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A. Le contexte de l’affaire
Le requérant est un ressortissant grec, né en 1937 et résidant à Athènes. Il est magistrat militaire à la retraite. Depuis 1978, il engagea plusieurs procédures administratives afin de contester de nombreuses décisions du conseil militaire des promotions en vertu desquelles il fut jugé non éligible à une promotion et finalement mis à la retraite.
B. Requête no 22395/10
Le 4 mars 1997, le requérant intenta un recours en annulation de la décision no 6/1996 du conseil des promotions des offices devant la cour administrative d’appel d’Athènes.
Le 9 juin 1997, il demanda l’ajournement de l’examen de l’affaire. L’audience fut fixée au 13 octobre 1997, date à laquelle la cour d’appel la reporta au 10 novembre 1997.
Le 30 janvier 1998, par son arrêt no 112/1998, la cour d’appel rejeta le recours comme infondé.
Le 26 mars 1998, le requérant interjeta appel devant le Conseil d’État.
L’examen de l’affaire fut ajourné à plusieurs reprises entre 1998 et 2009. Les 10 avril 2008 et 15 janvier 2009, des ajournements furent accordés à la demande du requérant.
Le 15 octobre 2009, la troisième chambre du Conseil d’État rejeta le pourvoi (arrêt no 3207/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 6 novembre 2009.
C. Requête no 16934/11
Première procédure
Le 21 mai 1999, le requérant saisit le tribunal administratif de première instance d’Athènes d’une action en dommages-intérêts en alléguant que l’omission de l’administration de le promouvoir était illégale.
Le 30 juin 2000, par sa décision no 5635/2000, le tribunal rejeta l’action comme infondée.
Le 14 décembre 2000, le requérant interjeta appel.
Le 28 novembre 2001, la cour administrative d’appel le rejeta (arrêt no 5474/2001).
Le 24 juillet 2002, le requérant se pourvut en cassation.
Le 19 avril 2010, le Conseil d’État rejeta le pourvoi (arrêt no 1225/2010). L’arrêt fut mis au net et certifié conforme le 5 octobre 2010.
Deuxième procédure
Le 29 avril 1999, le requérant saisit le tribunal administratif de première instance d’Athènes d’une deuxième action en dommages-intérêts en alléguant que l’omission de l’administration de le promouvoir était illégale.
Le 30 juin 2000, par sa décision no 6187/2000, le tribunal rejeta l’action comme infondée.
Le 9 décembre 2000, le requérant interjeta appel.
Le 28 novembre 2001, la cour administrative d’appel le rejeta (arrêt no 5476/2001).
Le 26 juillet 2002, le requérant se pourvut en cassation.
Le 19 avril 2010, le Conseil d’État rejeta le pourvoi (arrêt no 1229/2010). L’arrêt fut mis au net et certifié conforme le 5 octobre 2010.
Troisième procédure
Le 5 février 1999, le requérant saisit le tribunal administratif de première instance d’Athènes d’une troisième action en dommages-intérêts en alléguant que l’omission de l’administration de le promouvoir était illégale.
Le 29 octobre 1999, par sa décision no 9611/1999, le tribunal rejeta l’action comme infondée.
Le 3 décembre 1999, le requérant interjeta appel.
Le 19 septembre 2000, la cour administrative d’appel rejeta l’appel par son arrêt no 3497/2000.
Le 1er janvier 2001, le requérant se pourvut en cassation.
Le 30 juin 2010, le Conseil d’État rejeta le pourvoi (arrêt no 2345/2010). L’arrêt fut mis au net et certifié conforme le 20 septembre 2010. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont nés en 1971 et 1979 respectivement. Ils résident à Malmö (Suède).
Le requérant est né au Togo, où il a vécu jusqu’à l’âge de six ans, puis de vingt et un à vingt-deux ans. De six à vingt et un ans, il a vécu avec son oncle au Ghana. Il a été scolarisé pendant dix ans dans ce pays, dont il parle la langue. Il est arrivé au Danemark le 18 juillet 1993, à l’âge de vingt-deux ans, et y a demandé l’asile. Sa demande fut rejetée par une décision définitive le 8 mars 1995.
Avant le rejet de sa demande d’asile, le requérant avait épousé, le 7 novembre 1994, et avait en conséquence obtenu un permis de séjour délivré le 1er mars 1996 en application de l’ancien article 9 § 1 ii) de la loi sur les étrangers (Udlændingeloven), permis qui devint permanent le 23 septembre 1997.
Le 25 septembre 1998, l’intéressé et son épouse danoise divorcèrent.
Le 22 avril 2002, le requérant acquit la nationalité danoise. À cette date, il satisfaisait aux conditions de durée de séjour au Danemark, de bon comportement général, d’absence de dettes envers la collectivité nationale et de connaissance de la langue danoise.
Le 22 février 2003, il se maria au Ghana avec la requérante, rencontrée lors de l’un des quatre séjours qu’il avait effectués dans ce pays au cours des cinq années précédentes. L’intéressée est née au Ghana.
Le 28 février 2003, celle-ci, qui était alors âgée de vingt-quatre ans, sollicita un permis de séjour au Danemark auprès de l’ambassade du Danemark à Accra (Ghana), indiquant qu’elle était mariée avec le requérant, qu’elle ne s’était jamais rendue au Danemark, et que ses parents résidaient au Ghana. Dans le formulaire de demande de permis de séjour, le requérant précisa qu’il n’avait jamais été scolarisé au Danemark mais qu’il y avait suivi des cours de langue et des formations courtes dans le domaine du service à la clientèle, du nettoyage industriel, de l’hygiène et des méthodes de travail, qu’il travaillait dans un abattoir depuis le 15 février 1999, qu’il n’avait pas de famille proche au Danemark, qu’il parlait et écrivait le danois, qu’il avait rencontré son épouse au Ghana et qu’il communiquait avec elle en haoussa et en twi.
Selon le droit interne pertinent applicable à l’époque des faits, à savoir l’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers, seuls pouvaient obtenir un regroupement familial les conjoints âgés d’au moins vingt-quatre ans dont l’ensemble des attaches avec le Danemark étaient plus étroites que leurs liens avec un autre pays (« condition des attaches »).
Le 1er juillet 2003, l’autorité des étrangers (Udlændingestyrelsen) refusa d’accorder un permis de séjour à la requérante, au motif que les requérants n’avaient pas établi que l’ensemble de leurs attaches avec le Danemark étaient plus étroites que leurs liens avec le Ghana.
En juillet ou en août 2003, la requérante entra au Danemark avec un visa de tourisme.
Le 28 août 2003, elle attaqua la décision émise le 1er juillet 2003 par l’autorité des étrangers devant le ministère des Réfugiés, de l’Immigration et de l’Intégration (Ministeriet for Flygtninge, Indvandrere og Integration) d’alors. Le recours formé par la requérante n’était pas suspensif.
Le 15 novembre 2003, les intéressés s’établirent en Suède.
L’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers fut modifié par la loi no 1204 du 27 décembre 2003, qui instaura la règle dite « des vingt-huit ans », (28-års reglen), laquelle dispense les personnes titulaires de la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans de la condition des attaches. En outre, cette loi prévoyait que les personnes nées ou arrivées au Danemark en bas âge et résidant régulièrement au Danemark depuis au moins vingt-huit ans pouvaient également être dispensées de la condition des attaches.
Le 6 mai 2004, les requérants eurent un fils. Celui-ci est né en Suède mais il est Danois par son père.
Le 27 août 2004, le ministère des Réfugiés, de l’Immigration et de l’Intégration confirma la décision que l’autorité des étrangers avait rendue le 1er juillet 2003 et par laquelle elle avait refusé d’accorder un permis de séjour à la requérante. Pour se prononcer ainsi, il releva en particulier que celle-ci avait toujours vécu au Ghana, où elle avait de la famille, et que le requérant avait des attaches avec le Ghana, notamment en ce qu’il y avait été scolarisé pendant dix ans. Il conclut que les intéressés pouvaient s’établir au Ghana avec leur fils, à la seule condition que le requérant y trouvât un emploi.
Le 18 juillet 2006, les intéressés introduisirent devant la cour régionale du Danemark oriental (Østre Landsret) un recours dirigé contre la décision du ministère des Réfugiés, de l’Immigration et de l’Intégration. Dans leur recours, ils se plaignaient notamment, sur le terrain de l’article 8 de la Convention – pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention – et de l’article 5 § 2 de la Convention européenne sur la nationalité, d’une discrimination indirecte au regard du droit au regroupement familial. À cet égard, ils avançaient que tous les Danois de naissance étaient dispensés de la condition des attaches alors que ceux qui avaient acquis la nationalité danoise ultérieurement devaient satisfaire à la règle des vingt-huit ans pour pouvoir bénéficier de la même dispense. Il en résultait selon eux que le requérant ne pourrait être dispensé de la condition des attaches qu’en 2030, année où il aurait cinquante-neuf ans et possèderait la nationalité danoise depuis vingt-huit ans.
Par un arrêt du 25 septembre 2007, la cour régionale du Danemark oriental conclut, à l’unanimité, que la décision attaquée, fondée sur la règle des vingt-huit ans et la condition des attaches, n’enfreignait pas les articles de la Convention et de la Convention européenne sur la nationalité invoqués par les intéressés. Elle s’exprima ainsi :
« (...) les faits relatés dans les décisions rendues par les services d’immigration en l’espèce ne prêtent pas à controverse.
Il en ressort que [la requérante], une ressortissante ghanéenne, avait vingt-quatre ans lorsqu’elle a sollicité un permis de séjour, le 28 février 2003, et qu’elle n’a aucun autre lien avec le Danemark que son mariage avec [le requérant]. [Elle] a toujours vécu au Ghana, où elle a de la famille. [Le requérant] a des attaches avec le Ghana, pays où il a vécu avec son oncle et où il a été scolarisé pendant 10 ans. Il est arrivé au Danemark en 1993, à vingt-deux ans, et il a obtenu la nationalité danoise le 22 avril 2002. [Les intéressés] se sont mariés au Ghana le 22 février 2003 et résident en Suède depuis le 15 novembre 2003, avec leur enfant, né le 6 mai 2004. [Le requérant] a indiqué à la Cour que sa famille et lui pourraient s’établir légalement au Ghana s’il y trouve un emploi rémunéré.
Selon un arrêt de la Cour suprême en date du 13 avril 2005 publié à la page 2086 du Recueil hebdomadaire de jurisprudence danoise (Ugeskrift for Retsvæsen) de 2005, l’article 8 de la Convention n’emporte pas l’obligation générale pour un état de respecter le choix opéré par des immigrés de leur pays de résidence en fonction de leur mariage et d’autoriser le regroupement familial sur son territoire.
Compte tenu des informations dont elle dispose sur la situation des [requérants] et sur leurs attaches avec le Ghana, la Cour n’aperçoit aucune raison d’annuler la décision qui a constaté que l’ensemble de ces attaches étaient plus étroites que leurs liens avec le Danemark, et qui en a conclu que [les intéressés] ne satisfaisaient pas à la condition des attaches posée par l’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers. À cet égard, la Cour estime que le rejet de leur demande n’empêche pas [les requérants] d’exercer leur droit à la vie familiale dans un autre pays que le Danemark, au Ghana ou ailleurs. Le fait que [le requérant] ne pourra s’établir au Ghana que s’il y trouve un emploi rémunéré ne peut conduire la Cour à en décider autrement. Partant, la Cour conclut que la décision du ministère ne contrevient pas à l’article 8 de la Convention.
Bien qu’elle ait conclu à la non-violation de l’article 8 en l’espèce, la Cour doit examiner le grief [des requérants] selon lequel, la décision du ministère viole l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.
La Cour observe d’emblée que [le requérant] résidait au Danemark depuis onze ans lorsque le ministère a adopté sa décision. Bien qu’il eût acquis la nationalité danoise en 2002, soit neuf ans après son arrivée au Danemark, [l’intéressé] ne satisfaisait pas à l’époque à la règle des vingt-huit ans de possession de la nationalité danoise applicable à tous les citoyens danois en vertu de l’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers, qu’ils soient d’origine étrangère ou de souche danoise. Il n’avait pas non plus avec le Danemark des liens comparables à ceux qui découlent de vingt-huit années de résidence dans ce pays et qui doivent normalement conduire, selon les travaux préparatoires à la réforme législative de 2003, à une dispense de la condition des attaches.
La règle des vingt-huit ans apporte à la condition des attaches un assouplissement formulé en termes généraux et fondé sur un critère objectif. Toutefois, il peut arriver en pratique qu’une personne naturalisée danoise ne satisfera à cette règle qu’à un âge plus avancé qu’un Danois de naissance. L’application de cette règle peut donc parfois entraîner une discrimination indirecte.
Il ressort du rapport explicatif de la Convention européenne sur la nationalité que le premier paragraphe de l’article 5 de cet instrument doit être interprété comme portant sur les conditions d’attribution de la nationalité, tandis que le second paragraphe concerne le principe de non-discrimination. Selon ce rapport, il ne s’agit pas là d’une disposition contraignante que les états seraient tenus d’observer en toutes circonstances. Il en résulte que la protection contre la discrimination offerte par l’article 5 ne va pas au-delà de celle que l’article 14 de la Convention garantit en la matière.
En conséquence, pour déterminer si le refus du ministère s’analyse ou non en une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, il faut rechercher si la différence de traitement dont l’intéressé a fait l’objet en application de la condition des attaches et en dépit de sa nationalité peut passer pour objectivement justifiée et proportionnée.
Selon les travaux préparatoires à la loi, la condition des attaches – qui exige l’existence de liens durables et étroits avec le Danemark – vise de manière générale à réglementer le regroupement de conjoints au Danemark de manière à assurer aux immigrants la meilleure intégration possible dans ce pays. Il s’agit là d’un but objectif en lui-même. En conséquence, la Cour estime que ce but relatif au droit des conjoints au regroupement peut justifier une différence de traitement entre les Danois de naissance et les Danois d’origine étrangère dès lors que ces derniers n’ont pas d’attaches durables et étroites avec le Danemark.
L’appréciation des circonstances particulières de l’espèce au regard de cette considération générale appelle une analyse approfondie. La Cour estime que l’appréciation et la décision du ministère sont conformes à l’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers et à la manière dont l’application de cette disposition est envisagée par les travaux préparatoires. Dans ces conditions, et eu égard aux informations particulières dont elle dispose sur la situation [du requérant], la Cour n’aperçoit pas de raisons suffisantes pour conclure que la décision du ministère de rejeter la demande de permis de séjour formulée par [la requérante] au motif que cette demande ne satisfaisait pas à la condition des attaches posée par la loi sur les étrangers a entraîné une atteinte disproportionnée aux droits [du requérant] en tant que citoyen danois et à son droit de mener une vie familiale. Partant, la Cour conclut que cette décision n’est ni invalide ni contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8. »
Les requérants se pourvurent devant la Cour suprême (Højesteret) contre la décision de la cour régionale. Le 13 janvier 2010, la Cour suprême rendit un arrêt de confirmation.
Dans son arrêt, la Cour suprême conclut, à l’unanimité, que le refus d’accorder un permis de séjour au Danemark à la requérante n’était pas contraire à l’article 8 de la Convention. Les passages pertinents de cet arrêt se lisent ainsi :
« Par une décision du 27 août 2004, le ministre de l’Intégration a rejeté la demande de permis de séjour présentée par [la requérante] au motif que l’ensemble de ses attaches et de celles de son époux [le requérant] avec le Danemark n’étaient pas plus étroites que l’ensemble de leurs liens avec le Ghana (voir l’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers).
[Les requérants] avancent, en ordre principal, que cette décision est illégale en ce qu’elle contrevient à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. à titre subsidiaire, ils soutiennent qu’elle enfreint l’interdiction de la discrimination posée par l’article 14 combiné avec l’article 8, et qu’ils sont de ce fait éligibles à un regroupement familial au Danemark sans devoir satisfaire à la condition des attaches instaurée par l’article 9 § 7 de la loi.
La Cour suprême fait siens les motifs retenus par la cour [régionale] et confirme la décision du ministère de l’Intégration selon laquelle le refus d’accorder un permis de séjour à [la requérante] ne porte pas atteinte à l’article 8. »
En outre, la Cour suprême conclut, à une majorité de quatre voix contre trois, que la règle des vingt-huit ans était conforme à l’article 8 de la Convention combiné avec l’article 14. Les passages pertinents des conclusions de la majorité se lisent ainsi :
« D’après l’article 9 § 7, tel que modifié par la loi no 1204 du 27 décembre 2003, la condition selon laquelle l’ensemble des attaches des époux ou des concubins avec le Danemark doivent être plus étroites que leurs liens avec un autre état (condition des attaches) ne s’applique pas lorsque le conjoint ou le concubin qui réside au Danemark possède la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans (règle des vingt-huit ans).
Jusqu’en 2002, les Danois étaient tous dispensés de la condition des attaches. La loi no 365 du 6 juin durci les conditions d’autorisation du regroupement familial, notamment en étendant cette condition au regroupement des couples dont l’un des membres a la nationalité danoise. L’un des motifs de cette extension de la condition des attaches aux citoyens danois – exposé dans les travaux préparatoires (voir la page 3982 de l’annexe A au Journal officiel 2001-2002 (2e session)) – tient au fait que certains citoyens danois sont mal intégrés dans la société danoise et que l’intégration d’un conjoint nouvellement arrivé au Danemark pourrait entraîner de sérieuses difficultés.
Il est rapidement apparu que ce durcissement avait des effets non voulus à l’égard de certaines personnes, notamment des citoyens danois qui ont choisi de vivre à l’étranger de façon prolongée et qui y ont fondé une famille. C’est pourquoi il a été décidé d’assouplir les règles à compter du 1er janvier 2004, de façon à ce que le regroupement des couples dont un membre a la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans ne soit plus soumis à la condition des attaches.
D’après les travaux préparatoires à la disposition assouplissant la condition des attaches, le gouvernement a estimé que l’objectif principal qui avait conduit à durcir cette condition en 2002 n’était pas invalidé par la non-applicabilité de celle-ci aux personnes résidant au Danemark et possédant la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans (voir page 49 de l’annexe A au Journal officiel 2003-2004). à cet égard, il a indiqué que les Danois expatriés qui envisageaient de retourner au Danemark avec leur famille maintenaient souvent avec le Danemark des attaches étroites qu’ils partageaient avec leur conjoint ou concubin et avec leurs enfants en parlant le danois dans leur foyer, en prenant des vacances au Danemark, en lisant régulièrement des journaux danois, etc. Il a considéré que pareilles circonstances étaient en principe propices à l’intégration des proches de ces Danois expatriés dans la société danoise.
Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans mais qui sont nées et qui ont grandi au Danemark ou qui y sont arrivées en bas âge et qui y ont été élevées sont en principe dispensées de la condition des attaches pourvu qu’elles résident légalement au Danemark depuis au moins vingt-huit ans.
En l’état actuel du droit, différentes catégories de citoyens danois font l’objet de traitements différenciés quant à la possibilité d’un regroupement familial au Danemark, les personnes qui possèdent la nationalité danoise depuis au moins vingthuit ans étant avantagées par rapport à celles dont la nationalité danoise est plus récente.
Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que les ressortissants d’un pays ne disposent pas d’un droit inconditionnel au regroupement familial dans leur pays d’origine avec un étranger, des éléments de rattachement pouvant entrer en ligne de compte à leur égard. Le fait qu’un pays soumette ses différentes catégories de ressortissants à des traitements différents en ce qui concerne la possibilité d’obtenir un regroupement familial avec un étranger sur son territoire n’est pas en soi contraire à la Convention.
À cet égard, il convient de renvoyer au paragraphe 88 de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 28 mai 1985 dans l’affaire Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni. Dans cet arrêt, la Cour a jugé qu’il n’était pas contraire à la Convention de traiter une personne née en Égypte et devenue citoyenne du Royaume-Uni et des Colonies après son installation au Royaume-Uni moins favorablement sur le plan du droit au regroupement familial avec un étranger qu’un citoyen britannique né au Royaume-Uni ou dont l’un au moins des parents y était né. Sur ce point, la Cour s’est exprimée ainsi : « à la vérité, une personne vivant dans un pays depuis plusieurs années, telle Mme Balkandali, peut avoir noué avec lui des attaches étroites même sans y être née. Néanmoins, il existe en général des raisons sociales convaincantes d’accorder un traitement spécial à ceux dont les attaches avec un pays découlent de leur naissance sur son territoire. On doit donc considérer que la distinction dénoncée avait une justification objective et raisonnable ; en particulier, rien ne montre que ses conséquences aient enfreint le principe de proportionnalité ». La Cour en a conclu que Mme Balkandali n’avait pas été victime d’une discrimination fondée sur la naissance.
Dans le cas de Mme Balkandali, citoyenne du Royaume-Uni et des Colonies, la Cour a jugé que le fait de subordonner le regroupement familial à une condition supplémentaire de naissance au Royaume-Uni n’était pas contraire à droit danois impose une condition supplémentaire différente tenant à la possession de la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans. La question qui se pose est de savoir si [le requérant] a fait l’objet d’une discrimination interdite par la Convention du fait de cette condition.
Nous estimons que la condition de possession de la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans poursuit le même but que la condition de naissance au RoyaumeUni, que la Cour a jugée non contraire à la Convention dans son arrêt de 1985. Le but poursuivi consiste à différencier une catégorie de ressortissants qui entretiennent des attaches durables et étroites avec leur pays d’autres catégories de ressortissants du même pays.
En général, les personnes âgées de vingt-huit ans qui possèdent la nationalité danoise depuis leur naissance ont des attaches réelles plus étroites et une meilleure connaissance de la société danoise que les personnes du même âge qui – comme [le requérant] – n’ont tissé des liens avec la société danoise qu’à l’adolescence ou à l’âge adulte. Il en va de même des citoyens danois ayant séjourné à l’étranger pendant une période plus ou moins longue pour y suivre un enseignement ou pour des raisons professionnelles. Nous estimons que la règle des vingt-huit ans est fondée sur un critère objectif, car il est objectivement justifié de choisir une catégorie de ressortissants danois ayant d’aussi fortes attaches avec le Danemark dès lors que l’on considère, de manière générale, que leur regroupement familial au Danemark avec un conjoint ou un concubin étranger ne présentera pas de problèmes puisqu’il sera en principe possible à ce dernier de bien s’intégrer dans la société danoise.
S’il peut arriver qu’une personne possédant la nationalité danoise depuis vingt-huit ans ait en réalité des attaches plus ténues avec le Danemark qu’une personne dont la nationalité danoise est plus récente, le respect de la Convention n’implique pas pour autant qu’il faille écarter la règle des vingt-huit ans. à cet égard, il convient de renvoyer à l’affaire examinée par la Cour européenne des droits de l’homme où était en cause la condition supplémentaire du lieu de naissance alors applicable en droit anglais, laquelle avait été opposée à une ressortissante britannique qui, bien que née à l’étranger, entretenait avec le Royaume-Uni des attaches plus étroites que celles d’autres citoyens britanniques satisfaisant à la condition du lieu de naissance mais qui s’étaient établis à l’étranger avec leurs parents dans leur prime jeunesse ou qui étaient nés à l’étranger (étant entendu que, à l’époque pertinente, une personne remplissait cette condition dès lors que l’un au moins de ses parents était né au Royaume-Uni).
Nous estimons aussi que les effets de la règle des vingt-huit ans à l’égard [du requérant] ne sont pas disproportionnés. Né au Togo en 1971, [le requérant] est arrivé au Danemark en 1993. Après avoir résidé neuf ans dans ce pays, il a acquis la nationalité danoise en 2002. En 2003, il a épousé [la requérante], et le couple a formulé une demande de regroupement familial au Danemark rejetée en 2004 par une décision rendue en dernier ressort. Les faits significatifs de l’espèce sont donc pour l’essentiel identiques à la situation de Mme Balkandali examinée par la Cour [européenne] dans un arrêt de 1985 ayant conclu à la non-violation du principe de proportionnalité. Née en Égypte en 1946 ou en 1948, Mme Balkandali avait effectué un premier séjour au Royaume-Uni en 1973 et était devenue citoyenne du Royaume-Uni et des Colonies en 1979. En 1981, elle avait épousé Bekir Balkandali, un ressortissant turc. Le couple avait alors présenté une demande tendant à l’octroi d’un permis d’établissement à titre d’époux d’une femme installée au Royaume-Uni, qui fut rejetée plus tard la même année. On relèvera que ce n’est qu’à l’âge adulte que [le requérant] et Mme Balkandali sont arrivés au Danemark et au Royaume-Uni respectivement. On observera aussi que la demande du requérant fut rejetée alors que celui-ci résidait au Danemark depuis onze ans, dont deux en tant que ressortissant danois, et que Mme Balkandali fut déboutée de la sienne alors qu’elle résidait au Royaume-Uni depuis huit ans, dont deux en tant que ressortissante britannique.
Dans ces conditions, nous concluons que la thèse selon laquelle la règle des vingthuit ans opère une discrimination interdite par la Convention à l’encontre [du requérant] ne trouve aucun appui dans la jurisprudence.
Quant à la question de savoir comment il convient d’interpréter la Convention européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997, nous souscrivons aux motifs par lesquels la cour [régionale] a conclu que l’article 5 § 2 de cet instrument ne pouvait avoir pour effet d’étendre la portée de l’interdiction de la discrimination posée par l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme combiné avec l’article 8 au-delà des limites fixées par l’arrêt de 1985.
Au vu de ce qui précède, nous estimons que le refus opposé par le ministère de l’Intégration à la demande de délivrance d’un permis de séjour présentée par [la requérante] ne peut être annulé pour incompatibilité avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme combiné avec l’article 8.
En conséquence, nous confirmons l’arrêt rendu par la cour [régionale]. »
Les trois juges minoritaires estimèrent que la règle des vingt-huit ans impliquait une discrimination indirecte entre les Danois de naissance et les personnes ayant acquis la nationalité danoise ultérieurement. Relevant que les Danois de naissance étaient généralement de souche danoise alors que les personnes ayant acquis la nationalité danoise plus tard étaient généralement d’origine ethnique étrangère, ils jugèrent que cette règle établissait aussi une discrimination indirecte entre les premiers et les seconds. Plus précisément, ils s’exprimèrent ainsi :
« Comme la majorité l’a indiqué, la condition posée par l’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers selon laquelle l’ensemble des attaches des conjoints ou des « concubins » avec le Danemark doivent être plus étroites que l’ensemble de leurs attaches avec un autre pays (condition des attaches) ne s’applique pas aux personnes qui résident au Danemark et qui possèdent la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans (règle des vingt-huit ans).
Si la règle des vingt-huit ans vaut tant pour les Danois de naissance que pour ceux qui ont acquis la nationalité danoise plus tard, ses effets diffèrent grandement en pratique selon qu’elle s’applique à l’une ou à l’autre de ces deux catégories de ressortissants danois. À l’égard des Danois de naissance, cette règle implique seulement que la condition des attaches leur est applicable jusqu’à l’âge de vingt-huit ans. En revanche, à l’égard des personnes qui n’ont pas été élevées au Danemark et qui ont acquis la nationalité danoise ultérieurement, il découle de cette règle que la condition des attaches s’applique pendant vingt-huit ans après l’obtention de la nationalité danoise. [Le requérant], qui a acquis la nationalité danoise à trente et un ans, sera ainsi soumis à la condition des attaches jusqu’à son cinquante-neuvième anniversaire. La règle des vingt-huit ans implique donc que l’importante restriction au droit au regroupement familial résultant de la condition des attaches touche les personnes qui ont acquis la nationalité danoise plus tard nettement plus souvent et plus durement que les Danois de naissance. Partant, elle entraîne une différence de traitement manifeste entre ces deux catégories de ressortissants danois.
La grande majorité des Danois de naissance sont d’origine ethnique danoise alors que les personnes ayant acquis la nationalité danoise plus tard sont généralement d’une autre origine ethnique. Il s’ensuit que la règle des vingt-huit ans établit aussi une différence de traitement indirecte entre les Danois de souche et les Danois d’origine étrangère en ce qui concerne le droit au regroupement familial.
L’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers prévoit la possibilité d’une dispense de la condition des attaches lorsque des raisons exceptionnelles le justifient. D’après les travaux préparatoires à la loi de 2003, cette possibilité de dispense doit être appliquée de manière à ce que les étrangers nés et élevés au Danemark ou qui y sont arrivés en bas âge et qui y ont élevés soient traités d’une manière comparable aux citoyens danois, ce qui signifie qu’ils doivent être dispensés de la condition des attaches après vingt-huit ans de résidence légale au Danemark. En revanche, cette possibilité de dispense n’a aucune incidence sur la différence de traitement indirecte mentionnée cidessus résultant de la règle des vingt-huit ans en ce qui concerne les personnes qui n’ont pas été élevées au Danemark et qui ont acquis la nationalité danoise ultérieurement.
Lorsque la condition des attaches fut instaurée par la loi no 424 du 31 mai 2000, elle ne s’appliquait pas aux ressortissants danois. Par la suite, elle fut étendue à l’ensemble des citoyens danois par la loi no 365 du 6 juin 2002. Selon les travaux préparatoires à la loi en question, cette extension s’explique entre autres par le fait que « les résidents étrangers et les Danois d’origine étrangère épousent généralement des personnes de leur pays d’origine, en raison notamment des pressions exercées par leurs parents [...] » et que « le gouvernement estime que, dans sa forme actuelle, la condition des attaches ne tient pas suffisamment compte de l’existence de cette pratique matrimoniale répandue chez les résidents étrangers et les Danois d’origine étrangère. Les difficultés d’intégration concernent aussi certains ressortissants danois. Pour eux, l’intégration dans la société danoise d’un conjoint nouvellement arrivé au Danemark pourrait en conséquence poser de graves problèmes ». La loi no 1204 du 27 décembre instauré la règle des vingt-huit ans pour restreindre le champ d’application de la condition des attaches en vue notamment, selon les travaux préparatoires à la loi en question, de « permettre aux Danois expatriés ayant des attaches étroites et durables avec le Danemark caractérisées par la possession de la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans d’y faire venir leur conjoint ». Ces explications établissent que la différence de traitement indirecte entre les Danois de souche et les Danois d’une autre origine ethnique qui découle de la règle des vingthuit ans est un effet voulu par le législateur.
En vertu de l’article 14 de la Convention, la jouissance des droits et libertés reconnus par cet instrument, notamment le droit au respect de la vie familiale garanti par l’article 8, doit être « assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ». Comme indiqué ci-dessus, la règle des vingt-huit ans instaure une différence de traitement indirecte entre les Danois de naissance et les personnes qui ont acquis la nationalité danoise ultérieurement et, par la même occasion, une différence de traitement indirecte entre les Danois de souche et les Danois d’une autre origine ethnique. Ces deux catégories de différence de traitement indirecte relèvent de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8. Elles sont par conséquent contraires à l’article 14, sauf si elles peuvent passer pour objectivement justifiées et proportionnées.
L’article 5 § 2 de la Convention européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997, que le Danemark a ratifiée, énonce que « [c]haque État Partie doit être guidé par le principe de la non-discrimination entre ses ressortissants, qu’ils soient ressortissants à la naissance ou aient acquis sa nationalité ultérieurement ». Le mémorandum établi par ministère de l’Intégration le 14 janvier 2005 et le mémorandum du groupe de travail composé de représentants des ministères de la Justice, des Affaires étrangères et de l’Intégration indiquent que cette disposition ne concerne que les questions relatives au retrait et à la perte de , nous doutons qu’une interprétation aussi restrictive puisse se justifier, car le libellé de cette disposition englobe toute différence de traitement découlant des modalités et du moment de l’acquisition de ressort du rapport explicatif que cette disposition ne comporte pas d’interdiction absolue et qu’elle doit être interprétée comme étant susceptible de dérogation si la différence de traitement est objectivement justifiée et proportionnée. Cela étant, l’appréciation de la règle des vingt-huit ans au regard de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 impose selon nous la prise en compte du fait que le libellé de l’article 5 § 2 de la Convention européenne sur la nationalité énonce une règle générale interdisant en principe toute différence de traitement entre les diverses catégories de ressortissants d’un État partie.
Sur le terrain de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, il convient également de tenir compte de l’importance cruciale du droit de s’établir avec son conjoint dans le pays dont on est ressortissant.
Comme indiqué ci-dessus, aucun Danois n’était soumis à la condition des attaches lorsque celle-ci fut instaurée. Par un arrêt publié à la page 2086 du Recueil hebdomadaire de jurisprudence danoise de 2005, la Cour suprême a jugé que, en matière de droit au regroupement familial, une discrimination opérée entre les conjoints résidant au Danemark selon qu’ils étaient citoyens danois ou ressortissants étrangers ne contrevenait pas à l’interdiction de la discrimination posée par l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8. À cet égard, la Cour suprême a renvoyé aux paragraphes 84 à 86 de l’arrêt adopté par la Cour européenne des droits de l’homme le 28 mai 1985 dans l’affaire Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. RoyaumeUni. Il ressort de l’arrêt de la Cour suprême qu’une différence de traitement fondée sur la nationalité doit être examinée au regard notamment du droit des citoyens danois de s’établir au Danemark, et que le fait que pareille différence de traitement ne soit pas considérée comme contraire l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 est sans importance lorsqu’il s’agit d’apprécier s’il est possible d’instaurer un dispositif entraînant une différence de traitement entre diverses catégories de ressortissants danois. À notre avis, les paragraphes 87 à 89 de l’arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali ne revêtent pas non plus une importance cruciale aux fins de cette appréciation, notamment parce qu’une différence de traitement fondée sur l’ancienneté de la nationalité n’est pas comparable à une différence de traitement fondée sur le lieu de naissance.
Il a été souligné que, lorsque la condition des attaches trouvait à s’appliquer, il fallait prendre en compte, entre autres éléments, les attaches étroites que le conjoint résidant au Danemark pouvait avoir avec ce pays pour y avoir passé son enfance et y avoir été scolarisé. La plupart des personnes qui possèdent la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans ont de telles attaches avec le Danemark. Toutefois, pour apprécier si la différence de traitement découlant de la règle des vingt-huit ans est ou non objectivement justifiée, on ne peut se borner à comparer la situation des personnes qui n’ont pas été élevées au Danemark et qui ont acquis la nationalité danoise ultérieurement à celle des nombreux Danois de naissance qui, contrairement à elles, ont été élevés au Danemark. Si la dispense du critère du rattachement ne se justifiait qu’à l’égard de cette dernière catégorie de ressortissants danois, il aurait fallu la formuler d’une autre manière. Dans ces conditions, c’est à la situation des Danois de naissance qui possèdent la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans mais qui n’ont pas été élevés au Danemark et qui peuvent n’y avoir jamais séjourné qu’il importe de comparer le traitement appliqués aux intéressés. Or il ne nous semble pas établi que cette catégorie de Danois possède généralement des attaches plus étroites avec le Danemark que les personnes qui ont acquis la nationalité danoise après être arrivées et avoir résidé au Danemark pendant plusieurs années. À cet égard, il convient de relever que, pour acquérir la nationalité danoise par naturalisation, une personne doit en principe résider au Danemark depuis neuf ans, connaître la langue et la société danoises et être en mesure de subvenir à ses besoins.
Au vu de ce qui précède, nous estimons que la différence de traitement indirecte découlant de la règle des vingt-huit ans ne peut passer pour objectivement justifiée. Partant, elle contrevient à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8.
Il s’ensuit que, lorsqu’elles appliquent l’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers à des ressortissants danois, les autorités doivent considérer que la règle des vingt-huit ans ne pose qu’une condition d’âge, et écarter en conséquence la condition des attaches lorsque le conjoint qui réside au Danemark est un citoyen danois âgé d’au moins vingt-huit ans.
En conséquence, nous accueillons la thèse [des requérants] selon laquelle le ministère de l’Intégration doit annuler la décision du 27 août 2004 et ordonner un nouvel examen du dossier.
Eu égard à la conclusion à laquelle nous sommes parvenus quant à cette demande, nous estimons qu’il n’y pas lieu de statuer sur la demande en réparation. »
II. Le droit et La pratique internes pertinents
A. La loi sur les étrangers et la condition des attaches
Les principales dispositions régissant le droit d’entrée et de séjour des étrangers au Danemark, y compris les conditions du regroupement familial, figurent dans la loi sur les étrangers (Udlændingeloven).
La loi no 424 du 31 mai 2000, entrée en vigueur le 3 juin subordonné le regroupement familial des étrangers résidant au Danemark à une nouvelle condition – dite « des attaches » – énoncée à l’article 9 § 10 de la loi sur les étrangers. Cette condition prévoit que les couples qui demandent un regroupement familial ne doivent pas avoir des attaches plus étroites avec un autre pays que celles qu’ils entretiennent avec le Danemark. Elle vise à faciliter l’intégration des étrangers désireux d’obtenir un regroupement familial au Danemark, ainsi qu’il ressort des notes explicatives générales des travaux préparatoires à la loi en question :
« Les règles actuelles du regroupement familial conduisent parfois au regroupement de conjoints étrangers avec des personnes qui résident au Danemark mais qui sont mal intégrées dans la société danoise. Les conjoints concernés souffrent plus fréquemment que les autres d’isolement et d’inadaptation à la société danoise.
Cette situation est une source de préoccupations pour le gouvernement danois. En outre, aucune raison objective n’impose le regroupement au Danemark de conjoints ou de concubins dont l’ensemble des attaches avec un autre pays sont plus étroites que celles qu’ils entretiennent avec le Danemark.
Au vu de ce contexte, il est proposé en premier lieu de n’autoriser le regroupement au Danemark de couples dont l’un des membres est un étranger résidant au Danemark que si les attaches des deux membres du couple avec le Danemark sont au moins équivalentes à l’ensemble des liens qu’ils entretiennent avec un autre pays.
La disposition proposée vise à limiter l’octroi du regroupement familial aux seuls conjoints ou concubins dont l’ensemble des attaches avec le Danemark sont si étroites que les intéressés doivent être réunis dans ce pays, et à faciliter ainsi leur intégration au Danemark. »
La loi no 365 du 6 juin 2002, entrée en vigueur le 1er juillet étendu la condition des attaches aux Danois résidant au Danemark. La nouvelle disposition, applicable aux requérants, énonce que l’ensemble des attaches des conjoints avec le Danemark doivent être plus étroites que l’ensemble de leurs attaches avec un autre pays. Elle a été déplacée et insérée dans l’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers. Elle est ainsi rédigée :
Article 9 § 7
« Le permis de séjour mentionné au paragraphe 1 i) ci-dessus ne peut être délivré que si l’ensemble des attaches des conjoints ou concubins concernés avec le Danemark sont plus étroites que l’ensemble de leurs attaches avec un autre pays, sauf si des motifs exceptionnels s’opposent à l’application de cette condition. »
Les passages pertinents des notes explicatives générales des travaux préparatoires à la loi no 365 se lisent ainsi :
« (...) La condition des attaches actuelle, telle que prévue par l’article 9 § 10 de la loi sur les étrangers, a été introduite par la loi no 424 du 31 mai 2000 au motif notamment que les règles régissant le regroupement familial conduisent parfois au regroupement de conjoints étrangers avec des personnes qui résident au Danemark mais qui sont mal intégrées dans la société danoise.
En 2000, le service danois de l’immigration a rejeté 27 demandes de regroupement familial sur le fondement de l’article 9 § 10 de la loi sur les étrangers. Il ressort des statistiques provisoires établies par ce service que le regroupement familial a été refusé dans 256 cas en 2001.
Comme indiqué au paragraphe 7.1, un rapport établi par le groupe de réflexion gouvernemental sur les défis et les efforts d’intégration au Danemark montre que 47 % des immigrés et de leurs descendants de nationalité non danoise qui se sont mariés en 1999 ont épousé une personne résidant à l’étranger.
L’expérience montre que l’intégration est particulièrement difficile pour les familles dont les membres, génération après génération, font venir leur conjoint au Danemark depuis leur pays d’origine ou celui de leurs parents. Chez les résidents étrangers et les Danois d’origine étrangère, la pratique matrimoniale consistant à épouser une personne de leur pays d’origine est très répandue, en raison notamment des pressions exercées par les parents. Cette pratique contribue à maintenir ces personnes dans une situation où elles souffrent plus fréquemment que les autres d’isolement et d’inadaptation à la société danoise. Elle constitue donc un obstacle à l’intégration des étrangers nouvellement arrivés au Danemark.
Le gouvernement estime que, dans sa forme actuelle, la condition des attaches ne tient pas suffisamment compte de l’existence de cette pratique matrimoniale répandue chez les résidents étrangers et les Danois d’origine étrangère. Les difficultés d’intégration concernent aussi certains ressortissants danois. Pour eux, l’intégration dans la société danoise d’un conjoint nouvellement arrivé au Danemark pourrait en conséquence poser de graves problèmes.
Dans ces conditions, le gouvernement considère qu’il est regrettable que la condition des attaches ne soit pas applicable aux citoyens danois. En outre, aucune raison objective n’impose le regroupement au Danemark de conjoints ou de concubins dont l’ensemble des attaches avec un autre pays sont aussi étroites ou plus étroites que celles qu’ils entretiennent avec le Danemark.
Au vu de ce contexte, le gouvernement propose que le regroupement de conjoints au Danemark ne soit autorisé que si l’ensemble de leurs attaches avec ce pays sont plus étroites que l’ensemble de celles qu’ils entretiennent avec un autre pays.
La disposition proposée vise à assurer dès le départ la meilleure intégration possible des étrangers désireux de rejoindre leur conjoint au Danemark (...)
La condition des attaches ainsi étendue sera applicable à tous les ressortissants danois, qu’ils soient ou non d’origine étrangère. »
La loi no 365 du 6 juin également introduit dans la loi sur les étrangers un article 9c § 1, dont la première phrase se lit ainsi :
« Un permis de séjour peut être délivré à un étranger, à sa demande, si des motifs exceptionnels le justifient. »
Selon les notes explicatives particulières consacrées à cette disposition par les travaux préparatoires, celle-ci autorise la délivrance d’un permis de séjour à un étranger non éligible à un tel permis au titre d’une autre disposition de la loi sur les étrangers, à condition que le Danemark soit tenu de le lui accorder en vertu de ses engagements internationaux. Les notes en question se lisent ainsi :
« La proposition d’article 9c § 1 première phrase autorise la délivrance d’un permis de séjour à un étranger, à sa demande, si des motifs exceptionnels le justifient (...). Tel est notamment le cas lorsqu’un regroupement familial qui ne peut être accordé au titre de l’actuel article 9 § 1 de la loi sur les étrangers doit l’être en vertu des engagements internationaux contractés par le Danemark, notamment ceux qui découlent de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La pratique actuelle permet également, après un examen très approfondi, d’autoriser le regroupement familial dans d’autres situations exceptionnelles où pareille mesure ne peut être accordée au titre de l’actuel article 9 § 1 de la loi sur les étrangers. »
B. La loi sur les étrangers et la règle des vingt-huit ans
La loi no 1204 du 27 décembre 2003, entrée en vigueur le 1er janvier modifié l’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers de manière à écarter l’application de la condition des attaches dans les cas où la personne qui réside au Danemark et qui désire y faire venir son conjoint possède la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans. Les passages pertinents de cette disposition ainsi modifiée se lisent ainsi :
Article 9
« 1) Un permis de séjour est délivré, sur demande,
i) à tout étranger âgé de plus de vingt-quatre ans qui cohabite, sous le régime du mariage ou du concubinage durable, avec une personne âgée de plus de vingt-quatre ans résidant de manière permanente au Danemark et
a) possédant la nationalité danoise
(...)
7) Lorsque la demande de permis de séjour est formulée au titre du paragraphe 1 i) a) et que la personne résidant au Danemark ne possède pas la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans, ou qu’elle est formulée au titre du paragraphe 1 i) b) à d), le permis de séjour ne pourra être délivré que si l’ensemble des attaches des conjoints ou des concubins avec le Danemark sont plus étroites que celles qu’ils entretiennent avec un autre pays, sauf si des motifs exceptionnels s’opposent à l’application de cette condition . Les Danois résidant au Danemark qui ont été adoptés à l’étranger avant leur sixième anniversaire et qui ont acquis la nationalité danoise au plus tard au moment de leur adoption sont réputés être Danois depuis leur naissance. »
Aux fins de l’accomplissement par le Danemark de ses engagements internationaux, constituera un « motif exceptionnel » au sens de l’article 9 § 7 le fait, pour un étranger établi au Danemark depuis sa prime jeunesse, de résider légalement dans ce pays depuis au moins vingt-huit ans (voir le paragraphe 33 des travaux préparatoires). En conséquence, les personnes qui ne possèdent pas la nationalité danoise mais qui sont nées et qui ont été élevées au Danemark, ou qui y sont arrivées en bas âge et qui y ont été élevées, sont elles aussi dispensées de la condition des attaches pourvu qu’elles résident légalement au Danemark depuis au moins vingt-huit ans.
Les notes explicatives générales des travaux préparatoires exposent les raisons ayant présidé à l’introduction de la règle des vingt-huit ans de la manière suivante :
« Les Danois expatriés qui ont fondé une famille et qui ont résidé de façon prolongée avec leur conjoint ou concubin étranger – et, le cas échéant, avec leurs enfants – dans le pays d’origine de celui-ci ont souvent des difficultés à prouver que leurs attaches et celles de leur conjoint avec le Danemark sont plus étroites que celles qu’ils entretiennent avec un autre pays. Il peut donc arriver que les Danois qui ont fait le choix de quitter le Danemark de manière prolongée et de fonder une famille au cours de leur séjour à l’étranger éprouvent des difficultés à satisfaire à la condition des attaches.
C’est pourquoi le gouvernement propose que les personnes désireuses de faire venir leur conjoint ou concubin au Danemark et qui possèdent la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans soient dispensées à l’avenir de la condition des attaches.
La disposition proposée vise à permettre aux Danois expatriés ayant des attaches étroites et durables avec le Danemark caractérisées par la possession de la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans d’y faire venir leur conjoint. Il s’agit donc d’une mesure de soutien en faveur d’une catégorie de personnes auxquelles l’actuel article 9 § 7 de la loi sur les étrangers n’offre pas les mêmes possibilités qu’aux Danois résidant au Danemark et aux étrangers de faire venir leur conjoint dans ce pays. L’assouplissement qu’il est proposé d’apporter à la condition des attaches donnerait aux Danois expatriés une réelle possibilité de revenir au Danemark avec leur conjoint ou concubin étranger et offrirait aux jeunes Danois désireux de voyager à l’étranger et d’y séjourner pendant un certain temps la certitude de pouvoir retourner au Danemark avec leur conjoint ou concubin étranger sans en être empêchés par la condition des attaches.
Le gouvernement estime que l’objectif principal de l’amendement apporté à la condition des attaches par la loi no 365 du 6 juin 2002 n’est pas invalidé par la nonapplicabilité de cette condition aux personnes qui résident au Danemark et qui possèdent la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans. À cet égard, il indique que les Danois expatriés qui envisagent de retourner au Danemark avec leur famille maintiennent souvent avec le Danemark des attaches étroites qu’ils partagent avec leur époux ou concubin et avec leurs enfants en parlant danois dans leur foyer, en prenant des vacances au Danemark, en lisant régulièrement des journaux danois, etc. Il considère que pareilles circonstances sont en principe propices à l’intégration dans la société danoise des proches de ces Danois expatriés. »
Les notes explicatives particulières que les travaux préparatoires à la loi sur les étrangers consacrent à l’article 9 § 7 de ce texte précisent ce qui suit à propos de l’introduction de la règle des vingt-huit ans :
« D’après le libellé actuel de l’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers, un permis de séjour relevant de l’article 9 § 1 i) de la loi sur les étrangers (regroupement de conjoints) ne peut être délivré que si l’ensemble des attaches des conjoints ou des concubins avec le Danemark sont plus étroites que l’ensemble de celles qu’ils entretiennent avec un autre pays, sauf si des motifs exceptionnels s’opposent à l’application de cette condition.
Selon le nouveau libellé proposé pour l’article 9 § 7, un permis de séjour ne peut être délivré que si l’ensemble des attaches des conjoints ou des concubins avec le Danemark sont plus étroites que celles qu’ils entretiennent avec un autre pays lorsque le permis en question relève de l’article 9 § 1 i) a) et que la personne résidant au Danemark ne possède pas la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans ou lorsqu’il relève de l’article 9 § 1 i) b) à d), sauf si des motifs exceptionnels s’opposent à l’application de cette condition.
Il résulte de la disposition proposée que la condition des attaches prévue à l’article 9 § 7 ne s’appliquera pas au regroupement des conjoints des personnes résidant au Danemark et possédant la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans, que ces dernières soient Danoises de naissance ou qu’elles aient acquis la nationalité danoise par naturalisation, et même si elles possèdent, outre la nationalité danoise, une autre nationalité. Si la possession de la nationalité danoise par une personne a été interrompue à plusieurs reprises en raison de la possession d’une autre nationalité, les périodes pendant lesquelles la personne concernée a été titulaire de la nationalité danoise seront cumulées aux fins d’apprécier si elle possède la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans.
La condition des attaches demeurera applicable à toutes les situations autres que celles des personnes qui résident au Danemark et qui possèdent la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans, sauf si des motifs exceptionnels s’opposent à son application. Dans ces autres situations, il est entendu que la condition des attaches s’appliquera conformément à la pratique administrative actuelle (voir toutefois cidessous).
En vertu des engagements internationaux contractés par le Danemark, les étrangers résidents nés et élevés au Danemark ou arrivés dans ce pays en bas âge doivent être placés dans la même situation que les ressortissants danois à certains égards, notamment en ce qui concerne le droit au regroupement familial.
Il s’ensuit que, aux fins de l’application de l’article 9 § 7 de la loi sur les étrangers, les personnes qui ne possèdent pas la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans mais qui sont nées et qui ont été élevées au Danemark ou qui y sont arrivées en bas âge et qui y résident légalement depuis au moins vingt-huit ans doivent être placées dans la même situation que les personnes titulaires de la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans.
En pratique, cela signifie que le fait, pour une personne qui ne possède pas la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans, d’être née ou d’être arrivée au Danemark en bas âge, d’y avoir été élevée et d’y résider à titre principal et légalement depuis au moins vingt-huit ans de façon ininterrompue, constituera une situation exceptionnelle pour laquelle il ne serait pas approprié de subordonner l’autorisation de regroupement familial au respect de la condition des attaches. En conséquence, les personnes qui sont nées ou qui sont arrivées en bas âge au Danemark, qui y ont été élevées et qui y résident depuis au moins vingt-huit ans sont dispensées de la condition des attaches. »
Une modification à la loi sur les étrangers entrée en vigueur le 15 mai ramené à vingt-six ans la durée de possession de la nationalité danoise auparavant fixée à vingt-huit ans par l’article 9 § 7.
III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. La Convention européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997
Adoptée le 6 novembre 1997 par le Conseil de l’Europe, la Convention européenne sur la nationalité est entrée en vigueur le 1er mars 2000. Elle a été ratifiée par 20 États membres du Conseil de l’Europe, dont le Danemark (ratification le 24 juillet 2002, entrée en vigueur le 1er novembre 2002). Ses dispositions pertinentes se lisent ainsi :
Article 1 – Objet de la Convention
« Cette Convention établit des principes et des règles en matière de nationalité des personnes physiques et des règles déterminant les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités, auxquels le droit interne des États Parties doit se conformer. »
Article 4 – Principes
« Les règles sur la nationalité de chaque État Partie doivent être fondées sur les principes suivants :
a. chaque individu a droit à une nationalité ;
b. l’apatridie doit être évitée ;
c. nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ;
d. ni le mariage, ni la dissolution du mariage entre un ressortissant d’un État Partie et un étranger, ni le changement de nationalité de l’un des conjoints pendant le mariage ne peuvent avoir d’effet de plein droit sur la nationalité de l’autre conjoint. »
Article 5 – Non-discrimination
« 1. Les règles d’un État Partie relatives à la nationalité ne doivent pas contenir de distinction ou inclure des pratiques constituant une discrimination fondée sur le sexe, la religion, la race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique.
Chaque État Partie doit être guidé par le principe de la non-discrimination entre ses ressortissants, qu’ils soient ressortissants à la naissance ou aient acquis sa nationalité ultérieurement. »
(...)
Les passages pertinents du rapport explicatif à la Convention européenne sur la nationalité qui portent sur les articles en question se lisent ainsi :
« Chapitre I – Questions générales
Article 1 – Objet de la Convention
(...)
Article 4 – Principes
Le titre et la phrase introductive de l’article 4 reconnaissent qu’il existe en matière de nationalité certains principes généraux sur lesquels doivent être fondées les règles plus détaillées concernant l’acquisition, la conservation, la perte et l’attestation de nationalité ainsi que la réintégration dans la nationalité. Les mots « doivent être fondées » ont été choisis pour indiquer l’obligation de considérer les principes internationaux suivants comme le fondement des dispositions nationales en matière de nationalité.
(...)
Article 5 – Non-discrimination
Paragraphe 1
Cette disposition tient compte de l’article 14 de la CEDH, qui emploie en anglais le terme « discrimination », et de l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui emploie en français comme en anglais le terme « distinction ».
En tout état de cause, la nature même de l’attribution de la nationalité oblige les États à fixer certains critères pour déterminer quels sont leurs ressortissants. Ces critères pourraient aboutir, dans certains cas, à un traitement plus favorable dans le domaine de les exemples courants de motifs justifiés de traitement différentiel ou préférentiel, on peut citer l’obligation de connaître la langue nationale pour être naturalisé et l’acquisition facilitée de la nationalité en raison de la filiation ou du lieu de naissance. La Convention elle-même prévoit, à son article 6, paragraphe 4, une acquisition facilitée de la nationalité dans certains cas.
Les États Parties peuvent accorder un traitement plus favorable aux ressortissants de certains autres États. Par exemple, un État membre de l’Union européenne peut demander une durée de résidence habituelle plus courte pour la naturalisation des ressortissants d’autres États de l’Union européenne que celle qu’il exige en règle générale. Cela constituerait un traitement préférentiel fondé sur la nationalité et non pas une discrimination fondée sur l’origine nationale.
Il a donc été nécessaire d’envisager différemment, en ce qui concerne le traitement, les distinctions qui ne sont pas équivalentes à une discrimination et les distinctions qui constitueraient une discrimination interdite dans le domaine de la nationalité.
Les termes « origine nationale ou ethnique » sont repris de l’article premier de la Convention de 1966 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et d’une partie de l’article 14 de la CEDH. Ils visent aussi l’origine religieuse. L’« origine sociale » n’a pas été incluse parmi les motifs car sa signification a été jugée trop vague. Étant donné que certains des différents motifs de distinction/discrimination énumérés à l’article 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme ont été considérés comme ne constituant pas une discrimination dans le domaine de la nationalité, ils ont été exclus des motifs de discrimination énoncés au paragraphe 1 de l’article 5. En outre, on a fait remarquer que, dans la mesure où la Convention européenne des Droits de l’Homme n’était pas destinée à s’appliquer aux questions de nationalité, tous les motifs de distinction/discrimination énoncés à l’article 14 étaient pertinents uniquement pour les droits et libertés reconnus par cette convention.
La liste du paragraphe 1 contient donc les éléments clés des discriminations interdites en matière de nationalité et elle vise à assurer l’égalité devant la loi. En outre, la Convention contient de nombreuses dispositions destinées à empêcher l’exercice arbitraire de pouvoirs (par exemple, les articles 4.c, 11 et 12) pouvant aussi donner lieu à des discriminations.
Paragraphe 2
Les termes « doit être guidé par (...) » indiquent une déclaration d’intention et non pas une règle impérative à suivre dans tous les cas.
Ce paragraphe vise à éliminer l’application discriminatoire des règles relatives à la nationalité entre les ressortissants dès la naissance et les autres ressortissants, y compris les personnes naturalisées. L’article 7, paragraphe 1.b, de la Convention prévoit une exception à ce principe directeur dans le cas des personnes naturalisées qui ont acquis leur nationalité par un comportement répréhensible. »
B. Le Commissaire aux droits de l’homme
Dans son rapport du 8 juillet 2004, M. Alvaro Gil-Robles, Commissaire aux droits de l’homme, a notamment recommandé au Danemark de :
« 1. Reconsidérer certaines dispositions de la Loi sur les étrangers de 2002 relatives au regroupement familial, en particulier
L’âge minimum de 24 ans requis pour les deux conjoints dans le cas d’un ressortissant danois demandant le regroupement familial, et les 28 ans de citoyenneté nécessaires pour que soit levée la condition relative aux attaches cumulées des deux conjoints avec le Danemark ;
(...) »
Au paragraphe 10 de ce rapport, il s’est exprimé ainsi :
« L’exigence selon laquelle les attaches du conjoint au Danemark doivent être plus fortes que celles qui le lient à un autre pays touche très durement les immigrants et les immigrants de seconde génération, y compris ceux qui ont passé le plus clair de leur vie au Danemark et sont bien intégrés dans la société. (...) À cet égard, je suis également préoccupé de ce que la législation traite différemment les citoyens danois en fonction de l’ancienneté de leur citoyenneté. Si une personne a obtenu la citoyenneté à la naissance, l’exigence concernant les attaches n’est pas prise en compte si la personne est âgée d’au moins 28 ans. Toutefois, elle continue de s’appliquer pour une personne naturalisée plus tard, jusqu’à ce qu’elle compte 28 ans de citoyenneté, sauf si la personne est née au Danemark ou y est arrivée dans son enfance, auquel cas la durée exigée pour la citoyenneté est remplacée par une durée identique de séjour. À mon sens, ces dispositions ne garantissent pas le principe d’égalité devant la loi. »
Dans la section 5.2 de son mémorandum du 22 septembre 2004 établi en réponse au rapport susmentionné, le gouvernement danois a indiqué que le Commissaire semblait ignorer que la règle des vingt-huit ans n’était pas un critère d’éligibilité au regroupement familial mais une exception à la condition des attaches. Il a ajouté que cette règle ne disposait pas que le conjoint résident devait avoir la nationalité danoise depuis au moins vingt-huit ans pour obtenir un regroupement familial mais qu’elle se bornait à énoncer que la condition des attaches pouvait être levée dans cette situation. Le 15 octobre 2004, le Commissaire adressa au gouvernement danois une lettre où il précisa ce qui suit :
[Traduction du greffe]
« Je crains que ce critère n’impose des restrictions indues à des citoyens danois naturalisés et qu’il ne les place dans une situation très défavorable par rapport à celle des Danois nés au Danemark. Il est bien sûr exact que la règle des vingt-huit ans s’applique de la même manière à tous les ressortissants danois. Toutefois, il découle de cette règle qu’un Danois né au Danemark pourra être dispensé de la condition des attaches à vingt-huit ans, tandis qu’un Danois qui s’est établi pour la première fois dans ce pays à l’âge de vingt ans ne pourra se prévaloir de cette dispense qu’à cinquante-sept ans, étant entendu qu’il faut actuellement justifier de neuf ans de séjour au minimum pour obtenir une naturalisation. Le fait que la condition des attaches ne puisse être levée qu’à un âge aussi avancé à l’égard des citoyens naturalisés, pour lesquels elle sera inévitablement plus difficile à remplir en raison de leur origine étrangère, constitue selon moi une restriction excessive au droit à la vie familiale et opère, entre les citoyens danois, une discrimination manifeste dans l’exercice de ce droit fondamental fondée sur leur origine. »
L’évaluation de suivi menée du 5 au 7 décembre 2006 a conduit M. Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme, à formuler les observations suivantes :
« Il est incontestable, de l’avis du Commissaire, que cette exigence implique une différence de traitement entre les Danois qui ont obtenu leur citoyenneté à la naissance et ceux qui l’ont acquise ultérieurement et doivent encore attendre 28 ans avant de pouvoir vivre au Danemark avec leur partenaire étranger. Il note que, lors d’une rencontre entre sa délégation et la Commission des affaires juridiques du Parlement danois, il a été reconnu que cette législation était effectivement discriminatoire et que cette situation correspondait à une décision politique. Le Commissaire recommande au Gouvernement de réduire la période de 28 ans, qui est très longue. »
En conséquence, le Commissaire a recommandé aux autorités danoises
« 2. de réduire les 28 ans de citoyenneté requis pour la personne résidant au Danemark pour que soit levée la condition que les deux conjoints aient avec le Danemark des attaches plus fortes qu’avec tout autre pays, pour la délivrance d’un permis de séjour à son partenaire étranger. »
IV. DROIT COMPARé
Il apparaît que bon nombre de pays exigent en règle générale que les demandeurs à un regroupement familial relèvent de l’une des catégories de bénéficiaires prévues par leur droit interne et qu’ils soient en possession de documents d’identité ainsi que de certificats prouvant l’existence de liens familiaux avec certains de leurs ressortissants. Par ailleurs, les intéressés doivent en principe disposer de moyens de subsistance suffisants, d’un logement adéquat, d’une assurance maladie, et la domiciliation du conjoint ressortissant de l’État hôte dans celui-ci est souvent requise. Certains États exigent que les conjoints soient âgés de dix-huit ans ou de vingt et un ans, et ceux-ci se voient fréquemment demander une connaissance minimale de la langue de l’État hôte. En outre, la demande de regroupement ne doit pas se heurter à un motif de refus de délivrance d’un permis de séjour tel que le mariage de complaisance, le fait de décliner une fausse identité, la présentation de faux papiers, la présence de difficultés liées à l’ordre, à la sûreté ou à la santé publics ou d’antécédents judiciaires, la dépendance à l’égard du système de protection sociale et, parfois, l’existence de liens avec une structure extrémiste ou terroriste ou avec le crime organisé. Un certain nombre de pays sanctionnent tout particulièrement le recours à une fausse identité et les fausses déclarations en justice, d’autres refusent l’octroi d’un permis de séjour aux étrangers en situation d’entrée ou de séjour irréguliers, d’autres encore considèrent au contraire que pareille situation est sans incidence sur la demande de regroupement. Il arrive que des conditions particulières visant par exemple à prévenir la polygamie et le trafic d’êtres humains soient prévues. En général, les conditions mises au regroupement familial diffèrent selon le type de permis de séjour demandé. La durée du mariage ainsi que l’existence d’une véritable communauté de vie et d’un domicile dans l’état hôte figurent parmi les éléments entrant en ligne de compte pour les demandes de permis de longue durée et d’attribution de la nationalité de l’état en question. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
A. Les circonstances de l’espèce
La requérante est née en 1944 et réside à Thessalonique. Elle est propriétaire d’un terrain situé dans la région d’Évros.
Le 12 mars 2001, la requérante saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation d’une décision administrative déclarant une partie de sa propriété comme partie du littoral. Le 13 octobre 2006, elle compléta son recours en déposant un mémoire de « raisons additionnelles » (δικόγραφο πρόσθετων λόγων).
Après plusieurs ajournements de l’affaire entre 2002 et 2007, notamment les 13 septembre 2006 et 6 juin 2007, l’audience eut lieu le 26 septembre 2007.
Le 1er avril 2009, le Conseil d’État accepta le recours et annula la décision attaquée (arrêt no 1159/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 11 novembre 2009.
B. Le droit interne pertinent
La loi no 4055/2012
La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose:
« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...). » | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
Les circonstances de l’espèce
Le requérant est né en 1949 et réside à Kos.
Le 19 mars 1999, le fils du requérant, âgé de 23 ans, périt dans un accident de travail, ayant eu lieu dans un chantier auprès d’un hôtel.
La procédure pénale à l’encontre des responsables présumés du décès du fils du requérant
À une date non précisée en 1999, des poursuites pénales furent engagées à l’encontre du propriétaire de l’hôtel (ci-après « G.K. ») et de l’entrepreneur des travaux (ci-après « M.G.») pour homicide involontaire du fils du requérant et blessures corporelles de deux autres ouvriers. Le requérant se constitua partie civile dans la procédure.
Le 10 mai 2000, la Chambre du conseil (δικαστικό συμβούλιο) du tribunal correctionnel de Kos renvoya les accusés en jugement. Une audience fut fixée pour le 16 novembre 2001.
Après quatre ajournements de l’affaire, l’audience eut lieu le 6 septembre 2003, date à laquelle le tribunal correctionnel de trois membres de Kos condamna les accusés (arrêt no 1299/2003). Les accusés interjetèrent appel contre ledit arrêt.
Le 14 mai 2004, la cour d’appel de Kos réduisit les peines imposées à G.K. et M.G. (arrêt no 77/2004).
À une date non précisée, M.G. se pourvut en cassation.
Le 12 décembre 2006, la Cour de cassation cassa partiellement l’arrêt de la cour d’appel (arrêt no 2087/2006).
Le 14 novembre 2007, la cour d’appel de Kos, statuant sur renvoi, acquitta M.G. (arrêt no 1/2007).
La procédure civile en indemnisation
Le 14 septembre 2000, le requérant, son épouse et leurs deux autres fils saisirent les juridictions civiles d’une action en dommages-intérêts contre G.K. et M.G.
Le 1er mars 2002, le tribunal de grande instance d’Athènes déclara l’instance annulée à l’égard de G.K., compte tenu que les plaignants avaient entre-temps renoncé à leurs prétentions envers lui. Ensuite, ledit tribunal se déclara incompétent pour le reste de l’action et renvoya l’affaire devant le tribunal de première instance d’Athènes (décision no 1664/2002).
Le 23 mars 2005, le tribunal de première instance ajourna l’examen de l’affaire, afin que les parties soumettent les dispositions relatives du droit albanais par l’intermédiaire de l’Institut hellénique de droit international et étranger (décision no 567/2005).
Le 9 mai 2007, ledit tribunal précisa que le droit grec trouvait à s’appliquer en l’espèce. Dès lors, selon le tribunal, l’ajournement de l’examen de l’affaire précitée avait été erronément ordonné. Le tribunal ordonna également la reprise de l’audience, au motif que M.G. devrait comparaître devant lui, afin de déposer sous serment (décision no 1059/2007).
Le 30 avril 2008, le tribunal accepta partiellement l’action et accorda au requérant et à son épouse une indemnité de 50 000 euros et à chacun de leurs fils la somme de 30 000 euros au titre du dommage moral subi (arrêt no 1044/2008).
Les 4 et 17 février 2009, le requérant et la partie adverse respectivement interjetèrent appel du jugement précité.
Le 30 juin 2010, la cour d’appel d’Athènes confirma le jugement quant à la somme accordée au requérant et à son épouse et réduisit la somme accordée à leurs fils (arrêt no 3651/2010).
Le 10 novembre 2010, la partie adverse se pourvut en cassation.
Le 24 mai 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi (arrêt no 838/2012). La date de la mise au net de cet arrêt ne ressort pas du dossier. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est une société anonyme dont le siège est à Hambourg. Elle édite entre autres le quotidien à grand tirage BILD.
A. La genèse de l’affaire
Le soir du 22 mai 2005, à la suite d’une défaite sévère de son parti social-démocrate SPD aux élections dans le Land de RhénanieduNordWestphalie, le chancelier fédéral Gerhard Schröder, chef du gouvernement fédéral au pouvoir depuis 1998, annonça la tenue d’élections législatives anticipées à l’automne dont l’échéance normale aurait été en septembre 2006. Parce que les élections anticipées ne pouvaient avoir lieu qu’après la dissolution du parlement allemand (Bundestag), et que celle-ci ne pouvait être prononcée que par le président fédéral d’Allemagne et uniquement après l’échec d’une motion de confiance du chancelier fédéral, le chancelier Schröder posa la question de confiance le 1er juillet 2005 et la perdit, 148 des 304 députés des parties composant son gouvernement s’étant abstenus, comme les y avait invités le chancelier. Le 21 juillet 2005, le président fédéral Horst Köhler prononça la dissolution du Bundestag. Cette manière d’obtenir la dissolution du parlement donna lieu à des discussions en public et parmi les députés et fit également l’objet de recours à la Cour constitutionnelle fédérale qui, à la majorité, les rejeta en déclarant le procédé critiqué conforme à la Loi fondamentale (voir notamment la décision du 25 août 2005, nos 2 BvE 4/05 et 7/05).
Les élections eurent lieu le 18 septembre 2005. Elles ne furent remportées par aucune des grandes parties politiques avec une majorité suffisante, mais eurent pour conséquence que les partis politiques composant le gouvernement Schröder jusque-là (SPD et Les Verts) n’avaient plus la majorité. Par la suite, les partis conservateurs (CDU et CSU) et le parti social-démocrate convinrent de former une coalition sous la présidence de Mme Angela Merkel, candidate des partis conservateurs. Le 22 novembre 2005, M. Schröder cessa ses fonctions et Mme Merkel fut élue nouvelle chancelière fédérale.
Le 9 décembre 2005, à l’occasion d’une cérémonie pour le début des travaux du gazoduc à travers de la mer baltique (« Ostseepipeline »), fut publiée l’annonce que M. Schröder avait été nommé président du conseil de surveillance du consortium germano-russe « NEGP » (Konsortium Nordeuropäische Gaspipeline). L’objectif du consortium dont le siège était en Suisse et qui était contrôlé par la société russe « Gazprom », était de construire le gazoduc pour acheminer du gaz russe vers l’Europe de l’Ouest. L’accord de principe sur la construction du gazoduc avait été signé le 11 avril 2005 par la société allemande BASF et Gazprom en présence de M. Schröder et du président russe Vladimir Poutine. La signature du contrat même, initialement prévue pour la mi-octobre lors d’un sommet de l’énergie à Moscou, eut lieu le 8 septembre 2005 également en présence de MM. Schröder et Poutine, dix jours avant les élections anticipées.
Le jour de l’annonce, un rédacteur de BILD contacta en vain le porte-parole adjoint du gouvernement S. (qui continuait d’occuper cette fonction sous le nouveau gouvernement) afin d’avoir des informations à ce sujet. Le lendemain, il fit un nouvel essai qui resta également sans réponse. À la suite d’une troisième demande du même jour, le porte-parole adjoint informa le journaliste que M. Schröder n’avait rien à ajouter à la déclaration du 9 décembre 2005 d’après laquelle il était volontiers prêt à donner suite à la demande des partenaires d’assumer la responsabilité au conseil de surveillance du consortium.
Le dimanche 11 décembre 2005, un journaliste de BILD appela le vice-président du groupe parlementaire du parti libéral-démocrate F.D.P., Carl-Ludwig Thiele.
Dans une déclaration tenant lieu de serment du 14 décembre 2005, le journaliste affirme que M. Thiele se demandait si le chancelier Schröder avait déjà parlé avec les Russes concernant un poste lucratif avant l’annonce des élections en mai 2005. En réponse à la demande du journaliste ce qu’il voulait dire par là, M. Thiele avait répondu : « Le coup des nouvelles élections doit être vu aujourd’hui dans une lumière nouvelle ». Le journaliste demanda alors à M. Thiele s’il voulait dire par là que Schröder aurait éventuellement provoqué les nouvelles élections sur le fond des promesses russes. M. Thiele répondit : « Il faut poser cette question ». M. Tiele indiqua que, d’après son expérience en politique, une question de changement d’activité personnelle d’une telle importance avait dû être réglée bien avant le mois de mai. Puis, il posa deux autres questions : « Schröder voulait-il se défaire de sa fonction parce qu’on lui avait proposé des postes lucratifs ? Avait-il des motifs personnels lorsqu’il avait décidé de tenir des élections anticipées dans une situation politiquement désespérée ? »
Toujours d’après la déclaration, M. Thiele était d’accord pour que ses propos soient cités. Le 14 décembre 2005, le journaliste appela M. Thiele de nouveau et lui demanda si, sur le fond de l’avertissement (Abmahnung) que M. Schröder avait adressé à BILD, il assumait toujours ses propos, ce que M. Thiele confirma.
B. L’article litigieux
Dans son édition du 12 décembre 2005, le quotidien BILD publia sur la première page un article intitulé : « Que gagne-t-il vraiment au projet du gazoduc ? – Schröder doit révéler son salaire russe ». Sur la page deux du quotidien, sous le titre « Salaire russe – Schröder gagnera-t-il plus d’un million par an ? », l’article se lisait ainsi :
« L’ex-chancelier et le gaz russe : l’indignation suscite des remous dans tous les partis politiques. Car Schröder devient le chef du conseil de surveillance d’une entreprise qui veut construire pour quatre milliards d’euros un gazoduc à travers de la mer baltique depuis la Russie vers l’Allemagne. Lorsqu’il était chancelier, il avait poussé ce projet malgré maintes résistances.
Le ministre-président de la Basse-Saxe, Christian Wulff (CDU) a invité Schröder à agir: soit il renonce à la présidence du Conseil d’administration du consortium NEGP, soit il doit révéler toutes ses revenus provenant du poste russe !
Wulff dit à BILD : ‘Par son comportement Gerhard Schröder a infligé un préjudice grave à la réputation de la politique en Allemagne. Schröder doit renoncer à la présidence du conseil de surveillance parce que sinon on peut avoir l’impression qu’il s’agit ici d’une récompense pour son engagement pour le gazoduc.’
Et le politicien d’ajouter : Si Schröder accepte néanmoins la nomination au conseil de surveillance, il doit divulguer ses tantièmes. Cela est prévu par la réglementation concernant la divulgation [des revenus] qui a été renforcée par le gouvernement Schröder cette année. Le fait que la société de gazoduc a son siège en Suisse ne saurait constituer une raison pour que l’ancien chancelier fédéral ne respecte pas ces règles.
Des initiés estiment que Schröder encaisse plus d’un million de dollars par an pour son job de gaz. En effet : les russes ne sont pas avares. Par exemple, cinq membres du conseil de surveillance de la société russe Northgas, une filiale de Gazprom, ont touché au total sept millions de dollars d’indemnités.
Le fait que Schröder pantoufle dans l’entreprise commune germano-russe si peu de temps après avoir quitté le Gouvernement se heurte à l’incompréhension dans tous les partis. Ce qui est particulièrement délicat : Le 11 avril, le géant de l’énergie russe Gazprom et la [société] allemande BASF avaient signé un mémorandum à Hanovre portant sur l’exploitation commune d’un champ de gaz russe en présence de Schröder et du chef d’Etat russe Vladimir Poutine. Après la signature, les deux chefs de gouvernement sont restés ensemble jusque tard dans la nuit autour d’un verre de vin rouge.
À cette époque, six semaines avant l’annonce de Schröder de tenir des élections anticipées, l’engagement pour la multinationale de gaz avait-il déjà fait l’objet d’entretiens ?
Le vice-président du groupe parlementaire du FDP, Carl-Ludwig Thiele : ‘Il faut poser cette question !’ Thiele a un soupçon monstrueux : ‘Schröder voulait-il se défaire de sa fonction parce qu’on lui avait proposé des postes lucratifs ? Avait-il des motifs personnels lorsqu’il avait décidé de tenir des élections anticipées dans une situation politiquement désespérée ?’ Le coup de nouvelles élections devrait ‘être vu aujourd’hui dans une lumière nouvelle’.
Peter Ramsauer, chef du groupe parlementaire (Landesgruppe) de la CSU [parti conservateur] au Bundestag : ‘On ne règle pas un tel deal d’un jour à l’autre ; et Gerhard Schröder était encore chancelier il y a trois semaines. Il devrait désormais abattre ses cartes et dire si ces accords avaient été déjà été conclus pendant la durée de son mandat.’
Le vice-président du groupe parlementaire de la CDU [parti conservateur], Wolfgang Bosbach : « Schröder devrait enfin dire ce qu’il en est (was Sache ist) ! ».
Le porte-parole pour des affaires économiques du groupe parlementaire « Les Verts », Matthias Berninger : ‘Schröder doit maintenant garantir une transparence maximale et révéler le contrat et les rémunérations.’ »
L’article sur la page deux était accompagné d’une photo montrant M. Schröder avec une chapka sur sa tête. En contrebas se trouvait un petit article qui informait que le consortium NEGP était dirigé par un ancien major du ministère de la Sécurité d’Etat de l’ancienne République démocratique d’Allemagne et ami de M. Poutine.
La nomination de M. Schröder au poste de président du conseil de surveillance provoqua des discussions en public et fit l’objet de reportages dans les médias et de débats au sein du parlement allemand, notamment le 15 décembre 2005.
Il ressort d’un article du magazine FOCUS (no 50/2005), paru le 12 décembre 2005, qu’un journaliste de ce magazine s’était adressé au gouvernement Schröder en août 2005 afin de savoir si des informations en provenance de Moscou étaient justes d’après lesquelles Gazprom préparait un poste pour M. Schröder, et que le porte-parole du gouvernement avait dit que cela était absurde et qu’une telle offre n’existait pas.
En avril 2006, le public apprit que, fin octobre 2005, alors que les affaires gouvernementales étaient gérées de manière intérimaire par l’ancien gouvernement en attendant l’élection de Mme Merkel à la chancellerie, des cautionnements avaient été signés en vertu desquels le gouvernement allemand se portait garant à hauteur d’un milliard d’euros à l’égard de deux banques allemandes au bénéfice de Gazprom et d’une partie du gazoduc. M. Schröder fit savoir qu’il n’avait pas eu connaissance de ces signatures et Gazprom déclara de ne pas avoir recours aux cautionnements.
C. La procédure litigieuse
A une date non précisée en 2006, Gerhard Schröder saisit le tribunal régional de Hambourg d’une demande tendant à interdire à la requérante toute nouvelle publication du passage suivant de l’article :
« Thiele a un soupçon monstrueux : ‘Schröder voulait-il se défaire de sa fonction parce qu’on lui avait proposé des postes lucratifs ? Avait-il des motifs personnels lorsqu’il avait décidé de tenir des élections anticipées dans une situation politiquement désespérée ?’ »
1) Le jugement du tribunal régional
Par un jugement du 19 janvier 2007, le tribunal régional accueillit la demande. Il estima notamment que la citation litigieuse n’était ni une allégation de fait, ni un jugement de valeur, mais une conjecture sous forme de questions dont la légalité devait être appréciée à la lumière des principes établis pour des reportages portant sur des soupçons (Verdachtsberichterstattung). D’après ces critères, le juge devait apprécier si le reportage portait sur un sujet d’intérêt public, s’il y avait une base factuelle suffisante pour la conjecture, si le journal avait appliqué suffisamment de diligence lors de ses recherches et lors de la décision de publier le reportage et si la nature du reportage indiquait d’une manière suffisante qu’il s’agissait d’une conjecture et que la réalité des faits pouvait être différente. Le tribunal régional considéra que la publication du passage litigieux ne répondait pas à ces critères dans la mesure où la requérante n’avait pas cherché à obtenir l’avis de M. Schröder à ce sujet auparavant ni n’avait établi une base suffisante de faits de nature à justifier la diffusion du passage litigieux.
2) L’arrêt de la cour d’appel
Par un arrêt du 8 avril 2008, la cour d’appel de Hambourg confirma le jugement du tribunal régional. Elle considéra que la publication de la citation litigieuse était contraire à l’article 823 § 1 du code civil combiné avec l’article 1004 § 1 (par analogie) du code civil et le droit à la protection de la personnalité (Allgemeines Persönlichkeitsrecht - voir « Le Droit et la pratique internes pertinents ») parce qu’elle suggérait au lecteur du quotidien que le chancelier Schröder avait pris la décision de tenir des élections législatives anticipées sur la base de motifs privés et intéressés. La cour d’appel releva qu’il n’y avait pas lieu de trancher si la citation litigieuse constituait une vraie question (ouverte) ou une allégation de fait sous forme d’une question car la requérante avait articulé un soupçon qui pouvait aussi être formulé sous forme d’une question. Le tribunal régional avait dès lors à raison appliqué les critères concernant les reportages portant sur des soupçons.
La cour d’appel observa que le reportage de la requérante ne se limitait pas à reproduire ce que M. Thiele avait dit, mais la citation s’inscrivait dans un article d’une certaine longueur dont l’intention était de conduire le lecteur vers une certaine direction. Elle rappela que l’article commençait par dire que M. Schröder et le président russe Poutine s’étaient rencontrés en avril 2005 et posait la question de savoir si, à cette occasion, l’activité du chancelier Schröder pour « Gazprom » avait été évoquée. D’après elle, le lecteur était dès lors invité à penser qu’il était possible qu’il y avait eu une entente sur le fait que M. Schröder intégrerait un poste dans le secteur privé et qu’il avait pris la défaite aux élections en RhénanieduNordWestphalie comme prétexte pour déclencher une série d’événements à l’issue de laquelle il perdrait ses fonctions de chancelier. Elle ajouta que cette ligne de pensée se trouvait confirmée par les deux questions de la citation litigieuse et par l’emploi des expressions « coup d’élections anticipées » et « ce coup apparaît dans une toute nouvelle lumière ».
La cour d’appel releva que les principes concernant les reportages portant sur des soupçons s’appliquaient à l’affaire devant elle, même si le reportage en question ne soupçonnait pas M. Schröder d’avoir commis une infraction pénale. Ce qui était déterminant à cet égard, c’était que la requérante avait exprimé un soupçon qui comportait un reproche considérable et injurieux à l’égard de l’ancien chancelier. L’article suggérait en effet que celui-ci avait trompé le public et les électeurs sur les vraies raisons de la décision de tenir des élections anticipées et qu’il donnait la priorité à ses propres intérêts financiers par rapport au bien commun qu’il était tenu de servir en tant que chancelier fédéral. La cour d’appel considéra qu’un tel reproche figurait parmi les plus graves que l’on pouvait faire à un ancien détenteur d’une des plus hautes fonctions d’Etat. La citation litigieuse confirmait à ses yeux la gravité du reproche puisqu’elle employait l’expression « soupçon monstrueux ».
La cour d’appel poursuivit que la requérante n’avait pas suffisamment tenu compte des principes établis relatifs aux reportages portant sur des soupçons. D’après ces principes, le reportage devait porter sur un objet d’intérêt public justifié, devait se fonder sur un minimum d’éléments de fait, devait décrire les faits d’une manière objective en indiquant et les circonstances confirmant le soupçon et celles en faveur de la personne visée, devait en principe avoir obtenu le commentaire de la personne visée relatif aux reproches faits et devait être le fruit de recherches satisfaisant aux exigences de la diligence journalistique.
Appliquant ces principes au cas devant elle, la cour d’appel releva d’abord que l’objet du reportage était d’intérêt public. Elle admit aussi qu’il y avait suffisamment de faits justifiant de rendre compte des soupçons en question. À cet égard, elle rappela le déroulement des événements formant le contexte de l’article, à savoir que M. Schröder, tout au long de la durée de son mandat de chancelier, s’était prononcé en faveur du projet de gazoduc, avait rencontré le président russe Poutine lors de la signature de la déclaration du 11 avril 2005 des deux entreprises russe et allemande qui relevait du secteur économique privé, avait décidé de tenir des élections anticipées à un moment où son parti politique se trouvait dans une situation difficile après la défaite aux élections en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, avait déclenché un développement qui aboutissait à la perte de son mandat de chancelier et que, d’après la cour d’appel, entre le jour des élections anticipées et le dernier jour de son mandat de chancelier, le public avait appris que M. Schröder avait obtenu un poste très bien rémunéré dans un consortium contrôlé par Gazprom.
La cour d’appel ajouta que la question de savoir comment il avait été possible que M. Schröder ait pu décrocher ce poste pouvait d’autant plus être posée que ces événements appartenaient au domaine originaire de la formation de l’opinion publique. Elle précisa que les exigences relatives à la légitimité d’un tel reportage ne devaient pas être trop élevées. Sinon, les médias risquaient d’être limités à ne pouvoir commenter les comportements de personnes politiques que s’il y avait déjà un faisceau d’indices corroborant les soupçons exprimés. Une telle limitation n’était cependant pas acceptable dans un tel domaine. La cour d’appel souligna que quiconque attirait l’attention du public, comme c’était le cas des personnes politiques, devaient accepter que le seuil à partir duquel son comportement faisait l’objet de recherches par les médias, était moins élevé que celui applicable à une personne n’œuvrant pas dans la sphère publique.
La cour d’appel poursuivit que la publication attaquée manquait d’objectivité et de pondération. Elle rappela que l’exposé des faits d’un reportage ne devait pas s’analyser en une condamnation prématurée (Vorverurteilung) de la personne visée. Cela n’était pas seulement le cas lorsque le reportage donnait l’impression que la personne visée avait fait ce dont elle était soupçonnée, mais aussi quand un reportage était intentionnellement partial et falsifiait les faits dans le but de révéler une sensation, sans prendre en compte les circonstances plaidant en faveur de la personne visée. D’après la cour d’appel, tel était le cas du reportage litigieux puisqu’il ne mentionnait à aucun endroit des éléments affaiblissant les reproches faits, mais reproduisait exclusivement des circonstances corroborant ces soupçons qui se trouvaient d’une certaine manière concentrés dans la citation litigieuse.
A cet égard la cour d’appel observa que le reportage ne mentionnait pas que la défaite dans les élections en Rhénanie-du-Nord-Westphalie en mai avait considérablement affaibli l’autorité de la majorité gouvernementale au niveau fédéral et pouvait valablement donner lieu à demander aux électeurs, par le biais d’élections anticipées, s’ils soutenaient encore cette majorité. De même, le reportage ne mentionnait à aucun moment que le chancelier Schröder ne s’était pas montré résigné, mais actif et combatif pendant la campagne électorale. Enfin, d’après la cour d’appel, il n’existait aucune information au moment de la parution de l’article émanant de personnes proches de M. Schröder que celui-ci avait fondé sa décision de tenir des élections anticipées sur des motifs injustifiés (sachfremd).
La cour d’appel ajouta que la requérante n’était pas fondée de faire valoir que ces circonstances étaient encore connues des lecteurs si bien qu’il n’avait pas été nécessaire de les rappeler dans le reportage puisque l’article entier cherchait à suggérer au lecteur qu’il n’existait pas de circonstances permettant de mettre en question les faits ainsi présentés. De même, le fait que l’objet du reportage était d’un intérêt public considérable n’était pas de nature à dispenser la requérante de présenter les faits de manière équilibrée. Sur ce point, la cour d’appel précisa que la requérante n’était pas empêchée de critiquer M. Schröder. Cependant, compte tenu de l’extrême gravité du reproche fait, on pouvait exiger d’elle qu’elle indiquât que les faits n’avaient pas encore été établis.
La cour d’appel estima enfin que la requérante n’avait pas fait suffisamment de recherches avant de publier l’article. Elle était d’avis qu’indépendamment de la question de savoir si le politicien cité aurait été tenu de faire des recherches avant de formuler ses questions, la requérante avait l’obligation d’éclairer davantage les faits avant de reproduire publiquement ces questions qui portaient sur des reproches d’une gravité considérable. Elle souligna qu’il y avait eu suffisamment de circonstances de rattachement à cet égard. Ainsi, d’après elle, la requérante aurait pu s’adresser au consortium en Suisse, à M. Schröder ou à l’un de ses collaborateurs afin de savoir quand le poste de M. Schröder avait été prévu ou créé, quand M. Schröder avait eu connaissance de l’existence de ce poste et quand et par qui ce poste lui avait été proposé. La cour d’appel ajouta que le fait que d’autres médias avaient rendu compte de soupçons comparables n’était pas de nature à décharger la requérante. Celle-ci n’avait par ailleurs pas non plus demandé l’avis de M. Schröder. Or, aux yeux de la cour d’appel, indépendamment de la question de savoir si l’avis de la personne visée devait toujours être sollicité dans le cas de reportages à soupçons, la presse, pour satisfaire aux exigences de diligence journalistique, était dans tous les cas tenue de s’adresser à la personne en question lorsqu’elle répandait publiquement des conjectures relatives à l’existence de motivations intérieures de cette personne et lorsqu’il était possible de joindre celle-ci. La cour d’appel conclut que cette obligation était d’autant plus impérative dans le cas devant elle que le reproche exprimé était d’une gravité particulière.
3) La décision de la Cour fédérale de justice
Par une décision du 13 janvier 2009, la Cour fédérale de justice rejeta la demande de la requérante tendant à autoriser le pourvoi en cassation au motif que l’affaire ne revêtait pas une importance fondamentale et n’était pas nécessaire pour l’évolution du droit ou pour garantir une jurisprudence uniforme.
4) La décision de la Cour constitutionnelle fédérale
Le 18 février 2010, une chambre de la Cour constitutionnelle fédérale n’admit pas le recours constitutionnel de la requérante (no 1 BvR 368/09). Elle précisa qu’elle s’abstenait de motiver sa décision.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
L’article 823 § 1 du code civil (Bürgerliches Gesetzbuch) énonce que celui qui, agissant intentionnellement ou par négligence, porte atteinte illicitement aux droits à la vie, à l’intégrité corporelle, à la santé, à la liberté, à la propriété ou à un autre droit similaire d’autrui, est tenu à réparation du dommage qui en est résulté.
Aux termes de l’article 1004 § 1, s’il est porté atteinte à la propriété autrement que par usurpation ou détention illégale, le propriétaire peut exiger de celui qui en est l’auteur la cessation de l’atteinte. S’il y a lieu de craindre de nouvelles atteintes, le propriétaire peut agir pour obtenir des interdictions.
Dans un arrêt du 25 mai 1954 (no I ZR 311/53), la Cour fédérale de justice a reconnu le droit général à la protection de la personnalité en vertu des articles 1 § 1 (dignité de l’homme) et 2 § 1 (droit au libre épanouissement de la personnalité) de la Loi fondamentale. | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. Les circonstances de l’espèce
Les requérants sont nés respectivement en 1968 et 1970 et résident à Stylida.
Le premier requérant est l’un des copropriétaires d’un terrain qui se situe dans la région de Phthiotide. Les deux requérants sont également propriétaires d’un terrain à proximité du premier.
La présente affaire porte sur l’octroi par le préfet de Phthiotide d’une autorisation d’un forage d’eau sur le premier de ces terrains. Cette autorisation fut octroyée aux copropriétaires du premier requérant, sans son consentement.
Le 26 février 2004, les requérants saisirent le Secrétaire général de la région de la Grèce centrale d’un recours quasi juridictionnel contre l’acte préfectoral. Il ressort du dossier que cette procédure était une démarche indispensable afin qu’il soit possible de saisir par la suite le Conseil d’Etat. Les requérants alléguaient, entre autres, que les bénéficiaires de l’autorisation avaient illégalement transféré leurs droits à des tiers. Selon eux, la couche aquifère de la région serait affectée par le captage excessif des eaux souterraines. Partant, l’acte précité aurait porté également atteinte à leurs droits d’usage d’eau sur leur deuxième terrain voisin, qui disposait aussi d’un forage.
Le 22 mars 2004, le recours fut rejeté (décision no 3631/22.3.2004).
Le 7 juin 2004, les requérants saisirent le Conseil d’Etat d’un recours en annulation.
Le 21 octobre 2009, le Conseil d’Etat fit droit au recours et annula l’acte litigieux. La haute juridiction administrative constata que la quantité d’eau captée excédait celle autorisée par l’acte du préfet. En outre, elle considéra que l’administration aurait dû octroyer un différent type d’autorisation, qui exigeait l’évaluation préalable de l’adéquation de la couche aquifère (arrêt no 3283/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 15 mars 2010.
II. Le droit interne pertinent
La loi no 4055/2012
La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose:
« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive. (...) » | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Né en 1970, le requérant réside à Istanbul.
A. Le parcours professionnel du requérant
Le requérant est journaliste d’investigation, reporter indépendant, photographe et écrivain. Il a travaillé comme journaliste et photographe pour les quotidiens Yeni Yüzyıl, Radikal et Birgün et pour l’hebdomadaire Nokta, et comme photographe pour l’agence Reuters. Ses articles abordent principalement des thèmes politiques d’importance, tels que la liberté d’expression, certains homicides non élucidés, les dysfonctionnements de l’appareil judiciaire, les violences policières et la question kurde. À la suite de désaccords intervenus avec le patronat de la presse écrite en raison de ses activités syndicales, il fut licencié du journal Radikal et commença à travailler à son compte et à enseigner le journalisme à l’université de Bilgi, à Istanbul.
Le requérant est également le coauteur d’un ouvrage en deux volumes consacré à l’enquête pénale « Ergenekon » (voir paragraphe 10 ci-dessous) et comportant une analyse des activités illégales de contre-guérilla en Turquie, livre sur le fondement duquel il fut poursuivi pénalement pour atteinte à la confidentialité du procès puis définitivement acquitté par le tribunal correctionnel de Kadıköy.
Le requérant se consacra en outre à un projet de livre intitulé İmamın ordusu (L’Armée de l’imam) et contenant, entre autres, une analyse des phénomènes d’infiltration des mouvements islamiques dans l’administration turque. Il en fit parvenir l’avant-projet à son ancien éditeur, à ses avocats et à certains autres journalistes d’investigation pour recueillir leur avis et leurs éventuelles suggestions d’amélioration. Les copies de cet avant-projet furent saisies en mars 2011 par la police sur ordre de la cour d’assises d’Istanbul. Par la suite, le même livre fut publié sous un titre différent, 000Kitap Dokunan Yanar (000Le Livre, Quiconque le touche est brûlé), et diffusé en vente libre.
Les travaux journalistiques du requérant furent couronnés par au moins onze prix professionnels au plan national entre 1994 et 2011.
B. Le « procès Ergenekon »
En 2007, le parquet d’Istanbul ouvrit une enquête pénale contre les membres présumés d’une organisation criminelle du nom de Ergenekon, qui auraient planifié et commis des actes de provocation – comme des attentats contre des personnalités connues du public ou des attaques à la bombe dans des endroits sensibles tels que des sanctuaires ou les locaux de hautes juridictions – dans le but de susciter une atmosphère générale de crainte et de panique, et par là même un climat d’insécurité, de manière à ouvrir la voie à un coup d’État militaire. Le parquet intenta une action pénale contre plusieurs personnes, dont des officiers et des généraux d’armée, des membres des services de renseignement, des hommes d’affaires, des politiciens et des journalistes. Il leur reprochait d’avoir fomenté un coup d’État visant au renversement de l’ordre constitutionnel démocratique, crime passible d’une peine de réclusion à perpétuité. À la demande du parquet, la cour d’assises d’Istanbul – devant laquelle la procédure est pendante – ordonna le placement et le maintien en détention provisoire de la majorité des accusés. Par un arrêt rendu le 5 août 2013 dans le procès principal d’Ergenekon (procédure distincte de celle engagée contre le requérant), la 13ème Chambre de la cour d’assises d’Istanbul condamna une grande partie des accusés à des peines d’emprisonnement. La rédaction de l’arrêt motivé est en cours.
C. L’arrestation et la détention du requérant
Le 3 mars 2011, sur ordre du parquet d’Istanbul, des policiers d’Istanbul procédèrent à des perquisitions aux domiciles et lieux de travail du requérant et d’un autre journaliste, Nedim Şener. Soupçonnés de faire partie d’une organisation terroriste et d’avoir incité la population à la haine et à l’hostilité, les deux journalistes furent placés en garde à vue.
L’arrestation du requérant souleva de nombreuses réactions et protestations au plan national et international, notamment celles du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et celles de l’organisation Reporters sans frontières.
Le 4 mars 2011, les conseils du requérant formèrent opposition devant la cour d’assises d’Istanbul contre le placement en garde à vue de leur client et contre les perquisitions en question. Le 7 mars 2011, la cour d’assises rejeta cette opposition.
Pendant son interrogatoire, le procureur indiqua au requérant qu’une copie de son projet de livre, L’Armée de l’imam, avait été retrouvée dans les locaux du site internet Oda TV lors d’une perquisition menée dans le cadre de l’enquête pénale concernant l’organisation illégale Ergenekon. Il ajouta qu’il détenait également comme élément de preuve à charge un document, intitulé « Ulusal Medya 2010 » (« Médias nationaux 2010 »), exposant la stratégie que le réseau Ergenekon se proposait de déployer dans les médias dans le but de justifier un éventuel coup d’État militaire, ainsi que des retranscriptions d’écoutes téléphoniques. Le procureur et le juge assesseur posèrent au requérant treize questions sur ce projet de livre et six questions sur son curriculum vitae et sur les personnes travaillant pour le site Oda TV. Ils posèrent au journaliste Nedim Şener cinq questions sur le document « Médias nationaux 2010 » et deux questions diverses.
Le 5 mars 2011, le juge assesseur de la cour d’assises d’Istanbul ordonna le placement en détention provisoire du requérant et de Nedim Şener, tous deux soupçonnés d’appartenance à une organisation terroriste. Il estima qu’une telle mesure était justifiée par l’existence de forts soupçons quant à la commission par les deux intéressés des délits qui leur étaient reprochés ainsi que par l’existence d’un certain nombre d’éléments à charge, tels que des retranscriptions d’écoutes téléphoniques et des documents recueillis dans les locaux de Oda TV dans le cadre de l’enquête sur l’organisation Ergenekon. Il rappela que les infractions reprochées aux deux suspects figuraient parmi celles énumérées à l’article 100 § 3 du code de procédure pénale (les infractions « cataloguées » pour lesquelles, en cas de fortes présomptions, la détention provisoire de la personne soupçonnée est réputée justifiée). Il considéra que des mesures de coercition autres que la détention provisoire des prévenus seraient insuffisantes.
Le 8 mars 2011, les conseils du requérant et de Nedim Şener formèrent opposition contre l’ordonnance de placement en détention provisoire.
Le 16 mars 2011, la cour d’assises d’Istanbul rejeta ces oppositions. Elle estimait disposer d’indices sérieux permettant de soupçonner les prévenus d’avoir commis les infractions qui leur étaient reprochées. Elle considérait aussi que, en cas de mise en liberté des prévenus, ceux-ci risquaient de prendre la fuite ou de détruire des éléments de preuve.
Le 4 avril 2011, le requérant présenta une demande de mise en liberté provisoire, qui fut rejetée le 8 avril 2011 par la cour d’assises d’Istanbul. Le 15 avril 2011, il forma opposition contre la décision du 8 avril 2011. Le 19 avril 2011, la cour d’assises d’Istanbul rejeta cette opposition.
Le 3 mai 2011, le requérant présenta une nouvelle demande de mise en liberté provisoire, qui fut rejetée le 7 mai 2011 par la cour d’assises d’Istanbul. Le 24 mai 2011, il forma opposition contre la décision du 7 mai 2011. Le 6 juin 2011, la cour d’assises d’Istanbul rejeta cette opposition, estimant qu’il était nécessaire de maintenir le requérant en détention provisoire et qu’il n’y avait dès lors pas lieu de suivre une procédure contradictoire, de tenir une audience ou d’entendre l’intéressé.
Le 3 juin 2011, le requérant demanda à nouveau sa mise en liberté provisoire ; il fut débouté le 16 juin 2011 par la cour d’assises d’Istanbul. Le 23 juin 2011, il forma opposition contre la décision du 16 juin 2011. Le 28 juin 2011, la cour d’assises d’Istanbul rejeta cette opposition.
Le 4 juillet 2011, le requérant présenta une autre demande de mise en liberté provisoire, qui fut rejetée le 7 juillet 2011 par la cour d’assises d’Istanbul. Le 27 juillet 2011, il forma opposition contre la décision du 7 juillet 2011. Le 16 août 2011, la cour d’assises d’Istanbul rejeta, à la majorité, cette dernière opposition.
Dans ses décisions de rejet des demandes de mise en liberté provisoire ou des oppositions du requérant mentionnées ci-dessus, la cour d’assises d’Istanbul se fonda systématiquement sur les motifs suivants : la nature des crimes reprochés à l’intéressé, l’existence de forts soupçons pesant sur lui, le risque de fuite, l’état et le caractère incomplet des éléments de preuve. Dans certaines de ces décisions, la cour d’assises se fonda aussi sur l’absence d’éléments nouveaux propres à affaiblir les soupçons pesant sur le requérant et sur l’hypothèse que des mesures autres que la détention ne suffiraient pas à garantir la participation de celui-ci à la procédure pénale.
Dans la décision du 16 août 2011, le président de la cour d’assises d’Istanbul, le juge Akçay, vota contre le maintien du requérant en détention provisoire. Dans l’opinion dissidente qu’il rédigea, il indiquait en premier lieu que les éléments de preuve à charge versés au dossier concernaient exclusivement les travaux de préparation et les prises de contact du requérant avec diverses sources aux fins de la rédaction de son livre L’Armée de l’imam. Il notait que le parquet ne reprochait au requérant aucune activité ni aucun rôle dans le réseau Ergenekon. Il estimait que les soupçons émis à l’encontre de l’intéressé se résumaient à la rédaction d’un livre contenant des idées dont s’inspirait l’organisation Ergenekon. Il rappelait la pratique judiciaire pénale consistant à rejeter les accusations d’appartenance à une organisation terroriste lorsqu’elles sont dirigées contre des personnes qui se bornent à défendre des idées au nom desquelles cette organisation commet des actions violentes. Se référant aussi au principe selon lequel la liberté d’expression vaut non seulement pour les idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population, il considérait que l’expression d’idées qui n’incitaient pas à l’usage de la violence ne pouvait constituer un crime du seul fait que ces idées déplaisaient. Par ailleurs, rappelant que les derniers éléments de preuve sollicités par le parquet allaient être produits par la gendarmerie, il excluait tout risque de détérioration des preuves par le prévenu. Il concluait que les motifs pour lesquels les demandes de mise en liberté provisoire avaient été rejetées étaient insuffisants au regard des critères établis, d’une part, par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg et, d’autre part, par le code de procédure pénale.
Le 12 mars 2012, le requérant fut mis en liberté provisoire par une décision rendue par la cour d’assises d’Istanbul, qui tint compte de la possibilité que les accusations auraient été surqualifiées en début de l’enquête.
D. L’accès du requérant au dossier de l’enquête
Entre-temps, le 3 mars 2011, les conseils du requérant avaient demandé au parquet chargé de l’enquête de pouvoir accéder au dossier et, le cas échéant, de faire des copies des documents pertinents à leurs yeux quant aux faits reprochés à leur client.
Le 6 mars 2011, le parquet d’Istanbul avait rejeté cette demande sur le fondement d’une décision antérieure de la cour d’assises d’Istanbul, datée du 19 mars 2010, et classant le dossier confidentiel.
Les conseils du requérant formèrent opposition devant la cour d’assises d’Istanbul contre les décisions du 19 mars 2010 et du 6 mars 2011. Le 22 juin 2011, la cour d’assises rejeta les deux oppositions en raison de la nature du crime reproché, du fait que l’enquête était toujours en cours, du caractère incomplet des éléments de preuve et du risque d’altération ou de détérioration de ceux-ci par les suspects.
E. La saisie du projet de livre intitulé L’Armée de l’imam
Auparavant, le 23 mars 2011, la cour d’assises d’Istanbul avait ordonné la saisie du projet de livre du requérant et interdit sa publication. Elle s’était exprimée comme suit :
« (...) des faits concrets montrent que le texte de l’avant-projet intitulé İmamın Ordusu et ses copies ont été produits par une équipe suivant les instructions et objectifs de l’organisation terroriste présumée Ergenekon en vue de manipuler l’opinion publique et d’influencer les procédures en cours, et que la décision attaquée ne saurait être considérée comme étant contraire au droit dans la mesure où elle peut permettre de recueillir des éléments de preuve et d’arrêter les suspects ayant un lien avec l’organisation criminelle présumée. »
Dans sa commission rogatoire destinée à la police judiciaire, le parquet d’Istanbul avait donné l’ordre de saisir et de mettre sous séquestre tous les exemplaires ou brouillons du projet de livre susmentionné et, le cas échéant, tous les exemplaires du livre déjà imprimés.
En exécution de cet ordre, les policiers avaient organisé des perquisitions chez le requérant, dans les maisons d’édition et les imprimeries susceptibles de détenir des copies du projet de livre, et dans le bureau d’un journaliste travaillant avec le requérant. Après avoir copié sur disque dur les différentes versions du projet du livre, ils avaient détruit celles-ci.
Le 25 mars 2011, les conseils du requérant formèrent opposition contre l’ordonnance du 23 mars. Le 29 mars 2011, la cour d’assises d’Istanbul rejeta définitivement cette opposition. L’action pénale contre le requérant est toujours pendante devant cette même juridiction.
F. L’action pénale intentée contre le requérant
Le 26 août 2011, le parquet d’Istanbul déposa également devant la cour d’assises d’Istanbul un acte d’accusation visant le requérant. Il reprochait à celui-ci d’avoir apporté aide et assistance à l’organisation criminelle connue sous le nom de Ergenekon – crime réprimé par l’article 314 § 3 du code pénal combiné avec son article 220 d’une peine de cinq à dix ans de réclusion criminelle – en rédigeant, sur les instructions et selon les orientations de cette organisation, un livre intitulé L’Armée de l’imam.
Selon le parquet, les enquêteurs avaient relevé dans le document intitulé « Médias nationaux 2010 », saisi dans les locaux de Oda TV, les propos suivants :
« (...) Il est nécessaire d’apporter un soutien documentaire, technique et de renseignement aux personnalités membres des institutions qui mènent l’opération [Ergenekon], personnalités connues du public et auxquelles ce dernier fait confiance, qui nous soutiennent dans nos démarches et qui défendent nos idées, afin qu’ils puissent publier et déclarer que le procès Ergenekon et les autres poursuites pénales similaires sont des mystifications. »
Le parquet signalait aussi qu’un fichier d’ordinateur, intitulé « Sabri » et créé par l’utilisateur « Soner », saisi dans les locaux de Oda TV, comportait le passage suivant :
« Sabri Uzun : Sabri a des craintes à propos du livre, essayons de le convaincre ; son livre doit être achevé avant les élections. Que Nedim prenne contact à ce sujet avec Ahmet ; soyez courageux lorsque vous travaillez sur le livre. N’ayez pas peur d’ajouter ou d’enlever du texte. Ce livre doit être plus élaboré que Les Simon. Je tiens à féliciter Nedim. Il devrait faire travailler Ahmet. Hanefi va être libéré et va vous rejoindre. Soutenez le moral de Emin et Sabri. Faites en sorte que [le livre] paraisse sous le nom de Sabri. Dépêchez-vous. Qu’il soit publié avant les élections. »
Le parquet faisait en outre observer que, lors des perquisitions effectuées à l’adresse de Oda TV, les enquêteurs avaient découvert des documents Word concernant le projet du livre L’Armée de l’imam. Selon le parquet, la date de création de ces fichiers était antérieure à celle des fichiers saisis au domicile du requérant et contenant la version la plus avancée du livre. Certaines parties du projet se trouvant dans les documents saisis à Oda TV portaient des annotations. Par exemple, la page 4 du document « Ahmet Kitap » avait été annotée comme suit :
« Il ne sera pas faux de dire que l’affaire Ergenekon et l’instruction menée sont des outils utilisés par l’AKP pour restreindre les libertés. »
Le parquet se référait de plus à des enregistrements d’écoutes téléphoniques dans lesquelles le requérant s’inquiétait de ce qu’une copie de son livre eût été retrouvée dans l’ordinateur de Soner Yalçın, responsable de Oda TV, disant qu’il ne savait pas comment ce document y était parvenu et qu’il s’agissait probablement d’une version vieille de trois mois.
Le parquet en déduisait que, d’une part, le requérant aurait, à la demande de membres de l’organisation Ergenekon et par l’emploi des méthodes de la propagande noire, rédigé un livre exposant que le gouvernement favorisait l’infiltration de responsables d’un mouvement islamique dans l’appareil étatique, y compris dans la police et les organes judiciaires ; d’autre part, le même livre aurait développé la thèse selon laquelle ces cadres, agents des autorités judiciaires (police ou magistrature), détournaient le procès Ergenekon de son objectif principal visant à la sanction des éventuels putschistes pour l’orienter vers la conduite d’investigations portant sur tous les groupes proches de l’opposition au gouvernement.
