. Au cas où la législation nationale le permet et si la discrétion peut être garantie, les renseignements qui ne sont pas donnés au patient peuvent être donnés au représentant personnel et au conseil du patient. Quand une partie des informations n’est pas communiquée à un patient, le patient ou le conseil du patient, le cas échéant, doit être avisé de la noncommunication et des raisons qui la motivent et la décision peut faire l’objet d’un réexamen par le tribunal. Toutes observations écrites du patient, du représentant personnel ou du conseil du patient doivent, à la demande de l’un d’eux, être versées au dossier du patient. Principe 20 Délinquants de droit commun Le présent principe s’applique aux personnes qui exécutent des peines de prison pour avoir commis des infractions pénales, ou qui sont détenues dans le cadre de poursuites ou d’une enquête engagée contre elles au pénal, et dont il a été établi qu’elles étaient atteintes de maladie mentale ou dont il est jugé qu’elles sont peut-être atteintes d’une telle maladie. Toutes ces personnes doivent recevoir les meilleurs soins de santé mentale disponibles comme prévu au principe 1 ci-dessus. Les présents Principes leur sont applicables dans toute la mesure possible, sous réserve des quelques modifications et exceptions qui s’imposent en l’occurrence. Aucune de ces modifications et exceptions ne doit porter atteinte aux droits reconnus à ces personnes par les instruments visés au paragraphe 5 du principe 1 ci-dessus. La législation nationale peut autoriser un tribunal ou une autre autorité compétente, en se fondant sur des avis médicaux compétents et indépendants, à ordonner le placement de telles personnes dans un service de santé mentale. Le traitement de personnes dont il a été établi qu’elles étaient atteintes de maladie mentale doit être en toutes circonstances conforme au principe 11 ci-dessus. Principe 21 Plaintes Tout patient et ancien patient ont le droit de porter plainte conformément aux procédures prévues par la législation nationale. Rapport au Conseil fédéral suisse relatif à la visite effectuée en par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 5 au 15 février 2001 (publié le 25 mars 2002) c. révision à intervalles réguliers 187. Il doit être mis fin au placement non volontaire dans un établissement psychiatrique dès lors que l’état de santé mentale du patient le permet. En conséquence, la nécessité du placement devrait être révisée à intervalles réguliers. 188. Le CPT a noté que la poursuite de l’hospitalisation d’un patient est réexaminée par le Président du Tribunal de première instance local (article 60 de la Loi cantonale de Thurgovie sur l’application du CCS), après qu’une décision négative ait été prise sur la demande de libération formulée par le patient ou par un parent proche à l’organe compétent (autorité de tutelle ou médecin Directeur de la Clinique). En outre, conformément à l’article 59, paragraphe 2, de la même loi, la clinique est obligée de réexaminer au moins une fois par an si la libération d’un patient placé à titre non volontaire est indiquée et de faire rapport en conséquence à l’autorité de tutelle. Dans ce contexte, le CPT souhaite souligner qu’une telle période, même si elle pouvait être considérée comme appropriée pour des patients à long terme, ne répondrait pas aux exigences de nombreux patients, dont le placement non volontaire devrait être revu à des intervalles bien plus brefs (par exemple, tous les trois mois). Au cours à la fois du réexamen interne par la Clinique et du réexamen judiciaire par le Tribunal, la "Commission d’experts en psychiatrie" peut être consultée (article 33h de la Loi cantonale sur la Santé). Selon une instruction administrative en date du 10 juin 1997 du Département cantonal de la justice et de la sécurité de Thurgovie, l’autorité de tutelle est chargée de se tenir informée "activement et régulièrement" sur l’état de santé des patients placés à titre non volontaire et de procéder d’office à un réexamen annuel en coopération avec la Clinique. 