L’action pénale engagée contre le requérant est toujours pendante devant la même juridiction.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le code pénal
L’article 311 § 1 du code pénal (CP) se lit ainsi :
« Quiconque tente de renverser la Grande Assemblée nationale de Turquie par la force et la violence ou de l’empêcher partiellement ou totalement d’exercer ses fonctions sera condamné à la réclusion à perpétuité. »
L’article 312 § 1 du CP est ainsi libellé :
« Quiconque tente de renverser le gouvernement de la République de Turquie par la force et la violence ou de l’empêcher partiellement ou totalement d’exercer ses fonctions sera condamné à la réclusion à perpétuité. »
L’article 314 §§ 1 et 2 du CP, sanctionnant le délit d’appartenance à une organisation illégale, se lit comme suit :
« 1. Quiconque constitue ou dirige une organisation en vue de commettre les infractions énoncées aux quatrième et cinquième sections du présent chapitre sera condamné à une peine de dix à quinze ans d’emprisonnement.
Tout membre d’une organisation telle que mentionnée au premier alinéa sera condamné à une peine de cinq à dix ans d’emprisonnement. »
L’article 327 § 1 du CP dispose :
« Quiconque se procure des informations qui doivent rester secrètes pour des raisons liées à la sécurité de l’État ou à ses intérêts de politique extérieure ou intérieure sera condamné à une peine de trois à huit ans d’emprisonnement. »
L’article 334 § 1 du CP prévoit :
« Quiconque se procure des informations dont les autorités compétentes ont interdit la divulgation conformément à la loi et aux dispositions en la matière et qui doivent par nature rester confidentielles sera condamné à une peine comprise entre un et trois ans d’emprisonnement. »
Enfin, l’article 220 § 7 du CP énonce que quiconque ayant apporté consciemment et intentionnellement aide et assistance à une organisation criminelle sera puni au même titre que toute personne faisant partie de ladite organisation.
B. Le code de procédure pénale
L’article 91 § 2 du code de procédure pénale (CPP) dispose :
« Le placement en garde à vue dépend de la nécessité de cette mesure pour l’enquête et des indices permettant de croire que l’intéressé a commis une infraction. »
La détention provisoire est régie par les articles 100 et suivants du CPP. D’après l’article 100, une personne peut être détenue lorsqu’il existe des indices sérieux donnant à penser qu’elle a commis une infraction et que la détention provisoire est justifiée par l’un des motifs énumérés dans cette disposition. La détention provisoire est justifiée en cas de fuite et de risque de fuite, ou lorsque le suspect risque de dissimuler ou de modifier des preuves ou d’influencer des témoins. Lorsqu’il existe de forts soupçons que le suspect a commis certains crimes particulièrement graves, notamment contre la sécurité de l’État et l’ordre constitutionnel, l’article 100 § 3 présume l’existence des motifs de détention provisoire.
L’article 101 du CPP prévoit que la détention provisoire est ordonnée au stade de l’instruction par le juge unique à la demande du procureur de la République, et au stade du jugement par le tribunal compétent, d’office ou à la demande du procureur. Les ordonnances de placement et de maintien en détention provisoire peuvent faire l’objet d’une opposition. Les décisions y relatives doivent être motivées en droit et en fait.
D’après l’article 104 du CPP, le prévenu ou l’inculpé peut demander à tout moment de la procédure sa mise en liberté provisoire. L’ordonnance de maintien en détention ou de libération est prise par un juge ou par un tribunal. La décision rejetant une telle demande est également susceptible d’opposition. | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1967 et réside à Iaşi.
Par une ordonnance du parquet du 14 janvier 2003, le requérant fut mis en détention provisoire pour une durée de trente jours au motif qu’il était soupçonné d’avoir mortellement frappé P.M. dans la nuit du 12 au 13 décembre 2002.
Le requérant et P.M. se connaissaient depuis longtemps, venant du même village. P.M. louait une pièce de son appartement au requérant, dans laquelle celui-ci avait sa résidence.
Par un réquisitoire du parquet du 8 avril 2003, le requérant fut envoyé en jugement devant le tribunal départemental de Iaşi du chef de coups ayant causé le décès de la victime, infraction réprimée par l’article 183 du code pénal. Le procureur ayant instruit l’affaire indiquait que, bien qu’il n’y eût pas de témoins oculaires ayant vu le requérant frapper la victime, cela résultait de l’ensemble des preuves indirectes versées au dossier, qui contredisaient la version des faits du requérant.
Le procureur indiquait comme preuves à charge la déposition de quatre témoins :
(a) le témoin M.E., une connaissance du défunt, qui était passée le soir du 12 décembre 2002 au domicile de celui-ci pour lui rendre visite, occasion à laquelle elle avait vu le requérant dans l’appartement où les faits s’étaient déroulés ; selon ses dires, le requérant avait cherché ce soir-là à entretenir des rapports sexuels avec elle et face à son refus il l’aurait battue, ce qui l’avait amenée à quitter les lieux pour alerter une équipe de policiers de garde dans le quartier ;
(b) le témoin H.I., un policier qui, alerté par M.E., s’était rendu sur les lieux et, constatant que le requérant et la victime étaient alors dans un état d’ébriété avancé et qu’ils dérangeaient les voisins par leur bruit, dressa un procèsverbal de contravention à leur encontre pour trouble à l’ordre public ;
(c) D.L. et D.V., deux voisins de la victime, qui avaient déclaré avoir entendu durant la nuit du 12 au 13 décembre 2002 des bruits ainsi que le cri de la victime, en provenance de son appartement.
Ces témoignages avaient été recueillis comme suit.
M.E., entendue par le parquet sans que le requérant ou son avocat fussent présents, déclara que la victime lui avait confié avoir peur du requérant, ce dernier ayant essayé de lui forcer la main pour conclure un échange entre la maison qu’il avait dans leur village natal et l’appartement que P.M. possédait en ville. M.E. indiqua ensuite avoir déjà vu auparavant à deux reprises le requérant frapper la victime, à savoir dans le courant de l’été 2002 et en octobre 2002. Elle indiqua que la victime souhaitait vendre son appartement à une tierce personne, ce que le requérant ne voulait pas.
Entendu par le parquet, le requérant nia avoir frappé la victime la nuit du 12 au 13 décembre 2002. Il expliqua qu’il louait une pièce dans l’appartement de P.M., qu’il s’était couché après le départ du policier H.I., qu’il avait trouvé la victime décédée le matin du 13 décembre, et qu’il avait alors tout de suite alerté la police. Il indiqua que la victime recevait couramment la visite de nombreuses personnes, dont des prostituées et des proxénètes, et suggéra qu’après le départ du policier H.I., la porte de l’appartement était restée non verrouillée, chose qui était déjà arrivée par le passé, de sorte que d’autres personnes avaient pu entrer dans l’appartement.
Le tribunal départemental de Iaşi, compétent pour trancher l’affaire en tant que premier degré de juridiction, ordonna l’audition des témoins indiqués par le procureur dans son réquisitoire. Bien que régulièrement citée, M.E. ne se présenta pas. Le tribunal, qui dut ajourner plusieurs fois l’affaire afin d’essayer d’interroger ce témoin, délivra alors des mandats de comparution à son encontre et lui infligea une amende. Le policier chargé de l’exécution des mandats indiqua dans un procès-verbal qu’elle n’avait pas été trouvée à son domicile. Le tribunal demanda alors des renseignements auprès du service de l’état civil de Iaşi afin de trouver la nouvelle adresse de M.E., mais en vain.
Le tribunal considéra dès lors qu’il était impossible d’interroger M.E. et décida de donner lecture devant le tribunal de la déclaration faite par ce témoin pendant l’enquête.
Le policier H.I. et les voisins D.L. et D.E. furent entendus par le tribunal et maintinrent leurs dépositions faites devant le procureur ; aucun d’entre eux ne déclara avoir vu le requérant frapper la victime. Sur demande du requérant, le tribunal entendit un témoin à décharge qui indiquait connaître le requérant depuis longtemps comme étant une personne calme et honnête.
Le requérant fut entendu à son tour. Il déclara qu’il regrettait d’avoir été accusé à tort ; il expliqua qu’il louait une pièce chez la victime et que ce jour-là, en rentrant du travail, il avait trouvé son hôte en train de consommer de l’alcool avec M.E.
L’avocate du requérant insista pour que M.E. soit entendue et, après que le tribunal eut estimé que cela était impossible, plaida l’acquittement de son client au motif qu’il n’y avait pas de preuves attestant, de façon non équivoque, qu’il aurait frappé la victime.
À plusieurs reprises au cours de la procédure, le tribunal accepta des ajournements demandés par les avocats du requérant afin de leur permettre d’étudier le dossier.
Par un jugement du 27 janvier 2004, le tribunal condamna le requérant à une peine de cinq ans de prison du chef de coups ayant causé le décès de la victime. Il releva que le déroulement des faits et la culpabilité du requérant vis-à-vis du décès de la victime étaient établis sur la base des déclarations des témoins M.E., D.L., D.V. et H.I. et du rapport d’autopsie de la victime.
Le requérant interjeta appel de ce jugement. Il se plaignait notamment que les premiers juges s’étaient principalement appuyés sur un témoignage consigné devant les organes d’enquête, qu’il n’a pas pu contester afin de prouver son innocence. Son avocate insista pour que M.E. soit entendue par la cour d’appel. Le requérant ne mentionna pas dans son recours un empêchement éventuel, devant le tribunal, d’étudier le dossier ou de préparer sa défense.
Le parquet interjeta également appel, demandant que la peine infligée au requérant soit majorée.
Après plusieurs tentatives infructueuses de faire comparaître le témoin M.E. devant le tribunal, à l’audience du 6 juillet 2004 l’avocat du requérant proposa à défaut de M.E., laquelle demeurait introuvable, l’audition du témoin N.G., qui était présent dans la salle. N.G. déposa sur les relations du requérant et du défunt, attestant que le premier avait à maintes reprises apporté son soutien au second, qui avait été gravement malade.
Par un arrêt rendu le même jour, le 6 juillet 2004, la cour d’appel de Iaşi accueillit l’appel du parquet et éleva la peine infligée au requérant à six ans et six mois de prison. La cour d’appel estima que toutes les preuves pertinentes avaient été administrées et fonda sa décision sur les témoignages de M.E., D.L., D.V. et H.I., sans aucune référence à la déclaration de N.G.
Le requérant se pourvut en recours, se plaignant, entre autres, que les juridictions avaient donné crédit au témoignage de M.E. alors même que celle-ci n’avait donné suite à aucune des convocations du tribunal ; il faisait valoir en outre que la déposition que celle-ci avait faite devant le parquet contenait des éléments qui n’étaient pas vrais, comme, par exemple, le fait qu’elle aurait vu le requérant frapper la victime en août 2002, époque à laquelle il ne la connaissait pas. Il ne se plaignit d’aucun refus des juridictions inférieures de lui octroyer le temps et les facilités nécessaires pour préparer sa défense.
Le 13 octobre 2004, la Haute Cour de cassation et justice rejeta une demande d’ajournement faite par le requérant pour trouver un avocat, au motif qu’elle avait déjà accueilli lors de l’audience précédente, le 27 août 2004, une demande similaire d’ajournement de la part du requérant pour étudier le dossier, préparer sa défense et engager un avocat.
Par un arrêt définitif rendu le jour même – soit le 13 octobre 2004 – la Haute Cour rejeta le pourvoi en recours et confirma l’arrêt rendu en appel. Elle releva qu’il ressortait des dépositions versées au dossier que le requérant était une personne violente, qu’il avait déjà frappé la victime par le passé et qu’il était mécontent que celle-ci eût refusé de lui vendre son appartement.
Le requérant fit une demande de révision du jugement du 27 janvier 2004 ; celle-ci fut rejetée par un arrêt définitif du 24 août 2005 de la Haute Cour de cassation et justice, au motif que les juridictions ayant examiné l’affaire avaient fait une appréciation correcte des preuves versées au dossier.
Le 29 mai 2007, le requérant fut mis en liberté.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
L’article 63 du code de procédure pénale (CPP) n’attribue aucune valeur probante particulière aux éléments de preuve versés au dossier d’une enquête. Les tribunaux apprécient librement la valeur de chacun des éléments de preuve selon leur intime conviction et leur conscience, à la lumière de l’ensemble des preuves du dossier.
Les articles 86 et 327 du CPP prévoient que le tribunal procède à l’audition des témoins après avoir entendu l’accusé et les autres participants à la procédure. Chaque témoin est invité à dire tout ce qu’il sait sur les faits qui font l’objet de l’affaire, après quoi le président et les autres membres de la formation de jugement, suivis par le procureur, peuvent lui poser des questions. Lorsqu’ils n’ont plus de questions à lui adresser, la partie qui a proposé de l’entendre et tous les autres participants à la procédure peuvent lui poser des questions à leur tour. Si l’interrogatoire d’un témoin n’est plus possible, le tribunal ordonne que sa déclaration recueillie pendant la phase d’enquête soit lue en audience publique ; le tribunal peut en tenir compte pour déterminer l’issue de la cause. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le 5 novembre 1970, le requérant et D.P. se marièrent. S’agissant du régime matrimonial, ils optèrent pour celui de la séparation de biens.
Le 4 septembre 2001, D.P. déposa une requête en divorce.
Par une ordonnance de non conciliation du 4 février 2002, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Grasse autorisa les époux à résider séparément. Il attribua la jouissance du domicile conjugal au requérant, à savoir une villa située à Valbonne et propriété exclusive de ce dernier, qu’il condamna en outre à payer une pension alimentaire de 2 286 euros à son épouse durant la procédure. Enfin, il donna acte aux parties de leur engagement d’effectuer un inventaire contradictoire des meubles meublant le domicile conjugal.
Par une assignation du 5 juillet 2002, la suite, D.P. forma une demande en divorce aux torts exclusifs du requérant, lui reprochant une relation adultère et un comportement mesquin à son égard.
Le 16 mars 2004, le juge de la mise en état fit injonction à D.P. de communiquer certains justificatifs bancaires et au requérant de justifier de ses revenus fonciers pour les années 2000, 2002 et 2003, ainsi que de l’évaluation du mobilier garnissant le domicile conjugal.
Dans le cadre de ses dernières écritures, signifiées le 2 décembre 2004, D.P. maintint sa demande de divorce. A cette occasion, elle sollicita le paiement d’une somme de 80 000 euros à titre de dommages-intérêts et le paiement d’une prestation compensatoire d’un montant de 1 166 235 euros sous forme d’attribution, conformément aux dispositions de l’article 275 du code civil, de biens appartenant uniquement au requérant, à savoir : la villa de Valbonne constituant le domicile conjugal et évaluée par elle à 609 796 euros ; de quatre appartements situés à Cannes et respectivement évalués à 68 602, 76 225, 73 176 et 114 337 euros ; d’un appartement situé au Cannet, évalué à 125 008 ; et, enfin, des droits indivis sur un appartement évalué à 99 092 euros. Elle sollicita également que les droits de transfert de ces propriétés soient à la charge du requérant. A titre subsidiaire, au cas où le transfert de propriété de la villa de Valbonne ne lui serait pas accordé, elle demanda le transfert de propriété des autres biens immobiliers cités plus le versement d’une somme complémentaire de 609 796 euros correspondant à la valeur marchande de cette villa.
Le 29 avril 2003, le requérant signifia ses conclusions par lesquelles il sollicita un prononcé du divorce aux torts exclusifs de D.P., ne contestant pas entretenir une relation adultère passagère mais invoquant une relation adultère antérieure de son épouse. Il demanda que D.P. soit déboutée de toutes ses demandes financières ou qu’elles soient pour le moins restreinte et qu’un notaire soit désigné, afin de renseigner le tribunal sur la situation patrimoniale respective de chacun des époux.
Par un jugement du 2 mai 2005, le tribunal de grande instance de Grasse constata tout d’abord que le requérant ne contestait pas son adultère, par ailleurs établi par des pièces du dossier et qu’il ne rapportait pas la preuve d’un adultère commis par son épouse. Partant, il prononça le divorce aux torts exclusifs du requérant. S’agissant des conséquences du divorce et plus spécialement de la prestation compensatoire, le tribunal, après avoir rappelé que l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation compensatoire, rejeta la demande du requérant en vue de la désignation d’un notaire, estimant qu’une telle demande était dilatoire compte tenu du fait que la procédure avait déjà duré trois ans. Il constata que les époux étaient respectivement âgés de 57 ans (D.P.) et de 71 ans (le requérant), que leur vie commune avait duré trente-et-un ans et qu’ils n’avaient pas d’enfant.
Le tribunal releva que le requérant était propriétaire d’un important patrimoine immobilier, composé de dix biens immobiliers situés à Levallois Perret, Cannes et au Cannet, ce qui lui permettait de vivre de ses revenus fonciers, outre la villa de Valbonne, ainsi qu’un avoir bancaire global d’environ 130 000 euros (EUR). Quant à D.P., il constata notamment qu’elle travaillait à temps partiel, pour un salaire imposable de 11 461 euros en 2004, qu’elle disposait de 17 999 euros sur son compte, qu’elle était propriétaire en indivision avec le requérant d’un appartement de quatre pièces situé au Cannet et évalué par elle à 198 000 euros et en propre d’un appartement dans la même commune et d’une valeur de 155 000 euros, qu’elle avait travaillé bénévolement puis en qualité de conjoint salarié pour le requérant pendant dix-neuf ans et, enfin, que la villa de Valbonne avait été construite durant le mariage. Le tribunal jugea dès lors justifié d’attribuer une prestation compensatoire à D.P. sous forme d’attribution de la villa de Valbonne, relevant qu’elle était évaluée à 228 000 euros par le requérant dans sa déclaration sur l’honneur de 2005. Enfin, il accorda une somme de 7 500 euros à D.P. à titre de dommages et intérêts.
Le tribunal décida néanmoins de surseoir à statuer, dans l’attente de la production par les parties du titre de propriété de la villa contenant les mentions de publicité foncière.
Par un jugement du 15 juillet 2005, le tribunal prononça le divorce aux torts exclusifs du requérant. Il condamna ce dernier à payer à D.P. une prestation compensatoire par l’abandon de ses droits de propriété sur la villa située à Valbonne et évalués par le requérant à 228 000 EUR dans sa déclaration sur l’honneur, outre 7 500 euros à titre de dommages et intérêts.
Le requérant interjeta appel, demandant de débouter D.P. de toutes ses demandes et de prononcer le divorce à son profit. Son ex-épouse maintint ses demandes en appel, sollicitant toutefois le versement d’une prestation compensatoire d’un montant plus élevé, à savoir 1 340 000 euros, tout en continuant à soutenir que la villa de Valbonne était d’une valeur de 610 000 euros.
Par un arrêt du 26 octobre 2006, la cour d’appel d’Aix-en-Provence confirma le jugement, à l’exception de ses dispositions sur la prestation compensatoire. Statuant à nouveau sur ce point, elle examina les revenus et patrimoines respectifs de chaque partie. Elle indiqua notamment que le requérant était propriétaire, « en indivision avec son épouse », de la villa située à Valbonne, qui avait été construite sur un terrain acquis par sa mère, tout en soulignant que le requérant l’évaluait à 228 000 euros et D.P. à 600 000 euros. Compte tenu de ces éléments, de l’âge de D.P., alors bientôt en retraite, de sa contribution à l’activité professionnelle du requérant et de leur situation respective, la cour d’appel jugea que les prétentions de D.P. étaient excessives et fixa le montant de la prestation compensatoire à 200 000 euros. La cour d’appel n’ordonna aucun transfert de propriété, condamnant uniquement le requérant à payer cette somme à son ex-épouse.
D.P. se pourvut en cassation.
Par un arrêt du 6 février 2008, la Cour de cassation cassa l’arrêt d’appel, au motif que celui-ci énonçait que les époux étaient propriétaires en indivision de la villa située à Valbonne, alors que les parties avaient indiqué que seul le requérant en était propriétaire. Elle renvoya l’affaire devant la même cour d’appel, autrement composée.
Devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence statuant sur renvoi, D.P. sollicita la condamnation du requérant à lui payer la somme de 1 674 000 EUR à titre de prestation compensatoire, payable sous forme d’attribution de propriété de la villa de Valbonne dont elle estima cette fois la valeur réelle à 800 000 euros, ainsi que de trois appartements situés à Cannes et appartenant au requérant. Ce dernier conclut à la réformation du jugement attaqué, offrant à D.P. une prestation compensatoire d’un montant de 200 000 EUR, payable sur huit années comme la loi le permettait.
Par un arrêt du 25 mars 2009, la cour d’appel d’Aix-en-Provence confirma les jugements des 2 mai et 15 juillet 2005 concernant la prestation compensatoire. Dans le cadre de l’évaluation des besoins et des ressources respectives des parties, elle releva, s’agissant du requérant : d’une part, qu’il avait un revenu net imposable de 197 751 EUR en 2007, tout en notant d’importantes fluctuations selon les années ; d’autre part, que son patrimoine immobilier se composait de la villa de Valbonne qu’il occupait depuis la séparation et qu’il avait lui-même estimée à 228 000 EUR dans des déclarations sur l’honneur faites en 2003 et 2005, ainsi que de neuf autres biens immobiliers estimés au total à 2 785 000 EUR dans la déclaration pour l’impôt sur la fortune de 2007 ; enfin, qu’il avait des liquidités pour un montant de près de 19 000 EUR, outre des biens meubles d’une valeur déclarée de 7 500 EUR mais évalués à 228 674 EUR par un antiquaire à la demande de son épouse. Appréciant les estimations des biens immobiliers du requérant par son ex-épouse, la cour d’appel releva expressément que les estimations de cette dernière résultaient, à l’exception toutefois de la villa de Valbonne, de déclarations non contestées par l’administration fiscale. Partant, elle rejeta les contestations pour ces immeubles, excepté la villa de Valbonne, tout en relevant que D.P. n’avait jamais demandé une expertise de certains d’entre eux. S’agissant de la villa de Valbonne, dont l’estimation ne résultait pas de ces déclarations fiscales, la cour d’appel ne se prononça pas.
Compte tenu d’une disparité dans les conditions de vie respective des époux, la cour d’appel décida de la compenser par une prestation compensatoire d’un montant de 228 000 euros. Elle ordonna en outre que cette somme soit « réglée par l’abandon par Monsieur Milhau de ses droits de propriété sur la villa située à Valbonne d’une valeur de 228 000 euros ».
Le requérant se pourvut en cassation, faisant notamment valoir que sa situation financière n’avait pas été actualisée au moment du prononcé du divorce. En outre, il se plaignit de ce que les juges du fond avaient retenu une valeur de 228 000 euros pour la villa de Valbonne, alors que D.P. l’évaluait dorénavant à 800 000 euros. Il souligna qu’il n’avait pas contesté cette nouvelle estimation de D.P. dans ses conclusions d’appel et que, dès lors, ces dernières auraient dû être prises en compte par la cour d’appel de renvoi pour constater un accord des parties sur ce point. Par ailleurs, le requérant releva que si l’article 275 du code civil permettait au juge de décider de l’abandon d’un bien en nature, une telle disposition ne pouvait être mise en œuvre qu’en cas d’incapacité pour le débiteur de la prestation compensatoire de s’acquitter autrement de sa dette, sauf à également violer le droit de propriété garanti par l’article 1 du Protocole no 1.
Après la clôture de l’instruction du pourvoi, il sollicita le renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») portant sur l’article 275 du code civil, estimant notamment qu’il était contraire à la Constitution non seulement d’empêcher le débiteur de choisir librement les éléments de son patrimoine pour payer sa dette dès lors qu’il n’a pas refusé de s’acquitter de celle-ci, mais également de permettre que le juge attribue un bien sans garantie suffisante quant à son évaluation préalable par un professionnel. Il déposa également un mémoire invitant la Cour de cassation à procéder à la réouverture de l’instruction, aux fins d’examen de cette QPC.
Le 8 juin 2010, au cours de l’audience de la Cour de cassation, l’avocat général conclut à la réouverture de l’instruction aux fins d’examen de la QPC.
Par un arrêt du 8 juillet 2010, la Cour de cassation dit n’y avoir lieu à réouverture de l’instruction et rejeta le pourvoi du requérant, jugeant que la cour d’appel avait apprécié le bien-fondé et les modalités de paiement de la prestation compensatoire dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Le code civil
Les dispositions pertinentes, applicables en l’espèce, sont ainsi libellées :
Article 270
« Sauf lorsqu’il est prononcé en raison de la rupture de la vie commune, le divorce met fin au devoir de secours prévu par l’article 212 du code civil ; mais l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives.
Article 275
Le juge décide des modalités selon lesquelles s’exécutera l’attribution ou l’affectation de biens en capital :
Versement d’une somme d’argent ;
Abandon de biens en nature, meubles ou immeubles, en propriété, en usufruit, pour l’usage ou l’habitation, le jugement opérant cession forcée en faveur du créancier ;
Dépôt de valeurs productives de revenus entre les mains d’un tiers chargé de verser les revenus à l’époux créancier de la prestation jusqu’au terme fixé. (...) »
Le nouveau texte de l’article 275 du code civil, devenu l’article 274 suite à la réforme opérée par la loi no 2004-439 du 26 mai 2004, se lit comme suit :
Article 274
« Le juge décide des modalités selon lesquelles s’exécutera la prestation compensatoire en capital parmi les formes suivantes :
1o Versement d’une somme d’argent, le prononcé du divorce pouvant être subordonné à la constitution des garanties prévues à l’article ;
2o Attribution de biens en propriété ou d’un droit temporaire ou viager d’usage, d’habitation ou d’usufruit, le jugement opérant cession forcée en faveur du créancier. Toutefois, l’accord de l’époux débiteur est exigé pour l’attribution en propriété de biens qu’il a reçus par succession ou donation. »
B. Évolutions législatives et jurisprudence internes
Le droit du divorce a été profondément modifié par une loi no 75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce, qui a notamment remplacé le versement d’une pension alimentaire par l’un des ex-époux à son ex-conjoint par celui d’une « prestation compensatoire ». Cette dernière vise à compenser la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Le législateur de 1975 entendait privilégier le versement de cette prestation compensatoire sous la forme d’un capital plutôt qu’une rente, et ce afin d’éviter au maximum les contentieux ultérieurs. Toutefois, ce but n’a pas été atteint, les juges ayant massivement continué à privilégier le versement par des rentes au lieu d’allouer un capital (cf. le rapport fait au nom de la Commission des lois du Sénat, no 120, déposé le 17 décembre 2003, relatif aux travaux parlementaires sur ce qui deviendra la loi no 2004439 du 26 mai 2004 relative au divorce).
La loi no 2000-596 du 30 juin 2000 relative à la prestation compensatoire visait à corriger les dérives par rapport à l’intention initiale du législateur de 1975, notamment en renforçant le versement de la prestation compensatoire sous forme de capital. Pour ce faire, elle a introduit la possibilité, pour le juge, d’ordonner l’abandon d’un bien appartenant au débiteur (paragraphe 25 ci-dessus). Cette loi a fait l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part de la doctrine en raison de l’atteinte à l’inaliénabilité du droit de propriété, qui ont nécessité une nouvelle réforme (voir le rapport fait au nom de la Commission des lois du Sénat, no 120, précité).
La réforme initiée par la loi no 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce maintient le principe du versement en capital (lorsque le débiteur n’est pas en mesure de verser le capital en une seule fois, le juge fixe son versement en plusieurs modalités sur une durée maximum de huit années), ainsi que la possibilité pour le juge d’ordonner l’abandon par le débiteur de ses droits de propriété sur un bien. Toutefois, la loi protège dorénavant les biens de famille, puisqu’elle exige dorénavant l’accord de l’époux débiteur pour la cession forcée des biens reçus par succession ou donation. De plus, dans un arrêt du 17 mai 2011 (pourvoi no 11-40.005), la Cour de cassation a jugé que la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité du mécanisme en cause avec le droit de propriété, tel que garanti par la Constitution, était sérieuse et a décidé de la renvoyer devant le Conseil constitutionnel.
Dans sa décision no 2011-151 QPC du 13 juillet 2011, le Conseil constitutionnel, saisi de la conformité du nouvel article 274 du code civil aux droits et libertés garantis par la Constitution, a considéré qu’en instaurant ce mécanisme de cession forcée d’un bien du débiteur de la prestation compensatoire, « le législateur a entendu faciliter la constitution d’un capital, afin de régler les effets pécuniaires du divorce au moment de son prononcé ; que le législateur a également entendu assurer le versement de la prestation compensatoire ; que l’objectif poursuivi de garantir la protection du conjoint dont la situation économique est la moins favorisée et de limiter, autant que possible, les difficultés et les contentieux postérieurs au prononcé du divorce constitue un motif d’intérêt général ; (...) ». Le Conseil constitutionnel a cependant ajouté une réserve d’interprétation. Il a en effet considéré « que l’atteinte au droit de propriété qui résulte de l’attribution forcée prévue par le 2o de [l’article 274 précité] ne peut être regardée comme une mesure proportionnée au but d’intérêt général poursuivi que si elle constitue une modalité subsidiaire d’exécution de la prestation compensatoire en capital ; que, par conséquent, elle ne saurait être ordonnée par le juge que dans le cas où, au regard des circonstances de l’espèce, les modalités prévues au 1o [dudit article] n’apparaissent pas suffisantes pour garantir le versement de cette prestation » (cons. 6-8).
Il s’ensuit que les juges du divorce ne peuvent octroyer une prestation compensatoire sous forme d’attribution forcée d’un bien qu’à titre subsidiaire, dans les conditions ainsi spécifiées par le Conseil constitutionnel. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants étaient propriétaires de quatre terrains, lesquels, par décision ministérielle du 1965, furent expropriés.
Le 17 mars 1995, les requérants demandèrent au Ministère de la Défense de procéder à la révocation de l’expropriation en affirmant que les terrains expropriés restaient inexploités.
Le 1er août 1995, l’État-major des armées grecques rejeta la demande en cause (décision no 1998/1.8.1995).
Le 8 août 1995, considérant que leur demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, les requérants saisirent le Conseil d’État d’un recours en annulation.
Le 9 février 2009, le Conseil d’État rejeta leur recours comme infondé (arrêt no 393/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 10 décembre 2009. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
A. Le contexte des affaires
Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers.
Les présentes requêtes portent sur les procédures engagées par les devanciers des requérants en vue d’obtenir le réajustement et l’augmentation du montant de leurs pensions conformément à ces lois.
B. Les procédures en cause
Requête no 44795/11
(a) La demande à la Comptabilité générale de l’État et la procédure devant la Chambre de la Cour des comptes
Le 9 mars 2001, le devancier des requérants saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 19 juillet 2001, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande.
Le 5 décembre 2001, le devancier des requérants saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale.
Le 20 février 2004, la Cour des comptes donna gain de cause au devancier des requérants (arrêt no 350/2004).
Le 30 novembre 2004, le devancier des requérants décéda.
(b) La procédure en cassation
Le 26 avril 2005, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 350/2004, en introduisant deux pourvois.
Le 6 février 2008, la formation plénière de la Cour des comptes reporta l’examen des affaires (arrêts nos 194/2008 et 195/2008). Une nouvelle audience eut lieu le 2 avril 2008 lors de laquelle les requérants succédèrent à leur devancier dans la procédure.
Le 1er octobre 2008, la Cour des comptes reporta l’examen du premier pourvoi et déclara le second pourvoi irrecevable (arrêts nos 2077/2008 et 2078/2008).
Le 30 juin 2010, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le premier pourvoi (arrêt no 1777/2010). Cet arrêt fut notifié aux requérants le 12 janvier 2011.
Requête no 19978/12
Le 14 février 2001, le devancier de la requérante saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 20 mars 2001, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande.
Le 18 juillet 2001, le devancier de la requérante saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale.
Le 20 septembre 2003, la Cour des comptes donna gain de cause au devancier de la requérante (arrêt no 1538/2003).
Le 16 décembre 2004, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 1538/2003.
Le 7 mars 2007, la Cour des Comptes dans un arrêt avant dire droit reporta l’examen de l’affaire (arrêt no 366/2007).
Le 21 mai 2009, le devancier de la requérante décéda. Le 4 mai 2011, lors de l’audience à la formation plénière de la Cour des comptes, cette dernière, ainsi que son fils, lui succédèrent dans la procédure.
Le 22 juin 2011, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1690/2011). Cet arrêt fut notifié à la requérante le 17 novembre 2011.
C. Le droit interne pertinent
La loi no 4239/2014
La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. La loi précitée introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose:
« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ». | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1949 et réside à Van.
A. La première procédure pénale visant la requérante
Le 30 avril 2001, la requérante se présenta à la prison de Muş un jour de visite, afin de voir son frère qui y était détenu dans le cadre d’une affaire liée au PKK, une organisation illégale armée.
Le personnel chargé de la fouille découvrit sur la requérante, « près de la partie gauche de l’abdomen », un morceau de papier plusieurs fois plié et emballé dans du scotch. Il s’agissait d’une lettre non signée, datée du 24 avril 2001 et rédigée par un membre du PKK à l’attention d’un autre de ses membres.
La requérante fut placée en garde à vue le même jour et interrogée en langue turque par les gendarmes le lendemain. Lors de cet interrogatoire, elle déclara qu’elle avait ramassé l’objet délictueux à Van à l’arrêt où elle attendait le bus qui devait l’emmener à Muş. Elle dit avoir pensé qu’il pouvait s’agir d’un objet de valeur et qu’elle déferait l’emballage une fois seule.
Le 1er mai 2001, elle fit une déposition dans les mêmes termes devant le procureur puis devant le juge d’instance. Étant analphabète, elle signa les procès-verbaux en apposant son empreinte digitale.
Elle fut placée en détention à l’issue de son audition puis élargie le 5 juillet 2001.
Le 27 septembre 2001, la cour de sûreté de l’État de Van acquitta la requérante, considérant que la version des faits que celle-ci avait présentée était crédible.
B. La seconde procédure pénale visant la requérante
Le 17 décembre 2001, la requérante rendit à nouveau visite à son frère à la prison de Muş à l’occasion d’une fête religieuse. Après la visite, elle fut placée en garde à vue.
Le procès-verbal dressé le même jour indique que le personnel chargé de la fouille avait découvert, dissimulé dans la couture de la robe de la requérante, un document de seize pages écrit sur du papier pelure enroulé et protégé par une bande adhésive. D’après le procès-verbal, le document contenait notamment des informations sur la stratégie du PKK et ses activités au sein des établissements pénitentiaires, sur le comportement à adopter face à l’administration de ces établissements et sur le personnel pénitentiaire.
Elle fut interrogée en langue turque par deux gendarmes, le 18 décembre 2001. Le procès-verbal indique que son droit à l’assistance d’un avocat lui a été rappelé mais qu’elle n’a pas souhaité en faire usage. S’agissant des faits, elle avait déclaré qu’elle avait vu un objet emballé dans la salle d’attente de la prison et l’avait ramassé par simple curiosité puis placé dans son soutien-gorge. Elle précisa que, au moment de la fouille, les gardiennes avaient découvert l’objet et qu’elles l’avaient déballé. Pour la requérante, il s’agissait de bouts de papier couverts d’écritures. Lors de la visite, elle aurait parlé de l’incident à son frère et celui-ci n’en aurait rien dit. Ensuite, les gendarmes l’auraient arrêtée à sa sortie de l’établissement.
À une question concernant son statut personnel, elle répondit qu’elle était mariée religieusement mais non civilement à G.I. et qu’ils avaient eu cinq enfants. Son époux avait une autre compagne avec laquelle il avait eu six enfants.
À la question de savoir si elle travaillait pour le PKK, elle répondit par la négative. Elle ajouta que, la première fois, elle avait ramassé l’objet en pensant qu’il pouvait contenir de l’or et que c’était cette même pensée qui l’avait poussée à prendre le papier dans la salle d’attente.
En réponse à une question concernant dix pièces d’or découvertes sur elle lors de la fouille, elle déclara que la moitié d’entre elles appartenaient à sa fille et l’autre moitié à elle-même.
Après son interrogatoire, le parquet requit son placement en détention provisoire. En conséquence, la requérante fut présentée devant un juge d’instance.
Constatant qu’elle ne parlait pas suffisamment bien le turc, le juge demanda à un membre de la famille de la requérante qui était présent dans le couloir du tribunal de servir d’interprète. L’intéressé accepta.
La requérante déclara à nouveau qu’elle avait trouvé le document en question dans la salle d’attente. Immédiatement après, elle soutint que cette déclaration ainsi que celle recueillie par les gendarmes concernaient des faits survenus sept mois auparavant ; qu’aucun document n’avait été découvert sur elle lors de sa dernière visite à la prison ; qu’elle avait pensé que les gendarmes l’interrogeaient sur des faits antérieurs et que, ne sachant ni lire ni écrire, elle avait apposé son empreinte digitale sur le procès-verbal sans en connaître la teneur. Lorsque le contenu de celui-ci lui fut révélé, elle en contesta la véracité.
Le 18 décembre 2001, à l’issue de son audition, la requérante fut placée en détention provisoire et une procédure pénale fut entamée devant la cour de sûreté de l’État de Van pour appartenance à une organisation illégale armée et, à titre subsidiaire, pour aide et assistance à une telle organisation.
Lors des différentes audiences devant cette juridiction, la requérante fut assistée d’un avocat et d’un interprète.
Au cours de la procédure, la défense contesta la version des faits présentée par les gardiens. Elle soutint qu’aucun document n’avait été trouvé sur l’intéressée. Elle indiqua que, selon elle, un document avait bien été trouvé sur une visiteuse lors de la fouille effectuée au moment de l’admission et que cette personne avait néanmoins été autorisée à effectuer la visite au motif qu’il s’agissait d’un jour de fête. Les gardiens avaient omis de l’arrêter au moment de la sortie en raison d’un nombre important de visiteurs ce jour-là. Ayant compris que la personne avait échappé à leur vigilance, ces derniers avaient décidé d’arrêter la requérante à la place de celle-ci, car ils savaient qu’elle avait déjà été accusée de faits similaires. Par ailleurs, la défense fit valoir que dans la déposition faite lors de l’audition, la requérante avait dit que l’objet délictueux avait été trouvé dans son soutien-gorge alors que le procès-verbal d’incident indiquait que celui-ci avait été trouvé dans la couture de sa robe.
Le 12 mai 2002, deux gardiennes de la prison furent entendues sur commission rogatoire. La première, C.A., indiqua qu’elle avait personnellement trouvé le document litigieux dans la couture de la robe de la requérante au moment de la fouille. La seconde, F.A., confirma cette version et indiqua qu’elle avait été immédiatement appelée par sa collègue après la découverte.
Plusieurs témoins de la défense furent également entendus. Deux femmes qui étaient en visite à la prison le jour de l’incident affirmèrent ne pas savoir si la requérante avait fait l’objet d’une fouille à l’entrée de la prison. Une autre déclara être entrée dans l’établissement en même temps que la requérante mais ne pas avoir vu sa fouille. Un frère de la requérante indiqua quant à lui qu’il s’était rendu à la prison avec elle, qu’ils s’étaient séparés lors de la fouille avant de se retrouver pour voir leur frère. Lors de leur entretien avec ce dernier, la requérante n’avait jamais évoqué un quelconque incident lors de la fouille.
Le 29 mai 2002, la requérante fut condamnée à trois ans et neuf mois de prison pour aide et assistance à une organisation armée illégale. Dans sa motivation, la cour de sûreté observait que, dans la première affaire, la requérante avait affirmé avoir trouvé le document litigieux à un arrêt de bus, à Van, et que, dans la seconde affaire, elle avait déclaré au cours de l’instruction avoir trouvé le document dans la salle d’attente de la prison. Elle relevait que la requérante avait réitéré cette déclaration devant le juge d’instance avant d’affirmer que celle-ci concernait la première affaire et qu’aucun document n’avait été trouvé sur elle lors de la fouille du 17 décembre 2001. La juridiction répressive considérait que les allégations de la requérante comportaient de sérieuses incohérences. Elle relevait qu’en effet, si elle avait réellement pensé que son interrogatoire par les gendarmes et par le juge concernait les faits survenus le 30 avril 2001, elle aurait en toute logique dû déclarer qu’elle avait trouvé le document litigieux non pas dans la salle d’attente de la prison de Muş, mais à Van. Elle en concluait qu’il ne pouvait être prêté foi à la version des faits de la requérante ou des témoins de la défense et elle retenait la version qui avait été présentée par les deux gardiennes et qui confirmait les constatations consignées dans le procès-verbal d’incident. En conséquence, elle reconnut la requérante coupable des faits reprochés.
Le 7 octobre 2002, la Cour de cassation censura cet arrêt pour un motif d’ordre procédural.
Le 18 avril 2003, la cour de sûreté condamna à nouveau la requérante à la même peine. Par ailleurs, prenant en compte la durée de la détention déjà effectuée, elle ordonna sa remise en liberté.
Cet arrêt fut cassé le 19 janvier 2004 sur pourvoi de la requérante. La Cour de cassation considéra que l’infraction reprochée n’avait pas été consommée et qu’elle était restée au stade de la tentative. Elle rejeta les autres motifs de pourvoi de la requérante parmi lesquels figurait l’absence d’interprète durant la garde à vue.
Le 3 mai 2004, la cour de sûreté condamna la requérante à un an et trois mois d’emprisonnement pour tentative d’aide et d’assistance à une organisation illégale armée. Elle reprit la motivation de ses arrêts antérieurs.
Le 6 juin 2005, la Cour de cassation renvoya l’affaire devant la juridiction de première instance, indiquant que, conformément à la loi no 5252 définissant les règles et procédures d’application du nouveau code pénal qui venait d’entrer en vigueur, l’affaire devait être réexaminée à la lumière de ce nouveau code afin de déterminer si la requérante pouvait bénéficier d’une disposition plus douce.
Le 19 septembre 2005, la cour d’assises de Van condamna derechef la requérante en adoptant le raisonnement exposé dans ses arrêts antérieurs et en précisant que les dispositions de l’ancien code étaient plus douces.
La requérante forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt en faisant valoir notamment l’absence d’interprète au cours de la garde à vue.
Ce recours fut rejeté le 31 octobre 2006.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits ne contenait aucune disposition prohibant l’accès à un interprète au cours de la garde à vue.
Le Règlement relatif à l’arrestation, au placement en détention et à l’interrogatoire qui était en vigueur jusqu’au 1er juin 2005, disposait en son article 12 d) alinéa 6 que le registre de garde à vue devait indiquer la présence éventuelle d’un interprète lors de l’interrogatoire et le cas échéant comporter le nom et la signature de celui-ci. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1969 et réside à Baia Mare.
À l’époque des faits, le requérant était depuis six ans le présentateur d’une émission de télévision diffusée sur une chaîne locale à Baia Mare portant, entre autres, sur la question de l’utilisation des fonds publics par la mairie. En janvier 2005, l’émission du requérant fut arrêtée et celui-ci licencié. Son émission fut remplacée immédiatement par une autre émission financée par la mairie, portant sur les activités de cette autorité publique.
Aux fins de l’exercice de sa profession, le requérant fit des démarches auprès du maire de la ville de Baia Mare pour obtenir la communication de plusieurs informations à caractère public. Ses demandes étaient fondées sur les dispositions de la loi no 544/2001 relative au libre accès aux informations à caractère public (ci-après « loi no 544/2001 »).
Ainsi, le 8 février 2005, le requérant demanda au maire de Baia Mare de lui communiquer une série d’informations à caractère public concernant les déplacements sur le territoire national et à l’étranger des fonctionnaires de la mairie, les contrats de publicité souscrits par la mairie, les frais occasionnés par l’organisation de diverses fêtes publiques et leur mode d’organisation, les frais liés à la maintenance des véhicules de la mairie et les communications téléphoniques ainsi que la participation du maire aux conseils d’administration ou aux assemblées générales des actionnaires de différentes sociétés commerciales. Les informations concernant les contrats de publicité et les communications téléphoniques étaient demandées pour les périodes pré et post-électorales.
Le 28 février 2005, le requérant formula une nouvelle demande d’informations à caractère public auprès du maire de Baia Mare concernant principalement les échanges de terrains et d’espaces commerciaux réalisés par la mairie, les exonérations de dettes de sociétés commerciales à capital privé, les investissements réalisés par la mairie et la gestion des biens lui appartenant ainsi que des informations concernant l’affiliation des fonctionnaires de la mairie à des partis politiques. Cette demande concernait les informations couvrant la période commençant lors du premier mandat du maire.
Le 9 mai 2005, le requérant formula une troisième demande d’informations à caractère public auprès du maire de Baia Mare. Elle concernait principalement les rémunérations versées au maire en sa qualité de membre du conseil d’administration de sociétés commerciales et de régies autonomes subordonnées à la mairie, les différentes primes versées aux fonctionnaires de la mairie, les sociétés commerciales à capital privé s’étant vu attribuer des contrats publics, l’organisation des marchés publics, les dettes de la mairie, les fonds non remboursables dont elle avait bénéficié ainsi que les sommes attribuées par la mairie pour l’entretien des routes, la salubrité, le déneigement et pour d’autres activités similaires.
Le maire répondit au requérant par des lettres des 17 mars, 11 avril et 16 juin 2005. Dans ces lettres, le maire répondit de manière laconique en renvoyant à de nombreuses annexes.
Estimant que les lettres susmentionnées ne contenaient pas des réponses adéquates à ses demandes d’information, le requérant saisit le tribunal administratif de trois actions séparées tendant à la condamnation du maire à lui communiquer lesdites informations et au versement des dommages-intérêts.
Au cours des procédures, le maire soutint qu’il avait répondu aux demandes d’informations du requérant et insista sur la complexité des informations sollicitées et le travail important requis de la part de la mairie pour y répondre dans un délai pertinent.
Par trois décisions définitives distinctes des 14 septembre 2005, 2 mars 2006 et 20 mars 2006, la cour d’appel de Cluj accueillit les actions du requérant et condamna le maire à lui communiquer la grande majorité des informations demandées. Pour ce faire, la cour d’appel nota qu’en vertu de l’article 10 de la Convention et de la loi no 544/2001 relative au libre accès aux informations à caractère public, le requérant avait le droit d’obtenir lesdites informations qu’il entendait utiliser dans l’exercice de son activité de journaliste. Or, les lettres envoyées par le maire ne constituaient pas des réponses adéquates à ces demandes.
Par les décisions des 14 septembre 2005 et 2 mars 2006, la cour d’appel de Cluj condamna également le maire à verser au requérant 1 000 lei (RON) (environ 276 euros (EUR)) et 1 500 RON (environ 426 EUR) respectivement, à titre de préjudice moral. Pour ce faire, elle nota que le requérant avait été entravé dans ses activités de recherche du fonctionnement d’une autorité publique et d’information des citoyens à cet égard. Par la méconnaissance de son droit au libre accès à des informations à caractère public, le requérant avait été dans l’impossibilité d’exercer sa profession de journaliste selon ses propres critères. Enfin, le fait qu’il avait été contraint de s’adresser à la justice afin de faire valoir son droit, la frustration et la conscience de son impuissance face à cette situation attestaient de la souffrance subie par celui-ci. Dans sa décision du 14 septembre 2005, la cour d’appel de Cluj nota en particulier que le refus du maire de lui fournir les informations sollicitées équivalait à la mise à néant du droit de recevoir et de communiquer des informations, droit garanti par l’article 10 de la Convention.
Par la décision du 20 mars 2006, la cour d’appel de Cluj refusa en revanche d’accorder un dommage moral. Pour cela, elle prit en compte le volume important des informations sollicitées par le requérant qui exigeaient une réponse détaillée de la part du maire.
Le requérant demanda l’exécution forcée des décisions pour ce qui était du dommage moral, mais le maire refusa d’obtempérer. Ce n’est que plusieurs mois plus tard que le conseil municipal envoya à l’huissier de justice les sommes couvrant le dommage moral.
S’agissant de la première décision définitive du 14 septembre 2005, le requérant saisit les tribunaux nationaux d’une action visant à la condamnation du maire à exécuter ladite décision dans sa partie concernant la communication des informations et le paiement d’une amende civile. Par une décision définitive du 26 avril 2006, le tribunal départemental de Maramureş accueillit l’action du requérant et condamna le maire à exécuter la décision définitive du 14 septembre 2005 et à verser une amende civile de 2 816 RON (environ 800 EUR). Le tribunal constata que le 12 décembre 2005, le maire avait invité le requérant à retirer des photocopies de plusieurs documents totalisant 402 pages, après paiement des taxes, conformément aux dispositions légales (paragraphe 25
ci-dessous), mais qu’il s’agissait en réalité de documents disparates contenant des informations susceptibles d’interprétations diverses, ce qui ne pouvait en aucun cas s’analyser comme une exécution de la décision susmentionnée.
Le 28 novembre 2005, le requérant déposa également une plainte pénale contre le maire du chef d’abus d’autorité contre les particuliers au motif que celui-ci avait refusé de lui communiquer les informations sollicitées. Il compléta sa plainte ultérieurement du chef de détournement de fonds et abus d’autorité contre l’intérêt public au motif que la somme de 1 000 RON (environ 276 EUR) due à titre du dommage moral lui avait été versée par le conseil municipal et non par le maire.
Les 8 et 16 décembre 2005, 17 et 21 mars et 9 juin 2006, le maire envoya des lettres au requérant l’invitant à retirer auprès de la mairie, après le paiement des frais des photocopies, différents documents totalisant plusieurs milliers de pages, en réponse à chacune de ses trois demandes d’information. Ces lettres sont produites au dossier de la présente requête par le Gouvernement, mais sans les documents auxquels elles renvoient. Le contenu de ces documents n’est pas non plus précisé.
Le 28 mars 2006, le procureur ouvrit des poursuites pénales contre le maire du chef d’abus d’autorité contre les particuliers. Néanmoins, par une décision du 18 août 2006, le parquet clôtura la procédure pénale et condamna le maire au paiement d’une amende administrative de 800 RON (environ 227 EUR). Il estima que le maire avait méconnu ses obligations, en ne répondant que le 9 juin 2006 à la demande du requérant auquel il avait envoyé une lettre avec plusieurs annexes. Toutefois, le retard s’expliquait par la complexité des informations sollicitées par le requérant qui impliquaient une charge de travail importante pour les fonctionnaires de la mairie. Cette décision fut confirmée, sur recours du requérant, par le procureur en chef du parquet, le 25 septembre 2006.
Le 7 février 2007, un huissier de justice somma, à la demande du requérant, le maire de Baia Mare d’exécuter la décision de la cour d’appel du 2 mars 2006, dans sa partie concernant la transmission d’informations à caractère public, mais en vain.
D’après les informations fournies par le requérant, les décisions définitives de la cour d’appel de Cluj sont demeurées inexécutées, malgré ses nombreuses démarches.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Constitution
L’article pertinent de la Constitution de la Roumanie est ainsi libellé :
Article 31
Le droit à l’information
« (1) Le droit de la personne d’avoir accès à toute information à caractère public ne peut être limité.
(2) Les autorités publiques, conformément aux compétences qui leur incombent, sont tenues d’assurer l’information correcte des citoyens au sujet des affaires publiques et des affaires à caractère personnel.
(3) Le droit à l’information ne doit pas porter préjudice aux mesures de protection des jeunes gens ou à la sécurité nationale.
(4) Les media, publics et privés, sont tenus d’assurer l’information correcte de l’opinion publique.
(5) Les services publics de la radio et de la télévision sont autonomes. Ils doivent garantir aux groupes sociaux et politiques importants l’exercice du droit à l’antenne. L’organisation desdits services et le contrôle parlementaire de leur activité sont réglementés par une loi organique. »
B. La loi no 544/2001 relative au libre accès aux informations à caractère public
L’information à caractère public est définie par la loi, notamment comme toute information concernant les activités ou résultant des activités d’une autorité publique (article 2). La loi prévoit le droit de toute personne de demander et d’obtenir auprès des autorités publiques le libre accès aux informations à caractère public (article 6). L’autorité publique doit répondre à une demande dans un délai de dix jours, sauf pour les demandes complexes pour lesquelles le délai est de trente jours (article 7). Si la communication d’informations requiert la transmission de photocopies de documents, les frais de reproduction incombent à la personne sollicitant les informations (article 9). Les personnes qui effectuent des études ou des recherches à titre personnel ou à titre professionnel, ont libre accès à la documentation des autorités publiques, sur simple demande (article 11).
C. La pratique des juridictions nationales
Les tribunaux internes ont estimé que le délai de trente jours prévu par la loi pour répondre à une demande d’information est impératif et que les autorités publiques sont censées organiser leurs services de manière à ce que ce délai soit respecté, indifféremment du volume des informations sollicitées (cour d’appel de Bucarest, arrêt no 76 du 3 février 2003). Les tribunaux ont également estimé que les autorités publiques ne peuvent pas soumettre l’accès aux informations à caractère public à la condition de l’existence de rapports d’activité annuels centralisant les différentes données statistiques (cour d’appel de Bucarest, arrêt no 203 du 9 février 2006). Il appartient aux autorités publiques de traiter et de conserver l’information de manière adéquate et dans un délai raisonnable dans leurs bases de données de sorte qu’elle soit accessible aux intéressés (cour d’appel de Bucarest, arrêt no 2389 du 15 novembre 2010). La publicité d’une certaine information sur le site internet d’une autorité (cour d’appel de Bucarest, arrêt no 203 du 9 février 2006 ; cour d’appel de Timişoara, arrêt no 319 du 4 mars 2009) ou le versement d’un document contenant une certaine information dans le cadre d’une procédure judiciaire parallèle (cour d’appel de Ploieşti, arrêt no 232 du 11 février 2009) n’exonère pas une autorité publique de l’obligation de communiquer cette même information à la personne intéressée. | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
A. Le contexte des affaires
Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers.
Les présentes requêtes portent sur des procédures engagées par les requérants ou leurs devanciers en vue d’obtenir le réajustement et l’augmentation du montant de leurs pensions conformément à ces lois.
B. Les procédures en cause
Requête no 37690/13
Le 1er mars 2001, le devancier des requérantes, mari de la première et père des deuxième et troisième requérantes, saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 17 décembre 2002, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande.
Le 16 février 2004, il forma une opposition devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le devancier des requérantes saisit, le 8 juillet 2004, la Cour des comptes d’un recours contre son rejet.
Le 20 avril 2005, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État rejeta son opposition datée du 16 février 2004.
Le 7 décembre 2007, la Cour des comptes donna gain de cause au devancier des requérantes (arrêt no 2578/2007).
Le 20 mars 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 2578/2007.
Le 28 octobre 2010, le devancier des requérantes décéda. Le 6 juin 2012, lors de l’audience, ces dernières lui succédèrent dans la procédure.
Le 24 octobre 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 3071/2012). Cet arrêt fut notifié le 12 décembre 2012 à la première, le 7 février 2013 à la deuxième et le 18 décembre 2012 à la troisième requérante.
Requête no 41022/13
À une date non précisée, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 8 août 2002, la Comptabilité générale de l’État la rejeta.
Le 14 avril 2003, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
Le 13 octobre 2004, ledit Comité rejeta son opposition (décision no 3651/04). Cette décision fut envoyée au requérant le 14 avril 2005.
Le 6 février 2006, le requérant saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision dudit Comité.
Le 14 janvier 2012, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 73/2013). Cet arrêt lui fut notifié le 8 février 2013.
Requête no 41027/13
Le 15 juin 2005, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 21 septembre 2005, suite au rejet tacite de sa demande, il forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 3 février 2006, la Cour des comptes d’un recours contre son rejet.
Le 27 novembre 2012, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 3245/2012). Cet arrêt lui fut notifié le 23 janvier 2013.
Requête no 42125/13
À une date non précisée, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 17 décembre 2002, la Comptabilité générale de l’État la rejeta.
Le 14 avril 2003, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
À une date non précisée, ledit Comité rejeta son opposition.
Le 7 février 2006, le requérant saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision dudit Comité.
Le 16 janvier 2013, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 216/2013). Cet arrêt lui fut notifié le 8 février 2013.
Requête no 42160/13
Le 16 juillet 2001, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 17 décembre 2002, la Comptabilité générale de l’État la rejeta.
Le 16 février 2004, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 12 juillet 2004, la Cour des comptes d’un recours contre son rejet.
Une audience eut lieu le 5 décembre 2008. En raison de l’omission de l’administration de fournir le dossier de pension du requérant, la Cour des comptes par un arrêt avant dire droit reporta l’examen de l’affaire (décision no 446/2009).
Le 3 décembre 2012, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 3325/2013). Cet arrêt lui fut notifié le 11 janvier 2013.
Requête no 42826/13
Le 24 janvier 2003, la requérante saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 4 novembre 2005, suite au rejet tacite de sa demande, elle forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, la requérante saisit, le 10 février 2006, la Cour des comptes d’un recours contre son rejet.
Le 22 novembre 2006, ledit Comité rejeta l’opposition du 4 novembre 2005.
Le 18 février 2013, la Cour des comptes donna gain de cause à la requérante (arrêt no 756/2013). Cet arrêt lui fut notifié le 20 février 2013.
Requête no 42836/13
À une date non précisée, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 17 décembre 2002, la Comptabilité générale de l’État la rejeta.
Le 21 mai 2003, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
Le 31 janvier 2005, ledit Comité rejeta son opposition (décision no 424/2005). Cette décision fut envoyée au requérant le 4 octobre 2005.
Le 1er décembre 2005, le requérant saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision dudit Comité.
Le 3 décembre 2012, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 3349/2012). Cet arrêt lui fut notifié le 23 janvier 2013.
C. Le droit interne pertinent
La loi no 4239/2014
La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose:
« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ». | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1947 et réside à Comrat.
La genèse de l’affaire
En mars 2006, le requérant, qui était directeur d’une entreprise publique (ci-après, « B-G »), reconnut devant un tribunal que B-G devait à une entreprise privée la somme de 594 067 dollars américains (USD), plus des pénalités (soit une somme totale de 842 404 USD), au titre de l’achat à cette entreprise de gaz liquéfié. Le 26 mai 2006, il fut démis de ses fonctions.
Il allègue qu’en juillet 2006, les autorités d’enquête le convoquèrent pour recueillir sa déposition sur une escroquerie supposée aux dépens de BG. Il aurait ensuite été convoqué en plusieurs autres occasions et se serait toujours présenté devant les autorités d’enquête, avec lesquelles il aurait toujours coopéré. Selon les documents communiqués par les parties, ses deux fils et lui firent l’objet de treize enquêtes pénales différentes. Les deux premières enquêtes furent ouvertes les 15 et 29 septembre 2006, tandis que la plupart des autres enquêtes furent ouvertes le 5 avril 2007. Le 25 mai 2007, toutes les enquêtes furent jointes.
Il ressort également du dossier que les fils du requérant furent convoqués devant les autorités d’enquête en mai 2007 et interrogés en tant que suspects dans l’affaire. Il semble qu’ils n’aient jamais été arrêtés. Le 13 septembre 2006, les autorités saisirent dans les locaux de l’entreprise publique B-G une facture supposément utilisée pour l’escroquer. Le 30 octobre 2006, l’ordinateur du requérant fut également saisi. On y trouva différents documents censés prouver que le requérant avait escroqué B-G.
Le 26 octobre 2006, la cour économique d’appel accueillit une demande d’ouverture de procédure d’insolvabilité (process de insolvabilitate) introduite contre B-G.
Le 21 décembre 2006, la Cour suprême de Justice annula les décisions prises par les juridictions inférieures car il avait été établi que la dette à l’égard de l’entreprise privée était fictive. Les juges s’appuyèrent notamment sur les résultats d’un examen des activités économiques et financières de B-G. L’affaire fut renvoyée devant les juridictions inférieures et est encore pendante à ce jour.
Le 23 mars 2007, il fut procédé à un nouvel examen des activités économiques et financières de B-G.
L’arrestation du requérant et les procédures relatives à la prolongation de sa détention provisoire et à son assignation à résidence
Le 2 mai 2007, le requérant fut arrêté. Le 5 mai 2007, il fut formellement accusé d’avoir escroqué B-G.
Le 5 mai 2007, le tribunal de district de Buiucani, faisant droit à une requête du procureur, ordonna le placement du requérant en détention provisoire pour une durée de quinze jours. Il motiva ainsi sa décision :
« (...) l’infraction dont [le requérant] est accusé est considérée comme un délit exceptionnellement grave, ce qui justifie le placement en détention provisoire ; [le tribunal] tient compte de la nature et de la gravité de l’infraction ainsi que de la complexité de l’affaire, et il considère qu’à ce stade précoce de l’enquête, il y a des motifs raisonnables de penser que l’accusé pourrait s’entendre avec d’autres (ses fils, qui n’ont pas été interrogés) sur une position commune à adopter.
En revanche, la thèse de l’accusation selon laquelle il y aurait un risque que l’accusé s’enfuie, qu’il influence des témoins ou qu’il détruise des éléments de preuve n’est étayée par aucun élément précis, et elle est peu plausible. »
Le requérant contesta cette décision, renvoyant à la procédure civile en cours quant à la dette de B-G envers l’entreprise privée, ainsi qu’à une confirmation de cette dette par un administrateur que le tribunal avait nommé entre-temps. Il invoquait également l’absence dans le dossier de tout élément suggérant qu’il fût susceptible de s’enfuir ou de faire entrave à l’enquête d’une quelconque manière. Il joignait en outre des certificats médicaux attestant qu’il souffrait de plusieurs affections (il était alors âgé de soixante ans) imposant qu’il suivît un traitement en milieu hospitalier, ce qui était selon lui impossible en détention provisoire. Il faisait valoir qu’il était un personnage public, qu’il avait sa famille, sa résidence et son emploi en Moldova, et qu’il s’était présenté devant les autorités d’enquête à chaque fois qu’elles l’avaient convoqué entre juillet 2006 et mai 2007. Il arguait de plus que lorsqu’il avait statué sur son placement en détention provisoire, le juge n’avait pas eu connaissance du dossier de l’enquête mais n’avait vu que quelques documents relatifs aux charges retenues contre lui et à l’examen de l’activité économique de B-G (mentionné ci-dessus). Il ajoutait que ses deux fils n’avaient été formellement accusés d’aucune infraction et qu’en toute hypothèse, si lui et eux avaient voulu s’entendre, ils auraient eu tout le temps de le faire depuis juillet 2006, moment auquel ils avaient eu connaissance de l’enquête.
Le 8 mai 2007, la cour d’appel de Chişinău confirma la décision du 5 mai 2007, répétant essentiellement les motivations de la juridiction inférieure.
Le 16 mai 2007, le tribunal de district de Buiucani prolongea de vingt jours la détention provisoire du requérant. Après avoir récapitulé les thèses des parties et cité les dispositions applicables, il conclut ainsi :
« (...) les motifs invoqués à l’appui de l’application de la mesure préventive [de placement en détention provisoire] demeurent valables ; la majorité des mesures d’enquête ont été prises, mais un certain nombre de mesures supplémentaires nécessitant la participation [du requérant] doivent encore être prises aux fins de l’instruction de l’affaire. Le tribunal considère que la demande formée par la défense aux fins de la substitution [d’une assignation à résidence] à la mesure préventive est prématurée, compte tenu de la gravité et de la complexité de l’affaire ainsi que de la nécessité de préserver l’ordre public et l’intérêt de la collectivité et d’assurer le bon déroulement de l’enquête et son objectivité. »
Le requérant contesta cette décision, invoquant essentiellement les mêmes arguments que précédemment.
Le 22 mai 2007, la cour d’appel de Chişinău confirma la décision du 16 mai 2007. Elle s’appuya essentiellement sur les mêmes motifs que dans sa décision du 8 mai 2007, ajoutant ceci :
« (...) le risque que le requérant détruise des preuves persiste, le procureur ayant déclaré que tous les documents relatifs aux activités financières et économiques [de l’entreprise] n’avaient pas encore été saisis pour expertise. »
Le 5 juin 2007, le tribunal de district de Buiucani prolongea à nouveau la détention provisoire du requérant de vingt jours, invoquant essentiellement les mêmes motifs que précédemment. Le requérant contesta cette décision, avançant lui aussi essentiellement les mêmes arguments que précédemment.
Le 11 juin 2007, la cour d’appel de Chişinău confirma la décision de la juridiction inférieure, estimant qu’elle était régulière. Elle releva que le requérant était accusé d’agissements particulièrement graves qui avaient selon l’accusation fait subir à B-G un préjudice de près de 9 millions de lei moldaves (MDL, soit environ 553 000 euros (EUR) à l’époque) et qui étaient passibles d’une peine de dix à vingt-cinq ans d’emprisonnement, que les accusations dont il faisait l’objet concernaient treize infractions différentes, et que l’enquête était toujours en cours. Elle estima que si le requérant était remis en liberté, il risquerait de s’enfuir ou d’influencer les témoins employés de B-G sur lesquels il avait de l’ascendant.
Le 26 juin 2007, le tribunal de district de Buiucani rejeta une nouvelle demande formée par le procureur aux fins de la prolongation de la détention provisoire du requérant et fit droit à la demande par laquelle l’intéressé avait sollicité la substitution à cette mesure d’une assignation à résidence. Il fixa à trente jours la durée de l’assignation à résidence. Il motiva ainsi sa décision :
« (...) le requérant est détenu depuis cinquante-cinq jours et il a participé à toutes les mesures d’enquête nécessaires ; (...) en vertu de l’article 5 § 3 de la Convention, l’accusé doit en principe être libéré dans l’attente de son procès ; (...) certains éléments de preuve, qui pouvaient être suffisants précédemment pour justifier [la détention] ou pour rendre inadaptées des mesures préventives autres que la détention provisoire, peuvent devenir moins convaincants au fil du temps ; (...) il appartient au procureur de prouver l’existence d’un risque de fuite, et la seule gravité de la peine encourue ne suffit pas à prouver l’existence de ce risque ; [autres considérations relatives aux problèmes médicaux du requérant, à son âge, à son absence d’antécédents pénaux, au fait qu’il résidait de manière permanente en Moldova et à sa situation de famille] ; en vertu de la jurisprudence de [la Cour européenne], la détention provisoire doit être une mesure exceptionnelle, être toujours objectivement motivée et refléter l’intérêt public ; le tribunal estime qu’il est improbable que [le requérant] prenne la fuite, influence des témoins ou détruise des preuves, et que l’enquête pénale pourra se poursuivre normalement s’il est assigné à résidence. »
Le tribunal fixa les conditions suivantes pour l’assignation à résidence du requérant : interdiction de quitter la maison, interdiction de téléphoner, interdiction de discuter de l’affaire avec qui que ce soit.
Le 29 juin 2007, la cour d’appel de Chişinău annula la décision du 26 juin 2007 et ordonna à nouveau le placement du requérant en détention provisoire pour une durée de vingt jours. Elle motiva ainsi sa décision :
« (...) la juridiction inférieure n’a pas tenu compte de la complexité de l’affaire et de la gravité de l’infraction dont [le requérant] est accusé ; la cour considère que s’il était assigné à résidence, [le requérant] pourrait communiquer avec ses complices, dont la liberté n’est pas entravée et qui, de plus, se trouvent être ses fils ; il pourrait s’enfuir en se rendant [dans l’entité autoproclamée et non reconnue appelée « République moldave de Transnistrie »], qui n’est pas sous le contrôle des autorités moldaves ; il pourrait influencer des témoins (ses anciens employés) pour leur faire modifier leurs déclarations ; il a reçu des visites de médecins et peut obtenir une assistance médicale en prison. »
Le 16 juillet 2007, le tribunal de district de Buiucani prolongea à nouveau la détention provisoire du requérant de vingt jours. Il répéta essentiellement les mêmes motifs que précédemment. Le requérant contesta cette décision, avançant lui aussi essentiellement les mêmes arguments que précédemment. Le tribunal rappela la thèse du procureur, qui avait notamment conclu que l’enquête était terminée et que le dossier était prêt à être présenté au requérant et à ses avocats pour qu’ils préparent la défense, et ajouta ceci :
« (...) la mesure préventive a été appliquée en raison de la gravité de l’infraction dont [le requérant] est accusé, de la nécessité de garantir le bon déroulement de la procédure pénale et de préserver l’ordre public, et de l’existence de raisons de penser qu’il pourrait exercer une influence négative sur le cours de la procédure ou s’enfuir. »
Citant ensuite l’article 186 § 3 du code de procédure pénale, le tribunal conclut que « les motifs invoqués par le procureur [étaient] applicables ».
Le 20 juillet 2007, la cour d’appel de Chişinău annula la décision de la juridiction inférieure et remplaça la détention provisoire par une assignation à résidence. Elle motiva ainsi sa décision :
« (...) le procureur n’a communiqué aucun élément de preuve confirmant qu’il serait toujours nécessaire de maintenir [le requérant] en détention, ni aucun élément supplémentaire confirmant le risque que l’intéressé exerce une influence sur des témoins qui ont déjà été entendus ; [le requérant] promet de se présenter devant les autorités d’enquête à chaque fois qu’elles le convoqueront ; et il n’y a pas d’information précise relative à un quelconque risque de fuite ».
L’assignation à résidence fut confirmée par le tribunal de district de Comrat le 14 septembre et le 14 décembre 2007. Le 12 mars 2008, ce même tribunal ordonna la libération conditionnelle du requérant au motif qu’il avait été détenu puis assigné à résidence pendant plus de dix mois sans jamais violer aucune des restrictions qui lui avaient été imposées.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale sont les suivantes.
Article 176
« (1) L’autorité de poursuite ou le tribunal peuvent appliquer des mesures préventives à condition qu’il existe des motifs suffisants et raisonnables de craindre que l’accusé (...) s’enfuie, qu’il fasse entrave à la manifestation de la vérité pendant la procédure pénale ou qu’il récidive ; le tribunal peut également appliquer pareilles mesures afin d’assurer l’exécution d’une peine.
(...)
(3) Pour apprécier la nécessité d’appliquer des mesures préventives, l’autorité de poursuite et le tribunal tiennent compte des critères supplémentaires suivants :
1) la nature et la gravité du préjudice causé par l’infraction,
2) la personnalité de l’accusé (...),
3) son âge et son état de santé,
4) sa situation professionnelle,
5) sa situation familiale et sa qualité éventuelle de soutien de famille,
6) sa situation économique,
7) l’existence d’un lieu de résidence fixe,
8) les autres circonstances essentielles. »
Article 186
« (...)
(6) S’il s’avère nécessaire de prolonger la détention provisoire d’un accusé, le procureur présente une demande de prolongation de la détention au juge d’instruction au plus tard cinq jours avant l’expiration de la période précédemment fixée. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1952 et réside à Vila Franca de Xira (Portugal).
Le 29 avril 1996, le requérant acquit de la société S. un appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble neuf. Au moment de la signature de l’acte de vente, la société S. produisit le permis de construire (licença de construção) de l’immeuble.
Dans ce même immeuble, depuis le 1er avril 1996, le requérant était déjà locataire de la société S. d’un espace commercial destiné à la vente de produits divers (activité exercée par la petite entreprise dont il était l’un des gérants).
L’activité commerciale ne fut pas rentable, le requérant chercha alors à changer l’usage de l’espace commercial afin d’y installer un restaurant. Il ne put néanmoins obtenir l’autorisation préalable en ce sens de la Mairie de Castelo Branco, dans la mesure où l’immeuble ne disposait pas du permis d’utilisation (licença de utilização) relatif à chaque lot.
Pour pouvoir faire face à ses problèmes financiers, en 2001, le requérant décida de vendre son appartement. Le 25 octobre 2001, il signa un compromis de vente. Il fut autorisé à rester dans l’appartement jusqu’à la signature de l’acte de vente. Par la suite, un contrat de location fut signé entre l’acheteur et le requérant.
Face à l’aggravation de ses problèmes financiers, le 31 décembre 2001, le requérant procéda à la dissolution et la liquidation de sa société. Il céda ensuite le fonds de commerce.
Le 3 décembre 2002, la Mairie de Castelo Branco délivra le permis d’utilisation relatif à l’appartement.
A. Action en responsabilité civile (affaire interne no 829/03.8)
Le 24 mars 2003, le requérant assigna la société S. et la Mairie de Castelo Branco devant le tribunal de Castelo Branco, demandant réparation du préjudice subi en raison de la délivrance tardive des permis d’utilisation. À l’appui de sa demande, le requérant invoquait le fait d’avoir été contraint de vendre l’appartement à un prix en dessous de sa valeur réelle et le fait de n’avoir pu changer la destination de l’espace commercial.
Les défenderesses présentèrent leurs mémoires en défense les 12 et 14 mai 2003.
Le 29 juin 2004, le tribunal prononça une décision préparatoire (despacho saneador) spécifiant les faits établis et ceux restant à établir.
Le 17 septembre 2004, le requérant demanda la réalisation d’une expertise afin de déterminer la valeur de l’appartement litigieux. Le rapport des experts fut présenté le 7 avril 2005.
Le 11 octobre 2005, l’avocat commis d’office du requérant demanda à être dessaisi de l’affaire au conseil du district (conselho distrital) de Coimbra de l’ordre des avocats (ci-après « CDCOA »). Le 28 octobre 2005, Me S. fut désigné pour le remplacer.
Le 3 octobre 2008, le tribunal tint son audience.
Par un jugement du 7 octobre 2008, le tribunal de Castelo Branco débouta le requérant de sa demande en faisant valoir que la délivrance de permis d’utilisation ne constituait pas un devoir des autorités administratives, les préjudices subis par le requérant ne pouvant être imputés, ni à la Mairie de Castelo Branco, ni à la société S.
Le 27 octobre 2008, le requérant informa le tribunal de Castelo Branco qu’il avait saisi les services de la sécurité sociale (segurança social) d’une demande en vue d’obtenir l’assistance judiciaire pour pouvoir faire appel du jugement du 7 octobre 2008.
Le 4 novembre 2008, les services de la sécurité sociale de Castelo Branco octroyèrent le bénéfice de l’assistance judiciaire au requérant. Le CDCOA désigna Me R. pour représenter le requérant dans la poursuite de la procédure civile.
Le 15 décembre 2008, cet avocat demanda à être dessaisi de l’affaire. Le 9 janvier 2009, Me M. fût nommé en substitution.
Ce dernier demanda également son dessaisissement. Le 17 février 2009, le CDCOA nomma à nouveau Me S., l’avocat qui avait déjà représenté le requérant en première instance dans le cadre de la procédure devant le tribunal de Castelo Branco.
Le 23 février 2009, le requérant demanda qu’il soit remplacé par un autre avocat. Par une ordonnance du 2 mars 2009, porté à la connaissance du requérant et du tribunal de Castelo Branco le 3 juin 2009, le conseil du district de Coimbra de l’ordre des avocats rejeta la demande. Dans son ordonnance, le CDCOA justifiait son rejet en invoquant le fait que l’affaire du requérant n’avait aucune chance raisonnable de succès, comme l’avait relevé l’avocat dernièrement désigné dans sa demande de dessaisissement de l’affaire. Il considéra qu’il n’y avait donc pas lieu de désigner un autre avocat au titre de l’assistance judiciaire.
B. Action en responsabilité extracontractuelle (affaire no 286/06.7)
En 2006 (date non précisée par le requérant), le requérant saisit le tribunal administratif et fiscal de Castelo Branco d’une action en responsabilité extracontractuelle contre le Ministère de l’aménagement et l’administration du territoire (Ministério do Equipamento, Planeamento e da Administração do Território) pour se plaindre des préjudices subis du fait de la délivrance tardive des permis d’utilisation par rapport à l’immeuble en cause.
Par un jugement du tribunal administratif et fiscal de Castelo Branco du 29 novembre 2007, le requérant fut débouté de sa demande, le tribunal ayant considéré qu’aucun acte illicite n’était à relever dans le cas d’espèce.
Le requérant fit appel du jugement devant le tribunal central administratif du Sud, lequel rendit un arrêt de rejet le 29 mai 2008. Le requérant se pourvut finalement devant la Cour suprême mais son recours ne fut pas admis (ordonnance du 15 octobre 2008).
C. Action en expulsion (affaire no1393/03)
En 2003, le requérant fut assigné devant le tribunal de Castelo Branco par le propriétaire de son appartement, lequel demandait son expulsion pour non-paiement des loyers.
Par un jugement du 23 mai 2004, le tribunal condamna le requérant au paiement de sommes dues au propriétaire de l’appartement et lui ordonna de quitter l’appartement.
Le 8 mai 2009, le requérant fut expulsé de l’appartement.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
L’assistance judiciaire (apoio judiciário) est régie depuis le 1er septembre 2004 par la loi no 34/2004 du 29 juillet 2004 (dans sa rédaction issue de la loi no 47/2007 du 28 août 2007), laquelle a transposé dans l’ordre juridique portugais la Directive no 2003/8/CE du Conseil de l’Union européenne.
La compétence pour accorder l’assistance judiciaire appartient aux services de la sécurité sociale (serviços da segurança social). Permettant aux personnes dont les ressources sont insuffisantes de faire valoir leurs droits en justice, l’assistance judiciaire au Portugal comprend notamment l’exemption du paiement des frais judiciaires, la désignation d’un avocat d’office et le paiement de ses honoraires (article 16). Dans l’hypothèse où l’assistance judiciaire est accordée dans cette dernière modalité, il appartient à l’ordre des avocats de désigner un avocat (article 30 et article 2 de l’arrêté no 10/2008 du 3 janvier 2008 dans sa rédaction issue des arrêtés nos 654/2010 et 319/2011 des 11 août 2010 et 30 décembre 2011).
S’agissant des possibilités de dessaisissement de l’avocat désigné au titre de l’assistance judiciaire, l’article 34 § 5 de la loi 34/2004 du 29 juillet 2004 dispose :
« Le dessaisissement (d’un avocat) ayant été accepté, la nomination et la désignation d’un nouvel avocat sont immédiatement ordonnées, sauf dans le cas où la demande de dessaisissement portait sur l’absence de fondement légal de la prétention. Dans cette hypothèse, la nomination d’un autre avocat aux mêmes fins peut être rejetée. »
Le Statut de l’ordre des avocats (Estatuto da Ordem dos Advogados) a été approuvé par la loi nº 15/2005 du 26 janvier 2005 (dans sa rédaction issue du décret-loi no 226/2008 du 20 novembre 2008 et de la loi 12/2010 du 25 janvier 2010). L’article 1er de cette loi définit l’ordre des avocats comme une association de droit public, régie par la loi, indépendante de l’Etat. Les voies de recours contre ses décisions sont prévues à l’article 6 de la loi no 15/2005, lequel dispose :
« 1. Les actes pratiqués par les organes de l’ordre des avocats, dans l’exercice de ses attributions sont passibles des recours hiérarchiques prévues dans le présent Statut.
Le délai d’interjection du recours est de quinze jours, si un autre délai n’est pas spécialement prévu dans la loi.
Les actes pratiqués par les organes de l’ordre des avocats peuvent également faire l’objet d’un recours contentieux devant les tribunaux administratifs, selon les termes généraux du droit. »
Selon l’article 9 de la loi no15/2005, les organes de l’ordre des avocats sont notamment :
« (...)
c) Le bâtonnier ;
(...)
h) Les conseils de districts (conselhos distritais) ;
i) Les présidents des conseils de districts ;
(...)
Au Portugal, l’ordre des avocats est organisé en sept districts : Lisbonne, Porto, Évora, Faro, Açores et Madère (article 2 de la loi). Il appartient aux conseils de districts et aux présidents des conseils de districts de décider des demandes de dessaisissement ou de dispense d’une représentation au titre de l’aide judiciaire (patrocínio judiciário), présentées par les avocats et avocats stagiaires du district respectif (article 50 alinéa 1 lettre q et article 51, alinéa 1, lettre n.). Les recours de ces décisions sont jugés par le bâtonnier (article 39, alinéa 1, lettre p). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant
Le requérant est né en 1958 et, lors de l’introduction de la requête, il résidait à Lavrio Attikis. Le 10 septembre 2009, le requérant, d’origine kurde alévie, entra en Grèce depuis la Turquie. Il affirme que des poursuites pénales étaient pendantes contre lui en raison de son activité politique dissidente en Turquie et qu’il possédait de ce fait des faux documents de voyage sur lesquels il apparaissait au nom de A.C. Le même jour le requérant fut appréhendé par les autorités de police du poste frontière de Thermi (Thessalonique).
Le 10 septembre 2009, il fut renvoyé devant le procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique, qui n’exerça pas de poursuites pénales afin de le renvoyer vers son pays d’origine. Le même jour, l’officier compétent de la police des étrangers de Thessalonique ordonna la mise en détention provisoire du requérant pour une période maximale de trois jours, jusqu’à la reddition de la décision de son expulsion (décision no 357435/2a).
Le 11 septembre 2009, le requérant fut interrogé par la police sur les raisons pour lesquelles il avait décidé d’entrer sur le territoire grec et sur les conditions sous lesquelles il y était parvenu. Le requérant allègue que pendant son interrogatoire une dame faisait office de traductrice, sans pour autant maîtriser le turc, ce qui aurait compliqué la communication avec les autorités. Il affirme aussi qu’il demanda l’asile politique mais que sa demande ne fut pas enregistrée par les autorités. Le requérant relève aussi que suite à son arrestation, il ne reçut aucune brochure informative sur ses droits et les recours possibles ni d’information sur les recours possibles pour contester la décision sur son expulsion.
Par une décision du 13 septembre 2009, le directeur de police de Thessalonique ordonna l’expulsion du requérant, au nom de A.C., et son maintien en détention pour une période de six mois ou douze mois dans le cas où il refuserait de collaborer avec les autorités ou si l’établissement des documents de voyage par son pays d’origine traînait en longueur (décision no 357435/2-γ). La décision constatait que le requérant n’avait pas déposé d’objections contre la décision d’expulsion dans un délai de quarante-huit heures. Elle réitérait qu’il risquait de fuir et ainsi compromettre l’exécution de l’ordonnance d’expulsion. Enfin, la décision no 357435/2-γ prévoyait que l’expulsion pouvait être suspendue au cas où le requérant introduirait un recours dans un délai de cinq jours.
Le 14 septembre 2009, le requérant fut transféré à la police des étrangers de Thessalonique où il déposa oralement, par le biais de son avocate et sous le nom de A.C., une demande d’asile.
Le 18 septembre 2009, il déposa, en vertu de l’article 77 de la loi no 3386/2005, un recours contre la décision d’expulsion. Le requérant affirmait qu’il était entré sur le territoire grec parce que sa vie était en danger en Turquie. Il relevait aussi que son nom réel était A.E. mais qu’à son arrestation il avait déclaré le faux nom d’A.C. au lieu de son nom réel, A.E., par crainte de son sort s’il était expulsé en Turquie où il faisait l’objet de poursuites en raison de son activité politique. Il affirmait aussi qu’il avait déjà introduit une demande d’asile politique. Le 21 septembre 2009, ledit recours fut rejeté par la décision no 357435/2-ζ/21.9.2009 du directeur de la police des étrangers de Thessalonique.
Le 8 octobre 2009, le requérant, sous le nom de « A.C. ou A.E. », saisit le tribunal administratif d’objections, en vertu de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005, contre son maintien en détention. Il se référa notamment à sa qualité de demandeur d’asile, fait qui aurait dû entraîner son élargissement. Le requérant invoquait aussi qu’en raison de son activité politique en Turquie son expulsion vers ce pays l’exposerait au risque de subir des tortures et/ou un traitement dégradant.
Le même jour les objections furent rejetées par le président du tribunal administratif. En particulier, il fut considéré que les conditions d’entrée du requérant sur le territoire grec ne permettaient pas de considérer qu’en cas d’élargissement il collaborerait avec les autorités en vue de la réalisation de son expulsion. Il fut aussi admis que sa mise en détention était légale et que sa demande d’asile serait examinée selon une procédure accélérée.
Le 19 janvier 2010, le requérant fut auditionné par le Comité administratif des réfugiés en vue de l’examen, en premier et dernier degré, de sa demande d’asile. Il soumit auprès du Comité des documents dont résulteraient son état de santé fragile, son activité politique dissidente en Turquie et le risque encouru en cas d’expulsion vers ce pays.
Le 4 février 2010, le directeur de la police des étrangers de Thessalonique, après avoir pris en compte l’avis daté du 19 janvier 2010 du Comité précité, considéra que le requérant ne remplissait pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié. La demande d’asile du requérant fut rejetée. En outre, après avoir pris en considération des risques encourus en cas de retour en Turquie, le directeur de la police des étrangers l’admit, en vertu de l’article 18 du décret présidentiel no 96/2008, au bénéfice de la protection internationale subsidiaire, vu son activité politique dissidente en Turquie, et lui accorda une carte de séjour temporaire. Le même jour le requérant fut remis en liberté.
B. Les conditions de détention dans les locaux de Thermi et à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique
La version du requérant
Le requérant fut détenu du 10 au 14 septembre 2009 dans les locaux de la police des frontières de Thermi. Du 14 septembre 2009 au 4 février 2010, il fut détenu à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Il allègue que les conditions de détention dans ces endroits étaient déplorables et rendaient impossible même une détention de courte durée. Il prétend qu’à Thermi, sa cellule ne disposait ni de toilettes ni d’eau potable et qu’il n’y avait pas de lumière naturelle. Il affirme que les autorités lui ont confisqué ses médicaments lors de sa mise en détention, malgré le fait qu’il souffrait d’insuffisance cardiaque et qu’en 2008 il avait subi un pontage aorto-coronarien. Le requérant allègue qu’en général son état de santé fragile n’a pas dûment été pris en compte par les autorités pendant sa détention.
En ce qui concerne les cellules de la police des étrangers de Thessalonique, le requérant allègue qu’elles étaient surpeuplées. Pendant la période de sa détention, il y avait vingt personnes qui occupaient sa cellule. L’éclairage, tant naturel qu’artificiel, était insuffisant. Les cellules n’avaient pas de lits. Il n’y avait aucune possibilité de se livrer à une activité physique à l’extérieur, ni de bénéficier d’une activité récréative à l’intérieur. Il recevait la somme de 5,80 euros par jour pour sa nourriture, ce qui était insuffisant pour se procurer trois repas. Enfin, il allègue que, malgré son état de santé, il partageait sa cellule avec des fumeurs et des toxicomanes, ce qui ne pouvait que l’affecter de manière négative.
La version du Gouvernement
D’après le Gouvernement, les locaux de la police des frontières de Thermi ont été construits en 2008 et ils sont d’une superficie de 40 mètres carrés. À l’époque où le requérant y fut détenu, il partageait sa cellule avec six autres personnes. Le Gouvernement relève que lesdits locaux correspondent de manière satisfaisante aux conditions de sécurité et d’hygiène prescrites par les textes nationaux et internationaux. Il note que les cellules sont suffisamment aérées et lumineuses, et qu’un nombre suffisant de lits, de toilettes, de douches et un poste de téléphone sont à la disposition des détenus. De plus, le Gouvernement affirme que le 11 septembre 2009, le requérant fut transféré à l’hôpital « Georgios Papanikolaou » où il fut constaté que dans le passé il avait subi une opération de pontage coronarien. Néanmoins, il ne fut pas considéré qu’il souffrait d’un problème cardiaque aigu. Pour cette raison, des médicaments lui ont été administrés avant son retour au centre de détention.
Par ailleurs, en ce qui concerne les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, le Gouvernement argue que ceux-ci comprennent dix cellules, chacune d’une superficie de 59 m2 environ, d’une capacité totale de quatre-vingt-dix détenus. Chaque cellule dispose de deux toilettes et de douches offrant de l’eau chaude, auxquels les détenus pouvaient avoir accès pendant toute la journée. Les locaux étaient régulièrement aérés et restaient suffisamment lumineux. L’alimentation des détenus était de bonne qualité et ceux-ci avaient le droit de recevoir des visites trois fois par semaine.
II. LE DROIT INTERNE ET LA PRATIQUE INTERNATIONALE PERTINENTS
A. Le droit national
La Cour se réfère à ce sujet notamment aux paragraphes 55-66 de l’arrêt Ahmade c. Grèce (no 50520/09, 25 septembre 2012).
En outre, les articles pertinents en l’espèce de la loi no 3386/2005 relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion des ressortissants de pays tiers dans le territoire grec, tels qu’ils étaient en vigueur à l’époque des faits, disposaient :
Article 2
« 1. Les dispositions de cette loi ne s’appliquent pas
(...)
c) aux réfugiés et aux personnes qui ont déposé une demande visant à la reconnaissance de leur statut de réfugié, au sens de la Convention de Genève de 1951 (...) »
Article 76
« 1. L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :
(...)
c) sa présence sur le territoire grec représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité du pays.
L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de la police et (...) après que l’étranger a bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.
Lorsque l’étranger est considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...). L’étranger détenu peut (...) former des objections devant le président (...) du tribunal administratif à l’encontre de la décision ordonnant la détention (...)
Lorsque l’étranger sous écrou en vue de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public ou lorsque le président du tribunal administratif s’oppose à la détention de l’intéressé, il est fixé à celui-ci un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours.
La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 de cet article peut être annulée à la requête des parties si la demande est fondée sur des faits nouveaux (...) »
Article 77
« L’étranger a le droit d’exercer un recours contre la décision d’expulsion auprès du ministre de l’Ordre public dans un délai de cinq jours à compter de sa notification (...) La décision est rendue dans un délai de trois jours ouvrables à compter de l’introduction du recours. L’exercice du recours entraîne la suspension de l’exécution de la décision. Dans le cas où la détention est ordonnée en même temps que la décision d’expulsion, la suspension concerne seulement l’expulsion. »
Article 78
« Si l’expulsion immédiate de l’étranger n’est pas possible pour des motifs de force majeure, le ministre de l’Ordre public (...) peut décider de suspendre l’exécution de la décision d’expulsion. Par une autre décision, il impose à l’étranger des mesures restrictives. »
L’article 55 de la loi no 3900/2010, entrée en vigueur le 1er janvier 2011, a amendé l’article 76 de la loi no 3386/2005. Cette disposition se lit désormais ainsi :
Article 76
« 1. L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :
(...)
c) sa présence sur le territoire grec représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité du pays.
(...)
L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de la police et (...) après que l’étranger a bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.
Lorsque l’étranger est considéré, en raison des circonstances, comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, lorsqu’il fait obstacle à ou empêche la préparation de son éloignement, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...) Lorsque la décision d’expulsion est adoptée, la détention est maintenue jusqu’à l’exécution de l’expulsion mais elle ne peut en aucun cas dépasser six mois. Dans le cas où l’expulsion est repoussée parce que l’intéressé refuse de coopérer ou que les documents nécessaires à l’exécution de la mesure, devant être établis dans le pays d’origine ou le pays de transit, n’ont pas été réceptionnés, la détention peut être prolongée pour une durée maximum de douze mois (...) »
Lorsque l’étranger sous écrou en vue de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, ou lorsque le président du tribunal administratif s’oppose à sa détention, il est fixé à l’intéressé un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours (...)
La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 du présent article peut être annulée à la requête des parties, si leur demande est fondée sur des faits nouveaux (...) »
En outre, à l’époque des faits, était applicable l’article 13 du décret présidentiel no 90/2008, ayant incorporé dans l’ordre juridique grec la directive du Conseil 2005/85/EC du 1er décembre 2005 (sur les normes minimales au sujet des procédures suivant lesquelles les États membres accordent et retirent le statut de réfugié). Ledit article prévoyait :
« 1. Aucun ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui demande à bénéficier du statut de réfugié ne peut être détenu pour le seul motif qu’il est entré et qu’il séjourne clandestinement dans le pays. La personne qui a déposé une demande d’asile alors qu’elle est détenue et à l’encontre de laquelle une procédure d’expulsion est pendante restera en détention et sa demande sera examinée en priorité absolue. Elle ne peut pas être expulsée tant que la procédure administrative d’asile n’est pas achevée.
(...)
Les demandeurs d’asile détenus (...) ont le droit de former un recours et de formuler des objections en vertu de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005. »
L’article 13 du décret présidentiel no 114/2010 (statut du réfugié : procédure unique applicable aux étrangers et apatrides), entré en vigueur le 22 novembre 2010, a remplacé l’article 13 du décret présidentiel no 90/2008. Cette nouvelle disposition stipule :
« 1. Aucun ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui demande la protection internationale ne peut être détenu pour le seul motif qu’il est entré et qu’il séjourne clandestinement dans le pays. La personne qui, lors de sa détention, dépose une demande de protection internationale reste en détention si les conditions du paragraphe 2 sont réunies.
La détention de demandeurs dans un espace approprié est permise de manière exceptionnelle et lorsque des mesures alternatives ne peuvent pas être appliquées pour l’une des raisons suivantes :
a) le demandeur ne dispose pas de documents de voyage ou les a détruits et il est nécessaire de vérifier son identité, les circonstances de son entrée dans le pays et les données réelles concernant sa provenance, et ce notamment dans le cas d’arrivée massive d’étrangers clandestins ;
b) le demandeur représente une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public pour les motifs qui sont spécifiquement détaillés dans la décision de détention ;
c) la détention est jugée nécessaire pour un examen rapide et efficace de la demande.
La décision ordonnant la détention des demandeurs de protection internationale est prise par le directeur de la police compétent et, s’agissant des directions générales de la police d’Attique et de Thessalonique, par le directeur de la police compétent pour les étrangers. La décision doit comporter une motivation complète et détaillée.
La détention est imposée pour la durée strictement nécessaire et ne peut en aucun cas dépasser quatre-vingt-dix jours. Si le demandeur a été détenu auparavant en vue de son expulsion administrative, la durée totale de sa détention ne pourra pas dépasser cent quatre-vingts jours.
Les demandeurs détenus conformément aux paragraphes précédents ont le droit (...) de formuler des objections prévues au paragraphe 3 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 modifiée.
Si des demandeurs sont en détention, les autorités (...) s’engagent à :
a) veiller à ce que les femmes soient détenues dans un espace séparé de celui des hommes ;
b) éviter la détention de mineurs. Les mineurs qui ont été séparés de leur famille ou qui ne sont pas accompagnés ne sont détenus que pour la période nécessaire à leur transfert sécurisé dans des structures appropriées pour l’hébergement de mineurs ;
c) éviter la détention de femmes enceintes dont la grossesse est à un stade avancé et de femmes qui viennent d’accoucher ;
d) offrir aux détenus les soins médicaux appropriés ;
e) garantir le droit des détenus à une assistance juridique ;
g) veiller à ce que les détenus soient informés des motifs et de la durée de leur détention. »
B. Les textes provenant des instances internationales
En ce qui concerne la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique
a) Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) suite à sa visite du 23 au 29 septembre 2008 aux postes de police et centres de détention pour étrangers
Le CPT visita, entre autres, les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Dans son rapport du 30 juin 2009, il nota l’absence de lits dans les cellules et le fait que les personnes détenues dormaient sur des matelas mis par terre. De plus, le rapport releva l’absence d’espace pour se promener et faire de l’exercice physique et souligna que chacun des détenus avait droit à 5,87 euros par jour pour commander des repas qui leur étaient livrés de l’extérieur. Sur ce point, le CPT fit état des griefs provenant des personnes détenues alléguant qu’avec cette somme elles ne pouvaient pas acheter plus que deux sandwichs par jour. Le CPT recommanda aux autorités nationales de faire en sorte que toutes les personnes détenues dans des locaux destinés à accueillir des étrangers en attente de leur expulsion soient servies d’un plat cuisiné (de préférence chaud), au moins une fois par jour.
b) Les constats du CPT suite à sa suite de sa visite du 17 au 29 septembre 2009 aux postes de police et centres de détention pour étrangers
Dans son rapport du 17 novembre 2010, le CPT relevait que les arrangements concernant la nourriture des détenus restaient inadéquats. L’allocation journalière de 5,87 euros ne permettait d’acheter que quelques sandwiches et une bouteille d’eau, ce qui était suffisant pour des prévenus en détention de courte durée, mais insuffisant pour des personnes détenues pour une longue durée.
c) Le rapport d’Amnesty International de 2010
Dans son rapport publié en juillet 2010 et intitulé « Des migrants irréguliers et des demandeurs d’asile systématiquement détenus dans des conditions inadéquates », l’Amnesty International faisait état du surpeuplement, du manque de lits et de l’impossibilité de faire de l’exercice physique à la direction de la police des étrangers à Thessalonique. Le rapport comprend aussi des entretiens avec des étrangers détenus à Thessalonique en 2009 et au début de 2010. Selon leurs dires, il y aurait entre vingt-cinq et trente personnes par cellule, sans possibilité d’activités récréatives et avec une qualité insuffisante de repas (page 37 du rapport).
d) La déclaration publique du CPT
Dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, faite en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, le CPT relevait notamment ce qui suit :
« (...)
Les rapports relatifs aux visites de 2005, 2007, 2008 et 2009 brossent tous un tableau similaire des très mauvaises conditions dans lesquelles les étrangers en situation irrégulière étaient retenus dans les commissariats de police et dans d’autres locaux inadaptés, souvent des entrepôts désaffectés, pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois, voire pour des périodes encore plus longues, sans aucune possibilité de faire de l’exercice en plein air ni de s’adonner à des activités et sans bénéficier de soins de santé adéquats. Les recommandations visant à améliorer la situation ont continué cependant d’être ignorées. Bien que des étrangers en situation irrégulière soient arrivés en Grèce en nombres importants par ses frontières terrestres et maritimes orientales pendant plusieurs années, aucune mesure n’a été prise afin d’adopter une approche coordonnée et acceptable concernant leur rétention et leur prise en charge.
(...)
Les autorités grecques ont continué de répéter que des mesures étaient en cours pour améliorer la situation. Ainsi, dans une lettre en date du 23 novembre 2009, elles ont informé le CPT qu’elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police et postes de surveillance des gardes-frontière et qu’à l’avenir, ces personnes seraient placées dans des centres de rétention spécifiquement conçus à cet effet. (...)
Malheureusement, les constatations faites pendant la récente visite du CPT en Grèce, en janvier 2011, ont montré que les informations fournies par les autorités n’étaient pas fiables. Les commissariats de police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. (...) »
En ce qui concerne la police des frontières de Thermi
Dans son rapport publié le 30 juin 2009, suite à sa visite en Grèce en septembre 2008, le CPT constatait que les locaux de la police des frontières de Thermi offraient des bonnes conditions de détention, mis à part l’absence d’une cour extérieure permettant l’exercice physique (paragraphe 28 du rapport). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 | 0 |
A. Le contexte des affaires
Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers.
Les présentes requêtes portent sur des procédures engagées par les requérants, en vue d’obtenir le réajustement et l’augmentation du montant de leurs pensions conformément aux dispositions de ces lois.
B. Les procédures en cause
Le 19 mai 2005, les requérants ou leurs devanciers saisirent séparément la Comptabilité générale de l’État de demandes tendant à obtenir le réajustement du montant de leurs retraites.
Le 13 septembre 2005, suite au rejet tacite de leurs demandes, ils formèrent des oppositions devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
Considérant que leurs demandes avaient été tacitement rejetées après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, les requérants saisirent, le 3 février 2006, la Cour des comptes de recours contre le rejet de leurs demandes.
Le 21 août 2006, le devancier des requérants de la requête no 34950/13 décéda. Le 21 février 2007, ces derniers lui succédèrent dans la procédure.
Le 27 novembre 2012, la Cour des comptes donna gain de cause aux requérants (arrêts nos 3242/2012, 3247/2012, 3238/2012, 3241/2012, 3231/2012, 3230/2012, 3248/2012, 3229/2012, 3237/2012, 3234/2012 et 3232/2012).
Ces arrêts furent notifiés aux requérants comme suit :
- Le 18 décembre 2012 (requête no 33983/13) ;
- Le 27 décembre 2012 (requête no 33989/13) ;
- Le 21 décembre 2012 (requêtes nos 33994/13 et 35784/13) ;
- Le 10 décembre 2012 (requête no 34000/13) ;
- Le 13 décembre 2012 (requête no 34005/13) ;
- Le 20 décembre 2012 (requête no 34950/13) ;
- Le 12 décembre 2012 (requêtes nos 35169/13, 35174/13 et 36097/13) ;
- Le 21 janvier 2013 (requête no 35843/13).
C. Le droit interne pertinent
La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose:
« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...). ». | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La durée de la détention des requérants
Le requérant figurant en annexe sous le numéro 1 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 10) du 8 juillet 2005 au 18 janvier 2010. À cette dernière date, il fut transféré, à sa demande, à la prison de Larissa. Le 1er février 2010, il fut remis en liberté.
Le requérant figurant sous le numéro 2 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 38) du 22 février 2009 au 31 mai 2012, date à laquelle il fut transféré à la prison de Tirynthe.
Le requérant figurant sous le numéro 3 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 38) du 28 janvier 2009 au 21 mai 2010, date à laquelle il fut transféré à la prison d’Agia, à La Canée, où il est resté jusqu’au 4 juillet 2011.
Le requérant no 4 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 37) du 1er juillet 2009 au 28 août 2013, date à laquelle il fut transféré à la prison d’Agia.
Le requérant no 5 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 37) du 1er juillet 2009 au 18 janvier 2010, date à laquelle il fut remis en liberté.
Le requérant no 6 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 3) du 24 mai 2006 au 23 novembre 2010, date à laquelle il fut transféré à la prison d’Agia.
Le requérant no 7 fut détenu dans un hangar, aménagé en cellule, de la prison d’Alikarnassos du 7 décembre 2005 au 14 juin 2012, date à laquelle il fut remis en liberté.
Le requérant no 8 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 26) du 3 octobre 2007 au 31 octobre 2012. À cette dernière date, il ne retourna pas à la prison au terme d’une permission de sortie qui lui avait été accordée.
Le requérant no 9 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 27) du 31 octobre 2007 au 17 février 2012, date à laquelle il fut remis en liberté.
Le requérant no 10 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 35) du 3 octobre 2007 au 24 mai 2010, date à laquelle il fut transféré à la prison de Trikala.
Le requérant no 11 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 37) du 10 octobre 2007 au 25 octobre 2010, date à laquelle il fut transféré à la prison de Malandrino.
Le requérant no 12 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 36) du 3 septembre 2008 au 21 mai 2010, date à laquelle il fut transféré à la prison d’Agia. Le 27 juillet 2010, il retourna à la prison d’Alikarnassos où il fut détenu jusqu’au 7 novembre 2011, date à laquelle il fut remis en liberté.
Le requérant no 13 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 59) du 16 juin 2009 au 4 avril 2011, date à laquelle il fut transféré à la prison de Larissa.
Le requérant no 14 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 59) du 4 mai 2003 au 22 mars 2004 et du 17 septembre 2008 au 16 février 2010, date à laquelle il fut transféré à la prison de Patras.
Le requérant no 15 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 35) du 4 mai 2008 au 26 juillet 2010, date à laquelle il fut transféré à la prison de Kassaveteia.
Le requérant no 16 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 10) du 8 octobre 2008 au 28 mars 2011, date à laquelle il fut transféré à la prison de Kassandra.
Le requérant no 17 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 69) du 29 mars 2007 au 13 janvier 2010, date à laquelle il fut transféré à la prison de Larissa.
Le requérant no 18 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 36) du 17 septembre 2008 au 19 mai 2010, date à laquelle il fut remis en liberté sous condition.
Le requérant no 19 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 69) du 4 mai 2008 au 21 décembre 2010, date à laquelle il fut remis en liberté sous condition.
Le requérant no 20 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 98) du 31 octobre 2008 au 28 mars 2011, date à laquelle il fut transféré à la prison de Malandrino.
Le requérant no 21 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 39) du 3 octobre 2008 au 16 mars 2011, date à laquelle il fut remis en liberté sous condition.
Le requérant no 22 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 36) du 9 octobre 2009 au 17 juillet 2012, date à laquelle il fut remis en liberté.
Le requérant no 23 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 38) du 1er juillet 2009 au 22 mars 2010, date à laquelle il ne retourna pas à la prison au terme d’une permission de sortie.
Le requérant no 24 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 83) du 9 octobre 2009 au 25 janvier 2013, date à laquelle il fut transféré à la prison d’Agia.
Le requérant no 25 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 98) du 1er octobre 2009 au 20 août 2013, date à laquelle il fut remis en liberté.
Le requérant no 26 fut détenu à la prison d’Alikarnassos (cellule no 26) du 9 avril 2008 au 2 février 2010, date à laquelle il fut remis en liberté.
B. Les conditions de détention des requérants
La version des requérants
Les requérants allèguent qu’ils sont ou ont été détenus à la prison d’Alikarnassos. Ils précisent qu’ils ont tous inclus dans le dossier de l’affaire des attestations confirmant leur détention à Alikarnassos et ils indiquent les numéros des cellules dans lesquelles ils étaient détenus. Ils ajoutent que leurs allégations quant aux conditions de leur détention à Alikarnassos sont spécifiques et qu’elles concernent leur situation individuelle au sein de cette prison. Ils déclarent que celle-ci a une capacité de 105 détenus et que, en octobre et en décembre 2011, elle en hébergeait respectivement 287 et 400. Ils se réfèrent à des déclarations faites par le représentant du personnel pénitentiaire de la prison d’Alikarnassos selon lesquelles, en janvier 2012, cette prison aurait excédé sa capacité d’hébergement de 300 %. Ils se plaignent notamment du problème de surpopulation. Ils affirment à cet égard que les cellules ont une superficie de 10 m2, qui se réduirait à 8 m2 lorsqu’on en déduirait l’espace occupé par les toilettes. Ils ajoutent qu’ils étaient pour la plupart confinés à trois ou quatre dans la même cellule quatorze heures par jour, et que le nombre des détenus fluctue en fonction des arrivées et des transferts, à leurs dires nombreux en raison de l’augmentation de la criminalité.
Les requérants précisent encore que les lits étaient serrés l’un à côté de l’autre et que les détenus étaient obligés d’y prendre leurs repas. Par ailleurs, selon eux, les cellules n’étaient pas suffisamment chauffées en hiver et plusieurs des détenus souffraient de maladies graves qui, en raison de la promiscuité, auraient risqué d’affecter ceux qui étaient encore en bonne santé. L’aération insuffisante des cellules aurait constitué un facteur aggravant de cette situation.
Le 4 juin 2010, les requérants, hormis celui indiqué sous le numéro 26, ainsi que d’autres détenus saisirent le médiateur de la République. Ils se plaignaient des conditions de leur détention dans la prison d’Alikarnassos.
Le 21 novembre 2010, les requérants, excepté celui indiqué sous le numéro 26, saisirent le procureur près le tribunal correctionnel de Héraklion d’une plainte contre les conditions – déplorables selon eux – de leur détention. En particulier, ils alléguaient qu’à la prison d’Alikarnassos il n’était fait aucune distinction entre les détenus purgeant des peines de réclusion et ceux purgeant des peines d’emprisonnement. De plus, ils soutenaient que l’article 21 § 4 du code pénitentiaire, énonçant que chaque détenu devait disposer en cellule d’un espace personnel minimum de 6 m2, n’était pas respecté. Ils faisaient aussi référence au risque de propagation de maladies contagieuses au sein de la prison, notamment lié à la promiscuité.
La version du Gouvernement
Le Gouvernement présente la prison d’Alikarnassos comme suit.