189. Dans leur lettre du 8 mai 2001, les autorités du Canton de Thurgovie ont indiqué leur intention de promulguer des dispositions juridiques réglementant le réexamen à intervalles réguliers des placements non volontaires, celles-ci pouvant entrer en vigueur le 1er janvier 2002. Le CPT se félicite de cette évolution et souhaite recevoir copie de ces dispositions juridiques en temps utile. Plus généralement; le CPT recommande aux autorités suisses de prendre des mesures afin de prévoir, dans le nouveau projet de Loi fédérale sur la tutelle à l’examen, la révision automatique, à intervalles réguliers, des mesures de placement non volontaire. Cette procédure de révision devrait notamment offrir des garanties d’indépendance et d’impartialité, ainsi que d’expertise médicale objective, et devrait viser toutes les formes de placement non volontaire, quels qu’en soient les motifs. Rapport au Conseil fédéral suisse relatif à la visite effectuée en par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 24 septembre au 5 octobre 2007 (publié le 18 novembre 2008) Dans la partie de son rapport relative aux détenus faisant l’objet d’une mesure d’internement, en particulier au sein de l’établissement de Pöschwies, où le requérant était interné au moment de la procédure litigieuse (voir paragraphe 19 ci-dessus), le CPT relève que : b. prise en charge médicale 156. Dans chacun des trois établissements visités, une équipe dotée de personnels qualifiés et en nombre suffisant, multidisciplinaire (psychiatrie, psychologie, etc.) et multilingue, indépendante de l’établissement, était en charge du traitement des détenus à l’encontre desquels un traitement institutionnel avait été ordonné par une autorité judiciaire. 157. Ces équipes respectaient, pour tous les détenus à l’encontre desquels un traitement institutionnel avait été ordonné, un protocole de traitement structuré et transparent, fondé sur l’évaluation des besoins individuels, visant à la fois à juguler la pathologie psychiatrique et à prévenir le risque de récidive. En particulier, à leur admission dans l’établissement pénitentiaire, tous ces détenus avaient leur diagnostic (établi au cours de la procédure pénale) vérifié. La thérapie était ensuite décidée et le cas attribué à un thérapeute. Un contrat (contenant notamment des informations sur la thérapie et l’obligation de faire rapport aux autorités compétentes) était systématiquement conclu entre le thérapeute désigné et le détenu. Le traitement comprenait, outre l’administration de médicaments, de la thérapie individuelle ou de groupe. Les détenus passaient par différentes phases, allant de l’évaluation de la capacité/motivation de suivre une thérapie à la préparation à la libération. Les thérapies faisaient l’objet d’une supervision externe régulière. Un rapport était établi chaque année ; il était montré aux détenus et, à Thorberg, ces derniers étaient invités à le commenter. Dans les trois établissements, les détenus avec lesquels la délégation s’est entretenue étaient bien informés sur le contenu et le but de leur thérapie. De plus, les thérapeutes participaient régulièrement à des réunions avec le personnel pénitentiaire, ce qui permettait l’échange d’informations (dans la limite du secret médical et du contrat signé avec le détenu) et contribuait à la sécurité dynamique. En bref, dans les trois établissements visités, la délégation a retiré une impression globalement favorable de la qualité des traitements spécialisés dispensés aux personnes à l’encontre desquelles un tel traitement avait été ordonné. Cela étant, de nombreux détenus atteints de graves troubles mentaux avaient besoin, outre ce traitement, d’un environnement et de personnels spécialisés (notamment des infirmiers spécialisés en psychiatrie) que les établissements visités n’offraient pas (voir le paragraphe 169). En d’autres termes, pour ces détenus, Lenzburg, Pöschwies et Thorberg n’étaient pas des établissements « appropriés ». 158. Cet état de choses a été confirmé par des thérapeutes, qui ont indiqué à la délégation que de nombreux détenus souffraient de troubles psychiatriques aigus et ne pouvaient dès lors pas être pris en charge de manière appropriée dans l’établissement pénitentiaire dans lequel ils se trouvaient ; leur état de santé nécessitait une admission en milieu hospitalier, où ils pourraient bénéficier de soins et d’une surveillance médicale constante. A ce sujet, des membres de la direction des établissements visités ont fait part de leur inquiétude face au nombre toujours plus élevé d’internés et de détenus souffrant de graves troubles mentaux placés dans des établissements d’exécution des peines (« wir sind als Spital missbraucht »). IV. LE DROIT DES ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L’EUROPE En ce qui concerne la question des expertises nécessaires en vue du prononcé, du maintien ou de la levée d’une mesure d’internement psychiatrique, la Cour a examiné en détail le droit en vigueur dans 26 États membres du Conseil de l’Europe : Albanie, Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, France, Géorgie, Grèce, Italie, Lituanie, Luxembourg, l’ex-République yougoslave de Macédoine, Malte, République de Moldova, Monténégro, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles), Russie, Slovénie et Turquie. S’agissant plus particulièrement du maintien ou de la levée d’une mesure d’internement, la Cour note que l’évaluation sur la base de laquelle est prise la décision est normalement réalisée par le personnel en charge du suivi de la personne internée dans au moins 15 des 26 États membres étudiés. Au Luxembourg, le rapport est établi par le médecin traitant. De même, à Malte, c’est le médecin en charge du traitement du patient qui sera consulté. En Angleterre et au Pays de Galles, le rapport sera établi par le médecin clinicien en charge de la personne ; en cas d’impossibilité, ce médecin doit au moins contresigner le rapport. Dans l’ex-République yougoslave de Macédoine, la décision est prise après « avis du médecin », soit très certainement le médecin en charge du patient. Il en va de même au Monténégro. En Grèce, la décision de maintien ou de libération est prise après avis du directeur de l’institution de placement, lequel consulte très probablement le médecin traitant. De même, en Autriche, l’internement est examiné chaque année au minimum, et chaque décision des autorités judiciaires compétentes (libération, libération conditionnelle, maintien du placement) doit être précédée notamment par une déclaration de la personne en charge de l’institution de placement ; cette dernière n’étant pas nécessairement psychiatre ni au fait de chaque cas, on peut imaginer qu’il se basera sur l’opinion du médecin traitant/psychothérapeute/psychologue de la personne placée. La loi pénitentiaire dispose par ailleurs que le personnel traitant ne soit entendu par les autorités judiciaires que lorsque l’état de santé ou la personnalité de l’individu concerné l’exigent. Le recours à des experts externes est possible mais rare. En Allemagne, la mesure d’internement fait l’objet d’un examen annuel par les autorités judiciaires, qui peuvent discrétionnairement se contenter de l’évaluation faite par le médecin traitant lorsque l’internement ne dure pas plus de cinq ans. En Croatie, en cas de proposition de libération ou de libération conditionnelle, l’évaluation est faite par l’équipe de psychiatres participant à la prise en charge de la personne internée. En Espagne, l’évaluation est le fait de l’équipe pluridisciplinaire de l’hôpital psychiatrique concerné. Aux Pays-Bas, la décision est prise après avis du directeur de l’établissement (généralement un psychiatre), avis accompagné des notes de l’équipe soignante sur la condition mentale et physique de l’interné. Il en va toutefois différemment lorsqu’il s’agit de maintenir le placement plus de six ans. En Slovénie, le rapport est rédigé par un groupe d’experts en charge du traitement, appartenant à l’Unité de psychiatrie médico-légale du Département de psychiatrie de l’hôpital de Maribor et nommés par le directeur de l’hôpital. En Turquie, c’est une commission de santé de l’institution de placement, formée de trois experts et également en charge du diagnostic et du traitement du patient, qui rédige le rapport. En France, la décision de maintien de l’internement est prise après avis d’un collège composé de deux psychiatres de l’établissement d’accueil désignés par le directeur de ce dernier, dont l’un participant à la prise en charge de la personne concernée, ainsi que d’un membre de l’équipe pluridisciplinaire participant également à la prise en charge. En Lituanie, c’est une commission de psychiatres de l’établissement de placement qui intervient. L’évaluation est réalisée par plusieurs médecins de l’établissement de placement, sans précision quant au fait qu’ils participent ou pas au suivi de la personne internée, dans au moins trois États membres sur les 26 étudiés. En République de Moldova, le rapport est rédigé par une commission médicale, nommée par la direction de l’hôpital, de trois médecins exerçant dans cet hôpital ; les experts judiciaires ayant auparavant rendu une expertise quant au placement ne doivent pas, si possible, faire partie de la commission. En Pologne, c’est le directeur de l’établissement ainsi que ses médecins qui formulent une opinion. En Russie, le rapport est établi par un panel de trois médecins psychiatres de l’institution de placement – il est peut-être possible que figure dans ce panel le médecin en charge du patient, la loi ne pose pas de restriction. En