Il s’agit d’une prison de type B, c’est-à-dire d’une prison où sont détenues des personnes purgeant des peines de réclusion. Elle dispose de 105 cellules sur trois étages. Chaque cellule a une superficie de 10 m2. Les cellules sont suffisamment aérées et ensoleillées. De plus, chaque quartier au sein de la prison dispose de salles de bain et de toilettes communes qui auraient été rénovées. Les cellules sont équipées de toilettes séparées du reste de la pièce et d’un lavabo. Le bâtiment a été construit en 1952 et des travaux d’entretien sont constamment réalisés. Sa situation géographique – à proximité de la mer – et le climat agréable de la région ne favorisent pas pour la population des détenus la survenance de maladies infectieuses.
La prison abrite également une infirmerie et un cabinet dentaire. Tous les détenus sont soumis à des examens hématologiques et les prises de sang ont lieu dans l’infirmerie sur décision du médecin. Un espace entièrement équipé et rénové est prévu pour la préparation des repas. La restauration des détenus se compose d’un petit déjeuner, d’un déjeuner et d’un dîner. La préparation des repas est faite par les détenus sous la supervision du personnel chargé de veiller à la qualité des repas. Les aliments utilisés pour la préparation des repas sont soigneusement sélectionnés et répartis en tenant compte de leur valeur nutritionnelle et suivant les principes de l’alimentation méditerranéenne.
En outre, la bibliothèque de la prison comprend plus de cinq mille titres et tous les détenus y ont librement accès. Les autorités pénitentiaires organisent, en coopération avec le service de la formation permanente, des événements culturels au sein de la prison. Plusieurs postes de travail sont prévus pour les détenus et les requérants travaillaient pendant leur détention. Des produits d’hygiène et des vêtements sont fournis aux détenus par l’assistance sociale de la prison.
Enfin, les portes des cellules s’ouvrent à 7 h 30 et à 8 h 30 ; les détenus en sortent pour faire de l’exercice physique dans les cours de la prison ou participer à des programmes de formation. La cour principale de la prison est fermée à 11 h 45 et est de nouveau accessible à 15 heures. Elle est fermée pour la nuit une demi-heure avant le coucher du soleil.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le droit interne pertinent
Les articles pertinents en l’espèce de la Constitution sont ainsi libellés :
Article 2 § 1
« Le respect et la protection de la valeur de la personne humaine constituent l’obligation primordiale de l’État. »
Article 7 § 2
« Toutes tortures, tous sévices corporels, toute atteinte à la santé ou pression psychologique, ainsi que toute autre atteinte à la dignité humaine sont interdits et punis conformément aux dispositions de la loi. »
L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :
« L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, excepté si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
L’article 57 du code civil dispose :
« Celui qui est atteint d’une manière illicite dans sa personnalité a le droit d’exiger la suppression de l’atteinte et l’abstention de toute atteinte à l’avenir. En cas d’atteinte à la personnalité d’une personne décédée, ce droit appartient aux conjoints, descendants, ascendants, frères et sœurs et héritiers testamentaires du défunt.
En outre, la prétention à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n’est pas exclue. »
Les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénitentiaire (loi no 2776/1999) se lisent ainsi :
Article 6
« 1. Les détenus ont le droit de s’adresser par écrit et dans un délai raisonnable au conseil de la prison, en cas d’acte ou d’ordre illégal à leur encontre et si les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. Dans les quinze jours suivant la notification d’une décision de rejet ou un mois après le dépôt de la demande, si l’administration a omis de prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal compétent de l’exécution des peines. Si le tribunal fait droit au recours, il ordonne les mesures susceptibles de pallier l’acte ou l’ordre illégal (...).
Article 21 (espace de détention)
« 1. Chaque maison d’arrêt (...) est divisée en plusieurs secteurs, sans possibilité de communication entre les détenus qui y sont placés. Ces secteurs comportent des cellules et, de manière exceptionnelle, des dortoirs pouvant accueillir de préférence six personnes au maximum.
(...)
Dans les dortoirs, chaque détenu doit pouvoir disposer d’une superficie d’au moins 6 mètres carrés ; les dortoirs doivent être équipés de lits, d’armoires et de tables de dimension suffisante, ainsi que d’un nombre égal de chaises.
Les cellules individuelles et les dortoirs disposent de leurs propres installations destinées au chauffage et à l’hygiène (lavabos, toilettes). Chacune des installations destinées à l’hygiène ne peut servir à plus de trois détenus. La présence d’une douche dans les cellules et dans les dortoirs n’est pas nécessaire s’il y a un nombre suffisant d’installations communes, avec eau froide et eau chaude, permettant de pourvoir à l’hygiène corporelle de chaque détenu.
(...) »
Article 25 (hygiène et propreté)
« 1. La direction [de chaque maison d’arrêt] assure les conditions d’hygiène et de propreté dans la prison, garantit le bon fonctionnement des installations et fournit les produits nécessaires à l’hygiène corporelle des détenus.
(...) »
Article 32 (alimentation)
« 1. L’État est tenu de fournir une alimentation adéquate aux détenus (...) »
B. La jurisprudence pertinente
Par deux arrêts nos 2893/2008 et 1215/2010, le Conseil d’État a admis qu’une personne détenue pour cause de dette envers un tiers et placée, en violation de l’article 1050 § 2 du code de procédure civile, dans la même cellule que des personnes condamnées pour des infractions pénales avait subi un dommage moral et qu’elle avait à ce titre, en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil et de l’article 57 du code civil, droit à une indemnité. Il a indiqué que la déclaration de la nullité de la détention de l’intéressé et sa remise en liberté ne constituaient pas une cause de disparition du dommage moral subi pendant sa détention. Il a en outre précisé que le manque de lieux de détention appropriés à la détention des personnes condamnées pour dette envers des tiers ne pouvait justifier une exonération partielle ou totale de la responsabilité de l’État. Il a également jugé que, aux fins de déterminer le montant de l’indemnité à octroyer à l’intéressé, il fallait tenir compte des conditions de détention de ce dernier. Il a cependant ajouté que l’appréciation desdites conditions ne pouvait conduire à exclure tout préjudice moral, étant donné que celui-ci naissait de la seule illégalité de la privation de liberté de l’intéressé, et ce indépendamment de l’appréciation en question. Dans les deux arrêts susmentionnés, la haute juridiction a ainsi considéré que les intéressés avaient été, du fait de leur détention avec des personnes condamnées pour des infractions pénales, exposés à des invectives, insultes, atteintes à leur intégrité physique et autres violences, ces divers agissements visant surtout, dans de tels lieux de détention, les personnes considérées comme n’ayant pas commis d’infraction pénale.
Par un arrêt no 1396/2008, la cour administrative d’appel d’Athènes a accordé des sommes comprises entre 40 000 et 50 000 euros (EUR) aux proches d’un détenu décédé en prison à la suite de l’ingestion de cyanure, substance qui avait été mise dans son repas. Elle a fondé sa décision sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, sur l’article 65 (relatif aux mesures d’ordre et de sécurité) du code pénitentiaire ainsi que sur la loi no 58819/2003 portant règlement du fonctionnement des établissements pénitentiaires.
S’agissant des tribunaux administratifs, celui de Nauplie, dans un arrêt no 7/2009, et celui d’Athènes, dans un arrêt no 1881/2011, ont également accordé des sommes comprises entre 30 000 et 180 000 EUR à des proches de détenus décédés à la suite de l’utilisation de stupéfiants introduits frauduleusement en prison. Ces juridictions ont fondé leurs décisions sur l’article 105 précité, sur l’article 102 (relatif aux obligations des directeurs des établissements pénitentiaires en matière de sécurité des détenus) de la loi no 1851/1989 (code des règles fondamentales relatives au traitement des détenus) et sur l’article 2 de la Convention.
C. Les rapports du médiateur de la République et la question écrite de quatre députés sur la prison d’Alikarnassos
Les rapports du médiateur de la République
Le médiateur de la République a effectué des visites à la prison d’Alikarnassos en 2010 et en 2011. La première visite a eu lieu le 30 juin 2010, après qu’il avait été saisi par vingt-huit détenus de cette prison. Dans son rapport, le médiateur relevait entre autres que, le jour de la visite, 264 personnes étaient détenues dans cette prison d’une capacité d’hébergement de 105 personnes. Il notait également que la surpopulation était le problème majeur de la prison d’Alikarnassos. Il constatait que les détenus étaient « entassés » dans les cellules en raison du manque d’espace et que l’atmosphère y était suffocante parce qu’il n’y aurait pratiquement pas eu d’espace entre les lits.
Selon le rapport, un certain nombre de détenus se sont plaints de la qualité et de la quantité insuffisantes des repas, et de l’absence de réfectoire qui aurait contraint les détenus à prendre leurs repas assis sur leur lit.
Toujours selon le rapport, le ratio entre le nombre total des détenus et le nombre de détenus affectés à un poste de travail était relativement satisfaisant. En revanche, l’état général des lieux ne l’était pas, notamment en raison de la vétusté de l’infrastructure : portes usées, odeurs fétides, lits rouillés et dépourvus de matelas, vitres brisées. Enfin, en raison de l’absence d’infrastructures sportives, les détenus n’auraient eu aucune possibilité de pratiquer des exercices physiques.
Le 6 octobre 2011, le médiateur a effectué une seconde visite à la prison d’Alikarnassos. Il constatait dans son rapport une augmentation de la population carcérale de 264 à 287 détenus par rapport à 2010 et l’absence de toute amélioration quant aux infrastructures de la prison. Par ailleurs, il présumait une amélioration de la qualité de l’alimentation du fait qu’il n’avait pas reçu de nouvelles plaintes à ce sujet et constatait l’absence de mesures visant à l’aménagement de la cour de la prison.
La question écrite des députés
Le 13 décembre 2011, quatre députés au Parlement national ont posé une question écrite aux ministres de la Justice, de l’Intérieur et de la Santé. Ils s’y référaient aux conditions de détention dans la prison d’Alikarnassos. Ils alléguaient que, selon des articles parus dans la presse, 400 personnes étaient détenues à la prison d’Alikarnassos dans des conditions inhumaines. Ils affirmaient que chaque cellule de la prison hébergeait quatre personnes et que le personnel avait entrepris des démarches afin que les autorités compétentes se penchent sur le problème de la surpopulation au sein de cette prison. La réponse des ministres compétents ne figure pas au dossier. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Le requérant est né en 1977. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de Tekirdağ.
Le 16 avril 2003, le requérant, soupçonné d’être membre de l’organisation illégale MLKP (Parti communiste marxiste-léniniste), fut arrêté à Zeytinburnu et placé en garde à vue.
Le 20 avril 2003, il fut traduit devant un juge de la cour de sûreté de l’État d’Istanbul, qui ordonna sa mise en détention provisoire, au motif de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée et de l’existence de forts soupçons à l’encontre de l’intéressé.
Le 23 juillet 2003, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État inculpa le requérant et plusieurs autres personnes pour tentative de renversement du régime constitutionnel.
Après l’abolition des cours de sûreté de l’État, le procès se poursuivit devant la cour d’assises.
À l’issue des audiences tenues devant elle, la cour d’assises rejeta les demandes d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention provisoire, eu égard à la nature et à la qualification de l’infraction reprochée, à l’état des preuves, à la peine encourue, à l’existence de forts soupçons à l’encontre de l’intéressé et parce qu’il s’agissait d’une infraction prévue à l’article 100 § 3 de la loi sur la procédure pénale.
Tout au long de la procédure et à intervalles réguliers, la cour d’assises examina également d’office la détention.
Le 25 juillet 2007, le requérant forma opposition contre la décision de maintien en détention provisoire rendue à l’issue de l’audience du 18 juillet 2007. Le 9 août 2007, la cour d’assises rejeta l’opposition.
À l’issue des audiences tenues les 5 décembre 2007, 1er avril 2009 et 8 novembre 2010 en présence du requérant et de son avocat, la cour d’assises rejeta les demandes d’élargissement et décida le maintien en détention provisoire de l’intéressé. Les 10 janvier 2008, 17 avril 2009 et 27 décembre 2010 respectivement, la cour d’assises rejeta les oppositions formées contre les décisions de maintien en détention. À chaque fois, elle statua sur les demandes d’opposition sans tenir d’audience et après avoir demandé l’avis écrit du procureur de la République, qui ne fut pas communiqué au requérant ou à son avocat.
Le 25 février 2011, la cour d’assises ordonna la mise en liberté du requérant.
Le 4 mai 2011, la cour d’assises reconnut le requérant coupable d’aide et assistance à une organisation illégale.
Le 25 septembre 2012, la Cour de cassation infirma cette décision pour erreur dans la qualification juridique des faits et renvoya le dossier devant la cour d’assises.
Le 2 janvier 2013, la cour d’assises ordonna la mise en détention provisoire du requérant.
Le 22 juillet 2014, la procédure était toujours pendante devant la cour d’assises et le requérant n’avait toujours pas été arrêté. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1959 et réside à Istanbul.
A. La procédure pénale engagée contre le requérant
Le 4 septembre 2005, un groupe de personnes se réunit à Istanbul pour dénoncer, par le biais d’une manifestation, certains aspects des conditions de détention d’Abdullah Öcalan – le fondateur et le premier responsable du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, une organisation illégale armée) – au sein de la prison d’Imralı.
Il ressort des documents contenus dans le dossier que la police a demandé plusieurs fois aux manifestants de se disperser, que ces derniers ont persisté dans leur volonté de continuer à manifester et se sont mis à scander des slogans en faveur de M. Öcalan et que, par la suite, la police est intervenue de manière musclée et a dispersé le groupe.
Le jour même de la manifestation, le requérant, soupçonné d’aide et de soutien au PKK, fut arrêté et placé en garde à vue par les forces de sécurité d’Istanbul. Le procès-verbal dressé à cette occasion précisait que la police avait retrouvé dans un sachet quinze cocktails Molotov appartenant au requérant.
Toujours le même jour, le requérant fut examiné par un spécialiste de l’hôpital de Dr. Sadi Konuk. Ce dernier constata une incision épidermique et hypodermique de 2 x 3 cm sur la tête du requérant.
Dans sa déposition à la direction de la sûreté, le requérant nia appartenir à ladite organisation illégale et avoir mené des activités au nom de celle-ci.
Le 5 septembre 2005, le requérant fut examiné à l’institut de médecine légale. Il fut relevé que l’intéressé présentait des blessures nécessitant une intervention médicale simple et qu’il ne courait pas de risque vital. Aux dires du requérant, il avait été blessé par des coups de matraque des policiers lors de son arrestation et il n’avait pas été soumis à des mauvais traitements dans les locaux de la direction de la sûreté. La partie pertinente en l’espèce du rapport médical établi peut se traduire comme suit :
« Lésions : l’état de santé général du patient est normal, il est conscient, [il arrive à s’orienter], [il s’est montré] coopératif ; œdème suturé sur la partie pariétale gauche [de la tête], ecchymoses rouges de 1 x 1.5 cm et 0.5 x 1 cm sur le thorax ; hyperémie et œdème sur le 4ème doigt de la main droite et le 2ème doigt de la main gauche ; [le patient a déclaré] que [les lésions] sont dues [à des] coups de matraque [reçus] lors de son arrestation (...) ».
Le même jour, le requérant fut mis en détention provisoire.
Par un acte d’accusation du 17 octobre 2005, le procureur de la République d’Istanbul inculpa le requérant pour aide et soutien au PKK et pour possession de produits explosifs et dangereux.
Durant la procédure pénale, la cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises ») tint plusieurs audiences et ordonna, à la fin de chaque audience, le maintien en détention provisoire du requérant, eu égard à la qualité des infractions et au contenu du dossier. Plusieurs témoins furent entendus et le requérant eut la possibilité de contester les dépositions des témoins à charge.
Le 19 février 2007 et le 26 mars 2007, le requérant forma deux oppositions respectivement contre la décision de maintien en détention provisoire du 13 février 2007 et contre celle du 20 mars 2007. Le 28 février 2007 et le 6 avril 2007 respectivement, ces deux oppositions, qui firent l’objet d’un examen sur dossier, furent rejetées par la cour d’assises eu égard à la qualité des infractions et au contenu du dossier.
Dans son jugement du 20 mars 2007, la cour d’assises avait condamné le requérant à une peine d’emprisonnement de dix ans et à une amende de 300 livres turques (TRY) (environ 160 euros (EUR)) pour avoir transporté des produits explosifs et dangereux sans l’autorisation des autorités compétentes et pour avoir commis une infraction au nom d’une organisation illégale.
Le 23 mai 2007, le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement.
Par un arrêt du 28 janvier 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi contre le jugement du 20 mars 2007 rendu par la cour d’assises.
B. L’enquête pénale dirigée contre les policiers
Le 4 décembre 2006, le requérant porta plainte contre les policiers qu’il tenait pour responsables de ses blessures.
Entre le 10 janvier 2007 et le 6 février 2007, neuf policiers parmi les dix agents en poste le jour de l’incident furent entendus par le parquet. Les procureurs ne leur posèrent aucune question sur les allégations de mauvais traitements du requérant.
Par une ordonnance de non-lieu du 18 mai 2007, compte tenu des procès-verbaux d’interrogation des policiers, le procureur de la République de Bakırköy conclut à l’absence de preuves démontrant que les policiers étaient les auteurs d’une « négligence dans l’exercice de leurs fonctions » et considéra comme non convaincantes les déclarations du requérant.
Le 20 septembre 2007, le requérant contesta ladite ordonnance de non-lieu. Il indiqua, entre autres, que le parquet avait conclu que les policiers n’étaient pas les auteurs d’une négligence dans l’exercice de leurs fonctions, et il soutint que ledit parquet n’avait pas effectué d’enquête sur ses allégations de mauvais traitements, ces derniers constituant d’après lui une infraction prévue par un autre article du code pénal.
Par une décision du 5 décembre 2007, considérant l’absence de preuves démontrant que les faits reprochés aux policiers avaient été commis par ceux-ci, le président de la cour d’assises d’Istanbul confirma l’ordonnance de non-lieu attaquée. Le 5 février 2009, cette décision fut notifiée au représentant du requérant.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
En droit turc, la détention provisoire est régie par les articles 100 et suivants du code de procédure pénale (CPP), entré en vigueur le 1er juin 2005. Pour un aperçu des articles 100, 141 et 142 du CPP, la Cour renvoie à sa décision Demir c. Turquie ((déc.), no 51770/07, §§ 12-15, 16 octobre 2012). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1944 et réside à Casoria.
A l’origine, la requérante était employée par le Province de Naples et exerçait des fonctions relevant du personnel des écoles (assistants administratifs, collaborateurs, assistants techniques et responsables administratifs dans les écoles : le « personnel ATA »). Elle avait droit à un salaire de base complété par des indemnités accessoires.
Suite au transfert du personnel de la fonction publique territoriale vers la fonction publique de l’Etat, prévu par la loi no 124 du 3 mai 1999, la requérante fut employée, à partir du 31 décembre 1999, par le ministère de l’Education nationale. Les employés dudit ministère exerçant les mêmes fonctions que les requérants avaient droit à un traitement de base progressif selon l’ancienneté de service.
Selon l’article 8 de la loi no 124 du 3 mai 1999, l’ancienneté de service obtenue par la requérante auprès de l’autorité locale d’origine était reconnue à toutes fins juridiques et économiques. Toutefois, le ministère, sans tenir aucun compte de l’ancienneté acquise par les travailleurs au service des collectivités locales jusqu’au 31 décembre 1999 et donc sans calculer le traitement financier sur la base de cette ancienneté, comme l’imposait la convention collective nationale de l’Ecole, attribua à la requérante une ancienneté fictive en transformant la rétribution perçue auprès des collectivités locales à la date du 31 décembre 1999 en années d’ancienneté. En outre, en transformant la rétribution de base en années d’ancienneté fictive, le ministère enleva des dernières fiches de paie des requérants tous les éléments indemnitaires dont leurs salaires étaient régulièrement assortis jusqu’au 31 décembre 1999.
A une date non précisée, la requérante saisit le tribunal de Naples afin d’obtenir la reconnaissance juridique et économique de l’ancienneté acquise auprès de son employeur local d’origine et, en conséquence, le versement de la différence de rétribution née à partir du 1er janvier 2000. Elle fit valoir qu’elle percevait un salaire qui ne correspondait pas à son ancienneté et que ce salaire était ainsi inférieur à celui des fonctionnaires qui avaient toujours été employés par le ministère.
Par un arrêt du 20 juillet 2005, le tribunal du travail de Naples accueillit le recours de la requérante et condamna le ministère à reconnaître l’ancienneté acquise par la requérante auprès de l’autorité locale.
Le ministère interjeta appel de ce jugement.
Alors que la procédure était pendante, le Parlement adopta la loi de finances pour 2006 (« la loi no 266 »). L’article 1, alinéa 218, de ladite loi était intitulé « interprétation authentique (interpretazione autentica) de l’article 8 de la loi no 124 de 1999 » ; il prévoyait que le personnel ATA devait être intégré dans les tableaux de paye de la nouvelle administration sur la base du traitement salarial global des intéressés au moment de la mutation.
Par un arrêt du 6 février 2010, la cour d’appel de Naples, compte tenu de la nouvelle loi, accueillit le recours du ministère et rejeta le recours de la requérante.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinent se trouvent décrits dans les arrêts Agrati et autres c. Italie, (nos 43549/08, 6107/09 et 5087/09, 7 juin 2011) et De Rosa c. Italie,( nos 52888/08, 58528/08, 59194/08, 60462/08, 60473/08, 60628/08, 61116/08, 61131/08, 61139/08, 61143/08, 610/09, 4995/09, 5068/09 et 5141/09, 11 décembre 2012) | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1935 et réside à Bénévent.
La requérante était copropriétaire d’un terrain sis à Pannarano, enregistré au cadastre feuille 4, parcelles 1123 et 46.
Par un arrêté du 14 avril 1985, l’administration de Pannarano ordonna l’occupation d’urgence du terrain de la requérante pour une période maximale de cinq ans à compter de la date d’occupation matérielle, en vue de son expropriation pour cause d’utilité publique.
Le 12 juin 1985, il y eut occupation matérielle du terrain. L’administration occupa une portion de terrain d’environ 170 mètres carrés et une autre portion de terrain d’environ 60 mètres carrés.
Par un acte notifié le 2 juillet 1997, la requérante, sa mère et ses frères introduisirent une action en dommages-intérêts à l’encontre de la ville de Pannarano devant le tribunal civil de Bénévent. Ils alléguaient que, bien que les travaux de construction effectués sur leur terrain aient transformé celui-ci, aucun décret d’expropriation et aucune indemnisation n’étaient intervenus. Se référant au principe de l’expropriation indirecte fixé par la Cour de cassation dans l’arrêt no 1464 du 26 février 1983, la requérante, sa mère et ses frères invitaient le tribunal à déclarer que la construction de l’ouvrage public avait entraîné la perte irréversible du bien. Ils réclamaient des dommagesintérêts pour la perte du terrain à concurrence de la valeur de celui-ci ; en outre, ils réclamaient une réparation pour la non-jouissance du terrain pendant la période d’occupation autorisée.
Au cours du procès, le tribunal ordonna une expertise. Dans son rapport déposé le 4 mai 2001, l’expert établit que les travaux avaient irréversiblement transformé le terrain le 23 octobre 1988. Selon l’expert, une portion du terrain d’environ 170 mètres carrés devait être considérée comme constructible et une deuxième portion d’environ 60 mètres carrés devait être considérée comme agricole. Par conséquent, la valeur vénale de la première portion, calculée selon la loi no 662 de 1996, était de 3 146 649 ITL, et la valeur de la deuxième portion était de 2 400 000 ITL.
Par un jugement du 17 juillet 2003, devenu définitif le 17 octobre 2004, le tribunal de Bénévent déclara qu’à la suite de l’occupation du terrain, et au vu de la construction de l’ouvrage répondant à l’intérêt public, le droit de propriété de la requérante avait été neutralisé conformément au principe de l’expropriation indirecte. Il y avait donc lieu de considérer que la propriété du terrain était passée ab origine à l’administration en 1988, à savoir une fois le terrain irréversiblement transformé. Étant donné que le transfert de propriété avait eu lieu dans le cadre d’une occupation de terrain devenu sans titre, la requérante avait droit à des dommages-intérêts. Le tribunal considéra qu’en raison de la nature du terrain, la loi no 662 de 1996 était applicable seulement à 142 mètres carrés du terrain. Par conséquent, le tribunal accorda à la requérante une somme de 8 984,62 EUR pour la perte de la propriété et pour les dommages découlant de ladite privation. Le tribunal se déclara incompétent à décider sur l’indemnité d’occupation.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt GuisoGallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Les mises en détention du requérant en vue de son expulsion et les recours y relatifs
Le requérant est né en 1970 et réside à Thessalonique.
Le 20 mai 2004, il entra sur le territoire grec muni d’un titre de séjour valable pour deux mois (visa no 1846356). Le 17 avril 2006, il demanda auprès de l’administration un titre de séjour. Le 16 juillet 2007 sa demande fut rejetée du fait que le cachet apposé sur le passeport du requérant comportait un code différent de celui utilisé par les autorités compétentes lors de son entrée sur le territoire grec. En 2009, le requérant fut condamné pour usage de faux à une peine d’emprisonnement de huit mois avec sursis (jugement no 6118/2009). Le 22 juillet 2009, il fut arrêté par la police de Thessalonique, faute de posséder de titre de séjour valide.
Le 25 juillet 2009, l’officier compétent de la police des étrangers de Thessalonique ordonna l’expulsion du requérant et sa mise en détention en vue d’expulsion, sur la base de l’article 76 de la loi no 3386/2005, tel que modifié par l’article 48 § 2 de la loi no 3772/2009, au motif qu’il séjournait en Grèce sans posséder les documents administratifs nécessaires (ordonnance no 345536/2-γ). Le 27 juillet 2009, en vertu de la décision no 904/2009 de la présidente du tribunal administratif de Thessalonique, la détention du requérant fut levée et il reçut une injonction à quitter le territoire grec dans un délai de trente jours.
Le 10 avril 2010, le requérant fut arrêté de nouveau par la police de Thessalonique faute d’avoir quitté le territoire grec dans le délai imparti. Il fut mis en détention provisoire dans les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique en vue de l’expulsion déjà ordonnée en vertu de l’ordonnance no 345536/2-γ.
Le 14 avril 2010, le requérant soumit à la présidente du tribunal administratif de Thessalonique ses objections contre son maintien en détention. Il alléguait notamment qu’il ne constituait pas un danger pour l’ordre public et qu’il n’était pas susceptible de s’enfuir. Il affirmait qu’il avait une résidence permanente et connue à Thessalonique et qu’il y travaillait comme maçon. Il ajoutait que son expulsion vers la Géorgie aurait des répercussions néfastes sur sa vie familiale, étant donné qu’il vivait à Thessalonique avec sa famille. Le 19 avril 2010, la présidente du tribunal administratif de Thessalonique rejeta les objections du requérant. Elle admit, en particulier, que ses arguments ne suffisaient pas à établir qu’il n’était pas susceptible de s’enfuir en cas de remise en liberté. En effet, bien que le requérant avait eu un délai de trente jours pour quitter le territoire grec, il ne l’avait pas respecté et était ainsi responsable de son arrestation (décision no 463/2010).
Le 15 avril 2010, les autorités grecques sollicitèrent du consulat de Géorgie en Thessalonique la délivrance au requérant d’un titre de voyage afin de pouvoir procéder à son expulsion.
Le 15 mai 2010, le requérant déposa à la Direction des étrangers de Thessalonique une demande d’asile qui fut rejetée le 28 mai 2010 (décision no 345536/4-Γ’).
Le 8 juin 2010, le requérant saisit la présidente du tribunal administratif d’Athènes de nouvelles objections contre sa mise en détention et demanda la révocation de la décision no 463/2010. Il réitéra ses arguments quant à l’absence de risque de fuite et ajouta aussi que son expulsion ne pouvait pas avoir lieu, puisqu’il avait déposé à l’administration une demande d’asile. Il notait qu’il avait l’intention de contester la décision no 345536/4-Γ’ devant les juridictions administratives. Le 14 juin 2010, les objections furent rejetées. La présidente du tribunal administratif d’Athènes confirma les conclusions de la décision no 463/2010 et ajouta que la demande d’asile était abusive, puisqu’elle avait comme objectif d’entraver l’expulsion du requérant (décision no 723/2010).
Le 4 août 2010, le consulat de Géorgie délivra le titre de voyage sollicité au requérant. Le 6 août 2010, il fut transféré dans les locaux de la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (Petrou Ralli) en vue de son expulsion. Le 7 août 2010, le requérant déposa une nouvelle demande d’asile qui fut rejetée le 30 septembre 2010. L’autorité compétente considéra entre autres que le requérant avait de manière abusive demandé l’asile avec le but de faciliter son séjour sur le territoire grec (décision no 4/89008).
Le 10 octobre 2010, en vertu d’une décision du directeur de la Sous-direction des étrangers d’Attique, la durée de la détention du requérant fut étendue jusqu’à douze mois. Le 14 octobre 2010, le requérant saisit le président du tribunal administratif d’Athènes de nouvelles objections contre sa mise en détention. Il réitéra ses arguments quant à l’absence de risque de fuite et se plaignit aussi des conditions déplorables de détention. Le jour même, les objections furent rejetées (décision no 1422/2010).
Le 24 janvier 2011, le requérant déposa une demande de levée de sa détention. Le 25 janvier 2011, le président du tribunal administratif du Pirée fit droit à ses objections et ordonna la remise en liberté du requérant (décision no 60/2011).
Le 18 février 2011, le requérant exerça, en vertu du décret présidentiel no 114/2010 entré en vigueur le 22 novembre 2010, un recours contre le rejet de sa demande d’asile. Le 12 mars 2012, le comité compétent considéra que le requérant s’était tacitement désisté de son recours, faute de se présenter à la même date devant elle conformément à la convocation qu’il avait déjà reçue.
Le 23 mai 2012, le requérant fut arrêté à nouveau faute de posséder de titre de séjour sur le territoire grec. Le 26 mai 2012, son expulsion fut ordonnée et il fut mis en détention en vue de son expulsion aux locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique.
Le 1er juin 2012, le requérant saisit la présidente du tribunal administratif de Thessalonique d’objections contre sa mise en détention. Il se plaignit notamment des déficiences dans la procédure d’examen de sa demande d’asile et soutint que les autorités compétentes n’auraient pas dû considérer que l’examen de sa demande d’asile s’était interrompu. Le 5 juin 2012, la présidente du tribunal administratif de Thessalonique rejeta les objections du requérant contre sa détention. Elle admit entre autres que le 12 mars 2012, le comité compétent avait délivré un acte d’interruption d’examen de la demande d’asile du requérant faute pour ce dernier de s’être présenté devant lui. De surcroît, le requérant n’avait pas demandé au comité de reprendre l’examen de sa demande d’asile dans le délai de soixante jours prescrit par la législation pertinente. La présidente du tribunal administratif releva aussi que dans le passé le requérant ne s’était pas conformé à la décision de l’autorité judiciaire compétente ayant ordonné sa remise en liberté en lui imposant en même temps de quitter le territoire grec dans un délai de trente jours. Se fondant sur ces raisons, la présidente du tribunal administratif conclut que le requérant était susceptible de s’enfuir de nouveau (décision no 269/2012).
Le 29 juin 2012, le tribunal administratif de Thessalonique ordonna la levée de la détention du requérant (décision no 320/2012). Le 1er janvier 2013, le requérant quitta le territoire grec et entra en Turquie.
B. Les conditions de détention du requérant dans les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique et la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (Petrou Ralli)
La version du requérant
Le requérant affirme avoir été détenu du 10 avril au 5 août 2010 et du 26 mai au 29 juin 2012 à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Il fut aussi détenu du 6 août 2010 au 25 janvier 2011 à la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers. Il allègue, entre autres, que les cellules où il fut détenu n’étaient pas suffisamment aérées et lumineuses. Il relève qu’il était détenu dans des petites cellules avec quinze à vingt autres détenus. L’air était humide et fétide, surtout en raison de la promiscuité avec des fumeurs. De plus, il note l’absence d’espace pour se promener et faire de l’exercice physique. Les détenus n’avaient aucune activité récréative. Il affirme que les locaux étaient insalubres et que les douches et les toilettes n’étaient pas suffisantes. Il relève l’absence de restauration des détenus par le service pénitentiaire et affirme qu’il avait droit uniquement à une somme oscillant de 5,87 à 5,95 euros par jour pour commander des repas qui lui étaient livrés de l’extérieur.
La version du Gouvernement
D’après le Gouvernement, en ce qui concerne les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, ceux-ci comprennent neuf cellules fonctionnant depuis 2001, chacune d’une superficie de 8,85 m2. Chaque cellule dispose de deux toilettes et deux lave-mains offrant de l’eau chaude, auxquels les détenus peuvent avoir accès pendant toute la journée. En ce qui concerne la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (centre de rétention de Petrou Ralli), le Gouvernement affirme que pendant toute la durée de sa détention le requérant fut détenu dans une cellule pour cinq personnes d’une superficie de 12 m², équipée d’une toilette et d’une douche, bénéficiant d’une aération et d’un éclairage corrects et d’un système central de climatisation produisant de l’air frais et de l’air chaud.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Le droit national
La Cour se réfère à ce sujet notamment aux paragraphes 27-33 de l’arrêt C.D. et autres c. Grèce (nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, 19 décembre 2013).
B. Les rapports provenant des instances internationales
En ce qui concerne la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique
a) Les constats du CPT à la suite de sa visite du 17 au 29 septembre 2009 aux postes de police et centres de détention pour étrangers
Dans son rapport du 17 novembre 2010, le CPT relevait que les arrangements concernant la nourriture des détenus restaient inadéquats. L’allocation journalière de 5,87 euros ne permettait d’acheter que quelques sandwiches et une bouteille d’eau, ce qui était suffisant pour des prévenus en détention de courte durée, mais insuffisant pour des personnes détenues pour une longue durée.
b) Le rapport d’Amnesty International de 2010
Dans son rapport publié en juillet 2010 et intitulé « Des migrants irréguliers et des demandeurs d’asile systématiquement détenus dans des conditions inadéquates », l’Amnesty International faisait état du surpeuplement, du manque de lits et de l’impossibilité de faire de l’exercice physique à la direction de la police des étrangers à Thessalonique. Le rapport comprend aussi des entretiens avec des étrangers détenus à Thessalonique en 2009 et au début de 2010. Selon leurs dires, il y aurait entre vingt-cinq et trente personnes par cellule, sans possibilité d’activités récréatives et avec une qualité insuffisante de repas (page 37 du rapport).
En ce qui concerne la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (centre de rétention de Petrou Ralli)
a) Les constats du CPT
À la suite de sa visite en Grèce en septembre 2008, le CPT constatait dans son rapport publié en 2009 que, à la date de sa visite, le centre de Petrou Ralli hébergeait 173 hommes, 65 femmes et 19 mineurs pour une capacité opérationnelle de 208 hommes, 150 femmes et 19 mineurs. Selon le rapport, les détenus étaient confinés dans leurs cellules vingt-quatre heures sur vingt-quatre du fait que l’espace réservé à la promenade ne remplissait pas les conditions de sécurité. Le CPT observait qu’il n’y avait ni espace de détente ni espace destiné aux activités, que la plus grande partie de la literie était sale, que les nouveaux arrivés n’avaient pas de draps et de couvertures propres et qu’il n’y avait pas de WC dans les cellules. De nombreux détenus auraient déclaré que l’accès aux toilettes pendant la nuit était problématique.
À la suite de sa visite en Grèce en septembre 2009, le CPT, dans son rapport publié en 2010, relatait ce qui suit :
« (...)
Le centre de Petrou Ralli demeure un établissement non approprié pour la rétention de migrants se trouvant en situation irrégulière pour des périodes longues, comme le CPT l’avait relevé même avant son ouverture officielle en 2005. En 2009, le centre hébergeait 218 détenus de sexe masculin, 77 femmes adultes et 5 mineures, ce qui rend la population de la partie mâle légèrement au-dessus de sa capacité de 208; certains des détenus de sexe masculin dormaient sur des matelas posés sur le sol. Cela dit, l’état général du point de vue de l’hygiène était nettement meilleur que dans le passé et l’accès aux toilettes, même pendant la nuit, ne posait pas problème grâce à la présence constante de policiers dans les couloirs.
La délégation du CPT a aussi noté que la cour extérieure pour la promenade était maintenant praticable, même si les détenus n’y avaient pas accès tous les jours.
(...)
Un problème commun à tous les centres spéciaux pour migrants clandestins et les centres de rétention de la police qui ont été visités était la difficulté pour les détenus de maintenir la propreté en raison de la quantité insuffisante des détergents et des produits destinés à l’hygiène personnelle. Dans certains centres, de petites quantités de savon, de la lessive en poudre et quelque fois du shampoing étaient donnés aux détenus, dans certains autres seulement du savon. De même, le papier toilette n’était pas fourni régulièrement. D’autres produits d’hygiène, tels que des brosses à dent ou du dentifrice, devaient être achetés par les détenus eux-mêmes. Des kits de rasage n’étaient pas autorisés et, lorsqu’ils pouvaient les obtenir du personnel, les détenus devaient les partager à plusieurs.
Au vu de la situation médicale précaire de plusieurs personnes concernées, le CPT réitère la nécessité pour les autorités grecques de considérer l’hygiène personnelle comme une question prioritaire. »
À la suite de sa visite en Grèce en janvier 2011, le CPT, dans son rapport publié en 2012, relatait ce qui suit :
« 13. Le CPT reconnaît les difficultés rencontrées par les autorités grecques à faire face à l’afflux constant de migrants en situation irrégulière. Cependant, les conditions dans lesquelles les migrants irréguliers sont détenus semblent être une politique délibérée par les autorités afin de délivrer un message clair que seules les personnes ayant les papiers d’identité nécessaires devraient tenter d’entrer en Grèce. En effet, telle est l’impression formée par les délégations du CPT successives depuis la visite en septembre 2005.
Pour commencer, la conception des locaux de détention dans lesquels les migrants irréguliers sont détenus n’est pas conforme aux normes mises de l’avant par le CPT depuis 1997. La conception carcérale de nouveaux centres de détention tels que Aspropyrgos, Petrou Rali et Filakio est totalement inappropriée - cellules avec des barres du sol au plafond ne garantissant pas d’intimité, communication avec le personnel pénitentiaire ayant habituellement lieu à travers les barres ».
b) La déclaration publique du CPT
Dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, faite en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, le CPT relevait notamment ce qui suit :
« (...)
Les rapports relatifs aux visites de 2005, 2007, 2008 et 2009 brossent tous un tableau similaire des très mauvaises conditions dans lesquelles les étrangers en situation irrégulière étaient retenus dans les commissariats de police et dans d’autres locaux inadaptés, souvent des entrepôts désaffectés, pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois, voire pour des périodes encore plus longues, sans aucune possibilité de faire de l’exercice en plein air ni de s’adonner à des activités et sans bénéficier de soins de santé adéquats. Les recommandations visant à améliorer la situation ont continué cependant d’être ignorées. Bien que des étrangers en situation irrégulière soient arrivés en Grèce en nombres importants par ses frontières terrestres et maritimes orientales pendant plusieurs années, aucune mesure n’a été prise afin d’adopter une approche coordonnée et acceptable concernant leur rétention et leur prise en charge.
Le manque de réaction de la part des autorités grecques face à la nécessaire mise en œuvre des recommandations du CPT relatives aux étrangers en situation irrégulière a conduit le Comité à déclencher, en novembre 2008, la procédure en vue de l’adoption d’une déclaration publique. À l’issue de la visite périodique de septembre 2009, cette procédure a été étendue pour couvrir la situation dans le système pénitentiaire. En effet, les constatations faites au cours de cette visite ont révélé que les préoccupations exprimées par le CPT dans ses précédents rapports n’avaient pas été prises en compte et qu’en réalité, les conditions carcérales s’étaient détériorées encore davantage ; il convient tout particulièrement de mentionner la gravité de la surpopulation carcérale, la pénurie de personnel et les insuffisances en matière de soins de santé.
(...)
Les autorités grecques ont continué de répéter que des mesures étaient en cours pour améliorer la situation. Ainsi, dans une lettre en date du 23 novembre 2009, elles ont informé le CPT qu’elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police et postes de surveillance des gardes-frontière et qu’à l’avenir, ces personnes seraient placées dans des centres de rétention spécifiquement conçus à cet effet. (...)
Malheureusement, les constatations faites pendant la récente visite du CPT en Grèce, en janvier 2011, ont montré que les informations fournies par les autorités n’étaient pas fiables. Les commissariats de police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. (...) »
c) Le rapport du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
Dans son rapport de novembre 2010 concernant la Grèce, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés notait que la surpopulation et les mauvaises conditions de vie dans les centres de rétention pour étrangers et les stations de police frontaliers avaient empiré à partir de l’entrée en vigueur en 2009 de la nouvelle loi sur la rétention des clandestins. Cette loi étendait la période maximale de détention à six voire à douze mois, ce qui avait entraîné une augmentation des détenus. Cette détérioration est particulièrement visible dans les centres situés à la frontière (notamment à Evros), mais des conditions similaires étaient observées en milieu urbain, notamment à Athènes (Direction des étrangers -Petrou Ralli-, l’aéroport international d’Athènes et plusieurs commissariats de police). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1947 et 1954 et résident à Côme.
Les requérants étaient employés par la Province de Côme et exerçaient des fonctions relevant du personnel des écoles (assistants administratifs, collaborateurs, assistants techniques et responsables administratifs dans les écoles : le « personnel ATA »). Ils avaient droit à un salaire de base, assorti d’indemnités accessoires.
Suite au transfert du personnel de la fonction publique territoriale vers la fonction publique de l’Etat, prévu par la loi no 124 du 3 mai 1999, les requérants furent employés, à partir du 31 décembre 1999, par le ministère de l’Education Nationale (« le ministère »). Les employés déjà en poste dudit ministère, exerçant les mêmes fonctions que les requérants, avaient droit à un traitement de base progressif selon l’ancienneté de service.
Selon l’article 8 de la loi no 124 susmentionnée, l’ancienneté de service acquise par les requérants auprès des collectivités locales devait être reconnue à toutes fins juridiques et économiques. Toutefois, le ministère attribua aux requérants une ancienneté fictive, en transformant la rétribution de base perçue des collectivités locales à la date du 31 décembre 1999 en années d’ancienneté et, au mépris du contrat collectif national de l’Ecole, il calcula leur traitement pécuniaire sans tenir compte de leur ancienneté de service réelle, acquise jusqu’à cette date. En outre, en transformant la rétribution de base en années d’ancienneté fictive, le ministère enleva des dernières fiches de paie des requérants tous les éléments indemnitaires dont leurs salaires étaient régulièrement assortis jusqu’au 31 décembre 1999.
Le 5 mai 2003, les requérants saisirent le tribunal du travail de Côme afin d’obtenir la reconnaissance juridique et économique de l’ancienneté acquise auprès de leurs employeurs locaux d’origine et, en conséquence, le versement de la différence de rétribution née à partir du 1er janvier 2000. Ils firent valoir qu’ils percevaient un salaire qui ne correspondait pas à leur ancienneté et que ce salaire était ainsi inférieur à celui des fonctionnaires qui avaient toujours été employés par le ministère.
Par un arrêt du 22 juillet 2003, le tribunal du travail de Côme rejeta le recours des requérants.
Les requérants interjetèrent appel de ce jugement. Ils faisaient valoir que le jugement n’était pas conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle il ne pouvait être dérogé à l’article 8 de la loi no 124 de 1999.
Par un arrêt du 28 décembre 2004, la cour d’appel accueillit le recours des requérants, au motif que le ministère n’avait pas respecté l’article 8 de la loi no 124. Cette solution était conforme à la jurisprudence établie par de nombreux arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat.
Le ministère se pourvu en cassation. Alors que ces procédures étaient pendantes, le Parlement adopta la loi de finances pour 2006 (« la loi no 266 »). L’article 1, alinéa 218, de ladite loi était intitulé « interprétation authentique (interpretazione autentica) de l’article 8 de la loi no 124 de 1999 » ; il prévoyait que le personnel ATA devait être intégré dans les tableaux de paye de la nouvelle administration sur la base du traitement salarial global des intéressés au moment de la mutation.
Par un arrêt du 18 juillet 2008, la Cour de cassation, compte tenu de la nouvelle loi, rejeta le recours des requérants.
Les requérants ont perdu la reconnaissance de l’ancienneté acquise auprès des autorités locales d’origine. De surcroît, ils ont vu leurs salaires devenir inférieurs à ceux d’autres membres du personnel ATA qui avaient obtenu gain de cause par des décisions ayant acquis l’autorité de la chose jugée avant l’entrée en vigueur de la loi no 266.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinent se trouvent décrits dans les arrêts Agrati et autres c. Italie, (nos 43549/08, 6107/09 et 5087/09, 7 juin 2011) et De Rosa c. Italie, (nos 52888/08, 58528/08, 59194/08, 60462/08, 60473/08, 60628/08, 61116/08, 61131/08, 61139/08, 61143/08, 610/09, 4995/09, 5068/09 et 5141/09, 11 décembre 2012). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants étaient copropriétaires d’un terrain d’environ 4880 mètres carrés sis à Caltagirone et enregistré au cadastre feuille no 139, parcelles 11 et 71.
Par une ordonnance du 11 avril 1989, la municipalité de Caltagirone disposa l’occupation d’urgence du terrain des requérants, pour une période maximale de cinq ans, afin d’y construire une route et une école.
Le 5 juin 1989, la municipalité procéda à l’occupation matérielle du terrain et entama les travaux de construction.
Par un acte d’assignation notifié le 20 juin 1994, les requérants assignèrent la municipalité de Caltagirone devant le tribunal de Caltagirone. Ils faisaient valoir que l’occupation du terrain était illégale au motif que celle-ci s’était prolongée au-delà du délai autorisé et que les travaux de construction de la route et de l’école s’étaient terminés sans qu’il fût procédé à l’expropriation formelle du terrain et au paiement d’une indemnité. Ils réclamaient une somme correspondant à la valeur vénale du terrain.
Une expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, la valeur du terrain le 5 juin 1996 était de 190 000 ITL le mètre carré.
Par un jugement du 26 septembre 2002, le tribunal de Caltagirone observa qu’aucune mesure d’expropriation n’avait été adoptée par la municipalité et que l’expropriation du terrain était désormais illégitime à partir du 5 juin 1996. À partir de cette date, les requérants devaient se considérer comme ayant été privés d’une portion de terrain de 2 292 mètres carrés. Par conséquent, compte tenu de la loi no 662 de 1996 entre-temps entrée en vigueur, le tribunal condamna l’administration à payer aux requérants la somme de 123 705,76 EUR, à indexer et à assortir d’intérêts à partir de juin 1996, pour la privation de leur terrain ainsi qu’une somme à titre d’indemnité d’occupation. Le tribunal calcula l’indemnité due en fonction de la loi no 662 de 1996, entre-temps entrée en vigueur.
Le jugement du tribunal est devenu définitif le 19 avril 2003.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt GuisoGallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
Le requérant est né en 1923 et réside à Zeytinburnu.
Le requérant est propriétaire d’un terrain constructible de 338 m2 situé à Avcılar – Istanbul, acquis le 8 février 1977.
Dans le plan d’urbanisme du 3 février 1982 (confirmé par celui du 27 juin 2001), le terrain fut classé « espace vert » par l’administration.
Pendant environ vingt-quatre ans, l’intéressé demanda un permis de construire à la mairie, mais sa demande fut systématiquement rejetée du fait du classement du terrain en « espace vert ».
Tout au long de cette période, l’administration ne procéda à aucun moment à l’expropriation du requérant de son terrain. Elle ne créa pas non plus d’« espace vert ».
Le 15 décembre 2006, la municipalité d’Istanbul adopta un nouveau plan d’urbanisme. Le terrain en question fut classé « espace vert ».
Le 10 janvier 2007, le requérant saisit le tribunal administratif d’Istanbul d’une action en annulation du dernier acte de refus opposé par l’administration à sa demande alternative de permis de construire ou d’expropriation.
Le 28 août 2008, la municipalité d’Avcılar adopta le plan local d’urbanisme (plan détaillé d’urbanisme au 1/1000e). Le terrain en question fut affecté à l’aménagement d’un « espace vert ».
Par un jugement du 28 janvier 2008, le tribunal débouta le requérant de sa demande. Il observa notamment que le plan local d’urbanisme inférieur (à l’échelle 1/1000ème) était conforme au plan d’urbanisme supérieur (à l’échelle 1/5000ème). Il considéra que le principe général de hiérarchie entre les plans d’aménagement avait été respecté par la municipalité. En conséquence, le refus de l’administration d’accorder un permis de construire à l’intéressé était conforme aux dispositions de la loi en vigueur dans la mesure où la zone litigieuse avait été classée « espace vert ». Le tribunal précisa également qu’il n’était pas possible de forcer l’administration à procéder à une expropriation.
Par un arrêt du 8 octobre 2008, notifié au requérant le 9 février 2009, le Conseil d’État confirma le jugement attaqué en toutes ses dispositions. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1996, 1954 et 1969 et résident à Istanbul. La première requérante est la fille des autres requérants.
Le 13 juin 1997, les requérants introduisirent devant le tribunal administratif une action en dommages et intérêts contre le ministère de la Santé en raison du préjudice subi par la première requérante à la suite d’une intervention médicale.
Le 12 septembre 1997, le tribunal se déclara incompétent ratione loci et renvoya l’affaire devant le tribunal administratif compétent.
Le 21 décembre 1999, le tribunal administratif rejeta la demande des requérants.
Le 11 octobre 2000, le Conseil d’État infirma ce jugement pour vice de forme.
Le 30 mai 2003, le tribunal administratif rejeta la demande des requérants.
Le 15 mars 2006, le Conseil d’État confirma ce jugement. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La genèse de l’affaire
Le 4 avril 2008, à 11 heures 15, à mi-chemin des côtes yéménites et somaliennes, « Le Ponant », un navire de croisière battant pavillon français, fut intercepté par une douzaine d’hommes armés de fusils d’assaut et de lance-roquettes. Ils s’en emparèrent, prirent son équipage – une trentaine de personnes, dont vingt français – en otage et le dirigèrent vers les côtes somaliennes.
Le plan « pirate-mer », qui consiste en la mobilisation de tous les moyens disponibles dans la zone, fut déclenché par le Premier ministre à 13 heures 30. Le Gouvernement indique que dans ce contexte, la conduite de l’action gouvernementale est confiée au chef des commandos de marine et placée sous la responsabilité du ministre de la défense. Le chef des commandos reçoit ses instructions du chef d’état-major des armées, lequel prend lui-même ses ordres auprès du Président de la République.
Sur zone, le commandant des forces françaises informa les bâtiments de la Task Force 150. Il s’agit d’une force d’intervention navale multinationale basée au Bahreïn, dont la mission est de garantir la sécurité maritime en mer rouge, dans le golfe d’Aden, sur l’océan indien et dans le golfe d’Oman, afin de prévenir les actes terroristes et de faire obstacle aux activités illégales auxquelles des terroristes peuvent avoir recours pour financer ou dissimuler leurs activités.
Le 5 avril 2008, Le Ponant atteint le port somalien de Garaad, où il fut mis au mouillage.
Le 5 avril 2008, le gouvernement fédéral de transition (« GFT ») de Somalie adressa la note verbale suivante aux autorités françaises :
« (...) le gouvernement fédéral de transition de Somalie condamne avec force le détournement du navire français « Le Ponant ». Il partage les inquiétudes du gouvernement de la République française au sujet du détournement du navire français et de son équipage. Le gouvernement fédéral de transition de Somalie assure les autorités françaises de son soutien total et transmet sa sympathie aux familles des membres de l’équipe enlevés.
Le GFT de Somalie répond de façon positive à la demande d’autorisation faite par le gouvernement français et déclare ce qui suit :
Le GFT de Somalie autorise la marine française à entrer dans les eaux territoriales de Somalie.
Le GFT de Somalie autorise des forces françaises à prendre toutes les mesures nécessaires – y compris l’usage proportionné de la force – dans le contexte de la crise.
Au cours de sa présence dans les eaux territoriales de Somalie, le GFT accepte que la marine française bénéficie de l’inviolabilité personnelle de ses agents, l’immunité à l’égard des poursuites devant tout tribunal pénal, civil et administratif et l’immunité d’exécution.
Le GFT de Somalie renonce à tous droits de recours contre les forces françaises en vue d’obtention de compensation pour des éventuels dommages et torts causés à ses biens ou à son personnel, y compris ceux occasionnant la mort.
Le GFT de Somalie renonce à tous droits de recours contre le gouvernement de la République française dans le cas de préjudice causé aux tiers.
Dans le cas d’une action en justice entamée pour la réparation d’un préjudice tel que celui indiqué ci-dessus, le GFT de Somalie garantira le gouvernement de la République française et agira à la place du gouvernement français si une telle procédure devait avoir lieu.
Aussi, le GFT de Somalie autorise quelques avions militaires français à survoler le territoire de Somalie dans le cadre de cette opération.
Cette autorisation prendra effet à partir de la date de saisie du Ponant par les pirates somaliens (4 avril 2008) et restera en vigueur jusqu’à la résolution de la crise. (...) »
Le 11 avril 2008, vers midi, les otages furent libérés contre le versement d’une rançon de 2 150 000 dollars.
B. L’interpellation des requérants et ses suites
Le même jour, un avion de surveillance repéra un véhicule tout terrain sortant de Garaad à vive allure. Cinq ou six hélicoptères de l’armée française emportant des commandos de marines et des membres du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (« GIGN ») le prirent en chasse puis l’interceptèrent. Les passagers – les six requérants – se rendirent sans opposer résistance. Les militaires saisirent des armes et une partie de la rançon dans le véhicule. Les six personnes ainsi interpellées sur le sol somalien furent conduites à bord d’un navire français où elles furent maintenues sous la garde des militaires français.
Le 14 avril 2008 à 18 heures, le procureur de la République de Paris saisit la section des recherches de gendarmerie de Paris d’une enquête préliminaire.
Le 15 avril 2008 à 15 heures, le lieutenant D., officier de police judiciaire de la section des recherches de Paris, fut informé par le ministère de la défense que les suspects se trouvaient à bord d’un avion militaire français en partance de Somalie et à destination de la France. Le Gouvernement indique que les autorités françaises avaient préalablement, le même jour, obtenu l’accord verbal des autorités somaliennes. Les requérants atterrirent sur le sol français le 16 avril 2008 vers 7 heures 15. Ils furent placés en garde à vue entre 7 heures 15 et 7 heures 35 et leurs droits leur furent immédiatement notifiés.
Le 18 avril 2008, le premier ministre du GFT de Somalie adressa une note aux autorités françaises, dans laquelle il indiquait notamment que le GFT remerciait les autorités françaises pour l’aide qu’elles avaient apportée pour mettre un terme à l’enlèvement et à la détention de l’équipage du Ponant et pour arrêter les auteurs de ces faits. Il précisait que « les autorités de la République de Somalie donn[ai]ent leur accord afin que les personnes arrêtées quittent le territoire somalien sous la garde des autorités militaires françaises » et que « le GFT somalien se réserv[ait] le droit d’avoir une représentation légale aux poursuites judiciaires qui auraient lieu en France ». Cette note fut transmise au juge d’instruction le 28 août 2008.
Le 18 avril 2008 également, le parquet de Paris ouvrit une information judiciaire. Les six suspects furent présentés à un juge d’instruction – vers 7 heures du matin vraisemblablement – qui les mit en examen pour « arrestation et séquestration de plusieurs personnes comme otages, pour obtenir le versement d’une rançon, en bande organisée, association de malfaiteurs, vols en bande organisée » ; l’un d’entre eux fut en sus mis en examen pour détournement de navire. Ils furent placés sous mandat de dépôt par le juge des libertés et de la détention.
C. L’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris
Le 13 octobre 2008, les six suspects saisirent la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris de requêtes aux fins de nullité de la procédure. Invoquant notamment l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, ils dénonçaient en particulier l’illégalité de leur interpellation sur le territoire somalien et de la privation de liberté qui leur avait été infligée avant leur arrivée sur le territoire français.
Par un arrêt du 6 avril 2009, la chambre de l’instruction jugea que la procédure avait été régulière et dit qu’il n’y avait pas lieu à annulation.
Elle considéra tout d’abord que l’arrestation des six suspects procédait d’un accord militaire ad hoc entre les autorités somaliennes et françaises, matérialisé par les notes verbales des 5 et 18 avril 2008. Elle jugea que « les décalages qui intrigu[ai]ent certains mis en examen entre la date de la [seconde] note et celles des décisions dont elle fai[sai]t état et le temps qu’il a[vait] fallu pour que la note parvienne au dossier du juge d’instruction après avoir fait l’ensemble du circuit partant du bureau du premier ministre du [GFT] via l’ambassade de France à Nairobi, le ministère des Affaires étrangères, celui de la justice, pour redescendre par le parquet général et le parquet de Paris, n’[étaient] pas anormaux ». Selon elle, une note verbale est la normalisation d’un accord qui précède nécessairement et qui confirme des décisions prises en commun. Elle estima en outre qu’aucun élément ne donnait à penser que ces notes n’étaient pas authentiques. Elle constata ensuite qu’il en résultait que la Somalie et la France, qui n’étaient pas liées par des accords bilatéraux ou internationaux préexistants, avaient mis en place une coopération ad hoc pour résoudre la crise, et avaient fait le choix d’un accord purement militaire. Sur la base de cet accord, les forces militaires françaises, d’une part, avaient été chargées d’arrêter les suspects, de récupérer la rançon et d’assurer la garde et la surveillance des ressortissants somaliens dans l’attente des décisions qui seraient prises par les gouvernements respectifs. D’autre part, elles avaient reçu des instructions conformes aux décisions politiques qui venaient d’être prises, afin que les ressortissants somaliens quittent leur pays d’origine. La chambre de l’instruction jugea de plus que cet accord ne pouvait s’analyser en une convention d’entraide judiciaire en matière pénale, même si les autorités françaises avaient l’intention de faire juger en France les personnes arrêtées, dans l’hypothèse où le gouvernement de Somalie donnait son accord à leur transfert en France.
Ensuite, la chambre de l’instruction souligna que les décisions prises par le gouvernement français d’arrêter les suspects sur le territoire somalien, de les garder dans l’attente de nouvelles instructions puis de leur faire quitter le territoire somalien après l’accord des autorités somaliennes, étaient des « actes de gouvernement », c’est-à-dire des actes « qui se rattachent à l’exercice de la fonction gouvernementale et qui n’entrent pas dans la catégorie des actes administratifs, et pour lesquels le juge judiciaire est incompétent pour connaître des litiges concernant ces actes », de sorte que « les recours ou les moyens concernant de tels actes [devaient] être déclarés irrecevables ».
Elle jugea que les suspects n’étaient entrés dans la « sphère de la juridiction française », au sens de l’article 1 de la Convention, qu’à partir du moment où la décision avait été prise de les transférer en France, soit le 16 avril 2008 à 16 heures, lorsque cette décision avait été portée à la connaissance effective du lieutenant D., officier de police judiciaire à la section des recherches de Paris. Elle estima en outre que la procédure pénale n’avait débuté qu’au moment de leur placement en garde à vue à leur arrivée sur le territoire français, et que cette garde à vue avait été régulière.
La chambre de l’instruction vérifia alors si leur privation de liberté du 15 avril 2008 à 15 heures au 16 avril 2008 à 7 heures 15 (date et heure de leur arrivée en France) était conforme à l’article 5 de la Convention. Elle considéra à cet égard que leur transfert par voie aérienne répondait à l’ « exigence de promptitude » imposée par la Cour « puisque la conduite devant un officier de police a[vait] été la plus rapide possible compte tenu des délais de route et des mesures de sécurité pour [les] embarquer et débarquer (...) et pour arrêter le plan de vols avec le contrôle aérien dans le respect des règles imposées par la sécurité aérienne ». Elle observa ensuite « que l’enquête préliminaire a[vait] été placée sous le contrôle effectif et constant du procureur de la République, que le placement en garde à vue, avant la conduite devant le procureur de la République puis le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention, intervenus dans le respect de la loi française, ne sont [sic] pas contraires au principe du droit à la liberté et à la sûreté et apportent à la personne arrêtée dans le plus court délai, le droit d’être informé dans une langue qu’elle comprend, l’accès au juge et l’exercice des droits de la défense ». Elle souligna à cet égard que les auditions réalisées dans le cadre de la garde à vue avaient pour but de vérifier, à charge et à décharge, l’implication réelle de chaque suspect dans les faits sur lesquels l’enquête portait, et pouvaient conduire à la mise hors de cause de certains, sur la seule décision du procureur de la République.
D. L’arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 2009
Les six suspects se pourvurent en cassation, se fondant notamment sur une violation de l’article 5 §§ 3 et 4 et de l’article 13 de la Convention.
Par un arrêt du 16 septembre 2009, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta les pourvois. Elle jugea que la chambre de l’instruction avait énoncé à tort « que les suspects, placés sous le contrôle de l’autorité militaire française dès leur interpellation sur le territoire somalien, le 11 avril 2008, ne relevaient de la « juridiction française » au sens de l’article 1 de la Convention (...) qu’à partir du 15 avril 2008, 15 heures, date à laquelle la décision de les transférer en France, prise avec l’accord des autorités somalienne, avait été portée à la connaissance des autorités françaises et aussitôt mise en œuvre ». Elle considéra cependant que l’arrêt n’encourait pas la censure dès lors que « des circonstances insurmontables, caractérisées par l’attente de l’accord des autorités somaliennes en vue du transfert des six suspects en France, justifiaient leur privation de liberté pendant près de cinq jours, avant que leur placement en garde à vue ne fût régulièrement ordonné le 16 avril 2008, à partir de 7 heures 15 ».
E. L’arrêt de la cour d’assises de Paris du 14 juin 2012
Par un arrêt du 14 juin 2012, la cour d’assisses de Paris acquitta Abdurahman Ali Samatar (requête no 17110/10) et Abdulqader Guled Said (requête no 17301/10). Elle condamna en revanche les autres requérants à des peines allant de quatre à dix ans d’emprisonnement. Ils n’interjetèrent pas appel.
F. Les requêtes en réparation déposées par Abdurahman Ali Samatar et Abdulqader Guled Said
Le 23 juillet 2012, Abdurahman Ali Samatar (requête no 17110/10) et Abdulqader Guled Said (requête no 17301/10) déposèrent chacun une requête en réparation du préjudice subi du fait de leur placement en détention provisoire du 18 avril 2008 au 15 juin 2012. Le 5 novembre 2012, le premier président de la cour d’appel de Paris leur alloua à chacun 90 000 EUR en réparation de leur préjudice moral et 1 200 EUR en application de l’article 700 du code de procédure civile. Il alloua en outre, pour préjudice matériel, 5 000 EUR au premier et – ayant sursis à statuer sur sa demande relative à l’indemnisation de son préjudice corporel –, 3 000 EUR au second.
Saisie en appel par les intéressés, la commission nationale statua le 17 juin 2013. Elle porta les montants alloués à Abdurahman Ali Samatar à 120 000 EUR, 10 000 EUR et 1 500 EUR respectivement. Elle sursit à statuer sur la demande d’Abdulqader Guled Said tendant à l’indemnisation de son préjudice moral jusqu’au prononcé de la décision du premier président de la cour d’appel de Paris sur le préjudice corporel et fixa les montants relatifs au préjudice matériel et à l’article 700 du code de procédure civile à 10 000 EUR et 1 500 EUR respectivement (les parties n’ont pas informé la Cour du montant finalement alloué pour préjudice moral).
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Les dispositions pertinentes du code pénal sont les suivantes :
Article 113-3 (version applicable à l’époque des faits de l’espèce)
« La loi pénale française est applicable aux infractions commises à bord des navires battant un pavillon français, ou à l’encontre de tels navires, en quelque lieu qu’ils se trouvent. Elle est seule applicable aux infractions commises à bord des navires de la marine nationale, ou à l’encontre de tels navires, en quelque lieu qu’ils se trouvent. »
Article 113-7
« La loi pénale française est applicable à tout crime, ainsi qu’à tout délit puni d’emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction. »
Les articles pertinents du code de procédure pénale sont les suivants :
Article 689-1
« En application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République de l’une des infractions énumérées par ces articles. Les dispositions du présent article sont applicables à la tentative de ces infractions, chaque fois que celle-ci est punissable. »
Article 689-5
« Pour l’application de la convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime et pour l’application du protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental, faits à Rome le 10 mars 1988, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à l’article 689-1 toute personne coupable de l’une des infractions suivantes :
1o Crime défini aux articles 224-6 et 224-7 du code pénal ;
2o Atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique, destruction, dégradation ou détérioration, menace d’une atteinte aux personnes ou aux biens réprimées par les livres II et III du code pénal ou délits définis par l’article 224-8 de ce code et par l’article L. 331-2 du code des ports maritimes, si l’infraction compromet ou est de nature à compromettre la sécurité de la navigation maritime ou d’une plate-forme fixe située sur le plateau continental ;
3o Atteinte volontaire à la vie, tortures et actes de barbarie ou violences réprimés par le livre II du code pénal, si l’infraction est connexe soit à l’infraction définie au 1o, soit à une ou plusieurs infractions de nature à compromettre la sécurité de la navigation maritime ou d’une plate-forme visées au 2o. »
III. LA RéSOLUTION 1816 DU CONSEIL DE SéCURITé DES NATIONS UNIES
Adoptée, le 2 juin 2008, lors de la 5902ème séance du Conseil de sécurité, la résolution 1816 est ainsi libellée :
« Le Conseil de sécurité, (...)
Profondément préoccupé par la menace que les actes de piraterie et les vols à main armée commis contre des navires font peser sur l’acheminement effectif, les délais d’acheminement et la sécurité de l’acheminement de l’aide humanitaire en Somalie, sur la sécurité des routes maritimes commerciales et sur la navigation internationale,
Se déclarant préoccupé de ce qu’il ressort des rapports trimestriels publiés depuis 2005 par l’Organisation maritime internationale (OMI) que des actes de piraterie et des vols à main armée continuent de se produire, en particulier dans les eaux situées au large des côtes somaliennes,
Affirmant que le droit international, tel qu’édicté dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, en date du 10 décembre 1982 (« la Convention »), définit le cadre juridique de la lutte contre la piraterie et le vol à main armée, parmi d’autres activités menées sur les océans,
Réaffirmant les dispositions du droit international concernant la répression de la piraterie, en particulier la Convention, et rappelant que ces dispositions établissent les principes directeurs d’une coopération aussi totale que possible dans la répression de la piraterie en haute mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État, y compris, entre autres mesures, pour ce qui est d’arraisonner, de fouiller et de saisir les navires se livrant ou soupçonnés de se livrer à des actes de piraterie et d’appréhender les personnes se livrant à de tels actes en vue de les traduire en justice,
Réaffirmant qu’il respecte la souveraineté, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique et l’unité de la Somalie,
Tenant compte de la crise que traverse la Somalie et du fait que le Gouvernement fédéral de transition n’a les moyens ni de tenir les pirates à distance ni de patrouiller dans les voies de circulation maritime internationales proches des côtes du pays ou dans ses eaux territoriales et d’en assurer la sécurité,
Déplorant les récents incidents au cours desquels des navires ont été attaqués ou détournés dans les eaux territoriales de la Somalie ou en haute mer, au large de ses côtes, y compris l’attaque ou le détournement de navires affrétés par le Programme alimentaire mondial et de nombreux navires commerciaux, déplorant les graves répercussions de ces attaques sur l’acheminement effectif, les délais d’acheminement et la sécurité de l’acheminement de l’aide alimentaire et des autres secours humanitaires destinés aux populations somaliennes, et déplorant les graves dangers que ces attaques représentent pour les navires, leurs équipages, leurs passagers et leur cargaison,
Prenant acte des lettres datées des 5 juillet et 18 septembre 2007 que le Secrétaire général de l’OMI a adressées au Secrétaire général au sujet des problèmes de piraterie au large des côtes somaliennes et la résolution A.1002 (25) de l’OMI, dans laquelle les gouvernements ont été vivement engagés à accroître leurs efforts en vue de prévenir et de réprimer, dans le respect des dispositions du droit international, les actes de piraterie et les vols à main armée commis contre des navires, où qu’ils se produisent, et rappelant le communiqué conjoint de l’OMI et du Programme alimentaire mondial en date du 10 juillet 2007,
Prenant note de la lettre datée du 9 novembre 2007 que le Secrétaire général a adressée au Président du Conseil de sécurité pour l’informer que le Gouvernement fédéral de transition de la Somalie a besoin et serait heureux de recevoir une aide internationale pour faire face au problème,
Prenant note en outre de la lettre que le Représentant permanent de la République somalienne auprès de l’Organisation des Nations Unies a adressée au Président du Conseil de sécurité le 27 février 2008 pour lui indiquer que le Gouvernement fédéral de transition demandait au Conseil de l’aider, d’urgence, à assurer la sécurité des eaux territoriales somaliennes et des eaux internationales situées au large des côtes du pays, afin d’y garantir la sécurité du transport maritime et de la navigation,
Constatant que les actes de piraterie et les vols à main armée subis par des navires dans les eaux territoriales de la Somalie ou en haute mer, au large de ses côtes, enveniment la situation dans le pays, laquelle continue de menacer la paix internationale et la sécurité de la région,
Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
Condamne et déplore tous actes de piraterie et vols à main armée commis contre des navires dans les eaux territoriales de la Somalie ou en haute mer, au large de ses côtes ;
Engage les États dont les navires de guerre et les aéronefs militaires opèrent en haute mer au large des côtes somaliennes, ou dans l’espace aérien international situé au large de ces côtes, à faire preuve de vigilance à l’égard des actes de piraterie et des vols à main armée, et, dans cet esprit, engage en particulier les États désireux d’emprunter les routes maritimes commerciales situées au large des côtes somaliennes à renforcer et coordonner, en coopération avec le Gouvernement fédéral de transition, l’action menée pour décourager les actes de piraterie et les vols à main armée commis en mer ;
Engage également tous les États à coopérer entre eux, avec l’OMI et, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes, au sujet des actes de piraterie et des vols à main armée commis dans les eaux territoriales de la Somalie et en haute mer au large de ses côtes et à se communiquer toutes informations y relatives, et à prêter assistance aux navires menacés ou attaqués par des pirates ou des voleurs armés, conformément au droit international applicable ;
Engage en outre les États à coopérer avec les organisations intéressées, y compris l’Organisation maritime internationale, afin de veiller à ce que les navires ayant faculté de battre leur pavillon national reçoivent des directives et une formation appropriées concernant les techniques d’évitement, d’évasion et de défense, et à éviter la zone pour autant que possible ;
Demande aux États et aux organisations intéressées, y compris l’Organisation maritime internationale, de fournir à la Somalie et aux États côtiers voisins, à leur demande, une assistance technique visant à renforcer la capacité de ces États d’assurer la sécurité côtière et maritime, y compris la lutte contre la piraterie et les vols à main armée au large des côtes somaliennes et des côtes des pays voisins ;
Affirme que les mesures édictées au paragraphe 5 de la résolution 733 (1992) et explicitées aux paragraphes 1 et 2 de la résolution 1425 (2002) ne s’appliquent pas à la fourniture d’assistance technique à la Somalie aux seules fins énoncées au paragraphe 5 ci-dessus, qui font l’objet d’une dérogation conformément à la procédure définie aux paragraphes 11 b) et 12 de la résolution 1772 (2007) ;
Décide que, pour une période de six mois à compter de l’adoption de la présente résolution, les États qui coopèrent avec le Gouvernement fédéral de transition à la lutte contre la piraterie et les vols à main armée au large des côtes somaliennes et dont le Gouvernement fédéral de transition aura préalablement communiqué les noms au Secrétaire général sont autorisés :
a) À entrer dans les eaux territoriales de la Somalie afin de réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée en mer, d’une manière conforme à l’action autorisée en haute mer en cas de piraterie en application du droit international applicable ;
b) À utiliser, dans les eaux territoriales de la Somalie, d’une manière conforme à l’action autorisée en haute mer en cas de piraterie en application du droit international applicable, tous moyens nécessaires pour réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée ;
Demande aux États coopérants de prendre les dispositions voulues pour garantir que les activités qu’ils mèneront conformément à l’autorisation accordée au paragraphe 7 de la présente résolution n’auront pas pour effet sur le plan pratique de refuser ou restreindre le droit de passage inoffensif des navires d’États tiers ;
Affirme que l’autorisation donnée dans la présente résolution s’applique à la seule situation en Somalie et n’affecte pas les droits, obligations ou responsabilités dérivant pour les États Membres du droit international, notamment les droits ou obligations résultant de la Convention pour ce qui est de toute autre situation, et souligne en particulier qu’elle ne peut être regardée comme établissant un droit international coutumier, et affirme en outre que la présente autorisation n’a été donnée qu’à la suite de la réception de la lettre datée du 27 février 2008 adressée au Président du Conseil de sécurité par le Représentant permanent de la République somalienne auprès de l’Organisation des Nations Unies et transmettant l’accord du Gouvernement fédéral de transition ;
Demande aux États participants de coordonner entre eux les mesures qu’ils prennent en application des paragraphes 5 et 7 ci-dessus ;
Demande à tous les États, en particulier aux États du pavillon, aux États du port et aux États côtiers, ainsi qu’aux États de nationalité des victimes ou des auteurs d’actes de piraterie ou de vols à main armée et aux États tirant juridiction du droit international ou de leur droit interne, de coopérer en vue de déterminer lequel aura compétence et de prendre les mesures voulues d’enquête et de poursuite à l’encontre des auteurs d’actes de piraterie et de vols à main armée commis au large des côtes somaliennes, conformément au droit international applicable, y compris le droit international des droits de l’homme, et de seconder ces efforts, notamment en fournissant une assistance en matière de logistique et d’accès aux voies de droit aux personnes relevant de leur juridiction et de leur contrôle, telles que les victimes, les témoins et les personnes détenues dans le cadre d’opérations menées en vertu de la présente résolution (...) ». | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
A. Le contexte de l’affaire
Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers.
Les présentes requêtes portent sur des procédures engagées par les requérants ou leurs devanciers en vue d’obtenir le réajustement et l’augmentation du montant de leurs pensions conformément à ces lois.
B. Les procédures en cause
Requête no 23108/13
À une date non précisée, le devancier de la requérante saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 16 mars 2001, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande.
Le 30 mai 2002, le devancier de la requérante saisit la Cour des comptes d’un recours contre le rejet de sa demande.
Le 11 février 2004, le devancier de la requérante décéda. Le 18 novembre 2005, cette dernière lui succéda dans la procédure.
Le 17 octobre 2008, la Cour des comptes donna gain de cause à la requérante (arrêt no 2387/2008).
Le 16 novembre 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 2387/2008.
Le 6 juin 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1837/2012). L’arrêt fut notifié à la requérante le 24 septembre 2012.
Requête no 24543/13
Le 13 décembre 2005, le devancier des requérants saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 10 janvier 2006, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande.
Le 7 avril 2006, le devancier des requérants saisit la Cour des comptes d’un recours contre le rejet de sa demande.
Le 23 avril 2008, le devancier des requérants décéda. Le 29 mai 2008, ces derniers lui succédèrent dans la procédure.
Le 17 octobre 2008, la Cour des comptes donna gain de cause aux requérants (arrêt no 2359/2008).
Le 24 novembre 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 2359/2008.
Le 6 juin 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1824/2012). L’arrêt fut notifié aux requérants le 4 octobre 2012.
Requête no 25654/13
Le 13 décembre 2005, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 10 janvier 2006, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande.
Le 26 juin 2006, le requérant saisit la Cour des comptes d’un recours contre le rejet de sa demande.
Le 17 octobre 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 2306/2008).
Le 24 novembre 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 2306/2008.
Le 27 juin 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 2334/2012). L’arrêt fut notifié au requérant le 2 novembre 2012.
C. Le droit interne pertinent
La loi no 4239/2014
La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Cette loi introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose:
« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ». | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants étaient employés par la Province de Salerne et exerçaient les fonctions d’assistants administratifs, collaborateurs, assistants techniques et responsables administratifs dans les écoles (le « personnel ATA »). Ils avaient droit à un salaire de base, assorti d’indemnités accessoires.
Suite au transfert du personnel de la fonction publique territoriale vers la fonction publique de l’État, prévu par la loi no 124 du 3 mai 1999, les requérants furent employés, à partir du 31 décembre 1999, par le ministère de l’Éducation Nationale (« le ministère »). Les employés déjà en poste dudit ministère, exerçant les mêmes fonctions que les requérants, avaient droit à un traitement de base progressif selon l’ancienneté de service.
Selon l’article 8 de la loi no 124 susmentionnée, l’ancienneté de service acquise par les requérants auprès des collectivités locales devait être reconnue à toutes fins juridiques et économiques. Toutefois, le ministère attribua aux requérants une ancienneté fictive, en transformant la rétribution de base perçue des collectivités locales à la date du 31 décembre 1999 en années d’ancienneté et, au mépris du contrat collectif national de l’École, il calcula leur traitement pécuniaire sans tenir compte de leur ancienneté de service réelle, acquise jusqu’à cette date. En outre, en transformant la rétribution de base en années d’ancienneté fictive, le ministère enleva des dernières fiches de paie des requérants tous les éléments indemnitaires dont leurs salaires étaient régulièrement assortis jusqu’au 31 décembre 1999.
Les requérants saisirent les tribunaux du travail de Salerne afin d’obtenir la reconnaissance juridique et économique de l’ancienneté acquise auprès de leurs employeurs locaux d’origine et, en conséquence, le versement de la différence de rétribution née à partir du 1er janvier 2000. Ils firent valoir qu’ils percevaient un salaire qui ne correspondait pas à leur ancienneté et que ce salaire était ainsi inférieur à celui des fonctionnaires qui avaient toujours été employés par le ministère.
Par plusieurs arrêts, les tribunaux accueillirent les recours des requérants et condamnèrent le ministère à reconnaître l’ancienneté acquise par les requérants auprès des collectivités locales.
Le ministère interjeta appel de ces jugements. Alors que ces procédures étaient pendantes, le Parlement adopta la loi de finances pour 2006 (« la loi no 266 de 2005»). L’article 1, alinéa 218, de ladite loi était intitulé « interprétation authentique (interpretazione autentica) de l’article 8 de la loi no 124 de 1999 » ; il prévoyait que le personnel ATA devait être intégré dans les tableaux de paye de la nouvelle administration sur la base du traitement salarial global des intéressés au moment de la mutation.
Dans le système juridique italien, les lois dites d’interprétation authentique ont un effet rétroactif, en ce sens que l’interprétation qu’elles fournissent est considérée comme faisant corps avec les dispositions interprétées depuis l’entrée en vigueur de celles-ci.
Par plusieurs arrêts, les cours d’appel, compte tenu de la loi no 266, firent droit aux appels du ministère.
Les requérants se pourvurent en cassation. L’issue de ces procédures n’est pas connue.
Les requérants ont perdu la reconnaissance de l’ancienneté acquise auprès des autorités locales d’origine. De surcroît, ils ont vu leurs salaires devenir inférieurs à ceux d’autres membres du personnel ATA qui avaient obtenu gain de cause par des décisions ayant acquis l’autorité de la chose jugée avant l’entrée en vigueur de la loi no 266.
Des informations pertinentes sur les faits relatifs à ces procédures sont contenues dans le tableau récapitulatif en annexe.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Jusqu’au 31 décembre 1999, une partie du personnel ATA et des enseignants technico-practiciens des établissements scolaires italiens dépendait du ministère et ce personnel était rémunéré sur la base d’un contrat collectif national de travail de l’École. En revanche, une autre partie de l’effectif dépendait et était rémunérée sur la base d’un contrat collectif des régions autonomes locales, par les communes ou les provinces.
La loi no 124 du 3 mai 1999 prévoyait, dans son article 8, alinéa 2, que le personnel des collectivités locales en service dans les institutions scolaires publiques à la date de son entrée en vigueur serait transféré dans les corps du personnel ATA de la fonction publique. Il était reconnu à ce personnel, à toutes fins juridiques et financières, l’ancienneté acquise auprès de leurs anciens employeurs, à savoir les collectivités locales de provenance.
Le 20 juillet 2000, l’association représentant l’administration (ARAN) conclut un accord avec les organisations syndicales concernées afin de déroger au principe de la conservation de l’ancienneté, posé par la loi no 124. Cet accord fut ensuite entériné par un décret ministériel du 5 avril 2001.
Ultérieurement, par des notes des 27 février et 12 septembre 2003, déposées auprès des tribunaux de Milan, l’ARAN a fait valoir que l’accord en question ne pouvait être qualifié d’« accord collectif » et qu’elle entendait bien maintenir sa position et déroger au principe susmentionné de la conservation de l’ancienneté.
La loi no 266 de finances pour 2006 prévoyait en son article 1 que l’alinéa 2 de l’article 8 de la loi no 124 devait être interprété de façon à ce que le personnel ATA à transférer dans l’effectif relevant de la fonction publique de l’État soit considéré comme dépendant du statut correspondant à la fonction publique. Dans le système juridique italien, pareilles lois, dites d’interprétation authentique, ont un effet rétroactif, en ce sens que l’interprétation qu’elles fournissent est considérée comme faisant partie intégrante des dispositions interprétées, depuis l’entrée en vigueur de celles-ci.
L’article 2112 du code civil dispose que le contrat de travail continue avec le cessionnaire éventuel et que le travailleur conserve tous les droits qui en dérivent.
A. Jurisprudence de la Cour de cassation avant l’adoption de la loi no 266 de 2005
Avant l’intervention de la loi no 266 en question (paragraphe 19 ci-dessus), la jurisprudence civile déclarait nul l’accord passé entre l’ARAN et les organisations syndicales (paragraphe 16 ci-dessus), car il était en contradiction avec le principe du classement dans les corps ministériels sur la base de l’ancienneté acquise, au sens de l’article 8 de la loi no 124 (paragraphe 16 ci-dessus).
En 2005, la Cour de cassation avait d’ailleurs rejeté tous les pourvois formés par le ministère, confirmant le droit au classement dans les corps de fonctionnaires de l’État sur la base de l’ancienneté acquise par le personnel concerné avant le reclassement, c’est-à-dire avant le transfert (Cassation, chambre sociale, arrêts no 4722 du 4 mars 2005, nos 18652-18657 du 23 septembre 2005 et no 18829 du 27 septembre 2005).
Le Conseil d’État s’était également prononcé dans le même sens, notamment, dans ses arrêts no 4142/2003 du 6 juillet 2005 et no 5371 du 6 décembre 2006.
B. Les arrêts de la Cour constitutionnelle
La Cour constitutionnelle italienne, dans son arrêt no 234 de 2007, a déclaré conforme à la Constitution la loi no 266 de finances pour 2006, se basant sur le fait que dans le système juridique italien, le législateur disposait du pouvoir d’édicter des lois interprétatives même incompatibles avec le texte de la loi interprétée et qu’en fait, l’article 8 alinéa 2 de la loi no 124 de 1999 représentait une dérogation au principe général en vigueur à l’époque pertinente. La Cour constitutionnelle a également estimé que la loi no 266 ne créait aucune différence de traitement entre les travailleurs qui avaient bénéficié d’un arrêt définitif favorable et ceux qui n’avaient pas encore obtenu un jugement définitif.
Le 3 juin 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation invita la Cour constitutionnelle à revoir sa position, compte tenu de l’article 6 § 1 de la Convention.
Par un arrêt du 26 novembre 2009 (no 311), la Cour constitutionnelle a rejeté le renvoi décidé par la Cour de cassation. Elle a considéré que l’interdiction de l’ingérence du législateur dans les affaires pendantes auxquelles l’État est partie n’était pas absolue ; selon elle, il ressortait de différentes exemples de jurisprudence que la Cour européenne des Droits de l’Homme n’avait pas voulu poser une interdiction absolue à cet égard (voir, par exemple, Forrer-Niedenthal c. Allemagne, no 47316/99, 20 février 2003 ; National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997VII ; OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France, nos 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004) et avait considéré comme non contraires à l’article 6 de la Convention certaines interventions rétroactives des législateurs nationaux. La légalité de telles interventions avait notamment été reconnue lorsque se présentaient certaines circonstances historiques, comme dans le cas de la réunification allemande. Quant à la ratio legis de la nouvelle loi no 266, la Cour constitutionnelle a admis le besoin pressant d’harmoniser le système de rétribution du personnel ATA indépendamment de ses antécédents professionnelles. De surcroît, la Cour constitutionnelle a fait référence à la nécessité de remédier à la faille technique de la loi originaire no 124, laquelle prévoyait la possibilité de laisser cette matière à la discrétion des parties et du pouvoir réglementaire.
C. Jurisprudence de la Cour de cassation après l’adoption de la loi no 266 de 2005
Après l’entrée en vigueur de la loi no 266, la Cour de cassation a infirmé tous les arrêts favorables aux travailleurs et a accueilli les pourvois du ministère.
D. Arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 6 septembre 2011
Par un arrêt du 6 septembre 2011, la Cour de Justice de l’Union Européenne (« la CJUE ») s’est prononcée sur la question préjudicielle soulevée par le tribunal de Venise concernant le statut du personnel ATA. La CJUE a précisé la portée de la protection des droits des travailleurs repris par un nouvel employeur. En particulier, s’agissant du calcul de la rémunération des travailleurs ayant fait l’objet d’un transfert, elle a considéré qu’il était loisible à l’employeur cessionnaire d’appliquer – à compter de la date du transfert –, les conditions de travail prévues par la convention collective en vigueur chez lui, y compris celles relatives à la rémunération. Ceci étant, les modalités choisies pour une telle réintégration salariale des travailleurs transférés devaient en tout état de cause être conformes à l’objectif de la réglementation de l’Union en matière de protection des droits des travailleurs transférés, étant entendu que cette réglementation consiste, essentiellement, à empêcher que ces travailleurs soient placés, du seul fait du transfert, dans une position défavorable comparée à celle dont ils bénéficiaient auparavant.
La CJUE a souligné qu’en l’espèce, au lieu de reconnaître cette ancienneté en tant que telle et sans réserve, le ministère avait calculé pour chaque travailleur transféré une ancienneté « fictive », ce qui avait joué un rôle déterminant dans la fixation des conditions de la rémunération dorénavant applicables à ces derniers. Étant donné que les tâches exercées avant le transfert dans les écoles publiques par le personnel ATA des collectivités territoriales étaient analogues, voire identiques, à celles exercées par le personnel ATA employé par le ministère, l’ancienneté acquise par un personnel auprès de l’employeur cédant jusqu’au transfert aurait pu être qualifiée d’équivalente à celle acquise par un membre du personnel ATA possédant le même profil et employé depuis toujours par le ministère.
La CJUE a conclu que lorsqu’un transfert au sens de la directive 77/187, (concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements) conduit à l’application immédiate, aux travailleurs transférés, de la convention collective en vigueur auprès du cessionnaire et lorsque les conditions de rémunération prévues par cette convention sont notamment liées à l’ancienneté, le droit de l’Union s’oppose à ce que les travailleurs transférés subissent, par rapport à leur situation immédiatement antérieure au transfert, une régression salariale substantielle en raison du fait que leur ancienneté acquise auprès du cédant – équivalente à celle acquise par des travailleurs au service du cessionnaire – n’est pas prise en compte lors de la détermination de leur position salariale de départ auprès de ce dernier. Selon la CJUE, il appartenait aux juridictions nationales d’examiner s’il y a eu, lors du transfert en cause, une telle régression salariale.
La CJUE a rappelé, en outre, qu’il n’y avait plus besoin de se prononcer sur la compatibilité de la loi de finances no 266 avec les principes généraux du droit, tels que le principe de protection juridictionnelle effective et le principe de sécurité juridique, car la Cour Européenne des Droits de l’Homme avait répondu entre-temps à cette question dans son arrêt Agrati et autres c. Italie (nos 43549/08, 6107/09 et 5087/09, 7 juin 2011).
À la suite de cet arrêt, le juge de la procédure interne a quo a ordonné l’accomplissement d’une expertise afin d’évaluer les positions salariales des requérants.
En outre, par deux arrêts des 12 octobre (no 20980/121) et 14 octobre 2011 (no 21282), la Cour de cassation, à la suite l’arrêt de la CJUE, a renvoyé aux cours d’appels la procédure afin qu’elles évaluent si, dans les cas d’espèce, les requérants avaient effectivement subi une régression salariale. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1984 et réside à Thessalonique.
Le 24 octobre 2009, des poursuites pénales furent engagées contre le requérant pour tentative de vol avec violences. Le jour même, le juge d’instruction ordonna sa mise en détention provisoire (ordonnance no 49/2009).
Le requérant fut détenu jusqu’au 16 novembre 2009 au commissariat de police de Lefkos Pyrgos (Thessalonique). À cette date, il fut transféré dans les locaux de la Direction générale de la police de Thessalonique.
Selon le requérant, les deux espaces de détention n’étaient pas suffisamment aérés et ensoleillés. Il fait aussi état des problèmes de surpeuplement, de manque d’exercice physique, d’insuffisance d’alimentation et d’absence de contact avec le monde extérieur pendant sa détention.
Le 23 décembre 2009, le requérant informa le procureur des conditions de sa détention dans les locaux de la Direction générale de la police de Thessalonique et sollicita l’amélioration de celles-ci. À ce jour, le requérant ne reçut aucune réponse.
Il ressort du dossier que le requérant fut détenu à la Direction générale de la police de Thessalonique jusqu’au 29 janvier 2010.
II. LE DROIT INTERNE ET LA PRATIQUE NATIONALE ET INTERNATIONALE PERTINENTS
A. Le code pénitentiaire
Les articles pertinents en l’espèce du code pénitentiaire disposent :
Article 1
« 1. Les règles qui suivent régissent les conditions et les circonstances de l’exécution des peines et des mesures de sûreté (...) conformément à la Constitution, aux conventions internationales, aux lois et aux actes réglementaires édictés en vertu de celles-ci.
Sont considérées comme [des] détenus les personnes qui purgent des peines privatives de liberté, celles auxquelles s’appliquent les articles 69 [détention de criminels irresponsables] et 71 [admission des alcooliques et toxicomanes dans un établissement thérapeutique] du code pénal, ainsi que les détenus provisoires et ceux qui sont détenus en application des articles 16 [catégories spécifiques de détenus] et 17 [autres catégories de détenus] du présent code.
(...)
Les « établissements de détention » sont ceux qui sont définis au Troisième Chapitre du présent code. »
Article 15
« 1. Les personnes placées dans les établissements de détention, soit en application d’un mandat d’arrêt ou d’un mandat de placement en détention provisoire, soit en application d’une décision de la chambre d’accusation, séjournent dans des secteurs séparés, destinés aux femmes ou aux hommes, ou dans des espaces particuliers, séparés des autres détenus (...)
Les conditions de détention des personnes mises en examen dans la prison s’approchent dans la mesure du possible [des conditions] de la vie en liberté. [Ces personnes] ne sont [pas] soumises à des restrictions de leur liberté autres que celles qui sont nécessaires pour le bon déroulement de l’instruction (...) »
Article 19
« 1. Les établissements de détention se distinguent en : a) généraux, b) spéciaux et c) thérapeutiques.
Les établissements de détention généraux se distinguent en établissements de type A, de type B et de type C. Dans les établissements de type A sont placés les prévenus, ceux qui sont détenus pour des dettes et ceux qui ont été condamnés à une peine d’emprisonnement. Dans les établissements de type B sont placés tous les autres détenus, sous réserve de l’alinéa suivant. Dans les établissements de type C (...) sont placés les détenus qui purgent une peine de réclusion à perpétuité ou de dix ans minimum et [qui] sont considérés comme particulièrement dangereux pour la coexistence normale dans les établissements d’un autre type (...)
Les établissements spéciaux sont les prisons agricoles, la "Centrale du matériel pénitentiaire", les établissements pour les jeunes et les établissements semi-ouverts (...) »
B. Le code civil et la loi d’accompagnement
L’article 57 du code civil dispose :
« Celui qui, d’une manière illicite, est atteint dans sa personnalité, a le droit d’exiger la suppression de l’atteinte et, en outre, l’abstention de toute atteinte à l’avenir. (...)
Par ailleurs, la prétention à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n’est pas exclue. »
En outre, l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :
« L’État est tenu de réparer les dommages causés par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
Par deux arrêts nos 2893/2008 et 1215/2010, le Conseil d’État admit qu’une personne détenue pour cause de dette envers un tiers et placée, en violation de l’article 1050 § 2 du code de procédure civile, dans la même cellule que des personnes condamnées pour des infractions pénales avait subi un dommage moral et avait à ce titre, en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil et de l’article 57 du code civil, droit à une indemnité. Il indiqua que la déclaration de la nullité de la détention de l’intéressé et sa mise en liberté ne constituaient pas une cause de disparition du dommage moral subi par celui-ci pendant sa détention. Il précisa en outre que le manque de lieux de détention appropriés à la détention des personnes condamnées pour dettes envers des tiers ne pouvait justifier une exonération partielle ou totale de la responsabilité de l’État. Il jugea également que, aux fins de déterminer le montant de l’indemnité à octroyer à l’intéressé, il fallait tenir compte des conditions de détention de ce dernier. Il ajouta cependant que, l’appréciation desdites conditions ne pouvait conduire à exclure tout préjudice moral, étant donné que celui-ci naissait de la seule illégalité de la privation de liberté de l’intéressé, et ce indépendamment de l’appréciation en question. Dans les deux arrêts susmentionnés, la haute juridiction considéra ainsi que les intéressés avaient été, du fait de leur détention avec des personnes condamnées pour des infractions pénales, exposés à des invectives, insultes, atteintes à leur intégrité physique et autres violences, ces divers agissements visant surtout les personnes non considérées comme auteurs d’infractions pénales dans de tels lieux de détention.
Par deux arrêts nos 463/2006 et 1601/2009, la cour administrative d’appel d’Athènes jugea que les demandeurs dans ces affaires avaient subi un dommage moral en raison d’une atteinte à leur droit à leur personnalité (article 57 du code civil). Elle considéra que les demandeurs, bien que condamnés pour des dettes de nature commerciale, avaient été détenus dans le même espace que des personnes qui avaient été condamnées pour des infractions pénales, en méconnaissance de l’article 1050 du code de procédure civile, et elle leur accorda une indemnité.
C. Le code de procédure pénale (CPP)
L’article 284 du CPP prévoit :
« 1. Celui qui fait l’objet d’un mandat de détention provisoire est conduit à la prison réservée aux prévenus et est présenté au directeur de celle-ci (...). »
D. Le décret présidentiel no 141/1991 relatif aux compétences des organes du ministère de l’Ordre public
L’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 est ainsi libellé :
« Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police, excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. »
E. La pratique nationale et internationale
La Cour se réfère à ce sujet notamment aux paragraphes 19-22 de l’arrêt Aslanis c. Grèce (no 36401/10, 17 octobre 2013). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1978.
Le 26 juillet 2005, une action publique fut engagée contre le frère du requérant du chef d’homicide volontaire et son procès commença devant le tribunal pour enfants d’Istanbul.
Le 15 décembre 2005, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans le cadre de la même affaire et fut placé en détention provisoire le 16 décembre 2005.
Par un acte d’accusation du 25 janvier 2006, une action publique fut également engagée à l’encontre du requérant pour homicide volontaire.
Le 7 mars 2006, la cour d’assises tint sa première audience au cours de laquelle elle décida du maintien en détention provisoire du requérant.
Le 6 avril 2006, la cour d’assises entendit le requérant en sa défense et un témoin de l’incident. Au terme de cette audience, elle décida du maintien en détention provisoire du requérant.
Le 27 juillet 2006, la cour d’assises entendit, en qualité de témoin, le policier ayant dressé le procès-verbal d’incident et ordonna auprès du laboratoire criminalistique de la police d’Istanbul une expertise sur les balles extraites du corps de la victime pour vérifier si elles provenaient des armes saisies chez le requérant.
Le 19 septembre 2006, le 2 novembre 2006, le 26 décembre 2006 et le 22 mars 2007, la cour d’assises releva que le rapport d’expertise n’avait toujours pas été versé au dossier et ajourna les audiences pour ce motif.
Entre-temps, par un jugement du 14 février 2007, le tribunal pour enfants condamna le frère du requérant à une peine de onze ans et huit mois de prison pour homicide volontaire.
Le 17 juillet 2007, le procureur de la République présenta ses réquisitions sur le fond de l’affaire et la cour d’assises décida du maintien en détention provisoire du requérant.
La cour d’assises décida de nouveau de maintenir le requérant en détention lors de l’audience du 24 janvier 2008. À une date non précisée, le requérant forma opposition contre cette décision. Le 25 janvier 2008, la cour d’assises la rejeta, statuant sur dossier et après avoir demandé l’avis du procureur de la République.
Le 24 janvier 2008, la cour d’assises décida d’attendre l’issue du pourvoi en cassation formé contre le jugement prononcé par le tribunal pour enfants (paragraphe 12 ci-dessus) et de prolonger le maintien en détention provisoire du requérant.
La cour d’assises décida d’ajourner les audiences des 22 avril, 20 juin et 5 août 2008 dans l’attente que la Cour de cassation se prononce sur le jugement du tribunal pour enfants et ordonna le maintien en détention provisoire du requérant.
À l’audience du 17 octobre 2008, la cour d’assises accusa réception de l’information concernant le pourvoi du frère du requérant. Elle releva que le 21 avril 2008, la Cour de cassation avait cassé le jugement du 14 février 2007 en raison des manquements procéduraux et que l’affaire avait été renvoyée devant le tribunal pour enfants.
À l’issue de l’audience du 12 novembre 2008, le requérant fut mis en liberté compte tenu de l’état des preuves.
Le 10 avril 2009, la cour d’assises d’Istanbul acquitta le requérant pour manque de preuves.
Faute de pourvoi, l’arrêt de la cour d’assises devint définitif le 24 juin 2009.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Pour le droit et la pratique interne pertinents, voir l’affaire Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1970. Il est détenu à la prison de Louvain.
Soupçonné d’avoir tenté de donner la mort à son ex-compagne K.T.B., le requérant fit l’objet d’une procédure pénale. L’acte d’accusation du 19 août 2008 fit état des éléments suivants : alors que K.T.B. rentrait chez elle après être allée au supermarché, le requérant l’attendait dans la rue devant son immeuble. Une dispute éclata entre eux et, après des coups et des insultes réciproques, le requérant aurait sorti un couteau avec lequel il poignarda K.T.B. à plusieurs reprises. L’acte d’accusation faisait notamment valoir qu’il ressortait de l’enquête policière et judiciaire, en particulier des témoignages des proches et de la victime, que le requérant poursuivait et observait K.T.B. presque systématiquement et qu’il l’aurait déjà menacée de mort par le passé.
Par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles du 7 février 2008, il fut mis en accusation d’avoir, à Louvain, le 3 juillet 2006 :
[traduction]
« volontairement, avec intention de donner la mort et avec préméditation, tenté de donner la mort à [K.T.B.], alors que la résolution de commettre le crime a été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime, et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur. »
Le procès du requérant se tint devant la cour d’assises de la province du Brabant flamand du 20 au 24 octobre 2008.
Le jury fut appelé à répondre à six questions soumises par le président de la cour d’assises. La déclaration du jury fut libellée comme suit :
[traduction]
« Première question (question principale – à répondre dans tous les cas) :
Tesfaye YIMAM, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir :
à Louvain, le 3 juillet 2006, volontairement, avec intention de donner la mort, tenté de donner la mort à [K.T.B.], alors que la résolution de commettre le crime a été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime, et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur.
Réponse : OUI
Deuxième question (question accessoire à la première – ne répondre que s’il a été répondu OUI à la première question) :
L’accusé Tesfaye YIMAM a-t-il commis la tentative d’homicide, telle que décrite à la première question, avec préméditation ?
Réponse : OUI
Troisième question (question principale subsidiaire – ne répondre que s’il a été répondu NON à la première question) :
Tesfaye YIMAM, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir :
à Louvain, le 3 juillet 2006, volontairement infligé des coups ou des blessures à [K.T.B.] ?
Quatrième question (question accessoire à la troisième – ne répondre que s’il a été répondu OUI à la troisième question) :
L’accusé Tesfaye YIMAM a-t-il infligé les coups ou blessures, tels que décrits à la troisième question, avec préméditation ?
Cinquième question (question accessoire à la troisième – ne répondre que s’il a été répondu OUI à la troisième question) :
Le fait, tel que décrit à la troisième question, a-t-il été commis avec la circonstance que les coups ou blessures ont entraîné une incapacité de travail personnel ?
Sixième question (question accessoire à la troisième – ne répondre que s’il a été répondu OUI à la troisième question) :
L’accusé Tesfaye YIMAM a-t-il commis les faits, tels que décrits à la troisième question, sur une personne avec qui il a vécu et a entretenu une relation affective et sexuelle durable ? »
Par un arrêt du 24 octobre 2008, la cour d’assises condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de vingt ans.
Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt et invoqua, en particulier, une violation de l’article 6 § 1 de la Convention au motif que tant l’arrêt de condamnation de la cour d’assises que le verdict de culpabilité n’étaient pas motivés.
Par un arrêt du 27 janvier 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle estima que le juge motive régulièrement sa décision dès lors qu’il juge que les faits tels que décrits par la loi sont établis. Aussi, elle considéra que le seul fait que les jurés répondent par un simple « oui » ou « non » aux questions qui leur sont posées sans autre motivation n’entraîne pas en soi une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. D’après la Cour de cassation, la procédure devant la cour d’assises ainsi que la composition du jury formeraient des garanties suffisantes contre l’arbitraire. La procédure d’assises permettrait à l’accusé de disposer d’une décision motivée sur la légalité et la régularité des preuves, et lui permettrait de comprendre de manière suffisante quels preuves ou moyens de défense le jury avait retenu pour former son verdict. En l’espèce, la Cour de cassation constata que l’acte d’accusation, qui avait été signifié au requérant avant le début du procès, décrivait les faits reprochés au requérant de manière très concrète ; que l’acte de défense avait été lu pendant l’audience et avait été distribué aux jurés ; que le simple fait que l’arrêt ne mentionnait pas l’acte de défense n’indiquait en rien que la cour d’assises n’y avait pas eu égard ; que le requérant n’avait pas contesté qu’il avait donné des coups de couteau à la victime mais il demandait à la cour d’assises de requalifier les faits comme coups et blessures ; que le requérant n’avait à aucun moment déposé des conclusions soulevant un problème de droit ou une contestation de fait ; et que le requérant n’avait pas demandé à ce qu’une question subsidiaire soit posée concernant une cause d’excuse. L’arrêt de la cour d’assises était donc régulièrement motivé dès lors qu’il reprenait le verdict du jury qui avait répondu affirmativement aux questions qui lui étaient posées.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Taxquet c. Belgique ([GC], no 926/05, §§ 22-42, CEDH 2010). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1950, 1951 et 2001 et résident à Toulouse.
Les premiers requérants sont mari et femme. En raison d’un problème d’infertilité de la deuxième requérante, ils décidèrent de recourir à la gestation pour autrui. À cette fin, le 20 juin 2000, ils conclurent aux États-Unis un contrat avec l’International Fertility Center for Surrogacy puis, le 29 octobre 2000, un contrat avec cet institut et M. et Mme L., aux termes desquels cette dernière porterait un embryon provenant d’un ovocyte d’une donneuse anonyme et des gamètes du premier requérant.
C’est ainsi que, le 27 octobre 2001, la troisième requérante naquit dans le Minnesota, aux États-Unis.
Par un jugement du 31 octobre 2001, le Tribunal de l’État du Minnesota, statuant sur requête de Mme L., constata que le but de la grossesse de cette dernière avait été de donner naissance à un enfant biologiquement lié au requérant, qu’elle n’entendait pas conserver ses droits parentaux et que lesdits droits prenaient fin avec ce jugement.
Le même jour, saisi par le premier requérant ainsi que par M. et Mme L., ce même tribunal rendit un second jugement, constatant que le premier requérant déclarait être le père biologique de la troisième requérante, que le nom de cette dernière était Juliette Monique Labassee, que sa garde légale et physique était accordée au premier requérant, celui-ci étant autorisé à retourner en France avec elle, et qu’aucun droit de visite n’était donné à M. et Mme L., lesquels renonçaient expressément à leurs droits sur l’enfant.
Dressé au Minnesota le 1er novembre 2001, l’acte de naissance de la troisième requérante indique qu’elle est la fille du premier requérant et de la deuxième requérante.
A. Le refus de transcription de l’acte de naissance
Le 28 juillet 2003, le Parquet du tribunal de grande instance de Nantes informa les premiers requérants qu’il refusait de retranscrire l’acte de naissance de la troisième requérante sur les registres de l’état civil français, au motif qu’une telle mesure serait contraire à l’ordre public français.
B. L’acte de notoriété établi par le juge des tutelles du tribunal d’instance de Tourcoing
Saisi par les requérants, le juge des tutelles du tribunal de grande instance de Tourcoing, au vu de l’acte de naissance de la troisième requérante, de l’acte de mariage des premiers requérants et de témoignages indiquant qu’ils s’occupaient de l’enfant depuis sa naissance, établit, le 3 décembre 2003, un acte de notoriété.
C. Le jugement du tribunal de grande instance de Lille du 4 mai 2006
Le Parquet de Nantes ayant refusé de porter la mention marginale de cet acte à l’état civil, les premiers requérants, le 20 juillet 2004, assignèrent le ministre de la Justice devant le tribunal de grande instance de Lille afin de voir ordonner la transcription de l’acte de notoriété. Le 10 septembre 2004, le procureur de la République près cette juridiction les assigna à son tour afin de voir annuler l’acte de notoriété.
Les deux instances ayant été jointes, le tribunal débouta les requérants par un jugement du 22 mars 2007. Il considéra que la convention de mère porteuse était nulle car conclue en violation de la loi française, et avait un caractère frauduleux. Il en déduisit que la possession d’état sur laquelle se fondaient les requérants et l’acte de notoriété étaient viciés et ne pouvaient permettre l’établissement d’un lien de filiation.
D. L’arrêt de la cour d’appel de Douai du 14 septembre 2009
Saisie par les requérants, la cour d’appel de Douai confirma le jugement déféré par un arrêt du 14 septembre 2009. Elle retint notamment ce qui suit :
« (...) Il n’est pas contesté que Monsieur et Madame Labassee traitent Juliette Labassee depuis sa naissance comme leur enfant et pourvoient à son éducation et son entretien.
Cependant, la possession d’état doit, pour pouvoir constituer une présomption légale, permettant d’établir la filiation, être également exempte de vice.
En l’espèce, la possession d’état de Juliette Labassee à l’égard de Monsieur et Madame Labassee résulte de la convention de gestation pour autrui, conclue entre Monsieur et Madame Labassee et Madame [L.], en vertu de laquelle Madame [L.] leur a remis Juliette, dont elle venait d’accoucher, après insémination artificielle, l’embryon étant conçu avec un gamète de Monsieur Labassee et un ovocyte provenant d’une donneuse anonyme.
Cette possession d’état repose ainsi sur un contrat portant sur la gestation, contrat atteint, en application des articles 16-7 et 16-9 du code civil, d’une nullité absolue qui s’impose aux parties comme aux tiers.