cas de doute, le juge peut aussi demander une expertise supplémentaire, par le Département des experts judiciaires de l’institution de placement. Bien que dépendant de l’établissement de placement d’un point de vue administratif, ces experts sont soumis à une exigence légale d’indépendance professionnelle et toute influence indue de l’administration de l’établissement, dans leurs conclusions, est pénalement réprimée. Par ailleurs, la Cour note que l’évaluation semble être réalisée par du personnel externe à l’établissement de placement dans au moins 11 États membres sur les 26 étudiés. En Estonie, comme pour les expertises judiciaires ayant motivé la décision de placement, la décision de libération ou de maintien donne lieu à des expertises préparées normalement par l’Institut estonien de science médico-légale, dépendant du Ministère de la justice, ou l’un de ses départements psychiatriques hospitaliers partenaires. Les experts concernés sont soumis à une stricte exigence d’impartialité et d’indépendance. En Italie, l’évaluation est réalisée par un médecin psychiatre inscrit au registre des experts judiciaires, comme pour les expertises judiciaires initiales. Il en va de même en Roumanie, où il s’agit d’un expert psychiatre soumis à de strictes exigences d’impartialité et d’indépendance. En Allemagne, si l’internement dure plus de cinq ans, un examen doit être mené par un expert externe, qui n’a jamais eu à traiter le patient et qui n’appartient pas non plus à l’établissement de placement. Aux Pays-Bas, en cas de maintien du placement qui porterait sa durée totale à plus de six ans (ou un multiple de six ans), l’avis de deux experts du comportement est nécessaire. Ces experts doivent être rémunérés par l’État mais ne doivent pas avoir d’attaches avec l’établissement où la personne est placée au moment de son examen. En France, quand le juge de la liberté et de la détention envisage la mainlevée d’une mesure relevant du régime renforcé (internement suite à une déclaration d’irresponsabilité pénale), il peut ordonner la conduite de deux expertises par des experts psychiatres sous serment et n’appartenant pas à l’établissement d’accueil de la personne malade, choisis sur une liste établie par le procureur de la République (après avis du directeur général de l’agence régionale de santé de la région dans laquelle est situé l’établissement) ou, à défaut, sur la liste des experts inscrits près la cour d’appel de son ressort. En Croatie, si le tribunal ne parvient pas à prendre une décision sur la base de l’évaluation faite par l’équipe de psychiatres en charge du patient, ou à la demande de l’individu ou ses ayants-droit, il peut demander un rapport d’un expert psychiatre médico-légal exerçant dans une autre institution, ou d’un psychiatre spécialement habilité par l’Association Médicale Croate. En Belgique, la décision est prise par une commission de défense sociale, instituée auprès de chaque annexe psychiatrique, et composée d’un magistrat, d’un avocat, et d’un médecin (choisis par le Ministère de la justice, sur liste proposée, pour les deux premiers respectivement, par le procureur du Roi et le bâtonnier). La commission peut prendre l’avis d’un médecin de son choix appartenant ou non à l’administration. En Bosnie-Herzégovine, dans le cadre civil cependant, une indépendance par rapport à l’institution de placement est requise. En Bulgarie, l’institution de placement donnera son opinion sur la libération ou le maintien sur la base d’un rapport préparé par un psychiatre expert judiciaire. Celui-ci est a priori extérieur à l’institution mais il n’existe pas d’exigence claire sur ce choix, qui est donc laissé à la discrétion du tribunal. En Géorgie, comme pour l’expertise judiciaire initiale, l’expertise sera pratiquée par le Bureau national médico-légal du Ministère de la justice, ou par un établissement médical possédant une licence accordée par l’Agence gouvernementale de régulation des activités médicales. L’évaluation sera donc a priori externe, d’autant qu’en Géorgie, un expert a l’obligation de se récuser dès lors qu’il existe un doute quant à son indépendance et impartialité. Enfin, la Cour note, que postérieurement à la procédure litigieuse, la Suisse a également opté pour une expertise « indépendante » concernant des cas analogues à celui du requérant. En effet, au moment d’examiner une demande de libération à l’essai, lorsque la personne concernée a commis un meurtre ou un assassinat, le nouvel article 62d § 2 du Code pénal suisse, entré en vigueur en 2007, oblige désormais les autorités à solliciter une « expertise indépendante, après avoir entendu une commission composée de représentants des autorités de poursuite pénale, des autorités d’exécution et des milieux de la psychiatrie ». Le même article ajoute que « [l]’expert et les représentants des milieux de la psychiatrie ne doivent ni avoir traité l’auteur ni s’être occupés de lui d’une quelconque manière ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1953 et 1947 et résident à Glyka Nera Attikis. A l’époque des faits le premier requérant était le directeur et la seconde la responsable des questions d’antisémitisme au sein de Greek Helsinki Monitor, une organisation non-gouvernementale déployant ses activités dans le champ de la défense des droits de l’homme. Le 5 août 2007, le premier requérant alerta le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes d’un article de contenu prétendument antisémite, paru le 28 juillet 2007, dans le quotidien d’extrême droite « Alpha Ena ». Après la clôture de l’investigation judiciaire, des poursuites pénales furent engagées contre le directeur du journal susmentionné et le rédacteur de l’article en cause. Les chefs d’accusations portaient, en premier lieu, sur la violation de l’article 2 la loi no 927/79, dite « loi antiraciste », qui condamne la dissémination d’idées constituant une atteinte contre une ou plusieurs personnes en raison de son et de leur origine raciale ou ethnique. En second lieu, les personnes concernées furent accusées pour dissémination, à travers la presse, de fausses informations. Le 7 janvier 2009, à la date de l’audience, après avoir affirmé qu’elle était d’origine juive, la seconde requérante se constitua partie civile pour la somme de trente euros. Le premier requérant n’était pas partie civile à la procédure en cause mais fut entendu comme témoin. En particulier, il allègue qu’on lui demanda lors de l’audience, en vertu de l’article 217 du code de procédure pénale, de fournir au tribunal ses données personnelles, sa religion y compris. Le premier requérant affirme avoir informé le tribunal qu’il n’était pas chrétien orthodoxe, mais athée pour ne pas prêter le serment religieux prévu par l’article 218 du code de procédure pénale. En vertu de l’article 220 du code de procédure pénale, le juge compétent aurait accueilli sa demande. A la même date, le tribunal correctionnel d’Athènes acquitta les accusés. Il constata que l’article incriminé faisait référence à des sionistes « qui emploient des britanniques et des américains comme agents afin d’enflammer les Balkans avec une guerre (...) ». Le tribunal correctionnel admit, d’une part, qu’il s’agissait d’expression d’idées et non pas de communication d’informations et que, par conséquent, le délit de « dissémination de fausses informations» n’avait pas été commis. En second lieu, le tribunal correctionnel considéra que la loi no 927/79 n’avait pas été enfreinte, puisque l’article incriminé faisait référence à des « sionistes », à savoir des personnes d’origine juive ayant adhéré à une idéologie particulière à connotation nationaliste. Selon le tribunal, le terme « sioniste » ne faisait pas référence à toutes les personnes d’origine juive, à l’instar de la requérante, et, partant, le délit prescrit par l’article 2 de la loi no 927/79 n’avait pas été commis (jugement no 185/2009). Ce jugement fut publié le 24 février 2009. Le procès-verbal de la déposition du premier requérant devant le tribunal correctionnel d’Athènes comportait un texte standard dans lequel le terme « chrétien-orthodoxe » était rayé sans être remplacé par celui d’athée. Le 13 janvier 2009, le premier requérant adressa une lettre au procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes l’informant de l’issue de la procédure pénale et lui demandant d’interjeter appel contre le jugement no 185/2009. Selon le premier requérant, il fut informé oralement ultérieurement que sa demande avait été rejetée. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT À l’époque des faits, les articles pertinents du code de procédure pénale disposaient : Article 217 Vérification de l’identité du témoin « Le témoin, avant son audition, est invité à fournir ses noms et prénom, son lieu de naissance, son adresse de résidence, son âge et sa religion (...). » Article 218 § 1 Prestation de serment lors de l’audience « Avant d’être interrogé à l’audience, tout témoin doit prêter serment, publiquement et en posant sa main droite sur le Saint Evangile, en ces termes : « Je jure devant Dieu de dire consciencieusement toute la vérité rien que la vérité, sans rajouter ni dissimuler quoi que ce soit ». En cas de non-respect de cette disposition, la procédure est nulle. » Article 219 § 1 Prestation de serment lors de l’instruction « Pendant l’instruction, les témoins prêtent le serment prévu à l’article 218 (...). » Article 220 Prestation de serment des hétérodoxes « 1. Si le témoin croit à une religion reconnue ou simplement tolérée par l’Etat et celle-ci a une forme connue de serment, cette forme est valable pour la procédure pénale. Si le témoin croit à une religion qui n’autorise pas le serment, et si celui qui interroge le témoin ou le tribunal sont convaincus, suite à une déclaration du témoin en ce sens, que celui-ci est athée, le serment prêté se lit ainsi : « Je déclare sur l’honneur et la conscience que je dirai toute la vérité rien que la vérité sans rajouter ni dissimuler quoi que ce soit. » Dans son arrêt no 285/2001 l’assemblée plénière du Conseil d’Etat considéra : « La liberté de conscience religieuse, qui protège les convictions de l’individu à l’égard du divin contre toute ingérence étatique, comprend, entre autres, le droit pour l’individu de ne pas divulguer sa confession ou ses convictions religieuses et de ne pas être obligé de faire ou de ne pas faire en sorte qu’on puisse tirer comme conclusion qu’il ait de telles convictions. Aucune autorité étatique ni aucun organe n’a le droit d’intervenir dans le domaine de la conscience de l’individu, qui est inviolable selon la Constitution, et de rechercher ses convictions religieuses, ou de l’obliger à extérioriser ses convictions concernant le divin. La divulgation volontaire de ses convictions faite par un individu aux autorités dans le but d’exercer certains droits spécifiques reconnus par l’ordre juridique aux fins de la protection de la liberté religieuse (par exemple, celui d’être exempté de service militaire pour des raisons d’objection de conscience, ou du cours d’éducation religieuse ou d’autres obligations scolaires, comme assister à la messe ou à la prière, ou celui de créer une maison de prière ou une association à caractère religieux) n’est pas à mettre sur le même plan. (...) » Le 2 avril 2012, la loi no 4055/2012 est entrée en vigueur. L’article 39 §§ 2 et 3 de cette loi a apporté des modifications aux articles 217 et 218 du code de procédure pénale. En particulier, l’article 39 §§ 2 et 3 de la loi no 4055/2012 dispose ce qui suit : « (...) Le premier alinéa de l’article 217 du code de procédure pénale est modifié comme suit : ‘Le témoin, avant son audition, est invité à fournir ses nom(s) et prénom(s), son lieu de naissance, son adresse de résidence ainsi que son âge (...)’ L’article 218 du code de procédure pénale est modifié comme suit : ‘1. Avant son audition le témoin doit prêter serment. Il est ainsi demandé s’il préfère prêter un serment religieux ou faire une déclaration solennelle. (...)’ (...) » En outre, en vertu de l’article 109 § 1 de la loi no 4055/2012, l’article 220 du code de procédure pénale a été abrogé. Enfin, la partie pertinente de l’article 408 du code de procédure civile dispose : « Avant son audition le témoin doit prêter serment. Il est ainsi demandé s’il préfère prêter un serment religieux ou faire une déclaration solennelle. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1964 et en 1958 et résident à Milan. Les requérants sont un couple marié. Le 26 avril 1999 naquit leur premier enfant, une fille, Maddalena. Le requérant présenta à l’officier d’état civil une demande tendant à ce que sa fille soit inscrite dans les registres d’état civil avec comme nom de famille celui de sa mère (Cusan). Cette demande fut rejetée et Maddalena fut inscrite avec le nom de son père (Fazzo). En juin 2000, les requérants introduisirent devant le tribunal de Milan un recours contre cette décision. Ils faisaient valoir qu’ils s’accordaient à vouloir inscrire Maddalena avec le nom de sa mère et qu’aucune disposition du droit italien ne s’y opposait. Par un jugement du 6 juin 2001, dont le texte fut déposé au greffe le 8 juin 2001, le tribunal de Milan rejeta le recours des requérants. Dans ses motifs, le tribunal observa que même si aucune disposition légale n’imposait d’inscrire un enfant né d’un couple marié avec le nom de son père, cette règle correspondait à un principe bien enraciné dans la conscience sociale et dans l’histoire italienne. Le tribunal estima par ailleurs superflue la question de l’existence ou non d’une disposition légale explicite. Il releva en effet que