Dans ces conditions, une telle possession d’état est viciée et ne peut avoir d’effet en ce qui concerne la filiation quel que soit le demandeur.
Il ne peut être valablement soutenu que cette absence d’effet porte atteinte à l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que protégé par l’article 3 § 1 de la convention de New York, alors que les principes d’indisponibilité du corps humain et d’indisponibilité de l’état des personnes, ainsi que le caractère d’ordre public de l’article 16-7 du code civil, imposent, en l’état de la loi française, d’exclure tout effet à une convention de gestation pour autrui, dite de mère porteuse.
Au vu de ces considération, il convient de débouter les [requérants] de leurs demandes principales visant à voir ordonner la transcription du certificat de notoriété établissant la possession d’état d’enfant de Juliette à l’égard de Monsieur et Madame Labassee.
En ce qui concerne la demande subsidiaire de Monsieur Labassee visant à voir constater que le lien de filiation existant entre lui et Juliette est établi par la possession d’état, il convient de relever, comme retenu ci-avant, que la possession d’état d’enfant de Juliette à l’égard de Monsieur Labassee résulte d’une convention de gestation pour autrui, atteinte d’une nullité absolue, et qu’elle ne peut donc produire aucun effet.
Dans ces conditions, la possession d’état de Monsieur Labassee est viciée et sa demande doit être également rejetée pour les mêmes motifs que ceux ci-avant exposés (...) »
E. L’arrêt de la Cour de cassation, du 6 avril 2011
Les requérants se pourvurent en cassation, faisant notamment valoir une méconnaissance de l’intérêt supérieur de l’enfant – au sens de l’article 3 § 1 de la convention internationale des droits de l’enfant – et une violation de l’article 8 de la Convention.
Le 6 avril 2011, la Cour de cassation (première chambre civile), rejeta le pourvoi par un arrêt ainsi motivé :
« (...) attendu qu’en l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ; que ce principe fait obstacle aux effets en France d’une possession d’état invoquée pour l’établissement de la filiation en conséquence d’une telle convention, fût-elle licitement conclue à l’étranger, en raison de sa contrariété à l’ordre public international français ;
Que dès lors, la cour d’appel a retenu à bon droit, qu’en l’état de la convention du 29 octobre 2000 portant sur la gestation pour le compte d’autrui, la possession d’état de [la troisième requérante] à l’égard [des premiers requérants] ne pouvait produire aucun effet quant à l’établissement de sa filiation ; qu’une telle situation, qui ne prive pas l’enfant de la filiation maternelle et paternelle que le droit de l’État du Minnesota lui reconnaît ni ne l’empêche de vivre avec les [premier requérants] en France, ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de cette enfant au sens de l’article 8 de la Convention (...), non plus qu’à son intérêt supérieur garanti par l’article 3 § 1 de la convention internationale des droits de l’enfant (...). »
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Dispositions de droit civil
L’article 18 du code civil est rédigé comme il suit :
« Est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français. »
Les articles 16-7 et 16-9 du code civil (créés par loi no 94-653 du 29 juillet 1994) sont ainsi libellés :
Article 16-7
« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. »
Article 16-9
« Les dispositions du présent chapitre sont d’ordre public. »
À la date de la naissance de la troisième requérantes (le 27 octobre 2001) et jusqu’au 27 novembre 2003, l’article 47 du code civil prévoyait que « tout acte de l’état civil des français et des étrangers, fait en pays étranger, fera foi, s’il est rédigé dans les formes usitées dans ledit pays ». La Cour de cassation avait toutefois précisé que « les actes de l’état civil ne font foi des faits qui ont été déclarés à l’officier de l’état civil que jusqu’à la preuve du contraire » (Cass. 1ère civ. 12 novembre 1986 : Bulletin 1986 I, no 258, p. 247).
Dans sa version en vigueur du 27 novembre 2003 au 15 novembre 2006, l’article 47 du code civil était rédigé comme il suit :
« Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
En cas de doute, l’administration, saisie d’une demande d’établissement, de transcription ou de délivrance d’un acte ou d’un titre, sursoit à la demande et informe l’intéressé qu’il peut, dans un délai de deux mois, saisir le procureur de la République de Nantes pour qu’il soit procédé à la vérification de l’authenticité de l’acte.
S’il estime sans fondement la demande de vérification qui lui est faite, le procureur de la République en avise l’intéressé et l’administration dans le délai d’un mois.
S’il partage les doutes de l’administration, le procureur de la République de Nantes fait procéder, dans un délai qui ne peut excéder six mois, renouvelable une fois pour les nécessités de l’enquête, à toutes investigations utiles, notamment en saisissant les autorités consulaires compétentes. Il informe l’intéressé et l’administration du résultat de l’enquête dans les meilleurs délais.
Au vu des résultats des investigations menées, le procureur de la République peut saisir le tribunal de grande instance de Nantes pour qu’il statue sur la validité de l’acte après avoir, le cas échéant, ordonné toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »
Il résulte des articles 319 et 320 du code civil, dans leur version applicable en l’espèce, que la filiation des enfants légitimes se prouve par les actes de naissance inscrits sur les registres de l’état civil et qu’à défaut, la possession d’état d’enfant légitime suffit.
L’article 311-3 du code civil (abrogé en 2006) était ainsi rédigé :
« Les parents ou l’enfant peuvent demander au juge des tutelles que leur soit délivré, dans les conditions prévues aux articles 71 et 72 du présent code, un acte de notoriété faisant foi de la possession d’état jusqu’à preuve contraire ;
Sans préjudice de tous autres moyens de preuve auxquels ils pourraient recourir pour en établir l’existence en justice, si elle venait à être contestée.
Le lien de filiation établi par la possession d’état constatée dans l’acte de notoriété est mentionné en marge de l’acte de naissance de l’enfant. »
B. Disposition de droit pénal
Les articles 227-12 et 227-13 du code pénal disposent :
Article 227-12
« (...) Est puni [d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende] le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif, les peines sont portées au double.
La tentative (...) est punie des mêmes peines. »
Article 227-13
« La substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
La tentative est punie des mêmes peines. »
C. Jurisprudence de la Cour de cassation
La Cour de cassation considère que la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes (Cass. ass. plén. 31 mai 1991 : Bulletin 1991 A.P., no 4, p. 5 ; dans cette affaire, la mère porteuse était la mère biologique de l’enfant). Cette position fait obstacle à l’établissement d’un lien juridique de filiation entre l’enfant issu d’une telle convention et la femme qui l’a recueilli à sa naissance et qui l’élève, que ce soit, comme en l’espèce, par l’effet de la possession d’état (Cass. 1ère civ., 6 avril 2011 ; pourvoi no 09-17130), par le bais de la transcription sur les registres de l’état civil des mentions figurant sur un acte de naissance régulièrement dressé à l’étranger (Cass. 1ère civ. 6 avril 2011 ; pourvoi no 09-66486) ou par le biais de l’adoption (Cass. 1ère civ., 29 juin 1994 : Bulletin 1994 I, no 226, p. 165 ; dans cette affaire également, la mère porteuse était la mère biologique de l’enfant).
Dans deux arrêts du 13 septembre 2013, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de la transcription des actes de naissance d’enfants nés en Inde d’une gestation pour autrui, de mères indiennes et de pères français (Cass. 1ère civ. ; pourvois nos 12-18315 et 12-30138). Ces derniers, qui avaient préalablement reconnus les enfants en France, avaient vainement sollicité la transcription des actes de naissances établis en Inde. Dans l’un des cas, la cour d’appel avait ordonné la transcription au motif que la régularité formelle et la conformité à la réalité des énonciations des actes litigieux n’étaient pas contestées. La Cour de cassation a cassé l’arrêt au motif qu’en l’état du droit positif, le refus de transcription est justifié « lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre publique selon les termes des [articles 16-7 et 19-9 du code civil] » (la Cour de cassation a statué à l’identique le 19 mars 2014 dans une affaire similaire ; pourvoi no 13-50005). Dans l’autre cas, la cour d’appel avait refusé d’ordonner la transcription, retenant qu’il ne s’agissait pas seulement d’un contrat de gestation pour autrui prohibé par la loi française, mais encore d’un achat d’enfant, contraire à l’ordre public, le père ayant versé à la mère porteuse un salaire de 1 500 EUR. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi par le même motif que dans son autre arrêt. Elle a ajouté qu’ « en présence de cette fraude, ni l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention (...) ne sauraient être utilement invoqués ». Sur ce même fondement et après avoir souligné que l’action en contestation de paternité exercée par le ministère public pour fraude à la loi, fondée sur l’article 336 du code civil, n’est pas soumise à la preuve que l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père au sens de l’article 332 du même code, la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel en ce qu’elle avait annulé la reconnaissance de paternité.
D. La décision du juge des référés du Conseil d’État du 4 mai 2011
Par une décision du 4 mai 2011, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté un appel du ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, dirigé contre une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lyon enjoignant de faire bénéficier des enfants nés en Inde d’un père français et d’une mère indienne d’un document de voyage leur permettant d’entrer sur le territoire français dans les meilleurs délais. Leur demande à cette fin avait été rejetée par les autorités au motif qu’elles soupçonnaient qu’ils étaient nés d’une gestation pour autrui.
Le juge des référés du Conseil d’État retient notamment que « la circonstance que la conception de ces enfants par [le père biologique français] et [la mère biologique indienne] aurait pour origine un contrat entaché de nullité au regard de l’ordre public français serait, à la supposer établie, sans incidence sur l’obligation, faite à l’administration par les stipulations de l’article 3-1 de la convention relative aux droits de l’enfant, d’accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ».
E. La circulaire de la garde des Sceaux, ministre de la Justice, du 25 janvier 2013
Le 25 janvier 2013, la garde des Sceaux, ministre de la Justice, a adressé aux procureurs généraux près les cours d’appel, au procureur près le tribunal supérieur d’appel, aux procureurs de la République et aux greffiers des tribunaux d’instance, la circulaire suivante :
« L’attention de la chancellerie a été appelée sur les conditions de délivrance des certificats de nationalité française (CNF) aux enfants nés à l’étranger de Français, lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance, qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui.
Vous veillerez, dans l’hypothèse où de telles demandes seraient formées, et sous réserve que les autres conditions soient remplies, à ce qu’il soit fait droit à celles-ci dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d’un acte d’état civil étranger probant au regard de l’article 47 du code civil selon lequel « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».
À l’inverse, face à un acte d’état civil étranger non probant, le greffier en chef du tribunal d’instance sera fondé, après consultation du bureau de la nationalité, à refuser la délivrance d’un CNF.
J’appelle votre attention sur le fait que le seul soupçon du recours à une telle convention conclue à l’étranger ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de CNF dès lors que les actes de l’état civil local attestant du lien de filiation avec un Français, légalisés ou apostillés sauf dispositions conventionnelles contraires, sont probantes au sens de l’article 47 précité.
Dans tous les cas, le bureau de la nationalité sera destinataire d’une copie du dossier et du certificat de nationalité française délivré ou du refus de délivrance opposé.
Vous veillerez, par ailleurs, à informer le bureau de la nationalité de toutes difficultés liées à l’application de la présente circulaire. »
III. L’ÉTUDE DU CONSEIL D’ÉTAT SUR LA RÉVISION DES LOIS DE BIOÉTHIQUE
Dans une étude sur la révision des lois de bioéthique adoptée par son assemblée générale plénière le 9 avril 2009 (La documentation française, 2009), le Conseil d’État s’est notamment penché sur les questions que pose la gestation pour autrui. Abordant la problématique de la reconnaissance en droit français des enfants ainsi conçus, il a souligné ce qui suit (pp. 63-66) :
« (...)
La question de la reconnaissance en droit français des enfants nés de gestations pour autrui
Quel est le statut juridique des enfants nés, en France ou à l’étranger, d’une gestation pour autrui illégale mais dont les parents d’intention veulent faire reconnaître en France la filiation, notamment par la transcription à l’état civil des actes de naissance dressés sur place ? La Cour de cassation s’est récemment prononcée sur une affaire où la Cour d’appel avait, à rebours de la plupart des décisions de juges du fond, reconnu la validité de la transcription des actes d’état civil dressés aux États-Unis. Mais si la Cour de cassation a cassé l’arrêt, c’est pour une raison de procédure et sans traiter le fond, de sorte que la question n’est toujours pas tranchée en jurisprudence (Première chambre civile, affaire 07-20 468, arrêt no 1285, 17 décembre 2008).
Les questions juridiques que cette situation pose sont sérieuses.
Dans la plupart des cas, les parents d’intention demandent la transcription sur les registres de l’état civil français des actes juridiques qui établissent leur lien de parenté dans le pays où a eu lieu la gestation pour autrui – il s’agit en général de la reconnaissance de l’enfant par le père et de l’adoption de ce même enfant par la mère d’intention.
La reconnaissance de la paternité du père, s’il a été donneur, ne soulève pas toujours de difficultés, quoique la jurisprudence, assez rare sur ces questions, ne soit pas clairement tranchée. Certains tribunaux considèrent en effet que, en se rendant à l’étranger pour y conclure une convention illégale en France, le couple contourne sciemment la loi française et que, par suite, en vertu du principe selon lequel « la fraude corrompt tout », la filiation paternelle doit être refusée. Dans d’autres cas, le père donneur a fait procéder à la transcription sans que le Parquet en ait demandé l’annulation. En pratique, le problème tient cependant principalement à la reconnaissance de la « mère d’intention », la Cour de cassation ayant interdit que l’enfant né d’une gestation pour autrui légale à l’étranger puisse faire l’objet d’une adoption plénière par la femme ou la compagne du père de l’enfant, lorsque la paternité de celui-ci est établie (arrêt d’Assemblée plénière du 31 mai 1991, cf. supra note no 31). Pour la Cour de cassation, la disposition d’ordre public que constitue l’article 16-7 du code civil prévoyant que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle », il existe une contrariété entre la loi étrangère et l’ordre public international français.
L’absence de transcription de l’acte d’état civil étranger ne fait pas obstacle à ce que cet état civil soit reconnu et utilisé par les parents dans les actes de la vie courante (rapports avec les administrations, les écoles, les structures de soins...), d’autant que la formalité de la transcription ne revêt pour les couples concernés aucun caractère obligatoire. En effet, l’article 47 du code civil reconnaît la force probante des actes d’état civil dressés à l’étranger [Note de bas de page : Sauf s’il est établi qu’ils sont irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; mais ce n’est pas ce qui est en jeu dans les situations dont nous parlons]. L’acte doit toutefois être traduit et, sous réserve de conventions contraires, être légalisé ou « apostillé » par les autorités compétentes.
Toutefois, dans les faits, la vie de ces familles est plus compliquée en l’absence de transcription, en raison des formalités à accomplir à l’occasion de certains événements de la vie. Il convient de relever notamment qu’en l’absence de reconnaissance en France de la filiation de l’enfant établie à l’étranger à l’égard de la mère d’intention, lorsque celle-ci décède, l’enfant ne peut pas hériter d’elle, sauf à ce qu’elle l’ait institué légataire, les droits fiscaux étant alors calculés comme si l’enfant était un tiers.
À ce jour, la pratique du parquet de Nantes, qui connaît de ces situations, est de refuser les transcriptions demandées, au motif que celles-ci sont contraires à l’ordre public international français. Il existe, il est vrai, la notion « d’effet atténué de l’ordre public », à laquelle on peut recourir lorsqu’il s’agit de laisser perdurer en France les effets d’une situation fixée à l’étranger, mais cette notion ne trouve pas à s’appliquer pour des couples français qui se sont spécialement rendus à l’étranger pour y bénéficier de la gestation pour autrui, si l’on considère que l’article 16-7 du code civil est une loi de police relevant de l’ordre public absolu et, en tout état de cause, qu’il y a eu une fraude à la loi. La transcription devient alors interdite. Cette position du Parquet – qui, le cas échéant, procède à la transcription de l’acte étranger à la seule fin d’en demander l’annulation – est partagée par certaines juridictions du fond qui ont eu à se prononcer. Cependant, toutes ne vont pas dans ce sens : un récent arrêt du 25 octobre 2007 de la cour d’appel de Paris [Note de bas de page : Cassé pour motif de procédure par l’arrêt du 17 décembre 2008 de la Cour de cassation déjà cité], confirmant un jugement du tribunal de grande instance de Créteil, a considéré que, « l’intérêt supérieur de l’enfant », garanti par le droit international, justifiait que soit transcrite la filiation tant paternelle que maternelle.
Quelles pistes si l’on veut permettre d’assurer aux enfants une certaine sécurité de la filiation ?
Il a été proposé de dissocier le sort des enfants de celui du contrat illicite, dans l’esprit de l’évolution qui a été constatée pour les enfants adultérins. Dans ce dernier domaine, la loi a fini par reconnaître des droits, notamment successoraux, équivalents à ceux des autres enfants. Pour pallier les inconvénients résultant de l’absence de filiation des enfants issus de gestation pour autrui, la solution pourrait être d’admettre une sorte de « filiation putative » (en comparaison avec l’institution du mariage putatif admis par le droit français : en vertu de l’article 201 du code civil, un mariage déclaré nul peut malgré tout produire ses effets s’il a été contracté de bonne foi).
Il pourrait également être envisagé d’autoriser la transcription de la filiation paternelle et d’admettre une possibilité pour la mère d’intention d’engager une procédure d’adoption, impossible en l’état du droit. Cette solution permettrait au juge de contrôler l’adoption et de n’admettre celle-ci que si elle est dans l’intérêt de l’enfant. Cette solution pose toutefois un problème dans le cadre des couples non mariés, puisque l’adoption n’est pas permise au sein de tels couples : ainsi, un arrêt du 20 février 2007 de la Cour de cassation a annulé une décision admettant l’adoption de l’enfant par la compagne du père, au motif que cette adoption entraînait le transfert des droits d’autorité parentale à l’adoptante seule. Il en résulterait donc une différence selon le statut matrimonial du couple. En effet, l’adoptante non mariée serait alors seule investie de l’autorité parentale (cf. articles 356 et 365 du code civil), à l’exclusion du père, et la question de l’héritage resterait entière.
Toutes ces solutions auraient cependant pour point commun de créer une profonde incohérence juridique par rapport à la prohibition de la gestation pour autrui en droit interne. Elles conduiraient en effet à reconnaître des effets juridiques à une situation que le législateur a formellement interdite. En privant d’une partie de ses effets l’interdiction de la gestation pour autrui, on prendrait le risque de faciliter des pratiques jugées contraires au respect de la personne humaine, qu’il s’agisse de la mère gestatrice ou de l’enfant. Sur un plan autant juridique que symbolique, il paraît délicat de concilier le maintien de cet interdit en France et la reconnaissance de certains effets d’une gestation régulièrement conduite à l’étranger. En outre, admettre une forme de régularisation au bénéfice des couples ayant eu légalement recours à une gestation pour autrui à l’étranger sans autoriser la même pratique pour les « parents d’intention » qui auraient recouru illégalement à la gestation pour autrui en France, créerait une injustice entre les enfants élevés par des couples ayant eu les moyens de se rendre à l’étranger et les enfants élevés par ceux qui n’auraient pu le faire.
Des solutions ponctuelles peuvent cependant être imaginées dans le but de pallier les difficultés pratiques des familles, sans modifier les règles relatives à la filiation.
On pourrait ainsi permettre la transcription de la seule filiation paternelle, en considérant qu’il en va de l’intérêt de l’enfant que sa filiation soit reconnue à l’égard de son père biologique ; puis, à défaut de permettre la reconnaissance de la filiation maternelle, la mère d’intention pourrait bénéficier, à la demande du père, d’un jugement de délégation avec partage de l’autorité parentale (article 377 du code civil). Dans ce cas, la mère pourrait bénéficier de prérogatives liées à l’autorité parentale (comme peuvent en bénéficier certains tiers au regard du droit de la famille) sans que la filiation à son égard soit pour autant établie. Toutefois, de même que l’option précédente consistant à permettre une adoption par la mère, le recours à une délégation-partage de l’autorité parentale nécessite que l’on admette une possibilité d’établissement de la filiation paternelle (par la transcription de l’acte étranger, ou par la reconnaissance). Celle-ci ne devrait pas, malgré les incertitudes jurisprudentielles, créer de difficulté, puisqu’il existe un lien biologique entre l’enfant et le père, lequel se trouve dans une situation similaire à celle du père d’un enfant né hors mariage. La filiation paternelle paraît au Conseil d’État pouvoir être reconnue.
On pourrait enfin autoriser l’inscription en marge de l’acte de naissance de l’enfant d’une mention relative au jugement étranger qui a reconnu la mère d’intention comme mère, en prévoyant que cette inscription aurait pour seul effet d’éviter qu’en cas de décès de la mère, une procédure d’adoption plénière par un tiers puisse priver les parents de la mère d’intention de tout lien avec l’enfant (cette inscription aurait pour effet de permettre une adoption simple mais non plénière). »
IV. LE RAPPORT DU GROUPE DE TRAVAIL « FILIATION, ORIGINES, PARENTALITé »
Dans le cadre de la préparation d’un « projet de loi abordant les nouvelles protections, les nouvelles sécurités et les nouveaux droits pour les enfants », la ministre déléguée à la famille a chargé un groupe de travail « filiation, origines, parentalité » présidé par Mme Irène Théry, sociologue, directrice d’études à l’école des hautes études en sciences sociales, de préparer un rapport appréhendant les métamorphoses contemporaines de la filiation et analysant la diversité de ses modalités d’établissement ainsi que les question qu’elles soulèvent. Intitulé « filiation, origines, parentalité – le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle » et publié en avril 2014, ce rapport aborde notamment la question de la reconnaissance de la filiation des enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger. Constatant que la jurisprudence de la Cour de cassation fait obstacle à une telle reconnaissance, il souligne que cela a des « implications particulièrement graves » pour l’enfant. Il relève notamment ce qui suit :
« Il est d’abord impossible à l’enfant d’obtenir un acte d’état civil français. Cela présente un inconvénient majeur pour l’enfant et ses parents. S’ils peuvent certes, en pratique, faire certaines utilisations de l’acte étranger, dès lors qu’il est légalisé ou apostillé, le risque réel est que cet acte soit rejeté ou contesté par les administrations, qui confrontés à un acte étranger, craignent systématiquement une fraude.
Inévitablement, même muni de cet acte étranger, les parents d’intention vont se trouver face à des difficultés concrètes majeures. Ils vont devoir obtenir pour l’enfant un titre de voyage et de séjour, puisque l’enfant n’a pas la nationalité française. Il existe certes des correctifs à cette solution introduits par le Conseil d’État et la Circulaire dite Taubira, mais il n’est pas certain que les solutions proposées demeurent, notamment eu égard à la dernière solution de la Cour de cassation qui n’admet plus que la filiation puisse être établie à l’égard du père biologique. Il est probable que les administrations n’admettent plus désormais que l’acte étranger prouve une filiation dont la validité risque d’être contestée en droit français puisque la Cour de cassation a estimé que la naissance est intervenue dans le cadre d’un processus frauduleux. Cette difficulté sera récurrente devant toutes les administrations, pour les inscriptions à l’école, ou encore la perception des prestations sociales. En outre, dans la mesure où la filiation n’est pas réputée établie entre l’enfant et les parents d’intention, ceux-ci n’ont fondamentalement aucun titre à exercer l’autorité parentale ; cet aspect des choses, déjà préoccupant en lui-même, ne peut manquer de soulever des difficultés collatérales en cas de décès ou de séparation. Pour la même raison, en l’absence de legs ou testament, les enfants n’auront aucune vocation successorale à l’égard de leurs parents d’intention. »
Le rapport s’interroge également sur la compatibilité de la position de la Cour de cassation avec notamment l’article 8 la Convention et l’article 3 § 1 de la convention internationale des droits de l’enfant, aux termes duquel, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
Examinant ensuite les différentes solutions envisageables, le rapport formule la proposition suivante :
« Pour les enfants nés de gestation pour autrui à l’étranger, il est proposé d’admettre une reconnaissance totale des situations valablement constituées, et ce parce qu’il est de l’intérêt de l’enfant de voir sa filiation établie à l’égard de ses deux parents d’intention.
Cette reconnaissance doit s’accompagner d’un engagement ferme de la France pour la création prochaine, sur le modèle de la Convention de la Haye sur l’adoption, d’un instrument international de lutte contre l’asservissement des femmes via l’organisation de gestations pour autrui contraires aux droits fondamentaux de la personne. »
V. Les principes adoptés par le comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales du Conseil de l’Europe
Le comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales constitué au sein du Conseil de l’Europe (CAHBI), prédécesseur du comité directeur de bioéthique précité, a publié en 1989 une série de principes dont le quinzième, relatif aux « mères de substitution », est ainsi libellé :
« 1. Aucun médecin ou établissement ne doit utiliser les techniques de procréation artificielle pour la conception d’un enfant qui sera porté par une mère de substitution.
Aucun contrat ou accord entre une mère de substitution et la personne ou le couple pour le compte de laquelle ou duquel un enfant est porté ne pourra être invoqué en droit.
Toute activité d’intermédiaire à l’intention des personnes concernées par une maternité de substitution doit être interdite, de même que toute forme de publicité qui y est relative.
Toutefois, les États peuvent, dans des cas exceptionnels fixés par leur droit national, prévoir, sans faire exception au paragraphe 2 du présent Principe, qu’un médecin ou un établissement pourra procéder à la fécondation d’une mère de substitution en utilisant des techniques de procréation artificielle, à condition:
a. que la mère de substitution ne retire aucun avantage matériel de l’opération; et
b. que la mère de substitution puisse à la naissance choisir de garder l’enfant. »
VI. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ
La Cour a procédé à une recherche de droit comparé couvrant trente-cinq États parties à la Convention autres que la France : Andorre, l’Albanie, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Moldova, Monaco, le Monténégro, les Pays-Bas, le Pologne, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, Saint-Marin, la Serbie, la Slovénie, la Suède, la Suisse, la Turquie et l’Ukraine.
Il en ressort que la gestation pour autrui est expressément interdite dans quatorze de ces États : l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, l’Islande, l’Italie, la Moldavie, le Monténégro, la Serbie, la Slovénie, la Suède, la Suisse et la Turquie. Dans dix autres États, dans lesquels il n’y a pas de réglementation relative à la gestation pour autrui, soit elle y est interdite en vertu de dispositions générales, soit elle n’y est pas tolérée, soit la question de sa légalité est incertaine. Il s’agit d’Andorre, de la Bosnie-Herzégovine, de la Hongrie, de l’Irlande, de la Lettonie, de la Lituanie, de Malte, de Monaco, de la Roumanie et de Saint-Marin.
La gestation pour autrui est en revanche autorisée dans sept de ces trente-cinq États (sous réserve de la réunion de conditions strictes) : en Albanie, en Géorgie, en Grèce, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Russie et en Ukraine. Il s’agit en principe de la gestation pour autrui dite altruiste (la mère porteuse peut obtenir le remboursement des frais liés à la grossesse mais ne peut être rémunérée), mais il semble que la gestation pour autrui peut revêtir un caractère commercial en Géorgie, en Russie et en Ukraine. Elle paraît en outre être tolérée dans quatre États où elle ne fait pas l’objet d’une règlementation : en Belgique, en République tchèque et, éventuellement, au Luxembourg et en Pologne.
Dans treize de ces trente-cinq États, il est possible pour les parents d’intention d’obtenir la reconnaissance juridique du lien de filiation avec un enfant né d’une gestation pour autrui régulièrement pratiquée à l’étranger, soit par l’exequatur, soit par la transcription directe du jugement étranger ou de l’acte de naissance étranger sur les registres d’état civil, ou d’établir juridiquement un tel lien par l’adoption. Il s’agit de l’Albanie, de l’Espagne, de l’Estonie, de la Géorgie, de la Grèce, de la Hongrie, de l’Irlande, des Pays-Bas, de la République tchèque, du Royaume-Uni, de la Russie, de la Slovénie et de l’Ukraine. Cela semble également possible dans onze autres États où la gestation pour autrui est interdite ou n’est pas prévue par la loi : en Autriche, en Belgique, en Finlande, en Islande, en Italie (s’agissant du moins du lien de filiation paternelle lorsque le père d’intention est le père biologique), à Malte, en Pologne, à Saint-Marin, en Suède, en Suisse et, éventuellement, au Luxembourg.
Cela semble en revanche exclu dans les onze États suivants : Andorre, l’Allemagne (sauf peut-être quant au lien de filiation paternelle lorsque le père d’intention est le père biologique), la Bosnie-Herzégovine, la Lettonie, la Lituanie, la Moldavie, Monaco, le Monténégro, la Roumanie, la Serbie et la Turquie. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1982 et réside à Berne (Suisse). Il est le rédacteur en chef du quotidien Ülkede Özgür Gündem (« Libre ordre du jour du pays »), dont le siège se trouve à Istanbul.
Le 16 juin 2004, Ülkede Özgür Gündem publia un article intitulé « Les prisonniers ont désigné İmrali comme interlocuteur » (Tutuklular İmrali’yı adres gösterdi). Ce texte contenait un appel de prisonniers déclarant que le gouvernement turc devait négocier avec M. Öcalan, chef du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), pour parvenir à une paix durable.
Par un acte d’accusation du 17 juin 2004, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat inculpa le requérant et le propriétaire du quotidien en question, M. Ali Gürbüz, de propagande par voie de presse et de publication de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infractions prévues à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 »).
Devant la cour d’assises spéciale, le requérant invoqua notamment l’article 10 de la Convention.
Le 26 mai 2005, la cour d’assises spéciale condamna le requérant au paiement d’une amende de 1 295 livres turques (TRY) – soit environ 734 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à cette date – en vertu de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. En outre, elle condamna M. Ali Gürbüz à une amende de 3 111 TRY. Elle précisa que les accusés avaient la possibilité de former un pourvoi (“ (...) sanıklarca temyiz edilme hakkının bulunduğu (...) “).
Le 12 avril 2006, un ordre de paiement de l’amende fut notifié au requérant.
Le 28 juin 2006, le requérant se pourvut en cassation, soutenant en particulier que la procédure pénale dirigée contre lui portait atteinte à son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention.
Le 4 juillet 2006, la Cour de cassation infirma la décision rendue en première instance pour autant qu’elle concernait M. Ali Gürbüz. En revanche, elle déclara le pourvoi du requérant irrecevable au motif que, en vertu de l’article 305 du code de procédure pénale (alors en vigueur), lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY, la décision n’était pas susceptible de pourvoi en cassation.
Le 31 mai 2007, la cour d’assises a condamné M. Ali Gürbüz à une peine d’amende de 3 110 TRY. Le Gouvernement soutient qu’il n’existe pas d’information sur le fait si cette décision était l’objet d’un pourvoi en cassation.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012). | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1982 et 1976. Ils sont actuellement détenus à la prison de Kocaeli.
Le 8 décembre 2005, les requérants furent arrêtés et placés en garde à vue dans le cadre d’une opération menée contre une organisation illégale.
Le 12 décembre 2005, ils furent placés en détention provisoire.
Par un acte d’accusation du 28 décembre 2005, une action publique fut introduite à leur encontre pour appartenance à une organisation illégale. Leur procès commença devant la cour d’assises d’Istanbul.
Tout au long de la procédure, la cour d’assises rejeta les demandes de mise en liberté des requérants et ordonna leur maintien en détention provisoire en se fondant sur la nature et la qualification de l’infraction reprochée, l’état des preuves, l’existence de forts soupçons à l’encontre des intéressés et le contenu du dossier.
Le 23 août 2006 et le 9 janvier 2007, la cour d’assises rejeta les oppositions formées par les requérants contre les décisions de maintien en détention.
Le 13 septembre 2007, les requérants formèrent opposition contre l’ordonnance de maintien en détention provisoire rendue lors de l’audience du même jour en présence des requérants et de leur avocat. Le 1er octobre 2007, la cour d’assises rejeta ladite opposition, statuant sur dossier et après avoir obtenu l’avis écrit du procureur. Cet avis ne fut pas communiqué aux requérants ou à leurs avocats.
Le 11 octobre 2007, la cour d’assises ordonna ex officio la prolongation du maintien en détention des requérants sur la base de l’avis du procureur.
Le 20 novembre 2007, la cour d’assises condamna chacun des requérants à six ans et trois mois de réclusion criminelle.
Le 27 octobre 2009, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Pour le droit et la pratique interne pertinents, voir l’affaire Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La première requérante est une organisation non gouvernementale fondée en 1992 et ayant son siège social à Odorheiul Secuiesc. Le second requérant est né en 1929 et est décédé en 2009. Il était le père de Mme Ana-Maria Cotăran, née en 1966, et de M. Marinică-Cătălin Stanomirescu, né en 1967, résidant tous deux à Craiova.
A. Faits concernant la requête no 2699/03
La requérante a pour but principal de promouvoir l’éducation des jeunes élèves dans le respect des doctrines de l’Église réformée. Elle détient en propriété un foyer qui héberge des élèves en régime d’internat.
Acquisition d’un terrain
Le 20 décembre 1996, la requérante acheta à un particulier un terrain de 20 142 m² dans le but d’y construire un immeuble destiné à accueillir ses élèves. Auparavant, le 25 novembre 1996, la mairie de la ville de Zetea avait délivré un document attestant que ledit terrain se trouvait intra muros et qu’aucune construction n’y figurait sur le plan d’urbanisme. Le 8 janvier 1997, le droit de propriété de la requérante fut inscrit au registre foncier.
Le terrain acquis par la requérante est situé à proximité d’un barrage. En 1988, les autorités avaient permis l’occupation, jusqu’au 30 mars 1990, d’une partie du terrain en question par le chantier du barrage et l’installation de baraques de chantier destinées aux ouvriers. L’administration du chantier toléra cependant la construction de six bâtiments.
Procédure tendant à la démolition des bâtiments édifiés sur le terrain de la requérante
Le 14 novembre 1997, la requérante assigna en justice la Régie autonome de distribution d’eau potable de Târgu-Mureş (« la régie ») afin de faire constater l’occupation d’une partie de son terrain par des bâtiments qui avaient été construits pour accueillir, de manière temporaire, des ouvriers du chantier du barrage et de faire ordonner la démolition de ces immeubles. Devant le tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc, la requérante reprochait à la partie défenderesse de ne pas avoir procédé à la démolition des bâtiments édifiés, illégalement selon elle, dans les années 1988-1990.
Dans un jugement du 15 octobre 1998, le tribunal constata que six bâtiments avaient été édifiés sur le terrain de la requérante à l’occasion de la construction du barrage, qu’ils avaient été laissés à l’abandon par la régie pendant plusieurs années et qu’ils n’étaient plus utilisés ni par la régie ni par ses employés. Il ordonnait en conséquence à la régie de procéder à la démolition desdits bâtiments afin de rendre à la requérante le libre usage de son terrain. Par un arrêt du 5 octobre 2000, la cour d’appel de Târgu-Mureş confirma en dernière instance ce jugement qui devint, à cette date, définitif et exécutoire.
Première tentative d’exécution forcée
Le 14 décembre 2000, la requérante saisit un huissier de justice d’une demande d’exécution forcée du jugement définitif du 15 octobre 1998. Le 21 mars 2001, l’huissier de justice dressa un procès-verbal dans lequel il constatait que les bâtiments édifiés sur le terrain de la requérante étaient occupés par quelques familles qui avaient travaillé sur le chantier du barrage, et il ordonnait à la régie de démolir ces bâtiments avant le 1er mai 2001. La régie n’obtempéra pas.
Par une lettre du 18 octobre 2001, le préfet de Harghita confirma que plusieurs bâtiments avaient été édifiés sans aucune autorisation légale sur le terrain en question. Quant aux occupants de ces bâtiments, il constata qu’ils n’avaient aucun titre valable d’habitation et il demanda à la mairie de Zetea de procéder à leur relogement.
Entre-temps, le 23 avril 2001, certains des occupants en question avaient contesté l’exécution de ce jugement. Ils alléguaient que le jugement définitif ne leur était pas opposable. La requérante affirme que, parallèlement, elle avait été informée par la régie qu’elle était en droit d’acheter les bâtiments litigieux et que, forte de cet espoir, elle avait renoncé à sa demande d’exécution forcée. Ses dires sont confirmés par un jugement du 15 octobre 2001 du tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc qui avait ordonné l’annulation des actes d’exécution déjà effectués.
Deuxième tentative d’exécution forcée
Peu de temps après, la requérante, en l’absence de l’offre d’achat promise, saisit à nouveau l’huissier de justice d’une demande d’exécution du jugement définitif du 15 octobre 1998.
Selon les informations fournies par le Gouvernement, la requérante avait formé parallèlement une action en expulsion des occupants des bâtiments, qui aurait selon lui été rejetée par un jugement du 14 juin 2001, au motif qu’aucun rapport juridique n’aurait lié la requérante et les parties défenderesses.
Le 5 août 2002, un huissier de justice notifia à la régie l’obligation de se conformer au jugement définitif du 15 octobre 1998. La régie ne donna pas suite.
Le 26 octobre 2005, la régie conclut un accord avec la mairie de Zetea et transféra à cette dernière la propriété des six bâtiments édifiés sur le terrain de la requérante.
Action tendant à l’annulation du contrat de vente conclu le 20 décembre 1996 entre un particulier et la requérante
Le 5 novembre 2005, certains occupants des bâtiments saisirent le tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc d’une demande en annulation du contrat de vente conclu le 20 décembre 1996 par un particulier avec la requérante. A l’appui de leur action, ils invoquaient un décret présidentiel de 1980 prévoyant des travaux d’intérêt public sur ledit terrain. Ils argüaient que ce décret impliquait une interdiction générale de vente du terrain.
Par un jugement du 13 mars 2006, le tribunal rejeta leur action pour défaut de fondement au motif que les autorités n’avaient pas entamé de procédure d’expropriation et qu’aucun dédommagement n’avait été versé à l’ancien propriétaire du terrain. Les juges de première instance estimèrent que le contrat de vente avait été légalement conclu. Ce jugement fut confirmé en appel le 15 février 2007 par le tribunal départemental de Harghita et en recours le 22 novembre 2007 par la cour d’appel de Târgu-Mureş.
Procédure tendant à l’annulation des baux conclus avec les occupants des bâtiments
À une date non précisée, la requérante fut informée que la régie avait conclu, en janvier 2002, des baux pour une durée d’un an, renouvelables, avec les occupants des six bâtiments. Le 3 octobre 2002, elle engagea, devant le tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc, une action civile tendant à l’annulation de ces baux pour absence d’objet, car, à ses dires, les bâtiments en question n’avaient pas d’existence légale et ne pouvaient dès lors pas faire l’objet d’une transaction civile ou commerciale. Elle invoqua également le jugement définitif ordonnant leur démolition et soutint que les baux en cause avaient été conclus illégalement. Les occupants des bâtiments formèrent une demande reconventionnelle tendant, une nouvelle fois, à l’annulation du contrat de vente du terrain conclu en faveur de la requérante.
Après plusieurs cassations avec renvoi, l’action de la requérante et la demande reconventionnelle furent rejetées le 11 février 2010 par le tribunal départemental de Harghita pour défaut de fondement. S’agissant de l’action de la requérante, le tribunal jugea que celle-ci avait introduit une action en constatation d’une situation de fait et non une action tendant à la protection d’un droit, et que, en tout état de cause, les bâtiments litigieux pouvaient faire l’objet d’une transaction civile et que l’objet des baux était légal. S’agissant de la demande reconventionnelle, il jugea qu’une même demande formulée par les mêmes parties avait été rejetée le 31 janvier 2008 par la cour d’appel de Târgu-Mureş et que, par conséquent, le jugement était revêtu de l’autorité de la chose jugée.
Demande concernant la portée du jugement définitif du 15 octobre 1998
Le 2 août 2010, la requérante saisit le tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc d’une demande concernant la portée du jugement définitif du 15 octobre 1998. Elle souhaitait savoir si, à la suite du transfert de propriété des bâtiments à la ville de Zetea, le jugement définitif était opposable également à la mairie de Zetea. Par un jugement avant dire droit du 11 octobre 2010, le tribunal constata que le droit de propriété de la requérante sur le terrain était opposable erga omnes, quel que soit le propriétaire des bâtiments en question, et qu’elle devait pouvoir faire exécuter le jugement définitif. D’après le tribunal, l’obligation prononcée par le jugement définitif du 15 octobre 1998 devait être exécutée également par la mairie de la ville de Zetea. Faute de recours, ce jugement devint définitif.
Troisième tentative d’exécution forcée
Le 14 juin 2011, la requérante forma une nouvelle demande d’exécution forcée du jugement définitif du 15 octobre 1998. Sa demande fut enregistrée par un huissier de justice, qui notifia à la mairie de la ville de Zetea l’obligation de se conformer au dispositif dudit jugement. Ainsi qu’il ressort d’un procès-verbal dressé le 18 juillet 2011, le maire de Zetea, après avoir déclaré ne pas s’opposer, en principe, à l’exécution du jugement, avait précisé avoir besoin d’un délai – jusqu’à fin juillet 2011 – pour s’y conformer et avait accepté de verser à la requérante les frais de justice prévus dans le jugement en question ainsi que les frais liés à l’exécution forcée.
Le 18 janvier 2012, un représentant de la chambre des huissiers de justice informa l’agent du Gouvernement de l’inexécution du jugement définitif du 15 octobre 1998 pour cause d’occupation des bâtiments par plusieurs familles. Il précisa que le délai légal de trois ans était écoulé et que le titre exécutoire était préscrit, raison pour laquelle, selon lui, le dossier d’exécution ne figurait plus aux archives. Par la même lettre, il informait l’agent du Gouvernement d’une nouvelle procédure d’exécution forcée ouverte par l’étude d’huissiers M.E.
Ainsi qu’il ressort des informations fournies par la requérante, l’huissier M.E. a procédé, sans succès, le 2 mai 2012, à une nouvelle tentative d’exécution forcée. Le procès-verbal dressé à cette occasion faisait état du refus du débiteur (le maire de la ville de Zetea) de se présenter en vue de l’exécution du jugement définitif, malgré la notification officielle que lui aurait faite l’huissier. Il indiquait également que, sur les six bâtiments, un seul avait été occupé par quatre personnes et que trois d’entre elles l’habitaient toujours. Toujours d’après le procès-verbal, ces trois personnes avaient déclaré à l’huissier de justice être prêtes à quitter volontairement, sans qu’il fût besoin d’une procédure d’expulsion, ledit bâtiment après la démolition des cinq autres. Leurs signatures figurent sur le procès-verbal dressé à cette occasion. L’huissier de justice ordonna à la mairie de procéder, dans un délai de dix jours à compter de la notification du procès-verbal, à la démolition des cinq bâtiments inoccupés.
Le Gouvernement soumit ses observations complémentaires le 20 décembre 2012 ; il y informait la Cour du paiement, par les autorités locales, des frais occasionnés par la procédure d’exécution forcée et confirmait que la démolition des six bâtiments n’avait pas encore eu lieu ; il rappelait aussi que la requérante n’avait jamais obtenu un ordre d’expulsion à l’encontre des occupants des bâtiments.
B. Faits concernant la requête no 43597/07
Première action dirigée à l’encontre du centre local de la propriété forestière
En 2000, le requérant, qui souhaitait tirer son bois de chauffage du terrain forestier qu’il détenait en copropriété avec trois autres personnes, demanda au centre local de la propriété forestière de Simian (Ocolul silvic Simian – « le centre local ») de procéder à l’estimation et au marquage d’une certaine quantité d’arbres. Ce faisant, il accomplissait une formalité imposée par la réglementation interne en matière d’abattage d’arbres. Le 7 août 2000, il acquitta une taxe pour la prestation sollicitée. Malgré plusieurs relances de sa part, sa demande resta sans suite.
Le 14 décembre 2000, le requérant et les trois autres copropriétaires du terrain saisirent le tribunal départemental de Dolj, le priant d’ordonner au centre territorial de la propriété forestière de Gorj (Inspectoratul Teritorial de Regim Silvic şi Cinegetic Gorj – « le centre territorial ») de procéder à l’estimation et au marquage des arbres en question en vue de leur abattage. Ils demandèrent également au tribunal d’imposer une astreinte comminatoire de 200 000 anciens lei roumains (ROL) (soit environ 7 euros (EUR)) par jour de retard dans l’exécution de l’obligation.
Par un jugement du 12 mars 2001, le tribunal accueillit l’action et ordonna au centre territorial de procéder à l’estimation et au marquage demandés. Le requérant et les trois autres copropriétaires formèrent un recours contre ce jugement au motif que les juges de première instance n’avaient pas statué sur leur demande concernant l’astreinte comminatoire.
Par un arrêt du 29 mai 2001, la cour d’appel de Craiova fit droit au recours, modifia le jugement, accueillit la demande d’astreinte comminatoire et ordonna au centre territorial d’exécuter les obligations énoncées dans le dispositif du jugement du 12 mars 2001 sous astreinte d’environ 7 EUR par jour de retard dans l’exécution de l’obligation principale. Ce jugement devint définitif et exécutoire.
Le 24 juin 2002, les représentants du centre territorial se conformèrent à l’obligation d’estimation et de marquage du quota d’arbres pour l’année 2000, soit 53 arbres. Le requérant et les trois autres copropriétaires demandèrent au centre local de faire de même pour les années 2001 et 2002. Ils payèrent la taxe exigée pour cette prestation. Le centre local refusa de satisfaire leur demande et les informa que l’estimation et le marquage d’autres arbres ne seraient possibles qu’à partir du printemps 2003. Selon les affirmations du requérant, à ce jour le centre territorial n’a pas fourni cette prestation.
Nouvelle action dirigée à l’encontre du centre territorial de la propriété forestière
Le 19 septembre 2003, le requérant et les trois autres copropriétaires du terrain forestier formèrent une nouvelle action tendant à obliger le même centre territorial à estimer, marquer et évaluer les arbres correspondant aux quotas des années 2001 et 2002. Ils sollicitèrent également le paiement d’une indemnité de 13 600 000 ROL (soit environ 370 EUR) en dédommagement de l’impossibilité qui leur aurait été faite d’utiliser le bois de leur terrain forestier et de l’achat de bois de chauffage auquel ils auraient été contraints pendant ces deux années. Enfin, ils demandèrent au tribunal d’imposer une astreinte comminatoire.
Par un jugement du 12 septembre 2005, le tribunal de première instance de Pitești accueillit partiellement l’action, constata que le centre territorial n’avait pas la capacité d’ester en justice et ordonna au centre départemental de la propriété forestière de Mehedinţi (Direcţia Silvică Mehedinţi – « le centre départemental ») de procéder à l’estimation et au marquage des arbres correspondant aux quotas pour les années 2001 et 2002 et de verser au requérant et aux trois autres copropriétaires, conjointement, une indemnité de 13 600 000 ROL (soit environ 370 EUR), montant actualisé au regard du taux d’inflation au moment du paiement. Il rejeta la demande concernant l’astreinte comminatoire. Ce jugement fut confirmé en appel le 7 avril 2006 par le tribunal départemental d’Argeş et en recours le 27 novembre 2006 par la cour d’appel de Piteşti. Il devint ainsi définitif et exécutoire.
Par une lettre du 19 octobre 2009, le représentant du centre départemental indiqua à l’agent du Gouvernement auprès de la Cour que le jugement du 12 mars 2001 ne lui était pas opposable et qu’il incombait au centre territorial de l’exécuter. S’agissant du jugement définitif du 12 septembre 2005, il affirmait qu’il était partiellement exécuté, les représentants du centre local ayant, selon lui, procédé à l’estimation puis au marquage de 53 arbres. Dans leurs observations en réponse, les héritiers du second requérant affirment que le jugement du 12 septembre 2005 n’a jamais été exécuté.
II. LE DROIT INTERNE ET LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS
A. Droit interne pertinent
La Constitution
Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution, telle que révisée et republiée en 2003, se lisent comme suit :
Article 44
« Le droit de propriété ainsi que les créances envers l’État sont garantis. Le contenu et les limites de ce droit sont établis par la loi. »
L’ordonnance no 22/2002 concernant l’exécution par les institutions publiques des obligations de paiement établies par des titres exécutoires
L’ordonnance no 22/2002 est entrée en vigueur le 1er février 2002, date de sa publication au Journal officiel, et a fait l’objet de plusieurs modifications. Telle qu’elle était rédigée en février 2012, l’ordonnance se lisait comme suit :
Article 1
« 1) Les créances à la charge des institutions et des autorités publiques seront payées sur des lignes budgétaires desdites autorités expressément prévues à cette fin (...)
2) Les créances à la charge des institutions et des autorités publiques ne peuvent pas être payées sur des postes affectés aux dépenses d’organisation et de fonctionnement ou aux dépenses de personnel (...) »
Article 2
« Si l’exécution d’une créance établie par un titre exécutoire n’a pas encore débuté ou ne peut se faire par manque de fonds, l’institution débitrice doit, dans un délai de six mois, faire les démarches nécessaires pour exécuter l’obligation de paiement lui incombant. Ce délai commence à courir à compter de la date à laquelle l’institution débitrice a reçu la notification de paiement de la part de l’organe chargé de l’exécution par le créancier . »
Article 3
« Si les institutions publiques n’exécutent pas l’obligation de paiement dans le délai prévu à l’article 2, le créancier peut solliciter l’exécution forcée, conformément au code de procédure civile et/ou aux autres dispositions légales en la matière. »
Article 4
« 1) Les ordonnateurs principaux ont l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l’ouverture de lignes budgétaires, dans les conditions légales, afin de provisionner, dans les budgets de leur institution ou dans ceux des institutions subordonnées, les sommes requises au titre du paiement des montants fixés par des titres exécutoires.
2) Les ouvertures de lignes budgétaires prévues au premier alinéa peuvent être effectuées pendant toute l’année budgétaire, par dérogation à l’article 47 de la loi no 500/2002 concernant les finances publiques, avec les modifications ultérieures, et à l’article 49 de la loi no 273/2006 concernant les finances publiques locales. »
Article 5
« Le créancier et le débiteur peuvent convenir d’un délai autre que celui mentionné à l’article 2, ainsi que d’autres conditions concernant l’exécution de toute obligation prévue dans un titre exécutoire. »
Article 6
« 1) Si, pour des raisons objectives, l’institution débitrice ne peut pas s’acquitter de l’obligation de paiement conformément à l’article 1 (premier alinéa), à l’article 2 ou à l’article 4, elle peut solliciter du tribunal chargé de l’affaire (...) un délai gracieux ou/et la mise en place d’un échelonnement du paiement.
2) Si l’obligation de paiement est établie en vertu d’une décision définitive et irrévocable, l’institution débitrice peut solliciter du tribunal l’ayant prononcée l’application des mesures prévues au premier alinéa (...)
3) Si l’obligation de paiement résulte d’un titre exécutoire autre qu’une décision de justice, toute demande formulée en vertu du premier alinéa sera examinée par le tribunal chargé de l’exécution.
4) Sur demande de l’institution débitrice, le tribunal saisi conformément aux alinéas 1-3 peut ordonner, par le biais d’un jugement exécutoire, que l’exécution forcée soit suspendue jusqu’au prononcé d’une décision définitive et irrévocable statuant sur le délai/les délais de paiement du montant dû. Le sursis peut être ordonné sans aucun dépôt de garantie. Un recours peut être exercé séparément contre ce jugement.
5) Dans des situations d’urgence, le tribunal mentionné au quatrième alinéa peut, sur demande de l’institution débitrice, ordonner par un jugement avant dire droit prononcé en chambre du conseil la suspension provisoire de l’exécution jusqu’au prononcé du jugement statuant sur la demande de suspension formulée conformément au quatrième alinéa. La suspension peut être ordonnée sans aucun dépôt de garantie. Le jugement avant dire droit n’est pas susceptible de recours.
6) Les demandes formulées dans les conditions prescrites par les alinéas 1 à 5 sont exemptées de droit de timbre et seront examinées avec célérité. La décision prononcée dans le cadre des paragraphes 1 à 3 est susceptible de recours seulement. »
Article 7
« Les demandes, indépendamment de leur nature, formulées par les autorités et les institutions publiques dans le cadre des procédures d’exécution forcée de créances établies par des titres exécutoires, sont exemptées de droit de timbre, de timbre judiciaire et de tout dépôt de garantie. »
Article 8
« Les dispositions de la présente ordonnance s’appliquent également aux obligations de paiement établies par des titres exécutoires contre les autorités administratives autonomes. »
Le code de procédure civile
Les dispositions pertinentes de l’ancien code de procédure civile (CPC) en vigueur du 26 juillet 1993 au 15 février 2013 (date de l’adoption du nouveau CPC), se lisaient comme suit :
Article 3711
« Tout débiteur devra exécuter volontairement une obligation établie par une décision de justice ou par un autre titre. Si le débiteur refuse d’exécuter l’obligation, il y a lieu de mettre en œuvre l’exécution forcée de la décision, conformément au présent chapitre, sauf si la loi en dispos
e autrement. L’exécution forcée est mise en œuvre selon les modalités prévues par la loi (...) jusqu’à l’exécution de l’obligation résultant du titre exécutoire et du paiement des intérêts afférents, des pénalités ou d’autres montants prévus par la loi, ainsi que des frais d’exécution. »
Article 371²
« Peuvent faire l’objet d’une exécution forcée les obligations de paiement d’une somme d’argent, de restitution d’un bien, de démolition d’une construction, d’une plantation ou d’un autre ouvrage, ou de prise de mesures autorisées par la loi. Si le titre exécutoire prévoit également le paiement d’intérêts, de pénalités ou d’autres sommes, sans en préciser le montant, l’autorité d’exécution devra déterminer celui-ci, conformément à la loi. Si le titre exécutoire contient suffisamment d’éléments pour permettre aux organes d’exécution d’actualiser le montant (...), il sera procédé, sur demande expresse du créancier, à cette actualisation. Si le titre exécutoire ne contient pas de tels éléments, l’organe d’exécution actualise ledit montant en fonction de l’inflation, calculée à partir de la date à laquelle la décision est devenue exécutoire ou, dans le cas d’un autre titre exécutoire, à partir de la date à laquelle la créance est devenue exigible et jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues en vertu de ce titre. »
Article 3713
« Les revenus et les biens du débiteur peuvent être saisis dans le cadre de l’exécution forcée dès lors qu’ils sont saisissables, conformément à la loi, et seulement dans la mesure où cela est nécessaire (...). Les biens relevant d’un régime spécial peuvent être saisis dans le cadre d’une exécution forcée seulement dans le respect des dispositions légales. »
Article 3714
« Pendant la procédure d’exécution forcée, le créancier et le débiteur peuvent convenir, sous l’autorité de l’organe chargé de l’exécution, de faire porter l’exécution, en totalité ou en partie, seulement sur les revenus du débiteur et procéder à la vente des biens d’un commun accord ou de réaliser le paiement de l’obligation d’une autre manière légale. »
Article 3715
« L’exécution forcée prend fin :
a) lorsque le débiteur s’est acquitté en intégralité de l’obligation résultant du titre exécutoire ainsi que des frais d’exécution et autres montants dus ; dans ce cas, l’huissier de justice remettra le titre exécutoire au créancier, avec mention de l’extinction totale des obligations.
b) lorsqu’il n’est plus possible de procéder à l’exécution ou de la poursuivre faute de biens saisissables ou faute de possibilité de vente des biens, l’huissier remettra personnellement au créancier ou au représentant de celui-ci le titre exécutoire, en mentionnant la cause de sa restitution et en indiquant quelle partie de l’obligation a été exécutée.
c) lorsque le créancier a renoncé à l’exécution ;
d) lorsque le titre exécutoire a été annulé. »
Article 3716
« Dans les cas prévus à l’article 3715, lettre b), le débiteur peut demander la reprise de l’exécution forcée pendant le délai légal de prescription (...). La reprise de l’exécution forcée ne peut porter que sur le même bien lorsqu’il s’agit d’un bien immeuble (...) »
Article 3717
« Les frais exposés pour l’accomplissement d’actes ou de formalités spécifiques dans le cadre de l’exécution forcée sont à la charge de la partie demanderesse. Pour les actes et les activités ordonnés d’office, les frais sont à la charge du créancier. Les frais engendrés par l’exécution forcée sont à la charge du débiteur, sauf lorsque le créancier a renoncé à l’exécution ou que la loi en dispose autrement. Le débiteur sera tenu de payer les frais liés à l’exécution engagés après l’enregistrement de la demande d’exécution et jusqu’à l’exécution effective et volontaire de l’obligation prévue dans le titre exécutoire. Les sommes dues seront établies par un huissier de justice, par procès-verbal, sur justificatifs produits par la partie intéressée, conformément à la loi. Pour les sommes ainsi établies, le procès-verbal constitue titre exécutoire. »
Article 3718
« Le versement ou la consignation de toute somme destinée à couvrir, conformément à la loi, la créance faisant l’objet de la procédure d’exécution forcée, telles les sommes versées à titre de garantie ou résultant de la vente des biens, se fera uniquement sur des comptes de la Caisse d’épargne (Casa de economii si consemnatiuni) mis à la disposition de l’organe chargé de l’exécution ou de l’huissier de justice. Le récépissé de consignation ou du dépôt de tout autre document légal peut constituer la preuve de la consignation de ces montants. »
Article 372
« L’exécution forcée n’est possible que si la créance a été reconnue en vertu d’une décision de justice ou de tout autre document qui, au regard de la loi, constitue un titre exécutoire. »
Article 373
« Si la loi n’en dispose pas autrement, la décision de justice ou tout autre titre exécutoire seront mis en œuvre par un huissier de justice exerçant dans l’arrondissement (...) où l’exécution aura lieu, ou, s’il s’agit de biens, par l’huissier de justice exerçant dans l’arrondissement (...) où les biens sont situés. Si les biens sont situés dans plusieurs arrondissements (...), tout huissier de justice exerçant dans l’un de ces arrondissements a compétence pour l’exécution en cause.
L’instance d’exécution est le tribunal de première instance de l’arrondissement où l’exécution aura lieu, sauf si la loi en dispose autrement. L’instance d’exécution statue sur les demandes d’exécution forcée, sur les contestations à l’exécution ainsi que sur tout autre incident survenu lors de l’exécution, à l’exception de ceux pour lesquels d’autres tribunaux sont compétents. »
Article 3731
« Sauf si la loi en dispose autrement, la demande d’exécution forcée accompagnée du titre exécutoire doit être déposée auprès d’un huissier de justice. Celui-ci doit, dans un délai de cinq jours maximum à compter de la réception de la demande, solliciter l’autorisation d’exécution forcée auprès du tribunal, en lui envoyant la demande et le titre exécutoire.
Le tribunal approuve l’exécution forcée de l’obligation établie par le titre exécutoire par un jugement avant dire droit prononcé en chambre de conseil, sans notification aux parties, au plus tard sept jours après l’enregistrement de la demande d’autorisation d’exécution forcée.
En vertu du jugement avant dire droit ayant autorisé l’exécution forcée, l’huissier de justice peut procéder à l’exécution de l’obligation prévue dans le titre exécutoire dans toutes les modalités établies par la loi, les dispositions de l’article 3731, troisième alinéa, étant applicables. L’autorisation d’exécution forcée est également valable pour les titres exécutoires délivrés par l’huissier de justice pendant la procédure d’exécution forcée.
Un tribunal peut rejeter une demande d’autorisation d’exécution forcée :
lorsque la demande d’exécution forcée relève de la compétence d’attribution d’un autre organe d’exécution que celui qui a été saisi ;
lorsque le titre n’est pas revêtu de la formule exécutoire, dès lors que, en vertu de la loi, cette condition est nécessaire pour déclencher l’exécution forcée ;
lorsque la créance n’est pas sûre, liquide et exigible ;
lorsque le titre contient des dispositions qui ne peuvent pas être exécutées par le biais d’une exécution forcée ;
lorsqu’il existe d’autres empêchements prévus par la loi.
Le jugement avant dire droit qui autorise l’exécution forcée n’est pas susceptible de recours. Le jugement avant dire droit qui rejette une demande d’exécution forcée est susceptible de recours, de la part du créancier, dans un délai de cinq jours après la notification.
Pendant l’exécution, l’huissier doit avoir un rôle actif, persévérer et mettre en œuvre tous les moyens légaux pour que le débiteur s’acquitte intégralement et promptement de l’obligation prévue dans le titre exécutoire, dans le respect des dispositions de la loi et des droits des parties et des autres parties intéressées (...) »
Article 373²
« Dans les cas prévus par la loi ou si l’huissier l’estime nécessaire, les organes de police, la gendarmerie ou les agents des forces de l’ordre sont tenus d’apporter leur concours à la réalisation de l’exécution. Sur demande de la juridiction d’exécution ou de l’huissier de justice, les personnes qui sont redevables au débiteur d’une somme d’argent ou qui détiennent des biens lui appartenant sont tenues de donner toutes les informations nécessaires pour que l’exécution puisse avoir lieu. (...) »
Article 374
« Une décision de justice ou tout autre titre ne peuvent être exécutés que s’ils sont revêtus de la formule exécutoire conformément à l’article 269, premier alinéa (...). Le tribunal de première instance est chargé de cette formalité (...) »
Article 376
« Doivent être revêtus de la formule exécutoire conformément à l’article 296, premier alinéa, les décisions de justice devenues définitives et tous autres actes ou documents (...) »
Article 377
« Sont considérés comme décisions définitives :
les jugements prononcés en première instance, conformément à la loi, qui ne sont pas susceptibles d’appel ;
les jugements prononcés en première instance contre lesquels le droit d’appel n’a pas été exercé ou contre lesquels le droit d’appel, s’il a été exercé, l’a été hors délai légal, ou lorsque la demande d’appel a été rejetée ou annulée ;
les décisions prononcées en appel ;
toutes autres décisions qui ne peuvent plus, au regard de la loi, faire l’objet d’un appel ;
Sont irrévocables :
les décisions prononcées en première instance qui ne sont pas susceptibles d’appel et qui n’ont pas fait l’objet d’un recours ;
les décisions prononcées en première instance qui n’ont pas fait l’objet d’un appel ;
les décisions prononcées en appel qui n’ont pas fait l’objet d’un recours ;
les décisions prononcées en recours même si elles ont tranché le fond de l’affaire ;
toutes autres décisions qui ne peuvent plus, au regard de la loi, faire l’objet d’un recours. »
Article 399
« Les personnes intéressées ou lésées peuvent contester l’exécution forcée ou tout acte d’exécution. (...) Une contestation peut également être formée lorsqu’il est nécessaire de clarifier le sens, la portée ou les modalités de mise en œuvre du titre exécutoire, ou lorsque l’organe chargé de l’exécution refuse d’accomplir un acte d’exécution (...) »
Article 400
« L’exécution doit être contestée devant la juridiction d’exécution. La contestation concernant la clarification, l’étendue ou les modalités d’application du titre exécutoire doit être formée devant la juridiction qui a prononcé [la décision en cause]. » (...)
Article 404
« En cas d’acceptation de la contestation, le juge d’exécution peut, selon le cas, annuler l’acte d’exécution contesté, le modifier ou prononcer l’arrêt de l’exécution. Il peut aussi demander l’annulation ou la clarification du titre exécutoire, ou ordonner la réalisation de l’acte d’exécution contesté. S’il constate qu’un huissier de justice a refusé sans justification de procéder à l’exécution forcée ou d’accomplir un acte d’exécution et si cet acte ne constitue pas un délit, le juge d’exécution, saisi en vertu de l’article 399, premier alinéa, pourra contraindre l’huissier au paiement d’une amende allant de 500 à 2 500 RON, et, sur demande expresse, au paiement de dédommagements pour les préjudices causés. Si la contestation est rejetée, le demandeur peut être contraint, sur demande, au paiement d’une indemnité pour les dommages causés en raison du retard pris dans l’exécution et, lorsque la contestation a été formulée de mauvaise foi, il pourra se voir infliger le paiement d’une amende allant de 500 000 à 7 000 000 ROL.
(...) »
La loi no 76/2012
Les dispositions pertinentes en l’espèce énoncées dans la loi no 76/2012 du 24 mai 2012 sur la mise en application de la loi no 134/2010 concernant le nouveau CPC se lisent comme suit :
Article 3
« 1. Les dispositions du code de procédure civile sont applicables uniquement aux procès ou aux exécutions forcées qui ont débuté après l’entrée en vigueur du présent code.
Les procédures qui ont été introduites conformément à la loi par courrier postal ou auprès des instances militaires ou pénitentiaires avant la date d’entrée en vigueur du code de procédure civile seront régies par l’ancienne loi, même s’ils ont été enregistrés par un tribunal après cette date. »
Article 4
« Les dispositions énoncées à l’article 614 du code de procédure civile s’appliquent seulement aux exécutions forcées qui ont débuté avant l’entrée en vigueur du code de procédure civile. »
Article 5
« Les dispositions du code de procédure civile concernant les titres exécutoires sont applicables également aux décisions de justice prononcées ou aux actes rédigés avant l’entrée en vigueur du code de procédure civile. Ceux-ci peuvent être exécutés même s’ils ne sont pas revêtus de la formule exécutoire. »
Article 6
« Les délais de procédure prévus par des lois spéciales, applicables au moment de l’entrée en vigueur du code de procédure civile, sont régis par la loi en vigueur à la date à laquelle ils ont commencé à courir. (...) »
Article 10
« Chaque fois qu’un acte normatif prévoit l’obligation de revêtir une décision de justice ou tout autre document de la formule exécutoire, ceux-ci seront exécutés à compter de la date d’entrée en vigueur du nouveau code de procédure civile, sans qu’il y ait besoin de les revêtir de la formule exécutoire. »
Article 11
« Si la loi spéciale prévoit de contraindre le débiteur à une astreinte comminatoire ou, selon le cas, à une amende civile pour non-respect d’une obligation (...) à compter de l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure civile, des pénalités par jour de retard, conformément à l’article 894 du code de procédure civile, peuvent être infligées. (...) »
Résumé des principales modifications apportées par le nouveau CPC en matière d’exécution forcée
Le nouveau CPC, entré en vigueur le 15 février 2013, maintient le principe concernant l’exécution volontaire des décisions définitives de justice et prévoit la possibilité d’exécuter certaines obligations de faire (par exemple l’inscription d’un droit dans un registre public ou l’obtention d’une autorisation) sans l’intervention d’un huissier de justice (article 622). Le nouveau CPC prévoit également l’obligation de recourir à un huissier de justice pour toute exécution forcée d’un titre exécutoire (article 623), ainsi que l’obligation de calcul, par les huissiers de justice, des intérêts et des pénalités prévus dans les titres exécutoires ou, à défaut de mention dans le titre exécutoire, de l’actualisation au niveau de l’inflation (article 628). Il envisage en outre la possibilité d’un accord entre le créancier de l’obligation à exécuter et le débiteur quant à l’exécution partielle ou totale sur les revenus et sur les biens du débiteur ou quant à la vente des biens saisis (article 630). Une procédure d’exécution forcée peut être intentée à l’encontre de toute personne physique ou morale de droit privé ou public, à l’exception de celles qui bénéficient d’une immunité d’exécution (article 631). D’autres dispositions qualifient de titres exécutoires les décisions exécutoires (les décisions prononcées en appel ou en première instance mais qui ne sont pas susceptibles d’appel), les décisions définitives et toutes autres décisions qui, en vertu de la loi, sont susceptibles d’exécution (article 632). Le tribunal en charge de l’exécution est celui dont le siège se situe dans le même arrondissement que l’étude de l’huissier de justice chargé de l’exécution (article 650). Ce dernier doit, dans un délai de trois jours après la réception de la demande d’exécution formulée par le débiteur, solliciter auprès du tribunal l’autorisation d’exécution forcée (article 664). Le tribunal doit prononcer une décision au plus tard sept jours après le dépôt de la demande d’exécution par l’huissier de justice (article 665). Le jugement autorisant l’exécution forcée doit porter une mention relative à l’étendue des pouvoirs confiés aux huissiers de justice et aux agents publics en vue de l’exécution forcée (article 665). Le créancier doit accomplir, tous les six mois, des actes ou démarches nécessaires à l’exécution forcée, faute de quoi l’autorisation d’exécution devient caduque, ce qui a pour effet l’annulation de tous les actes d’exécution, à l’exception de ceux ayant déjà abouti au recouvrement partiel de la créance (articles 696-697). Le droit d’exécution forcée est prescrit au terme d’un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le droit d’exécution forcée est né, à l’exception de droits réels pour lesquels un délai de dix ans est prévu (article 705).
B. Droit international pertinent
Le 26 janvier 2011, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté la Résolution (1787(2011)), dans laquelle elle note avec préoccupation l’existence dans certains pays membres, dont la Roumanie, de problèmes structurels majeurs qui sont à l’origine de nombreuses affaires répétitives de violation de la Convention. Dans ce contexte, elle a exhorté la Roumanie à donner la priorité au problème de l’inexécution de décisions de justice. La partie pertinente en l’espèce de cette résolution se lit comme suit :
« (...)
L’Assemblée exhorte en particulier les Etats ci-après à donner la priorité à des problèmes spécifiques :
(...)
6. la restitution – ou l’indemnisation – de biens nationalisés doit rester une priorité en Roumanie (voir l’arrêt pilote Maria Atanasiu et autres c. Roumanie de la Cour du 12 octobre 2010). Il faut aussi remédier maintenant à la durée excessive de procédures judiciaires et à l’inexécution de décisions de justice définitives. (...) »
Le Comité des Ministres a adopté, lors de sa 1150e réunion (septembre 2012), une décision dans le cadre de l’examen, en procédure soutenue, de l’exécution du groupe d’arrêts Săcăleanu c. Roumanie (et 26 autres affaires) qui concerne le manquement de l’administration ou des personnes morales relevant de la responsabilité de l’État à leur obligation de se conformer aux décisions de justice internes définitives ou un retard significatif de leur part à cet égard. La partie pertinente en l’espèce de cette décision se lit comme suit :
« (...)
Les Délégués
relèvent que les violations constatées par la Cour européenne dans ces affaires témoignent de l’existence, à l’époque des faits pertinents, d’importants problèmes complexes liés à l’inexécution ou à l’exécution tardive des décisions définitives de justice par l’administration ou par des personnes morales relevant de la responsabilité de l’Etat ;
notent avec intérêt le plan d’action pour l’exécution de ces arrêts soumis le 16 janvier 2012, contenant des informations sur les mesures prises et envisagées par les autorités roumaines afin de remédier aux problèmes à l’origine de ces affaires ;
notent cependant avec préoccupation que des questions fondamentales relatives aux mesures générales, s’agissant en particulier des mécanismes et des garanties prévues en droit interne pour assurer l’exécution volontaire et prompte des décisions judiciaires par l’administration et des voies de recours disponibles à cet égard, restent à ce jour en suspens ;
notent en outre que des informations et des clarifications sont toujours nécessaires dans un certain nombre d’affaires, s’agissant des mesures individuelles (pour plus de détails voir les §§ 55-82 du mémorandum du Secrétariat CM/Inf/DH(2012)24) ;
relèvent que les autorités roumaines ont récemment commencé à réunir les informations nécessaires sur ces points et sur les autres points soulevés dans le mémorandum précité ; encouragent les autorités à fournir au Comité, dans les meilleurs délais, le résultat de ces démarches ;
décident de déclassifier le mémorandum CM/Inf/DH(2012)24 et de reprendre l’examen de toutes ces questions à la lumière d’un plan d’action révisé à soumettre rapidement par les autorités roumaines. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La genèse de l’affaire
Le 2 septembre 2008, trois hommes montèrent sur un voilier français, « le Carré d’As », qui se trouvait alors dans les eaux internationales au large de la Somalie. Ils obligèrent l’équipage, composé d’un couple de français, à se dérouter pour rejoindre d’autres embarcations. Une dizaine d’hommes prirent alors place à bord du voilier qui, le soir, atteignit les côtes de Somalie. Le couple fut dépouillé de ses biens et maintenu en otage en vue du versement d’une rançon de deux millions de dollars.
Le 5 septembre 2008, la frégate furtive « Courbet » de la marine nationale française, qui se trouvait en mission dans le golfe d’Aden, arriva sur place avec à son bord un effectif de commandos.
Le 15 septembre, vers 18 heures, alors que le Carré d’As était au mouillage dans les eaux territoriales somaliennes, à proximité de Xaafun, une opération – intitulée « Remora » – fut déclenchée par les forces militaires françaises afin de libérer les otages. Décidée par le président de la République française, elle était conduite par le chef d’état-major des armées et le centre de planification et de conduite des opérations.
L’assaut fut donné le 16 septembre 2008, à 0 heures 30. L’un des somaliens fut tué ; six autres, dont les requérants, furent arrêtés. Transportés vers 2 heures sur le Courbet, ils furent placés en soute puis dans une coursive, sous la surveillance de membres de la brigade de protection du bord. Les deux navires firent route en direction de Djibouti.
Le 21 septembre 2008, les autorités somaliennes adressèrent aux autorités françaises une note verbale indiquant qu’elles donnaient leur consentement à ce que les six personnes interpellées quittent le territoire somalien sous le contrôle des autorités militaires françaises (« (...) The Transitional Federal Government of Somalia gives its consent to that [sic] the 6 arrested persons leave Somalian territory under the guard of the French military authorities. (...) »).
Le même jour, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris saisit le directeur national de la gendarmerie national d’une enquête préliminaire pour détournement de navire, arrestation, et séquestration sans libération avant le septième jour aux fins de rançon, en bande organisée.
Les six suspects furent maintenus à bord du Courbet jusqu’au 22 septembre 2008, 13 heures 30. Ils furent ensuite conduits sur la base militaire française de Djibouti en vue de leur acheminement en France.
Le 23 septembre 2008, ils furent embarqués dans un avion militaire à destination de la France. Ils atterrirent en France le même jour, vers 16 heures (heure française) ; ils furent immédiatement remis à l’officier de police judiciaire chargé de l’enquête puis, à 17 heures, placés en garde à vue. Leurs droits leur furent notifiés à l’aide d’un interprète ; ils furent notamment informés de leur droit de s’entretenir avec un avocat à l’issue d’un délai de 48 heures. Ils furent ensuite examinés par un médecin. Ils furent entendus par le procureur de la République le 24 septembre, qui prolongea leur garde à vue de 24 heures. Ils bénéficièrent à nouveau d’un examen médical.
La garde à vue fut levée le 25 septembre à 14 heures 30 aux fins de présentation au Parquet.
Le 25 septembre 2008, une information fut ouverte contre les six suspects des chefs d’association de malfaiteurs, détournement de navire, arrestation et séquestration arbitraire de plusieurs personnes comme otages afin d’obtenir le versement d’une rançon sans libération avant le septième jour commise en bande organisé, et vols commis avec armes et en bande organisée.
Les requérants indiquent qu’ils furent présentés à un juge d’instruction le même jour, à 17 heures 54 s’agissant de M. Yacoub Mohammed Hassan (requête no 46695/10), à 19 heures 30 s’agissant de M. Abdulhai Guelleh Ahmed (requête no 54588/10), et à 20 heures 09 s’agissant de M. Cheik Nour Jama Mohamoud (requête no 46695/10). Ils furent mis en examen et placés en détention provisoire à l’issue de leurs interrogatoires de première comparution.
B. L’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris du 6 octobre 2009
Le 24 mars 2009, les six suspects saisirent la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris de requêtes en annulation des actes relatifs à leur privation de liberté entre les 16 et 25 septembre 2008, en particulier de leur garde à vue et des actes dont elle était le support, dont leur mise en examen. Invoquant notamment l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, ils soutenaient que leur arrestation et leur détention n’avaient pas de fondement juridique et dénonçaient le délai entre leur arrestation et leur présentation au juge d’instruction.
La chambre de l’instruction rejeta les requêtes par un arrêt du 6 octobre 2009.
Elle releva tout d’abord qu’aux termes de l’article 113-3 du code pénal, la loi pénale française est applicable aux infractions commises à bord des navires battant pavillon français ou à l’encontre de tels navires, en quelque lieu qu’ils se trouvent. Elle considéra cependant que, si cette règle a pour effet de rendre applicable la loi pénale française et de donner compétence aux juridictions pénales françaises, son objet se limite « à la reconnaissance d’une compétence de la loi et des juridictions qualifiée de territoriale, laquelle peut, à la différence de la souveraineté territoriale, être concurrente avec celle d’un autre État ». Elle souligna ensuite que l’article 113-3 du code pénal, qui ne concerne que la loi pénale de fond, ne pouvait justifier l’application des dispositions du code de procédure pénale relatives aux enquêtes, préliminaires ou de flagrance, dans les eaux territoriales d’un État étranger. Elle estima qu’il en allait de même des articles 689-1 et 689-5 du code de procédure pénale, qui donnent, subsidiairement, compétence aux juridictions françaises pour connaître d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime définis par la Convention de Rome du 10 mars 1988. Elle conclut que les investigations judiciaires relatives à des infractions commises sur ou à l’encontre d’un navire battant pavillon français se trouvant dans les eaux territoriales d’un autre État étaient soumises aux dispositions de procédure pénale de cet État, qu’il ne pouvait en aller autrement que sur le fondement d’une convention internationale et qu’une convention bilatérale ayant un tel objet ne paraissait pas exister entre la France et la Somalie. Cela étant, elle retint ce qui suit :
« Considérant que les parties civiles, qui convoyaient un navire battant pavillon français, « le Carré d’As », ont été victimes d’un abordage alors que ledit navire se trouvait dans les eaux internationales ; que la loi pénale française est, selon les termes de l’article 113-3 du code pénal, applicable à une infraction ainsi commise à l’encontre d’un tel navire ; que si les infractions, objet de la poursuite, ont été initialement commises alors que le « Carré d’As » se trouvait dans les eaux internationales, elles se sont poursuivies dans les eaux territoriales somaliennes ; que c’est dans les eaux relevant de la souveraineté somalienne qu’a été conduite, par les forces armées françaises, une action de vive force destinée à mettre un terme aux actes de piraterie qui étaient toujours en cours de commission ; que les requérants ont, à l’occasion de cette opération militaire qui a permis la libération des deux victimes, été appréhendés dans les eaux territoriales somaliennes. »
La chambre de l’instruction constata ensuite que si l’abordage et la prise d’otage en cause étaient constitutifs d’actes de piraterie, au sens de l’article 101 de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, cette convention ne pouvait constituer la base légale des mesures prises en l’espèce, dès lors que son article 105 ne donne compétence aux États pour saisir un navire pirate et appréhender les personnes se trouvant à son bord qu’en haute mer ou dans un autre lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État.
Elle releva cependant que la résolution 1816 adoptée le 2 juin 2008 par le Conseil de sécurité des Nations unies autorisait, pour une période de six mois, les États coopérant avec le gouvernement fédéral de transition (« GFT »)) de Somalie à la lutte contre la piraterie et les vols à main armée au large des côtes somaliennes, à entrer dans les eaux territoriales de Somalie afin de réprimer de tels actes, et à utiliser à cette fin « tous moyens nécessaires », « d’une manière conforme à l’action autorisée en haute mer en cas de piraterie en application du droit international applicable ». D’autre part, cette résolution demandait à tous les États « de coopérer en vue de déterminer lequel aura[it] compétence et de prendre les mesures voulues d’enquête et de poursuite » à l’encontre des auteurs de tels actes commis au large des côtes somaliennes. La chambre de l’instruction considéra ensuite que, si la nature de ces moyens et de ces mesures d’enquête n’y était pas inscrite de façon exhaustive, la résolution, « sauf à vider de toute signification ses dispositions suffisamment précises », notamment en ce qu’elles prévoyaient expressément que des personnes puissent être « détenues dans le cadre d’opérations menées en vertu de la présente résolution », emportait pour le moins la possibilité de limiter la liberté d’aller et de venir des personnes appréhendées, voire de les priver temporairement de liberté. Enfin, elle constata que le code de la défense habilitait les commandants des bâtiments de l’État chargés de la surveillance en mer à exercer et à faire respecter les mesures de contrôle et de coercition prévues par le droit international et le droit interne, dont, au nom de l’État côtier, les mesures de contrôle et de coercition fixées en accord avec cet État (article L. 1521-2). Il les habilitait aussi à prendre les mesures de coercition nécessaires et adaptées en vue d’assurer la préservation du navire et la sécurité des personnes se trouvant à bord, pendant le transit consécutif au déroutement du navire ordonné en application (notamment) du droit international (article L. 1521-5), ainsi qu’à recourir à des « mesures de coercition comprenant, si nécessaire, l’emploi de la force » lorsque le capitaine refuse de faire connaître l’identité et la nationalité du navire, d’en admettre la visite ou de le dérouter.
Après s’être déclarée incompétente pour décider si les mesures prises en l’espèce par les autorités françaises avant l’arrivée des suspects en France étaient des « actes de gouvernement », la chambre de l’instruction constata que les moyens employés avaient été, aussi bien lors de « l’action de vive force » qu’à l’issue de celle-ci, adaptés à la situation, nécessaires et proportionnés. Elle jugea en particulier que « seules [avaient] été prises, à l’égard des personnes appréhendées, des mesures appropriées au regard, notamment, des finalités définies par la résolution 1816 », et qu’il en allait spécialement ainsi de la restriction apportée à leur liberté d’aller et de venir.
La chambre de l’instruction conclut que l’interpellation des suspects et leur rétention jusqu’à leur placement en garde à vue ne contrevenaient pas à l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention. L’arrêt est à cet égard motivé comme il suit :
« Considérant (...) que la privation temporaire de liberté constatée s’inscrivait (...) expressément dans les limites du cas spécialement prévu par l’article 5 § 1 c) de [la] Convention ; que l’appréhension des requérants n’a pas été dépourvue de fondement juridique mais était, au contraire, justifiée par la résolution 1816 précitée ; que c’est selon les voies légales que les six requérants ont été temporairement privés de leur liberté ; que la durée de leur rétention n’a été que la conséquence insurmontable des circonstances de temps et de lieu de leur appréhension, laquelle est intervenue à un endroit où les requérants se trouvaient de par leur propre volonté ; qu’il était – sauf à ne pas recourir à l’action de vive force strictement nécessaire à la libération des deux victimes – matériellement impossible de résister à ces circonstances tout à fait exceptionnelles ; que la considérable distance à parcourir, induisant un incompressible délai d’acheminement, a caractérisé une impossibilité matérielle de traduire aussitôt, ou même dans un délai plus court, les personnes arrêtées, devant un magistrat habilité ; que ces contraintes n’ont pas constitué une atteinte disproportionnée ou injustifiée aux droits fondamentaux des requérants, qui, dans le respect des règles posés par le code de procédure pénale, qui ne sont pas incompatibles avec [la Convention], se sont vus notifier leur placement en garde à vue, ainsi que les droits y afférant, dès leur arrivée sur le territoire français, ont été présentés au procureur de la République moins de 24 heures après cette arrivée, puis ont été présentés, le lendemain, à un magistrat instructeur qui venait d’être saisi par l’ouverture d’une information judiciaire et, enfin, à un juge des libertés et de la détention ;
Considérant que les autorités somaliennes étaient susceptibles, à tout moment, jusqu’au transfert effectif de leurs six ressortissants sur le territoire français, soit le 22 septembre 2008, d’exercer leur droit de contrôler la conformité de l’action des autorités françaises aux règles de droit international et, le cas échéant, de droit somalien applicables ; que les autorités somaliennes n’ont, à aucun moment, ni au cours de cette période, ni après le transfert de leurs six ressortissants sur le territoire français, fait état d’une quelconque violation des règles précitées ; que ledit transfert vers la France a été effectué le 22 septembre 2008 avec l’approbation des autorités somaliennes, concrétisée par une note verbale en date du 21 septembre 2008 (...) ;
Considérant que le délai du transfert vers la France réalisé le 22 septembre 2008 n’est en rien incompatible avec le respect des droits garantis par l’article 5 § 3 de la Convention (...) ; que la durée de la garde à vue elle-même, qui n’a pas excédé les limites prévues par les dispositions du code de procédure pénale, lesquelles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de la Convention (...), ne constitue pas une violation des droits reconnus par l’article 5 § 3 (...) ; que la garde à vue des six personnes ensuite mises en examen ne s’est pas prolongée au-delà de la durée nécessaire à leurs auditions successives, lesquelles rendaient nécessaires, notamment, le recours à un interprète, et avaient été différées jusque-là pour qu’elles puissent, précisément, être réalisées en conformité avec les règles imposées par le code de procédure pénale et dans le respect des droits de la défenses reconnus tant par le droit français que par les instruments internationaux liant la République française, notamment la Convention (...) ;
Considérant que l’examen de l’ensemble des documents versés à la procédure (...) permet à la chambre de l’instruction de constater que toutes les mesures, afférentes à la liberté d’aller et venir des six requérants, qui ont été successivement prises par des autorités distinctes, ont été mises en œuvre conformément au droit international applicable, y compris le droit international des droits de l’homme ; (...) »
C. L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 17 février 2010
Quatre des suspects – dont les requérants – se pourvurent en cassation, invoquant notamment une violation de l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention.
La chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta les pourvois par un arrêt du 17 février 2010. Elle confirma que la loi applicable au sens de l’article 113-3 du code pénal est la loi pénale de fonds à l’exclusion de la procédure pénale. Elle souligna ensuite ce qui suit :
« (...) les autorités militaires françaises ont régulièrement appréhendé les personnes suspectées de se livrer à des actes de piraterie (...) sur le fondement de la résolution 1816 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 2 juin 2008 autorisant les États, dans les eaux territoriales somaliennes, à faire usage des pouvoirs que leur confère, en haute mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État, l’article 105 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 ; (...) le transfert vers la France des personnes appréhendées en vue de leur présentation à un juge était subordonné à l’accord préalable des autorités somaliennes intervenu le 21 septembre 2008 ; (...) dès leur arrivée sur le sol français, le 23 septembre 2008, à 17 heures, les personnes soupçonnées ont été régulièrement placées en garde à vue puis présentées le 25 septembre 2008, à un juge d’instruction. »
D. L’arrêt de la Cour d’assises des mineurs de Paris du 30 novembre 2011 et l’arrêt de la Cour d’assises des mineurs de Seine-et-Marne du 1er février 2013
Le 30 novembre 2011, la Cour d’assises des mineurs de Paris acquitta Abdulahi Guelleh Ahmed (requête no 54588/10). Elle déclara en revanche les cinq autres prévenus coupables, et les condamna à des peines de prison allant de quatre à huit années d’emprisonnement. Cheik Nour Jama Mohamoud et Yacoub Mohamed Hassan (requête no 46695/10) furent ainsi condamnés à 7 et 6 ans d’emprisonnement respectivement.
Le ministère public interjeta appel. Par un arrêt du 1er février 2013, la cour d’assises des mineurs de Seine-et-Marne confirma l’acquittement de M. Abdulahi Guelleh Ahmed ainsi que la condamnation et la peine de M. Yacoub Mohamed Hassan. Les requérants précisent que le parquet s’est désisté de son appel à l’encontre de M. Jama Mohamoud en raison de son état de santé psychologique.
Les parties n’indiquent pas si la Cour de cassation a été saisie.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le code de procédure pénale
Les articles pertinents du code de procédure pénale sont les suivants :
Article 689
« Les auteurs ou complices d’infractions commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises soit lorsque, conformément aux dispositions du livre Ier du code pénal ou d’un autre texte législatif, la loi française est applicable, soit lorsqu’une convention internationale donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l’infraction. »
Article 689-1
« En application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République de l’une des infractions énumérées par ces articles. Les dispositions du présent article sont applicables à la tentative de ces infractions, chaque fois que celle-ci est punissable. »
Article 689-5
« Pour l’application de la convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime et pour l’application du protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental, faits à Rome le 10 mars 1988, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à l’article 689-1 toute personne coupable de l’une des infractions suivantes :
1o Crime défini aux articles 224-6 et 224-7 du code pénal ;
2o Atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique, destruction, dégradation ou détérioration, menace d’une atteinte aux personnes ou aux biens réprimées par les livres II et III du code pénal ou délits définis par l’article 224-8 de ce code et par l’article L. 331-2 du code des ports maritimes, si l’infraction compromet ou est de nature à compromettre la sécurité de la navigation maritime ou d’une plate-forme fixe située sur le plateau continental ;
3o Atteinte volontaire à la vie, tortures et actes de barbarie ou violences réprimés par le livre II du code pénal, si l’infraction est connexe soit à l’infraction définie au 1o, soit à une ou plusieurs infractions de nature à compromettre la sécurité de la navigation maritime ou d’une plate-forme visées au 2o. »
Le code pénal
Les dispositions pertinentes du chapitre III du titre Ier du Livre Ier du code pénal, relatif à l’application de la loi pénale dans l’espace, sont les suivantes :
Article 113-1
« Pour l’application du présent chapitre, le territoire de la République inclut les espaces maritime et aérien qui lui sont liés. »
Article 113-2
« La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République.
L’infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire. »
Article 113-3 (dans sa version applicable à l’époque des faits)
« La loi pénale française est applicable aux infractions commises à bord des navires battant un pavillon français, ou à l’encontre de tels navires, en quelque lieu qu’ils se trouvent. Elle est seule applicable aux infractions commises à bord des navires de la marine nationale, ou à l’encontre de tels navires, en quelque lieu qu’ils se trouvent. »
Article 113-7
« La loi pénale française est applicable à tout crime, ainsi qu’à tout délit puni d’emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction. »
Le code de la défense
a) À l’époque des faits de la cause
Les dispositions pertinentes du chapitre relatif à « l’exercice par l’État de ses pouvoirs de police en mer » du code de la défense (chapitre unique du titre II du Livre V de la première partie du code) sont les suivantes (dans leur version applicable à l’époque des faits) :
Article L. 1521-1
« Les dispositions prévues au présent chapitre s’appliquent :
1o Aux navires français dans tous les espaces maritimes, sous réserve des compétences reconnues aux États par le droit international ;
2o Aux navires étrangers dans les espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française ainsi qu’en haute mer conformément au droit international. [Depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2011-13 du 5 janvier 2011, le 2o est ainsi libellé : « Aux navires étrangers et aux navires n’arborant aucun pavillon ou sans nationalité, dans les espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française ainsi qu’en haute mer conformément au droit international ».]
Elles ne s’appliquent ni aux navires de guerre étrangers ni aux autres navires d’État étrangers utilisés à des fins non commerciales ;
3o Aux navires situés dans les espaces maritimes sous souveraineté d’un État étranger, en accord avec celui-ci.
[4o Aux navires battant pavillon d’un État qui a sollicité l’intervention de la France ou agréé sa demande d’intervention. (ajouté par la loi no 2011-13 du 5 janvier 2011)]
Article L. 1521-2
« Les commandants des bâtiments de l’État et les commandants de bord des aéronefs de l’État, chargés de la surveillance en mer, sont habilités, pour assurer le respect des dispositions qui s’appliquent en mer en vertu du droit international ainsi que des lois et règlements de la République, à exercer et à faire exécuter les mesures de contrôle et de coercition prévues par le droit international, la législation et la réglementation française.
Ils sont notamment habilités à exercer et à faire exercer au nom de l’État du pavillon ou de l’État côtier les mesures de contrôle et de coercition fixées en accord avec cet État ».
Article L. 1521-5
« Lorsque l’accès à bord a été refusé ou s’est trouvé matériellement impossible, le commandant ou le commandant de bord peut ordonner le déroutement du navire vers la position ou le port appropriés.
Le commandant ou le commandant de bord peut également ordonner le déroutement du navire vers une position ou un port appropriés dans les cas suivants :
1o Soit en application du droit international ;
2o Soit en vertu de dispositions législatives ou réglementaires particulières ;
3o Soit pour l’exécution d’une décision de justice ;
4o Soit à la demande d’une autorité qualifiée en matière de police judiciaire.
Le commandant ou le commandant de bord désigne la position ou le port de déroutement en accord avec l’autorité de contrôle des opérations.
Pendant le transit consécutif à la décision de déroutement, les agents mentionnés à l’article L. 1521-2 peuvent prendre les mesures de coercition nécessaires et adaptées en vue d’assurer la préservation du navire et de sa cargaison et la sécurité des personnes se trouvant à bord ».
Article L. 1521-7
« Si le capitaine refuse de faire connaître l’identité et la nationalité du navire, d’en admettre la visite ou de le dérouter, le commandant ou le commandant de bord peut, après sommations, recourir à l’encontre de ce navire à des mesures de coercition comprenant, si nécessaire, l’emploi de la force. (...) »
b) La loi no 2011-13 du 5 janvier 2011, relative aux modalités de l’exercice par l’État de ses pouvoirs de contrôle en mer
La loi no 2011-13 du 5 janvier 2011 insère une nouvelle – troisième – section dans le chapitre relatif à « l’exercice par l’État de ses pouvoirs de police en mer », intitulée « mesures prises à l’encontre des personnes à bord des navires ». Elle contient les dispositions suivantes :
Article L. 1521-11
« À compter de l’embarquement de l’équipe de visite prévue à l’article L. 1521-4 sur le navire contrôlé, les agents mentionnés à l’article L. 1521-2 peuvent prendre les mesures de coercition nécessaires et adaptées à l’encontre des personnes à bord en vue d’assurer leur maintien à disposition, la préservation du navire et de sa cargaison ainsi que la sécurité des personnes. »
Article L. 1521-12
« Lorsque des mesures de restriction ou de privation de liberté doivent être mises en œuvre, les agents mentionnés à l’article L. 1521-2 en avisent le préfet maritime ou, outre-mer, le délégué du Gouvernement pour l’action de l’État en mer, qui en informe dans les plus brefs délais le procureur de la République territorialement compétent. »
Article L. 1521-13
« Chaque personne à bord faisant l’objet d’une mesure de restriction ou de privation de liberté bénéficie d’un examen de santé par une personne qualifiée dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la mise en œuvre de celle-ci. Un examen médical intervient au plus tard à l’expiration d’un délai de dix jours à compter du premier examen de santé effectué.
Un compte rendu de l’exécution de ces examens se prononçant, notamment, sur l’aptitude au maintien de la mesure de restriction ou de privation de liberté est transmis dans les plus brefs délais au procureur de la République. »
Article L. 1521-14
« Avant l’expiration du délai de quarante-huit heures à compter de la mise en œuvre des mesures de restriction ou de privation de liberté mentionnées à l’article L. 1521-12 et à la demande des agents mentionnés à l’article L. 1521-2, le juge des libertés et de la détention saisi par le procureur de la République statue sur leur prolongation éventuelle pour une durée maximale de cent vingt heures à compter de l’expiration du délai précédent.
Ces mesures sont renouvelables dans les mêmes conditions de fond et de forme durant le temps nécessaire pour que les personnes en faisant l’objet soient remises à l’autorité compétente. »
Article L. 1521-15
« Pour l’application de l’article L. 1521-14, le juge des libertés et de la détention peut solliciter du procureur de la République tous éléments de nature à apprécier la situation matérielle et l’état de santé de la personne qui fait l’objet d’une mesure de restriction ou de privation de liberté.
Il peut ordonner un nouvel examen de santé.
Sauf impossibilité technique, le juge des libertés et de la détention communique, s’il le juge utile, avec la personne faisant l’objet des mesures de restriction ou de privation de liberté.»
Article L. 1521-16
« Le juge des libertés et de la détention statue par ordonnance motivée insusceptible de recours. Copie de cette ordonnance est transmise dans les plus brefs délais par le procureur de la République au préfet maritime ou, outre-mer, au délégué du Gouvernement pour l’action de l’État en mer, à charge pour celui-ci de la faire porter à la connaissance de la personne intéressée dans une langue qu’elle comprend. »
Article L. 1521-17
« Les mesures prises à l’encontre des personnes à bord des navires peuvent être poursuivies, le temps strictement nécessaire, au sol ou à bord d’un aéronef, sous l’autorité des agents de l’État chargés du transfert, sous le contrôle de l’autorité judiciaire tel que défini par la présente section. »
Article L. 1521-18
« Dès leur arrivée sur le sol français, les personnes faisant l’objet de mesures de coercition sont mises à la disposition de l’autorité judiciaire ».
Dans une circulaire du 13 juillet 2011 (JUSD1119584C), « relative à la lutte contre la piraterie maritime et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer », le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, indique que, jusqu’à la loi no 2011-13 du 5 janvier 2011, la France « ne disposait pas d’une législation adaptée à la répression particulière des actes de piraterie ». Il ajoute que cette nouvelle loi créée notamment un régime juridique spécifique « pour apporter les garanties nécessaires en matière de respect de libertés fondamentales, au sens de la Convention », observant par ailleurs que « l’encadrement juridique de la retenue des personnes appréhendées en haute mer n’apparaissait pas conforme aux évolutions de la jurisprudence de la Cour » (la circulaire renvoie à cet égard à l’arrêt Medvedyev et autres c. France [GC] (no 3394/03, CEDH 2010)).
Il constate que l’article L. 1521-5 alinéa 4 du code de la défense prévoyait déjà la possibilité de mettre en œuvre des mesures de coercition à l’occasion d’un déroutement de navire, mais seulement « de manière très générale ». Il ajoute que ce cadre juridique était apparu insuffisant, s’agissant des mesures prises à l’encontre des personnes, en ce qu’il « ne prévoyait pas expressément la possibilité d’une privation de liberté précisément définie et encadrée par un régime « adéquat », sous le contrôle d’un magistrat du siège ».
Il explique que les nouvelles dispositions introduites dans le code de la défense par la loi nouvelle visent ainsi à mettre en place un régime particulier applicable aux mesures de coercition qui peuvent être prises à l’encontre des personnes appréhendées, tout en tenant compte des importantes contraintes opérationnelles auxquelles doivent faire face les autorités administratives et militaires intervenantes, dans la perspective éventuelle d’une mise en œuvre ultérieure de la procédure pénale.
La loi no 94-589 du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l’exercice par l’État de ses pouvoirs de police en mer
A l’époque des faits, le dispositif répressif français ne contenait pas de référence à la piraterie. Les actes de piraterie pouvaient toutefois être poursuivis sous des qualifications de droit commun, telles que détournement de navire, participation à une association de malfaiteurs, vol à main armée, séquestration, homicide volontaire et violences volontaires.
La loi no 2011-13 du 5 janvier 2011 précitée insère dans la loi no 94589 du 15 juillet 1994 un titre relatif à la lutte contre la piraterie maritime. Elle précise les infractions pénales constitutives d’actes de piraterie, renvoyant quant à cette notion à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer signée à Montego Bay le 10 décembre 1982. Elle donne aux commandants des bâtiments et aéronefs de l’État, chargés de la surveillance en mer, la compétence, « lorsqu’il existe des motifs raisonnable de soupçonner qu’une ou plusieurs » de ces infractions ont été commises, se commettent, se préparent à être commises à bord ou à l’encontre des navires mentionnés à l’article L. 1521-1 du code de la défense, d’exécuter ou faire exécuter les mesures de coercition qu’elle prévoit ou qui sont prévues par le droit international ou le titre II du livre V de la première partie de ce code. Elle précise qu’« à l’égard des personnes à bord peuvent être mises en œuvre les mesures de coercition prévues par les dispositions du chapitre unique du titre II du livre V de la première partie du même code relatives au régime de rétention à bord ». Elle précise également les personnes habilités à constater les infractions, et indique que les mesures prises à l’encontre des personnes sont régies par la section 3 du chapitre unique du titre II du Livre V de la première partie du code de la défense. Par ailleurs, elle accorde aux juridictions françaises une compétence « quasi-universelle » pour juger les actes de piraterie commis en dehors du territoire national, quelle que soit la nationalité du navire ou des victimes, lorsque les auteurs sont appréhendés par des agents français, et à défaut d’entente avec les autorités d’un autre État pour l’exercice par celui-ci de sa compétence juridictionnelle.
III. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer de Montego Bay, du 10 décembre 1982
L’article 92 de la convention de Montego Bay est ainsi libellé :
« 1. Les navires naviguent sous le pavillon d’un seul état et sont soumis, sauf dans les cas exceptionnels expressément prévus par des traités internationaux ou par la Convention, à sa juridiction exclusive en haute mer. Aucun changement de pavillon ne peut intervenir au cours d’un voyage ou d’une escale, sauf en cas de transfert réel de la propriété ou de changement d’immatriculation. (...) »
Les articles de la convention de Montego Bay relatifs à la piraterie sont les suivants :
Article 100 - Obligation de coopérer à la répression de la piraterie
« Tous les États coopèrent dans toute la mesure du possible à la répression de la piraterie en haute mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État. »
Article 101 - Définition de la piraterie
« On entend par piraterie l’un quelconque des actes suivants:
a) tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l’équipage ou des passagers d’un navire ou d’un aéronef privé, agissant à des fins privées, et dirigé:
i) contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord, en haute mer,
ii) contre un navire ou aéronef, des personnes ou des biens, dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État ;
b) tout acte de participation volontaire à l’utilisation d’un navire ou d’un aéronef, lorsque son auteur a connaissance de faits dont il découle que ce navire ou aéronef est un navire ou aéronef pirate ;
c) tout acte ayant pour but d’inciter à commettre les actes définis aux let. a) ou b), ou commis dans l’intention de les faciliter. »
Article 102 - Piraterie du fait d’un navire de guerre, d’un navire d’État ou d’un aéronef d’État dont l’équipage s’est mutiné
« Les actes de piraterie, tels qu’ils sont définis à l’article 101, perpétrés par un navire de guerre, un navire d’État ou un aéronef d’État dont l’équipage mutiné s’est rendu maître sont assimilés à des actes commis par un navire ou un aéronef privé. »
Article 103 - Définition d’un navire ou d’un aéronef pirate
« Sont considérés comme navires ou aéronefs pirates les navires ou aéronefs dont les personnes qui les contrôlent effectivement entendent se servir pour commettre l’un des actes visés à l’article 101. Il en est de même des navires ou aéronefs qui ont servi à commettre de tels actes tant qu’ils demeurent sous le contrôle des personnes qui s’en sont rendues coupables. »
Article 104 - Conservation ou perte de la nationalité d’un navire ou d’un aéronef pirate
« Un navire ou aéronef devenu pirate peut conserver sa nationalité. La conservation ou la perte de la nationalité est régie par le droit interne de l’état qui l’a conférée. »
Article 105 - Saisie d’un navire ou d’un aéronef pirate
« Tout état peut, en haute mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d’aucun état, saisir un navire ou un aéronef pirate, ou un navire ou un aéronef capturé à la suite d’un acte de piraterie et aux mains de pirates, et appréhender les personnes et saisir les biens se trouvant à bord. Les tribunaux de l’état qui a opéré la saisie peuvent se prononcer sur les peines à infliger, ainsi que sur les mesures à prendre en ce qui concerne le navire, l’aéronef ou les biens, réserve faite des tiers de bonne foi. »
Article 106 - Responsabilité en cas de saisie arbitraire
« Lorsque la saisie d’un navire ou aéronef suspect de piraterie a été effectuée sans motif suffisant, l’état qui y a procédé est responsable vis-à-vis de l’état dont le navire ou l’aéronef a la nationalité de toute perte ou de tout dommage causé de ce fait. »
Article 107 - Navires et aéronefs habilités à effectuer une saisie pour raison de piraterie
« Seuls les navires de guerre ou aéronefs militaires, ou les autres navires ou aéronefs qui portent des marques extérieures indiquant clairement qu’ils sont affectés à un service public et qui sont autorisés à cet effet, peuvent effectuer une saisie pour cause de piraterie. »
IV. La résolution 1816 du Conseil de sécurité des Nations unies
Adoptée, le 2 juin 2008, lors de la 5902ème séance du Conseil de sécurité, la résolution 1816 est ainsi libellée :
« Le Conseil de sécurité, (...)