selon l’ancien article 144 du code civil (« le CC »), toute femme mariée adoptait le nom du mari, et estima que les enfants ne pouvaient être inscrits qu’avec ce nom ; ce nom était en effet commun aux époux, même si, par la suite, l’article 143 bis du CC avait prévu que le nom du mari puisse être seulement ajouté à la suite de celui de sa femme. Les requérants interjetèrent appel. Par un arrêt du 24 mai 2002, dont le texte fut déposé au greffe le 4 juin 2002, la cour d’appel de Milan confirma le jugement de première instance. Dans ses motifs, la cour d’appel observa que la Cour constitutionnelle avait affirmé à plusieurs reprises (ordonnances nos 176 du 28 janvier 1988 et 586 du 11 mai 1988) que la non-prévision de la possibilité, pour la mère, de transmettre son nom de famille aux « enfants légitimes » ne violait ni l’article 29 (fondation du mariage sur l’égalité morale et juridique des époux) ni l’article 3 (égalité des citoyens devant la loi) de la Constitution. Elle nota que la Cour constitutionnelle avait indiqué qu’il appartenait au législateur de décider de l’opportunité d’introduire un système différent d’attribution du nom de famille, et qu’au moins six projets ou propositions de loi étaient pendants devant le Parlement. Cela démontrait à ses yeux que la règle non écrite d’attribution du nom était encore en vigueur ; la jurisprudence n’en avait par ailleurs pas mis en doute l’existence. Pour la cour d’appel, la non-application de cette règle aurait entraîné des conséquences pour les enfants auxquels serait attribué le nom de la mère, en ce qu’ils auraient pu être pris pour des « enfants non légitimes ». Les requérants se pourvurent en cassation. Par une ordonnance du 26 février 2004, dont le texte fut déposé au greffe le 17 juillet 2004, la Cour de cassation estima que la question incidente de la constitutionnalité de la règle attribuant aux « enfants légitimes » le nom du père était pertinente et n’était pas manifestement infondée ; en conséquence, elle suspendit la procédure et ordonna la transmission du dossier à la Cour constitutionnelle. Dans les motifs de l’ordonnance, la Cour de cassation précisa que la règle en cause n’était pas une règle de droit coutumier, mais se dégageait de l’interprétation de certains articles du CC. Par un arrêt (no 6) du 16 février 2006, la Cour constitutionnelle déclara cette question de constitutionnalité irrecevable. Dans ses motifs, la Cour constitutionnelle considéra que le système en vigueur résultait d’une conception patriarcale de la famille et des pouvoirs du mari, qui avait ses racines dans le droit romain et n’était plus compatible avec le principe constitutionnel de l’égalité entre homme et femme. Elle releva de plus que l’article 16 § 1 g) de la Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination envers la femme (ratifiée par la loi no 132 du 14 mars 1985) engageait les États contractants à adopter toutes les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination envers les femmes à propos de toute question relative au mariage ou aux rapports familiaux et, en particulier, à assurer les mêmes droits au mari et à la femme, y compris dans le choix du nom. La Cour constitutionnelle se référa également aux recommandations nos 1271 de 1995 et 1362 de 1998 du Conseil de l’Europe, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour (en l’occurrence Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, série A no 280-B ; Stjerna c. Finlande, 25 novembre 1994, série A no 299-B ; et Ünal Tekeli c. Turquie, no 29865/96, CEDH 2004-X). Cependant, la Cour constitutionnelle ne s’estima pas compétente pour procéder à l’intervention souhaitée par la Cour de cassation. Elle releva en effet que toute une série d’options restaient ouvertes, à savoir : 1o) s’il fallait faire dépendre le choix du nom exclusivement de la volonté des époux ; 2o) s’il fallait permettre aux époux de déroger à la règle ; 3o) si le choix des époux devait avoir lieu une seule fois et valoir pour tous leurs enfants, ou bien si un choix individuel devait être exprimé pour chaque enfant. Elle observa que les projets de loi (nos 1739-S, 1454S et 3133-S) présentés au cours de la XIVe législature témoignaient de la diversité des solutions pouvant être envisagées, et estima que le choix entre ces solutions ne pouvait être fait que par le législateur. Elle retint également qu’une déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions internes pertinentes aurait créé un vide juridique. Par un arrêt du 29 mai 2006, dont le texte fut déposé au