Profondément préoccupé par la menace que les actes de piraterie et les vols à main armée commis contre des navires font peser sur l’acheminement effectif, les délais d’acheminement et la sécurité de l’acheminement de l’aide humanitaire en Somalie, sur la sécurité des routes maritimes commerciales et sur la navigation internationale,
Se déclarant préoccupé de ce qu’il ressort des rapports trimestriels publiés depuis 2005 par l’Organisation maritime internationale (OMI) que des actes de piraterie et des vols à main armée continuent de se produire, en particulier dans les eaux situées au large des côtes somaliennes,
Affirmant que le droit international, tel qu’édicté dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, en date du 10 décembre 1982 (« la Convention »), définit le cadre juridique de la lutte contre la piraterie et le vol à main armée, parmi d’autres activités menées sur les océans,
Réaffirmant les dispositions du droit international concernant la répression de la piraterie, en particulier la Convention, et rappelant que ces dispositions établissent les principes directeurs d’une coopération aussi totale que possible dans la répression de la piraterie en haute mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État, y compris, entre autres mesures, pour ce qui est d’arraisonner, de fouiller et de saisir les navires se livrant ou soupçonnés de se livrer à des actes de piraterie et d’appréhender les personnes se livrant à de tels actes en vue de les traduire en justice,
Réaffirmant qu’il respecte la souveraineté, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique et l’unité de la Somalie,
Tenant compte de la crise que traverse la Somalie et du fait que le Gouvernement fédéral de transition n’a les moyens ni de tenir les pirates à distance ni de patrouiller dans les voies de circulation maritime internationales proches des côtes du pays ou dans ses eaux territoriales et d’en assurer la sécurité,
Déplorant les récents incidents au cours desquels des navires ont été attaqués ou détournés dans les eaux territoriales de la Somalie ou en haute mer, au large de ses côtes, y compris l’attaque ou le détournement de navires affrétés par le Programme alimentaire mondial et de nombreux navires commerciaux, déplorant les graves répercussions de ces attaques sur l’acheminement effectif, les délais d’acheminement et la sécurité de l’acheminement de l’aide alimentaire et des autres secours humanitaires destinés aux populations somaliennes, et déplorant les graves dangers que ces attaques représentent pour les navires, leurs équipages, leurs passagers et leur cargaison,
Prenant acte des lettres datées des 5 juillet et 18 septembre 2007 que le Secrétaire général de l’OMI a adressées au Secrétaire général au sujet des problèmes de piraterie au large des côtes somaliennes et la résolution A.1002 (25) de l’OMI, dans laquelle les gouvernements ont été vivement engagés à accroître leurs efforts en vue de prévenir et de réprimer, dans le respect des dispositions du droit international, les actes de piraterie et les vols à main armée commis contre des navires, où qu’ils se produisent, et rappelant le communiqué conjoint de l’OMI et du Programme alimentaire mondial en date du 10 juillet 2007,
Prenant note de la lettre datée du 9 novembre 2007 que le Secrétaire général a adressée au Président du Conseil de sécurité pour l’informer que le Gouvernement fédéral de transition de la Somalie a besoin et serait heureux de recevoir une aide internationale pour faire face au problème,
Prenant note en outre de la lettre que le Représentant permanent de la République somalienne auprès de l’Organisation des Nations Unies a adressée au Président du Conseil de sécurité le 27 février 2008 pour lui indiquer que le Gouvernement fédéral de transition demandait au Conseil de l’aider, d’urgence, à assurer la sécurité des eaux territoriales somaliennes et des eaux internationales situées au large des côtes du pays, afin d’y garantir la sécurité du transport maritime et de la navigation,
Constatant que les actes de piraterie et les vols à main armée subis par des navires dans les eaux territoriales de la Somalie ou en haute mer, au large de ses côtes, enveniment la situation dans le pays, laquelle continue de menacer la paix internationale et la sécurité de la région,
Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
Condamne et déplore tous actes de piraterie et vols à main armée commis contre des navires dans les eaux territoriales de la Somalie ou en haute mer, au large de ses côtes ;
Engage les États dont les navires de guerre et les aéronefs militaires opèrent en haute mer au large des côtes somaliennes, ou dans l’espace aérien international situé au large de ces côtes, à faire preuve de vigilance à l’égard des actes de piraterie et des vols à main armée, et, dans cet esprit, engage en particulier les États désireux d’emprunter les routes maritimes commerciales situées au large des côtes somaliennes à renforcer et coordonner, en coopération avec le Gouvernement fédéral de transition, l’action menée pour décourager les actes de piraterie et les vols à main armée commis en mer ;
Engage également tous les États à coopérer entre eux, avec l’OMI et, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes, au sujet des actes de piraterie et des vols à main armée commis dans les eaux territoriales de la Somalie et en haute mer au large de ses côtes et à se communiquer toutes informations y relatives, et à prêter assistance aux navires menacés ou attaqués par des pirates ou des voleurs armés, conformément au droit international applicable ;
Engage en outre les États à coopérer avec les organisations intéressées, y compris l’Organisation maritime internationale, afin de veiller à ce que les navires ayant faculté de battre leur pavillon national reçoivent des directives et une formation appropriées concernant les techniques d’évitement, d’évasion et de défense, et à éviter la zone pour autant que possible ;
Demande aux États et aux organisations intéressées, y compris l’Organisation maritime internationale, de fournir à la Somalie et aux États côtiers voisins, à leur demande, une assistance technique visant à renforcer la capacité de ces États d’assurer la sécurité côtière et maritime, y compris la lutte contre la piraterie et les vols à main armée au large des côtes somaliennes et des côtes des pays voisins ;
Affirme que les mesures édictées au paragraphe 5 de la résolution 733 (1992) et explicitées aux paragraphes 1 et 2 de la résolution 1425 (2002) ne s’appliquent pas à la fourniture d’assistance technique à la Somalie aux seules fins énoncées au paragraphe 5 ci-dessus, qui font l’objet d’une dérogation conformément à la procédure définie aux paragraphes 11 b) et 12 de la résolution 1772 (2007) ;
Décide que, pour une période de six mois à compter de l’adoption de la présente résolution, les États qui coopèrent avec le Gouvernement fédéral de transition à la lutte contre la piraterie et les vols à main armée au large des côtes somaliennes et dont le Gouvernement fédéral de transition aura préalablement communiqué les noms au Secrétaire général sont autorisés :
a) À entrer dans les eaux territoriales de la Somalie afin de réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée en mer, d’une manière conforme à l’action autorisée en haute mer en cas de piraterie en application du droit international applicable ;
b) À utiliser, dans les eaux territoriales de la Somalie, d’une manière conforme à l’action autorisée en haute mer en cas de piraterie en application du droit international applicable, tous moyens nécessaires pour réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée ;
Demande aux États coopérants de prendre les dispositions voulues pour garantir que les activités qu’ils mèneront conformément à l’autorisation accordée au paragraphe 7 de la présente résolution n’auront pas pour effet sur le plan pratique de refuser ou restreindre le droit de passage inoffensif des navires d’États tiers ;
Affirme que l’autorisation donnée dans la présente résolution s’applique à la seule situation en Somalie et n’affecte pas les droits, obligations ou responsabilités dérivant pour les États Membres du droit international, notamment les droits ou obligations résultant de la Convention pour ce qui est de toute autre situation, et souligne en particulier qu’elle ne peut être regardée comme établissant un droit international coutumier, et affirme en outre que la présente autorisation n’a été donnée qu’à la suite de la réception de la lettre datée du 27 février 2008 adressée au Président du Conseil de sécurité par le Représentant permanent de la République somalienne auprès de l’Organisation des Nations Unies et transmettant l’accord du Gouvernement fédéral de transition ;
Demande aux États participants de coordonner entre eux les mesures qu’ils prennent en application des paragraphes 5 et 7 ci-dessus ;
Demande à tous les États, en particulier aux États du pavillon, aux États du port et aux États côtiers, ainsi qu’aux États de nationalité des victimes ou des auteurs d’actes de piraterie ou de vols à main armée et aux États tirant juridiction du droit international ou de leur droit interne, de coopérer en vue de déterminer lequel aura compétence et de prendre les mesures voulues d’enquête et de poursuite à l’encontre des auteurs d’actes de piraterie et de vols à main armée commis au large des côtes somaliennes, conformément au droit international applicable, y compris le droit international des droits de l’homme, et de seconder ces efforts, notamment en fournissant une assistance en matière de logistique et d’accès aux voies de droit aux personnes relevant de leur juridiction et de leur contrôle, telles que les victimes, les témoins et les personnes détenues dans le cadre d’opérations menées en vertu de la présente résolution
Prie les États qui coopèrent avec le Gouvernement fédéral de transition de l’informer dans un délai de trois mois de l’application des mesures qu’ils auront prises en exécution de l’autorisation découlant du paragraphe 7 ci-dessus (...) ».
Le Gouvernement produit une note adressée le 1er septembre 2008 par le président de la République fédérale de Somalie au Secrétaire général des Nations unies, notifiant à ce dernier en application du paragraphe 7 de la résolution 1816 une liste d’États coopérant avec lui dans la lutte contre la piraterie et les attaques à main armée contre les navires au large des côtes de la Somalie. Il s’agit du Canada, du Danemark, de la France, de l’Espagne et des États-Unis. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérantes sont nées respectivement en 1962 et 1979.
A. L’arrestation et la détention des requérantes
Les requérantes furent arrêtées le 10 août 2011 pour entrée illégale sur le territoire et placées en détention, en vue de leur expulsion, dans les locaux du service de la répression de l’immigration clandestine de Thessalonique (anciennement « police des frontières de Kordelio »).
Le 11 août 2011, le service de la répression de l’immigration clandestine informa le consulat de la République dominicaine que deux de ses ressortissantes avaient été arrêtées sans documents d’identité, et il l’invita à prendre les mesures nécessaires afin de rendre possible leur renvoi dans ce pays. Cette demande fut réitérée le 17 août 2011 par le service des expulsions de la direction des étrangers de Thessalonique qui écrivit au consulat de la République dominicaine.
Le 1er septembre 2011, le consulat délivra un passeport provisoire d’une durée de trente jours à la deuxième requérante. Le 21 septembre 2011, cette dernière fut transférée à la direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli), à Athènes, d’où elle fut expulsée le 22 septembre 2011.
S’agissant de la première requérante, alors que le consulat lui avait fourni les documents de voyage nécessaires, elle fut transférée le 28 septembre 2011 également à la direction des étrangers de l’Attique à Athènes, d’où elle fut expulsée le 29 septembre 2011.
B. Les conditions de détention selon la version des requérantes
En ce qui concerne leur détention dans les locaux du service de la répression de l’immigration clandestine de Thessalonique, les requérantes ne donnent pas les dimensions de leur cellule mais elles indiquent que celle-ci était surpeuplée et que leurs matelas étaient posés à même le sol en ciment. Elles ajoutent que la cellule était équipée de toilettes, d’une douche et d’un lavabo qui n’étaient jamais nettoyés, qu’elle n’était pas aérée et insuffisamment éclairée à cause d’un treillis métallique obstruant chaque fenêtre. L’atmosphère fétide qui y régnait causa à la première requérante un malaise qui nécessita son transfert à l’hôpital Papageorgiou de Thessalonique le 21 septembre 2011. Elles indiquent également qu’il n’y avait pas de cour extérieure pour marcher ou pour faire de l’exercice physique et qu’il leur était seulement possible de marcher dans le couloir de l’étage qui mesurait quatre mètres de long et un mètre de large. Elles ajoutent qu’une somme de 5,87 euros (EUR) par jour était allouée à chacune d’elles, que cette somme ne suffisait que pour acheter une pizza ou un sandwich, d’autant qu’il leur fallait acheter aussi de l’eau potable.
S’agissant de leur détention dans les locaux de la direction des étrangers de l’Attique, les requérantes indiquent avoir été placées dans une cellule qui contenait cinq lits mais accueillait sept détenues. Elles dormaient à même le sol sans matelas, sans couverture et sans linge de lit. Elles ajoutent que l’air de la cellule était irrespirable à cause de la fumée des cigarettes des autres détenues. Elles précisent qu’il y avait une seule toilette pour toutes les détenues, de sorte qu’il fallait faire longuement la queue pour y accéder, et que l’odeur en émanant était fétide. Elles indiquent également qu’il n’y avait pas assez de produits pour l’hygiène corporelle, qu’il y avait une seule douche et que l’eau y était froide.
C. Les conditions de détention selon la version du Gouvernement
Le Service de la répression de l’immigration clandestine de Thessalonique
D’après le Gouvernement, les requérantes furent détenues dans une pièce d’une superficie de 23,16 m², en même temps que dix autres femmes en moyenne. Le Gouvernement précise que deux lits en ciment disposant de matelas se trouvaient dans cette pièce et que d’autres matelas étaient posés par terre. Il ajoute que cette pièce disposait de deux fenêtres qui ne s’ouvraient pas, un treillis métallique étant mis à l’extérieur et des barreaux à l’intérieur, et qu’elle était équipée d’une douche avec de l’eau chaude et d’une toilette. Il ajoute également que l’espace de détention était pourvu de radiateurs placés dans le couloir et d’un système d’aération et de climatisation, et que cet espace était désinfecté et repeint régulièrement. Il précise aussi que la pièce occupée par les requérantes était nettoyée quatre fois par semaine, que celles-ci s’étaient vu distribuer des produits d’hygiène corporelle (papier hygiénique et savon), et qu’elles recevaient 5,87 EUR par jour pour leurs besoins alimentaires.
Le Gouvernement précise en outre que le bâtiment ne disposait pas d’espace destiné à la promenade mais que les détenues pouvaient sortir, par groupe et sous surveillance, dans le couloir.
Par ailleurs, il indique que le 11 août 2011, vers 18 heures, la première requérante fut transférée à l’hôpital Papageorgiou car elle se plaignait de douleurs au ventre et à la jambe gauche, que les médecins qui l’examinèrent diagnostiquèrent que ses douleurs étaient dues à sa période de menstruation et lui donnèrent des analgésiques, et que l’intéressée quitta l’hôpital à 21 heures. Il indique de même qu’elle fut transférée à l’hôpital Hippokrateio le 19 septembre 2011 car elle se plaignait de vertiges et de pertes de sang menstruel et qu’elle regagna son lieu de détention à 01 h 20. Il ajoute enfin qu’elle fut à nouveau transférée à l’hôpital Papageorgiou le 21 septembre 2011 et qu’elle en sortit le lendemain.
La Direction des étrangers de l’Attique
Le Gouvernement précise que la première requérante fut placée dans une cellule de 12 m² qu’elle partagea avec deux autres détenues, et que la deuxième requérante fut placée dans une cellule de même superficie qu’elle partagea avec une autre détenue.
Selon le Gouvernement, les cellules étaient chauffées par un système de chauffage central et étaient suffisamment aérées et éclairées par la lumière naturelle, et une entreprise privée assurait le nettoyage quotidien de tous les espaces de ladite direction, y compris les cellules. D’après le Gouvernement, les détenues recevaient une literie propre, des produits d’hygiène personnelle ainsi qu’une carte téléphonique pour pouvoir communiquer avec leurs proches et leurs avocats.
Concernant l’alimentation des détenues, le Gouvernement expose qu’elles recevaient trois repas par jour, mis à la charge des autorités, et que tous les repas étaient préparés à la cantine de la direction de la police générale de l’Attique.
Il ajoute que les détenues avaient la possibilité de se promener chaque jour, de 16 heures à 18 heures, dans un espace spécialement aménagé d’une superficie de 279,50 m².
D. Les recours des requérantes relatifs à leurs conditions de détention
Le 22 août 2011, les requérantes formulèrent devant le président du tribunal administratif de Thessalonique des objections à leur placement en détention et elles sollicitèrent leur mise en liberté. Elles se plaignirent aussi de leurs conditions de détention dans le service de la répression de l’immigration clandestine de Thessalonique. Par deux décisions no 586/2011 et no 587/2011, le président du tribunal administratif rejeta les objections au motif que les requérantes risquaient de fuir ; il ne fit aucune référence à leurs allégations concernant leurs conditions de détention. Par deux décisions postérieures no 623/2011 et no 624/2011, il rejeta deux demandes en révocation des décisions no 586/2011 et no 587/2011 que les requérantes avaient introduites le 13 septembre 2011 et dans lesquelles elles évoquaient à nouveau leurs conditions de détention, les qualifiant de dégradantes.
Le 22 septembre 2011, la première requérante formula de nouvelles objections contre sa détention devant le président du tribunal administratif de Thessalonique. Elle invoquait à titre d’élément nouveau des problèmes de santé qui s’étaient manifestés depuis le 20 septembre 2011 et qui l’avaient conduite à l’hôpital, et elle soutenait que l’aggravation de son état de santé était liée à la situation insupportable régnant d’après elle dans la cellule du service de la répression susmentionné. Par une décision no 646/2011, le président de la juridiction en question rejeta ces objections.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :
« L’État est tenu de réparer les dommages causés par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
Le décret présidentiel no 254/2004, portant code de déontologie des fonctionnaires de police, et le décret présidentiel no 141/1991, relatif aux compétences des organes du ministère de l’Ordre public, s’appliquent en matière de détention d’étrangers en voie d’expulsion dans les commissariats de police ou dans les centres de rétention aux frontières.
Le décret présidentiel no 254/2004 prévoit notamment que : les policiers doivent respecter le droit à la vie et à la sécurité personnelle de chaque individu et le principe de proportionnalité lorsqu’ils ont recours à l’utilisation de la force contre les citoyens (articles 2 d) et e) et 3), ainsi que le droit à la vie privée et familiale, et éviter les discriminations ; et, lors de l’arrestation et la détention de citoyens, les policiers doivent éviter des actes qui peuvent porter atteinte à l’honneur, à la réputation et à la dignité de la personne appréhendée (article 3 a)), assurer la communication du détenu avec ses proches, les autorités consulaires de son pays d’origine et les commissions nationales et internationales œuvrant pour la protection des détenus (article 3 e) et f)), assurer des conditions de détention respectueuses de la sécurité, la santé et la personnalité du détenu (article 3 g)), veiller à éviter la promiscuité entre les personnes condamnées pour des infractions de droit civil et celles condamnées sur le plan pénal, entre les hommes et les femmes et entre les mineurs et les adultes (article 3 g)).
En outre, ledit décret prévoit que les officiers des commissariats de police ou des centres de rétention qui se sont vu confier la détention de personnes ont : l’obligation de veiller à la santé des détenus (article 3 h)) ; et l’obligation d’empêcher et de dénoncer immédiatement tout acte constituant une torture ou autre forme de traitement ou châtiment inhumain, cruel ou dégradant, toute autre forme de violence ou menace d’utilisation de la violence et tout traitement défavorable ou discriminatoire à l’encontre d’un détenu (article 3 i)).
Le décret présidentiel no 141/1991 prévoit notamment : l’obligation pour les commandants des services de police de prendre les mesures nécessaires pour éviter les évasions, les suicides et les blessures de détenus (article 66 § 4) ; la responsabilité des policiers gardiens du lieu de détention concernant la vie et l’intégrité physique des détenus ainsi que le respect de la tranquillité dans le lieu de détention (article 66 § 5 d)) ; l’obligation de l’État de veiller à ce que les services de la police occupent des bâtiments qui répondent à des conditions d’hygiène et disposent d’espace suffisant pour les besoins de ces services (article 90 § 3 b) et c)) ; et l’obligation des directeurs et commandants des services de police de veiller à la propreté des lieux et à la réparation des dégâts (article 91 § 1). Enfin, l’article 92 §§ 6 et 7 de ce décret présidentiel dispose que les cellules doivent satisfaire aux conditions requises d’hygiène et de sécurité pour dissuader les évasions, les suicides et les blessures des détenus et que les officiers de permanence ont l’obligation de contrôler quotidiennement et avec diligence les cellules afin de s’assurer qu’elles sont en bon état. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
A. Le contexte des affaires
Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers.
Les présentes requêtes portent sur des procédures engagées par les requérants en vue d’obtenir le réajustement et l’augmentation du montant de leurs pensions conformément aux dispositions de ces lois.
B. Les procédures en cause
Les démarches des requérants devant les autorités et juridictions internes sont précisées dans le tableau ci-dessous.
C. Le droit interne pertinent
La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose :
« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ». | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1961 et réside à Bâle (Suisse).
Le 29 octobre 1993, l’explosion d’un obus de mortier dans le village de Denizli (département de Pazarcık, région de Kahramanmaraş), situé à proximité de la zone d’exercice de tir militaire de Bölükçam, provoqua la mort de six enfants âgés de 5 à 14 ans. Deniz, le fils de la requérante, né en 1983, figurait au nombre des victimes de l’explosion.
Un croquis sommaire du lieu où l’explosion était survenue fut réalisé par un sous-officier de la gendarmerie d’Emiroğlu.
Le 8 novembre 1993, le grand-père maternel de Deniz déposa en tant que témoin. Il déclara que l’armée procédait à des tirs d’entraînement à proximité du village. Il ajouta que, par le passé, lorsqu’il restait des munitions non explosées après ce type d’exercice, ils en informaient le village, prévenaient qu’il ne fallait pas pénétrer dans la zone de tirs et menaient des recherches afin de retrouver ces munitions et les faire exploser. Il affirma que, cette année, les militaires, après avoir effectué leur exercice de tir, n’avaient pas mené des recherches suffisantes ni informé les villageois quant à la présence ou à l’absence de munitions non explosées. Il soutint que l’incident trouvait son origine dans ces manquements et qu’il y avait donc eu négligence de la part de l’armée. Pour étayer ses dires, il affirma que, le lendemain du drame, des militaires s’étaient rendus dans la zone de tir et qu’ils y avaient retrouvé deux munitions non explosées, l’une de 90 kg et l’autre de 93 kg, qu’ils auraient alors fait exploser. Selon ce témoin, cela montrait bien que les militaires n’avaient pas inspecté correctement cette zone à l’issue de l’exercice de tir. Enfin, toujours aux dires du témoin, les militaires n’avaient installé qu’après l’incident un panneau interdisant l’accès à la zone, laquelle n’aurait été entourée d’aucun grillage.
Au cours de la même journée, le témoin H.U., une villageoise vivant à proximité du lieu de l’explosion, déclara être passée peu de temps avant l’explosion devant des enfants en train de jouer avec un objet métallique. Elle dit leur avoir demandé ce qu’ils faisaient et s’être entendu répondre qu’ils jouaient. Elle ajouta que, avant d’être arrivée chez elle, elle avait entendu une explosion, qu’elle était revenue sur ses pas et qu’elle avait découvert ces mêmes enfants morts.
Toujours le même jour, dans leur témoignage, les parents des cinq autres enfants appartenant à la même famille et tués par l’explosion, déclarèrent ne pas avoir été présents à leur domicile au moment du drame. Ils ajoutèrent que, d’après les informations dont ils disposaient, leur fils Mesut et le fils de la requérante s’étaient rendus dans la montagne, y avaient trouvé un obus de mortier qu’ils auraient rapporté avec eux et qui aurait explosé pendant qu’ils jouaient avec. Ils affirmèrent que, en laissant des munitions non explosées dans la montagne, comme cela semblait, selon eux, être le cas, les militaires avaient omis de prendre des mesures préventives suffisantes. La mère des cinq enfants soutint en outre que, si l’armée avait pris des mesures préventives et mis en place des barbelés ou une signalétique, ils n’auraient pas laissé leurs enfants aller dans cette zone.
Le 17 décembre 1993, le procureur de la République de Pazarcık rendit une décision d’incompétence. Il y indiquait que les enfants avaient trouvé un engin explosif dans une zone d’entraînement militaire, qu’ils l’avaient rapporté au village, que, le prenant pour un simple objet métallique, ils avaient joué avec, et que celui-ci avait explosé entre leurs mains. Estimant que l’incident était survenu à la suite d’une négligence des militaires, il conclut que les faits n’entraient pas dans son champ de compétence et décida en conséquence de transmettre le dossier de l’affaire au parquet militaire d’Adana.
A une date non mentionnée, G.T., chef de bataillon, établit un document d’information en réponse à une demande du 10 février 1994 émanant du 6e commandement de corps d’armée. Il ressort de ce document que la zone de tir de Bölükçam était une zone de tir d’armes lourdes ; que, vingt-quatre années auparavant, elle avait été louée par le ministère de la Défense à la direction de l’exploitation forestière pour une période de quarante-neuf ans ; que, jusqu’au 1er juin 1992, elle avait été placée sous la responsabilité du 39e commandement de la brigade d’infanterie mécanisée ; que, à compter du 30 novembre 1992, le 6e commandement de corps d’armée en avait confié l’entretien et le contrôle au commandement de la 172e brigade de blindés ; qu’elle avait été utilisée et était toujours utilisée à ce jour par les unités du 6e commandement de corps d’armée et les unités de gendarmerie de Kahramanmaraş et d’Antakya. G.T. fournit également la liste des opérations de tir menées dans cette zone entre le mois d’août 1992 et le 29 octobre 1993, mentionnant le nom des unités concernées et précisant, pour celles de Kahramanmaraş, le nombre de tirs effectués et le type de munitions utilisées. Il répertoria en outre les unités non basées à Kahramanmaraş qui auraient effectué des tirs, renvoyant à celles-ci pour l’obtention des informations recherchées. Il indiqua joindre en annexe les procès-verbaux de destruction d’engins explosifs et le rapport d’enquête administrative concernant la 172e brigade de blindés ainsi que les annonces faites par cette brigade avant et après ses tirs d’entraînement, renvoyant aux autres unités pour l’obtention des informations les concernant. Il mentionna en outre que le poids des munitions utilisées variait entre 21 et 43 kg, qu’il était donc difficile d’envisager que des enfants, âgés à ses dires de 4 à 11 ans, eussent pu pénétrer dans la zone militaire et transporter ces munitions jusqu’au village. Aussi estimait-il qu’elles avaient été transportées au village par le père des enfants ou des proches et qu’elles avaient explosé du fait d’avoir été manipulées par les enfants. Enfin, il indiqua qu’il joignait copie de la notification qui aurait été faite aux villageois le 14 octobre pour leur signaler la présence de munitions non explosées et les prévenir de ne pas pénétrer dans la zone en question.
Le 26 octobre 1994, le parquet militaire recueillit la déposition de M.G., colonel, qui confirma que des tirs d’entraînement avaient eu lieu entre le 11 et le 15 décembre 1992 dans la zone de tir de Bölükçam, à Kahramanmaraş, notamment des tirs d’obus de mortier et de canon sans recul. Il précisa que des exercices de tir de ce type avaient lieu tous les ans, entre avril et mai, au moment des inspections, puis à nouveau en fin d’année. Il précisa que, durant cette période, toutes les unités du 6e commandement de corps d’armée avaient effectué des tirs dans cette zone. Il affirma que le commandement de la brigade de blindés situé à Kahramanmaraş et rattaché au 6e commandement de corps d’armée était chargé de la sécurité et de l’information des villages situés à proximité de la zone de tir en question. Il dit se souvenir que le lieutenant M. l’avait informé à l’issue des tirs qu’il ne restait pas de munitions non explosées sur le site. Il précisa également que, après chaque exercice de tir, des procès-verbaux destinés à être conservés dans l’unité étaient établis sur place, mentionnant le nombre de munitions tirées et, le cas échéant, le nombre de celles qui n’avaient pas explosé et le nombre de celles qui avaient ensuite été détruites.
Le 28 octobre 1994, le procureur militaire entendit le lieutenant M.A., qui déclara que son unité avait procédé à des tirs d’obus de mortier dans la zone de tir de Bölükçam entre le 11 et le 15 décembre 1992, en présence de M.G. Il déclara ne pas savoir s’il y avait eu ou non des munitions qui n’avaient pas explosé au cours de l’exercice, ajoutant cependant que, à sa connaissance, il n’y en avait pas puisqu’ils n’avaient pas renouvelé leurs tirs. Il dit qu’il était possible que le 4e régiment d’infanterie mécanisée basé à Akçay eût effectué des tirs après eux, mais qu’il ne pouvait l’affirmer.
Le parquet militaire d’Adana ordonna une expertise pour déterminer la nature des fragments métalliques retrouvés sur les lieux de l’explosion.
Le 21 décembre 1995, l’expert estima notamment, au vu des éclats de shrapnel qui lui avaient été présentés et des photographies des corps des victimes, qu’il s’agissait de fragments provenant d’un obus du type de ceux utilisés par les unités d’artillerie des forces armées. Il releva également la présence de deux moteurs de 89 mm provenant d’une roquette, qui n’étaient pas en soi des engins explosifs.
Le 22 décembre 1995, le procureur militaire attaché au 6e commandement de corps d’armée d’Adana adopta une décision de nonlieu à poursuivre. Il estima tout d’abord établi, au vu des procèsverbaux des faits, du croquis des lieux de l’explosion, des témoignages, des procès-verbaux d’autopsie et de l’enquête préliminaire menée par le parquet de Pazarcık :
– que l’explosion avait eu lieu à 5 ou 6 km de la zone de tir militaire, dont tous les villageois connaissaient l’existence,
– que les enfants avaient rapporté la ou les munitions au village en l’absence des adultes,
– qu’ils en avaient manipulé la partie arrière, déclenchant ainsi l’explosion.
Il précisa ensuite que des recherches avaient été faites quant aux écritures relatives à tous les exercices de tir effectués dans la zone de Bölükçam, si des munitions étaient restées non explosées lors de ces tirs et, dans l’affirmative, si celles-ci avaient ou non été détruites et quel en était le type, s’il y avait eu négligence et, dans l’affirmative, quelle était l’identité des responsables.
S’appuyant en outre sur les déclarations d’un expert ayant examiné les éclats de munitions retrouvés sur les lieux de l’explosion, le procureur militaire releva qu’il avait été établi que l’objet ayant explosé était un obus, que, parmi les morceaux retrouvés, il y avait également des moteurs de roquettes de 89 mm provenant de lance-roquettes et que ces derniers n’avaient joué aucun rôle dans l’incident. Il mentionna en outre que, d’après les documents relatifs aux tirs effectués par les commandements du 106e régiment d’artillerie, de la 39e brigade d’infanterie mécanisée et de la 172e brigade de blindés qui avaient été examinés, au cours des dernières années toutes les munitions non explosées à l’impact auraient été détruites, que tous les muhtar des villages auraient été informés avant les tirs et aussi après les tirs lorsqu’il restait des munitions non explosées sur la zone.
Par ailleurs, le procureur mentionnait ce qui suit dans sa décision :
« (...) selon le rapport établi à la suite de l’enquête administrative menée après l’explosion, la zone d’entraînement au tir de Bölükçam s’étend, à vol d’oiseau, sur 8 km de long et 5 km de large (...) une unité de polygone (« poligon birliği ») n’avait pu être définie (...). Par le passé, cette zone avait également servi pour des tirs à l’arme lourde. Il a été reconnu qu’il y avait dans cette zone un grand nombre de différentes munitions non explosées, qu’il était très difficile de retrouver les munitions non explosées dont on ignorait la localisation, que les munitions « parties à l’aveugle » (kör gitmiş) qui étaient restées sur le terrain ne pouvaient être découvertes que par un grand hasard ou par accident, que la zone pouvait être utilisée seulement pour des tirs de mortier à cause de la présence de villages aux alentours, que cette zone n’était pas propice aux tirs de chars et d’artillerie (...) qu’en raison de la configuration du terrain la supervision se faisait depuis le mont Karakoltepe, à Bölükçam, et que, dans la mesure où le sud et l’ouest de ce mont n’étaient pas visibles, il n’était pas possible de déterminer l’endroit exact où les munitions tombaient (...) Du fait que l’examen effectué après l’explosion a établi qu’on avait retrouvé deux capsules de lance-roquettes de 89 mm et un obus de tank de 90 mm, compte tenu de l’heure à laquelle l’explosion est survenue, et eu égard au très jeune âge des enfants et au poids de ces munitions – environ 30 kg –, la conviction est acquise (...) que ce ne sont pas les enfants qui avaient récupéré ces munitions pour les rapporter au village, mais que c’est le chef de famille qui les avait ramassées sur la zone de tir pour en vendre le cuivre et les autres éléments, et que les enfants qui ont perdu la vie avaient causé l’explosion en manipulant l’obus à un moment où le chef de famille était absent. Dès lors qu’il n’est pas possible de déterminer à quelle date et par quelle unité les munitions qui n’avaient pas explosé avaient été laissées (...) et que les villageois avaient par ailleurs été informés, et eu égard à la configuration du terrain, le personnel fautif ou négligent n’a pu être identifié (...) »
Le 11 juin 2003, la requérante forma opposition contre cette décision. Dans son mémoire, son avocat précisait que sa cliente n’avait pas reçu notification de la décision du procureur militaire et qu’elle n’avait eu connaissance de celle-ci que le 27 mai 2003. L’avocat soutenait par ailleurs que la décision de non-lieu était contraire au droit, à la procédure et à la loi, et qu’elle comportait de nombreuses contradictions. Il critiquait à cet égard les conclusions du procureur, contestant que tous les rapports relatifs aux tirs effectués par les différents commandements eussent bien été examinés, que toutes les munitions non explosées eussent été détruites au cours des dernières années et que le muhtar du village eût été averti lorsqu’il restait des munitions non explosées. L’avocat de la requérante affirmait à cet égard que C.U., commandant de la 3e unité d’infanterie mécanisée d’Osmaniye, avait déclaré dans une déposition du 12 octobre 1995 qu’il était en charge de la sécurité lors des tirs effectués entre le 11 et le 15 décembre 1992, et que les procès-verbaux afférents à ces tirs avaient été perdus.
L’avocat de la requérante soutenait en outre qu’il ressortait de tous les témoignages que les villageois n’avaient pas été avertis et que, le lendemain de l’incident, deux autres obus avaient été retrouvés et détruits, ce qui étayait selon lui la thèse selon laquelle non seulement les unités militaires n’avaient pas informé les villageois de l’existence de munitions non explosées, mais encore les recherches nécessaires n’avaient pas été menées, ce qui aurait causé la mort des enfants. Il mentionnait de surcroît que l’armée continuait de procéder à des tirs dans la zone d’entraînement contiguë au village et que celle-ci n’avait toujours pas été délimitée par un grillage.
Enfin, il exposait que six enfants étaient morts à cause de l’explosion d’un obus laissé dans la zone d’entraînement, que les investigations relatives aux responsabilités des unités militaires ayant effectué des tirs dans la zone en question avaient été insuffisantes, que le non-lieu avait été prononcé sans enquête effective et suffisante alors que, selon lui, les fautes imputables au commandement de la 172e brigade de blindés de Kahramanmaraş y ayant effectué des tirs et ayant été en charge de la sécurité avaient été clairement établies. Il critiquait l’absence de poursuites contre C.U., responsable de la sécurité des tirs, qui aurait affirmé que les procès-verbaux relatifs aux tirs avaient été égarés. Par conséquent, il demandait l’ouverture de poursuites pénales pour homicide par négligence et imprudence.
Le 12 janvier 2004, le tribunal militaire de Gaziantep près le commandement de la 5e brigade de blindés, après avoir constaté que la requérante avait introduit son recours dans les délais requis, rejeta l’opposition ainsi formée. A l’appui de sa décision, il mentionnait l’impossibilité d’établir à quelle date et par quelle unité les munitions ayant causé la mort des six enfants avaient été laissées sur place, de sorte que, selon lui, le personnel ayant commis une faute ou ayant fait preuve de négligence ne pouvait être identifié. Il concluait que les autres motifs à l’appui de la décision de non-lieu ne présentaient aucune contrariété à la loi ni aucune carence dans l’interprétation.
Cette décision fut notifiée à l’avocat de la requérante le 18 février 2004.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit interne pertinent auquel se réfère le Gouvernement concernant les voies de recours civile et administrative est décrit notamment dans les affaires İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, §§ 41, 42 et 44, CEDH 2000VII et Öneryıldız c. Turquie ([GC], no 48939/99, §§ 49-50, CEDH 2004-XII. | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1977.
A. La détention du requérant et le déroulement de la procédure relative à sa demande d’asile
Le 13 novembre 2010, le requérant, qui indique avoir fui l’Iran après avoir été arrêté et détenu pour avoir participé à des manifestations contre le régime en place, arriva en Grèce. Il fut appréhendé le lendemain par les officiers de la police des frontières de Ferres. Il disposait d’un passeport en cours de validité.
L’intéressé affirme qu’il a demandé à déposer une demande d’asile mais que sa demande n’a pas été enregistrée par les autorités.
Par une décision du 17 novembre 2010, le directeur de la direction de la police d’Alexandroupoli ordonna la détention provisoire du requérant pendant trois jours jusqu’à l’émission d’une décision d’expulsion à son encontre. Le requérant fut alors détenu au poste-frontière de Ferres.
Il était indiqué dans la décision susmentionnée que le requérant risquait de fuir. Il y était également indiqué que l’intéressé avait été informé dans une langue qu’il comprenait – à savoir l’anglais – des motifs de sa détention et de ses droits.
Sur ce dernier point, le requérant déclare qu’il ne comprend pas l’anglais.
Le 20 novembre 2010, le directeur de la direction de la police d’Alexandroupoli ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention pour une période ne pouvant pas dépasser six mois, au motif que l’intéressé risquait de fuir.
D’après le requérant, la décision d’expulsion qui s’ensuivit ne lui a jamais été notifiée. Toujours selon lui, pendant toute la durée de sa détention, il n’a reçu aucune information sur son statut, les motifs de sa détention et la date de son expulsion et il s’est trouvé dans l’impossibilité d’exercer une quelconque voie de recours.
Également le 20 novembre 2010, le requérant déclara aux officiers de police du poste-frontière de Ferres qu’il souhaitait déposer une demande d’asile. Le commandant du poste-frontière en informa par écrit la direction de la police d’Alexandroupoli.
Le requérant affirme que le Conseil hellénique pour les réfugiés est intervenu auprès des autorités de police pour que sa demande d’asile soit enregistrée.
Se fondant sur deux documents émanant respectivement de la direction de la police d’Alexandroupoli et de la direction de la police d’Orestiada, le Gouvernement affirme de son côté qu’aucune requête formulée par le Conseil hellénique pour les réfugiés dans le sens indiqué par le requérant n’est parvenue auxdites directions.
Le 25 novembre 2010, le requérant fut transféré à Alexandroupoli. Il y déposa par écrit sa demande d’asile. Il reçut alors une brochure informative pour les demandeurs d’asile, et un interprète lui expliqua en farsi le contenu de celle-ci.
Dans sa demande d’asile, le requérant indiquait qu’il était policier, qu’il avait refusé de maltraiter des détenus et avait été par conséquent obligé de démissionner et que, par la suite, il avait été passé à tabac par ses collègues et condamné à six mois d’emprisonnement. Il précisait que, à sa sortie de prison, les autorités lui avaient demandé de leur remettre le titre de propriété de sa maison, et ce pour lui confisquer celle-ci au cas où il tenterait de quitter l’Iran.
Ultérieurement, lors de l’entretien qui eut lieu le 10 février 2011 dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile, le requérant déclara en revanche qu’il avait été condamné pour non-respect de son contrat avec la police iranienne, qu’il n’avait jamais été passé à tabac et qu’il avait été mis en liberté après avoir déposé en garantie le titre de propriété de la maison de son beau-frère. Il ajouta qu’il avait été arrêté en 2010 pour s’être approprié des terres appartenant à l’État, qu’il avait été détenu dans de bonnes conditions à la prison de Kaziro, qu’il s’était évadé lors de son transfert au tribunal et qu’il était venu en Grèce pour trouver du travail.
Entre-temps, le 21 décembre 2010, se prévalant de son indigence, le requérant, assisté par le Conseil hellénique pour les réfugiés, avait demandé à bénéficier d’un hébergement. La direction de l’aide et de la solidarité sociale du ministère de la Santé lui avait répondu qu’il n’était pas possible de satisfaire immédiatement à sa demande, en raison du grand nombre de demandeurs d’asile, mais qu’il était prévu de l’inscrire sur une liste prioritaire ad hoc.
Également dans l’intervalle, le 17 janvier 2011, le requérant avait formulé des objections contre sa détention devant le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli. Il dénonçait l’impossibilité de faire examiner sa demande d’asile dans le délai légal de trois mois à compter de sa mise en détention, alléguant une violation de l’article 5 de la Convention et de l’article 13 du décret présidentiel no 114/2010. Il se plaignait aussi de ses conditions de détention. Plus particulièrement, il soutenait que son séjour au poste-frontière de Ferres se déroulait dans des conditions dégradantes et inappropriées pour les êtres humains et contraires à l’article 3 de la Convention, et ce en raison, à ses dires, de la surpopulation, du manque de produits d’hygiène et de vêtements propres, de l’absence de chauffage, de la saleté, du manque d’espace pour dormir, marcher ou faire de l’exercice, ainsi que de la communication limitée avec le monde extérieur et de l’impossibilité d’avoir accès à un médecin ou à un soutien psychologique. Le requérant ajoutait que ces conditions portaient atteinte à sa personnalité et sa dignité, engendraient en sa personne des sentiments d’infériorité, de peur, d’impuissance, de détresse et de stress intense et mettaient en danger son intégrité physique et psychologique.
Le 21 janvier 2011, le président du tribunal administratif avait alors rejeté les objections formulées devant lui. Dans sa décision, il relevait l’illégalité de l’entrée du requérant sur le territoire, l’existence d’un risque de fuite étant donné que l’intéressé ne disposait pas d’une adresse connue en Grèce où il pourrait résider de manière stable, la nécessité d’assurer l’examen rapide et efficace de sa demande d’asile, de même que l’impossibilité de prendre des mesures moins contraignantes que la détention. Quant aux allégations du requérant relatives aux conditions de détention, le président du tribunal administratif soulignait que celles-ci ne pouvaient pas, par la force des choses, être comparées aux conditions de vie d’une personne libre. Il indiquait que l’administration devait, en fonction de ses possibilités et dans un délai raisonnable, mettre à disposition des détenus des lieux de détention appropriés, et il considérait que le caractère légal d’une détention pouvait faire défaut seulement si l’administration refusait clairement de faire bénéficier un détenu d’un lieu de détention aéré, éclairé par la lumière naturelle, disposant de l’eau courante et lui offrant la possibilité de communiquer avec le monde extérieur et de faire de l’exercice physique. Le président du tribunal administratif estimait que tel n’était pas le cas en l’espèce car le requérant aurait pu être transféré au poste-frontière d’Evros, où les normes relatives aux conditions de détention étaient selon lui respectées, précisant de plus que l’administration ne s’était d’ailleurs pas opposée à un tel transfert.
Toujours dans l’intervalle, à une date non précisée, le requérant avait été transféré au poste-frontière de Soufli.
Le 10 février 2011, l’officier de police en charge du dossier du requérant proposa le rejet de sa demande d’asile. Par une décision du 5 mars 2011, la direction de la police d’Orestiada rejeta ladite demande. Cette décision fut notifiée au requérant le 19 avril 2011. Ce dernier forma appel le 20 avril 2011 devant la commission des recours de deuxième degré.
À la date du dépôt des observations du requérant en réponse à celles du Gouvernement devant la Cour, cette procédure était encore pendante avec des dizaines de milliers d’autres affaires.
En mai 2011, le requérant fit une grève de la faim pour protester contre les conditions et la durée de sa détention.
Le requérant fut mis en liberté le 16 mai 2011, soit deux jours après l’expiration du délai de six mois prévu par la loi no 3386/2005. Il reçut un récépissé de demandeur d’asile mentionnant comme lieu de résidence « Omonoia », à savoir la place Omonoia située au centre-ville d’Athènes, où plusieurs demandeurs d’asile étaient installés. Les autorités lui demandèrent de se présenter dans un délai de dix jours à la direction des étrangers de l’Attique afin de se faire enregistrer et de déclarer une adresse et un numéro de téléphone.
À partir de sa libération, le requérant vécut comme un sans-abri, s’installant dans différents places et parcs publics. Il lui arriva également de dormir dans des bâtiments désaffectés ou des hôtels délabrés. Il n’avait accès ni à de la nourriture, ni à de l’eau potable, ni à des toilettes, ni à des produits d’hygiène personnelle.
Par ailleurs, afin de faire renouveler à temps son récépissé, le requérant se rendit à la direction des étrangers de l’Attique. Ne pouvant y accéder en raison d’une forte affluence, il fut obligé d’y retourner à plusieurs reprises. De plus, les autorités le pressèrent de déclarer une adresse alors qu’il lui était impossible de louer un hébergement sans disposer d’un numéro d’identification fiscale. Le 5 décembre 2011, les autorités renouvelèrent son récépissé, l’intéressé ayant déclaré comme adresse celle d’un ami qui l’hébergeait provisoirement.
En outre, le requérant se rendit au Conseil hellénique pour les réfugiés pour demander une assistance humanitaire. Un travailleur social informa le ministère de la Santé que le requérant était sans abri et vivait dans des conditions très précaires, mais les autorités n’entreprirent aucune démarche.
Le requérant soutient que la police lui avait renouvelé son récépissé pour une période de trois mois et non de six mois, alors qu’il lui aurait fallu un récépissé portant mention de cette dernière durée de validité pour pouvoir obtenir un numéro d’identification fiscal et un permis de travail ou pour pouvoir trouver un emploi.
B. Les conditions de détention du requérant
Le requérant fut détenu pendant six mois, d’abord dans les locaux du poste-frontière de Ferres, puis dans ceux du poste-frontière de Soufli.
La version du requérant
Le requérant décrit comme suit les conditions de sa détention dans les locaux susmentionnés.
Pendant toute la durée de sa détention, le requérant ne put ni sortir desdits locaux, ni marcher, ni faire de l’exercice. Il était détenu dans des dortoirs ou dans des cellules disciplinaires destinées à des détenus de droit commun. La détention prolongée provoqua en lui des sentiments de peur, d’infériorité, de détresse et de stress qui l’amenèrent à se coudre la bouche, comme forme ultime de protestation, et à tenter de se suicider.
Les locaux du poste-frontière de Soufli accueillaient entre cent et deux cents détenus dans un espace ayant une capacité de vingt-cinq personnes. Les détenus dormaient au milieu des eaux sales des toilettes ou même assis. La même situation régnait à la police des frontières de Ferres où plus de cent personnes étaient détenues. Le requérant dormait à même le sol dans un espace ayant une odeur insoutenable.
L’accès au téléphone était très limité et la fourniture d’une carte téléphonique dépendait du bon vouloir des gardiens.
Le requérant ne reçut aucun produit d’hygiène corporelle. Les couvertures étaient très sales et la nourriture d’une qualité nutritionnelle très basse. Les détenus devaient acheter eux-mêmes de l’eau potable.
Les cellules ne disposaient ni de chaises, ni de tables, ni d’armoires. Il n’y avait pas de chauffage en hiver malgré la rudesse des mois de cette saison dans la région d’Evros.
Sur les lieux de détention en question, il n’y avait ni interprète ni assistance juridique, de sorte que les détenus n’étaient pas informés de leurs droits et de la procédure d’asile.
La version du Gouvernement
Le Gouvernement décrit comme suit les conditions de détention du requérant dans les locaux susmentionnés.
En fonction du nombre de détenus et de la saison, toutes les mesures nécessaires étaient prises afin d’assurer la promenade des détenus à toute heure de la journée. Le nettoyage des espaces de détention était effectué quotidiennement par une société privée. Chaque dortoir disposait d’un système de chauffage qui fonctionnait en permanence pendant l’hiver.
L’alimentation des détenus était prise en charge par la préfecture d’Evros, laquelle avait confié à une société privée le soin de fournir trois repas quotidiens aux détenus.
En ce qui concerne les soins médicaux, deux unités médicales mobiles étaient actives dans le secteur. De plus, les personnels scientifiques de la région d’Evros étaient présents quotidiennement dans les lieux de détention. De même, la présence d’organisations non gouvernementales, comme par exemple l’association « Médecins sans frontières » pouvait être autorisée, comme cela fut le cas entre novembre 2010 et février 2011. Des ambulances étaient mises aussi à disposition pour le transfert des détenus vers les hôpitaux d’Alexandroupoli et de Didymotikho en cas de nécessité.
Les détenus recevaient régulièrement des produits d’hygiène personnelle distribués soit par les autorités des postes-frontières, soit par « Médecins sans frontières ». Ils pouvaient aussi communiquer avec le monde extérieur en utilisant des téléphones à cartes fournies en nombre suffisant.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont exposés dans les arrêts de los Santos et de la Cruz c. Grèce (nos 2134/12 et 2161/12, §§ 21-25, 26 juin 2014), C.D. et autres c. Grèce (nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, §§ 27-33, 19 décembre 2013) et Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, §§ 17-23, 2 mai 2013).
III. LES CONSTATS DES ORGANISATIONS ET INSTITUTIONS NATIONALES ET INTERNATIONALES
A. Le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), en date du 10 janvier 2012, relatif à sa visite du 19 au 27 janvier 2011
Les constats ressortant du rapport du CPT établi le 10 janvier 2012 sont exposés dans l’arrêt B.M. c. Grèce (no 53608/11, §§ 43-45, 19 décembre 2013).
B. Les constats du représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
Par une lettre adressée au Conseil hellénique pour les réfugiés, le représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés faisait part de ses constats concernant une visite effectuée au poste-frontière de Soufli du 29 septembre au 1er octobre 2010.
Le représentant constatait que l’espace de détention était composé de deux dortoirs, non séparés, disposant de lits en ciment et de matelas juxtaposés. À côté, dans des couloirs étroits, il y avait des sommiers en bois, couverts de cartons, et des couvertures qui servaient de lits pour les détenus en surnombre. L’espace était bondé en raison du grand nombre de détenus, et le passage d’un dortoir à l’autre était impossible. L’atmosphère des dortoirs était étouffante car ces derniers étaient insuffisamment ventilés. Les fenêtres étaient en hauteur et n’assuraient ni une aération ni un éclairage suffisants. Les matelas et les couvertures étaient sales. Les deux toilettes et les deux douches se trouvaient dans l’espace de détention, et elles étaient sales et pleines de détritus. La plupart des détenus étaient couchés car il n’y avait pas d’espace pour circuler. Aucune brochure d’information concernant le statut légal et les droits des détenus n’était disponible.
Les femmes détenues avaient exprimé leur désarroi et leur désespoir face à leurs conditions de détention qui, selon elles, étaient insupportables : matelas et couvertures sales, espace commun de détention avec les hommes, toilettes communes sales, impossibilité d’être propre, manque de produits d’hygiène (savon, shampoing, papier-toilette, serviettes hygiéniques, brosses à dents et dentifrices), impossibilité de laver les vêtements et les sous-vêtements et impossibilité de faire de l’exercice physique.
Plusieurs détenus se plaignaient de maladies dermatologiques et gastriques. Ils se plaignaient aussi du suivi médical, le médecin n’effectuant pas de visite dans le dortoir pour examiner les détenus et distribuant simplement des analgésiques à travers les barreaux de la porte.
Les détenus qui avaient besoin d’un autre type de soins médicaux devaient en assumer les frais.
Par ailleurs, les détenus devaient payer des frais pour les photos d’identité prises par les autorités aux fins d’apposition sur différents documents.
La lettre du représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations unies concluait que la situation qui régnait au poste-frontière de Soufli portait atteinte à la dignité humaine et qu’elle mettait en péril non seulement les droits fondamentaux des détenus mais leur vie même.
C. Les constats des institutions nationales et des organisations non-gouvernementales en ce qui concerne le fonctionnement du bureau d’asile de la direction des étrangers de l’Attique
Le requérant a soumis à la Cour la copie d’un document transmis le 22 mars 2013 par le médiateur de la République à la direction des étrangers de l’Attique. Ce document soulevait les problèmes existant dans la procédure de renouvellement des récépissés de demandes d’asile.
Le médiateur indiquait que, malgré les efforts de ladite direction, la situation avait été améliorée, mais pas au point de faciliter l’accès sans obstacle des intéressés au bureau d’asile tant pour le dépôt des demandes d’asile que pour le renouvellement des récépissés de demandeurs d’asile et l’obtention d’informations. Outre les difficultés d’accès, le médiateur constatait des retards dans la procédure de renouvellement des récépissés en raison de dysfonctionnements structurels, tels des problèmes d’archivage et des difficultés à retrouver les dossiers. Il précisait que ces problèmes persistaient même lorsque les intéressés étaient assistés par des avocats ou par des organisations non gouvernementales. Le médiateur affirmait que la direction susmentionnée n’avait toujours pas pu donner d’explications convaincantes quant aux problèmes d’accessibilité au bureau d’asile. De plus, il relevait que lors d’une visite sur les lieux, effectuée le 6 octobre 2012 par une délégation de ses services, il avait été constaté qu’aucune procédure claire permettant l’accès et l’accueil des étrangers n’avait été établie.
Par ailleurs, dans un document envoyé le 22 novembre 2011 à la Commission nationale des droits de l’homme, l’organisation non gouvernementale « Aitima » soulignait ce qui suit :
« La procédure de renouvellement [du récépissé de demande d’asile] est simple mais, souvent, les demandeurs d’asile se trouvent dans l’impossibilité de la suivre en raison de facteurs propres à l’organisation de la direction des étrangers de l’Attique. Plus particulièrement, le motif principal pour lequel les demandeurs d’asile ne peuvent pas renouveler leurs récépissés consiste en l’impossibilité de retrouver les dossiers dans les archives de la direction. [Bien souvent], même si notre organisation intervient pour accélérer les recherches afin de retrouver un dossier (...), le renouvellement n’est pas effectué. Il existe un cas caractéristique de tentative de renouvellement entreprise par notre organisation pour aider un étranger qui, depuis le 14 avril, essayait de [faire] renouveler son récépissé. [Cet] étranger a saisi notre organisation en septembre. À la suite de trois interventions de notre part, le dossier a été retrouvé cinq mois plus tard. Toutefois, lorsque l’étranger [en question], informé par nos soins que son dossier avait été retrouvé, s’est rendu de nouveau à la direction des étrangers de l’Attique et a demandé le renouvellement [de son récépissé], celui-ci n’a pas [été effectué]. Le dossier n’a [plus] été retrouvé jusqu’à aujourd’hui. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La liste des requérants figure en annexe.
Les requérants sont des médecins. Entre 1983 et 1997, ils travaillèrent auprès de la policlinique de l’université « Federico II » de Naples sur la base de contrats à durée déterminée ayant pour objet l’exercice d’une activité professionnelle rémunérée « au jeton », c’est-à-dire à la vacation (attività professionale remunerata « a gettone »). Ils furent ensuite embauchés sur la base d’un contrat de travail à durée indéterminée.
Plusieurs autres médecins qui se trouvaient dans la même situation que les requérants saisirent les juridictions administratives afin d’obtenir la reconnaissance de l’existence d’un rapport de travail à durée indéterminée entre eux et l’université et – en conséquence – de leur droit au versement des contributions afférentes pour la sécurité sociale et la retraite. Toutes ces actions furent couronnées de succès, tant devant le tribunal administratif régional (TAR) que devant le Conseil d’État. L’université de Naples donna ensuite exécution à ces décisions de justice.
En 2004, les requérants saisirent le TAR de la Campanie d’un recours similaire à ceux de leurs collègues.
Par un jugement no 2527 du 24 mars 2005, le TAR accueillit la demande des requérants.
Il retint en effet que, bien que formellement défini comme une collaboration libre et sans lien de subordination, le rapport contractuel entre l’université Federico II de Naples et ses médecins vacataires (a gettone) avait tous les caractères qui identifiaient la relation d’emploi dans le secteur public.
Le TAR nota entre autres dans ses motifs que, en septembre 1996, le juge d’instance de Naples, statuant comme juge du travail, avait condamné l’université à verser à la caisse de sécurité sociale (INPS) une somme de près de 56 milliards de lires italiennes (ITL – environ 28 921 586 euros (EUR)) au titre des contributions sociales non payées. Au vu de ce jugement, l’université avait arrêté, à partir du 1er janvier 1997, toute collaboration professionnelle avec les médecins vacataires.
Dans sa défense, l’université avait excipé de l’irrecevabilité du recours des requérants en vertu de l’article 69 § 7 du décret législatif no 165 du 30 mars 2001 (dit « texte unifié » (testo unico) sur l’emploi public, qui codifiait un certain nombre de dispositions adoptées entre 1993 et 1998). Aux termes dudit article,
« Le juge ordinaire, statuant comme juge du travail, est compétent dans les litiges décrits à l’article 63 du présent décret [litiges relatifs au rapport d’emploi dans le secteur public] en ce qui concerne les questions se rapportant à une période de travail postérieure au 30 juin 1998. Les litiges concernant des questions relatives à une période de travail antérieure à cette date sont attribués à la juridiction exclusive du juge administratif à condition, sous peine d’irrecevabilité, d’avoir été introduits avant le 15 septembre 2000. »
Le TAR estima que cette exception ne pouvait être accueillie, car l’article 63 § 4 du même décret législatif disposait :
« Restent de la compétence du juge administratif les litiges en matière de procédure de recrutement pour l’embauche des employés des administrations publiques, ainsi que, à titre de compétence exclusive, les litiges relatifs aux rapports de travail décrits à l’article 3, y compris ceux qui concernent des droits patrimoniaux connexes. »
Le TAR nota que parmi les rapports de travail décrits à l’article 3 précité figuraient ceux des professeurs et des chercheurs universitaires. Or, les tâches assignées aux requérants étaient comparables à celles des chercheurs universitaires.
Se référant, entre autres, à la jurisprudence du Conseil d’État en la matière, le TAR estima que le rapport qui avait lié les requérants à l’université était un rapport d’emploi public.
L’université interjeta appel de ce jugement. Elle objecta, entre autres, que les médecins vacataires ne pouvaient pas être assimilés aux chercheurs universitaires, car ils n’avaient à aucun moment accompli un travail de recherche ou d’enseignement.
Compte tenu du fait que l’affaire posait des questions d’intérêt général en matière de compétence des juridictions administratives, la sixième section du Conseil d’État se dessaisit en faveur des chambres réunies (adunanza plenaria).
Par un arrêt du 13 novembre 2006, dont le texte fut déposé au greffe le 21 février 2007, le Conseil d’État, siégeant en chambres réunies, accueillit l’appel de l’université. Il annula le jugement du TAR et déclara le recours des requérants irrecevable.
Dans ses motifs, le Conseil d’État observa tout d’abord que la deuxième partie de l’article 69 § 7 du texte unifié sur l’emploi public – aux termes de laquelle la compétence exclusive du juge administratif subsistait seulement si le recours avait été introduit avant le 15 septembre 2000 – avait, dans un premier temps, été interprétée dans le sens que les recours postérieurs à cette date pouvaient être réintroduits devant les juridictions judiciaires (à savoir, devant le juge du travail). Cette interprétation avait cependant évolué par la suite, tant du côté des juges administratifs que du côté de la Cour de cassation, qui s’accordaient à affirmer que le dépassement de la date limite du 15 septembre 2000 impliquait la perte du droit de faire valoir les prétentions contenues dans le recours. Il fut considéré en effet que le but de ces règles était d’éviter aux juridictions ordinaires d’avoir à statuer sur des litiges relatifs à des rapports d’emploi ayant pris naissance à une époque où elles n’étaient pas encore compétentes pour en connaître. La Cour constitutionnelle avait estimé que cette interprétation ne violait pas la Constitution (voir les ordonnances nos 214 de 2004, 213 de 2005, 382 de 2005, et 197 de 2006).
Par ailleurs, la compétence du juge administratif subsistait même si le rapport de travail était né sous la forme de prestations rémunérées à la vacation et même s’il était entaché de nullité. En l’espèce, le recours des requérants avait été introduit en 2004, et donc bien après la date butoir du 15 septembre 2000. Il était donc irrecevable.
Dans le même arrêt du 13 novembre 2006, le Conseil d’État statua également sur le cas d’un médecin vacataire qui avait, lui, introduit son action avant le 15 septembre 2000. Il confirma l’appréciation portée par le TAR, selon laquelle le rapport qui avait lié ce médecin à l’université était un rapport d’emploi public. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La liste des requérants figure en annexe.
Les requérants sont des médecins. Entre 1983 et 1997, ils travaillèrent auprès de la policlinique de l’université « Federico II » de Naples sur la base de contrats à durée déterminée ayant pour objet l’exercice d’une activité professionnelle rémunérée « au jeton », c’est-à-dire à la vacation (attività professionale remunerata « a gettone »). Ils furent ensuite embauchés sur la base d’un contrat de travail à durée indéterminée.
Plusieurs autres médecins qui se trouvaient dans la même situation que les requérants saisirent les juridictions administratives afin d’obtenir la reconnaissance de l’existence d’un rapport de travail à durée indéterminée entre eux et l’université et – en conséquence – de leur droit au versement des contributions afférentes pour la sécurité sociale et la retraite. Toutes ces actions furent couronnées de succès, tant devant le tribunal administratif régional (TAR) que devant le Conseil d’État. L’université de Naples donna ensuite exécution à ces décisions de justice.
En 2004, les requérants saisirent le TAR de la Campanie d’un recours similaire à ceux de leurs collègues.
Par un jugement no 2526 du 10 mars 2005, le TAR accueillit la demande des requérants.
Il retint en effet que, bien que formellement défini comme une collaboration libre et sans lien de subordination, le rapport contractuel entre l’université Federico II de Naples et ses médecins vacataires (a gettone) avait tous les caractères qui identifiaient la relation d’emploi dans le secteur public.
Le TAR nota entre autres dans ses motifs que, en septembre 1996, le juge d’instance de Naples, statuant comme juge du travail, avait condamné l’université à verser à la caisse de sécurité sociale (INPS) une somme de près de 56 milliards de lires italiennes (ITL – environ 28 921 586 euros (EUR)) au titre des contributions sociales non payées. Au vu de ce jugement, l’université avait arrêté, à partir du 1er janvier 1997, toute collaboration professionnelle avec les médecins vacataires.
Dans sa défense, l’université avait excipé de l’irrecevabilité du recours des requérants en vertu de l’article 69 § 7 du décret législatif no 165 du 30 mars 2001 (dit « texte unifié » (testo unico) sur l’emploi public, qui codifiait un certain nombre de dispositions adoptées entre 1993 et 1998). Aux termes dudit article,
« Le juge ordinaire, statuant comme juge du travail, est compétent dans les litiges décrits à l’article 63 du présent décret [litiges relatifs au rapport d’emploi dans le secteur public] en ce qui concerne les questions se rapportant à une période de travail postérieure au 30 juin 1998. Les litiges concernant des questions relatives à une période de travail antérieure à cette date sont attribués à la juridiction exclusive du juge administratif à condition, sous peine d’irrecevabilité, d’avoir été introduits avant le 15 septembre 2000. »
Le TAR estima que cette exception ne pouvait être accueillie, car l’article 63 § 4 du même décret législatif disposait :
« Restent de la compétence du juge administratif les litiges en matière de procédure de recrutement pour l’embauche des employés des administrations publiques, ainsi que, à titre de compétence exclusive, les litiges relatifs aux rapports de travail décrits à l’article 3, y compris ceux qui concernent des droits patrimoniaux connexes. »
Le TAR nota que parmi les rapports de travail décrits à l’article 3 précité figuraient ceux des professeurs et des chercheurs universitaires. Or, les tâches assignées aux requérants étaient comparables à celles des chercheurs universitaires.
Se référant, entre autres, à la jurisprudence du Conseil d’État en la matière, le TAR estima que le rapport qui avait lié les requérants à l’université était un rapport d’emploi public.
L’université interjeta appel de ce jugement. Elle objecta, entre autres, que les médecins vacataires ne pouvaient pas être assimilés aux chercheurs universitaires, car ils n’avaient à aucun moment accompli un travail de recherche ou d’enseignement.
Compte tenu du fait que l’affaire posait des questions d’intérêt général en matière de compétence des juridictions administratives, la sixième section du Conseil d’État se dessaisit en faveur des chambres réunies (adunanza plenaria).
Par un arrêt du 13 novembre 2006, dont le texte fut déposé au greffe le 21 février 2007, le Conseil d’État, siégeant en chambres réunies, accueillit l’appel de l’université. Il annula le jugement du TAR et déclara le recours des requérants irrecevable.
Dans ses motifs, le Conseil d’État observa tout d’abord que la deuxième partie de l’article 69 § 7 du texte unifié sur l’emploi public – aux termes de laquelle la compétence exclusive du juge administratif subsistait seulement si le recours avait été introduit avant le 15 septembre 2000 – avait, dans un premier temps, été interprétée dans le sens que les recours postérieurs à cette date pouvaient être réintroduits devant les juridictions judiciaires (à savoir, devant le juge du travail). Cette interprétation avait cependant évolué par la suite, tant du côté des juges administratifs que du côté de la Cour de cassation, qui s’accordaient à affirmer que le dépassement de la date limite du 15 septembre 2000 impliquait la perte du droit de faire valoir les prétentions contenues dans le recours. Il fut considéré en effet que le but de ces règles était d’éviter aux juridictions ordinaires d’avoir à statuer sur des litiges relatifs à des rapports d’emploi ayant pris naissance à une époque où elles n’étaient pas encore compétentes pour en connaître. La Cour constitutionnelle avait estimé que cette interprétation ne violait pas la Constitution (voir les ordonnances nos 214 de 2004, 213 de 2005, 382 de 2005, et 197 de 2006).
Par ailleurs, la compétence du juge administratif subsistait même si le rapport de travail était né sous la forme de prestations rémunérées à la vacation et même s’il était entaché de nullité. En l’espèce, le recours des requérants avait été introduit en 2004, et donc bien après la date butoir du 15 septembre 2000. Il était donc irrecevable.
Dans le même arrêt du 13 novembre 2006, le Conseil d’État statua également sur le cas d’un médecin vacataire qui avait, lui, introduit son action avant le 15 septembre 2000. Il confirma l’appréciation portée par le TAR, selon laquelle le rapport qui avait lié ce médecin à l’université était un rapport d’emploi public. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Affaire no 3168/11 G.G. c. Italie
Le requérant a été contaminé par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
Le 24 mai 2000, il assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la réparation des dommages qu’il estimait avoir subis en raison de son infection.
À la suite de quatre audiences, par un jugement déposé au greffe le 16 mai 2001, le tribunal déclara qu’il n’était pas territorialement compétent et renvoya l’affaire devant le tribunal de Bari.
Après huit audiences ayant eu pour objet le dépôt et l’examen de documents et d’une expertise, par un jugement déposé le 21 septembre 2009, le tribunal accueillit la demande du requérant.
Le ministère ayant interjeté appel devant la cour d’appel de Bari, l’affaire fut reportée à deux reprises, jusqu’au 20 novembre 2013.
L’affaire était pendante au 26 septembre 2014.
Entre-temps, le requérant introduisit une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007. Cette demande fut ensuite rejetée.
Affaire no 3170/11 P.C. c. Italie
Le requérant a été contaminé par les virus de l’hépatite B et C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
Le 27 juillet 2002, il assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de Florence afin d’obtenir la réparation des dommages qu’il estimait avoir subis en raison de son infection.
À la suite de onze audiences, au courant desquelles deux experts se succédèrent, par un jugement déposé le 18 mars 2008, le tribunal rejeta la demande du requérant en raison de la prescription des faits de l’affaire.
Le requérant ayant interjeté appel, deux audiences eurent lieu devant la cour d’appel de Florence.
Entre-temps, le requérant introduisit une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007. Cette demande fut ensuite rejetée.
Par un arrêt déposé le 21 janvier 2014, la cour d’appel débouta le requérant.
Affaire no 15195/11 D.F. c. Italie
Le requérant a été contaminé par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
Le 31 août 1999, il assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la réparation des dommages qu’il estimait avoir subis en raison de son infection.
À une date non précisée, le requérant obtint une indemnisation de nature administrative en raison de sa contamination au sens de la loi no 210/92 (voir G.N. et autres c. Italie, no 43134/05, § 36, 1er décembre 2009).
L’affaire fut reportée à huit reprises jusqu’au 11 juillet 2002 en raison du dépôt de documents, de la nomination d’un expert et du dépôt du rapport de la part de ce dernier.
Par un jugement déposé le 13 janvier 2003, le tribunal rejeta la demande du requérant estimant que l’indemnité qu’il avait reçue au sens de la loi no 210/92 couvrait également le préjudice subi.
Le 26 février 2004, le requérant interjeta appel.
Par un arrêt déposé le 2 avril 2007, la cour d’appel de Roma rejeta sa demande.
Le requérant se pourvut donc en cassation. Le 16 juin 2008, le ministère de la Santé introduisit un contre-recours devant cette instance et, le 24 juillet 2008, le requérant forma à son tour un contre-recours incident afin d’obtenir la déclaration d’irrecevabilité de la demande du ministère.
Entre-temps, la requérante introduisit une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007.
Par un arrêt déposé le 23 janvier 2014, la Cour de cassation cassa le jugement de la cour d’appel de Rome et renvoya l’affaire à une autre section de celle-ci.
Affaire no 15200/11 E.V. c. Italie
La requérante a été contaminée par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
Le 28 juin 2002, elle assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la réparation des dommages qu’elle estimait avoir subis en raison de son infection.
L’affaire fut reportée à cinq reprises jusqu’au 5 mai 2004 en raison du dépôt de documents, de la nomination de deux experts et du dépôt d’un rapport d’expertise.
Par un jugement déposé le 15 décembre 2004, le tribunal fit en partie droit à la demande de la requérante.
Le ministère de la Santé interjeta appel. À la suite de trois audiences, par un arrêt déposé le 16 juin 2008, la cour d’appel de Rome accueillit le recours.
Le 31 juillet 2009, la requérante se pourvut en cassation et, le 25 août 2009, le ministère forma un contre-recours devant cette instance.
Entre-temps, la requérante introduisit une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007. Cette demande fut ensuite rejetée.
Par un arrêt déposé le 23 janvier 2014, la Cour de cassation débouta la requérante.
Affaire no 15203/11 A.T. c. Italie
Le requérant a été contaminé par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
Le 3 août 1999, il assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la réparation des dommages qu’il estimait avoir subis en raison de son infection.
À une date non précisée, il obtint une indemnisation de nature administrative en raison de sa contamination au sens de la loi no 210/92 (voir G.N. et autres c. Italie, précité, § 36).
À la suite de sept audiences ayant eu pour objet le dépôt de document et de l’expertise ainsi que l’examen du rapport y relatif, par un jugement déposé le 7 janvier 2003, le tribunal rejeta la demande du requérant, estimant que l’indemnité qui lui avait été allouée au sens de la loi no 210/92 couvrait également le préjudice subi.
Le requérant interjeta appel. À la suite de deux audiences, par un arrêt déposé au greffe le 2 avril 2007, la cour d’appel rejeta l’appel.
Le 23 juillet 2007, le requérant se pourvut en cassation. Ensuite, le ministère forma un contre-recours devant cette instance et le requérant introduisit à son tour un contre-recours incident.
Entre-temps, le requérant introduisit une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007. Cette demande fut ensuite rejetée.
Par un arrêt déposé le 29 novembre 2013, la Cour de cassation fit en partie droit au pourvoi du requérant.
Affaire no 15205/11 M.A.B c. Italie
La requérante a été contaminée par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
Le 20 décembre 1999, elle assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la réparation des dommages qu’elle estimait avoir subis en raison de son infection.
À la suite de huit audiences, par un jugement déposé le 15 octobre 2002, le tribunal accueillit la demande de la requérante.
Le ministère interjeta appel. À la suite de trois audiences, par un arrêt déposé le 25 juillet 2005, la cour d’appel de Rome rejeta le recours.
Le ministère se pourvut en cassation et la requérante introduisit un contre-recours devant cette instance.
Entre-temps, le requérant introduisit une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007. Cette demande fut ensuite rejetée.
Par un arrêt déposé le 14 janvier 2014 cassa en partie l’arrêt de la cour d’appel et renvoya l’affaire à une autre section de celle-ci.
Affaire no 15976/11 P.C. et un autre c. Italie
M. P.C., premier requérant, a été contaminé par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public lorsqu’il était mineur.
Le 15 novembre 2002, Mme R.L., deuxième requérante et mère de M. P.C., assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de l’Aquila afin d’obtenir la réparation des dommages prétendument subis par son enfant en raison de son infection.
À l’audience du 10 avril 2003, M. P.C., entre-temps devenu majeur, se constitua dans la procédure.
L’affaire fut ensuite renvoyée à cinq reprises jusqu’au 23 septembre 2004 pour le dépôt de mémoires, la nomination d’un expert et le dépôt du rapport de ce dernier.
La cause fut reportée à quatre reprises jusqu’au 26 mai 2005, en raison de ce que l’expert n’avait pas déposé son rapport dans les délais qui avaient été fixés.
Après trois audiences ayant eu pour objet la nomination d’un nouveau expert et le dépôt de son rapport, l’audience de plaidoiries fut fixée au 24 mai 2007.
Par un jugement déposé le 18 décembre 2007, le tribunal rejeta la demande des requérants en raison de ce que le lien de causalité entre les faits dénoncés et la conduite du ministère convenu faisait défaut.
Ces derniers interjetèrent appel devant la cour d’appel.
Entre-temps, la demande introduite par les requérants afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement au sens des lois no 222 et 244 de 2007 fut rejetée et les requérants attaquèrent cette décision devant le tribunal administratif régional de Rome.
Par un arrêt déposé le 7 juillet 2014, la cour d’appel rejeta la demande des requérants.
Affaire no 30691/11 R.B.B. et autres c. Italie
Le père des requérants fut contaminé par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public. Il décéda à la suite de cette infection.
Le 20 décembre 1999, les requérants assignèrent le ministère de la Santé devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la réparation des dommages subis par leur père en raison de sa contamination.
Dix audiences eurent lieu entre le 13 avril 2000 et le 12 juin 2003. Elles eurent pour objet le dépôt de documents, la nomination d’un expert et l’examen du rapport de ce dernier.
Par un jugement déposé le 10 novembre 2003, le tribunal rejeta la demande des requérants.
Ces derniers interjetèrent appel. À la suite de deux audiences, par un arrêt déposé le 12 février 2007, la cour d’appel de Rome accueillit le recours.
Le 17 mai 2007, le ministère se pourvut en cassation. Les 25 juin 2007, les requérants formèrent un contre-recours incident devant cette instance.
Entre-temps, les requérants introduisirent une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007. Cette demande fut ensuite rejetée.
Par un arrêt déposé le 29 novembre 2013, la Cour de cassation rejeta le recours du ministère ainsi que le contre-recours des requérants.
Affaire no 30762/11 A.P. c. Italie
La requérante a été contaminée par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
Le 3 août 1999, elle assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la réparation des dommages qu’elle estimait avoir subis en raison de son infection.
À une date non précisée, la requérante obtint une indemnisation de nature administrative en raison de sa contamination au sens de la loi no 210/92 (voir G.N. et autres c. Italie, précité, § 36).
Après douze audiences, par un jugement déposé le 1er décembre 2003, le tribunal alloua à la requérante 5 726 EUR (euros) à titre de dédommagement pour le préjudice biologique et moral qu’elle avait subi. Cette somme était le résultat de la déduction, du dédommagement originaire, du montant de l’indemnité administrative reçue jusqu’alors par la requérante au sens de la loi no 210/92.
La requérante ayant interjeté appel devant la cour d’appel de Rome, l’affaire fut reportée à huit reprises jusqu’au 4 novembre 2011.
Entre-temps, elle introduisit une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007. Cette demande fut ensuite rejetée.
Par un arrêt déposé au greffe le 22 juillet 2013, la cour d’appel fit partiellement droit à la demande de la requérante et alloua a celle-ci 56 301, 12 EUR à titre du dédommagement pour le préjudice moral qu’elle avait subi. La cour d’appel considéra que, si la déduction, du dédommagement originaire, du montant de l’indemnité administrative reçue jusqu’alors par la requérante était légitime, le montant du dédommagement n’avait toutefois pas été correctement évalué.
Affaire no 30767/11 F.L. et autres c. Italie
Les trois premiers requérants ont été contaminés par différents virus à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public
Le 27 octobre 1999, les trois premiers requérants, Mme A.G. (mère des deux dernières requérantes) ainsi que plus de deux-cent autres demandeurs assignèrent le ministère de la Santé devant le tribunal de Lecce afin d’obtenir la réparation des dommages qu’ils estimaient avoir subis en raison de leur infection (affaire dite Emo bis, voir G.N. et autres c. Italie, no 43134/05, précité, §§ 38-43). Les types de virus par lesquels les trois premiers requérants ont été infectés à la suite de leur contamination ne sont pas indiqués dans le formulaire de requête ni dans les documents concernant la procédure interne. On peut toutefois déduire de ces derniers documents que, dans leurs ensemble, les centaines de demandeurs ayant introduit la procédure Emo bis ont été infectés par les virus de l’hépatite B et/ou C et/ou par le virus du VIH.
À la suite de cinq audiences, par un jugement déposé le 14 juin 2001, le tribunal fit droit à la demande des requérants.
Le ministère interjeta appel.
Mme A.G. étant entre-temps décédée, le 4 octobre 2002, Mmes C.G. et F.G., les deux dernières requérantes, sœurs de celle-ci, ainsi que M. G.G., leur père, se constituèrent dans la procédure.
Au bout de deux audiences, par un arrêt déposé au greffe le 12 janvier 2004, la cour d’appel de Rome rejeta la demande du ministère.
Ce dernier se pourvut donc en cassation et les requérants formèrent un contre-recours.
À la suite de deux audiences, par un arrêt déposé le 11 janvier 2008, la Cour de cassation renvoya l’affaire devant la cour d’appel de Rome.
Cette procédure était pendante au 26 septembre 2014.
Entre-temps, les requérants introduisirent une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007. Cette demande fut ensuite rejetée.
Affaire no 30786/11 S.A. c. Italie
Le requérant a été contaminé par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
Le 16 octobre 2001, il assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de Catanzaro afin d’obtenir la réparation des dommages qu’il estimait avoir subis en raison de son infection.
Entre le 22 novembre 2001 et le 24 mars 2006, dix audiences eurent lieu. Elles eurent pour objet le dépôt de documents, l’audition de témoins et la nomination d’un expert.
Par un jugement déposé le 23 novembre 2006, le tribunal rejeta la demande du requérant en raison de la prescription des faits de l’affaire.
Le requérant interjeta appel devant la cour d’appel de Catanzaro.
Entre-temps, le requérant introduisit une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007. Cette demande fut ensuite rejetée.
Par un arrêt déposé le 3 juin 2014, la cour d’appel rejeta la demande du requérant.
Affaire no 30792/11 O.R. c. Italie
Le requérant a été contaminé par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
Le 31 août 1999, il assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la réparation des dommages qu’il estimait avoir subis en raison de son infection.
Après sept audiences, par un jugement déposé le 7 janvier 2003, le tribunal rejeta la demande du requérant.
Ce dernier interjeta appel. Après trois audiences, par un arrêt déposé le 14 mai 2007, la cour d’appel de Rome rejeta le recours.
Le requérant se pourvut en cassation.
Entre-temps, le requérant introduisit une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007. Cette demande fut ensuite rejetée.
Par un arrêt déposé le 20 janvier 2014, la Cour de cassation débouta le requérant.
Affaire no 30795/11 D.M. c. Italie
100. Le requérant a été contaminé par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
101. Le 8 novembre 2002, il assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la réparation des dommages qu’il estimait avoir subis en raison de son infection.
102. Entre le 4 février 2003 et le 1er décembre 2004, cinq audiences eurent lieu. Elles eurent pour objet, entre autres, l’admission de moyens de preuve, le dépôt de documents, l’examen de rapports d’expertise et l’interrogation de témoins.
103. Le 11 mai 2005, le tribunal fit en partie droit à la demande du requérant.
104. Le ministère interjeta appel faisant valoir notamment que les faits de l’affaire étaient prescrits.
105. Le requérant forma à son tour un appel incident afin de dénoncer le rejet de la partie de sa demande concernant le dommage existentiel et l’incidence de la pathologie contractée sur sa capacité à travailler.
106. L’audience de plaidoiries eut lieu le 21 mars 2008.
107. Par un arrêt déposé le 6 octobre 2008, la cour d’appel de Rome fit droit à la demande du ministère et déclara la prescription de la demande en dédommagement introduite par le requérant.
108. Le 20 novembre 2009, le requérant entama un recours en révocation.
109. Suite à une audience du 15 avril 2010, l’audience de plaidoiries fut fixée au 15 avril 2011.
110. À cette date, l’examen de l’affaire fut reporté au 23 mars 2012 en raison de ce que les parties avaient entamé une tentative de règlement amiable de l’affaire. La demande y relative introduite par le requérant fut toutefois rejetée
111. Par un arrêt déposé au greffe le 15 novembre 2012, la cour d’appel fit droit à la demande de révocation du requérant et condamna le ministère de la Santé au payement de 178 848,88 EUR à titre de dédommagement moral.
Affaire no 30830/11 F.P. et autres c. Italie
112. Mme M.C., mère des requérants, a été contaminée par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
113. Le 26 octobre 1999, elle assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la réparation des dommages qu’elle estimait avoir subis en raison de son infection.
114. À une date non précisée, Mme M.C. obtint une indemnisation de nature administrative en raison de sa contamination au sens de la loi no 210/92 (voir G.N. et autres c. Italie, précité, § 36).
115. À la suite de six audiences, ayant eu pour objet le dépôt de documents et d’un rapport d’expertise, par un jugement déposé le 19 mai 2003, le tribunal condamna le ministère de la Santé au payement de 94 806,96 EUR en raison du préjudice moral subi par Mme M.C.
116. Le 13 mai 2004, Mme M.C. décéda.
117. Le 2 juillet 2004, les requérants interjetèrent appel devant la cour d’appel de Rome. Le ministère de la santé se constitua dans la procédure excipant la prescription du droit invoqué par les requérants.
118. L’affaire fut reportée à six reprises. Par un arrêt déposé le 26 avril 2013, la cour d’appel rejeta la demande des requérants estimant que le droit qu’ils invoquaient était prescrit.
Affaire no 30835/11 R.C. et un autre c. Italie
119. M. A.C. a été contaminé par le virus de l’hépatite B et C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
120. Le 7 mai 2002, il assigna le ministère de la Santé devant le tribunal de Lecce afin d’obtenir la réparation des dommages qu’il estimait avoir subis en raison de son infection.
121. Six audiences eurent lieu. À une date non précisée, Mme I.M., mère de M. A.C. et deuxième requérante, ayant elle-même contracté le virus de l’hépatite C en raison du contact physique avec son fils lors des soins apportés à ce dernier, demanda d’intervenir dans la procédure. Par ordonnance du 27 septembre 2005, le juge fit droit à cette demande.
122. Le 21 février 2006, M. A.C. décéda.
123. Treize audiences eurent lieu jusqu’au 17 avril 2008. Elles eurent pour objet le dépôt de documents et de deux rapports d’expertise.
124. Par un jugement déposé le 22 février 2010, le tribunal rejeta l’action en dédommagement en raison de la prescription des faits de l’affaire.
125. Le 13 mai 2010, M. R.C., premier requérant et frère de M. A.C., reçut par sa mère, Mme I.M., une procuration spéciale pour représenter cette dernière dans les procédures judiciaires (procura alle liti).
126. Le 5 avril 2011, M. R.C., en qualité d’héritier de M. A.C. et pour le compte de Mme I.M., interjeta appel.
127. Cette affaire était pendante au 26 septembre 2014.
Affaire no 30839/11 A.Z. c. Italie
128. La requérante a été contaminée par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
129. Le 16 juin 2003, elle assigna la Mairie de Dolo (Venise) et la Région Vénétie devant le tribunal de Venise afin d’obtenir la réparation des dommages qu’elle estimait avoir subis en raison de son infection.
130. À une date non précisée, la requérante obtint une indemnisation de nature administrative en raison de sa contamination au sens de la loi no 210/92 (voir G.N. et autres c. Italie, précité, § 36).
131. Entre le 17 octobre 2003 et le 21 mars 2008, huit audiences eurent lieu. Elles eurent pour objet le dépôt de documents et d’une expertise ainsi que la jonction de l’affaire avec deux autres affaires ayant le même objet.
132. Par un jugement déposé le 12 juin 2009, le tribunal rejeta la demande de la requérante estimant que l’indemnité qui lui avait été allouée au sens de la loi no 210/92 couvrait également le préjudice subi.
133. La requérante interjeta appel devant la cour d’appel de Venise.
134. Par un arrêt déposé le 17 février 2014, la cour d’appel rejeta la demande de la requérante.
Affaire no 30855/11 A.C. et autres c. Italie
135. M. M.M. (époux de la première requérante et père des deux autres requérantes), fut contaminé par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public. Il décéda à la suite de son infection.
136. Le 5 juillet 2004, les requérantes assignèrent le ministère de la Santé devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la réparation des dommages subis par M. M.M. en raison de sa contamination.
137. Après onze audiences, ayant eu pour objet le dépôt de documents, la nomination d’un expert et l’examen du rapport de ce dernier, l’affaire fut renvoyée au 18 décembre 2009 pour l’audience de plaidoiries.
138. Toutefois, à cette date, l’examen de la cause fut encore renvoyé à quatre reprises.
139. Entre-temps, les requérants introduisirent une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007. Cette demande fut ensuite rejetée.
140. Par un jugement déposé au greffe le 16 avril 2012, le tribunal rejeta la demande des requérantes estimant que, d’après le résultat des expertises menées entre-temps et compte tenu de la gravité de la pathologie de M. M.M. causant son décès, il était improbable que le virus de l’hépatite C en cause avait été contracté pour la première fois au courant de la transfusion dénoncée par les requérantes.
141. Les requérants interjetèrent appel. Cette procédure était pendante au 26 septembre 2014.
Affaire no 30899/11 S.P. c. Italie
142. Le requérant a été contaminé par le virus de l’hépatite B à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public.
143. Le 16 septembre 1999, il assigna le ministère de la Santé et la Région des Pouilles devant le tribunal de Bari afin d’obtenir la réparation des dommages qu’il estimait avoir subis en raison de son infection.
144. Vingt-quatre audiences eurent lieu entre le 7 février 2001 et le 9 juin 2009. Elles eurent pour objet le dépôt de documents, la nomination et le remplacement d’un expert, l’examen du rapport d’expertise et l’assignation de l’affaire à un autre juge d’instruction, à la suite du transfert du juge auquel la cause avait été assignée à l’origine.
145. Entre-temps, le requérant introduisit une demande afin d’adhérer aux transactions mises en place par le Gouvernement par les lois no 222 et 244 de 2007. Cette demande fut ensuite rejetée.
146. Par un jugement déposé le 10 novembre 2011, le tribunal rejeta la demande du requérant.
147. Celui-ci interjeta appel. L’affaire fut ensuite reportée à plusieurs reprises jusqu’au 10 juin 2015.
Affaire no 47154/11 L.F. et autres c. Italie
148. Le père des requérantes fut contaminé par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions de sang effectuées dans un hôpital public. Il décéda à la suite de cette infection.
149. Le 7 mars 2002, les requérantes, avec leur frère et leur mère, assignèrent le ministère de la Santé devant le tribunal de Rome afin d’obtenir la réparation des dommages subis par leur père en raison de sa contamination.
150. L’affaire fut reportée à six reprises jusqu’au 8 octobre 2003 en raison du dépôt de documents et de la nomination d’un expert.
151. Par un jugement déposé le 3 mai 2004, le tribunal fit droit à la demande des requérantes.
152. Le ministère de la Santé interjeta appel. Après deux audiences, par un arrêt déposé le 28 janvier 2008, la cour d’appel de Rome accueillit le recours.
153. Le 3 février 2009, les requérantes, ainsi que leur frère, se pourvurent en cassation. À une date non précisée, le frère des requérantes décéda.
154. Par un arrêt déposé le 27 mars 2014, la Cour de cassation fit droit à la demande des requérantes, cassa l’arrêt de la cour d’appel et renvoya l’affaire devant une autre section de celle-ci.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
155. Le droit interne pertinent est indiqué dans l’affaire G.N. et autres c. Italie (précité, §§ 32-48). | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La liste des parties requérantes figure en annexe.
A. Le contexte de l’affaire
À l’époque des faits, M. Gianluigi Gabetti était le président des deux sociétés requérantes et M. Virgilio Marrone était le fondé de pouvoir (procuratore) de la société Giovanni Agnelli & C. s.a.a.
Le 26 juillet 2002, la société anonyme FIAT (Fabbrica Italiana Automobili Torino) signa un contrat de financement (prestito convertendo) avec huit banques. Ce contrat expirait le 20 septembre 2005 et prévoyait qu’en cas de non-remboursement du prêt de la part de FIAT, les banques auraient pu compenser leur créance en souscrivant à une augmentation du capital de la société. Ainsi, les banques auraient acquis 28 % du capital social de FIAT, alors que la participation de la société anonyme IFIL Investments (devenue par la suite, le 20 février 2009, Exor s.p.a., dénomination sous laquelle elle sera désignée ci-après) serait passée de 30,06 % à 22 % environ.
M. Gabetti souhaita obtenir un conseil juridique pour rechercher une façon de permettre à Exor de rester l’actionnaire ayant le contrôle de FIAT, et s’adressa dans cette perspective à un avocat spécialisé en droit des sociétés, Me Grande Stevens. Ce dernier considéra qu’une possibilité à cette fin était de renégocier un contrat d’equity swap (c’est-à-dire, un contrat permettant d’échanger la performance d’une action contre un taux d’intérêt, sans avoir à avancer d’argent) en date du 26 avril 2005 portant sur environ 90 millions d’actions FIAT qu’Exor avait conclu avec une banque d’affaires anglaise, Merrill Lynch International Ltd, et dont l’échéance était fixée au 26 décembre 2006. De l’avis de Me Grande Stevens, c’était là l’une des voies pour éviter le lancement d’une offre publique d’achat (« OPA ») sur les actions FIAT.
Sans mentionner Merrill Lynch International Ltd par crainte de violer ses devoirs de confidentialité, le 12 août 2005 Me Grande Stevens demanda à la Commission nationale des sociétés et de la bourse (Commissione Nazionale per le Società e la Borsa – la « CONSOB », qui dans le système juridique italien, a pour but, entre autres, d’assurer la protection des investisseurs et l’efficacité, la transparence et le développement des marchés boursiers) si, dans l’hypothèse qu’il envisageait, une OPA pourrait être évitée. En même temps, Me Grande Stevens commença à s’informer auprès de Merrill Lynch International Ltd quant à la possibilité de modifier le contrat d’equity swap.
Le 23 août 2005, la CONSOB demanda aux sociétés Exor et Giovanni Agnelli de diffuser un communiqué de presse faisant état de toute initiative prise en vue de l’échéance du contrat de financement avec les banques, de tout fait nouveau concernant la société FIAT et de tout fait utile pour expliquer les fluctuations des actions FIAT sur le marché.
M. Marrone expose que ce jour-là, il était en congé. Il avait informé Me Grande Stevens de la demande de la CONSOB, et lui en avait fait parvenir une copie. M. Marrone soutient qu’il n’a pas participé à la rédaction des communiqués de presse décrits aux paragraphes 13 et 14 ciaprès.
M. Gabetti expose que le 23 août 2005, il était hospitalisé aux États-Unis. Il avait reçu un projet de communiqué de presse et avait contacté par téléphone Me Grande Stevens, qui lui avait confirmé qu’au vu des nombreuses données restant incertaines, l’hypothèse d’une renégociation du contrat d’equity swap ne pouvait pas être considérée comme une option concrète et actuelle. Dans ces circonstances, M. Gabetti approuva le projet de communiqué.
Le communiqué de presse émis en réponse, approuvé par Me Grande Stevens, se bornait à indiquer qu’Exor n’avait « ni entamé ni étudié d’initiatives concernant l’échéance du contrat de financement » et qu’elle souhaitait « rester l’actionnaire de référence de FIAT ». Aucune mention ne fut faite de l’éventuelle renégociation du contrat d’equity swap avec Merrill Lynch International Ltd, considérée par les requérants comme une simple hypothèse future faute d’un fondement factuel et juridique clair.
La société Giovanni Agnelli confirma le communiqué de presse d’Exor.
Du 30 août au 15 septembre 2005, Me Grande Stevens poursuivit ses pourparlers avec Merrill Lynch International Ltd pour vérifier la possibilité de modifier le contrat d’equity swap.
Le 14 septembre 2005, au cours d’une réunion de la famille Agnelli, il fut décidé que le projet étudié par Me Grande Stevens devait être soumis à l’approbation du conseil d’administration d’Exor. Le même jour, la CONSOB reçut une copie du contrat d’equity swap et fut informée des pourparlers en cours afin de l’utiliser pour permettre à Exor d’acquérir des actions FIAT.
Le 15 septembre 2005, en exécution de délibérations de leurs conseils d’administration respectifs, Exor et Merrill Lynch International Ltd conclurent l’accord modifiant le contrat d’equity swap.
Le 17 septembre 2005, répondant à la question qui lui avait été posée par Me Grande Stevens le 12 août 2005 (paragraphe 9 ci-dessus), la CONSOB indiqua que dans l’hypothèse envisagée, il n’y avait pas d’obligation de lancer une OPA.
Le 20 septembre 2005, FIAT augmenta son capital ; les nouvelles actions émises furent acquises par les huit banques en compensation de leurs créances. Le même jour, l’accord modifiant le contrat d’equity swap prit effet. Par conséquent, Exor maintint sa participation de 30 % dans le capital de FIAT.
B. La procédure devant la CONSOB
Le 20 février 2006, la division des marchés et des avis économiques – bureau Insider Trading (Divisione mercati e consulenza economica – ufficio Insider Trading – ci-après le « bureau IT ») de la CONSOB reprocha aux requérants la violation de l’article 187 ter § 1 du décret législatif no 58 du 24 février 1998. Aux termes de cette disposition, intitulée « manipulation du marché »,
« Sans préjudice des sanctions pénales lorsque la conduite est constitutive d’une infraction, toute personne qui, par le biais de moyens d’information, y compris Internet ou tout autre moyen, diffuse des informations, des nouvelles ou des bruits faux ou trompeurs de nature à fournir des indications fausses ou trompeuses à propos d’instruments financiers est punie d’une sanction administrative allant de 20 000 à 5 000 000 d’euros (EUR). »
Selon la thèse du bureau IT, l’accord modifiant l’equity swap avait été conclu ou était en passe de l’être avant la diffusion des communiqués de presse du 24 août 2005, de sorte qu’il était anormal que ceux-ci n’en fissent aucune mention. Les requérants furent invités à présenter leur défense.
Le bureau IT transmit ensuite le dossier à la direction des sanctions administratives (ufficio sanzioni amministrative – ci-après, « la direction ») de la CONSOB, accompagné d’un rapport (relazione istruttoria) daté du 13 septembre 2006, qui faisait état des éléments à charge et des arguments des inculpés. Selon ce rapport, les défenses avancées par les requérants n’étaient pas de nature à permettre de classer le dossier.
La direction communiqua ce rapport aux requérants et les invita à présenter par écrit, dans un délai de trente jours expirant le 23 octobre 2006, les arguments qu’ils estimaient nécessaires pour leur défense. Entre-temps, le bureau IT continua à examiner l’affaire des requérants, en obtenant des informations orales et en analysant les documents reçus le 7 juillet 2006 de Merrill Lynch International Ltd. Le 19 octobre 2006, il transmit à la direction une « note complémentaire » dans laquelle il affirmait que les nouveaux documents examinés n’étaient pas de nature à modifier ses conclusions. Le 26 octobre 2006, les requérants reçurent une copie de la note complémentaire du 19 octobre 2006 et de ses annexes ; un nouveau délai de trente jours leur fut octroyé pour présenter d’éventuelles observations.
Sans le communiquer aux requérants, la direction présenta son rapport (daté du 19 janvier 2007 et contenant ses conclusions) à la commission – la CONSOB proprement dite –, c’est-à-dire à l’organe chargé d’adopter la décision sur d’éventuelles sanctions. Celle-ci se composait, à l’époque des faits, d’un président et de quatre membres, nommés par le président de la République sur proposition (su proposta) du président du Conseil des ministres. Leur mandat durait cinq ans et ne pouvait être renouvelé qu’une seule fois.
Par une délibération no 15760 du 9 février 2007, la CONSOB infligea aux requérants les amendes administratives suivantes :
5 000 000 EUR à M. Gabetti,
3 000 000 EUR à M. Grande Stevens,
500 000 EUR à M. Marrone,
4 500 000 EUR à la société Exor,
3 000 000 EUR à la société Giovanni Agnelli.
MM. Gabetti, Grande Stevens et Marrone furent frappés d’une interdiction d’administrer, de diriger ou de contrôler des sociétés cotées en bourse, pour des durées, respectivement, de six, quatre et deux mois.
La CONSOB estima notamment qu’il ressortait du dossier que le 24 août 2005, date des communiqués de presse incriminés, le projet visant à conserver une participation de 30 % dans le capital de FIAT sur la base d’une renégociation du contrat d’equity swap signé avec Merrill Lynch International Ltd avait déjà été étudié et était en cours d’exécution. Il s’ensuivait que les communiqués de presse donnaient une fausse représentation (rappresentazione falsa) de la situation de l’époque. La CONSOB souligna également la position occupée par les personnes concernées, la « gravité objective » de l’infraction et l’existence d’un dol.
C. L’opposition devant la cour d’appel
Les requérants firent opposition à cette sanction devant la cour d’appel de Turin. Ils alléguèrent, entre autres, que le règlement de la CONSOB était illégal car, contrairement à ce qui était exigé par l’article 187 septies du décret législatif no 58 de 1998 (paragraphe 57 ciaprès), il ne respectait pas le principe d’un examen contradictoire de l’affaire.
M. Grande Stevens nota en outre que la CONSOB l’avait inculpé et puni pour avoir pris part à la publication du communiqué de presse du 24 août 2005 en sa qualité d’administrateur d’Exor. Devant la CONSOB, l’intéressé avait excipé sans succès de ce qu’il ne possédait pas cette qualité et qu’il était simplement l’avocat et le consultant du groupe Agnelli. Devant la cour d’appel, M. Grande Stevens maintint que, n’étant pas administrateur, il ne pouvait pas avoir participé à la décision de publier le communiqué de presse incriminé. Dans un mémoire du 25 septembre 2007, M. Grande Stevens indiqua qu’au cas où la cour d’appel aurait considéré insuffisants ou non utilisables les documents versés au dossier, il demandait de convoquer et examiner des témoins « sur les faits relatés dans les documents susmentionnés ». Il n’indiqua clairement dans ce mémoire ni les noms de ces témoins ni les circonstances sur lesquelles ils auraient dû témoigner. Dans un mémoire du même jour, M. Marrone cita deux témoins, dont les déclarations auraient prouvé qu’il n’avait pas participé à la rédaction des communiqués de presse, et précisa que la cour d’appel aurait pu, si nécessaire (ove occorresse), les auditionner.
Par des arrêts déposés au greffe le 23 janvier 2008, la cour d’appel de Turin réduisit pour certains des requérants le montant des amendes administratives infligées par la CONSOB, de la manière suivante :
- 600 000 EUR pour Giovanni Agnelli s.a.a. ;
- 1 000 000 EUR pour Exor s.p.a. ;
- 1 200 000 EUR pour M. Gabetti.
Il était indiqué dans l’entête des arrêts rendus envers MM. Gabetti et Marrone et envers Exor S.p.a. que la cour d’appel avait siégé en chambre du conseil (riunita in camera di consiglio). La partie « procédure » des arrêts rendus contre M. Grande Stevens et Giovanni Agnelli & C. S.a.s. mentionnait que les parties avaient été convoquées en chambre du conseil (disposta la comparizione delle parti in camera di consiglio).
La durée de l’interdiction d’assumer des responsabilités d’administration, de direction ou de contrôle de sociétés cotées en bourse infligée à M. Gabetti fut réduite de six à quatre mois.
La cour d’appel rejeta toute autre doléance des intéressés. Elle nota entre autres que, même après la transmission du dossier à la direction, le bureau IT restait en droit de continuer ses activités d’investigation, le délai de 210 jours prévu pour les délibérations de la CONSOB n’étant pas contraignant. Par ailleurs, le principe du contradictoire était respecté dès lors que, comme en l’espèce, les inculpés avaient été informés des éléments nouvellement recueillis par le bureau IT et avaient eu la possibilité de présenter leurs répliques.
La cour d’appel observa également qu’il était vrai que la CONSOB avait d’un côté infligé les sanctions prévues par l’article 187 ter du décret législatif no 58 de 1998, et de l’autre dénoncé au parquet la commission de l’infraction pénale décrite à l’article 185 § 1 du même décret. Aux termes de cette disposition,
« Quiconque diffuse de fausses nouvelles ou procède à des opérations simulées ou emploie d’autres artifices (artifizi) objectivement susceptibles de provoquer une modification sensible de la valeur d’instruments financiers est puni d’une réclusion de un à six ans et d’une amende de 20 000 à 5 000 000 d’euros. »
Selon la cour d’appel, ces deux dispositions avaient pour objet la même conduite (la « diffusion de fausses informations ») et poursuivaient le même but (éviter des manipulations du marché), mais différaient quant à la situation de danger censée avoir été engendrée par cette conduite : pour l’article 187 ter, il était suffisant en soi d’avoir donné des indications fausses ou trompeuses concernant des instruments financiers, tandis que l’article 185 exigeait en outre que ces informations aient été de nature à provoquer une altération sensible du prix des instruments en question. Comme la Cour constitutionnelle l’avait indiqué dans son ordonnance no 409 du 12 novembre 1991, il était loisible au législateur de punir un comportement illégal à la fois par une sanction administrative pécuniaire et par une sanction pénale. De plus, l’article 14 de la directive 2003/6/CE (paragraphe 60 ci-après), qui invitait les États membres de l’Union européenne à appliquer des sanctions administratives à l’encontre des personnes responsables d’une manipulation du marché, contenait lui-même la mention « sans préjudice de leur droit d’imposer des sanctions pénales ».
Sur le fond, la cour d’appel observa qu’il ressortait du dossier que la renégociation de l’equity swap avait à l’époque litigieuse été examinée dans les moindres détails et que la conclusion à laquelle la CONSOB était parvenue (à savoir, que ce projet existait déjà un mois avant le 24 août 2005) était raisonnable à la lumière des faits établis et de la conduite des personnes concernées.
Quant à M. Grande Stevens, il était vrai qu’il n’était pas administrateur d’Exor s.p.a. Il n’en demeurait pas moins que l’infraction administrative punie par l’article 187 ter du décret législatif no 58 de 1998 pouvait être commise par « quiconque », donc en quelque qualité que ce soit ; or, M. Grande Stevens avait bien participé au processus décisionnel ayant amené à la publication du communiqué de presse en sa qualité d’avocat consulté par les sociétés requérantes.
D. Le pourvoi en cassation
Les requérants se pourvurent en cassation. Dans leurs troisième et quatrième moyens de leur pourvoi, ils alléguaient notamment une violation des principes du procès équitable, consacrés par l’article 111 de la Constitution, en raison notamment : de l’absence de caractère contradictoire de la phase d’instruction devant la CONSOB ; de la non-transmission aux accusés du rapport de la direction ; de l’impossibilité selon eux de déposer des mémoires et des documents et d’être entendus en personne par la commission ; du fait que le bureau IT avait continué son enquête et transmis une note complémentaire après l’échéance du délai fixé à cet effet.
Par des arrêts du 23 juin 2009, dont le texte fut déposé au greffe le 30 septembre 2009, la Cour de cassation rejeta leurs pourvois. Elle estima notamment que le principe d’un examen contradictoire de l’affaire avait été respecté dans la procédure devant la CONSOB, relevant que celle-ci avait indiqué aux intéressés la conduite qui leur était reprochée et tenu compte de leur défense respective. L’omission d’entendre les requérants et de leur transmettre les conclusions de la direction ne violait pas ce principe, les dispositions constitutionnelles en matière de procès équitable et de droit à la défense n’étant applicables qu’aux procédures judiciaires, et non à la procédure pour l’infliction de sanctions administratives.
E. Les poursuites pénales contre les requérants
Aux termes du décret législatif no 58 de 1998, la conduite en cause des requérants pouvait faire l’objet non seulement d’une sanction administrative infligée par la CONSOB, mais également des sanctions pénales prévues par l’article 185 § 1, cité au paragraphe 33 ci-dessus.
Le 7 novembre 2008, les requérants furent renvoyés en jugement devant le tribunal de Turin. Ils étaient accusés d’avoir déclaré, dans les communiqués de presse du 24 août 2005, qu’Exor souhaitait rester l’actionnaire de référence de FIAT et qu’elle n’avait ni entamé ni étudié d’initiatives concernant l’échéance du contrat de financement, alors que l’accord modifiant l’equity swap avait déjà été examiné et conclu, information qui aurait été cachée afin d’éviter une probable chute du prix des actions FIAT.
La CONSOB se constitua partie civile, comme il lui était loisible de le faire aux termes de l’article 187 undecies du décret législatif no 58 de 1998.
Après le 30 septembre 2009, date du dépôt au greffe de l’arrêt rejetant le pourvoi en cassation des requérants contre la condamnation infligée par la CONSOB (paragraphe 38 ci-dessus), les intéressés demandèrent l’abandon des poursuites pénales à leur encontre en vertu du principe ne bis in idem. En particulier, à l’audience du 7 janvier 2010, ils excipèrent de l’inconstitutionnalité des dispositions pertinentes du décret législatif no 58 de 1998 et de l’article 649 du code de procédure pénale (le « CPP » - voir le paragraphe 59 ci-après), à raison de leur incompatibilité selon eux avec l’article 4 du Protocole no 7.
Le représentant du parquet s’opposa à cette exception, alléguant que le « double procès » (administratif et pénal) était imposé par l’article 14 de la directive 2003/6/CE du 28 janvier 2003 (paragraphe 60 ci-dessus), à laquelle le législateur italien avait donné exécution en introduisant les articles 185 et 187ter du décret législatif no 58 de 1998.
Le tribunal de Turin ne se prononça pas immédiatement sur la question incidente de constitutionnalité soulevée par la défense. Il ordonna une expertise pour déterminer les fluctuations des actions FIAT entre décembre 2004 et avril 2005 et pour évaluer les effets des communiqués de presse du 24 août 2005 et des informations diffusées le 15 septembre 2005.
Par un jugement du 21 décembre 2010, dont le texte fut déposé au greffe le 18 mars 2011, le tribunal de Turin relaxa M. Marrone au motif qu’il n’avait pas contribué à la publication des communiqués de presse, et relaxa également les autres requérants au motif qu’il n’avait pas été prouvé que leur conduite eût été de nature à provoquer une altération significative du marché financier. Il observa que le fait que les communiqués de presse contenaient de fausses informations avait déjà été sanctionné par l’autorité administrative. De l’avis du tribunal, la conduite reprochée aux intéressés visait, probablement, à cacher à la CONSOB la renégociation du contrat d’equity swap, et non à faire augmenter le prix des actions FIAT.
Le tribunal déclara manifestement mal fondée la question incidente de constitutionnalité soulevée par les requérants. Il nota que la loi italienne (article 9 de la loi no 689 de 1981) interdisait un « double procès » (doppio giudizio), pénal et administratif, sur un « même fait ». Or, les articles 185 et 187 ter du décret législatif no 58 de 1998 ne punissaient pas le même fait : seule la disposition pénale (l’article 185) exigeait que la conduite ait été de nature à provoquer une altération importante de la valeur d’instruments financiers (voir Cour de cassation, sixième section, arrêt du 16 mars 2006, no 15199). En outre, l’application de la disposition pénale supposait l’existence d’un dol, alors que la disposition administrative s’appliquait en présence d’un simple comportement fautif. Par ailleurs, les poursuites pénales qui avaient suivi le prononcé de la sanction pécuniaire prévue par l’article 187 ter du décret législatif no 58 de 1998 étaient autorisées par l’article 14 de la directive 2003/6/CE.
Quant à la jurisprudence de la Cour citée par les requérants (Gradinger c. Autriche (23 octobre 1995, série A no 328-C), Sergueï Zolotoukhine c. Russie ([GC], no 14939/03, CEDH 2009-...), Maresti c. Croatie (no 55759/07, 25 juin 2009), et Ruotsalainen c. Finlande (no 13079/03, 16 juin 2009)), elle n’était pas pertinente en l’espèce, car elle se rapportait à des cas où un même fait était puni par des sanctions pénales et administratives et où ces dernières avaient un caractère punitif et pouvaient comprendre des privations de liberté ou bien (affaire Ruotsalainen) étaient d’un montant supérieur à l’amende pénale.
Le parquet se pourvut en cassation, alléguant que l’infraction reprochée aux requérants était « de danger » (reato di pericolo) et non « de préjudice » (reato di danno). Elle pouvait dès lors être constituée même en l’absence de préjudice pour les actionnaires.
Le 20 juin 2012, la Cour de cassation accueillit en partie le pourvoi du parquet et cassa la relaxe des sociétés Giovanni Agnelli et Exor, ainsi que de MM. Grande Stevens et Gabetti. Elle confirma en revanche l’acquittement de M. Marrone, dès lors que celui-ci n’avait pas pris part à la conduite incriminée.
Par un arrêt du 28 février 2013, la cour d’appel de Turin condamna MM. Gabetti et Grande Stevens pour l’infraction prévue à article 185 § 1 du décret législatif no 58 de 1998, estimant qu’il était hautement probable que, sans les fausses informations incluses dans le communiqué de presse émis le 24 août 2005, la valeur des actions FIAT se serait abaissée de manière beaucoup plus significative. Elle acquitta en revanche les sociétés Exor et Giovanni Agnelli, estimant qu’il n’y avait pas de faits délictueux pouvant leur être imputés.
La cour d’appel exclut toute apparence de violation du principe du ne bis in idem, en confirmant, pour l’essentiel, le raisonnement suivi par le tribunal de Turin.
Selon les informations fournies par le Gouvernement le 7 juin 2013, MM. Gabetti et Grande Stevens se sont pourvus en cassation contre cet arrêt, et la procédure restait pendante à cette date. Dans leurs pourvois, ces deux requérants ont invoqué la violation du principe ne bis in idem et demandé de soulever une question incidente de constitutionnalité vis-à-vis l’article 649 du CPP.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET EUROPÉENS PERTINENTS
A. Le droit interne
Le décret législatif no 58 du 24 février 1998
Comme indiqué plus haut (paragraphe 20 ci-dessus), l’article 187 ter § 1 de ce décret prévoit des amendes administratives pour les personnes responsables d’une manipulation du marché. Aux termes du paragraphe 5 de cette même disposition, lorsque leur niveau ordinaire apparaît inadéquat par rapport à la gravité de la conduite en cause, ces amendes peuvent être augmentées jusqu’à trois fois leur montant maximum ordinaire ou jusqu’à dix fois le produit ou le profit obtenu grâce au comportement illicite. La CONSOB doit indiquer les éléments et les circonstances qu’elle prend en considération pour évaluer les comportements constitutifs d’une manipulation du marché au sens de la directive 2003/6/CE (paragraphe 60 ciaprès) et de ses dispositions d’exécution.
L’article 187 quater précise que l’infliction des sanctions administratives pécuniaires susmentionnées entraîne la perte temporaire de leur honorabilité pour les représentants des sociétés impliquées. Si la société est cotée en bourse, ses représentants sont frappés d’une incapacité temporaire d’administrer, de diriger ou de contrôler des sociétés cotées. Ces sanctions accessoires ont une durée allant de deux mois à trois ans. Eu égard à la gravité de la conduite en cause et au degré de la faute commise, la CONSOB peut aussi interdire aux sociétés cotées, aux sociétés de gestion et aux sociétés de révision de se prévaloir de la collaboration de l’auteur de l’infraction, pour une durée maximale de trois ans. Elle peut également demander aux ordres professionnels la suspension temporaire de l’intéressé de l’exercice de son activité professionnelle.
Selon l’article 187 quinquies, lorsque des infractions commises dans son intérêt et à son avantage par les administrateurs, directeurs ou managers d’une société commerciale ont valu à ceux-ci une sanction administrative, la société en question est tenue de payer une somme d’un montant identique à la sanction infligée auxdites personnes. Si ces infractions ont engendré un produit ou un profit important, la sanction appliquée à la société est augmentée jusqu’à totaliser dix fois ce produit ou ce profit. Toutefois, la responsabilité de la société est exclue si elle prouve que ses administrateurs, directeurs ou managers ont agi exclusivement dans leur propre intérêt ou pour favoriser des tiers.
Selon l’article 187 sexies, l’application des sanctions administratives pécuniaires en question entraîne toujours la confiscation du produit ou du profit de la conduite illicite et des biens au moyen desquels elle a été possible. Aux termes de l’article 187 septies, la délibération appliquant les sanctions est publiée par extraits dans le bulletin de la CONSOB, qui peut ordonner, aux frais de l’auteur de l’infraction, des formes supplémentaires de publicité.
L’article 187 septies décrit la procédure d’application des sanctions par la CONSOB. Notamment, la conduite reprochée doit être notifiée aux intéressés dans un délai de 180 jours à partir de sa découverte, les intéressés peuvent demander à être entendus et la procédure doit s’inspirer des principes d’un examen contradictoire, de la connaissance des actes d’instruction, de l’oralité ainsi que de la distinction entre fonctions d’instruction et fonctions de décision (distinzione tra funzioni istruttorie e funzioni decisorie).
Aux termes de l’article 3 du décret législatif no 58 de 1998, la CONSOB est autorisée à fixer les délais et les procédures pour l’adoption des actes qui relèvent de sa compétence.
Le CPP
L’article 649 du CPP se lit ainsi :
« 1. Tout prévenu ayant été acquitté ou condamné par un jugement ou une ordonnance pénale devenus définitifs ne peut être à nouveau soumis à une procédure pénale pour le même fait, même appréhendé différemment quant à sa qualification juridique, son degré ou ses circonstances (...).
Lorsqu’une nouvelle procédure pénale est ouverte en dépit [de cette interdiction], le juge, en tout état et à tout stade du procès, prononce un jugement d’acquittement ou un non-lieu, en en indiquant la cause dans le dispositif. »
B. Le droit et la pratique européens
L’article 14 de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché – Journal officiel no L 096 du 12/04/2003 p. 0016–0025) dispose :
« 1. Sans préjudice de leur droit d’imposer des sanctions pénales, les États membres veillent à ce que, conformément à leur législation nationale, des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de la présente directive. Les États membres garantissent que ces mesures sont effectives, proportionnées et dissuasives.
La Commission établit, pour information, conformément à la procédure visée à l’article 17, paragraphe 2, une liste des mesures et sanctions administratives visées au paragraphe 1.
Les États membres déterminent les sanctions applicables en cas de défaut de coopération dans le cadre d’une enquête relevant de l’article 12.
Les États membres prévoient que l’autorité compétente concernée peut rendre publiques les mesures ou sanctions qui seront appliquées pour non-respect des dispositions adoptées en application de la présente directive, excepté dans les cas où leur publication perturberait gravement les marchés financiers ou causerait un préjudice disproportionné aux parties en cause. »
Dans l’affaire Spector Photo Group NV et Chris Van Raemdonck c/ Commissie voor het Bank-, Financie- en Assurantiewezen (CBFA) (affaire C-45/08) du 23 décembre 2009, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est exprimée comme suit :
« 40. Il convient, à cet égard, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect (arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C402/05 P et C415/05 P, Rec. p. I6351, point 283).
Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le respect des droits de l’homme constitue une condition de la légalité des actes communautaires et que ne sauraient être admises dans la Communauté des mesures incompatibles avec le respect de ceux-ci (arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, précité, point 284).
Certes, l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6 n’impose pas aux États membres de prévoir des sanctions pénales à l’encontre des auteurs d’opérations d’initiés mais se limite à énoncer que ces États sont tenus de veiller à ce que « des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de [cette] directive », les États membres étant, en outre, tenus de garantir que ces mesures sont « effectives, proportionnées et dissuasives ». Néanmoins, eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’au degré de sévérité des sanctions qu’elles sont susceptibles d’entraîner, de telles sanctions peuvent être, aux fins de l’application de la CEDH, qualifiées de sanctions pénales (voir, par analogie, arrêt du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C199/92 P, Rec. p. I-4287, point 150, ainsi que Cour eur. D. H., arrêts Engel et autres c. PaysBas du 8 juin 1976, série A no 22, § 82, Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A no 73, § 53, et Lutz c. Allemagne du 25 août 1987, série A no 123, § 54).
Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit et la CEDH n’y met évidemment pas obstacle en principe, mais, en matière pénale, elle oblige les États contractants à ne pas dépasser à cet égard un certain seuil. Ainsi, le principe de la présomption d’innocence, consacré à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, ne se désintéresse pas des présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les lois répressives. Il commande aux États de les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense (voir Cour eur. D. H., arrêts Salabiaku c. France du 7 octobre 1988, série A no 141-A, § 28, et Pham Hoang c. France du 25 septembre 1992, série A no 243, § 33).
Il convient de considérer que le principe de la présomption d’innocence ne s’oppose pas à la présomption prévue à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6, par laquelle l’intention de l’auteur d’une opération d’initié se déduit implicitement des éléments matériels constitutifs de cette infraction, dès lors que cette présomption est réfragable et que les droits de la défense sont assurés.
L’instauration d’un régime efficace et uniforme de prévention et de sanction des opérations d’initiés dans le but légitime de protéger l’intégrité des marchés financiers a ainsi pu conduire le législateur communautaire à retenir une définition objective des éléments constitutifs d’une opération d’initié interdite. Le fait que l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/6 ne prévoit pas expressément d’élément moral ne signifie pas pour autant qu’il faille interpréter cette disposition de telle sorte que tout initié primaire en possession d’une information privilégiée qui effectue une opération de marché tombe automatiquement sous le coup de la prohibition des opérations d’initiés. »
Pour un plus ample panorama du droit de l’Union européenne dans le domaine boursier, voir également Soros c. France, no 50425/06, §§ 3841, 6 octobre 2011. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1968 et réside à Sofia.
Le 13 mai 2007, vers 19 heures 30, le requérant et un de ses amis, Z .N., également ressortissant soudanais, furent impliqués dans une bagarre avec deux jeunes bulgares, devant le centre commercial des Halles dans le centre de Sofia. Les deux jeunes bulgares, M.V. et R.G., s’enfuirent avant l’intervention de la police mais ils furent arrêtés et placés en garde à vue pour trouble à l’ordre public (хулиганство). Le rapport établi par les policiers décrit les deux jeunes bulgares comme des skinheads et indique qu’ils étaient connus des services de police pour diverses infractions : trouble à l’ordre public, vols, cambriolages et trafic de stupéfiants.
Une enquête préliminaire fut ouverte par la police. Le requérant et son ami, les deux jeunes bulgares ainsi qu’un témoin furent interrogés. Selon la déposition du requérant, lui et Z.N. sortaient du centre commercial lorsqu’ils avaient été agressés par les deux jeunes hommes. Le premier, qui avait le crâne rasé, avait poussé le requérant à terre et lui avait donné des coups. Le requérant s’était ensuite relevé et avait également porté des coups. Les deux bulgares les avaient insultés en les traitant de « nègres » (негри) et avaient notamment crié : « Sales nègres, qu’est-ce que vous faites ici ? ». Le deuxième bulgare, qui avait des cheveux longs, avait sorti un couteau et menacé Z.N. Le requérant et Z.N. s’étaient enfuis et avaient croisé une patrouille de police, qui s’était mise à la recherche des deux bulgares et était parvenue à les arrêter quelques minutes plus tard. Les déclarations de Z.N. corroborèrent dans l’ensemble celles du requérant.
Selon la déposition de M.V., la bagarre avait éclatée parce que l’un des soudanais lui avait donné un coup d’épaule lorsqu’ils s’étaient croisés à l’entrée du centre commercial. Il déclara qu’il n’avait pas fait attention à ce que faisait son ami R.G. La bagarre avait cessé à un moment et lui et son ami s’étaient enfuis lorsque quelqu’un les avait avertis que la police arrivait.
R.G. confirma que l’un des soudanais avait poussé son ami M.V. en passant et que c’est alors que la bagarre avait commencé. Des coups avaient été échangés de part et d’autre et M.V. avait le visage ensanglanté. À un moment, R.G. avait sorti son couteau, ce qui avait mis un terme à la bagarre, et les deux groupes s’étaient alors séparés. M.V. et R.G avaient été arrêtés par la police quelques minutes plus tard.
Le témoin de la scène déclara avoir vu l’un des bulgares, celui avec le crâne rasé, faire un croche-pied à l’un des soudanais, qui l’avait frappé en retour. Une bagarre avait ensuite éclaté entre les quatre protagonistes.
Le requérant fut examiné par un médecin légiste le 15 mai 2007. Selon le certificat médical établi à cette occasion, il présentait une enflure à la base du nez, une abrasion de la peau de l’aile gauche du nez d’environ un centimètre, couverte d’une croute, un gonflement d’un doigt de la main droite et du genou droit. D’après le certificat médical, les lésions constatées avaient causé de la douleur physique. Elles résultaient de l’impact d’objets contondants et avaient pu se produire de la manière décrite par l’intéressé, à savoir au cours d’une bagarre.
À la fin de l’enquête, la police transmit les éléments rassemblés au procureur afin qu’il décide s’il y avait lieu d’ouvrir des poursuites pénales pour violences motivées par des considérations de race, en application de l’article 162, alinéa 2, du code pénal.
Par une ordonnance du 15 juin 2007, le procureur de district refusa l’ouverture de poursuites pénales. Il considéra que si une bagarre avait effectivement eu lieu entre les quatre hommes, il n’était pas établi que M.V. et R.G. avaient agi pour des motifs liés à l’origine raciale du requérant et de Z.N. Les causes de l’altercation n’étaient pas claires et les trois versions des faits – celle présentée par le requérant et Z.N., celle de M.V. et de R.G et celle du témoin – étaient contradictoires sur la question de savoir qui et comment avait déclenché la bagarre. Si les deux soudanais affirmaient qu’ils avaient été traités de « sales nègres », le fait que précisément leur origine raciale avait motivé les violences n’était corroboré par aucun autre élément du dossier. Le témoin de la scène, en particulier, n’avait pas indiqué avoir entendu que des répliques avaient été échangées. Le procureur conclut qu’en l’absence de preuve de la motivation spécifique prévue par la loi, l’infraction n’était pas constituée.
Le requérant saisit le procureur supérieur d’un recours contre l’ordonnance de non-lieu. Il y soutenait que l’enquête n’était pas complète et que les enquêteurs auraient dû interroger M.V. et R.G. sur leur motivation et sur les raisons pour lesquelles ils portaient des habits noirs, des chaussures militaires de type « rangers » et même des insignes nazis, le requérant se souvenant avoir vu un tel insigne sur le tee-shirt de l’un d’entre eux. Selon le requérant, les policiers présents auraient également dû être interrogés sur la tenue de M.V. et R.G. au moment de leur arrestation. De même, le témoin aurait dû être expressément questionné sur la question de savoir s’il avait entendu les propos échangés entre les protagonistes, ce qui n’avait pas été le cas.
Le 15 octobre 2007, le parquet de la ville de Sofia confirma la décision du parquet de district. Le procureur considéra qu’il n’y avait aucun élément indiquant que la violence exercée l’avait été en raison de l’origine raciale du requérant, le seul fait que celui-ci était noir n’étant pas suffisant pour que l’infraction soit constituée.
Par un courrier du 29 juillet 2008, l’avocate du requérant demanda à recevoir copie du dossier pénal, sans mentionner le motif de sa demande. Le 6 août 2008, le procureur de district refusa de fournir les copies demandées au motif que l’avocate s’était déjà vu notifier les décisions du parquet et qu’à la suite du rejet de son recours, le dossier était désormais clos.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le code pénal
L’article 162 du code pénal réprime l’incitation à l’hostilité, à la haine et à la violence fondées, entre autres, sur la race, ainsi que la propagation de celles-ci. Il disposait, au moment des faits de l’espèce :
« 1. [Quiconque] incite à l’hostilité ou à la haine (...) raciale ou à la discrimination raciale, ou propage celles-ci est passible d’une peine de trois ans d’emprisonnement et d’un blâme public.
[Quiconque] [a recours] à la violence contre autrui ou endommage [les] biens [d’autrui] en raison de [sa] (...) race (...) est passible d’une peine de trois ans d’emprisonnement et d’un blâme public. »
Cette disposition a été modifiée en 2009 et en 2011 pour prévoir des peines plus sévères.
Par ailleurs, le code pénal érige en infraction le fait de causer à autrui un dommage corporel léger, moyennement grave ou grave (articles 128 à 130 du code). Le fait de causer de la douleur et de la souffrance sans que cela entraîne une détérioration de la santé constitue un dommage corporel léger, passible de six mois d’emprisonnement (article 130, alinéa 2 du code pénal). Cette infraction n’est en principe pas poursuivie par la voie de l’action publique mais seulement par la victime elle-même, par voie de citation directe (по тъжба на пострадалия). Dans ce cas, la victime doit saisir le tribunal dans un délai de six mois après avoir eu connaissance de l’infraction ou après avoir été informée que la procédure pénale a été terminée au motif que l’infraction est passible de poursuites par voie de citation directe (article 81, alinéa 3 du code de procédure pénale).
B. La loi sur la protection contre la discrimination
La loi sur la protection contre la discrimination, entrée en vigueur le 1er janvier 2004, prohibe toute discrimination directe ou indirecte fondée, notamment, sur la race, et vise à instaurer un mécanisme offrant une protection effective contre la discrimination. Toute personne qui se considère victime d’une telle discrimination peut engager une procédure devant la Commission pour la protection contre la discrimination, juridiction spécialisée créée par cette loi, ou une action en réparation devant les juridictions civiles ou administratives.
La Commission pour la protection contre la discrimination peut constater s’il y a eu ou non traitement discriminatoire, imposer une amende et ordonner des mesures pour mettre fin à ce traitement (article 65 de la loi). Le tribunal peut être saisi directement ou après une décision de la commission. Il est compétent pour constater s’il y a eu un traitement discriminatoire et, le cas échéant, accorder une compensation pour le préjudice causé. Lorsque des dommages sont causés en raison d’un acte illégal, de l’action ou l’inaction d’organes d’autorités publiques, l’action en réparation doit être engagée en vertu de la loi sur la responsabilité de l’État (article 74). L’article 9 de la loi prévoit un renversement de la charge de la preuve dans les affaires de discrimination. D’après cette disposition, lorsque le demandeur prouve des faits permettant de conclure à l’existence d’un traitement discriminatoire, il incombe au défendeur d’établir qu’il n’y a pas eu violation du droit à l’égalité de traitement.
C. La loi sur la responsabilité de l’État
L’article 2 de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage prévoit, dans sa rédaction à l’époque pertinente, que l’État est responsable du préjudice causé par les services de l’instruction et du parquet du fait, notamment :
« 1. d’une détention, notamment la détention provisoire, lorsque celle-ci a été annulée pour absence de fondement légal ;
d’une accusation en matière pénale, lorsque l’intéressé est ensuite relaxé ou que les poursuites sont clôturées au motif qu’il n’est pas l’auteur des faits, que les faits ne sont pas constitutifs d’une infraction, ou si la procédure pénale a été engagée après l’extinction de l’action publique en raison de la prescription ou d’une amnistie ; »
III. AUTRES SOURCES NATIONALES ET INTERNATIONALES PERTINENTES
A. La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
Cette Convention, ratifiée par la Bulgarie en 1966 et entrée en vigueur le 4 janvier 1969, dispose notamment :
Article 4
« Les États parties condamnent toute propagande et toutes organisations qui s’inspirent d’idées ou de théories fondées sur la supériorité d’une race ou d’un groupe de personnes d’une certaine couleur ou d’une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales ; ils s’engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à une telle discrimination, ou tous actes de discrimination, et, à cette fin (...) ils s’engagent notamment :
a) À déclarer délits punissables par la loi (...) tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique (...) ; »
Article 6
« Les États parties assureront à toute personne soumise à leur juridiction une protection et une voie de recours effectives, devant les tribunaux nationaux et autres organismes d’État compétents, contre tous actes de discrimination raciale qui, contrairement à la présente Convention, violeraient ses droits individuels et ses libertés fondamentales, ainsi que le droit de demander à ces tribunaux satisfaction ou réparation juste et adéquate pour tout dommage dont elle pourrait être victime par suite d’une telle discrimination. »
B. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
Selon les termes de cette Convention, ratifiée par la Bulgarie le 16 décembre 1986, les États partie s’engagent à interdire les actes de torture et ceux qui, sans atteindre le degré de sévérité pour être qualifié de torture, sont constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (articles 1 et 16 de la convention). Lorsque de tels actes ont été perpétrés, les autorités des États ont l’obligation de mener une enquête impartiale et les victimes ont le droit à un accès à la justice et à l’obtention d’une réparation (articles 10-14). L’article 1 de la convention définit la torture comme « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou tout autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. »
C. Les observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD)
Dans ses observations finales, adoptées le 23 mars 2009 à la suite de l’examen des rapports présentés par les autorités bulgares (CERD/C/BGR/CO/19), le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU a exprimé les constats et recommandations suivants concernant la Bulgarie :
« 17. Le Comité constate que les dispositions pénales relatives aux actes de racisme font encore l’objet de peu d’applications.
Le Comité souhaite disposer de la part de l’État partie de statistiques judiciaires précises concernant les plaintes, les poursuites et les jugements rendus pour des actes de racisme, mais aussi les types de délits racistes, les victimes de tels délits et les tendances récentes en la matière.
Le Comité se déclare préoccupé par les informations faisant état de la propagation de stéréotypes racistes et de propos haineux contre des personnes appartenant à des minorités par certaines organisations, certains organes de presse, certains médias et certains partis politiques, notamment le parti « ATAKA ». Il se déclare également préoccupé par des actes haineux et racistes commis contre les personnes appartenant à des minorités, notamment par des groupes néonazis/skinheads.
Le Comité recommande à l’État partie de prendre des mesures effectives afin de sanctionner les organisations, les organes de presse, les médias et les partis politiques qui se rendent coupables de tels agissements. Il recommande également à l’État partie de prendre des mesures visant à promouvoir la tolérance entre groupes ethniques (arts. 4 et 6). »
D. Le rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI)
Dans son quatrième rapport sur la Bulgarie, publié le 24 février 2009 (CRI(2009)2), la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe a exprimé sa préoccupation concernant l’absence de poursuites contre des crimes racistes :
« 111. Les autorités bulgares ont informé l’ECRI qu’elles n’ont pas reçu de plaintes contre des actes racistes. Elles ont expliqué qu’un registre des plaintes et condamnations où figure le nom des personnes ayant commis des actes de hooliganisme est tenu, et que ces actes ne sont pas passibles de poursuites judiciaires. Les autorités ont informé l’ECRI que dans aucun des actes de hooliganisme sanctionnés, le mobile raciste n’a été retenu. Cependant, l’ECRI note avec inquiétude l’existence de rapports selon lesquels des agressions racistes ont lieu à l’encontre de minorités visibles, telles que les Roms et les Noirs, mais que les plaintes déposées sont peu suivies d’effet. Ces agressions sont parfois le fait de groupes de skinheads et elles ont lieu, par exemple dans des lieux publics ou lors de matchs de football. (...)
112. L’ECRI souhaite attirer l’attention des autorités bulgares sur l’importance d’examiner toute plainte reçue au sujet de crimes à caractère raciste et de mener des enquêtes en la matière afin que des poursuites soient engagées lorsqu’il y a eu violation de la loi. (...) L’ECRI note des informations selon lesquelles le fait que les personnes qui commettent des crimes racistes soient rarement portées devant la justice crée un sentiment d’insécurité et un manque de confiance en la volonté et la capacité des autorités de combattre ce genre d’actes. »
E. La déclaration publique de l’Ombudsman de la république de Bulgarie
Dans une déclaration publiée le 6 novembre 2013, l’Ombudsman de la république s’est exprimé dans les termes suivants :
« En tant qu’Ombudsman de la république de Bulgarie, j’aimerais exprimer une grande inquiétude face aux manifestations de plus en plus fréquentes de violence motivées par de la haine raciale, ethnique ou religieuse. Je condamne catégoriquement toute idéologie, politique ou langage incitant à la haine raciale, à la violence ou à la discrimination, ainsi que tout acte susceptible d’accroître la peur et les tensions parmi les différents groupes raciaux, ethniques, nationaux, religieux ou sociaux et rendre le dialogue civilisé et l’entente entre eux impossibles.
Ces derniers jours, plusieurs évènements violents furent portés à l’attention de la société. Ces évènements donnèrent l’occasion au racisme, à la xénophobie et aux préjugés envers ceux qui sont différents de ressurgir et créèrent un climat d’intolérance, de nouvelles divisions et discordes au sein de la société. Pour cette raison, je tiens à rappeler la définition du « discours de haine », établie dans la Recommandation no R (97) 20 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe envers les États membres. Selon ce texte, le discours de haine inclut toute forme d’expression pouvant accréditer, propager ou promouvoir la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de discrimination ou de haine basées sur l’intolérance (...).
J’attire encore une fois l’attention des autorités compétentes, chargées d’enquêter sur les expressions de xénophobie et de racisme, sur la nécessité de faire preuve d’une diligence particulière. Il convient de ne pas automatiquement réduire de tels actes à des infractions commises « pour des motifs de trouble à l’ordre public » comme cela a souvent été le cas, mais d’identifier et d’enquêter sur les possibles « délits de haine ». (...) » | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est une société anonyme pharmaceutique, ayant son siège social à Pikermi, à Athènes. Elle fut créée en 1991 par G. Hadjioannou, qui transforma la même année son entreprise en société anonyme.
A. La genèse de l’affaire
Par un contrat du 28 février 1986, la banque ETVA, appartenant à l’état, vendit à G. Hadjioannou un terrain avec une usine pharmaceutique et tout l’équipement y relatif, situé au lieu-dit « Papahorafi » à Pallíni, pour un prix total de 43 500 000 drachmes. G. Hadjioannou versa à la banque un acompte de 12 000 000 drachmes, et il fut convenu que le restant serait considéré comme un prêt bancaire qui serait remboursé progressivement. Le terrain et l’usine furent grevés d’une hypothèque au profit de la banque.
G. Hadjioannou se trouva dans l’impossibilité de respecter les termes du contrat conclu avec la banque et de s’acquitter des versements échelonnés convenus. Par un acte sous seing privé conclu devant notaire le 20 décembre 1990, la banque et G. Hadjioannou conclurent un nouveau contrat réglant les modalités de remboursement du prêt. N’ayant pas non plus, par la suite, respecté les clauses de ce nouveau contrat, G. Hadjioannou fut obligé par la banque d’en signer un troisième, le 29 octobre 1991.
De 1991 à 1993, G. Hadjioannou, qui avait entre-temps transformé son entreprise en société anonyme (la requérante), remboursa à la banque des sommes considérables. Toutefois, en 1993, ETVA exerça des pressions sur la requérante pour qu’elle règle la totalité de ses dettes envers elle, sous peine de mise en œuvre d’une procédure d’exécution forcée. Le 17 juin 1993, deux nouveaux contrats furent conclus avec la banque concernant les modalités du règlement de la dette. G. Hadjioannou décéda le 26 octobre 1995.
En 1998, la requérante fut informée par la banque que ses dettes s’élevaient à 158 386 858 drachmes. Ayant des doutes quant à la légalité de ces prétentions, la requérante décida de suspendre les versements et de procéder à un contrôle de ses comptes. Elle se rendit compte que, d’une part, la banque appliquait un taux d’intérêt de loin supérieur au taux légal et que, d’autre part, elle pratiquait abusivement l’anatocisme – c’est-à-dire, la capitalisation des intérêts échus.
B. La première procédure
Le 16 avril 1999, la requérante saisit le tribunal de première instance d’Athènes d’une action tendant à faire déclarer que les prétentions d’ETVA étaient satisfaites et que les hypothèques devaient être purgées.
Par la suite, toutefois, le tribunal de première instance ajourna d’office l’affaire pour cause de litispendance, dans l’attente de la décision de la cour d’appel, saisie par la requérante le 29 mai 2001 (paragraphe 15 ci-dessous).
En effet, les 24 juin et 18 octobre 1999, la requérante avait introduit devant le tribunal de grande instance d’Athènes deux oppositions (anakopi). Par la première, elle demandait l’annulation d’une traite au profit de l’ETVA d’un montant de 171 118 858 drachmes (502 183 euros) et de la saisie d’un bien lui appartenant. Par la deuxième, elle demandait l’annulation de la vente aux enchères projetée de ce bien. Elle soulignait à cet égard que toutes ses dettes envers la banque étaient éteintes à la suite des remboursements effectués par elle aux dates qui étaient précisées.
L’audience concernant la première opposition fut fixée au 23 mai 2000, mais elle fut reportée au 31 octobre 2000 afin de pouvoir être examinée en même temps que la deuxième opposition, dont l’audience avait été fixée à cette date.
Par un jugement du 22 mars 2001, le tribunal débouta la requérante. Il jugea que les actions devaient être déclarées irrecevables comme tardives, vagues ou dépourvues de fondement.
Le 29 mai 2001, la requérante interjeta appel contre ce jugement. L’audience eut lieu le 15 novembre 2001.
Par un arrêt avant dire droit du 17 janvier 2002, la cour d’appel ordonna la réalisation d’une expertise dans le but de vérifier la dette exacte de la requérante envers la banque. Le rapport d’expertise devait être déposé dans un délai de soixante jours à compter du serment de l’expert. Le 12 décembre 2002, le juge rapporteur de la cour d’appel accueillit une demande de la requérante tendant au remplacement de l’expert. Le rapport d’expertise fut finalement déposé le 27 mai 2005.
L’audience fut fixée au 9 mars 2006, à la demande de la banque.
Dans ses observations présentées à l’occasion de cette deuxième audience devant la cour d’appel, la requérante soutint que l’inexistence de toute dette à l’égard de la Banque du Pirée (qui avait entre-temps absorbé l’ETVA) résultait non seulement des dispositions mentionnées dans l’acte d’appel (article 30 de la loi no 2789/2000, tel que modifié par les articles 47 de la loi no 2873/2000 et 42 de la loi no 2912/2001), mais aussi de celles de la loi no 3259/2004, entrée en vigueur le 4 août 2004. En particulier, l’article 39 de cette loi établissait un plafond pour les dettes échues envers les établissements bancaires qui avaient consenti des prêts avant son entrée en vigueur : les dettes étaient considérées comme éteintes si elles dépassaient le triple du capital emprunté.
Par un arrêt du 17 août 2006, la cour d’appel débouta la requérante. Elle releva que la dette de la requérante envers la banque était dix-huit fois inférieure à la somme pour laquelle les actes d’exécution forcée attaqués lui avaient été imposés ; que la créance de la banque ne dépassait pas le triple de la somme qui avait été créditée à la requérante ; et que cette créance ne dépassait pas non plus le triple du montant des dettes réglées en 1990. La cour d’appel considéra que, même si les dispositions précitées étaient susceptibles de s’appliquer dans ce type d’affaire, les conditions de leur application ne se trouvaient pas réunies dans les circonstances de l’espèce.
La cour d’appel releva, plus précisément, que les dispositions en cause prévoyaient que toute dette résultant d’un contrat de prêt ou de crédit conclu avec un établissement bancaire, et arrivée à échéance au plus tard le 31 décembre 2000, pour des contrats établis entre le 31 décembre 1985 et le 31 décembre 1990, ne pouvait pas dépasser le triple du montant auquel s’élevait la dette un an après le dernier versement du débiteur. En l’espèce, la créance de la banque à l’encontre de la requérante, échue à la notification du commandement de payer du 5 février 1999, ne dépassait pas le triple de la somme créditée à la requérante et dont le remboursement devait être effectué par des mensualités (comme cela avait été convenu en 1986), ni le triple de la somme des dettes réglées en 1990. De plus, certaines autres dettes de la requérante, qui avaient fait l’objet d’une transaction en 1993, avaient été acquittées avant le 28 avril 1998.
Le 11 décembre 2006, la requérante se pourvut en cassation. Elle soutenait notamment que l’invocation des articles 30 de la loi no 2789/2000, 47 de la loi no 2873/2000, 42 de la loi no 2912/2001 et 39 de la loi no 3259/2004 ne constituait pas un nouveau moyen d’opposition, distinct de celui contenu dans les oppositions initiales, mais une présentation du même moyen sur un fondement législatif plus récent.
Le 15 mai 2007, la requérante demanda la fixation d’une date d’audience. L’audience eut lieu le 13 octobre 2008.
Par un arrêt du 8 décembre 2008 (mis au net le 26 janvier 2009 et certifié conforme le 12 février 2009), la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle releva ce qui suit :
« (...) L’invocation par le débiteur de dispositions devant entraîner [selon lui] une nouvelle détermination de sa dette crée une contestation quant au montant de celle-ci, en ce sens que la prétention est considérée comme partiellement ou totalement éteinte pour autant qu’elle porte sur cette nouvelle détermination. (...) Pareille allégation peut constituer un motif d’opposition du débiteur contre [d’éventuels] actes ultérieurs d’exécution forcée. Toutefois, pour qu’un tel motif [d’opposition] soit recevable, il doit, en vertu de l’article 585 § 2 du code de procédure civile, être soulevé dans l’acte introductif de l’instance d’opposition ou dans un mémoire complémentaire [à celui-ci], même s’il est apparu à un stade ultérieur ; [s’il n’est invoqué qu’au stade de] l’appel, il doit être rejeté comme irrecevable.
En l’occurrence, [la requérante] (...) demande la cassation de l’arrêt attaqué de la cour d’appel, [au motif que] (...) lors de la deuxième audience devant celle-ci, elle avait soutenu que la vente forcée devait être annulée en application de l’article 39 de la loi no 3259/2004. Or, la cour d’appel a pourtant rejeté ce moyen et par là même violé cette disposition, directement, mais aussi indirectement en ne justifiant pas suffisamment [sa position sur la question de savoir] si les conditions d’application de cet article se trouvaient réunies.
En l’espèce, les allégations de la requérante relèvent du paragraphe 14 de l’article 559 du code de procédure civile (et non des paragraphes 1 et 19 comme le prétend la requérante) et sont irrecevables, car (...) l’allégation concernant l’annulation de la procédure de vente forcée était [elle-même] irrecevable pour n’avoir été présentée pour la première fois que lors de la deuxième audience devant la cour d’appel. Le pourvoi doit donc être rejeté. »
C. La deuxième procédure
À la suite de l’arrêt de la Cour de cassation, la requérante introduisit devant le tribunal de grande instance d’Athènes, le 29 avril 2009, une action déclaratoire tendant à faire reconnaître que toutes les prétentions de la Banque du Pirée étaient satisfaites et à faire ordonner l’effacement de toutes les hypothèques grevant ses biens.
Toutefois, comme la requérante s’était rendu compte que son action était entachée d’une erreur de forme, elle la réintroduisit le 11 juin 2009. L’audience fut initialement fixée au 17 mars 2011. A cette date, elle fut reportée à la demande de la Banque du Pirée, au 16 décembre 2013.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le code de procédure civile
Les articles pertinents du code de procédure civile disposent :
Article 12 § 2
« Aucune prétention ne peut être soumise directement devant une juridiction de deuxième instance, sauf si la loi en dispose autrement. »
Article 222
« En cas de litispendance et pendant toute la durée de celle-ci, aucune nouvelle procédure ne peut avoir lieu devant quelque tribunal que ce soit entre les mêmes parties relativement au même litige (...). »
Article 269
« 1. Les arguments à charge et à décharge doivent, sous peine d’irrecevabilité, figurer dans les observations écrites. (...)
Jusqu’à l’audience, des arguments à charge et à décharge peuvent [toutefois] être valablement invoqués, oralement ou par écrit :
(...)
b) s’ils ont pris naissance postérieurement [au dépôt des observations écrites] ;
(...)
Article 527
« Les allégations factuelles qui n’ont pas été soulevées en première instance et qui sont soulevées pour la première fois en appel sont irrecevables sauf si (...) ; 2) elles ont pris naissance après la dernière audience devant la juridiction de première instance ; 3) les conditions de l’article 269 sont réunies. (...) »
Article 535 § 1
« Si le moyen d’appel est jugé bien-fondé, la décision attaquée est infirmée et la juridiction de deuxième degré juge l’affaire sur le fond. »
Article 559
« Le pourvoi en cassation est permis seulement [dans les cas suivants] :
1) si règle du droit matériel a été violée (...) ;
(...)
14) si, en prononçant une annulation (...) ou une irrecevabilité (...) ou en s’abstenant de le faire, le tribunal a méconnu les dispositions de la loi ;
(...)
19) si l’arrêt est dépourvu de base légale, et notamment s’il est dépourvu de motivation ou comporte des motifs contradictoires (...) »
Article 585
Les dispositions relatives à l’exercice d’une action, à son introduction et à l’audience s’appliquent aussi en matière d’opposition.
L’acte d’opposition doit contenir (...) les motifs sur lesquels elle se fonde. Des motifs supplémentaires ne peuvent y être ajoutés que par un document spécial, déposé au greffe du tribunal appelé à connaître de l’opposition, et accompagné d’un mémoire qui sera notifié à la partie adverse trente jours avant l’audience, ou, pour les procédures spéciales, huit jours avant l’audience. »
Selon la jurisprudence des tribunaux grecs, l’article 585 § 2 fait obstacle à l’ajout de moyens nouveaux après l’acte d’opposition initial. Ceci vaut même dans le cas où les moyens nouveaux ont pris naissance à un stade ultérieur et ne pouvaient donc pas être soulevés plus tôt. L’article 585 § 2, qui fixe le contenu de l’acte d’opposition et les modalités de présentation de nouveaux moyens, est considéré comme une disposition spéciale qui prévaut sur les dispositions générales des articles 269 et 527 du code de procédure civile (arrêts 2096/2009,1584/2005, 912/2002, 72/2000, 1243/1999, 1914/1999 et 309/1999 de la Cour de cassation).
Il ressort des articles 585 § 2 et 12 § 2 du code de procédure civile qu’aucun moyen complémentaire d’opposition ne peut être valablement soulevé devant la cour d’appel s’il ne l’a d’abord été par le biais d’observations complémentaires devant le tribunal de première instance ; et cela même si la cour d’appel, après avoir infirmé la décision de première instance, examine le fond de l’opposition. L’article 585 § 2 constitue une disposition spéciale excluant l’application de l’article 527 du code de procédure civile (arrêt 892/1990 de la Cour de cassation), et fait obstacle à ce que de nouveaux motifs d’opposition soient ajoutés autrement que « par un document spécial, déposé au greffe du tribunal appelé à connaître de l’opposition ». L’introduction de nouveaux moyens d’opposition directement devant la cour d’appel n’est pas prévue par l’article 12 § 2 du code de procédure civile (arrêt 659/2005 de la Cour de cassation).
B. Dispositions relatives au réajustement des créances des établissements de crédit
L’article 39 de la loi no 3259/2004, entré en vigueur le 4 août 2004, dispose :
« 1. La dette globale échue issue des contrats de prêt ou de crédit de tout type (...) conclus avec des établissements de crédit avant l’entrée en vigueur de la présente loi ne peut dépasser le triple des fonds perçus lors de chaque prêt ou crédit ou l’addition des fonds perçus lors de plusieurs prêts ou crédits (...).
Les établissements de crédit sont tenus de réajuster le montant de leurs créances conformément aux dispositions du paragraphe précédent. Jusqu’au 31 décembre 2004, ou lorsqu’une demande de règlement amiable est pendante, ou que le débiteur est à jour avec ses remboursements, les établissements de crédit doivent s’abstenir d’engager des procédures d’exécution forcée pour recouvrer leurs créances ou de poursuivre de telles procédures si celles-ci avaient déjà été engagées (...) » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1985 et réside actuellement en Norvège.
A. L’arrestation et la détention du requérant en vue de son expulsion
Le 17 octobre 2010, le requérant, qui déclare avoir fui l’Iran car il y aurait été arrêté et détenu pour avoir participé à des manifestations contre le régime, arriva en Grèce où il fut appréhendé par les autorités de police. Il ne disposait pas de documents de voyage.
Il affirme que, lors de son arrestation, il a demandé à déposer une demande d’asile mais que celle-ci n’a pas été enregistrée par les autorités.
Par une décision du 19 octobre 2010, le directeur de la direction de la police d’Alexandroupoli, estimant que le requérant risquait de fuir, ordonna sa détention provisoire pendant trois jours jusqu’à l’émission d’une décision d’expulsion à son encontre. Cette décision, qui précisait que le requérant pouvait formuler des objections contre elle dans un délai de 48 heures, lui fut signifiée le même jour. Il ressort du récépissé de la signification de la décision, signé par le requérant lui-même, que celle-ci lui a été traduite en anglais par un interprète dont la signature figure également sur le récépissé.
Le requérant fut détenu au poste-frontière de Soufli.
Le 22 octobre 2010, le même directeur ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention pour une période ne pouvant dépasser six mois. La décision précisait que le requérant risquait de fuir. Elle indiquait aussi que le requérant avait été informé dans une langue qu’il comprenait – à savoir l’anglais – des motifs de sa détention et de ses droits, notamment de la possibilité d’exercer un recours hiérarchique devant le directeur de la direction de la police de la région de la Macédoine de l’Est et de Thrace dans un délai de cinq jours. Il ressort du récépissé de la signification de la décision, signé par le requérant lui-même, que celle-ci lui a été traduite par un interprète dont la signature figure également sur le récépissé.
Le 29 octobre 2010, la direction de la police d’Alexandroupoli demanda à la direction de la police hellénique de prendre les mesures nécessaires afin que le requérant soit livré aux autorités turques dans le cadre du Protocole de réadmission signé entre la Grèce et la Turquie. La direction de la police hellénique accueillit cette demande.
Le 29 novembre 2010, le requérant, de même que trois autres détenus, cousit ses lèvres et refusa de s’alimenter afin de se plaindre de ses conditions de détention et du refus allégué par lui de le laisser déposer une demande d’asile.
Le 30 novembre 2010, le requérant fut transféré à l’hôpital d’Alexandroupoli où, le 4 décembre 2010, il se fit enlever les sutures.
Le 21 décembre 2010, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat (membre du Conseil hellénique pour les réfugiés), ayant la conviction que la demande d’asile avait été enregistrée, s’adressa au directeur de la police d’Alexandroupoli afin de se voir offrir un hébergement, sur le fondement du décret no 220/2007, en tant que demandeur d’asile impécunieux. Les autorités du poste-frontière de Soufli, auprès desquelles la demande du requérant était passée, transmirent celle-ci au directeur de la police d’Alexandroupoli en précisant que l’intéressé n’avait pas déposé de demande d’asile.
Le 13 janvier 2011, le requérant déposa auprès de la direction de la police d’Alexandroupoli une attestation sur l’honneur, par laquelle il affirmait qu’il avait participé à des manifestations contre le régime de son pays, qu’il avait été emprisonné pendant deux mois et dix jours et qu’une fois mis en liberté il avait continué à participer à de telles manifestations. Il affirmait aussi que, s’il était renvoyé dans son pays, il risquait d’être emprisonné ou tué.
Le même jour, les autorités enregistrèrent la demande d’asile du requérant. Un récépissé de l’enregistrement et une brochure informative à l’attention des demandeurs d’asile rédigés en farsi lui furent aussitôt signifiés.
Le 17 janvier 2011, le requérant formula des objections contre sa détention devant le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli. Il dénonçait ses conditions de détention qu’il qualifiait de dégradantes et une impossibilité de faire examiner sa demande d’asile dans le délai prévu de trois mois à compter de la mise en détention. Il invoquait une violation de l’article 5 de la Convention et de l’article 13 du décret présidentiel no 114/2010.
Le 21 janvier 2011, le président du tribunal administratif rejeta les objections ainsi formulées au motif que la détention du requérant était légale car il fallait procéder à la vérification de son identité et des conditions de son entrée en Grèce. Dans sa décision, il relevait, en outre, que le requérant n’avait pas d’adresse connue en Grèce où il pourrait résider de manière stable et qu’il fallait assurer le déroulement rapide et efficace de la procédure d’asile.
S’agissant des allégations relatives à de mauvaises conditions de détention, ladite décision précisait que la détention cesserait d’être légale seulement s’il était avéré que les autorités refusaient d’offrir au requérant, dans la mesure du possible, un lieu de détention avec de l’air pur, de la lumière naturelle, du chauffage, de l’eau potable et la possibilité de faire de l’exercice physique et de communiquer avec l’extérieur. Elle relevait que, en l’occurrence, les autorités n’avaient pas opposé au requérant un tel refus, puisque celui-ci pouvait être transféré au poste-frontière de Fylakio qui offrait de meilleures conditions de détention, et que les autorités n’avaient pas non plus refusé d’effectuer un tel transfert.
Le 22 février 2011, le directeur de la direction de la police d’Orestiada rejeta la demande d’asile du requérant. Le 22 mars 2011, le requérant introduisit un recours contre cette décision devant la commission des recours de second degré, qui est encore pendant.
Entre-temps, le 21 mars 2011, le requérant avait introduit une demande de révocation de la décision du 21 janvier 2011 portant rejet de ses objections devant le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli, sur le fondement de l’article 76 § 5 de la loi no 3386/2005. Il s’appuyait, à titre d’éléments nouveaux, sur les arguments suivants : il avait passé cinq mois en détention et, selon lui, la procédure de vérification de son identité était terminée. Il affirmait que la procédure relative à sa demande d’asile n’était pas encore définitivement réglée. Il soutenait que les conditions de détention au poste-frontière de Soufli et au poste-frontière de Feres avaient empiré et qu’il n’avait pu sortir ou voir la lumière du jour pendant plusieurs mois.
Le même jour, le président du tribunal administratif avait rejeté la demande de révocation au motif qu’il n’y avait pas d’éléments nouveaux. Il jugeait que la détention était légale car l’identité, les conditions d’entrée et les origines du requérant n’avaient pas encore été vérifiées. S’agissant des conditions de détention, le président relevait que le requérant ne prouvait pas par des arguments suffisants que les autorités avaient refusé de faire face à ce problème mais que, au contraire, la pratique administrative démontrait la volonté de celles-ci d’améliorer ces conditions.
Le 8 avril 2011, le Conseil hellénique pour les réfugiés demanda l’intervention du ministère de la Protection du citoyen pour obtenir la levée de la détention du requérant.
Par une lettre du 15 avril 2011, le ministère de la Santé et de la Solidarité informa la direction de la police d’Alexandroupoli qu’une place était disponible pour le requérant au centre de résidence provisoire pour demandeurs d’asile de Lavrio.
Le 18 avril 2011, le requérant fut mis en liberté par une décision du directeur de la direction de la police de la région de la Macédoine de l’Est et de Thrace. Cette décision constatait que la procédure d’expulsion devait être suspendue car l’expulsion ne pouvait pas être effectuée et que le requérant disposait d’un délai d’un mois pour quitter le territoire. Le requérant reçut une carte de demandeur d’asile valable jusqu’au 17 juillet 2011.
Le requérant déclara qu’il allait résider au 35, rue Menandrou, à Athènes, et il prit l’obligation de se rendre après dix jours à la direction de la police des étrangers d’Attique afin de s’enregistrer.
Le 14 novembre 2012, le requérant n’ayant pas procédé au renouvellement de sa carte de demandeur d’asile et étant considéré comme s’étant tacitement désisté de son recours contre la décision de rejet de la demande d’asile, la direction de la police d’Orestiada décida d’interrompre l’examen du recours et de classer son dossier.
Il ressort du dossier que le requérant a été détenu dans différents lieux : du 17 octobre au 22 novembre 2010 au poste-frontière de Soufli ; du 22 novembre au 24 novembre 2010 au poste-frontière de Feres ; du 24 novembre au 29 novembre 2010 au poste-frontière de Soufli ; du 29 novembre au 4 décembre 2010 au commissariat de Soufli ; du 4 décembre 2010 au 18 avril 2011 au poste-frontière de Soufli.
À la date d’introduction de sa requête devant la Cour, le requérant résidait en Norvège où il avait déposé une demande d’asile.
B. Les conditions de détention selon la version du requérant
Le requérant indique avoir été détenu dans une cellule du poste-frontière de Soufli à compter de son arrestation et pendant plusieurs périodes entrecoupées de quelques brefs séjours passés au poste-frontière de Feres et au commissariat de Soufli, lequel se trouve à quelques mètres des locaux du poste-frontière de Soufli. Il déclare que, pendant toute la durée de sa détention, il ne pouvait ni sortir à l’extérieur de ces locaux, ni marcher, ni faire de l’exercice. Il affirme qu’il était détenu dans des dortoirs ou dans des cellules disciplinaires destinées à des détenus de droit commun. La détention prolongée lui aurait causé des sentiments de peur, d’infériorité, de détresse et de stress, et ces sentiments l’auraient amené à se coudre la bouche, comme forme ultime de protestation, et à tenter de se suicider.
Le requérant affirme que les locaux du poste-frontière de Soufli accueillaient entre 100 et 200 détenus dans un espace ayant une capacité de 25 personnes, que les détenus dormaient dans les eaux sales des toilettes ou même assis. Il ajoute que la même situation régnait au poste-frontière de Feres, que plus de 100 personnes étaient détenues dans ces locaux et qu’il y dormait à même le sol dans un espace ayant une odeur insoutenable.
Le requérant déclare aussi que l’accès au téléphone était très limité et que la délivrance d’une carte téléphonique dépendait du bon vouloir des gardiens.
Il indique qu’il n’a reçu aucun produit d’hygiène corporelle, que les couvertures étaient très sales, que la nourriture était d’une qualité nutritionnelle très basse et que les détenus devaient acheter eux-mêmes de l’eau potable.
Il affirme également que les cellules ne disposaient ni de chaises, ni de tables, ni d’armoires. Il ajoute qu’il n’y avait pas de chauffage en hiver malgré la rudesse de cette saison dans la région d’Evros.
Selon le requérant, sur ces lieux de détention, il n’y avait ni interprète ni assistance juridique et, par conséquent, les détenus n’étaient pas informés de leurs droits et de la procédure d’asile.
C. Les conditions de détention selon la version du Gouvernement
Le Gouvernement décrit les différents postes-frontières comme suit.
La capacité du poste-frontière de Soufli s’élevait à 25 personnes. La nourriture des détenus était excellente et était fournie trois fois par jour par la préfecture d’Evros qui recourait aux services d’une société privée de restauration. Des soins médicaux et des médicaments étaient dispensés par des médecins de l’administration sanitaire de la région. Pour les cas qui ne pouvaient être traités sur place, les détenus étaient transférés dans les centres de santé régionaux ou à l’hôpital universitaire d’Alexandroupoli. Un téléphone public à cartes fonctionnait au sein du poste-frontière de Soufli et la communication des détenus avec les avocats était effectuée sans entraves. Des organisations non gouvernementales se rendaient régulièrement au poste-frontière de Soufli pour informer les détenus de leurs droits.
Le poste-frontière de Feres avait une capacité de 76 personnes et était destiné à des séjours de courte durée. Les détenus recevaient des produits d’hygiène et sortaient de leurs cellules en fonction des possibilités du service. Des repas étaient distribués trois fois par jour et il était tenu compte des convictions religieuses des détenus. Des soins médicaux et des médicaments étaient fournis par des médecins de l’administration sanitaire de la région. Pour les cas qui ne pouvaient être traités sur place, les détenus étaient transférés dans les centres de santé régionaux ou à l’hôpital universitaire d’Alexandroupoli.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont exposés dans les arrêts C.D. et autres c. Grèce (nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, §§ 27-33, 19 décembre 2013) et Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, §§ 17-23, 2 mai 2013). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La mise en détention des requérants en vue de leur expulsion et les recours y relatifs
En ce qui concerne la requête no 26418/11
Le 26 décembre 2009, la requérante entra sur le territoire grec munie d’un titre de séjour valable pour deux mois (visa no 12327584).
Le 9 août 2010, elle fut arrêtée à Thessalonique et mise en détention provisoire dans les locaux de la police chargée de l’immigration clandestine de Thessalonique (Kordelio) en vue de son expulsion.
Le 12 août 2010, l’officier compétent de la police des étrangers de Thessalonique ordonna l’expulsion de la requérante, sur la base de l’article 76 de la loi no 3386/2005 tel que modifié par l’article 48 § 2 de la loi no 3772/2009, au motif qu’elle séjournait en Grèce sans posséder les documents administratifs nécessaires. De plus, ladite autorité décida son maintien en détention « jusqu’à ce que la décision d’expulsion soit exécutée et pour une période qui ne [pouvait] pas aller au total au-delà de six mois maximum, à partir de sa mise en détention car, vu les circonstances de l’espèce, [la requérante] était susceptible de se soustraire à son expulsion et était considérée comme dangereuse pour l’ordre et la sécurité publics ». Ladite ordonnance prévoyait qu’en vertu de l’article 48 de la loi no 3772/2009, la détention de la requérante pouvait atteindre « douze mois au maximum dans le cas où celle-ci ne coopérait pas avec les autorités compétentes ou si la réception par les autorités de son pays de provenance ou d’origine des titres de transport nécessaires pour l’exécution de la mesure était retardée » (ordonnance no 363030/1-γ).
Le 12 août 2010, la requérante soumit à la présidente du tribunal administratif de Thessalonique ses objections à son maintien en détention. Elle alléguait notamment qu’elle ne constituait pas un danger pour l’ordre public et qu’elle n’était pas susceptible de s’enfuir. Elle affirmait aussi qu’elle vivait avec une famille grecque à Loudia près de Thessalonique où elle travaillait comme sage-femme. Enfin, la requérante soutint que les autorités internes n’avaient pris aucun contact avec les autorités indonésiennes afin de lui faire délivrer des titres de voyage et procéder à son expulsion. La requérante joignit à ses objections la photocopie de certaines pages de son passeport avec le visa d’entrée sur le territoire grec. Le jour même, la présidente du tribunal administratif de Thessalonique rejeta les objections de la requérante. Elle admit, en particulier, que ses arguments ne suffisaient pas pour établir qu’elle n’était pas susceptible de s’enfuir en cas de remise en liberté (décision no 966/2010).
Le 17 août 2010, la requérante informa les autorités qu’elle souhaitait déposer une demande d’asile et le 21 août 2010 elle la soumit auprès de la Direction des étrangers de Thessalonique. Le 9 octobre 2010, par décision du chef de la Direction des étrangers de Thessalonique, cette demande fut rejetée. En particulier, il fut considéré que la requérante n’avait pas d’intention sérieuse de solliciter l’asile, puisqu’elle n’avait pas déposé la demande y relative lors de son entrée sur le territoire grec mais après son arrestation et le rejet des objections contre sa mise en détention (no 363030/1-στ’).
Le 4 octobre 2010, la requérante déposa un mémoire auprès de la Direction de la police des étrangers de Thessalonique affirmant que les conditions déplorables de sa détention justifiaient son élargissement et que, le cas échéant, l’administration devait lui imposer des mesures restrictives plus souples en vertu de l’article 78 de la loi no 3386/2005. Il ne ressort pas du dossier que l’administration se soit prononcée sur sa demande.
Le 12 octobre 2010, la requérante saisit la présidente du tribunal administratif de nouvelles objections contre sa mise en détention et demanda la révocation de la décision no 966/2010. Elle réitéra ses arguments quant à l’absence de risque de fuite et se plaignit aussi des conditions de détention en ajoutant qu’elle avait eu des problèmes de santé pendant sa détention, à savoir des douleurs à l’estomac. Le jour même, ses objections furent rejetées. La présidente du tribunal administratif de Thessalonique confirma les conclusions de la décision no 966/2010. Elle considéra que l’expulsion de la requérante pouvait avoir lieu dans le délai prescrit par l’article 76 de la loi no 3386/2005, puisqu’à son arrestation elle n’était pas démunie de titres de voyage et elle n’avait pas démontré qu’elle les avait entre-temps perdus. La présidente ajouta que l’expulsion ne pouvait pas avoir lieu tout au long de la période à laquelle sa demande d’asile était examinée par l’administration (décision no 1198/2010).
Le 15 décembre 2010, la requérante fut transférée dans les locaux de la sous-direction d’Attique chargée des étrangers (Petrou Ralli). Le 9 février 2011, elle fut remise en liberté, le délai de six mois de détention prévu par l’article 76 de la loi no 3386/2005 ayant expiré (décision no 442464/9.2.2011).
En ce qui concerne la requête no 45884/11
En 2008, le requérant entra sur le territoire grec sans titre de séjour. Le 26 août 2010, il fut arrêté à Thessalonique pour possession et usage d’un faux document administratif de demandeur d’asile et mis en détention provisoire en vue de son expulsion à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Le jour même, il fut condamné par le tribunal correctionnel de Thessalonique à quatre mois de prison avec sursis pour entrée illégale sur le territoire grec et usage d’un faux document administratif de demandeur d’asile (jugement no 12751/2010).
Le 30 août 2010, l’officier compétent de la police des étrangers de Thessalonique ordonna son expulsion, sur la base de l’article 76 de la loi no 3386/2005, tel que modifié par l’article 48 § 2 de la loi no 3772/2009, au motif qu’il séjournait en Grèce sans posséder les documents administratifs nécessaires et qu’il avait été condamné par le jugement no 12751/2010. De plus, ladite autorité décida son maintien en détention « jusqu’à ce que la décision d’expulsion soit exécutée et pour une période qui ne [pouvait] pas aller au total au-delà de six mois maximum, à partir de sa mise en détention car, vu les circonstances de l’espèce, [le requérant] était susceptible de se soustraire à son expulsion et était considéré comme dangereux pour l’ordre et la sécurité publics ». Ladite ordonnance prévoyait qu’en vertu de l’article 48 de la loi no 3772/2009, la détention du requérant pouvait atteindre « douze mois au maximum dans le cas où celui-ci ne coopérait pas avec les autorités compétentes ou si la réception par les autorités de son pays de provenance ou d’origine des titres de transport nécessaires pour l’exécution de la mesure était retardée » (ordonnance no 363324/2-γ). Le requérant fut maintenu en détention dans les locaux de la sous-direction des étrangers de Thessalonique en vue de son expulsion.
Le 1er septembre 2010, la Direction de police de Thessalonique demanda au consulat de Géorgie la délivrance des documents de voyage nécessaires pour l’expulsion du requérant. Le 8 décembre 2010, le consulat de Géorgie l’informa qu’il était prêt à délivrer les documents demandés.
Le 30 septembre 2010, le requérant soumit à la présidente du tribunal administratif de Thessalonique ses objections à son maintien en détention. Il alléguait notamment qu’il ne constituait pas un danger pour l’ordre public et qu’il n’était pas susceptible de s’enfuir. Le jour même, la présidente du tribunal administratif de Thessalonique rejeta les objections après avoir considéré que le requérant manquait d’intention sérieuse à déposer une demande d’asile et qu’il avait déjà été condamné au pénal (décision no 1162/2010).
Le 4 octobre 2010, le requérant déposa à la Direction des étrangers de Thessalonique une demande d’asile. Le 5 novembre 2010, par décision du directeur de la Direction des étrangers de Thessalonique, cette demande fut rejetée (décision no 363324/3-ε’).
Le 23 décembre 2010, le requérant saisit la présidente du tribunal administratif de Thessalonique de nouvelles objections contre sa mise en détention. Le 28 décembre 2010, elle fit droit aux objections du requérant, révoqua la décision no 1162/2010 et ordonna la levée de sa détention. La présidente admit, entre autres, que le requérant avait certes été condamné par la justice pénale mais pas à une peine sévère. De plus, le requérant avait toujours le droit de contester devant la justice administrative le rejet de sa demande d’asile. Enfin, l’administration avait entre-temps pris soin de procéder aux démarches nécessaires pour faire délivrer au requérant un titre de voyage provisoire (décision no 1460/2010). Le jour même, le requérant fut remis en liberté.
B. Les conditions de détention des requérants dans les locaux de la police des étrangers de Thessalonique, de la police chargée de l’immigration clandestine de Thessalonique (Kordelio) et la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (Petrou Ralli)
Les requérants affirment que leurs cellules n’étaient pas suffisamment aérées et lumineuses. Ils relèvent qu’ils étaient détenus dans des petites cellules avec quinze à vingt autres détenus. L’air était humide et fétide, surtout en raison de la promiscuité avec des fumeurs. De plus, ils notent l’absence d’espace pour se promener et faire de l’exercice physique. Les détenus n’avaient aucune activité récréative. Ils affirment que les locaux étaient insalubres et que les douches et les toilettes n’étaient pas suffisantes. Ils relèvent l’absence de restauration des détenus par le service pénitentiaire et affirment que chacun d’eux avait droit uniquement à une somme oscillant de 5,87 à 5,95 euros par jour pour commander des repas qui leur étaient livrés de l’extérieur.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Le droit national
La Cour se réfère à ce sujet notamment aux paragraphes 27-33 de l’arrêt C.D. et autres c. Grèce (nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, 19 décembre 2013).
B. Les rapports provenant des instances internationales
En ce qui concerne la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique
a) Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) à la suite de sa visite aux postes de police et centres de détention pour étrangers en 2008
Du 23 au 29 septembre 2008, le CPT a visité, entre autres, les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Dans son rapport publié le 30 juin 2009, il a noté l’absence de lits dans les cellules et le fait que les personnes détenues dormaient sur des matelas sales posés à même le sol. De plus, le rapport relevait l’absence d’espace de promenade et d’exercice physique et soulignait que chacun des détenus avait droit à 5,87 euros par jour pour commander des repas qui leur étaient livrés de l’extérieur. Sur ce point, le CPT a fait état de griefs provenant des personnes détenues, selon lesquels elles pouvaient, avec une telle somme, acheter au maximum deux sandwiches par jour. Le CPT a recommandé aux autorités nationales d’assurer à toutes les personnes détenues dans des locaux destinés à accueillir des étrangers en attente de leur expulsion un plat cuisiné, chaud de préférence, au moins une fois par jour.
b) Les constats du CPT à la suite de sa visite du 17 au 29 septembre 2009 aux postes de police et centres de détention pour étrangers
Dans son rapport du 17 novembre 2010, le CPT relevait que les arrangements concernant la nourriture des détenus restaient inadéquats. L’allocation journalière de 5,87 euros ne permettait d’acheter que quelques sandwiches et une bouteille d’eau, ce qui était suffisant pour des prévenus en détention de courte durée, mais insuffisant pour des personnes détenues pour une longue durée.
c) Le rapport d’Amnesty International de 2010
Dans son rapport publié en juillet 2010 et intitulé « Des migrants irréguliers et des demandeurs d’asile systématiquement détenus dans des conditions inadéquates », l’Amnesty International faisait état du surpeuplement, du manque de lits et de l’impossibilité de faire de l’exercice physique à la direction de la police des étrangers à Thessalonique. Le rapport comprend aussi des entretiens avec des étrangers détenus à Thessalonique en 2009 et au début de 2010. Selon leurs dires, il y aurait entre vingt-cinq et trente personnes dans une cellule, sans possibilité d’activités récréatives et avec une qualité insuffisante de repas (page 37 du rapport).
En ce qui concerne la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (centre de rétention de Petrou Ralli)
a) Les constats du CPT
À la suite de sa visite en Grèce en septembre 2008, le CPT constatait dans son rapport publié en 2009 que, à la date de sa visite, le centre de Petrou Ralli hébergeait 173 hommes, 65 femmes et 19 mineurs pour une capacité opérationnelle de 208 hommes, 150 femmes et 19 mineurs. Selon le rapport, les détenus étaient confinés dans leurs cellules vingt-quatre heures sur vingt-quatre du fait que l’espace réservé à la promenade ne remplissait pas les conditions de sécurité. Le CPT observait qu’il n’y avait ni espace de détente ni espace destiné aux activités, que la plus grande partie de la literie était sale, que les nouveaux arrivés n’avaient pas de draps et de couvertures propres et qu’il n’y avait pas de WC dans les cellules. De nombreux détenus auraient déclaré que l’accès aux toilettes pendant la nuit était problématique.
À la suite de sa visite en Grèce en septembre 2009, le CPT, dans son rapport publié en 2010, relatait ce qui suit :
« (...)
Le centre de Petrou Ralli demeure un établissement non approprié pour la rétention de migrants se trouvant en situation irrégulière pour des périodes longues, comme le CPT l’avait relevé même avant son ouverture officielle en 2005. En 2009, le centre hébergeait 218 détenus de sexe masculin, 77 femmes adultes et 5 mineures, ce qui rend la population de la partie mâle légèrement au-dessus de sa capacité de 208 ; certains des détenus de sexe masculin dormaient sur des matelas posés sur le sol. Cela dit, l’état général du point de vue de l’hygiène était nettement meilleur que dans le passé et l’accès aux toilettes, même pendant la nuit, ne posait pas problème grâce à la présence constante de policiers dans les couloirs.
La délégation du CPT a aussi noté que la cour extérieure pour la promenade était maintenant praticable, même si les détenus n’y avaient pas accès tous les jours.
(...)
Un problème commun à tous les centres spéciaux pour migrants clandestins et les centres de rétention de la police qui ont été visités était la difficulté pour les détenus de maintenir la propreté en raison de la quantité insuffisante des détergents et des produits destinés à l’hygiène personnelle. Dans certains centres, de petites quantités de savon, de la lessive en poudre et quelque fois du shampoing étaient donnés aux détenus, dans certains autres seulement du savon. De même, le papier toilette n’était pas fourni régulièrement. D’autres produits d’hygiène, tels que des brosses à dent ou du dentifrice, devaient être achetés par les détenus eux-mêmes. Des kits de rasage n’étaient pas autorisés et, lorsqu’ils pouvaient les obtenir du personnel, les détenus devaient les partager à plusieurs.
Au vu de la situation médicale précaire de plusieurs personnes concernées, le CPT réitère la nécessité pour les autorités grecques de considérer l’hygiène personnelle comme une question prioritaire. »
Dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, faite en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, le CPT relevait notamment ce qui suit :
« (...)
Les rapports relatifs aux visites de 2005, 2007, 2008 et 2009 brossent tous un tableau similaire des très mauvaises conditions dans lesquelles les étrangers en situation irrégulière étaient retenus dans les commissariats de police et dans d’autres locaux inadaptés, souvent des entrepôts désaffectés, pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois, voire pour des périodes encore plus longues, sans aucune possibilité de faire de l’exercice en plein air ni de s’adonner à des activités et sans bénéficier de soins de santé adéquats. Les recommandations visant à améliorer la situation ont continué cependant d’être ignorées. Bien que des étrangers en situation irrégulière soient arrivés en Grèce en nombres importants par ses frontières terrestres et maritimes orientales pendant plusieurs années, aucune mesure n’a été prise afin d’adopter une approche coordonnée et acceptable concernant leur rétention et leur prise en charge.
Le manque de réaction de la part des autorités grecques face à la nécessaire mise en œuvre des recommandations du CPT relatives aux étrangers en situation irrégulière a conduit le Comité à déclencher, en novembre 2008, la procédure en vue de l’adoption d’une déclaration publique. À l’issue de la visite périodique de septembre 2009, cette procédure a été étendue pour couvrir la situation dans le système pénitentiaire. En effet, les constatations faites au cours de cette visite ont révélé que les préoccupations exprimées par le CPT dans ses précédents rapports n’avaient pas été prises en compte et qu’en réalité, les conditions carcérales s’étaient détériorées encore davantage ; il convient tout particulièrement de mentionner la gravité de la surpopulation carcérale, la pénurie de personnel et les insuffisances en matière de soins de santé.
(...)
Les autorités grecques ont continué de répéter que des mesures étaient en cours pour améliorer la situation. Ainsi, dans une lettre en date du 23 novembre 2009, elles ont informé le CPT qu’elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police et postes de surveillance des gardes-frontière et qu’à l’avenir, ces personnes seraient placées dans des centres de rétention spécifiquement conçus à cet effet. (...)
Malheureusement, les constatations faites pendant la récente visite du CPT en Grèce, en janvier 2011, ont montré que les informations fournies par les autorités n’étaient pas fiables. Les commissariats de police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. (...) »
À la suite de sa visite en Grèce en janvier 2011, le CPT, dans son rapport publié en 2012, relatait ce qui suit :
« 13. Le CPT reconnaît les difficultés rencontrées par les autorités grecques à faire face à l’afflux constant de migrants en situation irrégulière. Cependant, les conditions dans lesquelles les migrants irréguliers sont détenus semblent être une politique délibérée par les autorités afin de délivrer un message clair que seules les personnes ayant les papiers d’identité nécessaires devraient tenter d’entrer en Grèce. En effet, telle est l’impression formée par les délégations du CPT successives depuis la visite en septembre 2005.
Pour commencer, la conception des locaux de détention dans lesquels les migrants irréguliers sont détenus n’est pas conforme aux normes mises de l’avant par le CPT depuis 1997. La conception carcérale de nouveaux centres de détention tels que Aspropyrgos, Petrou Rali et Filakio est totalement inappropriée - cellules avec des barres du sol au plafond ne garantissant pas d’intimité, communication avec le personnel pénitentiaire ayant habituellement lieu à travers les barres ».
b) Le rapport de Human Rights Watch de novembre 2008
En 2008, l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch a été autorisée à visiter le centre de Petrou Ralli. Même s’ils n’ont pas eu la possibilité de s’entretenir en privé avec les détenus, ses représentants ont été en mesure de discuter brièvement avec un grand nombre d’entre eux dans leurs cellules et de constater les conditions qui y régnaient.
Le rapport de l’ONG affirmait qu’on ne pouvait pas se méprendre : le centre de Petrou Ralli était bien une prison. Toujours selon ce rapport, les détenus étaient placés dans des cellules qui se succédaient le long d’un couloir, chaque cellule avait cinq lits en béton, le quatrième mur de chaque cellule était fait de barres de fer, avec une porte qui donnait sur le couloir, ce qui excluait toute intimité pour les occupants des cellules. Le rapport indiquait en outre que les détenus devaient demander l’autorisation d’aller aux toilettes. Un homme aurait affirmé qu’il devait uriner dans une bouteille car les gardiens ne répondaient pas à ses demandes d’aller aux toilettes. Les gardiens auraient laissé les détenus sortir dans le couloir deux heures par jour, mais seulement une heure par semaine sur le toit du centre. D’après les représentants de Human Rights Watch, le centre semblait avoir été nettoyé avant la visite, mais de nombreux détenus s’étaient plaints des conditions d’hygiène.
c) Le rapport du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
Dans son rapport de novembre 2010 concernant la Grèce, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés notait que la surpopulation et les mauvaises conditions de vie dans les centres de rétention pour étrangers et les stations de police frontaliers avaient empiré à partir de l’entrée en vigueur en 2009 de la nouvelle loi sur la rétention des clandestins. Cette loi étendait la période maximale de détention à six voire à douze mois, ce qui avait entraîné une augmentation des détenus. Cette détérioration est particulièrement visible dans les centres situés à la frontière (notamment à Evros), mais des conditions similaires étaient observées en milieu urbain, notamment à Athènes (Direction des étrangers -Petrou Ralli-, l’aéroport international d’Athènes et plusieurs commissariats de police). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Contexte
Le requérant est né en 1970 et réside à Bakou.
Il a travaillé pendant plusieurs années dans diverses organisations politiques et organisations non gouvernementales locales et internationales. En 2008, il cofonda le Mouvement civique pour une alternative républicaine (Respublikaçı Alternativ Hərəkatı ; le « REAL »), dont il fut élu président en 2012. Il occupe également depuis plusieurs années le poste de directeur de l’École d’études politiques de Bakou, qui fait partie d’un réseau d’écoles d’études politiques affiliées au Conseil de l’Europe.
Le requérant tenait un blog personnel sur l’internet, sur lequel il commentait différentes questions politiques. En particulier, en novembre 2012, après l’adoption par l’Assemblée nationale d’une nouvelle loi sanctionnant lourdement les rassemblements publics non autorisés, le requérant posta sur son blog un commentaire dont il affirmait qu’il était destiné à insulter les membres de l’Assemblée nationale. Sans citer de noms, il y déclarait ensuite, entre autres, que l’Assemblée nationale était composée de « fraudeurs », et comparait l’ensemble du corps législatif à un zoo. Ces déclarations furent citées dans les médias et suscitèrent de nombreuses réactions apparemment virulentes de la part de différents membres de l’Assemblée nationale. Ces réactions, qui furent également publiées dans la presse, allaient de ripostes insultantes ad hominem à des appels à sanctions, en passant par des menaces d’actions en justice à son encontre. Selon le requérant, les « projets d’actions en justice des parlementaires furent (...) abandonnés temporairement » après que les appels à représailles à son encontre eurent été condamnés par l’un des vice-présidents de la Commission européenne, alors en visite dans le pays.
Début janvier 2013, le REAL annonça qu’il envisageait de désigner son propre candidat aux prochaines élections présidentielles de novembre 2013. Le requérant lui-même annonça son intention de se présenter comme candidat aux élections. D’après lui, la perspective de sa candidature fut abondamment débattue en Azerbaïdjan à l’époque.
B. Les événements survenus à Ismayilli en janvier 2013
Le 23 janvier 2013, des émeutes éclatèrent dans la ville d’Ismayilli, au nord-ouest de Bakou. D’après les comptes rendus dans les médias, reprenant les propos d’habitants de la ville, ces émeutes furent déclenchées par un incident impliquant V.A., le fils du ministre du Travail et de la Protection sociale et neveu du directeur de l’Autorité exécutive du district d’Ismayilli (« AEDI »). Il fut rapporté qu’après avoir été impliqué dans un accident de la circulation, V.A. avait insulté et agressé physiquement les occupants de l’autre véhicule, qui habitaient à proximité. Lorsqu’ils apprirent l’incident, plusieurs centaines (voire milliers) d’habitants de la ville descendirent dans les rues et détruisirent des établissements commerciaux (dont l’hôtel Chirag) et d’autres immeubles d’Ismayilli qui étaient réputés appartenir à la famille de V.A.
Le 24 janvier 2013, le ministère de l’Intérieur et le parquet général publièrent un communiqué de presse commun, dans lequel la responsabilité des émeutes était attribuée à E.S., un directeur de l’hôtel, et [El.M.], un membre de sa famille, qui étaient prétendument ivres et qui, aux termes du communiqué, avaient commis des actes de vandalisme en endommageant des biens d’habitants de la ville et en incitant les habitants à se livrer à des émeutes.
Entre-temps, [N.A.], le directeur de l’AEDI et oncle de V.A., avait démenti publiquement que l’hôtel Chirag appartînt à sa famille.
C. Le rôle du requérant dans les événements d’Ismayilli
Le 24 janvier 2013, le requérant se rendit à Ismayilli pour mieux comprendre les événements susdécrits. Le 25 janvier 2013, il fit part de ses impressions sur son blog. L’article intégral était rédigé comme suit :
« Hier après-midi, j’ai passé un peu plus de deux heures à Ismayilli avec [un autre membre] de notre mouvement [le REAL] et notre coordinateur des médias (...) Tout d’abord, voici [en résumé] ce que j’ai écrit sur Facebook avec mon portable pendant ce temps :
– Nous sommes arrivés en ville.
– Un grand nombre de policiers sont déployés et leur présence ne cesse de se renforcer. Les manifestants se rassemblent toutes les heures ou toutes les deux heures pour prononcer des discours. Nous nous trouvons devant le siège de l’Autorité exécutive [du district d’Ismayilli]. Il y a environ 500 policiers dans le secteur.
– La cause des événements est la tension générale provoquée par la corruption et l’insolence des [responsables publics]. En résumé, les citoyens en ont assez. Nous discutons avec les habitants de la ville.
– Les Russes [ethniques] du village d’Ivanovka aussi en ont marre ; ils ont essayé de gagner [Ismayilli] pour soutenir la manifestation, mais la route était barrée et on les a forcés à faire demi-tour.
– Tout le monde se prépare pour la nuit.
– Nous quittons Ismayilli pour retourner à Bakou. La situation est limpide à nos yeux. Quba a été le premier pas. Ismayilli est le deuxième. Au troisième, les choses sérieuses vont commencer.
Nous sommes rentrés après avoir analysé tous les tenants et aboutissants de la situation à Ismayilli. J’ai écrit que des affrontements auraient à nouveau lieu le soir lorsque j’ai indiqué [sur Facebook] que « tout le monde se prépare pour la nuit ». Sur place, la foule clamait : « On va leur flanquer une raclée ce soir, on s’est ravitaillés » (autrement dit, les participants avaient acheté le combustible pour les cocktails Molotov). Les citoyens sont en colère. Certains ne souhaitent pas se mêler de ce genre de choses et ont peur, mais ceux qui n’ont pas peur sont au bout du rouleau et continueront à manifester cette nuit. Ce n’est plus une situation politique dans laquelle on peut garder l’essentiel et tenter de changer certaines choses ; c’est déjà une situation de crise chaotique, qui nécessite que l’État adopte des mesures de conciliation pour la surmonter.
Il ne faut ni se leurrer, ni prétendre tromper nos interlocuteurs. Les événements d’Ismayilli n’étaient pas et ne sont pas une manifestation pacifique organisée dans le calme. Il s’agit d’une protestation extrêmement violente, mais juste, et la responsabilité en incombe à Ilham Aliyev.
Comme dans tout mouvement révolutionnaire, l’initiative politique demeure dans un premier temps entre les mains du président mais, par son immobilisme, celui-ci perd progressivement ce pouvoir d’initiative. Lorsque [les dirigeants de ce type] commencent à réagir à la situation, il est généralement trop tard et leur intervention est dénuée d’effet. Moubarak, le shah d’Iran et tous les autres ont périclité de cette manière. »
Le 28 janvier 2013, le requérant publia sur son blog davantage d’informations sur les événements, en y insérant des extraits des sites web officiels du ministère de la Culture et du Tourisme et du ministère de la Fiscalité et en publiant des captures d’écran de ces sites. En particulier, il fit remarquer que, d’après ces sources et des informations publiées sur le compte Facebook de V.A., l’hôtel Chirag appartenait bel et bien à V.A. Cette annonce contredisait directement le démenti antérieur du directeur de l’AEDI. Les informations citées par le requérant furent supprimées des sites gouvernementaux précités et de la page Facebook de V.A. dans l’heure qui suivit la publication de l’article du requérant sur son blog. Cet article fut toutefois lui-même abondamment commenté dans les médias.
Le 29 janvier 2013, le parquet général et le ministère de l’Intérieur publièrent un nouveau communiqué de presse commun sur les événements survenus à Ismayilli. Il y était indiqué que dix personnes avaient été inculpées d’infractions pénales dans le cadre des événements du 23 janvier 2013 et placées en détention dans l’attente de leur procès. De plus, 52 personnes avaient été arrêtées dans le cadre de leur participation à des « actes constitutifs d’une atteinte grave à l’ordre public » et, parmi elles, certaines avaient été reconnues coupables d’« infractions administratives » et condamnées à une « détention administrative » de quelques jours ou à une amende, tandis que d’autres avaient été relâchées. Le communiqué de presse ajoutait que « des informations biaisées et partiales [avaient] récemment été diffusées délibérément, donnant une image erronée de la nature réelle des événements en question, qui étaient le fruit de vandalisme », y compris des informations évoquant un grand nombre de personnes blessées et la disparition d’une personne. Il démentait ces informations, précisant que quatre blessés seulement avaient été admis à l’hôpital régional et que personne n’avait disparu. Il contenait par ailleurs, entre autres, les indications suivantes :
« À la lumière des enquêtes diligentées, il a été établi que le 24 janvier 2013, Tofig Yagublu, vice-président du parti Musavat, et Ilgar Mammadov, coprésident du mouvement REAL, se sont rendus à Ismayilli et ont lancé des appels aux habitants de la ville dans un but de déstabilisation sociale et politique, les incitant notamment à résister à la police, à ne pas obéir aux agents de la force publique et à bloquer les routes. Leurs actes illégaux, fomentés pour enflammer la situation dans le pays, feront l’objet d’une enquête détaillée et approfondie et d’un examen judiciaire. »
Le 30 janvier 2013, le requérant commenta ce communiqué de presse sur son blog, affirmant que le gouvernement avait pris une décision destinée à le « punir » et à l’« effrayer » et que plusieurs motifs l’expliquaient : premièrement, l’article publié par le requérant sur son blog le 28 janvier 2013, qui aurait révélé des faits embarrassants pour le gouvernement ; deuxièmement, le fait que le REAL avait suscité un débat public sur les amendements législatifs de juin 2012 visant à faire en sorte que les informations sur les actionnaires des entreprises restent secrètes, mettant ainsi en place « un environnement plus clandestin pour voler l’argent du pétrole » ; troisièmement, les critiques exprimées antérieurement par le requérant à l’égard de l’Assemblée nationale, qu’il avait comparée à un « zoo » après l’adoption de textes qui imposaient des « limitations strictes à la liberté de réunion » en « instaurant des sanctions pécuniaires injustifiables pour la participation à une manifestation non autorisée » ; et, enfin, la « montée en puissance rapide » du mouvement REAL à l’approche de l’élection présidentielle, ce mouvement devenant ainsi un « obstacle sérieux aux yeux des acteurs [politiques] traditionnels » et menaçant de « perturber le déroulement du simulacre d’élection reproduit d’année en année ».
D. Ouverture de procédures pénales contre le requérant
Le 29 janvier 2013, le requérant reçut un appel téléphonique du département du parquet général chargé des infractions graves et fut invité de vive voix à se présenter devant ledit département afin d’y être interrogé en qualité de témoin. Bien que cette invitation ne constituât pas une convocation formelle, le requérant se présenta devant le parquet général et fut soumis à un interrogatoire.
D’après le procès-verbal de l’interrogatoire, le requérant déclara qu’il était arrivé à Ismayilli à bord d’une voiture conduite par un autre membre du REAL le 24 janvier 2013 vers 15 h 30. Après être entrés dans la ville, ils s’étaient arrêtés à plusieurs reprises, sans descendre de voiture, pour parler à des habitants afin d’obtenir des informations de première main sur les événements qui s’y étaient déroulés avant leur arrivée. Une fois arrivés sur la place principale, où se trouvait le bâtiment de l’AEDI, ils avaient rencontrés plusieurs journalistes et constaté la présence de nombreux policiers et agents des services répressifs. Sur la place, le requérant s’était adressé uniquement aux journalistes ; il n’avait parlé à aucun habitant. Il n’y avait pas d’affrontements violents sur la place à ce moment. Alors qu’il se trouvait sur la place, le requérant avait vu Tofig Yagublu, qui visitait également la ville mais indépendamment du requérant. Ils s’étaient arrêtés pour se saluer puis avaient repris aussitôt leur chemin, chacun de son côté. Le requérant et son collègue du REAL étaient restés environ 30 à 40 minutes sur la place. Le requérant, son collègue du REAL et l’un des journalistes avaient passé ensuite quelque temps dans un salon de thé tout proche. Ils étaient ensuite rentrés tous trois à Bakou. En quittant Ismayilli, ils s’étaient arrêté à nouveau quelques fois et, depuis l’intérieur du véhicule, avaient parlé avec des passants de la situation dans la ville.
Au cours de l’interrogatoire, l’enquêteur informa le requérant qu’il avait été établi, à partir des « pièces figurant dans le dossier pénal », que vers 17 heures ce jour-là, alors qu’ils se tenaient à proximité du bâtiment du Département régional de l’éducation d’Ismayilli, le requérant et M. Tofig Yagublu avaient incité les habitants à causer des troubles, à désobéir à la police, à bloquer des routes et à jeter des pierres aux policiers. Le requérant fut invité à s’expliquer à ce sujet. Il répondit que ces informations étaient fausses et qu’elles constituaient une calomnie à son égard.
Une fois l’interrogatoire terminé, le requérant rentra chez lui.
Dans la soirée du 3 février 2013, le requérant reçut un autre appel téléphonique lui demandant de se présenter en vue d’un nouvel interrogatoire.
Le matin du 4 février 2013, le requérant se présenta volontairement devant le parquet général. Dans un premier temps, de 10 h 50 à 11 h 10, il fut directement confronté à R.N., décrit dans le procès-verbal de la confrontation comme étant un habitant du village d’Ashagi Julyan, dans la région d’Ismayilli. D’après une copie de ce procès-verbal (présentée à la Cour par le Gouvernement en tant que document distinct joint à ses observations), R.N. déclara que, le 24 janvier 2013, il se trouvait à Ismayilli, où il avait vu de nombreux policiers ainsi que de nombreux jeunes qui se rassemblaient lentement en groupes de cinq à sept. Il avait entendu des personnes discuter des événements de la veille. Parmi celles-ci, il avait vu Tofig Yagublu et le requérant. Il n’avait eu connaissance de l’identité du requérant que lorsqu’il s’était enquis de celle-ci et que quelqu’un la lui avait renseignée. Il avait entendu le requérant et Tofig Yagublu dire à des personnes de jeter des pierres sur les policiers et de s’emparer du bâtiment de l’AEDI, à la suite de quoi lesdites personnes avaient commencé à jeter des pierres sur les policiers.
D’après le procès-verbal, le requérant répondit que les propos de R.N. étaient totalement faux, qu’ils n’étaient que des inventions ridicules, et qu’il s’agissait d’une tentative de le piéger et d’exercer des pressions sur lui pour des raisons politiques.
Lorsque l’interrogatoire prit fin, à 11 h 10, le requérant ne fut pas autorisé à quitter le bâtiment.
De 12 h 50 à 13 h 05, une autre confrontation directe fut organisée, cette fois avec I.M., un autre habitant de la région d’Ismayilli. D’après le procès-verbal de l’interrogatoire (également présenté à la Cour par le Gouvernement en tant que document distinct joint à ses observations), I.M. déclara que le 24 janvier 2013 il se trouvait à Ismayilli et qu’il avait vu de nombreux jeunes se rassembler. De nombreux policiers étaient également présents. Les manifestants jetaient des pierres aux policiers. Il avait ensuite vu deux personnes se tenant à proximité du bâtiment du Département de l’éducation dire aux manifestants de jeter des pierres, de ne pas avoir peur, et de s’emparer du bâtiment de l’AEDI. S’étant enquis de l’identité de ces deux personnes auprès des personnes présentes, celles-ci lui avaient répondu qu’il s’agissait de Tofig Yagublu et du requérant. Il avait ensuite vu et entendu deux policiers répondant aux noms de Namiq et Vahid dire au requérant et à Tofig Yagublu de se calmer, mais en vain.
D’après le procès-verbal, le requérant répondit que la déclaration d’I.M. était une invention et que « tout ce qu’il se passait dans cette pièce » n’était rien d’autre que du sabotage politique à son encontre et contre le peuple azerbaïdjanais. Le requérant inscrivit également dans le procès-verbal une note manuscrite indiquant qu’on lui avait refusé l’autorisation de quitter le bâtiment entre les deux confrontations directes, qui avaient été séparées d’un peu plus d’une heure.
Les confrontations directes susmentionnées ne furent pas mentionnées spécifiquement dans les accusations officielles formulées à l’encontre du requérant (paragraphe 27 ci-dessous) ni dans les requêtes introduites ultérieurement par l’accusation en vue de la délivrance d’une ordonnance de placement en détention provisoire du requérant ou de prolongation de sa détention, et les noms de R.N. et d’I.M. ne furent cités dans aucun des documents susmentionnés, ni dans aucun document officiel présenté à la Cour par les parties et portant sur la détention provisoire du requérant et la procédure pénale menée à son encontre.
À l’issue de la deuxième confrontation, le requérant se vit à nouveau refuser l’autorisation de quitter les lieux. À 15 h 24, après l’arrivée de son avocat, le requérant fut inculpé d’infractions pénales sur le terrain des articles 233 (organisation d’actions entraînant un trouble à l’ordre public ou participation active à de telles actions) et 315.2 (résistance à agents publics ou violences contre agents publics constitutives de menaces pour la vie ou l’intégrité physique de ces derniers) du code pénal. Les actes spécifiques imputés au requérant étaient décrits comme suit :
« Le 24 janvier 2013, à partir d’environ 15 heures, Ilgar Eldar oglu Mammadov
profitant du fait que le 23 janvier 2013 à partir d’environ 21 h 30, un groupe de personnes avait, dans la ville d’Ismayilli, commis des actes de vandalisme caractérisé générateurs d’un grave trouble à l’ordre public, délibérément brûlé, d’une manière dangereuse pour le public, des biens appartenant à différentes personnes [dont] l’hôtel Chirag, quatre voitures, cinq motocyclettes et scooters et un bâtiment annexe situé dans le jardin d’une maison d’habitation privée, et commis des actes de violence à l’encontre d’agents publics ;
considérant, selon un raisonnement erroné, que [les événements précités] constituaient une « rébellion » ;
souhaitant que les actes précités se multiplient et acquièrent un caractère permanent afin de créer une tension artificielle et d’ébranler la stabilité sociale et politique du pays ;
alors qu’il résidait à Bakou, se rendit à Ismayilli et, accompagné de Tofig Rashid oglu Yagublu et avec la participation active d’autres individus, [commit les actes suivants :]
il organisa, en tant que participant actif, des actes à l’origine d’un grave trouble à l’ordre public en ce qu’il incita de façon ouverte et répétée les habitants de la ville [E.I.], [M.A.] et d’autres, qui s’étaient rassemblés sur la place située à proximité du bâtiment administratif du Département régional de l’éducation, sis rue Nariman Narimanov, en face du siège administratif de [l’AEDI], [à faire ce qui suit :]
[i] s’installer en masse devant le bâtiment de [l’AEDI], qui est l’organisme compétent exerçant le pouvoir exécutif de la République d’Azerbaïdjan et, ce faisant, entraver la circulation automobile et les déplacements des piétons ; [ii] désobéir aux appels licites à la dispersion émis par les fonctionnaires du gouvernement qui souhaitaient faire cesser leur comportement illégal ; [iii] résister aux agents de police en uniforme protégeant l’ordre public en se livrant à des actes violents mettant en danger la vie et l’intégrité physique [des policiers] au moyen de divers objets ; [iv] perturber le bon fonctionnement de [l’AEDI], des entreprises et des organismes publics ainsi que des infrastructures de restauration publique, de commerce et de services publics en refusant, pendant une durée prolongée, de quitter les zones dans lesquelles les actes entraînant un grave trouble à l’ordre public étaient commis ; et [v] immobiliser la circulation automobile en bloquant l’avenue centrale et la rue Nariman Narimanov ; et
il parvint finalement à faire en sorte qu’aux environs de 17 heures le même jour, dans la ville d’Ismayilli, un groupe de personnes composé de [E.I.], [M.A.] et d’autres se déplaçât en masse de la place précitée en direction du bâtiment administratif de [l’AEDI] et lançât des pierres sur des agents des organismes compétents du ministère de l’Intérieur qui s’employaient à empêcher [cette marche] conformément aux prescriptions de la loi.
Par ces actes, Ilgar Eldar oglu Mammadov a commis les infractions pénales définies aux articles 233 et 315.2 du code pénal de la République d’Azerbaïdjan »
De 16 h 30 à 17 h 10, le requérant fut à nouveau interrogé, cette fois en qualité d’accusé. Au cours de l’interrogatoire, il répéta, en substance, les déclarations qu’il avait faites lors de son interrogatoire du 29 janvier 2013 (paragraphe 17 ci-dessus).
E. Le placement en détention provisoire du requérant
Vers 18 heures, le requérant fut conduit devant le tribunal de district de Nasimi. Le procureur général adjoint introduisit auprès dudit tribunal une demande de mise en détention provisoire du requérant. Cette demande était, pour l’essentiel, une copie du texte de la décision d’inculper le requérant des infractions pénales susmentionnées (paragraphe 27 cidessus). Elle était suivie d’une note indiquant qu’il était nécessaire de placer le requérant en détention provisoire eu égard à la gravité des infractions commises et à la dangerosité que celles-ci représentaient pour l’ordre public, au fait que ces infractions étaient passibles d’une peine de plus de deux ans d’emprisonnement, et au fait qu’il existait des « raisons suffisantes » de croire que, s’il était libéré, le requérant prendrait la fuite ou ferait obstruction à l’enquête en exerçant une influence illicite sur des personnes participant à la procédure pénale.
L’audience débuta vers 19 heures, en présence du requérant, de ses avocats, d’un membre de l’équipe d’enquêteurs et de l’un des procureurs travaillant au département du parquet général chargé des infractions graves. Selon le requérant, non contredit par le Gouvernement, l’accusation n’avait présenté au tribunal ni le dossier de l’affaire, ni les procès-verbaux des interrogatoires.
Lors de l’audience, le requérant et ses avocats indiquèrent que l’accusation à l’encontre du requérant était dénuée de fondement et qu’elle n’était étayée par aucune preuve. Au sujet du comportement du requérant, ils firent observer que celui-ci s’était présenté volontairement devant le parquet dès que la demande lui en avait été adressée et que, dès lors, il n’y avait aucune raison de croire qu’il prendrait la fuite ou qu’il ferait obstruction à l’enquête. Ils firent valoir que, pour ces raisons, sa détention était injustifiée.
Par une décision du 4 février 2013, le tribunal de district de Nasimi ordonna le placement en détention provisoire du requérant pour une durée de deux mois (jusqu’au 4 avril 2013). La partie de la décision contenant la motivation du tribunal se lisait comme suit :
« Après avoir examiné la demande [de l’accusation] ainsi que les documents qui y étaient joints et après avoir entendu les déclarations orales des parties, et compte tenu du fait qu’il existe des raisons suffisantes de penser que, s’il était libéré, l’accusé Ilgar Eldar oglu Mammadov se soustrairait à l’enquête ou en perturberait le bon déroulement en exerçant une influence illicite sur des personnes participant à la procédure, que les infractions pénales commises sont des infractions graves porteuses d’un danger pour l’ordre public, et que le requérant est accusé d’infractions pénales passibles d’une peine de plus de deux ans d’emprisonnement, le tribunal estime qu’il y a lieu d’appliquer au requérant la mesure préventive de mise en détention provisoire. »
Le 5 février 2013, le requérant déposa auprès du tribunal de district de Nasimi une plainte dans laquelle il soutenait avoir été privé de liberté illégalement entre 11 h 10 et 19 heures le 4 février 2013. Sa plainte fut rejetée le 22 février 2013.
Le 6 février 2013, le requérant forma un recours contre la décision de placement en détention rendue le 4 février 2013. Il y soutenait qu’il avait été détenu en violation du droit interne et de l’article 5 de la Convention. Il arguait que, alors que la partie introductive de la décision ordonnant sa mise en détention indiquait que le tribunal avait examiné les preuves préliminaires recueillies par l’accusation, celle-ci n’avait présenté au tribunal aucune preuve ni aucune autre information donnant des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis une infraction pénale. Il reprochait au tribunal d’avoir rendu cette décision sur la seule base de la décision d’inculper le requérant d’infractions pénales et de la demande de placement en détention provisoire introduite par l’accusation, sans vérifier de façon indépendante s’il existait des raisons plausibles de le soupçonner. Il plaidait également que le tribunal n’avait pas indiqué des raisons pertinentes et suffisantes pour justifier sa détention en concluant qu’il risquait de se soustraire à l’enquête ou de tenter de faire obstruction à la procédure. S’agissant du comportement qu’il avait eu avant son arrestation, il expliquait qu’il avait coopéré avec les autorités et que, en plusieurs occasions, il s’était présenté pour interrogatoire après un simple appel téléphonique, sans même avoir été convoqué formellement. D’après lui, d’autres facteurs, comme le fait qu’il avait une épouse et un enfant en bas âge, qu’il résidait de façon permanente et avait un emploi à Bakou, sa personnalité, son statut social et sa situation professionnelle, son affiliation aux programmes du Conseil de l’Europe, l’absence de casier judiciaire, etc., démontraient également qu’il était très peu probable qu’il prît la fuite et auraient dû être pris en considération par le tribunal. Dans le cadre de la procédure de recours, il s’appuya sur le droit interne pertinent mais aussi largement sur la jurisprudence de la Cour européenne, dont il invoqua plusieurs arrêts en lien avec l’article 5 de la Convention.
À la même date, le requérant présenta au tribunal de district de Nasimi des observations sur le procès-verbal de l’audience du 4 février 2013 devant ce tribunal, qui devaient être versées au dossier de l’affaire. Ces observations concernaient principalement l’incapacité et le refus du procureur de répondre aux questions posées par la défense lors de l’audience. Ces questions portaient sur le fait que l’accusation n’avait présenté aucune preuve étayant ses soupçons à l’encontre du requérant ou qu’elle n’avait pas précisé les circonstances spécifiques qui l’avaient amenée à penser que le requérant, s’il était libéré, prendrait la fuite ou ferait obstruction à la procédure.
L’audience devant la cour d’appel de Bakou fut fixée au 8 février 2013. Elle fut retardée de quelques heures, dans l’attente que le tribunal de district de Nasimi examinât les observations du requérant concernant le procès-verbal de l’audience ainsi que la demande d’inclure lesdites observations dans les documents se rapportant à sa détention provisoire, qui avaient été transmis à la cour d’appel de Bakou. Au cours de cet examen, le tribunal de district de Nasimi décida de refuser d’insérer les observations du requérant dans le procès-verbal de l’audience.
D’après le requérant, non contredit par le Gouvernement, comme lors de l’audience en première instance les éléments du dossier en possession de l’accusation ne furent pas mis à la disposition de la cour lors de l’audience en appel.
Par une décision du 8 février 2013, la cour d’appel de Bakou rejeta le recours du requérant et confirma la décision de placement en détention rendue par le tribunal de district de Nasimi le 4 février 2013. Elle conclut comme suit :
« Eu égard à la personnalité d’Ilgar Eldar oglu Mammadov, à la gravité des infractions pénales dont il est question et au fait qu’elles représentent un danger pour l’ordre public, au fait que [lesdites infractions] relèvent de la catégorie des infractions moyennement graves, et au fait que [le requérant], s’il était libéré, pourrait prendre la fuite et nuire à l’objectivité de l’enquête en exerçant une influence illicite sur des personnes participant à la procédure pénale, la cour estime que la décision rendue par le tribunal de district de Nasimi le 4 février 2013, qui ordonnait le placement en détention provisoire du requérant, est légitime et justifiée et qu’elle doit être maintenue. (...)
Dans l’arrêt Van de Hurk c. Pays-Bas (19 avril 1994, § 61, série A nº 288), la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué que le droit à un procès équitable implique que la juridiction motive ses décisions. Toutefois, cela ne signifie pas qu’elle soit tenue d’apporter une réponse détaillée à chacun des arguments soulevés par les parties. »
Ayant exposé les motifs susmentionnés, la cour d’appel de Bakou ne répondit à aucun des arguments spécifiques invoqués par le requérant contre la nécessité de son placement en détention (paragraphe 34 ci-dessus).
F. Prolongation de la détention provisoire et nouvelles accusations
Le 11 mars 2013, le requérant introduisit auprès du tribunal de district de Nasimi une requête tendant à voir commuer en assignation à résidence la mesure préventive de placement en détention provisoire. Il fit valoir qu’il avait démontré par son comportement qu’il n’avait aucunement l’intention de se soustraire à l’enquête. En outre, sa situation personnelle (sa situation familiale, le fait qu’il occupait un emploi permanent et qu’il avait une résidence permanente, sa carrière politique active à Bakou, etc.) rendait sa fuite d’autant plus improbable. Enfin, dans son cas, les « personnes participant à la procédure pénale » vivaient à Ismayilli et non à Bakou, où lui-même résidait. Par conséquent, il ne risquait guère d’exercer sur elles une influence illicite.
Au cours de l’audience du 12 mars 2013, l’accusation plaida que la requête de l’intéressé était « dénuée de fondement » et répéta qu’il existait un risque de voir le requérant prendre la fuite ou entraver l’enquête s’il n’était pas placé en détention. Le même jour, le tribunal de district de Nasimi rejeta la requête du requérant. Il motiva sa décision comme suit :
« Après avoir examiné la requête de l’avocat, entendu les personnes participant à l’audience et examiné les éléments de l’affaire, le tribunal considère que les raisons ayant motivé le placement en détention de l’accusé n’ont pas cessé d’exister et qu’il ne peut donc accéder à la requête ».
Le requérant forma contre cette décision un recours qui fut rejeté par la cour d’appel de Bakou le 27 mars 2013.
Entre-temps, le 13 mars 2013, l’accusation demanda une prolongation de la détention du requérant (initialement autorisée jusqu’au 4 avril 2013), indiquant que, malgré le fait que plusieurs mesures d’investigation avaient été prises, l’affaire était complexe et qu’une prolongation du délai était nécessaire pour mener l’enquête à son terme. Selon le requérant, non contredit par le Gouvernement, l’accusation ne soumit à la Cour au-delà de cette requête aucun autre élément en rapport avec le dossier pénal. Lors de l’audience du 14 mars 2013 relative à la demande de prolongation, l’accusation ne répondit pas aux questions de la défense concernant les preuves spécifiques sur lesquelles elle s’était fondée pour soupçonner le requérant d’avoir commis une infraction pénale, les mesures d’investigation spécifiques prises jusqu’alors et les autres mesures à prendre. À la suite de cette audience, l’avocat du requérant demanda formellement au juge d’inclure les questions précitées ainsi que les réponses (ou l’absence de réponses) dans le procès-verbal de l’audience, mais en vain.
Le 14 mars 2013, le tribunal de district de Nasimi prolongea de deux mois la détention provisoire du requérant (jusqu’au 4 juin 2013), motivant sa décision comme suit :
« Compte tenu de ce que le prévenu est accusé de faits relevant de la catégorie des infractions moyennement graves, de la complexité de la procédure pénale, de la nécessité de prolonger le délai pour pouvoir mener l’enquête à son terme, et de la nécessité de mettre en œuvre différentes mesures d’investigation, le tribunal considère qu’il y a lieu d’accéder à la requête [de l’accusation] et de prolonger la détention de l’accusé (...) jusqu’au 4 juin 2013. »
Le requérant fit appel de cette décision, répétant dans le détail tous les arguments contre sa détention qu’il avait avancés précédemment devant les tribunaux. Il fit également valoir que ni le droit interne ni la Convention ne permettaient de prolonger sa détention provisoire au motif que l’accusation avait besoin de davantage de temps pour faire son travail. Il invoqua à nouveau plusieurs arrêts de la Cour européenne portant sur diverses questions relatives à la détention provisoire.
Le 19 mars 2013, la cour d’appel de Bakou rejeta le recours du requérant et confirma la décision de prolongation rendue le 14 mars 2013, en se fondant sur le même raisonnement que celui suivi par le tribunal de première instance.
Le 5 avril 2013, le requérant introduisit une demande de mise en liberté sous caution auprès du tribunal de district de Nasimi, réitérant les arguments contre sa détention invoqués précédemment. Le 8 avril 2013, le tribunal rejeta sa demande, estimant que les motifs justifiant sa détention, tels que précisés dans sa décision du 14 mars 2013, « n’avaient pas cessé d’exister ».
Le requérant forma un recours contre cette décision, répétant dans le détail ses arguments en faveur de sa libération. Le 15 avril 2013, la cour d’appel de Bakou confirma la décision rendue par le tribunal de district de Nasimi le 5 avril 2013.
Le 30 avril 2013, le chef des enquêteurs décida d’inculper le requérant de nouvelles infractions, cette fois sur le terrain des articles 220.1 (organisation de troubles de grande ampleur) et 315.2 (résistance à agents publics ou violences contre agents publics constitutives de menaces pour la vie ou l’intégrité physique de ces derniers) du code pénal. En substance, le chef d’accusation se référant à l’article 220.1, qui emportait une peine beaucoup plus lourde (quatre à douze ans d’emprisonnement), remplaçait le chef d’accusation qui renvoyait précédemment à l’article 233. Aucune modification ne fut apportée à la description initiale des accusations formulées à l’encontre du requérant (paragraphe 27 ci-dessus).
L’un des effets du nouveau chef d’accusation renvoyant à l’article 220.1 du code pénal était que le requérant ne pouvait plus demander sa libération sous caution car la loi n’autorisait pas la remise en liberté sous caution des personnes accusées d’avoir commis délibérément des « infractions pénales graves » (paragraphes 71 et 74 ci-dessous). En outre, en tant que personne accusée d’une « infraction pénale grave », la détention provisoire du requérant pouvait désormais être prolongée d’une période plus longue (paragraphes 71 et 73 ci-dessous).
Le 15 mai 2013, le tribunal de district de Nasimi prolongea la détention du requérant (qui avait été autorisée jusqu’au 4 juin 2013) de trois mois supplémentaires (jusqu’au 4 septembre 2013). Au cours de l’audience, l’avocat du requérant répéta les arguments qu’il estimait militer en faveur de la libération et fit également valoir qu’il n’existait aucun facteur pertinent justifiant la détention de son client. Dans sa décision, le tribunal de district justifia la prolongation de la détention du requérant comme suit :
« Après avoir entendu les parties et examiné la requête [de l’accusation] sur la base des éléments du dossier, et compte tenu de la portée des mesures d’investigation à prendre et du fait que les motifs de détention [du requérant] n’ont pas cessé d’exister, le tribunal considère qu’il y a lieu de faire droit à la demande [de prolongation introduite par l’accusation] et de prolonger la durée de détention [du requérant] (...) ».
Le requérant forma un recours contre cette décision, réitérant ses précédents arguments. Le 27 mai 2013, la cour d’appel de Bakou confirma la décision de prolongation, en suivant un raisonnement similaire à celui suivi précédemment par les tribunaux.
Le 14 août 2013, le tribunal de district de Nasimi prolongea la détention du requérant (précédemment autorisée jusqu’au 4 septembre 2013) de deux mois supplémentaires (jusqu’au 4 novembre 2013). Le 20 août 2013, la cour d’appel de Bakou confirma la décision de maintien en détention. Les arguments présentés devant les tribunaux et le raisonnement de ces derniers étaient, pour l’essentiel, identiques à ceux des précédentes audiences et décisions relatives à la prolongation de la détention.
Aucune autre décision de prolongation ne figure dans les pièces du dossier.
Le procès au pénal du requérant débuta en novembre 2013. Le 17 mars 2014, le tribunal correctionnel de Shaki jugea le requérant coupable et le condamna à sept ans d’emprisonnement. La condamnation n’est pas encore définitive et le recours formé par le requérant est pendant.
G. Réaction du public à l’arrestation du requérant et à la procédure pénale menée à son encontre
L’affaire du requérant fut largement médiatisée. Certaines des réactions à l’affaire sont résumées ci-après.
Aussitôt après l’arrestation du requérant, plusieurs ONG nationales, ainsi que des ONG internationales parmi lesquelles Amnesty International, Human Rights Watch et Article 19, condamnèrent les actions des autorités, les qualifiant de « persécution à caractère politique » sur la base d’accusations « forgées de toutes pièces ».
Le 6 février 2013, Pedro Agramunt et Joseph Debono Grech, corapporteurs pour l’Azerbaïdjan de la commission de suivi de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (PACE), exprimèrent leurs inquiétudes quant à l’arrestation du requérant, indiquant qu’elle « soulevait des doutes justifiés et des inquiétudes légitimes » et exhortant les autorités à libérer le requérant et Tofig Yagublu.
Le 8 février 2013, Thorbjørn Jagland, secrétaire général du Conseil de l’Europe, fit la déclaration officielle suivante : « Je suis préoccupé par (...) la réaction brutale de la police face aux manifestations. Je suis particulièrement alarmé par l’arrestation, le 4 février, de Tofig Yagublu et d’Ilgar Mammadov, à la suite des incidents d’Ismayilli. M. Mammadov dirige l’École d’études politiques de Bakou, partenaire du Conseil de l’Europe avec lequel celui-ci travaille en étroite coopération. La décision de la cour d’appel de Bakou de ne pas libérer ces deux hommes et son refus d’autoriser le représentant du Conseil de l’Europe à être présent lors de la procédure devant la cour sont particulièrement graves ». Dans une nouvelle déclaration, faite par lui le 3 mai 2013, Thorbjørn Jagland « exprima son inquiétude et sa déception » quant aux nouvelles accusations portées contre le requérant.
Le 9 février 2013, les porte-paroles de la Haute représentante de l’Union européenne, Catherine Ashton, et du commissaire européen chargé de l’élargissement et de la politique de voisinage, Štefan Füle, firent une déclaration dans laquelle ils exprimaient leur inquiétude face à l’arrestation du requérant et exhortaient les autorités à examiner de façon juste, transparente et indépendante les accusations portées contre lui.
Le 13 juin 2013, le Parlement européen a adopté une résolution intitulée « Azerbaïdjan : affaire Ilgar Mammadov » []. Dans cette résolution, le Parlement européen estime notamment que la détention du requérant est « illégale » et « semble être une tentative de le maintenir incarcéré dans l’attente des prochaines élections », « condamne avec fermeté la détention de M. Mammadov, demande sa remise en liberté immédiate et sans conditions ainsi que la fin des poursuites à son encontre », et « exprime ses plus vives préoccupations quant aux informations émanant de défenseurs de droits de l’homme et d’ONG nationales et internationales faisant état de recours présumé à des chefs d’accusation fabriqués de toutes pièces à l’encontre d’hommes politiques, de militants et de journalistes ».
H. La désignation du requérant comme candidat aux élections présidentielles
Le processus d’enregistrement des candidats aux élections présidentielles débuta le 4 août 2013. Le code électoral exigeait que les candidats soumissent leurs documents d’éligibilité initiaux à la commission électorale centrale (« la CEC »), laquelle devait leur fournir ensuite des feuilles de signatures officielles, sur lesquelles ils devaient recueillir les signatures d’au moins 40 000 électeurs en faveur de leur nomination. La date limite pour la présentation des signatures et de tous les autres documents avait été fixée au 9 septembre 2013.
Étant donné que le requérant devait avoir un représentant dûment autorisé pour se charger des différentes démarches relatives à sa nomination, son avocat demanda le 1er août 2013 au département du parquet général chargé des infractions graves d’organiser une entrevue entre le requérant et un notaire au centre de détention de Bakou afin qu’il pût rédiger une procuration habilitant son représentant à le représenter dans les démarches électorales. La permission de visite d’un notaire fut accordée le 21 août 2013. Le notaire se rendit au centre de détention et certifia la procuration le 23 août 2013.
Dans l’attente d’une réponse à la requête ci-dessus, le requérant envoya le 10 août 2013 ses documents d’éligibilité initiaux à la CEC, depuis le bureau de poste du centre de détention. Selon le requérant, les documents ne furent pas remis à la CEC avant le 22 août 2013.