greffe le 16 juillet 2006, la Cour de cassation prit acte de la décision de la Cour constitutionnelle et débouta les requérants de leur pourvoi. Dans ses motifs, elle souligna que la règle dénoncée par les requérants était symptomatique d’une conception patriarcale de la famille et se conciliait difficilement avec les textes internationaux pertinents, mais estima que le soin de mettre en place en la matière un régime juridique compatible avec la Constitution devait revenir au législateur. Le 31 mars 2011, les requérants demandèrent au ministre de l’Intérieur d’être autorisés à faire compléter le nom de leurs « enfants légitimes » par l’adjonction du nom « Cusan ». Ils expliquaient souhaiter leur permettre par ce biais de s’identifier au patrimoine moral de leur grand-père maternel – décédé en 2011, et qui selon leurs dires avait été un philanthrope – ; le frère de la requérante n’ayant pas eu de descendants, le nom « Cusan » ne pouvait se perpétuer, précisaient-ils, qu’en passant aux enfants de Mme Alessandra Cusan. Par un décret du 14 décembre 2012, le préfet de Milan autorisa les requérants à changer le nom de leurs enfants en « Fazzo Cusan ». Les requérants précisent qu’en dépit de cette autorisation, ils souhaitent maintenir leur requête devant la Cour. A cet égard, ils font observer que le décret du Préfet a été émis à l’issue d’une procédure administrative, et non judiciaire, et qu’ils n’ont pas été autorisés à donner à leur enfant uniquement le nom de famille de leur mère, comme ils l’avaient demandé au tribunal de Milan. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 29 de la Constitution se lit comme suit : « La République reconnaît les droits de la famille comme société naturelle fondée sur le mariage. Le mariage est fondé (ordinato) sur l’égalité morale et juridique des époux, dans les limites établies par la loi pour la protection de l’unité familiale. » Les articles 153 à 164 du décret royal no 1238 du 9 juillet 1939, tels qu’en vigueur à l’époque de la naissance de Maddalena, prévoyaient que toute demande de changement de nom devait être adressée au président de la République, exposer les raisons la justifiant et être publiée au journal officiel. En la matière, le président de la République exerçait un pouvoir discrétionnaire. Postérieurement à la naissance de Maddalena est entré en vigueur le décret présidentiel no 396 du 3 novembre 2000. Son article 84, intitulé « changement du nom de famille », se lit comme suit : « Quiconque souhaite changer le nom de famille ou ajouter au sien un autre nom de famille doit en faire la demande au ministère de l’Intérieur en exposant les raisons qui la justifient. »
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I. Les circonstances de l’espèce Le requérant est né en 1958 et réside à Palaio Faliro. Il fut employé avec un contrat probatoire à l’Hôpital General de Voula « Asklipieio ». Par décision du 5 novembre 1999, le Conseil administratif du personnel de l’Hôpital a constaté que le requérant était inapte pour un emploi permanent (décision no 3/5-11-1999). Par la suite, par acte no 27/18-11-1999 du Président du Conseil administratif de l’Hôpital, le requérant fut licencié. A. Première procédure Le 8 février 2000, le requérant saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation des décisions nos 3/5-11-1999 et 27/18-11-1999. Le 2 avril 2001, le Conseil d’État accepta le recours et annula lesdites décisions à cause des irrégularités procédurales (arrêt no 1185/2001). La date de la mise au net de cet arrêt ne ressort pas du dossier. B. Seconde procédure Par décision du 20 mars 2002, le Conseil administratif du personnel de l’Hôpital confirma sa décision no 3/5-11-1999 et constata que le requérant était inapte pour un emploi permanent (décision no 17/20-3-2002). Le 21 mai 2002, le requérant saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation contre la décision no 17/20-3-2002. Le 14 septembre 2009, le Conseil d’État rejeta son recours après avoir constaté que ladite décision était suffisamment motivée. En particulier, la haute juridiction administrative observa que les exigences procédurales avaient été respectées et que tous les éléments de preuve avaient été pris en considération (arrêt no 2581/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 22 janvier 2010. II. Le droit interne pertinent La loi no 4055/2012 La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose: « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive. (...) »
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