Le 23 août 2013, la CEC renvoya au requérant ses documents d’éligibilité initiaux, estimant qu’ils présentaient des lacunes. Après avoir remédié auxdites lacunes, le représentant du requérant renvoya les documents le jour même.
Le 27 août 2013, la CEC accepta à titre préliminaire la nomination du requérant comme candidat aux élections, dans l’attente de la vérification des signatures requises (paragraphe 62 ci-dessus), qui devaient être présentées le 9 septembre 2013 au plus tard. Les représentants du requérant présentèrent les feuilles de signatures requises.
Le 13 septembre 2013, la CEC refusa d’enregistrer le requérant comme candidat, estimant que ses feuilles de signatures contenaient un certain nombre de signatures non valables et que le nombre de signatures valables en soutien au requérant était inférieur au nombre minimal de signatures (40 000) exigé par la loi.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Le code pénal
L’article 220.1 du code pénal dispose ce qui suit :
Article 220. Organisation de troubles de grande ampleur
« 220.1. L’organisation de troubles de grande ampleur ou la participation à de tels troubles, lorsqu’ils s’accompagnent de faits de violence, de pillages, d’incendies criminels, de la destruction de biens, de l’usage d’armes à feu ou de substances ou dispositifs explosifs ou de la résistance armée à des agents publics (...)
est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée de quatre à douze ans.
(...) »
L’article 233 du code pénal dispose ce qui suit :
Article 233. Organisation d’actions entraînant un trouble à l’ordre public
ou participation active à de telles actions
« L’organisation, par un groupe de personnes, d’actions qui entraînent de façon flagrante des troubles à l’ordre public, qui sont liées à une insubordination à des injonctions légales d’un agent public ou qui entravent le bon fonctionnement des transports, des entreprises, des agences et des organisations, ainsi que la participation active à de telles actions (...)
sont passibles d’une amende d’un montant de cinq mille à huit mille manats, ou d’une peine de travaux obligatoires d’une durée maximale de deux ans, ou d’une peine de privation de liberté pouvant aller jusqu’à trois ans ».
L’article 315 du code pénal dispose ce qui suit :
Article 315. Résistance à agents publics ou violences contre agents publics
« 315.1. L’usage de la violence contre un agent public ou la résistance violente à un agent public dans le cadre de l’exercice par ledit agent de ses fonctions officielles, la commission, à l’égard des parents proches d’un tel agent public, d’actes de violence ne constituant pas un danger pour leur vie ou leur intégrité physique, ou la menace de la commission de tels actes de violence (...)
est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de trois ans.
315.2. La commission, à l’égard des personnes citées à l’article 315.1 du présent code, d’actes de violence constituant un danger pour leur vie ou leur intégrité physique (...)
est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée de trois à sept ans. »
L’article 15 du code pénal classe les infractions pénales en quatre catégories, en fonction de leur degré de gravité : i) les infractions ne représentant pas une menace grave pour l’ordre public, ii) les infractions pénales moyennement graves, iii) les infractions pénales graves, et iv) les infractions pénales particulièrement graves. Selon les termes de l’article 15.3, une « infraction pénale moyennement grave » est une infraction commise délibérément ou par négligence pour laquelle la peine maximale ne dépasse pas sept ans d’emprisonnement. Selon les termes de l’article 15.4, une « infraction pénale grave » est une infraction commise délibérément ou par négligence pour laquelle la peine maximale ne dépasse pas douze ans d’emprisonnement. Suivant ces critères, les infractions visées aux articles 233 et 315.2 du code pénal relèvent des « infractions pénales moyennement graves », tandis que l’infraction visée à l’article 220.1 du code pénal relève des « infractions pénales graves ».
B. Le code de procédure pénale (« le CPP »)
Les dispositions pertinentes du CPP concernant la détention provisoire et la procédure relative à l’application et à l’examen de la mesure préventive de placement en détention provisoire sont décrites en détail dans les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Farhad Aliyev c. Azerbaïdjan (nº 37138/06, §§ 83-102, 9 novembre 2010) et Muradverdiyev c. Azerbaïdjan (nº 16966/06, §§ 35-49, 9 décembre 2010).
Dans le cas de personnes accusées d’« infractions pénales moyennement graves », la durée maximale de la détention provisoire avant procès ne peut dépasser neuf mois à compter de la date de l’arrestation, toutes prolongations possibles de la durée initiale de deux mois comprises. Dans le cas de personnes accusées d’« infractions pénales graves », la durée maximale est de douze mois, toutes prolongations possibles de la durée initiale de trois mois comprises (articles 158.1, 159.1, 159.2, 159.7 et 159.8 du CPP).
Conformément aux articles 164.1 et 164.2 du CPP, la mise en liberté sous caution ne peut être ordonnée qu’à titre de mesure de substitution remplaçant une précédente décision de placement en détention provisoire et à la demande du détenu. Elle ne peut être accordée qu’à des personnes accusées d’infractions ne représentant pas une menace majeure pour l’ordre public, d’infractions pénales moyennement graves ou d’infractions graves commises par négligence.
C. Décisions de l’assemblée plénière de la Cour suprême
Décision du 30 mars 2006 « relative à l’application des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’administration de la justice »
La partie pertinente de cette décision se lit comme suit :
« 13. (...) la mesure préventive de placement en détention provisoire doit être considérée comme une mesure exceptionnelle à n’appliquer qu’en cas d’absolue nécessité, lorsque l’application d’une autre mesure préventive n’est pas possible.
Les tribunaux doivent tenir compte du fait que les personnes dont le droit à la liberté a été restreint ont le droit, conformément à l’article 5 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, d’être jugées dans un délai raisonnable et d’être libérées dans l’attente du procès s’il n’est pas nécessaire de leur appliquer la mesure préventive de placement en détention provisoire. »
Décision du 3 novembre 2009 « relative à l’application de la législation par les tribunaux lors de l’examen des demandes d’application de la mesure préventive de placement en détention provisoire à l’égard d’un accusé »
La partie pertinente de cette décision se lit comme suit :
« 3. Conformément à la législation, l’application de la mesure préventive de placement en détention provisoire doit répondre à des motifs de fond et de procédure. Les motifs de fond s’entendent des preuves qui établissent un lien entre l’accusé et la commission de l’infraction pénale qui lui est imputée. Les motifs de procédure s’entendent des motifs qui justifient la légitimité et la nécessité de l’application de la mesure préventive de placement en détention provisoire, telle qu’elle aura été déterminée par le tribunal au regard de l’ensemble des circonstances prévues à l’article 155 du code de procédure pénale [CPP].
Lorsqu’ils décident d’appliquer la mesure préventive de placement en détention provisoire, les tribunaux ne doivent pas se contenter d’énumérer les motifs de procédure prévus à l’article 155 du [CPP] mais ils doivent vérifier, pour chaque motif, s’il est pertinent dans le cas de l’accusé et s’il est étayé par les pièces figurant dans le dossier. Ce faisant, il convient de prendre en considération la nature et la gravité de l’infraction commise par l’accusé, les informations relatives à sa personnalité, à son âge, à sa situation familiale, à sa profession, à sa santé et à d’autres considérations de ce genre. (...)
Les demandes d’application de la mesure préventive de placement en détention provisoire, de prolongation de la durée de pareille détention et de remplacement de la détention provisoire par une assignation à résidence ou une mise en liberté sous caution doivent être examinées à huis clos par un juge unique, dans l’enceinte du tribunal, dans les vingt-quatre heures suivant leur réception (que ce soit ou non un jour férié ou après les heures de travail). La présence à l’audience de la personne dont les droits peuvent être restreints par la demande est obligatoire.
Les tribunaux doivent tenir compte du fait que les demandes d’application de la mesure préventive de placement en détention provisoire ou de prolongation de la durée de pareille détention ne peuvent être examinées en l’absence de l’accusé que dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’il est impossible d’assurer sa présence à l’audience, notamment si l’accusé s’est soustrait à l’enquête, s’il suit un traitement en hôpital psychiatrique ou pour une maladie grave, en cas d’urgence, de déclaration de quarantaine ou dans d’autres circonstances similaires. (...)
D’après l’article 447.5 du [CPP], lorsqu’il examine une demande d’application de la mesure préventive de placement en détention provisoire, un juge a le droit d’examiner les documents et les preuves matérielles fondant la demande.
Il convient d’expliquer aux tribunaux que cette disposition de la législation en matière de procédure pénale ne prévoit pas l’examen et l’appréciation des preuves par les tribunaux. Le contrôle juridictionnel qu’elle prévoit consiste uniquement à réexaminer les preuves initiales donnant des raisons de soupçonner l’accusé d’avoir commis une infraction pénale et à vérifier l’existence des motifs de procédure nécessaires à l’application de la mesure préventive de placement en détention provisoire.
Les tribunaux doivent veiller avec davantage de rigueur à ce que les pièces présentées par l’autorité chargée de l’enquête préliminaire à ce sujet soient exhaustives et de bonne qualité. (...) La demande [de mesure préventive de placement en détention provisoire] doit être accompagnée des pièces nécessaires à son examen, par exemple des copies des procès-verbaux et des décisions concernant l’ouverture de la procédure pénale, l’arrestation de l’accusé, son inculpation, son interrogatoire, et des documents d’identité. Aux termes de l’article 447.5 du [CPP], le juge a le droit de demander et d’examiner d’autres documents (par exemple, des déclarations relatives aux chefs d’accusation ou des procès-verbaux de confrontations directes) ainsi que les preuves matérielles afin de déterminer si la demande [de mesure préventive de placement en détention provisoire] est fondée. (...)
(...) il est rappelé aux tribunaux que, bien que le législateur ait fixé des motifs de fond et de procédure et des règles identiques pour l’examen des demandes d’application de la mesure préventive de placement en détention provisoire et les demandes de prolongation de la durée de pareille détention, étant donné que la prolongation de la durée de la détention provisoire restreint pendant une longue période le droit à la liberté d’un individu de même que son droit à la présomption d’innocence, les tribunaux, lors de l’examen de demandes de ce type, doivent faire preuve de prudence, vérifier les motifs et les raisons de la prolongation de la détention et, dans leurs décisions, justifier la nécessité de prolonger la durée de détention d’une autre façon que la nécessité de l’application [initiale] de la mesure préventive de placement en détention provisoire.
Lors de l’examen de demandes de prolongation de la durée de la détention provisoire de l’accusé, les tribunaux doivent vérifier en détail les arguments de la requête expliquant pourquoi il n’est pas possible de clôturer l’enquête préliminaire dans les délais prévus. Ce faisant, ils doivent tenir compte du fait que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le fait d’invoquer les mêmes motifs que ceux invoqués pour l’application [initiale] de la mesure préventive de placement en détention provisoire pour ordonner la prolongation de la durée de la détention provisoire de l’accusé est considéré comme une violation du droit à la liberté et à la sûreté consacré par l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1984 et est actuellement incarcéré à la prison de Thessalonique.
Soupçonné de participation à des vols en bande organisée et de possession de stupéfiants, le requérant fut arrêté le 24 avril 2012 et mis en détention provisoire à la direction de la police de Thessalonique. Il y fut détenu du 24 avril au 11 juin 2012, puis du 1er août au 12 novembre 2012. Pendant la période intermédiaire, il fut détenu dans les locaux de la direction des étrangers de Thessalonique, étant donné que les autorités de la prison de Thessalonique avaient déclaré qu’elles ne pouvaient pas l’y accueillir pour cause de surpopulation.
Le 1er mai 2012, le requérant introduisit devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique, en application de l’article 285 du code de procédure pénale (CPP), un recours contre le mandat de placement en détention provisoire. La chambre d’accusation rejeta ce recours le 12 juillet 2012.
Le 4 septembre 2012, en application de l’article 572 du CPP, le requérant saisit le procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique d’une requête dans laquelle il se plaignait de ses conditions de détention et sollicitait son transfert dans une prison. Toutefois, il ne reçut aucune réponse. Le requérant écrivit aussi à plusieurs reprises au chef de la police pour demander son transfert à la prison de Thessalonique, mais il fut informé que pareil transfert était impossible en raison de la surpopulation dans cette prison. Le 11 octobre 2012, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique décida de prolonger la détention provisoire du requérant.
Le 12 novembre 2012, le requérant fut transféré à la prison de Thessalonique.
A. La version du requérant quant à ses conditions de détention
Le requérant indique que ses conditions de détention tant à la direction de la police de Thessalonique qu’à la direction des étrangers de Thessalonique étaient identiques. Plus précisément, il soutient qu’il passait l’ensemble de ses journées sur son lit et confiné dans sa cellule, qu’il partageait celle-ci avec un grand nombre de détenus, et qu’il n’y avait aucune possibilité d’en sortir pour marcher ou faire de l’exercice. Il ajoute que la cellule était mal éclairée et mal ventilée, et que les conditions d’hygiène étaient inexistantes compte tenu de la surpopulation et de la saleté des lieux. Plus particulièrement, il indique que les couvertures, la literie et les lits n’étaient pas propres, que les détenus ne l’étaient pas non plus en raison de l’absence de produits d’hygiène personnelle, et qu’une odeur nauséabonde régnait dans la cellule.
Le requérant indique également que, faute de réfectoire, les repas étaient pris dans la cellule, qu’ils étaient de quantité et qualité nutritive insuffisantes, et que des fruits et légumes étaient rarement distribués aux détenus. Il ajoute avoir présenté des symptômes de carence en vitamines, tels que fatigue et faiblesse excessives, une perte de poids, des problèmes de vision et de chute de cheveux.
Il précise qu’il n’y avait aucune possibilité de se distraire ou de se tenir informé, car il n’y avait, d’après lui, ni radio, ni téléviseur, ni journaux, et que les heures de visites étaient la seule possibilité de communiquer avec l’extérieur et qu’elles étaient aussi limitées.
Il indique avoir participé, avec d’autres détenus, à des grèves de la faim pour se plaindre de ses conditions de détention.
B. La version du Gouvernement
Concernant la direction de la police de Thessalonique
Le Gouvernement indique que les cellules de la direction de la police de Thessalonique se trouvent au troisième étage du quartier général de la police de Thessalonique qui fut construit en 2004, qu’elles sont au nombre de dix-neuf avec une capacité totale de soixante-treize places, et que quinze d’entre elles sont réservées aux détenus de sexe masculin, une aux détenues de sexe féminin et trois aux mineurs.
D’après le Gouvernement, les conditions d’hygiène dans les cellules ne diffèrent pas de celles existant dans le reste des locaux du quartier général. À ses dires, les locaux sont nettoyés quotidiennement et la literie et les couvertures sont envoyées au nettoyage dans les installations de la prison de Thessalonique.
Le Gouvernement précise que les détenus ont la possibilité de lire la presse, de recevoir la visite de leurs proches et de téléphoner avec l’un des quatre appareils installés dans les zones communes à l’espace de détention.
Il ajoute que les détenus, dont le requérant, étaient nourris avec des repas provenant du restaurant du quartier général et qu’il s’agissait des mêmes repas que ceux préparés pour les centaines de policiers y travaillant.
S’agissant des soins médicaux, il indique que le centre médical de Thessalonique, situé dans le bâtiment où se trouve le quartier général de la police, met à la disposition de ce dernier un médecin ou un infirmier de permanence, et que, si le cas d’un détenu ne peut pas être traité sur place, celui-ci est transféré à l’hôpital de garde.
Concernant la direction des étrangers de Thessalonique
Le Gouvernement expose que le jour de l’arrivée du requérant à la direction des étrangers de Thessalonique, soit le 11 juin 2012, le nombre total de détenus dans l’espace de détention no 3, dans lequel l’intéressé fut placé, s’élevait à onze pour une surface de 58,85 m². Il précise que ce nombre varia entre neuf et douze pendant toute la durée de la détention du requérant en ce lieu.
Il ajoute que les cellules disposaient de vitres sur toute la surface du mur, d’un système d’aération, d’air conditionné et de chauffage central, que l’eau chaude était disponible pendant toute la journée, que chaque cellule disposait de deux toilettes et d’une douche accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, que les cellules étaient nettoyées par une entreprise privée et qu’une désinfection avait lieu deux fois par mois.
Il indique en outre qu’il n’y avait pas d’espace de récréation ou d’espace pour faire de l’exercice physique.
Il indique également que les repas étaient fournis une fois par jour par un traiteur extérieur lié par contrat pour le prix de trois euros par repas, et qu’ils étaient en quantité suffisante et se composaient d’un plat principal (300 grammes), de pain (200 grammes) et d’une salade avec du fromage. Il ajoute que chaque détenu avait la possibilité d’utiliser la somme de 5,87 euros (EUR) qu’il recevait par jour pour acheter différents produits alimentaires ou d’hygiène personnelle à la cantine de la direction.
Par ailleurs, selon le Gouvernement, les détenus avaient accès à la presse écrite et aussi à la télévision, au moyen de téléviseurs placés de manière à être visibles en tout lieu.
Le Gouvernement indique enfin que, à leur demande, les détenus pouvaient être transférés par une voiture de police à l’hôpital de garde où ils pouvaient recevoir des soins médicaux gratuits.
II. LE DROIT INTERNE ET LA PRATIQUE NATIONALE ET INTERNATIONALE
A. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil
L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :
« L’État est tenu de réparer les dommages causés par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
B. Le décret présidentiel no 141/1991 relatif aux compétences des organes du ministère de l’Ordre public
L’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 est ainsi libellé :
« Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police, excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. »
C. Le code de procédure pénale
L’article 284 du CPP prévoit :
« 1. Celui qui fait l’objet d’un mandat de [placement en] détention provisoire est conduit à la prison réservée aux prévenus et est présenté au directeur de celle-ci (...) »
D. Le code pénitentiaire
Les articles pertinents du code pénitentiaire disposent :
Article 1
« 1. Les règles qui suivent régissent les conditions et les circonstances de l’exécution des peines et des mesures de sûreté (...) conformément à la Constitution, aux conventions internationales, aux lois et aux actes réglementaires édictés en vertu de celles-ci.
Sont considérées comme [des] détenus les personnes qui purgent des peines privatives de liberté, celles auxquelles s’appliquent les articles 69 [détention de criminels irresponsables] et 71 [admission des alcooliques et toxicomanes dans un établissement thérapeutique] du code pénal, ainsi que les détenus provisoires et ceux qui sont détenus en application des articles 16 [catégories spécifiques de détenus] et 17 [autres catégories de détenus] du présent code.
(...)
Les « établissements de détention » sont ceux qui sont définis au Troisième Chapitre du présent code. »
Article 15
« 1. Les personnes placées dans les établissements de détention, soit en application d’un mandat d’arrêt ou d’un mandat de placement en détention provisoire, soit en application d’une décision de la chambre d’accusation, séjournent dans des secteurs séparés, destinés aux femmes ou aux hommes, ou dans des espaces particuliers, séparés des autres détenus (...)
Les conditions de détention des personnes mises en examen dans la prison s’approchent dans la mesure du possible [des conditions] de la vie en liberté. [Ces personnes] ne sont [pas] soumises à des restrictions de leur liberté autres que celles qui sont nécessaires pour le bon déroulement de l’instruction (...) »
Article 19
« 1. Les établissements de détention se distinguent en : a) généraux, b) spéciaux et c) thérapeutiques.
Les établissements de détention généraux se distinguent en établissements de type A, de type B et de type C. Dans les établissements de type A sont placés les prévenus, ceux qui sont détenus pour des dettes et ceux qui ont été condamnés à une peine d’emprisonnement. Dans les établissements de type B sont placés tous les autres détenus, sous réserve de l’alinéa suivant. Dans les établissements de type C (...) sont placés les détenus qui purgent une peine de réclusion à perpétuité ou de dix ans minimum et [qui] sont considérés comme particulièrement dangereux pour la coexistence normale dans les établissements d’un autre type (...)
Les établissements spéciaux sont les prisons agricoles, la "Centrale du matériel pénitentiaire", les établissements pour les jeunes et les établissements semi-ouverts (...) »
E. La loi no 3900/2010 relative à l’accélération de la procédure devant les juridictions administratives
L’article 1 de la loi no 3900/2010 prévoit :
« 1. Tout recours devant un tribunal administratif ordinaire peut être [déféré au] Conseil d’État par un acte d’une commission de trois membres, composée du président du Conseil d’État, du vice-président le plus ancien et du président de la section compétente en la matière, [sur] demande d’une des parties ou du commissaire général du tribunal administratif [concerné], lorsque ce recours soulève une question d’intérêt plus général qui a des conséquences pour un cercle plus étendu de personnes (...)
La décision du Conseil d’État lie les parties à la procédure devant lui ainsi que les parties intervenantes.
Lorsqu’un tribunal administratif se saisit d’une affaire dans laquelle surgit une telle question, il peut, par une décision qui n’est pas susceptible de recours, soumettre une question préjudicielle au Conseil d’État.
La décision du Conseil d’État est contraignante pour le tribunal [à l’origine de] la question et lie les parties intervenantes [à la procédure] devant lui.
Après la résolution de la question selon la procédure décrite aux paragraphes précédents, les affaires qui soulèvent la même question et dont l’examen avait été suspendu sont introduites devant les juridictions administratives statuant en formation de chambre du conseil (...) »
F. La pratique nationale et internationale
La Cour se réfère à ce sujet notamment aux paragraphes 19-22 de l’arrêt Aslanis c. Grèce (no 36401/10, 17 octobre 2013). | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Les circonstances de l’espèce
Le requérant, M. Iordan Georgiev Plechkov, est né en 1975 et réside à Kavarna (Bulgarie).
À l’époque des faits, il était à la fois commandant et propriétaire du navire de pêche « Hisnik », battant pavillon bulgare.
Le 3 mai 2002, alors que le navire se trouvait au large des côtes roumaines, à une distance d’environ 29 milles marins, il fut arraisonné par une vedette de la marine militaire roumaine. Lors du contrôle qui fut effectué furent trouvés à bord des outils de pêche industrielle et environ 300 kg de requin. Le navire fut ensuite conduit sous escorte au port de Constanţa, où il fut mis sous séquestre avec sa cargaison.
Le jour même, le requérant fut placé en garde à vue et par la suite, en détention provisoire. Il était accusé d’avoir illégalement pratiqué la pêche au requin à l’aide de palangres (paragate) dans la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire, et cela de surcroît pendant la période de fermeture de cette pêche. En particulier, il lui fut reproché d’avoir enfreint les dispositions :
– du décret du Conseil d’État no 142/1986 sur la zone économique exclusive ;
– de la loi no 17/1990 sur les eaux maritimes intérieures, la mer territoriale et la zone contigüe de la Roumanie ;
– des articles 61 e) et 62 de la loi no 192/2001 sur la ressource halieutique ;
– et de l’arrêté interministériel (ordin) no 140/2002 du 26 mars 2002 pris pour l’application de la loi no 192/2001.
Le 4 mai 2004, les organes d’enquête pénale ordonnèrent la saisie conservatoire du navire et de sa cargaison.
Le 13 mai 2002, la direction générale départementale de l’Agriculture et de l’Industrie alimentaire de Constanţa, qui s’était constituée partie civile, estima son préjudice résultant de la quantité de requin pêchée à 21 420 000 lei anciens (ROL), soit environ 685 euros (EUR).
Le 1er juillet 2002, le requérant fut remis en liberté moyennant le paiement d’une caution de 25 millions de ROL soit environ 800 EUR. Toutefois, le navire et sa cargaison restèrent sous séquestre.
À une date non précisée, le requérant fut renvoyé en jugement devant la chambre pénale du tribunal de première instance de Constanţa pour délit pénal (infracţiune) commis, selon l’accusation, dans la zone économique exclusive roumaine. Il était reproché au requérant d’avoir pratiqué dans cette zone la pêche au requin par l’utilisation sans permis d’outils de pêche industrielle tels qu’une palangre, et de l’avoir fait en outre pendant la période de fermeture de ce type de pêche fixée par l’arrêté interministériel no 140/2002 du 26 mars 2002, qui allait du 15 avril au 14 juin 2002.
Au cours de la procédure, le requérant accepta de verser à la partie civile – la direction générale de l’Agriculture et de l’Industrie alimentaire de Constanţa – le montant demandé par elle à titre de dommages-intérêts pour la quantité de requin trouvée à bord du navire.
Devant le tribunal, le requérant précisa qu’il était pêcheur depuis 1995, qu’il était en possession d’une licence de pêche délivrée par les autorités de Varna (Bulgarie) et qu’il n’avait jamais pénétré dans les eaux territoriales roumaines.
Il affirma que lorsqu’il avait été arrêté, il n’avait pas conscience d’avoir enfreint les lois roumaines : avant son départ, s’étant renseigné auprès des autorités bulgares de la ville côtière de Kaliakra pour savoir où il avait le droit de pêcher, il avait été informé que la Roumanie avait une compétence exclusive jusqu’à une distance de 24 milles marins au large des côtés roumaines, de sorte qu’il croyait pouvoir pêcher librement au-delà de cette limite. Il déclara aussi qu’il n’avait pas connaissance que la pêche au requin était interdite en mer Noire, et que la Bulgarie n’avait pas interdit ce type de pêche.
Il reconnut avoir pêché le requin à l’aide de palangres, mais fit valoir que le requin ne pouvait être pêché autrement que par ce moyen.
Le 11 juillet 2002, l’ambassade de Bulgarie à Bucarest envoya au tribunal une note diplomatique, qui fut versée au dossier. La note précisait que la Roumanie et la Bulgarie avaient ratifié la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (« la CNUDM ») signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, mais qu’aucun accord n’avait encore été conclu entre les deux pays pour la délimitation de leurs zones économiques exclusives, et que des négociations diplomatiques entre les deux pays étaient en cours. La note indiquait en outre que ni la Roumanie ni la Bulgarie n’étaient parties à des accords multilatéraux sur le même sujet et que les deux pays n’avaient pas non plus conclu d’accord dérogeant à l’article 73 § 3 de la CNUDM, de sorte qu’il n’était pas permis aux parties de sanctionner par des peines d’emprisonnement les infractions aux lois et règlements en matière de pêche dans la zone économique exclusive. La note faisait état des inquiétudes de la Bulgarie quant aux procédures en cours à l’encontre de pêcheurs bulgares (paragraphe 40 ci-dessous) et exprimait l’espoir que ces affaires allaient connaître un règlement rapide et efficace.
Le tribunal rendit son jugement le 18 juillet 2002. Il constata d’abord que le décret no 142/1986 du Conseil d’État de la République socialiste de Roumanie avait institué une zone économique exclusive roumaine en mer Noire, et que l’article 2 dudit décret précisait que cette zone s’étendait « sur une distance de 200 milles marins à partir des lignes de base à partir desquelles se mesure la largeur de la mer territoriale ».
Le tribunal releva ensuite que le décret no 142/1986 avait été abrogé par la loi no 36/2002, passée sous silence dans le réquisitoire dressé à l’encontre du requérant ; or, le tribunal considéra que cette loi avait changé la définition de la zone économique exclusive roumaine telle qu’elle était donnée auparavant par le décret. En particulier, il estima nouveau le fait que la loi no 36/2002 ne précisait plus la largeur de la zone économique exclusive roumaine, mais indiquait simplement qu’elle « pouvait aller jusqu’à 200 milles marins ». De plus, la loi disposait que l’étendue exacte de la zone économique exclusive devait être fixée par des accords entre l’État roumain et les autres États côtiers, dans le respect de la CNUDM. Le tribunal constata ensuite que la Roumanie et la Bulgarie avaient entamé des négociations en vue d’une délimitation des zones économiques exclusives des deux pays, mais qu’aucun accord n’avait encore été trouvé. Il en déduisit que la CNUDM, qui fournissait le cadre légal permettant l’instauration d’une zone économique exclusive, n’avait pas été mise en œuvre par la Roumanie et par la Bulgarie, faute d’accord bilatéral entre les deux pays. Le tribunal en conclut que le navire commandé par le requérant avait été arrêté dans une zone qui n’était pas soumise aux lois roumaines.
Il déduisit de ce constat qu’en l’espèce, un élément objectif indispensable à la constitution du délit faisait défaut, puisque le requérant n’avait pas franchi la limite de la zone contigüe et que la loi roumaine ne s’appliquait pas au-delà de cette limite. Par conséquent, l’interdiction de pêcher le requin édictée par l’arrêté interministériel no 140 du 26 mars 2002 ne lui était pas opposable. Le tribunal constata encore que l’intention, au sens de la loi pénale, manquait également puisque la pêche au requin n’était pas interdite par la Bulgarie. Compte tenu de ces considérations, le tribunal conclut que le requérant n’avait pas non plus causé de préjudice.
Le tribunal acquitta le requérant en vertu des dispositions combinées de l’article 11 (2) lit. a) et de l’article 10 § 1 lit. a) du code de procédure pénale, jugeant que le requérant n’avait pas commis les faits reprochés (fapta nu există). Il annula aussi la saisie conservatoire et ordonna la restitution de la caution.
Le tribunal rejeta toutefois la demande de restitution de la somme déjà versée par le requérant pour couvrir le préjudice de la partie civile, au motif que la demande n’avait pas de base légale, s’agissant d’une somme payée de plein gré.
Par un arrêt du 30 septembre 2002, sur appel du parquet, le tribunal départemental de Constanţa infirma le jugement rendu en premier ressort. Le tribunal départemental observa d’abord que la Roumanie et la Bulgarie étaient toutes deux parties à la CNUDM, dont l’article 57 disposait que la zone économique exclusive ne pouvait s’étendre au-delà de la limite de 200 milles marins, déterminée par rapport à la ligne de base des côtes. Il jugea ensuite que les dispositions de ladite convention sur les zones économiques exclusives étaient directement applicables en droit interne, même en l’absence d’accords bilatéraux entre les États concernés, puisque la loi no 36/2002 avait repris plusieurs dispositions de la CNUDM.
Le tribunal départemental conclut que le navire commandé par le requérant avait pénétré dans la zone économique exclusive de la Roumanie, telle que délimitée par la loi no 36/2002 et par la CNUDM, ratifiée par la Roumanie par la loi no 110/1996. Il constata ensuite que le requérant s’était livré à des activités de pêche industrielle dans ladite zone, en violation des articles 61 et 62 de la loi no 192/2001, et le déclara coupable des faits reprochés. Au visa des dispositions de l’article 72 du code pénal énumérant les critères d’individualisation de la peine, le tribunal décida d’appliquer au requérant « une peine minimale de prison » de deux ans avec sursis, avec une mise à l’épreuve de quatre ans, en déduisant de la peine la période déjà passée en détention du 4 mai au 1er juillet 2002.
Se fondant sur l’article 67 §§ 1 et 2 de la loi no 192/2001, le tribunal départemental ordonna en outre la confiscation du navire, des installations et des outils se trouvant à bord et ayant servi à commettre les faits reprochés, ainsi que de l’ensemble de la cargaison.
Il constata ensuite que, pendant la procédure, le requérant avait réparé intégralement le préjudice causé à la partie civile et y vit un acquiescement du requérant à sa culpabilité.
Enfin, il ordonna l’expulsion du requérant et mit à sa charge les frais de justice afférents à l’examen du fond, qui s’élevaient à 11 800 000 ROL (environ 380 EUR).
Le requérant forma un pourvoi en recours (recurs) contre l’arrêt susmentionné. Devant la cour d’appel de Constanţa, il soutint d’abord que sa condamnation était illégale et contraire à divers principes généraux du droit, notamment celui selon lequel la loi pénale est d’interprétation et d’application strictes. Or, en l’espèce, il considérait que le tribunal départemental l’avait condamné en lui appliquant la loi pénale roumaine par analogie. Selon le requérant, la CNUDM fixait seulement le cadre théorique dans lequel les États pouvaient bénéficier de zones économiques exclusives, mais elle ne déterminait pas concrètement les zones économiques exclusives de la Roumanie et de la Bulgarie, puisque ces zones ainsi que les droits concrets s’y attachant devaient être déterminés par le biais d’un accord bilatéral entre les États concernés, accord qui manquait en l’espèce. En l’absence d’accord bilatéral, les seules dispositions pertinentes étaient à ses yeux celles de la loi no 17/1990 sur la mer territoriale et la zone contigüe. Or, les activités de pêche reprochées au requérant avaient eu lieu au-delà de la zone contigüe. Partant, il estimait que l’arrêté interministériel no 140/2002 fixant la période de fermeture de la pêche au requin ne lui était pas opposable.
Il fit ensuite valoir que la CNUDM prohibait en tout état de cause a) la saisie prolongée d’un navire et la détention de l’équipage lorsqu’une caution avait été acquittée, comme en l’espèce, et b) l’application d’une peine d’emprisonnement. Enfin, il nia avoir acquiescé à sa propre culpabilité lorsqu’il avait payé la somme demandée par la partie civile. Il demanda son acquittement et la restitution du navire ainsi que des sommes acquittées à titre de caution et de réparation du préjudice.
Par un arrêt du 26 novembre 2002, la cour d’appel de Constanţa rejeta le pourvoi du requérant dans ces termes :
« Il est vrai que tant le droit international que le droit interne exigent la conclusion d’un accord entre les États côtiers de la mer Noire, adjacents ou se faisant face, afin de délimiter la zone économique exclusive de chaque État (en profondeur). Un tel accord (article 9 § 2 de la loi no 17/1990 republiée le 21 octobre 2002, et article 57 de la CNUDM) n’a pas été conclu avec la Bulgarie ; toutefois, même s’il en avait été conclu un, il n’aurait pas été favorable au prévenu.
Un accord entre la Roumanie et la Bulgarie ne peut avoir pour objet la délimitation en profondeur (largeur) de la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire, puisque l’État en question est un riverain adjacent à la Roumanie. [Ce que] l’accord invoqué par l’inculpé devrait fixer, [ce sont] les limites latérales des zones économiques exclusives des deux pays, ainsi que la largeur de la zone roumaine au Cap Midia.
Le fait que le prévenu ait admis que l’endroit où son navire a été arrêté le 3 mai 2002 se trouvait à une distance de 29 milles marins des côtes roumaines équivaut à reconnaître qu’il avait pénétré dans la zone économique exclusive de la Roumanie, délimitée [par rapport à] la zone similaire bulgare par la prolongation de la ligne de frontière terrestre entre les deux pays, [depuis] Vama Veche.
Le prévenu admet avoir franchi cette limite, mais estime, à tort, qu’il se trouvait en haute mer.
Il appartenait au requérant de se documenter et de connaître les dispositions du droit international de la mer, opposables à tous les pays ayant ratifié les conventions, les pactes et les amendements internationaux, et [donc] à la Bulgarie.
L’État roumain n’avait aucune obligation de communiquer à l’État bulgare les mesures de prohibition de la pêche au turbot et au requin en mer Noire pendant la période avril-juin 2002 ; la Roumanie, ayant des droits souverains, a agi selon les articles 10, 14, et 29 de la loi no 17/1990 et les articles 55 et 56 de la CNUDM afin d’assurer la conservation et la gestion des ressources naturelles biologiques ainsi qu’une pêche rationnelle dans sa zone économique exclusive. Si l’inculpé avait demandé et obtenu l’autorisation de pêcher dans la zone économique exclusive de la Roumanie, il aurait forcément connu les dispositions de la loi no 192/2001 qui régit l’autorisation de la pêche et la protection de la ressource halieutique dans la zone en question. »
Le navire du requérant et les outils s’y trouvant furent par la suite vendus aux enchères publiques au prix de 63 millions de ROL (environ 2 000 EUR).
B. Le droit international et le droit et jurisprudence internes pertinents
La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (« la CNUDM »)
Les dispositions pertinentes de la CNUDM sont ainsi libellées :
Article 15
Délimitation de la mer territoriale entre États dont
les côtes sont adjacentes ou se font face
« Lorsque les côtes de deux États sont adjacentes ou se font face, ni l’un ni l’autre de ces États n’est en droit, sauf accord contraire entre eux, d’étendre sa mer territoriale au-delà de la ligne médiane dont tous les points sont équidistants des points les plus proches des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale de chacun des deux États. Cette disposition ne s’applique cependant pas dans le cas où, en raison de l’existence de titres historiques ou d’autres circonstances spéciales, il est nécessaire de délimiter autrement la mer territoriale des deux États. »
Article 55
Régime juridique particulier de la zone économique exclusive
« La zone économique exclusive est une zone située au-delà de la mer territoriale et adjacente à celle-ci, soumise au régime juridique particulier établi par la présente partie, en vertu duquel les droits et la juridiction de l’État côtier et les droits et libertés des autres États sont gouvernés par les dispositions pertinentes de la Convention. »
Article 56
Droits, juridiction et obligations de l’État côtier
dans la zone économique exclusive
« 1. Dans la zone économique exclusive, l’État côtier a :
a) des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux sur jacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol (...) ;
b) juridiction, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, en ce qui concerne : i) la mise en place et l’utilisation d’îles artificielles, d’installations et d’ouvrages ; ii) la recherche scientifique marine ; iii) la protection et la préservation du milieu marin ;
c) les autres droits et obligations prévus par la Convention. (...) »
Article 57
Largeur de la zone économique exclusive
« La zone économique exclusive ne s’étend pas au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale. »
Article 61
Conservation des ressources biologiques
« 1. L’État côtier fixe le volume admissible des captures en ce qui concerne les ressources biologiques dans sa zone économique exclusive.
[...] »
Article 62
Exploitation des ressources biologiques
« 1. L’État côtier se fixe pour objectif de favoriser une exploitation optimale des ressources biologiques de la zone économique exclusive, sans préjudice de l’article 61.
Les ressortissants d’autres États qui pêchent dans la zone économique exclusive se conforment aux mesures de conservation et aux autres modalités et conditions fixées par les lois et règlements de l’État côtier. Ces lois et règlements doivent être compatibles avec la Convention et peuvent porter notamment sur les questions suivantes :
a) délivrance de licences aux pêcheurs ou pour les navires et engins de pêche [...] ;
b) indication des espèces dont la pêche est autorisée et fixation de quotas [...] ;
c) réglementation des campagnes et des zones de pêche, du type, de la taille et du nombre des engins, ainsi que du type, de la taille et du nombre des navires de pêche qui peuvent être utilisés ;
d) fixation de l’âge et de la taille des poissons et des autres organismes qui peuvent être pêchés ;
...
L’État côtier notifie dûment les lois et règlements qu’il adopte en matière de conservation et de gestion. »
Article 70
Droit des États géographiquement désavantagés
« 1. Les États géographiquement désavantagés ont le droit de participer, selon une formule équitable, à l’exploitation d’une part appropriée du reliquat des ressources biologiques des zones économiques exclusives des États côtiers de la même
sous-région ou région, compte tenu des caractéristiques économiques et géographiques pertinentes de tous les États concernés et conformément au présent article et aux articles 61 et 62.
Aux fins de la présente partie, l’expression « États géographiquement désavantagés » s’entend des États côtiers, y compris les États riverains d’une mer fermée ou semi-fermée, que leur situation géographique rend tributaires de l’exploitation des ressources biologiques des zones économiques exclusives d’autres États de la sous-région ou région pour un approvisionnement suffisant en poisson destiné à l’alimentation de leur population ou d’une partie de leur population, ainsi que des États côtiers qui ne peuvent prétendre à une zone économique exclusive propre.
.. »
Article 73
Mise en application des lois et règlements de l’État côtier
« 1. Dans l’exercice de ses droits souverains (...), l’État côtier peut prendre toutes mesures, y compris l’arraisonnement, l’inspection, la saisie et l’introduction d’une instance judiciaire, qui sont nécessaires pour assurer le respect des lois et règlements qu’il a adoptés conformément à la Convention.
Lorsqu’une caution ou une garantie suffisante a été fournie, il est procédé sans délai à la mainlevée de la saisie dont un navire aurait fait l’objet et à la libération de son équipage.
Les sanctions prévues par l’État côtier pour les infractions aux lois et règlements en matière de pêche dans la zone économique exclusive ne peuvent comprendre l’emprisonnement, à moins que les États concernés n’en conviennent autrement, ni aucun autre châtiment corporel.
Dans les cas de saisie ou d’immobilisation d’un navire étranger, l’État côtier notifie sans délai à l’État du pavillon, par les voies appropriées, les mesures prises ainsi que les sanctions qui seraient prononcées par la suite. »
Article 74
Délimitation de la zone économique exclusive entre
États dont les côtes sont adjacentes ou se font face
« 1. La délimitation de la zone économique exclusive entre États dont les côtes sont adjacentes ou se font face est effectuée par voie d’accord conformément au droit international tel qu’il est visé à l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice, afin d’aboutir à une solution équitable.
S’ils ne parviennent pas à un accord dans un délai raisonnable, les États concernés ont recours aux procédures prévues à la partie XV. (...)
En attendant la conclusion de l’accord visé au paragraphe 1, les États concernés, dans un esprit de compréhension et de coopération, font tout leur possible pour conclure des arrangements provisoires de caractère pratique et pour ne pas compromettre ou entraver pendant cette période de transition la conclusion de l’accord définitif. Les arrangements provisoires sont sans préjudice de la délimitation finale. (...) »
PARTIE IX
Mers fermées ou semi-fermées
Article 122
Définition
« Aux fins de la Convention, on entend par « mer fermée ou semi-fermée » un golfe, un bassin ou une mer entourée par plusieurs États et relié à une autre mer ou à l’océan par un passage étroit, ou constitué, entièrement ou principalement, par les mers territoriales et les zones économiques exclusives de plusieurs États. »
La Roumanie a, à ce jour, délimité son espace maritime en mer Noire seulement avec l’Ukraine. Faute d’accord bilatéral entre les deux pays, cette délimitation a été faite par la Cour internationale de justice dans un arrêt du 3 février 2009 de délimitation du plateau continental et des zones économiques exclusives des deux parties dans la mer Noire.
Selon une déclaration de presse de la porte-parole du ministère des Affaires étrangères bulgare, Vessela Tcherneva, en date du 21 mars 2012 et citée dans l’édition en ligne du même jour du journal roumain « România Liberă », la Roumanie et la Bulgarie mènent depuis environ vingt ans des négociations pour des délimitations entre les deux pays dans la mer Noire.
La Constitution
Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent comme suit :
Article 11 – Le droit international et le droit interne
« (1) L’État roumain s’engage à remplir exactement et de bonne foi les obligations qui lui incombent en vertu des traités auxquels il est partie.
(2) Les traités ratifiés par le Parlement conformément à la loi font partie du droit interne.
(3) ... »
Le décret no 142/1986 instituant la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire
Le 25 avril 1986 fut adopté le décret du Conseil d’État no 142/1986 portant institution de la zone économique exclusive de la République socialiste de Roumanie en mer Noire. Signé par le Président du Conseil et publié au journal officiel du 26 avril 1986, le décret fut formellement abrogé le 31 janvier 2002 par la loi no 36/2002 (paragraphe 29 ci-dessous). Les dispositions pertinentes du décret – qui indiquait, dans son préambule, tenir compte des principes généralement reconnus du droit international et notamment des règles pertinentes de la CNUDM – se lisaient ainsi :
Article 1
« Dans l’espace maritime de la côte roumaine de la mer Noire situé au-delà de la limite des eaux territoriales et adjacent à celles-ci, est instituée la zone économique exclusive de la République socialiste de Roumanie, qui y exerce des droits souverains et la juridiction sur les ressources naturelles et sur le sous-sol du fond marin et la colonne située au-dessus, ainsi qu’en ce qui concerne les différentes activités liées à l’exploitation, l’exploration, la conservation et la gestion de ces ressources.
Article 2
La zone économique exclusive s’étend vers l’extérieur jusqu’à une distance de 200 milles marins à compter des lignes de base à partir desquelles on mesure la largeur de la mer territoriale ; eu égard aux dimensions limitées de la mer Noire, l’étendue effective de la zone économique exclusive de la République socialiste de Roumanie sera déterminée par voie de délimitation dans le cadre de négociations avec les États voisins dont les côtes sont adjacentes ou font face à la côte roumaine de la mer Noire. La délimitation se fera, en tenant compte de la législation de la République socialiste de Roumanie, par des négociations avec ces États, en appliquant, selon les circonstances spécifiques de chaque secteur à délimiter, des principes et des critères de délimitation généralement reconnus en droit international et [dans le droit] des États, en vue d’une solution équitable. »
La loi no 110/1996 de ratification de la CNUDM
La CNUDM fut ratifiée par la Roumanie par la loi no 110/1996 du 10 octobre 1996, dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :
Article 1
« La Convention des Nations unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay (Jamaïque) le 10 décembre 1982, est ratifiée. »
Article 3
« La Roumanie réitère la déclaration qu’elle a faite lors de la signature de la Convention, le 10 décembre 1982. La déclaration se lit comme suit :
En tant que pays géographiquement désavantagé, riverain d’une mer pauvre en ressources biologiques, la Roumanie réaffirme la nécessité du développement de la coopération internationale dans le domaine de l’exploitation des ressources biologiques des zones économiques, sur la base d’accords justes et équitables, aptes à assurer l’accès des pays de cette catégorie aux ressources halieutiques des zones économiques d’autres régions ou sous-régions.
.. »
La loi no 17/1990 relative au régime juridique des eaux maritimes intérieures, de la mer territoriale et de la zone contigüe de la Roumanie
Jusqu’au 31 janvier 2002, les dispositions pertinentes de la loi no 17/1990 du 7 août 1990 se lisaient ainsi :
Article 5
« Les eaux territoriales, la mer intérieure, le sol et leur sous-sol ainsi que l’espace aérien au-dessus font partie du territoire de la Roumanie.
(...) »
Article 6
« La zone contigüe de la Roumanie est la bande de mer adjacente à la mer territoriale qui s’étend au large jusqu’à une distance de 24 milles marins [...].
Article 7
« Dans sa zone contigüe, la Roumanie exerce le contrôle aux fins de la prévention et de la répression des violations, sur son territoire, de ses lois et règlements dans le domaine douanier, fiscal, sanitaire et du passage de la frontière nationale. »
Article 18
« La juridiction pénale de la Roumanie s’applique aussi dans le cas de la violation de la législation roumaine concernant la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire par des personnes embarquées à bord de navires étrangers utilisés à des fins commerciales, si les faits sont commis dans des conditions les rendant constitutifs d’un délit pénal (infracţiune). »
Article 20
« Dans l’exercice de la juridiction de la Roumanie les organes roumains compétents pourront ordonner, selon les dispositions légales en vigueur, l’immobilisation ou la saisie de tout navire étranger utilisé à des fins commerciales, et pourront prendre des mesures d’exécution forcée à l’encontre d’un tel navire se trouvant dans la mer territoriale, dans les eaux maritimes intérieures ou dans la zone contigüe de la Roumanie afin d’assurer (...) le paiement de [toutes] sommes [à titre de] dédommagements, taxes ou autres. »
Article 35
Sont constitutifs d’une contravention les faits suivants, s’ils n’ont pas été commis dans des conditions permettant de les considérer comme des délits au sens de la loi pénale (infracţiune) :
c) la pêche industrielle ou toute autre activité d’exploitation illégale des ressources naturelles des eaux maritimes intérieures ou de la mer territoriale, y compris du fond marin et du sous-sol de ces zones ;
.. »
La loi no 36/2002 portant modification de la loi no 17/1990 relative au régime juridique des eaux maritimes intérieures, de la mer territoriale et de la zone contigüe de la Roumanie
Le 31 janvier 2002 est entrée en vigueur la loi no 36/2002 portant modification de la loi no 17/1990. Elle y a introduit, entre autres, un chapitre II1 intitulé « Zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire », et a abrogé explicitement le décret du Conseil d’État no 142/1986, qui établissait jusqu’alors la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire (paragraphe 26 ci-dessus). La loi no 17/1990 ainsi modifiée fut republiée dans le journal officiel le 21 octobre 2002, avec une nouvelle numérotation des articles et alinéas. Ses dispositions pertinentes se lisent comme suit :
Article 1
« La présente loi fixe le statut juridique des eaux maritimes intérieures, de la mer territoriale, de la zone contigüe et de la zone économique exclusive, conformément aux dispositions de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, ratifiée par la Roumanie par la loi no 110/1996.
Article 9
« 1. La zone économique exclusive de la Roumanie est instituée dans l’espace maritime (...) de la mer Noire se trouvant au-delà des eaux territoriales et adjacent à celles-ci (...).
Compte tenu des spécificités des dimensions de la mer Noire, l’étendue de la zone économique exclusive de la Roumanie sera déterminée par le biais d’une délimitation à effectuer par voie d’accords conclus avec les États voisins dont les côtes sont adjacentes ou font face aux côtes roumaines, sachant qu’en vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, ratifiée par la Roumanie par la loi no 110/1996, la largeur maximale de la zone économique exclusive peut aller jusqu’à 200 milles marins, calculés à partir des lignes de base prévues à l’article 2.
La délimitation se fera en conformité avec les principes généralement reconnus en droit international et dans le respect de la loi roumaine, en appliquant, selon les circonstances spécifiques à chaque secteur à délimiter, des principes et des critères de délimitation généralement reconnus, de sorte qu’une solution équitable soit trouvée. »
Article 10
« 1. Dans la zone économique exclusive, la Roumanie exerce :
a) des droits souverains d’exploration et d’exploitation, de protection, conservation et gestion de toutes les ressources naturelles biologiques ou non biologiques, et autres ressources se trouvant au fond de la mer, dans son sous-sol, ou dans la colonne d’eau et l’espace aérien au-dessus de celui-ci ;
(...) »
Article 14
« (1) La Roumanie assure l’utilisation optimale des ressources halieutiques et autres ressources biologiques, en prenant les mesures techniques ou d’une autre nature qui s’imposent quant à leur conservation et la gestion dans toutes les eaux situées à l’intérieur des limites extérieures de sa zone économique exclusive...
(2) Dans ce but, les organes compétents roumains fixent annuellement le volume total autorisé des captures pour chaque espèce de poisson et d’autres ressources biologiques, [et] adoptent des mesures techniques ou d’une autre nature afin d’assurer une pêche rationnelle ainsi que la conservation, la protection et la régénération des ressources biologiques ; [ils veillent] au respect de la législation roumaine en la matière au moyen d’un suivi par satellite des navires de pêche, [ainsi que par] l’inspection, l’immobilisation, la saisie et [toutes] poursuites judiciaires à l’encontre des navires de pêche qui violent les droits souverains de l’État roumain ;
(...) »
Article 27 [ancien article 18]
« La juridiction pénale de la Roumanie s’exerce aussi dans le cas de la violation des dispositions de la présente loi concernant la zone économique exclusive de la Roumanie par des personnes embarquées à bord de navires étrangers utilisés à des fins commerciales, si les faits sont commis dans des conditions les rendant constitutifs d’un délit pénal (infracţiune). »
Article 29 [ancien article 20]
« (1) Dans l’exercice de la juridiction de la Roumanie, les organes compétents roumains pourront ordonner, selon les dispositions légales en vigueur, l’immobilisation ou la saisie de [tout] navire étranger utilisé à des fins commerciales ; [ils] pourront prendre, à l’encontre de pareil navire se trouvant dans la mer territoriale, dans les eaux maritimes intérieures ou dans la zone contigüe de la Roumanie, des mesures d’exécution forcée afin d’assurer (...) le paiement de sommes [au titre de] dédommagements, taxes et autres [obligations] similaires.
(2) En cas de violation des droits souverains de l’État roumain [en matière] d’exploration, d’exploitation, de protection, de conservation et de gestion du milieu et des ressources biologiques de la zone économique exclusive, les autorités roumaines pourront prendre les mesures nécessaires, conformément aux dispositions légales roumaines en vigueur et aux conventions internationales auxquelles la Roumanie est partie, y compris l’inspection ou l’immobilisation de [tout] navire étranger utilisé à des fins commerciales. Le navire immobilisé et son équipage seront libérés dès qu’une caution ou autre garantie appropriée aura été déposée. »
Article 49 [ancien article 35]
« (1) Les faits suivants sont constitutifs d’une contravention, sauf s’ils sont commis dans des conditions les rendant constitutifs d’un délit (infracţiune) au sens de la loi pénale :
(...)
c) la pêche industrielle ou toute autre activité d’exploration et d’exploitation illégales des ressources naturelles et biologiques des eaux maritimes intérieures, de la mer territoriale ou de la zone économique exclusive de la Roumanie, y compris du fond de la mer et du sous-sol de cette zone ;
(2) Les contraventions mentionnées à l’alinéa 1er lit. a)-h) sont punies d’une amende de 80 millions à 400 millions de lei [ROL], ..., les sanctions étant applicables au lieu de commission des faits contraventionnels.
Article 50 [ancien article 36]
(1) Si les faits mentionnés à l’article 49 alinéa 1er lit. a)-g) ont produit des dommages importants ou d’autres conséquences graves ou ont été commis de manière répétée, la sanction est une amende de 200 à 400 millions de ROL.
(2) Pour les faits mentionnés à l’article 49 § 1 lit. b) et c) la sanction peut être, selon la gravité des conséquences et l’étendue du préjudice, une amende de 400 millions à 1 500 millions de ROL.
(3) Dans des situations particulièrement graves, les organes compétents roumains peuvent ordonner, en tant que mesures complémentaires, la confiscation du navire, des installations, des outils de pêche, des appareils et d’autres objets du contrevenant, s’ils ont été utilisés pour commettre la contravention.
(4) Les biens acquis par la commission de la contravention seront confisqués.
(...) »
La loi no 192/2001 sur la ressource halieutique (publiée au journal officiel du 20 avril 2001)
La loi no 192/2001 était entrée en vigueur avec sa publication au journal officiel, le 20 avril 2001. Elle a été abrogée le 5 mars 2008 par l’ordonnance gouvernementale d’urgence no 23/2008 sur la pêche et l’aquaculture. Ses dispositions pertinentes pouvaient se résumer comme suit.
L’article 3 prévoyait que les bassins halieutiques naturels au sens de la loi se composaient, entre autres, de « la limite des eaux territoriales et de la zone économique exclusive de la Roumanie en mer Noire ».
Selon l’article 39, la protection de la ressource halieutique se faisait, entre autres, par la fermeture annuelle de la pêche et/ou par l’incrimination de certains comportements, qualifiés selon les cas de contraventions ou de délits pénaux.
Selon l’article 40 § 1, les périodes et les zones de prohibition de la pêche devaient être fixées annuellement par un arrêté commun des autorités publiques centrales responsables, d’un côté, de l’agriculture, de l’alimentation et de la sylviculture et, de l’autre, de la protection de l’environnement. L’arrêté devait être émis pour l’ensemble du « territoire » et des espèces au plus tard le 15 avril de l’année concernée ; il restait valable jusqu’à l’émission d’un nouvel arrêté l’année suivante.
L’article 40 § 2 prévoyait qu’en vue de la protection de la ressource halieutique, la pêche de certaines espèces de poissons mentionnés dans l’annexe no 2 à la loi no 192/2001 était interdite aux périodes et dans les zones mentionnées dans ladite annexe. Cette annexe, intitulée « Réglementation de la pêche de certaines catégories de poissons », indiquait sous son point 10 que « des périodes d’interdiction de la pêche au requin ser[aient] fixées annuellement à la lumière des recherches en la matière ».
L’article 61 e) définissait comme un délit pénal (infracţiune) et punissait d’une peine d’emprisonnement de six mois à quatre ans la pêche industrielle à l’aide d’outils de pêche industrielle, en l’absence d’une autorisation ou d’un permis de pêche délivrés à cet effet par les autorités compétentes roumaines.
Selon l’article 62, la commission des faits mentionnés à l’article 61 pendant une période de prohibition était sanctionnée d’une peine d’emprisonnement pouvant aller de deux à six ans.
L’article 66 habilitait les personnes morales responsables de la gestion du patrimoine piscicole appartenant au domaine public à demander réparation par voie de décision de justice des dommages matériels causés à la ressource halieutique par la commission d’un délit pénal, après évaluation de ceux-ci par voie d’expertise.
L’article 67 prévoyait la confiscation automatique au bénéfice de l’État, entre autres, des outils, des embarcations et de « tout autre bien ayant servi à la commission des faits », ainsi que des produits tels que le poisson obtenu en violation des prohibitions instituées par la loi.
L’arrêté conjoint no 140 du 26 mars 2002 du ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Forêts et du ministre des Eaux et de la Protection de l’environnement (publié au journal officiel du 2 avril 2002)
L’article 8 de l’arrêté interdisait la pêche « dans les eaux territoriales roumaines de la mer Noire » du turbot et du requin pendant 60 jours, du 15 avril au 14 juin 2002 compris.
Jurisprudence interne pertinente sur l’exercice des droits souverains de la Roumanie en mer Noire en vertu de la CNUDM
Le gouvernement défendeur a présenté les informations suivantes concernant l’exercice par la Roumanie de ses droits souverains en mer Noire en vertu de l’article 56 de la CNUDM.
En mai 2001, les autorités de police roumaines ont ouvert une enquête contraventionnelle à l’encontre de pêcheurs turcs se trouvant sur un navire turc, à qui il était reproché de s’être livrés en avril 2001 à la pêche industrielle du turbot dans la zone économique exclusive roumaine, en violation de l’article 13 a) alinéa 3 du décret no 142/1986. Les informations présentées par le Gouvernement font état d’un acquittement des pêcheurs par des décisions de justice définitives, dont il ne joint toutefois aucune copie.
En 2002, les autorités roumaines ont ouvert quatre procédures pénales à l’égard de pêcheurs bulgares se trouvant sur quatre navires bulgares (dont celui du requérant) et qui étaient accusés de s’être livrés les 3 et 4 mai 2002 à la pêche industrielle au requin dans la zone économique exclusive roumaine, en violation des articles 61 § e et 62 de la loi no 192/2001. Acquittés en première instance, les pêcheurs, dont le requérant, ont en dernier ressort été déclarés coupables et sanctionnés par des peines d’emprisonnement et la confiscation de leurs navires et des outils s’y trouvant, ainsi que de leur cargaison.
En 2002, les autorités roumaines ont arraisonné sept navires turcs et ont ouvert des procédures pénales à l’encontre de leurs propriétaires pour avoir pêché le 18 avril 2002 dans les eaux de la zone économique exclusive roumaine, en violation des articles 61 e) et 62 de la loi no 192/2001. L’issue de cette procédure n’a pas été communiquée.
En 2005, les autorités roumaines ont arraisonné un navire bulgare et ont ouvert à l’égard de son propriétaire une procédure pénale pour pêche illégale dans les eaux de la zone économique exclusive roumaine, en violation de l’article 61 cité ci-dessus de la loi no 192/2001. L’issue de cette procédure n’a pas été communiquée.
En 2006, les autorités roumaines ont arraisonné un navire turc et ont ouvert à l’égard de son propriétaire une procédure pénale pour pêche illégale dans les eaux de la zone économique exclusive roumaine, en violation de l’article 61 cité ci-dessus de la loi no 192/2001. L’issue de cette procédure n’a pas été communiquée.
En 2007, les autorités roumaines ont arraisonné deux navires turcs et ont ouvert à l’égard de leurs propriétaires des procédures pénales pour pêche illégale dans les eaux de la zone économique exclusive roumaine, en violation de l’article 61 cité ci-dessus de la loi no 192/2001. L’issue de cette procédure n’a pas été communiquée. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1978. Il est détenu à la prison d’Anvers.
Le 25 juillet 2006, la police britannique fut informée d’une possible prise d’otage. Étant donné que la demande de rançon provenait d’un téléphone mobile belge, la police britannique transmit l’information à la police fédérale belge qui procéda immédiatement à la localisation et à l’identification du numéro téléphonique utilisé.
Le 28 juillet 2006, la police belge effectua des perquisitions et découvrit à Anvers deux personnes séquestrées et sévèrement maltraitées. Outre les quatre malfaiteurs pris en flagrant-délit au moment de la perquisition, les victimes mirent en cause deux autres personnes, dont le requérant.
L’acte d’accusation du 8 septembre 2008 fait état des éléments suivants : R.R. et B.S., les deux victimes, relatèrent avoir été enlevés sous le prétexte de bénéficier d’un transit vers le Royaume-Uni où ils souhaitaient se rendre. Ils furent sommés de payer chacun 25 000 euros pour leur libération et de contacter leurs connaissances au Royaume-Uni pour obtenir la rançon. Entretemps, ils furent battus et torturés par intervalles réguliers aux moyens d’une ceinture en cuir, d’un bâton en bois, de bombes de déodorant pour causer des brûlures en allumant le gaz, d’un sac en plastique noué autour de la tête pour produire une sensation de suffocation et d’un fil électrique. Selon le récit des deux victimes, le requérant les battait tous les jours avec un bâton et un fil électrique. Il leur avait également mis un mouchoir en bouche, un sac en plastique sur leur tête en le serrant au point de provoquer une sensation de suffocation et il les battait sur tout le corps, y compris dans l’estomac, les oreilles, la nuque et le dos. Les victimes relatèrent qu’elles avaient eu l’impression que le requérant était le principal collaborateur du premier accusé.
Lors de son interrogatoire, le premier accusé, F.R., déclara avoir agi sur ordre du requérant. Le requérant, quant à lui, avoua avoir battu les victimes à l’aide d’un fil électrique mais il fit valoir que le premier accusé était le principal tortionnaire. D’après lui, c’était le quatrième accusé qui aurait joué le second rôle dans la prise d’otages et les sévices. Il se plaçait lui-même à la troisième place.
L’acte d’accusation contenait également une retranscription des interrogatoires des cinq coaccusés, qui avaient chacun une version différente de l’implication et du rôle joué par chacun d’entre eux dans l’enlèvement et la prise d’otage.
Par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers du 26 juin 2008, le requérant et les cinq autres coaccusés furent mis en accusation, de s’être, à Anvers, du 23 juillet 2006 au 29 juillet 2006, comme auteur ou coauteur, rendus coupables de la prise d’otage de B.S. et de R.R. constituée par l’arrestation, la détention ou l’enlèvement de personnes pour répondre de l’exécution d’un ordre ou d’une condition, tel que préparer ou faciliter l’exécution d’un crime ou d’un délit, favoriser la fuite, l’évasion, obtenir la libération ou assurer l’impunité des auteurs ou des complices d’un crime ou d’un délit. Ces faits avaient pour circonstances aggravantes que les otages avaient été soumis à la torture et que ces faits leur avaient causé une incapacité permanente physique ou psychique.
Le procès du requérant et de ses coaccusés se tint devant la cour d’assises de la province d’Anvers du 14 au 26 novembre 2008.
Le jury fut appelé à répondre à trente-six questions soumises par le président de la cour d’assises. Ces questions étaient identiques pour chacun des accusés. Les six questions relatives au requérant, ainsi que les réponses du jury, furent libellées comme suit :
[traduction]
« Question 7 : Fait principal
Est-ce que le second accusé, Khaledian Hiwa, ici présent, est coupable du fait d’avoir, à Anvers, du 23 juillet 2006 au 29 juillet 2006 ;
Soit pour avoir exécuté l’infraction ou avoir coopéré directement à son exécution ;
Soit pour avoir, par un fait quelconque, prêté pour son exécution une aide telle que sans son assistance l’infraction n’eût pu être commise ;
S’être rendu coupable de la prise d’otage de [R.R.], constituée par l’arrestation, la détention ou l’enlèvement de personnes pour répondre de l’exécution d’un ordre ou d’une condition, tel que préparer ou faciliter l’exécution d’un crime ou d’un délit, favoriser la fuite, l’évasion, obtenir la libération ou assurer l’impunité des auteurs ou des complices d’un crime ou d’un délit ?
Réponse : OUI
Question 8 : Circonstance aggravante
Est-ce que la prise d’otage décrite à la sixième question fut commise avec la circonstance que [R.R.] fut soumise à la torture ?
Réponse : OUI
Question 9 : Circonstance aggravante
Est-ce que la prise d’otage décrite à la sixième question fut commise avec la circonstance que l’arrestation, la détention ou l’enlèvement de [R.R.] a causé une incapacité permanente physique ou psychique ?
Réponse : NON
Question 10 : Fait principal
Est-ce que le second accusé, Khaledian Hiwa, ici présent, est coupable du fait d’avoir, à Anvers, du 23 juillet 2006 au 29 juillet 2006 ;
Soit pour avoir exécuté l’infraction ou avoir coopéré directement à son exécution ;
Soit pour avoir, par un fait quelconque, prêté pour son exécution une aide telle que sans son assistance l’infraction n’eût pu être commise ;
S’être rendu coupable de la prise d’otage de [B.S.], constituée par l’arrestation, la détention ou l’enlèvement de personnes pour répondre de l’exécution d’un ordre ou d’une condition, tel que préparer ou faciliter l’exécution d’un crime ou d’un délit, favoriser la fuite, l’évasion, obtenir la libération ou assurer l’impunité des auteurs ou des complices d’un crime ou d’un délit ?
Réponse : OUI
Question 11 : Circonstance aggravante
Est-ce que la prise d’otage décrite à la sixième question fut commise avec la circonstance que [B.S.] fut soumis à la torture ?
Réponse : OUI
Question 12 : Circonstance aggravante
Est-ce que la prise d’otage décrite à la sixième question fut commise avec la circonstance que l’arrestation, la détention ou l’enlèvement de [B.S.] a causé une incapacité permanente physique ou psychique ?
Réponse : NON ».
Le 26 novembre 2008, la cour d’assises de la province d’Anvers reprit le verdict de culpabilité prononcé par le jury et condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de vingt-cinq ans. Pour la fixation de la peine, la cour tint compte de l’atrocité des faits et de l’état d’esprit dangereux et criminel des accusés. Elle tint également compte d’une circonstance atténuante en ce que le requérant n’avait dans son casier judiciaire qu’une violation de la loi sur l’interdiction du port d’armes. La cour releva qu’il ressortait des débats à l’audience que le requérant avait joué un rôle de leader et avait une grande influence sur les coaccusés. Par ailleurs, la cour d’assises condamna le premier coaccusé à une peine d’emprisonnement de vingt-cinq ans, le troisième à trois ans, le quatrième à huit ans, le cinquième à trois ans et le sixième à dix-sept ans.
Le requérant se pourvut en cassation, invoquant notamment une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Le 10 mars 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle estima que le juge motive régulièrement sa décision dès lors qu’il juge que les faits tels que décrits par la loi sont établis. Aussi, elle considéra que le seul fait que les jurés répondent par un simple « oui » ou « non » aux questions qui leur sont posées sans autre motivation n’entraîne pas en soi une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. D’après la Cour de cassation, la procédure devant la cour d’assises ainsi que la composition du jury formeraient des garanties suffisantes contre l’arbitraire. La procédure d’assises permettrait à l’accusé de disposer d’une décision motivée sur la légalité et la régularité des preuves, et lui permettrait de comprendre de manière suffisante quels preuves ou moyens de défense le jury avait retenu pour former son verdict. En l’espèce, la Cour de cassation constata que l’acte d’accusation, qui avait été signifié au requérant avant le début du procès, décrivait les faits reprochés au requérant de manière très précise ; que l’acte de défense avait été lu pendant l’audience et avait été distribué aux jurés ; que le requérant n’avait pas contesté avoir participé aux faits qui lui étaient reprochés ; que le requérant n’avait à aucun moment déposé des conclusions soulevant un problème de droit ou une contestation de fait ; et que le requérant n’avait pas demandé à ce qu’une question subsidiaire soit posée concernant une cause d’excuse. L’arrêt de la cour d’assises était donc régulièrement motivé dès lors qu’il reprenait le verdict du jury qui avait répondu affirmativement aux questions qui lui étaient posées.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Taxquet c. Belgique ([GC], no 926/05, §§ 22-42, CEDH 2010). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1982 et réside à Berne (Suisse). Il est le rédacteur en chef du quotidien Ülkede Özgür Gündem (« Libre ordre du jour du pays »), dont le siège se trouve à Istanbul.
Le 2 septembre 2004, Ülkede Özgür Gündem publia un article intitulé « Nous n’avons pas peur de faire des sacrifices – Aydar a pleinement soutenu les démarches » (Fedakarlıktan çekinmeyiz – Aydar, girişimlere tam destek verdi). Ce texte reprenait des déclarations du président du Kongra-Gel (une branche de l’organisation illégale armée PKK – Parti des travailleurs du Kurdistan) sur la journée de la paix, les conditions d’isolement de M. Öcalan, chef du PKK, et les sujets d’actualité.
Par un acte d’accusation du 2 septembre 2004, le procureur de la République d’Istanbul inculpa le requérant et le propriétaire du quotidien en question, M. Ali Gürbüz, de publication de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infraction prévue à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 »).
Devant la cour d’assises spéciale, le requérant invoqua notamment l’article 10 de la Convention.
Le 4 avril 2005, la cour d’assises spéciale condamna le requérant au paiement d’une amende de 1 591 livres turques (TRY) – soit environ 906 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à cette date – en vertu de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. En outre, elle condamna M. Ali Gürbüz à une amende de 3 182 TRY. Elle précisa que les accusés avaient la possibilité de former un pourvoi (“(...) sanıklarca temyiz edilme hakkının bulunduğu (...)”).
À une date non précisée, le requérant se pourvut en cassation, soutenant en particulier que la procédure pénale dirigée contre lui portait atteinte à son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la Convention.
Le 20 mars 2006, la Cour de cassation infirma la décision rendue en première instance pour autant qu’elle concernait M. Ali Gürbüz. En revanche, elle déclara le pourvoi du requérant irrecevable au motif que, en vertu de l’article 305 du code de procédure pénale (alors en vigueur), lorsque l’amende infligée n’excédait pas 2 000 TRY, la décision n’était pas susceptible de pourvoi en cassation.
Le 14 juillet 2006, un ordre de paiement de l’amende fut notifié au requérant.
Selon les éléments du dossier, la procédure, pour autant qu’elle concernait M. Ali Gürbüz, était toujours pendante devant la Cour de cassation.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010) et Bayar et Gürbüz c. Turquie (no 37569/06, §§ 12-16, 27 novembre 2012). | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1969. Il est détenu à la prison d’Ittre.
Le 3 octobre 2006, S.S.D., l’ex-compagne du requérant fut retrouvée morte. Le requérant se constitua prisonnier le soir même des faits et avoua avoir porté plusieurs coups de couteau à sa compagne. Au cours de l’instruction, le requérant affirma continuellement qu’il n’avait jamais eu l’intention de tuer son ex-compagne, et encore moins qu’il avait prémédité son geste. De plus, il nia formellement avoir porté des coups à son fils B.G.
L’acte d’accusation du 13 novembre 2008 reprit les éléments qui étaient ressortis au cours de l’enquête policière et judiciaire : il fit état des déclarations des divers témoins (voisins, famille, proches du requérant et de la victime), des déclarations du requérant qui divergeaient au fil des interrogatoires, de l’enquête de personnalité ainsi que de l’expertise psychiatrique relatives au requérant. L’accusation semblait défendre la thèse selon laquelle le requérant avait accédé à l’appartement de S.S.D. en escaladant le conduit d’aération depuis la cave de l’immeuble jusqu’à la salle de bain de la victime, et qu’il avait alors attendu le retour de S.S.D. à l’appartement pour la tuer. D’après le requérant, S.S.D. lui avait ouvert la porte de son plein gré, et ce n’est qu’après avoir passé plusieurs heures ensemble à l’appartement qu’une dispute éclata au cours de laquelle le requérant poignarda à plusieurs reprises S.S.D. avec un couteau de cuisine.
Par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles du 31 octobre 2007, le requérant fut mis en accusation d’avoir, dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles :
« A. le 3 octobre 2006 :
volontairement, avec intention de donner la mort et avec préméditation, commis un homicide sur la personne de [S.S.D.];
B. à plusieurs reprises, entre le 23 décembre 2000 et le 4 octobre 2006,
volontairement fait des blessures ou porté des coups à [B.G.], avec la circonstance que le crime ou le délit a été commis envers un mineur ou envers une personne qui, en raison de son état physique ou mental, n’était pas à même de pourvoir à son entretien, par ses père, mère ou autres ascendants, en l’espèce par son père légitime. »
Le procès du requérant se tint devant la cour d’assises de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale du 2 au 9 février 2009.
Le 2 février 2009, le requérant déposa un acte de défense dans lequel il reprit chacun des faits et expliqua pourquoi il soutenait qu’il n’avait pas eu l’intention de tuer S.S.D. et qu’il avait encore moins prémédité son geste. De plus, il contesta avoir jamais battu son fils B.G.
Le jury fut appelé à répondre à onze questions soumises par le président de la cour d’assises. La déclaration du jury fut libellée comme suit :
« Première question (principale) :
GYBELS Fabian, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, le 3 octobre 2006,
volontairement, avec intention de donner la mort, commis un homicide sur la personne de [S.S.D.] ?
Réponse : OUI
Deuxième question (accessoire à la première et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a répondu affirmativement à la première question) :
L’homicide volontaire décrit à la première question a-t-il été commis avec préméditation ?
Réponse : OUI
Troisième question (question principale) :
GYBELS Fabian, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, à plusieurs reprises, entre le 23 décembre 2000 et le 4 octobre 2006,
volontairement fait des blessures ou porté des coups à [B.G.] ?
Réponse : OUI
Quatrième question (accessoire à la troisième et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a répondu affirmativement à la troisième question) :
Les coups portés ou blessures faites, décrits à la troisième question, ont-ils été commis envers un mineur ou envers une personne qui, en raison de son état physique ou mental, n’était pas à même de pourvoir à son entretien ?
Réponse : OUI
Cinquième question (accessoire à la troisième et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a répondu affirmativement aux questions 3 et 4) :
Les coups portés ou blessures faites, décrits à la troisième question et mieux précisés à la quatrième question, ont-ils été commis par son père ?
Réponse : OUI
Sixième question (principale et subsidiaire à la troisième et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a répondu négativement à la troisième question) :
GYBELS Fabian, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, à une date indéterminée, à une reprise entre le 1er et le 28 février 2006,
volontairement fait des blessures ou porté des coups à [B.G.] ?
Septième question (accessoire à la sixième et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a répondu positivement à la sixième question) :
Les coups portés ou blessures faites, décrits à la sixième question, ont-ils été commis envers un mineur ou envers une personne qui, en raison de son état physique ou mental, n’était pas à même de pourvoir à son entretien ?
Huitième question (accessoire à la sixième et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a répondu positivement aux questions 6 et 7) :
Les coups portés ou blessures faites, décrits à la sixième question et mieux précisés à la septième question, ont-ils été commis par son père ?
Neuvième question (principale et subsidiaire à la troisième et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a répondu négativement à la troisième question) :
GYBELS Fabian, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, le 5 août 2006,
volontairement fait des blessures ou porté des coups à [B.G.] ?
Dixième question (accessoire à la neuvième et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a répondu positivement à la neuvième question) :
Les coups portés ou blessures faites, décrits à la neuvième question, ont-ils été commis envers un mineur ou envers une personne qui, en raison de son état physique ou mental, n’était pas à même de pourvoir à son entretien ?
Onzième question (accessoire à la neuvième et à laquelle le jury ne peut répondre que s’il a répondu positivement aux questions 9 et 10) :
Les coups portés ou blessures faites, décrits à la neuvième question et mieux précisés à la dixième question, ont-ils été commis par son père ? »
Par un arrêt du 10 février 2009, la cour d’assises condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de vingt-sept ans. Pour la détermination de la peine, la cour d’assises prit notamment en compte des circonstances atténuantes en faveur du requérant mais également sa propension extrêmement grave à la violence, confirmée par le fait que le requérant avait volontairement porté des coups à son fils mineur B.G.
Le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt du 10 février 2009 et invoqua, en particulier, une violation de l’article 6 § 1 de la Convention au motif que, du fait de l’absence de motivation, il n’était pas à même de comprendre les motifs pour lesquels le jury avait eu la conviction qu’il avait eu l’intention de donner la mort et qu’il avait prémédité son crime. Concernant l’infraction de coups et blessures portés à son fils, la question serait formulée de manière si générale qu’il ne serait pas possible de comprendre au cours de quelle période et dans quelles circonstances l’infraction avait été commise.
Le 3 juin 2009, l’avocat général à la Cour de cassation conclut à la cassation de l’arrêt de condamnation au motif que ledit arrêt ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 6 de la Convention. En particulier, l’avocat général considéra que l’arrêt de la cour d’assises ne permettait pas au requérant de connaître les motifs pour lesquels la circonstance aggravante de préméditation avait été retenue à son encontre et que le libellé des questions concernant les coups et blessures ne permettait pas d’identifier avec précision la date des faits, leur nombre ainsi que les circonstances de ceux-ci.
Par un arrêt du 10 juin 2009, la Cour de cassation rejeta toutefois le pourvoi. Elle considéra que le requérant n’avait pas sollicité un changement de qualification par le biais d’une question subsidiaire à poser au jury et qu’il ne saurait se plaindre de ne pas comprendre les motifs pour lesquels il avait été jugé coupable d’un homicide qu’il avait reconnu avoir commis. Concernant la préméditation, l’exigence de motivation n’emportait pas obligation pour la cour d’assises d’exposer les raisons pour lesquelles la durée de l’intervalle séparant la résolution criminelle de l’action avait suffi pour justifier qu’elle retienne la préméditation. Enfin, le requérant n’étant condamné qu’à une peine unique du chef d’assassinat, il n’aurait pas d’intérêt à comprendre les raisons pour lesquelles l’infraction de coups et blessures portés sur son fils avait été retenue par le jury.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Taxquet c. Belgique ([GC], no 926/05, §§ 22-42, CEDH 2010). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1962 et réside à Bucarest.
A. La procédure pénale menée à l’encontre du requérant
Le 20 mai 2001, le requérant, soupçonné de vol de véhicules, fut placé par le parquet en détention provisoire jusqu’au 18 juin 2001. Après cette date, il fut maintenu en détention jusqu’au 27 juillet 2006 par des décisions successives du tribunal compétent pour statuer sur le bien-fondé des accusations portées contre lui, en vertu de l’article 155 du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits.
Par un réquisitoire du 8 février 2002, le parquet renvoya le requérant devant le tribunal départemental de Bucarest afin qu’il fût jugé pour vol.
Par un jugement du 6 octobre 2005, le tribunal départemental de Bucarest condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de onze ans. L’intéressé interjeta appel.
Par un arrêt du 9 février 2006, la cour d’appel de Bucarest rejeta l’appel et confirma le jugement du 6 octobre 2005. Le requérant se pourvut en recours.
Par un arrêt définitif du 1er juillet 2009, la Haute Cour de cassation et de justice confirma l’arrêt du 9 février 2006. Elle déduisit de la durée de la peine la durée de la détention effectuée par le requérant.
B. Les conditions de détention du requérant
Le 6 juillet 2009, le requérant fut à nouveau arrêté par des policiers en vertu d’un mandat d’arrêt délivré aux fins de l’exécution de la peine de prison à laquelle il avait été condamné par l’arrêt définitif de la Haute Cour de cassation et de justice du 1er juillet 2009. Il fut incarcéré à la maison d’arrêt de la section no 15 de police de Bucarest. Il fut ensuite successivement détenu au centre pénitentiaire de Rahova-Bucarest, dans les hôpitaux pénitentiaires de Jilava-Bucarest et de Dej et, enfin, dans les centres pénitentiaires de Giurgiu et de Slobozia. Le 30 novembre 2012, il bénéficia d’une mise en liberté conditionnelle.
Les conditions de détention du requérant telles qu’elles résultent des documents émanant de l’administration nationale des prisons, que le Gouvernement a fait parvenir à la Cour, ont été les suivantes.
A la maison d’arrêt de la section no 15 de police de Bucarest, le requérant fut placé dans une cellule de 20,68 m2, qu’il partagea avec sept autres détenus.
Par la suite, dans le centre pénitentiaire de Jilava-Rahova, le requérant fut successivement placé dans des cellules de 19,3 m2 et de 19,58 m2, qu’il partagea respectivement avec sept et avec neuf autres détenus.
À l’hôpital pénitentiaire de JilavaBucarest, le requérant fut détenu à huit reprises dans des cellules de quatre à six lits chacune, dotées d’un groupe sanitaire propre avec douches, et mesurant entre 20,4 m2 et 38,7 m2.
À l’hôpital pénitentiaire de Dej, le requérant fut détenu dans une cellule de 28,28 m2 comprenant sept lits, qu’il partagea avec trois ou quatre autres détenus.
Au centre pénitentiaire de Giurgiu, le requérant fut placé successivement dans des cellules d’une superficie comprise entre 16,83 m2 et 17,22 m2, dotées de six lits chacune et d’un groupe sanitaire propre.
Au centre pénitentiaire de Slobozia, il fut tout d’abord placé dans une cellule mesurant 14,31 m2 et dotée de neuf lits, qui étaient tous occupés à la période pendant laquelle le requérant s’y est trouvé incarcéré. Il fut ensuite transféré dans une autre cellule. Les informations fournies par le Gouvernement n’indiquent ni la surface de la cellule en question ni son taux d’occupation ou le nombre de lits à la période pendant laquelle le requérant s’y est trouvé incarcéré.
La version présentée par le requérant se lit comme suit.
Le nombre de détenus avec lesquels il a partagé ses cellules dépassait la capacité d’hébergement de chacune d’entre elles. Lors de sa détention à la maison d’arrêt de la section no 15 de police de Bucarest, les toilettes se trouvaient à l’extérieur de sa cellule. En dehors des horaires fixés par les gardiens, il devait utiliser un seau, placé au milieu de sa cellule et destiné à l’usage de tous les codétenus. Il ne pouvait prendre de douche qu’à des intervalles de plus de dix jours. Au centre pénitentiaire de Slobozia, les cellules et les matelas étaient infestés de cafards et les groupes sanitaires étaient détériorés par les moisissures ; il n’y avait pas d’eau courante pendant l’été et l’eau potable avait des relents d’eaux usées. Il n’a pas reçu, pendant sa détention, les médicaments et le régime alimentaire qui lui auraient été prescrits par son médecin pour les maladies dont il souffrait.
La version présentée par le Gouvernement se lit comme suit.
Le nombre de détenus dans les cellules que le requérant a successivement occupées n’a pas dépassé le nombre de lits qui était prévu pour celles-ci. L’intéressé a eu accès aux groupes sanitaires et aux douches dont auraient été dotées les cellules dans lesquelles il a été détenu. Il a bénéficié des médicaments et du régime alimentaire que lui auraient prescrit les médecins. Un contrôle effectué par le commissaire en chef de la maison d’arrêt de la section no 15 de police à la suite d’une demande du Gouvernement du 19 mars 2013 a permis d’établir que la cellule où le requérant avait été placé était pourvue d’un WC, d’une douche et d’un lavabo en parfait état de fonctionnement, auxquels les détenus auraient eu un accès permanent.
Les éléments dont dispose la Cour ne permettent pas de savoir si l’état des lieux décrit par le commissaire en chef en réponse à la demande du Gouvernement du 19 mars 2013 (voir paragraphe 20 ci-dessus) était identique à celui de l’époque à laquelle le requérant y avait été incarcéré (voir paragraphe 19 ci-dessus).
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).
Les extraits pertinents en l’espèce de la Recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptées le 11 janvier 2006, sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009, et Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1982. Il est actuellement détenu à la prison de Vaslui.
A. La détention et la condamnation du requérant
Le 16 février 2009, le requérant fut placé en garde à vue sur décision du parquet. Il était suspecté de trafic de drogues dures. Il fut placé ultérieurement en détention provisoire.
Par une décision du 10 mars 2010, le tribunal départemental de Bucarest condamna le requérant à onze ans de prison ferme du chef de trafic de drogues dures. La décision fut confirmée en appel et recours par la cour d’appel de Bucarest et la Haute Cour de cassation et de justice, respectivement les 21 avril 2011 et 15 mars 2012.
Le requérant affirme qu’il a dû reconnaître les faits reprochés devant la juridiction de recours, dans l’espoir de bénéficier d’une réduction de peine. Il allègue également que la décision de la Haute Cour de cassation et de justice fut mise au net bien après l’introduction de la présente requête.
B. Les conditions de détention à la direction générale de la police de Bucarest et à la prison de Rahova
Les conditions de détention telles que décrites par le requérant
Du 16 février au 30 mai 2009, le requérant fut incarcéré dans les locaux de la direction générale de la police de Bucarest, dans une cellule de 13,5 m² dans laquelle se trouvaient six lits. Les fenêtres de la cellule étaient pourvues de barreaux et étaient insuffisantes pour un éclairage et une aération naturels.
Le 30 mai 2009, le requérant fut transféré à la prison de Rahova, où il fut placé dans une cellule de 24 m² dans laquelle se trouvaient dix lits. L’aération et l’éclairage naturel ou artificiel étaient également inappropriés.
En 2013, le requérant fut transféré à la prison de Iaşi et ultérieurement à la prison de Vaslui.
Le requérant produit une copie de son dossier médical faisant état du fait qu’il souffre d’asthme depuis de nombreuses années.
Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement
Du 16 février au 19 mai 2009, le requérant fut incarcéré dans les locaux du Centre de rétention et détention provisoire no 1 de la direction générale de la police de Bucarest, dans une cellule de 14,57 m² dans laquelle se trouvaient six lits, une table et des chaises. Chaque lit était doté d’un matelas, d’un oreiller, de linge de lit et d’une couverture. La cellule était en outre dotée d’un lavabo, d’une douche avec rideau et des toilettes. Le chauffage était assuré par la chaudière centrale du bâtiment. La cellule bénéficiait d’aération et d’éclairage naturel, étant pourvue de deux fenêtres de 160 cm/140 cm et d’éclairage artificiel.
Le 16 mai 2009, le requérant fut transféré à la prison de Rahova. Il y resta jusqu’au 19 avril 2013, à l’exception de courtes périodes pendant lesquelles il fut hospitalisé.
Dans la prison de Rahova, le requérant fut détenu dans les cellules nos 233 d’une superficie de 31,44 m² (comprenant un espace pour dormir de 19,3 m², une douche, des toilettes et des rangements pour les aliments et les bagages) dotée de 10 lits, nos 117, 27, 217, 246 et 511 d’une superficie de 31,69 m² (comprenant un espace pour dormir de 19,58 m², une douche, des toilettes et des rangements pour les aliments et les bagages) dotées de 10 lits, nos 237 et 334 d’une superficie de 36,73 m² (comprenant un espace pour dormir de 24,59 m², une douche, des toilettes et des rangements pour les aliments et les bagages) dotées de 12 lits. Le nombre des détenus n’a jamais dépassé le nombre de lits installés dans les cellules, de sorte que le requérant n’a pas été contraint de partager son lit. Les toilettes sont pourvues de murs de séparation et de porte d’accès. Chaque cellule a une fenêtre de 1,44 m², les toilettes une fenêtre de 0,36 m² et les rangements d’aliments et de bagages d’une fenêtre de 0,36 m². Les cellules bénéficient ainsi d’aération et d’éclairage naturels, ainsi que d’éclairage artificiel.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines, ainsi que la jurisprudence fournie par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).
Dans son dernier rapport publié le 24 novembre 2011, à la suite de sa visite du 5 au 16 septembre 2010 dans plusieurs établissements pénitentiaires, le Comité européen pour la prévention de la torture (« CPT ») conclut que le taux de surpeuplement des établissements pénitentiaires reste un problème majeur en Roumanie. Selon les statistiques fournies par les autorités roumaines, les 42 établissements pénitentiaires du pays, d’une capacité totale de 16 898 places, comptaient 25 543 détenus au début de l’année 2010 et 26 971 détenus en août 2010 ; le taux d’occupation était très élevé (150 % ou plus) dans la quasi-totalité de ces établissements.
L’Association pour la défense de droits de l’homme – comité Helsinki (« APADOR-CH »), organisation non-gouvernementale sise à Bucarest, a effectué des visites dans le Centre de rétention et détention provisoire no 1 de la direction générale de la police de Bucarest en janvier 2009, en novembre 2011 et en avril 2013. Elle a également effectué des visites dans la prison de Rahova en mars 2011 et en juillet 2013. Dans les rapports établis à ces occasions, l’organisation décrit un état de surpopulation carcérale grave. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1968 et est actuellement détenu à la prison de Botoşani.
Par un arrêt définitif du 13 septembre 2011, la Haute Cour de cassation et de justice condamna le requérant à une peine de prison de cinq ans du chef d’escroquerie. Le 19 septembre 2011, il fut incarcéré à la prison de Botoşani où il continue à purger sa peine.
A. Les conditions de détention du requérant
Les parties divergent quant aux conditions de la détention du requérant.
La version du requérant
Le requérant allègue des conditions similaires de détention dans tous les établissements pénitentiaires où il a été détenu : la prison de Botoşani, ainsi que la prison de Focşani et l’hôpital pénitentiaire de Bucarest-Jilava où il a été transféré en juin 2012 pour une période non précisée afin de subir des examens médicaux.
Il se plaint de la surpopulation carcérale et indique qu’à la prison de Botoşani il y avait 15-17 personnes dans sa cellule, alors que la cellule mesurait 20 m2. Il se plaint aussi du manque d’aération de la cellule, de la quantité limitée d’eau potable, de la mauvaise qualité de la nourriture, des conditions d’hygiène précaires et de la présence de parasites.
Il fait également valoir que, lors de ses transferts entre établissements pénitentiaires, il a dû voyager dans de vieux camions inadaptés au transport des personnes, notamment en raison du manque d’aération et du grand nombre de détenus transportés.
La version du Gouvernement
Le requérant a été détenu la plupart du temps à la prison de Botoşani, où il a partagé plusieurs cellules.
À compter du 4 octobre 2011, le requérant a purgé sa peine en régime semi-ouvert. Les portes des cellules restaient ouvertes tout au long de la journée, sauf pendant les repas. Le requérant a ainsi eu accès aux trois cours de la prison, au club ainsi qu’à la salle de sport, à raison de 9,5 heures par jour, de 7 heures 30 à midi et ensuite de 13 heures à 18 heures.
Le requérant a toujours disposé d’un lit individuel. En outre, les conditions d’hygiène, la qualité de la nourriture ainsi que l’aération et l’éclairage des cellules étaient satisfaisantes. Les toilettes et les douches étaient séparées de la cellule par des murs et l’accès à l’eau chaude était assuré deux fois par semaine.
B. L’état de santé du requérant
En septembre 2011, le requérant demanda la suspension de l’exécution de sa peine pour motifs médicaux, faisant valoir que son état de santé n’était pas compatible avec la détention. Il faisait valoir qu’il souffrait d’une hépatite virale de type C.
Par un jugement du 12 avril 2012, le tribunal départemental de Botoşani rejeta sa demande, en se fondant sur deux expertises médicales selon lesquelles le requérant n’avait pas réagi au traitement à l’Interféron mais bénéficiait d’un autre traitement en prison. Par ailleurs, selon les conclusions des expertises, le requérant pouvait être suivi et traité pour sa maladie dans le système pénitentiaire.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONALES PERTINENTS
Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).
Les rapports internationaux pertinents, dont ceux du Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») sont décrits dans l’affaire Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 125-129, 24 juillet 2012). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1982. Il est détenu à la prison de Lantin.
Soupçonné d’avoir volé et tué son colocataire, R.B., le requérant fit l’objet de poursuites pénales. L’acte d’accusation du 3 mars 2009 fait état des éléments suivants : R.B. fut retrouvé mort le 28 juin 2007 dans l’appartement qu’il occupait avec le requérant et dans lequel R.B. et le requérant s’adonnaient à un trafic de drogue. Deux amis de la victime affirmèrent que R.B. avait consommé de la cocaïne et s’était injecté de l’héroïne la veille de sa mort et qu’il avait l’air d’une « loque » lorsqu’ils étaient partis vers cinq heures du matin, laissant R.B. seul avec le requérant. Une caméra de surveillance installée juste à côté de l’immeuble permit de constater qu’après le départ de ces deux amis, plus personne n’entra dans l’appartement. Les experts médicaux conclurent qu’il n’était médicalement pas possible de dire si les manœuvres de strangulation constatées sur le corps de la victime auraient à elles seules pu entraîner le décès, ni dire si l’injection de cocaïne avait été réalisée avant ou après les manœuvres de strangulation. Lors des interrogatoires, le requérant déclara qu’il s’était endormi après le départ des deux amis et que, à son réveil le 28 juin 2007, son colocataire était mort. Paniqué, il dit avoir pris la fuite de peur d’être accusé.
Par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Mons du 27 novembre 2008, il fut inculpé d’avoir :
« I. à Saint-Ghislain (Tertre), arrondissement judiciaire de Mons, le 28 juin 2007 :
Frauduleusement soustrait à l’aide de violences ou de menaces différents objets et notamment un sac de type banane contenant de la drogue et une somme de 1 000 €, un GSM SAMSUNG, un GSM ERICSON, deux armes factices d’une valeur globale indéterminée qui ne lui appartenaient pas au préjudice de [R.B.],
Avec la circonstance que :
le coupable a fait usage de substances inhibitives ou toxiques pour commettre l’infraction ou assurer sa fuite,
un homicide volontaire avec intention de donner la mort a été commis sur la personne de [R.B.] soit pour faciliter le vol soit pour en assurer l’impunité.
II. à Saint-Ghislain (Tertre), arrondissement judiciaire de Mons, le 28 juin 2007 :
Soit en exécutant l’infraction ou en coopérant directement à son exécution, soit en prêtant par un fait quelconque pour son exécution une aide telle que sans cette assistance l’infraction n’eût pu être commise,
Sans autorisation préalable du ministère compétent, importé, et n’étant ni pharmacien, tenant officine ouverte au public, ni médecin, ni médecin vétérinaire, autorisé à détenir un dépôt de médicaments, fabriqué, détenu, vendu ou offert en vente, délivré, acquis à titre onéreux ou à titre gratuit des substances soporifiques, stupéfiantes ou psychotropes susceptibles d’engendrer une dépendance, en l’espèce avoir :
détenu une quantité indéterminée d’héroïne, de cocaïne et de cannabis, cette détention n’ayant eu lieu en vertu d’une prescription médicale ;
vendu ou offert en vente une quantité indéterminée d’héroïne, de cocaïne et de cannabis ;
acquis une quantité indéterminée d’héroïne, de cocaïne et de cannabis, cette acquisition n’ayant pas eu lieu en vertu d’une prescription médicale ;
avec la circonstance que l’infraction constitue un acte de participation à l’activité principale ou accessoire d’une association. »
Le procès du requérant se tint devant la cour d’assises de la province du Hainaut du 4 au 8 mai 2009.
Par un arrêt interlocutoire du 7 mai 2009, la cour d’assises rejeta la demande du requérant tendant à obtenir une motivation du verdict du jury en cas de condamnation. La cour d’assises estima que la procédure d’assises offrait toutes les garanties contre l’arbitraire et respectait les droits de la défense.
Le jury fut appelé à répondre à six questions soumises par le président de la cour d’assises. La déclaration du jury fut libellée comme suit :
« Première question principale de culpabilité :
Moïses HECHTERMANS, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, à Saint-Ghislain, section de Tertre, arrondissement judiciaire de Mons, le 28 juin 2007, frauduleusement soustrait différents objets, dont, notamment, un sac de type « banane » contenant de la drogue et une somme de 1000 EUR (mille euros), un GSM de marque SAMSUNG, un GSM de marque SONY ERICSON, deux armes factices, objets d’une valeur globale indéterminée qui ne lui appartenaient pas, au préjudice de [R.B.] ?
Réponse : OUI
Deuxième question, accessoire à la première, relative à une circonstance aggravante :
Le vol, repris à la 1ère question, a-t-il été commis à l’aide de violences ou de menaces ?
Réponse : OUI
Troisième question, accessoire à la première, relative à une circonstance aggravante :
Le coupable du vol avec violences ou menaces, objet des 1ère et 2e questions, a-t-il fait usage de substances inhibitives ou toxiques pour commettre l’infraction ou assurer sa fuite ?
Réponse : OUI
Quatrième question, accessoire à la première, relative à une circonstance aggravante :
Les violences ou les menaces, objets de la deuxième question, ont-elles consisté en un homicide commis volontairement et avec intention de donner la mort sur la personne de [R.B.], soit pour faciliter le vol, objet de la première question, soit pour en assurer l’impunité ?
Réponse : OUI
Quatrième question BIS, accessoire à la première, relative à une circonstance aggravante, SUBSIDIAIRE à la quatrième question, posée à la demande de la défense de l’accusé comme pouvant résulter des débats :
Les violences ou les menaces, objet de la deuxième question, exercées sans intention de causer la mort de [R.B.], l’ont-elles pourtant causée ?
Réponse : -
Cinquième question principale de culpabilité :
Moïses HECHTERMANS, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, à Saint-Ghislain, section de Tertre, arrondissement judiciaire de Mons, à diverses reprises, à des dates indéterminées comprises entre le 31 décembre 2006 et le 29 juin 2007,
Soit pour avoir exécuté l’infraction ou coopéré directement à son exécution,
Soit pour avoir, par un fait quelconque, prêté pour l’exécution une aide telle que sans son assistance le crime ou le délit n’aurait pu être commis,
Sans autorisation préalable du ministère compétent, importé, et, n’étant ni pharmacien tenant officine ouverte au public, ni médecin, ni médecin vétérinaire, autorisé à détenir un dépôt de médicaments, fabriqué, détenu, vendu ou offert en vente, délivré, acquis à titre onéreux ou à titre gratuit des substances soporifiques, stupéfiantes ou psychotropes susceptibles d’engendrer une dépendance dont la liste est établie par le Roi,
en l’espèce :
détenu une quantité indéterminée d’héroïne, de cocaïne et de cannabis, cette détention n’ayant eu lieu en vertu d’une prescription médicale ;
vendu ou offert en vente une quantité indéterminée d’héroïne, de cocaïne et de cannabis ;
acquis une quantité indéterminée d’héroïne, de cocaïne et de cannabis, cette acquisition n’ayant pas eu lieu en vertu d’une prescription médicale ?
Réponse : OUI
Sixième question, accessoire à la cinquième, relative à une circonstance aggravante :
L’infraction, objet de la 5ème question, constitue-t-elle un acte de participation à l’activité principale ou accessoire d’une association ?
Réponse : OUI ».
Par un arrêt du 8 mai 2009, la cour d’assises condamna le requérant à la réclusion à perpétuité.
Le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt du 8 mai 2009 et invoqua, en particulier, l’absence de motivation du verdict du jury qui ne lui aurait pas permis de comprendre pourquoi le jury ne l’avait pas acquitté alors qu’il niait avoir commis les infractions retenues à son encontre.
Par un arrêt du 23 septembre 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle considéra que le requérant avait été à même de comprendre la raison concrète pour laquelle il avait été déclaré coupable par le jury étant donné que le requérant n’avait pas précisé les moyens ou arguments auxquels le jury devait répondre de manière motivée et que la cour d’assises avait fait droit à sa demande de pouvoir poser une question subsidiaire au jury concernant la qualification d’une des circonstances aggravantes. Par ailleurs, la Cour de cassation fit valoir que le requérant ne saurait se plaindre d’avoir été laissé dans l’ignorance des motifs pour lesquels il avait été jugé coupable d’un vol dont la matérialité n’était pas contestée.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Taxquet c. Belgique ([GC], no 926/05, §§ 22-42, CEDH 2010). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante était, à l’époque des faits, une banque coopérative affiliée à la Caisse centrale « Creditcoop » (« la Caisse Centrale »), selon les normes légales en vigueur. Avant sa mise en faillite, elle était représentée par M. Francisc Sichet, président du conseil d’administration. Elle exerçait ses activités bancaires à Satu Mare.
Du 17 au 23 mars 2003, la banque requérante fit l’objet d’un contrôle approfondi de son activité et de sa viabilité, initié par la Banque Nationale de la Roumanie (« la BNR ») en vertu de ses prérogatives légales.
À la suite de ce contrôle, par une décision no 9 du 15 mai 2003, la BNR sanctionna la banque requérante pour les graves déficiences constatées, en retirant son autorisation de fonctionnement. La décision fut publiée au Moniteur Officiel du 21 mai 2003 et entra immédiatement en vigueur.
Préalablement, par une décision no 12 du 6 mai 2003, la Caisse Centrale avait décidé qu’à partir de la date de la publication au Moniteur Officiel de la décision portant sur le retrait de l’autorisation de fonctionnement, la banque requérante serait dissoute et que, par conséquent, une procédure de faillite serait ouverte à son encontre. La Caisse Centrale choisit également le liquidateur. Le 14 août 2003, cette décision fut publiée au Moniteur Officiel.
A. Action contre la décision no 9 de la BNR
Le 26 mai 2003, la requérante, représentée par M. Sichet et Me Ungur, demanda à la BNR de surseoir à l’exécution de la décision no 9, et, sur le fond, de revenir sur sa décision.
En juin 2003, la banque requérante demanda en référé (ordonanţă preşedenţială) à la Cour Suprême de Justice de surseoir à l’exécution de la décision no 9 de la BNR en attendant l’issue de sa contestation auprès de la BNR. Le 9 juillet 2003, la Cour Suprême fixa au 22 janvier 2004 la date de l’audience.
Par une décision no 16 du 23 juillet 2003, le conseil d’administration de la BNR, compétent pour connaître de l’affaire, rejeta la demande de la requérante du 26 mai 2003. Il estima qu’en vertu de l’ordonnance sur les coopératives de crédit et de la loi sur les activités bancaires, les recours contre les décisions de la BNR n’étaient pas suspensifs d’exécution. Quant au fond de l’objection, il conclut, après avoir examiné les arguments de la requérante, que celle-ci n’avait pas fourni d’éléments susceptibles de modifier les conclusions du contrôle effectué en mars 2003.
Le 31 juillet 2003 la requérante, toujours représentée par M. Sichet et Me Ungur, forma un appel contre les deux décisions de la BNR.
Par un arrêt définitif du 22 janvier 2004, la Haute Cour de Cassation et Justice (ancienne Cour Suprême) déclara l’appel contre les deux décisions de la BNR irrecevable, au motif que la requérante n’avait pas la qualité pour ester en justice (calitate procesuală activă). En particulier, la Haute Cour observa que la banque requérante n’était plus valablement représentée par l’ancien conseil d’administration, toutes les attributions de cet organisme étant transférées au liquidateur, compte tenu du fait que la procédure de faillite avait été ouverte contre la requérante par la décision no 12 de la Caisse Centrale et que mention de cette procédure ainsi que de la nomination d’un liquidateur avait été faite au Registre du Commerce le 17 juin 2003. Dès lors, elle conclut que M. Sichet et Me Ungur n’avaient pas la qualité pour ester en justice au nom de la banque.
B. Autres actions
Action contre l’ouverture de la procédure de faillite
Le 11 novembre 2003, la banque requérante demanda à la BNR d’annuler la décision no 12 prise par la Caisse Centrale le 6 mai 2003, en faisant valoir que la Caisse Centrale avait ouvert la procédure de faillite avant même que la BNR décide de retirer l’autorisation de fonctionnement par sa décision no 9 du 15 mai 2003.
La banque requérante demanda également qu’il soit sursis à la procédure de liquidation en attendant le résultat de l’action formée contre la décision no 9 de la BNR.
Le 27 novembre 2003, la BNR rejeta la demande en annulation.
Par conséquent, le 12 janvier 2004, la requérante se pourvut en recours devant la Haute Cour contre la décision de la BNR. Les parties n’ont pas informé la Cour de l’issue de cette procédure.
Action contre l’inscription au Registre du Commerce
Le président de la Caisse Centrale demanda au juge délégué auprès de l’office du Commerce (« le juge délégué ») d’inscrire au Registre du Commerce l’ouverture de la procédure de faillite de la requérante. Représentée par Me Ungur, la banque requérante demanda au juge délégué de ne pas se prononcer sur cette demande, en attendant l’issue de son action formée contre les décisions no 9 de la BNR et no 12 de la Caisse Centrale.
Le 17 juin 2003, le juge délégué rejeta la demande de la banque requérante et fit inscrire la mention de la faillite au Registre du Commerce. Il nota que, selon les lois applicables en la matière, un recours contre la décision de la BNR n’engendrait pas automatiquement un sursis à exécution de cette décision. Dans la mesure où aucun tribunal n’avait sursis à cette exécution, il n’y avait pas lieu de faire droit à la demande de la requérante.
La banque requérante se pourvut en recours contre cette décision, en demandant en même temps qu’il soit sursis à la procédure de faillite. Elle renonça à cette dernière demande le 18 juin 2003.
Par une décision définitive du 23 avril 2004, la cour d’appel d’Oradea rejeta le recours formé par la banque requérante contre l’inscription de sa faillite au Registre du Commerce. La cour d’appel rappela que sa compétence se limitait à vérifier l’existence et la légalité de l’acte, et qu’elle n’était pas appelée à faire un contrôle du bien-fondé et de la légalité de la mesure prise par l’acte en cause.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
L’Ordonnance d’urgence du Gouvernement no 97/2000 sur les coopératives de crédit, modifiée par la loi no 200/2002 constituait, à l’époque des faits, le cadre législatif applicable à l’activité de la banque requérante. Cette ordonnance était complétée par la Loi no 58/1998 sur les activités bancaires (selon les articles 3 et 284 de l’ordonnance d’urgence).
L’affiliation à une caisse centrale des coopératives de crédit était obligatoire et lesdites caisses centrales avaient, entre autres obligations, celle de garantir la dette des caisses affiliées (article 7 de l’ordonnance).
La BNR pouvait retirer l’autorisation de fonctionnement d’une coopérative de crédit en tant que sanction pour des actes contrevenant aux exigences de l’ordonnance (articles 89 et 189 de l’ordonnance). La décision de la BNR était notifiée à la coopérative et à sa caisse centrale et publiée au Moniteur Officiel et dans deux journaux nationaux. À partir de la date d’entrée en vigueur de la décision de la BNR, l’activité de la coopérative devait se limiter à ce qui était exclusivement nécessaire pour sa liquidation (article 90).
Le recours contre une décision prise selon l’ordonnance d’urgence était examiné par le conseil d’administration de la BNR. Il était loisible aux intéressés de faire appel contre la décision de la BNR devant la Haute Cour de Cassation et Justice (article 202 de l’ordonnance). Ni l’action devant le conseil d’administration de la BNR, ni l’appel devant la Haute Cour n’étaient suspensifs d’exécution de la décision initiale (article 83 et 831 de la loi no 58/1998). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Le décès de Valentin Câmpeanu
La genèse de l’affaire
Valentin Câmpeanu était un jeune homme d’origine rom. Né le 15 septembre 1985 de père inconnu, il fut abandonné à la naissance par sa mère, Florica Câmpeanu (décédée en 2001). Il fut alors placé dans un orphelinat, le Centre de Corlate, où il grandit.
En 1990, on découvrit que Valentin Câmpeanu était séropositif. Les médecins ayant ultérieurement diagnostiqué une « déficience intellectuelle grave, un quotient intellectuel de 30 et une infection par le VIH », il fut considéré comme étant atteint d’un handicap « grave ». Par la suite, il présenta également des symptômes associés au VIH, tels que tuberculose pulmonaire, pneumonie et hépatite chronique.
En mars 1992, il fut transféré au centre pour enfants handicapés de Craiova et, plus tard, au centre de placement no 7 de Craiova (« le centre de placement »).
Les bilans effectués en 2003 et 2004
Le 30 septembre 2003, la commission départementale de Dolj pour la protection de l’enfance (« la commission départementale ») ordonna la cessation de la prise en charge publique de M. Câmpeanu, arguant que celui-ci venait d’avoir dix-huit ans et ne poursuivait aucune forme de scolarité.
Bien que le travailleur social qui s’occupait de M. Câmpeanu eût préconisé un transfert au centre local de rétablissement et de réadaptation neuropsychologiques, la commission départementale décida qu’un travailleur social compétent devait prendre toutes les mesures nécessaires pour faire admettre M. Câmpeanu à l’hôpital neuropsychiatrique de Poiana Mare (« le HPM »). Selon le droit pertinent, cette décision pouvait être contestée devant le tribunal de première instance de Craiova.
M. Câmpeanu n’assista pas en personne à la réunion de la commission départementale, et il n’y fut pas non plus représenté.
Le 14 octobre 2003, la commission médicale pour adultes handicapés du conseil départemental de Dolj réexamina l’état de santé de M. Câmpeanu. Elle constata uniquement l’infection par le VIH, qui correspondait à un handicap « moyen ». Elle mentionna également que le patient était « socialement intégré ».
Ultérieurement, à une date non précisée en octobre ou novembre 2003, un travailleur social et un médecin du centre de placement établirent un bilan médical et social de M. Câmpeanu, condition préalable à son placement dans un centre médicosocial. Dans la rubrique « représentant légal », ils inscrivirent « abandonné à la naissance » ; quant au champ « personne à prévenir en cas d’urgence », ils ne le renseignèrent pas. Le diagnostic indiquait « déficience intellectuelle grave, séropositivité », sans aucune référence au diagnostic précédent (paragraphe 9 ci-dessus). Le rapport d’évaluation indiquait : « a besoin de surveillance et d’une assistance intermittente pour les soins personnels » et concluait que M. Câmpeanu était capable de prendre soin de lui-même tout en ayant besoin d’une aide considérable.
Par une lettre datée du 16 octobre 2003, le HPM informa la commission départementale qu’il ne pouvait pas accueillir M. Câmpeanu, expliquant que celui-ci était séropositif et atteint d’un handicap mental et que l’hôpital n’était pas équipé pour soigner des personnes présentant ce type de pathologies.
Après ce refus, entre octobre 2003 et janvier 2004, la commission départementale et la direction départementale pour la protection des droits de l’enfant (« la direction pour la protection de l’enfance ») sollicitèrent l’aide d’un certain nombre d’établissements pour trouver une structure sociale ou psychiatrique qui accepterait d’accueillir M. Câmpeanu. La direction pour la protection de l’enfance indiqua que le HPM avait refusé d’accueillir le patient en raison de sa séropositivité et demanda la coopération des établissements concernés, en précisant que l’état de santé du jeune homme « ne nécessitait pas une hospitalisation mais exigeait une surveillance constante au sein d’une institution spécialisée ».
L’admission au centre médicosocial de Cetate-Dolj
La commission départementale estima finalement que M. Câmpeanu pourrait être placé dans le centre médicosocial de Cetate-Dolj (« le CMSC »), qui constituait selon elle un établissement adapté pour l’intéressé. Dans sa demande au CMSC, elle signala uniquement que M. Câmpeanu était séropositif, ce qui correspondait à un handicap moyen, et ne fit nulle mention de ses difficultés d’apprentissage.
Le 5 février 2004, M. Câmpeanu fut admis au CMSC. Selon un compte rendu, rédigé par cet établissement et adressé au Centre de ressources juridiques (« le CRJ ») le 5 mars 2004, qui décrivait l’état de M. Câmpeanu lors de son admission, celui-ci se trouvait à un stade avancé de « déchéance psychiatrique et physique », il était vêtu d’un survêtement en loques, il ne portait ni sous-vêtements ni chaussures et il n’avait ni médicaments antirétroviraux ni informations sur son état de santé ; le compte rendu mentionnait aussi que le patient « refusait de coopérer ».
Dans les déclarations qu’il fit au parquet le 22 juillet 2004 dans le cadre de la procédure interne (relatée dans la section B ci-dessous), M. V., le médecin ayant soigné M. Câmpeanu au centre de placement, justifia le fait que l’intéressé n’avait reçu ni médicaments ni informations appropriés en indiquant qu’il ignorait alors si une modification du traitement était nécessaire au vu des résultats des derniers examens (paragraphe 9 cidessus).
Un examen médical effectué lors de l’admission de M. Câmpeanu au CMSC aboutit à la conclusion que l’intéressé souffrait « d’une déficience intellectuelle grave, d’une infection par le VIH et de malnutrition ». Le jeune homme mesurait alors 1,68 m et pesait 45 kg. Il fut mentionné qu’il n’était « pas capable de s’orienter dans le temps et dans l’espace, ni de manger seul ou de prendre soin lui-même de son hygiène personnelle ».
Dans la soirée du 6 février 2004, M. Câmpeanu entra dans un état d’agitation. D’après le compte rendu du CMSC (paragraphe 14 cidessus), au matin du 7 février 2004 il « devint violent, agressa d’autres patients, brisa une fenêtre et déchira un matelas ainsi que ses vêtements et ses draps » ; on lui administra du phénobarbital puis du diazépam pour le calmer.
L’examen au HPM
Le 9 février 2004, M. Câmpeanu fut conduit pour examen, diagnostic et traitement au HPM, l’établissement psychiatrique le plus proche. Le diagnostic de « déficience intellectuelle grave » fut réitéré. Il fut toutefois estimé que son état « ne [constituait] pas une urgence psychiatrique », l’intéressé n’étant « pas agité ». Le docteur L.G. diagnostiqua une « déficience intellectuelle moyenne » et prescrivit des sédatifs (carbamazépine et diazépam).
Le dossier médical conservé au HPM indique qu’aucune information sur les antécédents médicaux de M. Câmpeanu ne put être obtenue lors de son admission à l’hôpital parce qu’il n’était « pas coopératif ». Dans la déposition qu’il livra aux autorités d’enquête le 8 décembre 2005, le docteur D.M., du HPM, déclara que « le patient était différent, en ce sens que l’on ne pouvait pas communiquer avec lui et qu’il présentait des déficiences mentales ».
Le retour au CMSC
Le jour même, M. Câmpeanu fut reconduit au CMSC. Dans l’intervalle, son état de santé s’était considérablement dégradé. Le CMSC ayant reçu des antirétroviraux, le traitement du jeune homme fut repris. En dépit de cette mesure, l’état de celui-ci ne s’améliora pas, le dossier médical indiquant qu’il était encore « agité » et « violent ».
Le CMSC décida que, faute de disposer des équipements nécessaires pour le soigner, il ne pouvait garder M. Câmpeanu plus longtemps. L’hôpital adressa au centre de placement une demande de transfert de l’intéressé vers un autre établissement. Le centre de placement rejeta toutefois cette demande, arguant que le jeune homme était déjà « en dehors de son ressort ».
Le 11 février 2004, E.O., la directrice du CMSC, aurait appelé la direction de la santé publique du département de Dolj et l’aurait priée de trouver une solution permettant de transférer M. Câmpeanu dans une structure mieux adaptée à ses problèmes de santé. On lui aurait conseillé de faire admettre M. Câmpeanu au HPM en vue d’un traitement psychiatrique d’une durée de quatre ou cinq jours.
Le transfert au HPM
Le 13 février 2004, M. Câmpeanu fut transféré du CMSC au HPM. Son séjour dans cet hôpital, où il s’agissait de traiter son hyperagressivité, devait durer trois ou quatre jours. Il fut placé au sein de l’unité psychiatrique V.
Le 15 février 2004, il fut confié au docteur L.G. Le jeune homme étant séropositif, le médecin décida de le transférer à l’unité psychiatrique VI. Comme celle-ci n’avait que deux médecins généralistes et pas de psychiatre, L.G. resta chargée du traitement psychiatrique dispensé à M. Câmpeanu.
Le 19 février 2004, celui-ci cessa de s’alimenter et refusa de prendre ses médicaments. Aussi fut-il décidé de lui administrer du glucose et des vitamines par intraveineuse. Le médecin qui examina M. Câmpeanu conclut à un « mauvais état général ».
La visite des membres du CRJ
Le 20 février 2004, une équipe d’observateurs du CRJ se rendit au HPM et constata l’état dans lequel se trouvait M. Câmpeanu. Selon un rapport établi par les membres du CRJ au sujet de cette visite, le jeune homme était seul dans une chambre isolée, non chauffée et fermée à clé, dont l’équipement se limitait à un lit dépourvu de draps et de couvertures ; il n’était vêtu que d’un haut de pyjama ; bien qu’il ne fût pas en mesure de se nourrir ou d’aller aux toilettes sans aide, le personnel du HPM refusait de l’assister, par peur semble-t-il de contracter le VIH, de sorte que l’intéressé n’était alimenté que par perfusion de glucose. Le rapport concluait que l’hôpital était resté en défaut de fournir au jeune homme le traitement et les soins les plus élémentaires.
Dans leur rapport, les représentants du CRJ indiquaient avoir demandé le transfert immédiat de M. Câmpeanu à l’hôpital des maladies infectieuses de Craiova, apte selon eux à dispenser à l’intéressé un traitement adéquat ; le directeur de l’hôpital aurait cependant écarté cette demande, estimant que le patient n’était « pas un cas urgent, mais un cas social » et que de toute façon il n’était pas en état de supporter le trajet.
M. Câmpeanu décéda dans la soirée du 20 février 2004. Selon l’acte de décès établi le 23 février 2004, la cause immédiate de la mort était une insuffisance cardiorespiratoire. L’acte de décès indiquait également que l’infection par le VIH était « l’état morbide initial » et que la « déficience intellectuelle » avait constitué « un autre état morbide important ».
En dépit des dispositions légales rendant obligatoire la réalisation d’une autopsie en cas de décès survenu dans un hôpital psychiatrique (arrêté conjoint no 1134/255/2000 du ministre de la Justice et du ministre de la Santé), le HPM n’en pratiqua pas, « le décès n’ayant pas été estimé suspect, compte tenu des deux affections graves que présentait le patient » (déficience intellectuelle et infection par le VIH).
Le 21 février 2004, ignorant que M. Câmpeanu était décédé, le CRJ avait rédigé plusieurs lettres urgentes, qu’il avait adressées à un certain nombre de responsables de l’administration locale et nationale, dont le ministre de la Santé, le préfet du département de Dolj, le maire de Poiana Mare et le chef de la direction de la santé publique du département de Dolj. Le CRJ y indiquait que M. Câmpeanu se trouvait dans un état extrêmement critique et qu’il avait été transféré dans un établissement qui n’était pas à même de lui offrir des soins appropriés, eu égard à sa séropositivité. Le CRJ critiquait par ailleurs le traitement selon lui inadapté qui était dispensé à l’intéressé et demandait des mesures urgentes pour remédier à cette situation. Il ajoutait que l’admission de M. Câmpeanu au CMSC et son transfert ultérieur au HPM avaient emporté violation des droits fondamentaux de l’intéressé, et engageait les autorités à ouvrir une enquête adéquate à ce sujet.
Le 22 février 2004, le CRJ fit paraître un communiqué de presse qui attirait l’attention sur les conditions et le traitement réservés aux patients du HPM, évoquait en particulier la situation de M. Câmpeanu et préconisait l’adoption de mesures d’urgence.
B. La procédure interne
Les plaintes pénales déposées par le CRJ
Par une lettre du 15 juin 2004 adressée au parquet général de Roumanie, le CRJ demanda où en était la procédure consécutive à la plainte pénale qu’il avait déposée auprès de cet organe le 23 février 2004 au sujet des circonstances ayant abouti au décès de M. Câmpeanu. Dans cette plainte, le CRJ avait souligné que le jeune homme n’avait pas été placé dans un établissement médical adapté à son état de santé physique et mentale.
Le 15 juin 2004 toujours, le CRJ déposa deux autres plaintes pénales, l’une auprès du parquet près le tribunal de première instance de Craiova et l’autre auprès du parquet près le tribunal départemental de Craiova. Il réitéra sa demande d’ouverture d’une enquête pénale au sujet des circonstances dans lesquelles était survenu le décès de M. Câmpeanu, alléguant la commission des infractions suivantes :
i. négligence, par des employés de la direction pour la protection de l’enfance et par des employés du centre de placement (article 249 § 1 du code pénal) ;
ii. actions et omissions délibérées ayant porté atteinte aux intérêts d’une personne et mise en danger d’une personne incapable de prendre soin d’elle-même, par des employés du CMSC (articles 246 et 314 du code pénal) ;
iii. homicide par négligence ou mise en danger d’une personne incapable de prendre soin d’elle-même, par des employés du HPM (articles 178 § 2 et 314 du code pénal).
Le CRJ ajoutait que la commission médicale avait à tort considéré M. Câmpeanu comme une personne atteinte d’un handicap moyen, au mépris des diagnostics posés précédemment et postérieurement (paragraphe 9 cidessus). Quant à la direction pour la protection de l’enfance, selon le CRJ elle n’avait pas entamé de procédure aux fins de la désignation d’un tuteur lorsque M. Câmpeanu avait atteint l’âge de la majorité, contrevenant ainsi à la législation en vigueur.
De plus, le CRJ reprochait au centre de placement de ne pas avoir fourni au personnel du CMSC les antirétroviraux nécessaires lorsque M. Câmpeanu avait été transféré dans cet établissement le 5 février 2004 ; il estimait que cela avait pu causer le décès de l’intéressé deux semaines plus tard.
Il considérait par ailleurs que le transfert du CMSC au HPM avait été inutile, inopportun et contraire à la législation en vigueur, dès lors que cette mesure avait été prise sans le consentement du patient ou de son représentant, en violation de la loi sur les droits des patients (loi no 46/2003).
Enfin, le CRJ soutenait que M. Câmpeanu n’avait pas été correctement soigné, traité et alimenté au HPM.
Le 22 août 2004, le parquet général informa le CRJ que l’affaire avait été transmise pour enquête au parquet près le tribunal départemental de Dolj.
Le 31 août 2004, ledit parquet informa le CRJ qu’un dossier pénal avait été ouvert à la suite de son dépôt de plainte, et que l’enquête avait été confiée à la division chargée des enquêtes pénales des services de police du département de Dolj (« les services de police »).
Le rapport médicolégal
Le 14 septembre 2004, à la demande du parquet, l’institut de médecine légale de Craiova remit un rapport médicolégal qui, s’appuyant sur les pièces médicales fournies, concluait :
« Un traitement médical avait été prescrit [au patient] pour sa séropositivité et son état psychiatrique ; ce traitement [était] correct et adéquat quant au dosage, eu égard à l’état clinique et immunologique de l’intéressé.
Il est impossible d’établir si le patient a bien pris les médicaments prescrits, compte tenu du stade avancé de sa dégradation psychosomatique. »
Le 22 octobre 2004, le corps de M. Câmpeanu fut exhumé et autopsié. Le rapport d’autopsie, rendu le 2 février 2005, indiquait que la dépouille présentait des signes avancés de cachexie et concluait ainsi :
« (...) le décès n’a pas été violent. Il est dû à une insuffisance cardiorespiratoire causée par une pneumonie, complication survenue avec la progression de l’infection par le VIH. Après exhumation, aucune trace de violence n’a été relevée. »
Les décisions du parquet
Le 19 juillet 2005, le parquet près le tribunal départemental de Dolj décida de classer l’affaire, estimant notamment qu’au vu des éléments produits le traitement médical administré au patient avait été approprié et que le décès n’avait pas été violent mais était résulté d’une complication survenue avec la progression de l’infection par le VIH dont souffrait M. Câmpeanu.
Le 8 août 2005, le CRJ contesta cette décision auprès du procureur en chef du parquet près le tribunal départemental de Dolj, plaidant en particulier que certains de ses arguments concernant le traitement médical dispensé au patient, l’interruption supposée de l’administration d’antirétroviraux et les conditions de vie dans les hôpitaux n’avaient pas été examinés.
Le 23 août 2005, le procureur en chef accueillit cette plainte, annula la décision du 19 juillet 2005 et ordonna la réouverture de l’enquête aux fins de l’examen de tous les aspects du dossier. Des instructions spécifiques furent données au sujet de certaines pièces médicales qu’il convenait d’étudier une fois qu’elles auraient été communiquées par l’hôpital des maladies infectieuses de Craiova, le centre de placement, le CMSC et le HPM. Les médecins qui s’étaient occupés de M. Câmpeanu devaient être interrogés. Les circonstances dans lesquelles le traitement antirétroviral avait ou non été dispensé au patient pendant ses séjours au CMSC et au HPM devaient être éclaircies, notamment eu égard au fait que le dossier médical conservé au HPM ne contenait aucune précision sur ce point.
Le 11 décembre 2006, le parquet près le tribunal départemental de Dolj décida que, selon les nouvelles règles de procédure en vigueur, il n’était pas compétent pour procéder à l’enquête, et renvoya l’affaire au parquet près le tribunal de première instance de Calafat.
La procédure disciplinaire
Le 11 janvier 2006, les services de police prièrent l’ordre des médecins du département de Dolj (« l’ordre des médecins ») d’émettre un avis « sur la question de savoir si la démarche thérapeutique [adoptée] [avait été] correcte au vu du diagnostic [posé dans le rapport d’autopsie] ou s’il fallait y voir une faute médicale ».
Le 20 juillet 2006, la commission de discipline de l’ordre des médecins décida qu’il n’y avait pas lieu d’engager une action disciplinaire contre le personnel du HPM :
« (...) la thérapie par psychotropes, évoquée dans les notes relatives à l’observation clinique générale du HPM, était appropriée (...) [et dès lors] (...) les informations reçues donnent à penser que les médecins ont pris les bonnes décisions et qu’il n’y a pas lieu de soupçonner une faute médicale [liée à] une infection opportuniste associée au VIH [qui n’aurait] pas été correctement traitée. »
Les services de police contestèrent cette décision, mais ils furent déboutés pour tardiveté le 23 novembre 2006.
La nouvelle décision de classement sans suite et les recours ultérieurs
Le 30 mars 2007, le parquet près le tribunal de première instance de Calafat rendit une nouvelle décision de classement sans suite. Le procureur fonda son raisonnement sur les éléments versés au dossier ainsi que sur la décision rendue par la commission de discipline de l’ordre des médecins.
Le CRJ contesta la décision de classement, soutenant que la plupart des instructions données dans la décision du procureur en chef du 23 août 2005 (paragraphe 33 ci-dessus) avaient été ignorées. Cette plainte fut rejetée le 4 juin 2007 par le procureur en chef du parquet près le tribunal de première instance de Calafat qui, dans une brève motivation, renvoya aux conclusions du rapport médicolégal du 14 septembre 2004 et à la décision de l’ordre des médecins du 20 juillet 2006.
Le 10 août 2007, le CRJ attaqua cette décision devant le tribunal de première instance de Calafat.
Le 3 octobre 2007, ce tribunal accueillit l’action du CRJ, annula les décisions des 30 mars et 4 juin 2007 et ordonna la réouverture de l’enquête, estimant que divers aspects liés au décès de M. Câmpeanu n’avaient pas été examinés et que la production d’éléments de preuve complémentaires s’imposait.
Le tribunal releva notamment les défauts suivants : la plupart des documents censés avoir été recueillis auprès de l’hôpital des maladies infectieuses de Craiova et du centre de placement n’avaient en fait pas été versés au dossier de l’enquête (pièces médicales sur la base desquelles M. Câmpeanu avait été admis au CMSC et transféré au HPM, examens cliniques et paracliniques effectués, comptes rendus des auditions des médecins et infirmiers qui avaient été chargés de l’administration des soins à M. Câmpeanu et lignes directrices sur le dépistage du VIH) ; les contradictions ressortant des déclarations des personnes intervenues dans l’admission de M. Câmpeanu au CMSC n’avaient pas été clarifiées, pas plus que les circonstances liées à l’interruption du traitement antirétroviral après le transfert du jeune homme au HPM ; en outre, les allégations contradictoires du personnel médical du CMSC et du HPM concernant le prétendu « état d’agitation » de M. Câmpeanu n’avaient pas été élucidées.
Pour le tribunal, les enquêteurs n’avaient pas non plus vérifié si le personnel médical du HPM avait effectué les examens nécessaires après l’admission de M. Câmpeanu et si celui-ci avait reçu des antirétroviraux et tout autre médicament indiqué. Le tribunal ajouta que les enquêteurs n’avaient pas établi l’origine des œdèmes observés sur le visage et les membres inférieurs de M. Câmpeanu, ni déterminé si la démarche thérapeutique adoptée au HPM avait été correcte. Il estima que, compte tenu de ces manquements, la demande d’avis adressée à l’ordre des médecins avait revêtu un caractère prématuré et devait être réitérée une fois le dossier d’enquête complet.
Le procureur près le tribunal de première instance de Calafat interjeta appel de ce jugement. Le 4 avril 2008, le tribunal départemental de Dolj accueillit l’appel, annula le jugement rendu par le tribunal de première instance de Calafat et rejeta la plainte formée par le CRJ contre la décision de classement sans suite du 30 mars 2007.
Le tribunal s’appuya principalement sur les conclusions du rapport médicolégal et du rapport d’autopsie, ainsi que sur la décision de l’ordre des médecins, pièces qui toutes indiquaient l’absence de lien de causalité entre le traitement médical administré à M. Câmpeanu et le décès de celui-ci.
C. Autres actions menées à l’initiative du CRJ
Concernant M. Câmpeanu
Le 8 mars 2004, en réponse aux plaintes formulées par le CRJ (paragraphe 26 ci-dessus), le préfet du département de Dolj chargea une commission d’enquêter sur les circonstances du décès de M. Câmpeanu. Cette commission, qui était composée de représentants de la direction pour la protection de l’enfance, de la direction de la santé publique, de la division chargée des enquêtes pénales des services de police, et de la préfecture, se vit impartir un délai de dix jours pour clôturer l’enquête et présenter un rapport sur ses conclusions.
Dans son rapport, la commission parvint à la conclusion que l’ensemble des procédures relatives au traitement de M. Câmpeanu après sa sortie du centre de placement avaient été légales et justifiées compte tenu du diagnostic posé. Elle releva une seule irrégularité, à savoir la non-réalisation d’une autopsie immédiatement après le décès du jeune homme, laquelle avait selon elle contrevenu à la législation en vigueur (paragraphe 25 cidessus).
Le 26 juin 2004, le CRJ déposa auprès de l’office national pour la protection de l’enfant et l’adoption (« l’office national ») une plainte dans laquelle il dénonçait plusieurs déficiences, dont la non-désignation d’un tuteur pour M. Câmpeanu et le non-placement de celui-ci dans un établissement médical adapté. Le CRJ réitéra sa plainte le 4 août 2004, soutenant que le transfert injustifié du jeune homme au HPM pouvait soulever des questions au regard de l’article 5 § 1 e) de la Convention.
Le 21 octobre 2004, en réponse à ces allégations, l’office national rendit un rapport sur les circonstances du décès de M. Câmpeanu. Il reconnaissait que la commission départementale avait outrepassé ses pouvoirs en ordonnant l’admission de M. Câmpeanu au HPM. Il estimait toutefois que cet ordre avait été sans conséquence dès lors que l’établissement en question avait de toute manière d’abord refusé d’accueillir M. Câmpeanu (paragraphe 11 ci-dessus).
L’office national concluait qu’en transférant M. Câmpeanu au CMSC la direction pour la protection de l’enfance avait agi dans le respect des principes de la déontologie professionnelle et des bonnes pratiques. À son sens, il ne lui appartenait toutefois pas d’émettre un jugement sur le transfert ultérieur de M. Câmpeanu au HPM.
De même, l’office national refusa de se prononcer sur l’argument selon lequel M. Câmpeanu avait été à tort considéré comme personne atteinte d’un handicap moyen, ou sur les faits postérieurs à l’admission de l’intéressé au CMSC.
Le 24 mars 2004, la direction de la santé publique du département de Dolj informa le CRJ qu’une commission constituée de divers responsables départementaux avait conclu qu’« il n’y [avait] eu violation d’aucun droit fondamental » dans le cadre du décès de M. Câmpeanu, les admissions successives de celui-ci à l’hôpital ayant été justifiées par l’article 9 de la loi no 584/2002 relative aux mesures de prévention contre la propagation de l’infection par le VIH et de protection des personnes infectées par le VIH ou atteintes du sida.
Concernant d’autres patients
Le 16 mars 2005, à la suite d’une enquête pénale sur la mort de dixsept patients au HPM, le parquet général adressa au ministère de la Santé une lettre demandant l’adoption de certaines mesures administratives visant à remédier à la situation à l’hôpital. Tout en relevant qu’aucun acte pénalement répréhensible n’avait été mis en évidence relativement aux décès en cause, la lettre soulignait des « défaillances administratives » observées à l’hôpital et préconisait la prise de mesures adéquates sur les points suivants :
« manque de chauffage dans les chambres des patients, alimentation hypocalorique, personnel insuffisant et mal formé aux soins requis par les patients handicapés mentaux, manque de médicaments efficaces, possibilités extrêmement limitées de procéder à des investigations paracliniques [...], tous ces éléments ayant favorisé l’apparition de maladies infectieuses ainsi que leur évolution mortelle [...] »
Dans la décision qu’elle rendit le 15 juin 2006 à la suite d’une plainte pénale déposée par le CRJ au nom de P.C., un autre patient décédé au HPM, la Haute Cour de cassation et de justice écarta l’exception du parquet selon laquelle le CRJ n’avait pas qualité pour agir. La haute juridiction considéra que le CRJ, compte tenu de son domaine d’activité et des buts déclarés qui étaient les siens en tant que fondation pour la protection des droits de l’homme, était habilité à mener une procédure de cette nature destinée à élucider les circonstances dans lesquelles dix-sept patients avaient trouvé la mort au HPM en janvier et février 2004. La haute juridiction s’exprima ainsi :
« La Haute Cour estime que le CRJ peut être considéré comme « toute autre personne dont les intérêts légitimes ont été lésés » au sens de l’article 2781 du code de procédure pénale. La légitimité des intérêts du CRJ tient à la demande qu’il a formée pour que soient établies et élucidées les circonstances ayant abouti au décès de dixsept patients au HPM, en janvier et février 2004 ; le but du CRJ était donc de garantir le droit à la vie et l’interdiction de la torture et des mauvais traitements (...) en déclenchant une enquête pénale officielle qui serait effective et exhaustive, et permettrait l’identification des responsables des violations des droits susmentionnés, conformément aux exigences des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. [Le CRJ entendait également] sensibiliser la société quant à la nécessité de protéger les droits et libertés fondamentaux et de garantir l’accès à la justice, ce qui correspond aux buts déclarés de l’ONG.
L’existence de l’intérêt légitime du CRJ a été démontrée par l’ouverture d’une enquête, qui est pendante à ce jour.
En même temps, la possibilité pour le CRJ de déposer une plainte sur le fondement de l’article 2781 (...) constitue un recours juridictionnel, conforme aux dispositions de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, dont le demandeur s’est prévalu (...) »
D. L’expertise soumise par le CRJ
Le CRJ présenta une expertise datée du 4 janvier 2012 et établie par le docteur Adriaan van Es, membre de l’équipe consultative médicolégale et directeur de la Fédération internationale des organisations de santé et de droits de l’homme (International Federation of Health and Human Rights Organisations – « l’IFHHRO »), assisté de Anca Boeriu, chef de projet à l’IFHHRO. L’expertise reposait sur des copies de pièces que le CRJ a également soumises à la Cour, notamment des dossiers médicaux du CMSC et du HPM.
Elle faisait état de documents médicaux « superficiels, de piètre qualité, souvent absents ou manquants » du HPM et du CMSC, dans lesquels la description de l’état clinique de M. Câmpeanu était « très insuffisante ». Elle relevait que le patient n’avait jamais été examiné par un spécialiste des maladies infectieuses au HPM et ajoutait que, contrairement à ce qu’exigeait le droit roumain, il n’avait pas été réalisé d’autopsie immédiatement après le décès.
Selon l’expertise, les documents disponibles n’apportaient pas d’informations fiables sur le point de savoir si le traitement antirétroviral avait été administré de façon continue ; dès lors, il était possible qu’en raison d’un traitement inadéquat M. Câmpeanu eût souffert d’une nouvelle attaque du VIH, mais aussi d’infections opportunistes, telles qu’une pneumonie à pneumocystis (le rapport d’autopsie identifiait la pneumonie comme cause du décès). L’expertise indiquait que la pneumonie n’avait été ni diagnostiquée ni traitée pendant les séjours de l’intéressé au HPM et au CMSC, alors qu’il s’agissait d’une maladie très fréquente chez les personnes porteuses du VIH, et qu’à aucun moment il n’avait été procédé à des analyses de laboratoire ordinaires pour surveiller la séropositivité du patient.
L’expertise constatait que certains signes comportementaux interprétés comme des troubles psychiatriques avaient pu être causés par une septicémie.
En conséquence, selon l’expertise, les dangers liés à l’interruption du traitement antirétroviral, les risques d’infections opportunistes et les antécédents de tuberculose de M. Câmpeanu auraient dû conduire à l’admission de ce patient dans un hôpital de médecine générale traitant les maladies infectieuses, et non dans un établissement psychiatrique.
L’expertise concluait que le décès de M. Câmpeanu au HPM était le résultat d’une « faute médicale grave », que la gestion du VIH et des infections opportunistes n’avait été conforme ni aux normes internationales ni à la déontologie médicale, qu’il en allait de même pour les conseils et le traitement fournis au patient pour son grave handicap intellectuel et que, de plus, la procédure disciplinaire devant la commission de discipline de l’ordre des médecins avait été déficiente et entachée de négligence, vu l’absence de documents médicaux importants.
E. Informations générales sur les établissements médicaux de Cetate et de Poiana Mare
L’hôpital neuropsychiatrique de Poiana Mare
Le HPM est situé dans le département de Dolj, dans le sud de la Roumanie, à 80 kilomètres de Craiova, sur le site d’une ancienne base militaire occupant un terrain de 36 hectares. Le HPM peut accueillir 500 patients. Ceux-ci peuvent faire l’objet d’une admission volontaire ou d’un placement d’office, cette dernière mesure résultant d’une procédure civile ou pénale. Il y a quelques années encore, l’hôpital comportait aussi une unité pour les patients atteints de tuberculose. Cette unité a été transférée dans une commune voisine sous la pression d’un certain nombre d’organes nationaux et internationaux, dont le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT).
À l’époque des faits litigieux, en février 2004, le HPM comptait 436 patients. Le personnel médical comprenait cinq psychiatres, quatre internes en psychiatrie et six médecins généralistes.
Selon le rapport du CPT de 2004 (paragraphe 77 ci-dessous), 109 patients sont décédés au HPM dans des circonstances suspectes – 81 entre janvier et décembre 2003 et 28 pendant les cinq premiers mois de 2004. Le CPT a visité le HPM à trois reprises, en 1995, en 1999 et en 2004, la dernière visite ayant spécifiquement eu pour but d’enquêter sur l’augmentation alarmante du taux de mortalité. Après chaque visite, le CPT a établi des rapports très critiques, soulignant les « conditions de vie inhumaines et dégradantes » au HPM.
Le 2 septembre 2003, le ministère de la Santé publia un rapport après la visite de certains établissements médicaux, notamment le HPM, signalés comme problématiques dans les rapports du CPT. Il y concluait qu’au HPM les médicaments administrés aux patients étaient inappropriés, soit en raison de l’absence de lien entre le diagnostic psychiatrique et le traitement dispensé, soit parce que les examens médicaux étaient très limités. Il ajoutait avoir observé plusieurs défaillances concernant la gestion de l’hôpital et une insuffisance de personnel médical au regard du nombre de patients.
Le centre médicosocial de Cetate-Dolj
Il ressort des informations fournies par le CRJ que le CMSC était une petite structure médicosociale qui, début 2004, disposait d’une capacité de 20 lits. À l’époque, 18 patients y séjournaient. Avant le 1er janvier 2004 – date à laquelle l’établissement a été classé centre médicosocial – le CMSC était un hôpital psychiatrique.
En vertu de l’agrément qui lui fut délivré pour 2006-2009, le CMSC était autorisé à fournir des services à des adultes confrontés à des situations familiales difficiles, l’accent étant mis sur la composante sociale de l’assistance médicosociale.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le code pénal roumain
Les dispositions pertinentes du code pénal roumain tel qu’en vigueur à l’époque des faits litigieux étaient ainsi libellées :
Article 114 – Admission dans une structure médicale
« 1) Si l’auteur d’une infraction souffre d’une maladie mentale ou de toxicomanie et s’il se trouve dans un état tel qu’il présente un danger pour la société, son admission dans un établissement médical spécialisé peut être ordonnée jusqu’au recouvrement par lui de sa santé.
2) Pareille mesure peut également être prise à titre provisoire dans le cadre d’une procédure pénale ou d’un procès. »
Article 178 – Homicide par négligence
« L’homicide par négligence causé par l’inobservation de dispositions légales ou de mesures préventives liées à l’exercice d’un métier ou d’une profession, ou à l’accomplissement d’une certaine activité, est puni d’une peine d’emprisonnement ferme d’une durée comprise entre deux ans et sept ans. »
Article 246 – Action ou omission délibérées portant atteinte aux intérêts d’autrui
« L’agent public qui, dans l’exercice de ses fonctions officielles, s’abstient sciemment d’accomplir un acte, ou l’accomplit de manière incorrecte, portant ainsi atteinte aux intérêts juridiques d’autrui, encourt une peine d’emprisonnement ferme d’une durée comprise entre six mois et trois ans. »
Article 249 § 1 – Négligence dans l’accomplissement d’une fonction officielle
« L’agent public qui, par négligence, ne remplit pas ses fonctions officielles ou les remplit de manière fautive encourt, lorsque sa négligence perturbe fortement le bon fonctionnement d’une autorité ou institution publique, ou d’une personne morale, ou cause un dommage aux biens de celle-ci ou un préjudice grave aux intérêts juridiques d’autrui, une peine d’emprisonnement d’une durée comprise entre un mois et deux ans ou une amende. »
Article 314 – Mise en danger d’une personne incapable de prendre soin d’elle-même
« 1) L’acte consistant à abandonner, renvoyer ou laisser sans assistance un enfant ou une personne incapables de prendre soin d’eux-mêmes, commis de quelque manière que ce soit par une personne chargée de surveiller ou de soigner cet enfant ou cette personne, [ou consistant] à exposer sa vie, sa santé ou son intégrité physique à un danger imminent, est passible d’une peine d’emprisonnement ferme d’une durée comprise entre un an et trois ans (...) »
B. Le code de procédure pénale roumain
La procédure relative au dépôt auprès d’un tribunal d’une plainte contre une décision prise par un procureur lors d’une instruction pénale était exposée aux articles 275 à 2781 du code tel qu’en vigueur à l’époque des faits litigieux. Les parties pertinentes de ces dispositions se lisaient ainsi :
Article 275
« Toute personne dont les intérêts légitimes ont été lésés par une mesure ou une décision prise dans le cadre d’une enquête pénale peut déposer une plainte contre cette mesure ou cet acte (...) »
Article 278
« Les plaintes contre des mesures ou décisions prises par un procureur, ou mises en œuvre à sa demande, sont examinées par (...) le procureur en chef du service compétent (...) »
Article 2781
1) Après rejet, par le procureur, d’une plainte introduite en vertu des articles 275 à 278 et concernant la clôture d’une enquête pénale (...) par une décision de classement sans suite (neurmărire penală) (...), la partie lésée, ou toute autre personne dont les intérêts légitimes ont été lésés, peut déposer, dans un délai de vingt jours à compter de la notification de la décision litigieuse, une plainte auprès du juge du tribunal qui est en principe compétent pour examiner l’affaire en première instance (...)
(…)
4) La personne objet de l’enquête pénale que le procureur a décidé de clôturer et l’auteur de la plainte contre cette décision sont convoqués au tribunal. Si ces personnes ont été convoquées selon les voies légales, leur non-comparution devant le tribunal n’empêche pas l’examen de l’affaire (...)
5) Le procureur est tenu de comparaître devant le tribunal.
6) Le juge donne la parole à l’auteur de la plainte, puis à la personne qui faisait l’objet de l’enquête pénale qui a été clôturée, et enfin au procureur.
7) Lors de l’examen de l’affaire, le juge apprécie la décision litigieuse en se fondant sur les actes et pièces existants, et sur tout nouveau document porté à sa connaissance.
8) Le juge statue de l’une des manières suivantes :
a) il rejette la plainte pour tardiveté, irrecevabilité ou défaut de fondement, et confirme la décision litigieuse ;
b) il accueille la plainte, annule la décision litigieuse et renvoie l’affaire au procureur afin qu’il ouvre ou rouvre l’enquête pénale. Le juge doit exposer les motifs du renvoi et, en même temps, indiquer les faits et les circonstances à élucider, ainsi que les éléments pertinents à produire ;
c) il accueille la plainte, annule la décision litigieuse et, si les pièces du dossier sont suffisantes, conserve l’affaire pour plus ample examen, suivant les règles de procédure applicables, en première instance puis, le cas échéant, en appel (...)
(...)
12) Le juge examine la plainte dans un délai de trente jours à compter de la date de sa réception.
13) Une plainte déposée auprès de la mauvaise autorité est adressée, par la voie administrative, à l’autorité compétente pour l’examiner. »
C. Le système d’assistance sociale
L’article 2 de la loi sur l’assistance sociale nationale (loi no 705/2001) définit ainsi le système d’assistance sociale :
« (...) système d’établissements et de mesures au moyen desquels l’État, les pouvoirs publics et la société civile assurent la prévention, la limitation ou l’élimination des conséquences temporaires ou permanentes de situations susceptibles d’entraîner la marginalisation ou l’exclusion sociale de certains individus. »
L’article 3 définit ainsi l’objet de ce système :
« (...) protéger les personnes qui, pour des raisons financières, physiques, mentales ou sociales, ne sont pas aptes à pourvoir à leurs besoins sociaux et à développer leurs propres capacités et leurs aptitudes à s’intégrer à la société. »
Le règlement no 68/2003 sur les services sociaux établit les objectifs des services sociaux publics et décrit le processus décisionnel relatif à l’octroi de services sociaux.
D. La législation relative au système de santé
Les dispositions juridiques pertinentes sur la santé mentale ont été exposées en détail dans l’arrêt B. c. Roumanie (no 2) (no 1285/03, §§ 42-66, 19 février 2013).
La loi no 487/2002 sur la santé mentale et la protection des personnes atteintes de troubles psychiques (« la loi sur la santé mentale de 2002 »), qui est entrée en vigueur en août 2002, définit la procédure à suivre pour le traitement d’office d’un individu. La décision du psychiatre traitant de faire hospitaliser une personne en vue d’un traitement obligatoire doit être approuvée par un comité spécial de psychiatres dans un délai de soixantedouze heures à compter de l’hospitalisation de l’intéressé. De plus, cette appréciation doit être réexaminée dans les vingt-quatre heures par un procureur, dont la décision peut à son tour être contestée devant un tribunal. La mise en œuvre des dispositions de la loi était subordonnée à l’adoption de la réglementation d’application nécessaire ; celle-ci a été adoptée le 2 mai 2006.
La loi sur les hôpitaux (loi no 270/2003) disposait en son article 4 que les hôpitaux étaient tenus d’« offrir un hébergement et une alimentation appropriés et de veiller à la prévention des infections ». Elle a été abrogée le 28 mai 2006, lorsqu’est entrée en vigueur la loi de réforme des soins de santé de 2006 (loi no 95/2006).
La loi sur les droits des patients (loi no 46/2003) énonce en son article 3 que « le patient a droit au respect dû à tout être humain, sans discrimination ». L’article 35 dispose qu’un patient a « droit à des soins médicaux continus jusqu’à l’amélioration de son état de santé ou jusqu’à son rétablissement ». En outre, « le patient a droit à des soins palliatifs pour pouvoir mourir dans la dignité ». Le consentement du patient est exigé pour toute forme d’intervention médicale.
L’arrêté no 1134/25.05.2000 du ministre de la Justice et l’arrêté no 255/4.04.2000 du ministre de la Santé sur les procédures relatives aux avis médicaux et à d’autres services de médecine légale énoncent en leur article 34 qu’une autopsie doit être pratiquée lorsqu’un décès survient dans un hôpital psychiatrique. L’article 44 fait obligation à la direction de l’établissement médical concerné d’informer d’un tel décès les autorités chargées d’enquêter, lesquelles doivent demander une autopsie.
La loi no 584/2002 relative aux mesures de prévention contre la propagation de l’infection par le VIH et de protection des personnes infectées par le VIH ou atteintes du sida dispose en son article 9 que les établissements médicaux et les médecins sont tenus d’hospitaliser les personnes concernées et de leur dispenser les soins médicaux requis par leurs symptômes spécifiques.
E. Le système de la tutelle
La tutelle d’un mineur
Les articles 113 à 141 du code de la famille, tel qu’en vigueur à l’époque des faits litigieux, régissaient la tutelle d’un mineur dont les parents étaient décédés ou inconnus, avaient été déchus de l’autorité parentale ou déclarés incapables, étaient disparus ou avaient été déclarés morts par un tribunal. Le code de la famille définissait les conditions imposant le placement sous tutelle, la désignation d’un tuteur (tutore), les responsabilités du tuteur, la révocation de celui-ci et la fin de la tutelle. L’institution assumant les plus larges responsabilités en la matière était l’autorité des tutelles (autoritatea tutelarã), chargée notamment de superviser l’activité des tuteurs.
À l’heure actuelle, la tutelle est régie par les articles 110 à 163 du code civil. Le nouveau code civil a été publié au Journal officiel no 511 du 24 juillet 2009, puis republié au Journal officiel no 505 du 15 juillet 2011. Il est entré en vigueur le 1er octobre 2011.
La procédure de déclaration d’incapacité et la tutelle des personnes handicapées
Les articles 142 à 151 du code de la famille, tel qu’en vigueur à l’époque des faits de la cause, régissaient la procédure de déclaration d’incapacité (interdicţie), mesure par laquelle est déchue de la capacité juridique une personne dont l’inaptitude à gérer ses affaires se trouve établie.
Une décision de privation de capacité pouvait être adoptée et révoquée par un tribunal à l’égard d’une personne « incapable de pourvoir à ses intérêts en raison d’un trouble ou handicap mental ». Une procédure de déclaration d’incapacité pouvait être engagée par un large éventail de personnes, notamment les services publics compétents dans le domaine de la protection des mineurs, ou toute personne intéressée. Une fois qu’une personne était déclarée incapable, un tuteur était désigné aux fins de sa représentation ; il se voyait attribuer des pouvoirs identiques à ceux du tuteur d’un mineur.
Si la procédure de privation de capacité pouvait également être appliquée à des mineurs, elle visait particulièrement les adultes handicapés.
Les dispositions susmentionnées ont depuis lors été intégrées, après amendements, dans le code civil (articles 164 à 177).
Les articles 152 à 157 du code de la famille, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, régissaient la procédure de mise sous curatelle (curatela), qui vise à faire face à la situation d’une personne qui, bien que non déclarée incapable, n’est pas apte à protéger suffisamment ses intérêts ou à désigner un représentant. Les parties pertinentes de ces dispositions sont ainsi libellées :
Article 152
« En dehors des autres cas prévus par la loi, l’autorité des tutelles désigne un curateur dans les situations suivantes :
a) lorsque, du fait d’un âge avancé, d’une maladie ou d’une infirmité physique, une personne, tout en conservant sa capacité juridique, est inapte par elle-même à gérer ses biens ou à défendre ses intérêts de façon satisfaisante et ne peut, pour des raisons valables, désigner un représentant ;
b) lorsque, du fait d’une maladie ou pour d’autres raisons, une personne, tout en conservant sa capacité juridique, est inapte, par elle-même ou par l’intermédiaire d’un représentant, à prendre les mesures nécessaires dans des situations qui appellent une action urgente ;
c) lorsque, du fait d’une maladie ou pour d’autres raisons, le parent ou le tuteur [tutore] désigné n’est pas en mesure d’accomplir l’acte en question (...) »
Article 153
« Dans les situations visées à l’article 152, la désignation d’un curateur [curator] n’a pas d’incidence sur la capacité de la personne représentée. »
Article 154
« 1. La curatelle [curatela] peut être mise en place à la demande de la personne qui souhaite être représentée, du conjoint ou des proches de celle-ci, de toute personne visée à l’article 115, ou du tuteur [tutore] dans la situation visée à l’article 152 c). L’autorité des tutelles peut aussi mettre en place une curatelle de sa propre initiative.
La curatelle ne peut être mise en place qu’avec le consentement de la personne à représenter, excepté dans les situations où ce consentement ne peut pas être donné. (...) »
Article 157
« Si les raisons qui avaient conduit à la mise en place d’une curatelle ont cessé d’exister, la mesure est levée par l’autorité des tutelles à la demande du curateur, de la personne représentée ou de toute autre personne visée à l’article 115, ou à la propre initiative de l’autorité des tutelles. »
Les dispositions précitées ont depuis lors été intégrées, après amendements, dans le code civil (articles 178 à 186).
Le règlement d’urgence no 26/1997 relatif aux enfants en situation difficile, qui était en vigueur à l’époque des faits, dérogeait aux dispositions sur la tutelle du code de la famille. Son article 8 § 1 énonçait :
« (...) si les parents de l’enfant sont décédés, inconnus ou privés de la capacité juridique, s’ils ont été déclarés morts par un tribunal, ont disparu ou ont été déchus de l’autorité parentale, et s’il n’y a pas eu de mise sous tutelle, si l’enfant a été déclaré abandonné par une décision judiciaire définitive, et s’il n’a pas été décidé par un tribunal qu’il serait confié à une famille ou une personne conformément à la loi, c’est le conseil départemental qui exerce les droits parentaux, (...) par l’intermédiaire de la commission [de protection de l’enfance] ».
Le règlement d’urgence no 26/1997 a été abrogé le 1er janvier 2005, lorsqu’est entrée en vigueur une nouvelle loi sur la protection et la défense des droits de l’enfant (loi no 272/2004).
L’arrêté no 726/2002 relatif aux critères d’établissement des catégories de handicap chez les adultes décrit ainsi les personnes atteintes d’une « déficience intellectuelle grave » :
« (...) elles présentent un développement psychomoteur réduit et ne disposent pas ou guère d’aptitudes langagières ; elles peuvent apprendre à parler et à se familiariser avec l’alphabet et le calcul élémentaire. Elles peuvent se montrer capables d’effectuer des tâches simples sous surveillance étroite. Elles peuvent s’adapter à la vie en communauté au sein d’un foyer ou de leur famille, tant qu’elles ne souffrent pas d’une autre déficience appelant des soins particuliers. »
La loi no 519/2002 sur la protection spéciale et l’emploi des personnes handicapées énumère les droits sociaux reconnus aux personnes handicapées. Elle a été abrogée par la loi sur la protection des personnes handicapées (loi no 448/2006), entrée en vigueur le 21 décembre 2006. L’article 23 de cette loi, telle qu’en vigueur à l’origine, disposait que les personnes handicapées étaient protégées contre la négligence et la maltraitance, notamment au moyen de services d’assistance juridique et, le cas échéant, par la mise sous tutelle. En vertu de l’article 25 de la loi telle qu’amendée en 2008, les personnes handicapées sont protégées contre la négligence et la maltraitance, et contre toute discrimination qui serait fondée sur l’endroit où elles se trouvent. Les personnes qui sont dans l’incapacité totale ou partielle de gérer leurs affaires bénéficient d’une protection juridique prenant la forme d’une tutelle pleine ou partielle, ainsi que d’une assistance juridique. En outre, si une personne handicapée n’a pas un parent ou une autre personne qui puisse accepter d’être son tuteur, un tribunal peut désigner pour assumer ce rôle l’autorité publique locale ou l’entité de droit privé qui lui dispense des soins.
III. ÉLÉMENTS DE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS
A. La question de la qualité pour agir
La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (« CDPH »), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 13 décembre 2006 (Résolution A/RES/61/106)
La CDPH, qui a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque, a été ratifiée par la Roumanie le 31 janvier 2011. Ses parties pertinentes se lisent ainsi :
Article 5
Égalité et non-discrimination
« 1. Les États Parties reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi.
Les États Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement.
Afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination, les États Parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés.
Les mesures spécifiques qui sont nécessaires pour accélérer ou assurer l’égalité de facto des personnes handicapées ne constituent pas une discrimination au sens de la présente Convention. »
Article 10
Droit à la vie
« Les États Parties réaffirment que le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et prennent toutes mesures nécessaires pour en assurer aux personnes handicapées la jouissance effective, sur la base de l’égalité avec les autres. »
Article 12
Reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité
« 1. Les États Parties réaffirment que les personnes handicapées ont droit à la reconnaissance en tous lieux de leur personnalité juridique.
Les États Parties reconnaissent que les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres.
Les États Parties prennent des mesures appropriées pour donner aux personnes handicapées accès à l’accompagnement dont elles peuvent avoir besoin pour exercer leur capacité juridique.
Les États Parties font en sorte que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique soient assorties de garanties appropriées et effectives pour prévenir les abus, conformément au droit international des droits de l’homme. Ces garanties doivent garantir que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique respectent les droits, la volonté et les préférences de la personne concernée, soient exemptes de tout conflit d’intérêt et ne donnent lieu à aucun abus d’influence, soient proportionnées et adaptées à la situation de la personne concernée, s’appliquent pendant la période la plus brève possible et soient soumises à un contrôle périodique effectué par un organe compétent, indépendant et impartial ou une instance judiciaire. Ces garanties doivent également être proportionnées au degré auquel les mesures devant faciliter l’exercice de la capacité juridique affectent les droits et intérêts de la personne concernée.
(...) »
Article 13
Accès à la justice
« 1. Les États Parties assurent l’accès effectif des personnes handicapées à la justice, sur la base de l’égalité avec les autres, y compris par le biais d’aménagements procéduraux et d’aménagements en fonction de l’âge, afin de faciliter leur participation effective, directe ou indirecte, notamment en tant que témoins, à toutes les procédures judiciaires, y compris au stade de l’enquête et aux autres stades préliminaires.
Afin d’aider à assurer l’accès effectif des personnes handicapées à la justice, les États Parties favorisent une formation appropriée des personnels concourant à l’administration de la justice, y compris les personnels de police et les personnels pénitentiaires. »
Les constatations pertinentes du Comité des droits de l’homme des Nations unies
Le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques donne compétence au Comité des droits de l’homme (CDH) pour examiner des communications individuelles relatives à une violation alléguée du pacte par un État partie au Protocole (articles 1 et 2 du Protocole facultatif). Celui-ci limite expressément aux particuliers le droit de présenter une communication. Aussi les plaintes soumises par des organisations non gouvernementales (ONG), des associations, des partis politiques ou des sociétés en leur nom propre sont-elles généralement déclarées irrecevables pour défaut de qualité pour agir (voir, par exemple, Disabled and handicapped persons in Italy v. Italy (communication no 163/1984)).
À titre exceptionnel, une tierce partie peut présenter une communication au nom d’une victime. Une communication soumise au nom d’une victime alléguée par une tierce partie ne peut être examinée que si celle-ci parvient à établir qu’elle a qualité pour présenter la communication. La victime alléguée peut charger un représentant de soumettre la communication en son nom.
Une communication présentée au nom d’une victime alléguée peut également être admise s’il apparaît que la personne en question est dans l’incapacité de présenter elle-même la communication (article 96 du Règlement intérieur du Comité des droits de l’homme) :
Article 96
« Afin de décider de la recevabilité d’une communication, le Comité, ou un groupe de travail constitué conformément au paragraphe 1 de l’article 95, s’assure :
(...)
b) Que le particulier prétend, par des allégations suffisamment étayées, être victime d’une violation, par cet État partie, de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Normalement, la communication doit être présentée par le particulier lui-même ou par son représentant ; une communication présentée au nom d’une prétendue victime peut toutefois être acceptée lorsqu’il appert que celle-ci est dans l’incapacité de présenter elle-même la communication ;
(...) »
Des exemples typiques de cette situation se présentent lorsqu’il est allégué que la victime a été enlevée, qu’elle a disparu ou qu’il n’y a aucun moyen de savoir où elle se trouve, ou encore qu’elle est en détention ou dans un établissement psychiatrique. Une tierce partie (il s’agit d’ordinaire de proches parents) peut soumettre une communication au nom d’une personne décédée (voir, par exemple, M. Saimijon et Mme Malokhat Bazarov c. Ouzbékistan (communication no 959/2000) ; Panayote Celal c. Grèce (communication no 1235/2003) ; Yuliya Vasilyevna Telitsina c. Fédération de Russie (communication no 888/1999) ; José Antonio Coronel et autres c. Colombie (communication no 778/1997), et Jean Miango Muiyo c. Zaïre (communication no 194/1985)).
La Rapporteure spéciale des Nations unies sur le handicap
Dans son rapport sur la question du suivi, publié en 2006, la rapporteure spéciale s’est exprimée comme suit :
[Traduction du greffe]
« 2. Les personnes présentant des déficiences intellectuelles sont particulièrement exposées aux violations des droits de l’homme. De plus, les personnes handicapées sont rarement prises en compte, n’ont pas de voix politique et constituent souvent un sous-groupe dans des groupes sociaux déjà marginalisés ; elles n’ont donc pas le pouvoir d’influencer les gouvernements. Elles ont beaucoup de difficultés à accéder au système judiciaire pour défendre leurs droits et obtenir réparation de violations, et leur accès aux organisations susceptibles de protéger leurs droits est généralement limité. Si les personnes non handicapées ont besoin d’organes nationaux et internationaux indépendants pour la défense de leurs droits fondamentaux, il y a d’autant plus de raisons de veiller à ce que les personnes handicapées et les droits de ces personnes se voient accorder une attention spéciale au travers de dispositifs de surveillance nationaux et internationaux indépendants. »
La jurisprudence pertinente de la Commission interaméricaine des droits de l’homme
L’article 44 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme confère à la Commission interaméricaine des droits de l’homme compétence pour recevoir des pétitions de toute personne ou de tout groupe de personnes, de toute entité non gouvernementale et légalement reconnue dans un ou plusieurs États membres de l’Organisation des États américains (OEA). Cet article dispose :
« Toute personne ou tout groupe de personnes, toute entité non gouvernementale et légalement reconnue dans un ou plusieurs États membres de l’Organisation peuvent soumettre à la Commission des pétitions contenant des dénonciations ou plaintes relatives à une violation de la présente Convention par un État partie. »
L’article 23 du Règlement de la Commission interaméricaine des droits de l’homme dispose que ces pétitions peuvent être soumises au nom de tierces parties. Il se lit ainsi :
« Toute personne ou tout groupe de personnes, ou toute entité non gouvernementale légalement reconnue dans un ou plusieurs États membres de l’OEA peuvent présenter à la Commission des pétitions, en leur propre nom ou au nom de tiers, pour dénoncer toute violation présumée de l’un des droits humains reconnus, selon le cas, dans la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, la Convention américaine relative aux droits de l’homme « Pacte de San José de Costa Rica » (...), conformément à leurs dispositions respectives, au Statut de la Commission et au présent Règlement. Le pétitionnaire peut désigner dans la pétition elle-même ou dans un autre document écrit, un avocat ou une autre personne pour le représenter devant la Commission. »
La Commission interaméricaine a examiné des affaires introduites par des ONG au nom de victimes directes, notamment de personnes disparues ou décédées. Ainsi, dans l’affaire Gomes Lund et autres (« Guerrilha do Araguaia ») c. Brésil (rapport no 33/01), l’auteur de la pétition était le Centre pour la justice et le droit international, qui agissait au nom de personnes disparues et de leurs proches. Concernant sa compétence ratione personae, la Commission a admis qu’en vertu de l’article 44 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme l’entité pétitionnaire pouvait soumettre des pétitions au nom des victimes directes dans l’affaire. Dans Teodoro Cabrera García et Rodolfo Montiel Flores c. Mexique (rapport no 11/04), la commission s’est déclarée compétente ratione personae pour examiner des plaintes présentées par différentes organisations et personnes qui alléguaient que deux autres individus avaient été détenus illégalement et torturés, puis emprisonnés à l’issue d’un procès inéquitable. Dans Escher et autres c. Brésil (rapport no 18/06), elle s’est déclarée compétente ratione personae pour examiner une pétition soumise par deux associations (le Réseau populaire national des avocats et le Centre pour la justice mondiale), qui alléguaient une violation des droits à un procès équitable, au respect de l’honneur et de la dignité personnels et à l’accès aux tribunaux à l’égard de membres de deux coopératives associées au Mouvement des sans-terre à raison de l’écoute et de la surveillance illégales de leurs lignes téléphoniques.
Une affaire initialement présentée par une ONG peut par la suite être déférée par la commission à la Cour interaméricaine des droits de l’homme, après adoption d’un rapport de la commission sur le fond (voir, par exemple, l’affaire du Massacre de « Las Dos Erres » c. Guatemala, soumise par le Bureau des droits de l’homme de l’archevêché de Guatemala et le Centre pour la justice et le droit international ; voir également Escher et autres, précité).
Le rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) intitulé « L’accès à la justice en Europe : présentation des défis à relever et des opportunités à saisir »
Le rapport, publié par la FRA en mars 2011, souligne qu’au niveau national la capacité à rechercher une protection effective pour les droits de personnes vulnérables est souvent entravée, notamment par les frais de justice et une interprétation étroite de la qualité pour agir (pp. 43-54 du rapport).
B. Rapports relatifs aux conditions régnant au HPM
Rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) concernant la Roumanie
Le CPT a rendu compte de la situation qui prévalait au HPM lors de trois visites, effectuées en 1995, en 1999 et en 2004.
En 1995, il avait estimé les conditions de vie au HPM si déplorables qu’il avait décidé de se prévaloir de l’article 8 § 5 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, qui lui permet, dans des circonstances exceptionnelles, de communiquer des observations au gouvernement concerné pendant la visite elle-même. Le CPT avait relevé en particulier que sur une période de sept mois, en 1995, 61 patients étaient décédés, dont 25 avaient été victimes de « malnutrition (...) sévère » (paragraphe 177 du rapport de 1995). Le CPT avait demandé au gouvernement roumain de prendre des mesures urgentes pour assurer certaines « conditions fondamentales de vie » au HPM.
Le CPT avait identifié d’autres sources de préoccupation à cette occasion, notamment la pratique consistant à placer un patient dans une chambre d’isolement dans un but punitif et l’absence de garanties relatives au placement d’office.
Le CPT retourna au HPM en 1999. Les insuffisances les plus graves qu’il releva à cette occasion concernaient la baisse des effectifs, tant spécialisés qu’auxiliaires, par rapport à 1995 et l’absence de progrès en matière de placement d’office.
Le CPT effectua sa troisième visite au HPM en juin 2004, cette fois en réaction aux informations faisant état d’une augmentation du nombre de patients décédés. Au moment de la visite, l’hôpital, qui avait une capacité de 500 lits, hébergeait 472 patients, dont 246 y avaient été placés sur le fondement de l’article 114 du code pénal roumain (mesure d’internement décidée par un tribunal pénal).
Le CPT nota dans son rapport que 81 patients étaient décédés en 2003 et 28 au cours des cinq premiers mois de 2004. Le nombre des décès avait augmenté en dépit du transfert hors de l’hôpital, en 2002, des patients atteints de tuberculose active. Les causes principales de décès étaient l’arrêt cardiaque, l’infarctus du myocarde et la bronchopneumonie.
L’âge moyen des patients décédés était de cinquante-six ans, et seize d’entre eux avaient moins de quarante ans. Le CPT estima que « des décès si précoces n’étaient pas uniquement expliqués par la pathologie des patients à l’origine de leur hospitalisation » (paragraphe 13 du rapport de 2004). Il observa par ailleurs que certains de ces patients n’avaient « apparemment pas bénéficié de soins suffisants » (paragraphe 14 du rapport).
Le CPT se dit préoccupé par la « pauvreté des moyens, tant humains que matériels », mis à la disposition de l’hôpital (paragraphe 16 du rapport). Il mentionna tout particulièrement des carences graves concernant la valeur qualitative et quantitative des aliments proposés aux patients et le manque de chauffage à l’hôpital.
Au vu des défaillances constatées au HPM, le CPT déclara (paragraphe 20 du rapport) :
« (...) on ne peut exclure que la conjugaison des conditions de vie difficiles – en particulier les carences alimentaires et les difficultés de chauffage – ait contribué à la dégradation progressive de l’état général de certains des patients les plus faibles, et que la pauvreté des moyens sanitaires alloués à l’hôpital n’ait pu éviter l’issue fatale dans plusieurs cas.
De l’avis du CPT, la situation observée à l’hôpital de psychiatrie de Poiana Mare est très préoccupante et justifie la prise de mesures énergiques visant à l’amélioration tant des conditions de vie que de la prise en charge somatique des patients. À la suite de cette troisième visite du CPT à l’hôpital de psychiatrie de Poiana Mare en moins de dix ans, il est grand temps que les autorités prennent enfin la réelle mesure de la situation prévalant dans l’établissement. »
Enfin, concernant les placements d’office décidés dans le cadre de procédures civiles, le CPT releva que la loi de 2002 sur la santé mentale, adoptée peu auparavant, n’avait pas été intégralement mise en œuvre puisqu’il avait rencontré des patients que l’on avait internés sans leur consentement, en violation des garanties prévues par ladite loi (paragraphe 32 du rapport).
Le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la santé
Le 2 mars 2004, le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la santé, le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation et le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture écrivirent conjointement au gouvernement roumain pour exprimer leurs inquiétudes concernant des informations alarmantes sur les conditions de vie au HPM et demander des éclaircissements à ce sujet. Le gouvernement leur adressa la réponse suivante (voir le résumé du Rapporteur spécial sur le droit à la santé dans le document des Nations unies E/CN.4/2005/51/Add.1) :
[Traduction du greffe]
« 54. Par une lettre du 8 mars 2004, le gouvernement a répondu à la communication que lui avait envoyée le Rapporteur spécial concernant la situation de l’hôpital psychiatrique de Poiana Mare. Le gouvernement confirme que les autorités roumaines comprennent et partagent pleinement les préoccupations relatives à l’hôpital. La protection des personnes handicapées reste une priorité pour le gouvernement, et le ministère de la Santé va enquêter sur tous les établissements médicaux similaires afin de s’assurer que Poiana Mare est un cas isolé. Concernant cet établissement, des mesures ont été prises sur-le-champ pour améliorer les conditions de vie des patients, et ces mesures se poursuivront jusqu’à ce que l’hôpital soit entièrement réhabilité. Le 25 février 2004, le ministre de la Santé a procédé à une enquête à Poiana Mare. Il y avait des défaillances au niveau des systèmes de chauffage et d’eau, de la préparation des repas, de l’élimination des déchets, des conditions de vie et des conditions sanitaires, ainsi que des soins médicaux. La plupart des problèmes liés aux soins médicaux sont dus à l’insuffisance des ressources et à une mauvaise gestion. Le gouvernement confirme que les mesures suivantes sont nécessaires : obtention d’éclaircissements de la part d’experts médicolégaux sur la cause du décès des patients dont la mort n’est pas liée à une pathologie préexistante ou à un âge avancé ; mise en œuvre du plan de 2004 pour l’hôpital ; recrutement de professionnels de santé spécialisés supplémentaires ; réorganisation des horaires de travail des médecins de manière à permettre la mise en place de gardes nocturnes ; offre régulière de soins médicaux spécialisés, et allocation de fonds supplémentaires pour l’amélioration des conditions de vie. Le gouvernement confirme également que le secrétaire d’État au ministère de la Santé, de même que le secrétaire d’État chargé de l’Office national pour les personnes handicapées, ont été révoqués en raison des irrégularités constatées à l’hôpital psychiatrique de Poiana Mare, et que le directeur de l’hôpital a été remplacé par un directeur par intérim en attendant l’issue de la procédure de sélection par concours qui a été organisée pour pourvoir le poste vacant. Le gouvernement confirme que l’hôpital restera sous la surveillance étroite de représentants du ministère de la Santé tout au long de l’année 2004 et que des représentants de l’administration locale interviendront directement pour améliorer la situation dans cet établissement. Enfin, le gouvernement confirme que le ministère de la Santé ouvrira très bientôt une enquête indépendante sur toutes les autres structures de ce type et prendra toutes les mesures nécessaires pour éviter que des situations aussi fâcheuses ne se présentent à nouveau. »
Au cours de sa visite officielle en Roumanie en août 2004, le Rapporteur spécial sur le droit à la santé inspecta plusieurs établissements psychiatriques, dont le HPM. Le rapport consécutif à cette visite, publié le 21 février 2005, se lit ainsi en ses parties pertinentes (UN doc. E/CN.4/2005/51/Add.4) :
« 61. Le Rapporteur spécial n’en est pas moins parvenu à la conclusion, au cours de sa mission, que, malgré les mesures juridiques et autres prises par le Gouvernement, la jouissance du droit à des soins de santé mentale demeure davantage une aspiration qu’une réalité pour de nombreuses personnes souffrant de troubles mentaux en Roumanie.
Hôpital psychiatrique de Poiana Mare
(...)
Au cours de sa mission, le Rapporteur spécial a pu se rendre [au HPM] et s’entretenir avec le nouveau directeur de l’hôpital des événements qui s’y étaient déroulés depuis février 2004. Le directeur l’a informé que le Gouvernement avait dégagé 5,7 milliards de lei pour des améliorations. Les rations alimentaires avaient été augmentées, le chauffage avait été réparé, et les services et l’ensemble des bâtiments de l’hôpital étaient en cours de rénovation. Tout en accueillant avec satisfaction ces améliorations et en félicitant tous ceux qui y ont contribué, le Rapporteur spécial engage le Gouvernement à dégager les ressources nécessaires pour que ces améliorations puissent être poursuivies à long terme. Le Gouvernement devrait également appuyer d’autres mesures nécessaires, et notamment veiller à ce que les médicaments appropriés soient disponibles, que les patients bénéficient de programmes de réadaptation adéquats, qu’ils aient accès à des mécanismes de recours efficaces, et que le personnel de l’hôpital soit formé aux droits de l’homme. Le Rapporteur spécial croit savoir que les enquêtes pénales sur les décès se poursuivent. Il continuera à suivre de près l’évolution de la situation [au HPM]. Le Rapporteur spécial saisit cette occasion pour saluer le rôle important que les médias et les ONG ont joué en l’occurrence. » | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Introduction
Les requérants sont nés en 1976, en 1949 et en 1952 respectivement. Ils résident en Allemagne.
Avant la dissolution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (la « RSFY »), deux des requérants, Mme Ališić et M. Sadžak, avaient déposé des fonds en devises sur des comptes ouverts auprès de la Ljubljanska Banka Sarajevo. En 1990, dans le cadre des réformes économiques menées en 1989-1990 (paragraphe 21 ci-dessous), la Ljubljanska Banka Sarajevo devint une succursale de la Ljubljanska Banka Ljubljana, banque slovène. Le troisième requérant, M. Šahdanović, avait, également avant la dissolution de la RSFY, déposé des fonds en devises sur des comptes ouverts auprès de la succursale de Tuzla (Bosnie-Herzégovine) d’Investbanka, banque serbe. D’après les éléments dont la Cour dispose, les comptes ouverts par Mme Ališić et M. Sadžak auprès de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana présentaient au 31 décembre 1991 des soldes créditeurs de 4 715 marks allemands (DEM) et de 129 874 DEM respectivement. Les comptes ouverts par M. Šahdanović auprès de la succursale de Tuzla d’Investbanka présentaient au 3 janvier 2002 des soldes créditeurs de 63 880 DEM, de 4 schillings autrichiens et de 73 dollars américains (USD) respectivement.
Les griefs soulevés sous l’angle de la Convention concernent l’incapacité dans laquelle les requérants se trouvent de retirer les fonds déposés sur ces comptes. Les intéressés soutiennent que cette situation s’analyse en une violation par les États défendeurs de l’article 1 du Protocole no 1 pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention. Par ailleurs, ils se disent victimes d’une violation de l’article 13 de la Convention.
B. La genèse de l’affaire
Le système bancaire commercial de la RSFY antérieur à la réforme de 1989-1990
a) Les banques de base, les banques associées et les banques nationales
Avant les réformes économiques de 1989-1990, le système bancaire commercial de la RSFY était composé de banques de base et de banques associées. Bien que dotée d’une personnalité juridique propre, chaque banque de base était intégrée dans la structure organisationnelle de l’une des neuf banques associées de la RSFY. En règle générale, les banques de base avaient pour fondatrices et propriétaires des sociétés en propriété collective sises dans l’entité territoriale où elles étaient implantées, c’est-à-dire dans l’une des républiques (la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et la Slovénie) ou provinces autonomes (le Kosovo et la Voïvodine) qui constituaient la RSFY. Fleurons du modèle yougoslave de l’autogestion, les sociétés en propriété collective ne relevaient ni d’un régime de propriété privée ni d’un régime de propriété publique, mais d’un régime de propriété détenue collectivement par leurs employés, qui en assuraient la direction selon une conception communiste de l’organisation du travail (le régime de la propriété collective et le statut des sociétés serbes qui en relèvent encore ont été décrits dans l’arrêt R. Kačapor et autres c. Serbie, nos 2269/06, 3041/06, 3042/06, 3043/06, 3045/06 et 3046/06, §§ 71-76 et 97, 15 janvier 2008). Deux ou plusieurs établissements de base pouvaient se réunir pour constituer une banque associée. La Ljubljanska Banka Ljubljana, qui était l’une des banques associées de la RSFY, regroupait la Ljubljanska Banka Sarajevo – dans laquelle deux des requérants détenaient des comptes –, la Ljubljanska Banka Zagreb, la Ljubljanska Banka Skopje et d’autres banques de base. De la même manière, Investbanka, dont le troisième requérant était client, avait constitué avec d’autres banques de base une banque associée dénommée Beogradska udružena Banka.
Enfin, on dénombrait neuf banques nationales en RSFY, à savoir la Banque nationale de Yougoslavie (la « BNY ») et les banques nationales respectives des six républiques et des deux provinces autonomes.
b) Les dépôts en devises
Confrontée à un grand besoin de devises fortes, la RSFY incita ses ressortissants expatriés et les autres à déposer des devises dans ses banques en rémunérant leurs dépôts par un taux d’intérêt élevé (souvent supérieur à 10 % l’an) et en accordant à ces dépôts la garantie de l’État (article 14 § 3 de la loi de 1985 sur les opérations en devises et article 76 § 1 de la loi de 1989 relative aux banques et autres établissements financiers).
La garantie de l’État pouvait être appelée par les banques qui se trouvaient en situation d’« insolvabilité manifeste » (voir l’article 18 de la loi de 1989 sur l’insolvabilité des banques et autres établissements financiers et la réglementation y afférente). Aucune des banques dont il est ici question n’a formulé de demande en ce sens.
Les épargnants eux-mêmes n’étaient pas habilités à solliciter la garantie de l’État. En revanche, la loi de 1978 sur les obligations civiles les autorisait à retirer à tout moment leurs avoirs, augmentés des intérêts acquis.
L’article 1035 de cette loi était ainsi rédigé :
« 1) Le dépôt monétaire est le contrat par lequel une banque reçoit en dépôt une somme que lui confie un déposant.
2) Le contrat de dépôt monétaire confère à la banque dépositaire le droit d’utiliser la somme déposée et lui fait obligation de la restituer selon les modalités stipulées au contrat. »
L’article 1043 § 1 de la loi se lisait ainsi :
« L’ouverture d’un compte d’épargne donne lieu, de la part de la banque ou de l’établissement financier concerné, à la délivrance d’un livret d’épargne au titulaire de ce compte. »
L’article 1044 de la loi était ainsi libellé :
« 1) Les dépôts et les retraits sont inscrits sur un livret.
2) Les inscriptions signées et estampillées portées au livret font preuve des dépôts et des retraits effectués.
3) Toute stipulation contraire est réputée nulle et non écrite. »
L’article 1045 de la loi énonçait :
« Les dépôts d’épargne portent intérêt. »
c) Le système des transferts
Au milieu des années 1970, les banques commencèrent à subir des pertes de change dues à la dépréciation du dinar. Pour faire face à cette situation, la RSFY instaura un système de « transfert » de devises autorisant les banques à transférer à la BNY les fonds en devises déposés par les ressortissants yougoslaves, à charge pour cette dernière d’assumer le risque de change (article 51 de la loi de 1977 sur les opérations en devises). Bien que ce dispositif fût juridiquement facultatif, les banques n’eurent en réalité pas d’autre choix que d’y recourir car elles n’étaient pas autorisées à ouvrir dans des banques étrangères les comptes en devises nécessaires pour effectuer des paiements à l’étranger et elles n’étaient pas non plus habilitées à accorder des prêts en devises. En conséquence, elles transféraient à la BNY la quasi-totalité des devises en leur possession selon l’une ou l’autre des méthodes qui s’offraient à elles, à savoir la méthode « comptable » – autrement dénommée méthode « pro forma » – ou la méthode du virement effectif sur des comptes de la BNY à l’étranger. La méthode comptable était de loin la plus utilisée, car elle permettait aux banques commerciales de faire supporter le risque de change à la BNY et leur évitait de payer des frais aux banques étrangères (Kovačić et autres c. Slovénie [GC], nos 44574/98, 45133/98 et 48316/99, § 36, 3 octobre 2008, ainsi que la décision AP 164/04 adoptée par la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine le 1er avril 2006, § 53). Il ressort d’un rapport interne établi par la BNY en septembre 1988 que, au 30 juin 1988, le montant des devises ainsi transférées s’élevait à neuf milliards USD environ, dont 1,4 milliard (soit un peu plus de 15 %) seulement avait été effectivement viré sur les nombreux comptes étrangers de la BNY. Il semble que les fonds virés sur les comptes étrangers de la BNY aient été répartis récemment entre les États successeurs (paragraphe 65 ci-dessous).
Le système de transfert de devises en vigueur à la Ljubljanska Banka Sarajevo, où les deux premiers requérants avaient leurs comptes, obligeait cette banque, en application des accords qu’elle avait conclus avec la Ljubljanska Banka Ljubljana, la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine et la Banque nationale de Slovénie, à transférer tous les mois à cette dernière, pour le compte de la Ljubljanska Banka Ljubljana, le solde créditeur des opérations de dépôt et de retrait de devises. Une partie de ce montant était ensuite rétrocédée à la Ljubljanska Banka Sarajevo, à sa demande, pour couvrir ses besoins de liquidités pendant les périodes où les retraits de devises étaient supérieurs aux dépôts. De 1984 à 1991, 244 665 082 DEM au total furent transférés à Ljubljana, et 41 469 528 DEM – soit moins de 17 % des fonds transférés – furent rétrocédés à Sarajevo. Les devises non rétrocédées à Sarajevo étaient transférées à la BNY selon l’une ou l’autre des méthodes décrites au paragraphe 17 ci-dessus, à savoir la méthode comptable (ou « pro forma ») – qui ne permet pas de savoir si les fonds ont effectivement quitté Ljubljana – ou la méthode du virement effectif sur des comptes étrangers de la BNY. Quelle que fût la méthode de transfert employée, les devises transférées étaient comptabilisées en tant que créances de la Ljubljanska Banka Sarajevo sur la BNY.
En vertu des accords mentionnés au paragraphe précédent, la BNY accordait à la Ljubljanska Banka Sarajevo, par l’intermédiaire de la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine, des prêts en dinars – initialement exempts d’intérêt – d’un montant correspondant à la contre-valeur en dinars des devises transférées. Cette banque de base utilisait les sommes en dinars ainsi prêtées pour accorder à son tour des prêts – à un taux d’intérêt inférieur à celui de l’inflation – à des entreprises implantées en règle générale dans la même unité territoriale qu’elle.
Fin 1988, une modification apportée à l’article 103 de la loi de 1985 sur les opérations en devises mit fin au système de transfert de devises. Les banques yougoslaves furent autorisées à ouvrir des comptes dans des banques étrangères. Comme d’autres banques, la Ljubljanska Banka Sarajevo usa de cette faculté et déposa, d’octobre 1988 à décembre 1989, environ 13,5 millions USD sur les comptes détenus par elle dans des banques étrangères. Rien dans le dossier ne permet de déterminer ce qu’il est advenu de ces fonds.
La réforme du système bancaire commercial de la RSFY (19891990)
Lors des réformes menées en 1989-1990, la RSFY mit fin au système des banques de base et des banques associées décrit cidessus. La modification de la réglementation bancaire permit à certaines banques de base d’acquérir leur autonomie, tandis que d’autres devinrent des succursales des anciennes banques associées auxquelles elles étaient auparavant rattachées. Le 1er janvier 1990, la Ljubljanska Banka Sarajevo, dont il a été question ci-dessus, devint une succursale de la Ljubljanska Banka Ljubljana, laquelle reprit l’ensemble de ses droits, de ses actifs et de son passif. Pour sa part, Investbanka (mentionnée ci-dessus) devint une banque autonome ayant son siège en Serbie et des succursales en Bosnie-Herzégovine.
En outre, la convertibilité du dinar fut instaurée, décision qui provoqua des retraits massifs de devises. Pour faire face à cette situation, la RSFY prit des mesures d’urgence restreignant de manière importante les retraits de devises. À ce titre, elle apporta à l’article 71 de la loi de 1985 sur les opérations en devises une modification, applicable à partir de décembre 1990, interdisant aux épargnants de retirer leurs avoirs à d’autres fins que le paiement de biens ou de services importés pour leur propre usage ou celui de leurs proches, l’achat d’obligations convertibles libellées en devises, la réalisation de legs à visées scientifiques ou humanitaires ou le paiement de primes de contrats d’assurance-vie passés avec des compagnies d’assurances nationales. De surcroît, les retraits autorisés pour les opérations en question furent plafonnés à 500 DEM par opération et à 1 000 DEM par mois en application de l’article 3 d’une décision adoptée par le gouvernement de la RSFY en avril 1991 – demeurée en vigueur jusqu’en février 1992 – et de l’article 17 c) d’une décision prise par la BNY en janvier 1991, qui fut déclarée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle de la RSFY en avril 1992 (paragraphe 53 ci-dessous).
La dissolution de la RSFY (1991-1992)
La dissolution de la RSFY eut lieu en 1991-1992. Dans les États successeurs de la RSFY, les dépôts en devises effectués avant la dissolution furent soumis à un régime spécial. Ils sont communément désignés par l’expression « anciens » fonds d’épargne en devises ou fonds d’épargne en devises « gelés ». On trouvera ci-après un aperçu du droit interne réglementant ces fonds dans chacun des cinq États successeurs de la RSFY et des pratiques respectives de ceux-ci en la matière. Les États successeurs, présentés ci-après suivant l’ordre alphabétique de leurs dénominations respectives en anglais, sont aussi les États défendeurs dans la présente affaire.
C. Les situations respectives des États défendeurs
La Bosnie-Herzégovine
a) Les mesures relatives aux « anciens » fonds d’épargne en devises
En 1992, la Bosnie-Herzégovine prit à sa charge la garantie légale accordée par la RSFY au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises (article 6 de la loi de 1992 sur l’application de la législation de la RSFY). Bien que les dispositions légales pertinentes fussent imprécises sur ce point, la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine considéra que la garantie ainsi reprise ne couvrait que les fonds déposés dans les banques bosniennes (voir le rapport 63/94 établi par la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine le 8 août 1994).
Si tous les « anciens » fonds d’épargne en devises demeurèrent gelés pendant la guerre, des retraits étaient autorisés à titre exceptionnel, pour des motifs humanitaires ou d’autres raisons particulières (voir la réglementation pertinente).
Après la guerre de 1992-1995, chacune des entités constituantes de la Bosnie-Herzégovine – la Fédération de Bosnie-Herzégovine (la « FBH ») et la Republika Srpska – légiféra sur les « anciens » fonds d’épargne en devises. Les succursales en cause dans la présente affaire étant situées en FBH, seule la législation de cette entité est pertinente en l’espèce. En 1997, la FBH prit à sa charge la garantie couvrant les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les banques et les succursales sises sur son territoire (article 3 § 1 de la loi de 1997 sur le règlement des créances et décret de 1999 sur le règlement des créances des non-résidents). Si les fonds en question demeuraient gelés, la loi en autorisait l’utilisation pour l’acquisition de logements d’État et d’entreprises publiques (article 18 de la loi de 1997 sur le règlement des créances, telle que modifiée en 2004).
En 2004, la FBH adopta une nouvelle législation par laquelle elle s’engageait à rembourser à leurs détenteurs, quelle que fût leur nationalité, les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans des banques sises sur son territoire. Cependant, l’article 9 § 2 de la loi de 2004 sur l’apurement des dettes publiques excluait expressément de cette garantie les fonds déposés dans les succursales de la Ljubljanska Banka Ljubljana, d’Investbanka ou d’autres banques étrangères, où les requérants avaient leurs comptes.
En 2006, les obligations contractées par les entités au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les banques bosniennes furent transférées à l’État. Celui-ci déclina derechef toute responsabilité quant aux dépôts effectués dans les succursales locales de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka, mais il s’engagea à aider les clients de ces succursales à recouvrer leurs avoirs auprès de la Slovénie et de la Serbie (article 2 de la loi de 2006 sur les « anciens » fonds d’épargne en devises). En outre, il mit fin par la même loi à toutes les procédures portant sur les « anciens » fonds d’épargne en devises (voir l’article 28 de cette loi, qui fut déclaré conforme à la Constitution par la décision U 13/06 adoptée par la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine le 28 mars 2008 (§ 35)).
b) Le statut de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana et de la Ljubljanska Banka Sarajevo (fondée en 1993)
Comme indiqué au paragraphe 21 ci-dessus, la Ljubljanska Banka Sarajevo devint en janvier 1990 une succursale de la Ljubljanska Banka Ljubljana, laquelle reprit l’ensemble de ses droits, de ses actifs et de son passif. Il ressort des inscriptions du registre des sociétés que cette succursale agissait au nom et pour le compte de sa maison mère. Si le montant des dépôts d’épargne en devises inscrits dans les comptes de cette succursale s’élevait à quelque 250 millions de DEM à la fin de l’année 1991, sa chambre forte contenait en réalité moins de 350 000 DEM à cette époque (les mouvements de fonds en devises entre Sarajevo et Ljubljana ont été décrits au paragraphe 18 ci-dessus).
Une nouvelle banque de droit bosnien, dénommée Ljubljanska Banka Sarajevo – comme la banque à laquelle la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana avait succédé – fut fondée en 1993. Elle prit à sa charge, de manière unilatérale, les obligations contractées au titre des « anciens » fonds en devises déposés auprès de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana, banque de droit slovène.
En 1994, la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine procéda à une inspection au sein de la nouvelle Ljubljanska Banka Sarajevo, où elle découvrit de nombreuses irrégularités. En premier lieu, elle releva que les dirigeants de cette banque n’avaient pas été régulièrement nommés et que l’on ne savait pas au juste qui étaient les actionnaires. En conséquence, elle nomma un directeur, qu’elle plaça à la tête de la banque. En second lieu, elle considéra qu’une banque bosnienne telle que la Ljubljanska Banka Sarajevo ne pouvait pas reprendre les obligations contractées par une banque étrangère au titre d’« anciens » fonds d’épargne en devises, expliquant qu’une telle opération aurait pour effet d’imposer à la Bosnie-Herzégovine de nouvelles charges financières concernant la garantie légale accordée par l’État aux « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les banques bosniennes. Elle ordonna la réalisation en urgence d’un bilan de clôture de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana au 31 mars 1992 et la clarification des liens de celle-ci avec sa maison mère.
Toutefois, il ressort du registre des sociétés que la nouvelle Ljubljanska Banka Sarajevo est demeurée responsable jusqu’à fin 2004 des obligations contractées par la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises que celle-ci avait reçus en dépôt (paragraphe 35 ci-dessous). En conséquence, elle continua jusqu’à cette époque à gérer ces fonds, dont 3 % environ furent utilisés dans le cadre du processus de privatisation mené en FBH (paragraphe 26 cidessus). Dans un cas précis, elle fut condamnée par un tribunal civil à rembourser un client de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana (Višnjevac c. Bosnie-Herzégovine (déc.), no 2333/04, 24 octobre 2006).
La situation antérieure à été qualifiée de « chaotique » par la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine (décision AP 164/04 du 1er avril 2006, § 55). Pour sa part, la Chambre des droits de l’homme de Bosnie-Herzégovine – institution nationale de protection des droits de l’homme – a jugé que l’insécurité juridique qui entourait pendant cette période la question des « anciens » fonds d’épargne en devises, notamment ceux qui avaient été déposés dans les succursales bosniennes de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka, s’analysait en une violation de l’article 1 du Protocole no 1 (décision CH/98/377 et autres du 7 novembre 2003, § 270).
En 2003, l’organisme de contrôle bancaire de la FBH plaça la Ljubljanska Banka Sarajevo sous administration provisoire au motif que cette banque de droit bosnien entretenait des liens mal définis avec la Ljubljanska Banka Ljubljana, banque étrangère située en Slovénie.
La même année, le Parlement de la FBH apporta à la loi de 2000 sur le registre des sociétés une modification prolongeant jusqu’en 2004 le délai légal de radiation des inscriptions portées sur ce registre pendant la guerre. Peu après, en novembre 2004, le tribunal municipal de Sarajevo jugea que la Ljubljanska Banka Sarajevo n’était pas le successeur de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana, banque de droit slovène, et qu’elle n’était pas responsable des obligations contractées par celle-ci au titre des « anciens » fonds en devises qu’elle avait reçus en dépôt. En conséquence, il ordonna la radiation des inscriptions contraires portées au registre des sociétés en 1993.
En 2006, la Ljubljanska Banka Sarajevo céda ses actifs à une société croate, qui s’engagea en contrepartie à régler ses dettes. Parallèlement, des locaux de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana placés sous l’administration du gouvernement de la FBH dans l’attente d’une décision définitive sur le statut de cette succursale furent loués à cette même société croate au nom et pour le compte de la Ljubljanska Banka Ljubljana.
En 2010, un tribunal ouvrit une procédure de faillite contre la Ljubljanska Banka Sarajevo en Bosnie-Herzégovine. Cette procédure est toujours pendante.
c) Le statut de la succursale de Tuzla d’Investbanka
La succursale de Tuzla d’Investbanka a toujours été une entité dépourvue de la personnalité juridique. Le montant des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans cette succursale s’élevait à quelque 67 millions USD (soit 100 millions DEM environ) au 31 décembre 1991. La succursale de Tuzla d’Investbanka ferma en juin 1992 et ne reprit jamais ses activités. On ne sait pas précisément ce qu’il est advenu des fonds dont elle était dépositaire.
En 2002, un tribunal serbe ouvrit une procédure de faillite contre Investbanka. Les autorités serbes vendirent les locaux des succursales d’Investbanka situées en FBH – comme elles avaient vendu en 1999 ceux des succursales de cette banque situées en Republika Srpska –, retirant par exemple 2 140 650 EUR de la vente des locaux de la rue de Džafer Mahala, à Tuzla. Il semble que la procédure de faillite dirigée contre Investbanka soit toujours pendante.
En 2010, le gouvernement de la FBH décida de placer les locaux et les archives des succursales d’Investbanka situées en FBH sous son administration. Toutefois, il semble qu’Investbanka n’avait plus de locaux et d’archives en FBH.
En 2011, à la demande des autorités de la FBH, les autorités serbes ouvrirent une enquête pénale pour déterminer comment les archives de la succursale de Tuzla avaient été transférées en Serbie en 2008.
La Croatie
a) Les mesures relatives aux « anciens » fonds d’épargne en devises
Le gouvernement croate affirme avoir remboursé à leurs propriétaires – quelle que fût leur nationalité – les « anciens » fonds en devises déposés dans les banques croates et leurs succursales à l’étranger. Il est de fait établi que la Croatie a restitué à des ressortissants bosniens des fonds déposés dans des succursales de banques croates sises en Bosnie-Herzégovine. Cela étant, le gouvernement slovène a communiqué à la Cour des arrêts de la Cour suprême de Croatie (arrêt Rev 3015/1993-2 rendu en 1994, et arrêts Rev 3172/1995-2 et Rev 1747/1995-2, rendus en 1996) indiquant que le terme (građanin) employé dans la loi désigne les ressortissants croates (comparer avec Kovačić et autres, précité, § 77).
b) Le statut de la succursale de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana
La Croatie autorisa ses ressortissants à transférer dans des banques croates les « anciens » fonds d’épargne en devises qu’ils avaient déposés auprès de la succursale de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana (voir l’article 14 de la loi de 1993 sur les anciens fonds d’épargne en devises et les textes pris pour son application). Près des deux tiers des clients de cette succursale auraient effectué cette démarche. En mars 2013, la Croatie et la Slovénie conclurent un mémorandum d’entente appelant à de nouvelles négociations sur les questions de succession relatives aux avoirs ainsi transférés. Certains des clients de la succursale de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana qui n’avaient pas transféré leurs dépôts – dont le montant total s’élevait à 300 millions DEM environ – dans des banques croates exercèrent des actions civiles devant les juridictions croates. Soixante-trois d’entre eux recouvrèrent leurs avoirs à l’issue d’une vente judiciaire d’actifs de cette succursale situés en Croatie (voir les décisions rendues par le tribunal municipal d’Osijek le 8 avril 2005 et le 15 juin 2010, ainsi que Kovačić et autres, précité, §§ 122-133). D’autres intentèrent devant les juridictions slovènes des actions civiles, dont certaines sont toujours pendantes (paragraphe 51 ci-dessous). Le gouvernement croate a produit des documents officiels d’où il ressort que la Ljubljanska Banka Ljubljana et sa succursale de Zagreb ne possèdent plus d’actifs en Croatie.
La Serbie
a) Les mesures relatives aux « anciens » fonds d’épargne en devises
Les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les banques serbes demeurèrent gelés après la dissolution de la RSFY. Toutefois, les épargnants étaient autorisés à effectuer des retraits à titre exceptionnel, pour des motifs humanitaires, quelles que fussent leur nationalité et la localisation des succursales dont ils étaient clients (voir la réglementation pertinente). En outre, la justice serbe a jugé en une occasion au moins que les banques sises en Serbie étaient responsables des obligations contractées au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans leurs succursales situées en Bosnie-Herzégovine (Šekerović c. Serbie (déc.), no 32472/03, 4 janvier 2007).
En 1998, puis en 2002, la Serbie s’engagea à rembourser, pour partie en numéraire et pour partie en obligations d’État, les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les succursales serbes de banques serbes par ses citoyens et par les ressortissants d’États autres que les États successeurs de la RSFY, ainsi que ceux déposés dans les succursales étrangères de banques serbes (telles que la succursale de Tuzla d’Investbanka). Il était prévu que les obligations en question arriveraient à échéance en 2016, qu’elles seraient remboursables en douze annuités et qu’elles porteraient un intérêt de 2 % l’an (article 4 de la loi de 2002 sur les anciens fonds d’épargne en devises). Les sommes à rembourser aux épargnants concernés devaient correspondre au montant nominal de leurs dépôts augmentés des intérêts au taux initial acquis au 31 décembre 1997 et des intérêts au taux de 2 % l’an acquis depuis cette date (article 2 de la même loi).
En revanche, les autres « anciens » fonds d’épargne en devises – ceux déposés par les ressortissants d’autres États successeurs dans l’ensemble des succursales de banques serbes situées en Serbie ou à l’étranger, et ceux déposés par les citoyens serbes dans des succursales étrangères de banques serbes – devaient rester gelés dans l’attente de l’issue des négociations sur la succession (les avoirs du troisième requérant relèvent de cette catégorie de fonds). En outre, les articles 21 et 22 de la loi de 1998 sur les anciens fonds d’épargne en devises et les articles 21 et 36 de la loi de 2002 sur les anciens fonds d’épargne en devises mirent fin à toutes les procédures relatives à ces fonds.
b) Le statut d’Investbanka et de ses succursales
D’après le registre des sociétés, Investbanka est une société publique. Elle est placée sous le contrôle de l’Agence serbe de garantie des dépôts. En tant qu’entité publique, elle a dû abandonner les importantes créances qu’elle détenait sur des entreprises publiques et des sociétés collectives pour que celles-ci puissent être privatisées, conformément à la loi de 2001 sur la privatisation. En janvier 2002, une procédure de faillite – toujours pendante – fut ouverte contre elle. Plusieurs centaines de clients des succursales bosniennes de cette banque tentèrent en vain de recouvrer leurs avoirs dans le cadre de cette procédure. Par la suite, vingt d’entre eux engagèrent des actions civiles, sans plus de succès.
La Slovénie
a) Les mesures relatives aux « anciens » fonds d’épargne en devises
En 1991, la Slovénie prit à sa charge la garantie légale accordée par la RSFY au titre des « anciens » fonds en devises déposés dans les succursales slovènes de toutes les banques (y compris Investbanka et d’autres banques étrangères), quelle que fût la nationalité des déposants concernés (voir l’article 19 § 3 de la loi constitutionnelle de 1991 relative à l’Acte constitutionnel fondamental sur l’indépendance et la souveraineté de la République de Slovénie – « la loi constitutionnelle de 1991 »), et convertit en dette publique les dettes des banques à l’égard des déposants (loi de 1993 sur les anciens comptes d’épargne en devises). Elle s’engagea à rembourser aux épargnants concernés le montant nominal de leurs dépôts, augmenté des intérêts au taux initial acquis au 31 décembre 1990 et des intérêts au taux de 6 % l’an acquis pendant la période allant du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1992 (article 2 de la loi de 1993 sur les anciens fonds d’épargne en devises). Le taux des intérêts acquis après cette dernière date dépendait de la modalité de remboursement – numéraire ou obligations d’État – choisie par les déposants. Ceux-ci pouvaient en effet opter pour des obligations d’État arrivant à échéance en 2003, remboursables en vingt versements semestriels et portant un intérêt de 5 % l’an, ou pour des règlements en numéraire – payables en dix versements semestriels par les banques dont ils étaient clients – augmentés d’intérêts au taux du marché majoré de 0,25 %, auquel cas les banques concernées se voyaient remettre des obligations d’État. Certains déposants choisirent de se faire rembourser en obligations d’État au motif que celles-ci leur permettaient d’acquérir des logements d’État ou des parts d’entreprises publiques, ainsi que de payer leurs impôts et leurs cotisations de retraite.
b) Le statut de la Ljubljanska Banka Ljubljana et de ses succursales
Peu après avoir proclamé son indépendance, la Slovénie nationalisa la Ljubljanska Banka Ljubljana, puis, en 1994, la restructura en vertu d’une modification apportée à la loi constitutionnelle de 1991. La plupart des actifs de cette banque et une partie de son passif furent transférés à une nouvelle banque, la Nova Ljubljanska Banka (voir l’article 22 b) de la loi constitutionnelle de 1991, dont les passages pertinents sont reproduits au paragraphe 54 ci-dessous). L’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana demeura responsable des obligations contractées au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans ses succursales implantées dans les autres États successeurs et conserva les créances correspondantes sur la BNY (ibidem). Sur le fondement de la loi constitutionnelle de 1991, la justice slovène rendit un certain nombre de décisions condamnant l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana à rembourser aux clients de sa succursale de Sarajevo les « anciens » fonds d’épargne en devises qu’ils y avaient déposés. Elle estima par ailleurs que l’État slovène n’encourait aucune responsabilité à cet égard (voir les arrêts de la Cour suprême II Ips 415/95 du 27 février 1997, II Ips 613/96 du 1er avril 1998 et II Ips 490/97 du 21 janvier 1999). L’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana était initialement administrée par l’Agence pour la restructuration du secteur bancaire. Elle est désormais placée sous le contrôle du Fonds pour la succession, une agence gouvernementale slovène.
En 1997, toutes les procédures portant sur les « anciens » fonds en devises déposés dans les succursales de l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana situées dans les autres États successeurs furent suspendues dans l’attente de l’issue des négociations sur la succession, à l’exception des procédures suivies devant la Cour suprême en troisième instance (voir la loi de 1993 sur le Fonds de la République de Slovénie pour la succession, telle que modifiée en 1997, ainsi que la loi de 2006 sur le Fonds de la République de Slovénie pour la succession et sur le Haut Représentant de la République de Slovénie pour la succession). Saisie par deux épargnants croates, la Cour constitutionnelle slovène jugea en décembre 2009 que cette mesure était inconstitutionnelle.
Depuis lors, le tribunal de district de Ljubljana a rendu de nombreuses décisions condamnant l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana à rembourser les « anciens » fonds en devises déposés dans sa succursale de Sarajevo augmentés des intérêts acquis (voir, par exemple, le jugement P 119/1995-I du 16 novembre 2010, qui acquit force de chose jugée le 4 janvier 2012 après avoir été confirmé par la cour d’appel de Ljubljana, ainsi que les jugements P 9/2007-II du 7 décembre 2010 et P 1013/2012-II du 10 janvier 2013). Dans ces décisions, ce tribunal précisa que, selon le droit de la RSFY, les succursales agissaient au nom et pour le compte de leur maison mère et que, d’après la législation slovène, l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana demeurait responsable des engagements pris au titre des « anciens » fonds en devises déposés auprès de sa succursale de Sarajevo. Il jugea que le fait qu’une banque homonyme – la Ljubljanska Banka Sarajevo – avait repris en 1993 les obligations contractées par l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana au titre des fonds d’épargne déposés auprès de la succursale de Sarajevo (paragraphe 30 ci-dessus) était sans intérêt dès lors que cette opération n’avait pas été approuvée par la banque mère ou par les déposants concernés et que, en tout état de cause, un tribunal bosnien avait ordonné en 2004 la radiation des inscriptions reflétant cette opération portées au registre des sociétés en 1993 (paragraphe 35 cidessus). Enfin, le tribunal de district de Ljubljana considéra que les virements de fonds en devises effectués sur les comptes de la BNY à l’étranger au moyen du système de transfert décrit ci-dessus étaient dépourvus de pertinence.
L’ex-République yougoslave de Macédoine
L’ex-République yougoslave de Macédoine a remboursé à leurs propriétaires, quelle que fût leur nationalité, les « anciens » fonds en devises déposés dans les banques macédoniennes et les succursales macédoniennes de banques étrangères (telles que la succursale de Skopje de la Ljubljanska Banka Ljubljana).
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Comme indiqué au paragraphe 22 ci-dessus, certaines limitations avaient été apportées aux retraits de fonds d’épargne en devises avant la dissolution de la RSFY. Par exemple, l’article 17 c) de la décision adoptée par la BNY en janvier 1991, qui fut jugé inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle de la RSFY en avril 1992, était ainsi rédigé :
« Les banques habilitées versent aux déposants yougoslaves les fonds en devises déposés sur leurs comptes en devises (...) à condition que les déposants concernés leur aient notifié leur intention de disposer de ces fonds. Les versements sont effectués selon les modalités suivantes :
i) pour des montants n’excédant pas 500 DEM : dans un délai de quinze jours pour le premier retrait, et dans un délai de trente jours pour les retraits suivants ;
ii) pour des montants n’excédant pas 1 000 DEM : dans un délai de trente jours pour le premier retrait, et dans un délai de quarante-cinq jours pour les retraits suivants ;
iii) pour des montants n’excédant pas 3 000 DEM : dans un délai de quatre-vingt-dix jours ;
iv) pour des montants n’excédant pas 8 000 DEM : dans un délai de cent quatre-vingts jours. »
Les articles 8 § 6 et 17 de la décision précitée excluaient toutefois du bénéfice de cette disposition les expatriés yougoslaves qui, comme les requérants, vivaient et travaillaient à l’étranger. L’incapacité dans laquelle se trouvent les requérants de retirer les avoirs déposés sur leurs comptes découle des dispositions de droit interne exposées ci-après par ordre chronologique.
Les passages pertinents de la loi constitutionnelle de la Slovénie, telle que modifiée en 1994, sont ainsi libellés :
Préambule
« Considérant les réticences de certains États qui se sont constitués sur le territoire de l’ex-[RSFY] et des banques situées à l’intérieur de leurs frontières respectives ;
Considérant que des raisons d’ordre pratique et juridique liées à la guerre sévissant sur une partie du territoire de l’ex-RSFY, les sanctions internationales frappant la RFY (la Serbie-Monténégro), l’effondrement du système financier et économique de certains des États successeurs, et l’utilisation d’actifs financiers de la RSFY par la RFY pour financer la guerre d’agression empêchent pour l’instant la conclusion d’un accord sur la succession aux avoirs et engagements financiers de l’ex-RSFY ;
(...)
En vue de trouver une solution équitable, par la négociation avec les créanciers étrangers, à la prise en charge d’une partie adéquate des dettes d’État de l’exRSFY dans les cas où les bénéficiaires finaux des créances correspondantes ne peuvent être déterminés (...) »
Article 22 b)
« La Ljubljanska Banka Ljubljana et la Kreditna Banka Maribor transfèrent leurs activités et actifs respectifs aux nouvelles banques constituées en vertu de la présente loi.
Sans préjudice des dispositions du paragraphe précédent, la Ljubljanska Banka Ljubljana et la Kreditna Banka Maribor :
(...)
iii) demeurent pleinement responsables des obligations contractées au titre des comptes à vue en devises et des comptes d’épargne en devises auxquels la République de Slovénie n’a pas accordé sa garantie ;
(...)
v) conservent les créances correspondant à ces obligations.
La Ljubljanska Banka Ljubljana maintient ses liens avec ses succursales et agences implantées dans les autres républiques qui se sont constituées sur le territoire de l’exRSFY et conserve la partie correspondante des créances détenues sur la Banque nationale de Yougoslavie au titre des comptes d’épargne en devises. »
Les passages pertinents de la loi de 1993 sur le Fonds de la République de Slovénie pour la succession, telle que modifiée en 1997, se lisent ainsi :
Article 1
« Il est créé un Fonds de la République de Slovénie pour la succession (ci-après « le Fonds ») en vue du recouvrement des créances et du règlement des dettes de la République de Slovénie et de celles des personnes physiques ou morales établies sur son territoire dans le cadre du processus de répartition des droits, actifs et obligations de la RSFY. »
Article 15 č) 1)
« Les tribunaux suspendent d’office les procédures judiciaires et les procédures d’exécution pendantes relatives à un acte juridique ou à une décision judiciaire exécutoire intentées contre des personnes basées ou domiciliées en Slovénie par des créanciers ou des demandeurs basés ou domiciliés dans (...) une république de l’exRSFY (...) »
Les passages pertinents de la loi serbe de 2002 sur les anciens fonds d’épargne en devises sont ainsi rédigés :
Article 21 § 1
« Les ressortissants de [la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Slovénie et l’exRépublique yougoslave de Macédoine] titulaires d’anciens fonds d’épargne en devises déposés dans des banques ayant leur siège en Serbie-Monténégro et les ressortissants de cet État titulaires de fonds en devises déposés dans les succursales de ces banques situées sur le territoire de [la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine] recouvreront leurs créances selon des modalités à convenir par les États successeurs de la RSFY. »
Article 36
« La présente loi met fin à toutes les procédures – y compris d’exécution – portant sur des fonds d’épargne en devises. »
L’article 2 de la loi bosnienne de 2006 sur les anciens fonds d’épargne en devises se lit ainsi :
« 1. Aux fins de la présente loi, l’expression « anciens fonds d’épargne en devises » désigne les fonds d’épargne en devises détenus au 31 décembre 1991 par les banques situées sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine augmentés des intérêts acquis à cette date, déduction faite des paiements effectués après cette date et des fonds transférés sur des comptes de privatisation spéciaux.
Sont exclus de la catégorie des anciens fonds d’épargne en devises définie au paragraphe précédent les fonds d’épargne en devises déposés dans les succursales de la Ljubljanska Banka, d’Investbanka ou d’autres établissements bancaires étrangers sises sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine.
Conformément à l’Accord de 2001 sur les questions de succession, les fonds d’épargne en devises définis au paragraphe 2 ci-dessus relèvent de la responsabilité des États successeurs dans lesquels les banques susmentionnées ont leur siège. Dans le cadre de ses activités internationales, la Bosnie-Herzégovine apportera son concours aux titulaires desdits comptes (...) »
L’article 23 de la loi de 2006 sur le Fonds de la République de Slovénie pour la succession et sur le Haut Représentant de la République de Slovénie pour la succession était ainsi libellé :
« 1) Les décisions rendues par les juridictions slovènes en application de la loi de 1993 sur le Fonds de la République de Slovénie pour la succession suspendant les procédures relatives aux fonds d’épargne en devises déposés dans les banques commerciales ou leurs succursales situées dans l’un quelconque des États successeurs de l’ex-RSFY sont maintenues. Les procédures en question qui auraient déjà repris leur cours sont à nouveau suspendues ou ajournées.
2) Les procédures mentionnées au paragraphe précédent reprendront de plein droit après que la question des garanties accordées par la RSFY ou la BNY au titre des fonds d’épargne en devises aura été réglée conformément à l’article 7 de l’annexe C à l’Accord sur les questions de succession. »
Cette disposition a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle de Slovénie le 3 décembre 2009.
III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Le droit international de la succession d’États
La succession d’États est régie, au moins en partie, par des règles de droit international général reflétées dans la Convention de Vienne de 1978 sur la succession d’États en matière de traités et, dans une certaine mesure, dans la Convention de Vienne de 1983 sur la succession d’États en matière de biens, archives et dettes d’États (« la Convention de Vienne de 1983 »). Bien que le dernier de ces instruments ne soit pas encore entré en vigueur et que seuls trois des États défendeurs à la présente affaire y soient parties (la Croatie, la Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine), il est bien établi en droit international que, même non ratifiée, une disposition d’un traité peut avoir force contraignante si elle reflète le droit international coutumier, soit qu’elle « codifie » ce dernier, soit qu’elle donne naissance à de nouvelles règles coutumières (Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, § 66, CEDH 2010, et Plateau continental de la mer du Nord, arrêt du 20 février IJ Recueil 1969, § 71).
L’obligation de négocier de bonne foi en vue d’arriver à un accord constitue le principe de base pour le règlement des différents aspects de la succession (voir l’avis no 9 délivré par la Commission d’arbitrage de la conférence internationale pour la paix en Yougoslavie et l’article 6 de la Résolution sur la succession d’États en matière de biens et de dettes adoptée par l’Institut de droit international – « la résolution de 2001 »). À défaut d’accord, le principe de territorialité revêt une importance capitale pour ce qui est de la succession aux biens d’État (article 18 de la Convention de Vienne de 1983 et articles 16 de la résolution de 2001). En matière de succession aux dettes d’État, le principe applicable est celui de la « proportion équitable ». La disposition pertinente de la Convention de Vienne de 1983, à savoir son article 41, est ainsi libellée :
« Lorsqu’un État se dissout et cesse d’exister et que les parties du territoire de l’État prédécesseur forment deux ou plusieurs États successeurs, et à moins que les États successeurs n’en conviennent autrement, la dette d’État de l’État prédécesseur passe aux États successeurs dans des proportions équitables, compte tenu, notamment, des biens, droits et intérêts qui passent aux États successeurs en relation avec cette dette d’État. »
L’article 23 § 2 de la résolution de 2001 dispose lui aussi que le principe de la « proportion équitable » est le principe directeur en matière de succession aux dettes :
« À défaut d’un accord sur le passage des dettes d’État de l’État prédécesseur, de quelque catégorie que soient ces dettes, leur passage se fait dans une proportion équitable, compte tenu notamment des biens, droits et intérêts qui passent en relation avec cette dette à l’État ou aux États successeurs. »
Toutefois, les articles 27 à 29 de la résolution de 2001 établissent une distinction entre les dettes nationales, les dettes localisées et les dettes locales et appliquent spécifiquement à ces dernières le principe de territorialité.
Article 27 – Dettes nationales
« 1. Les dettes d’État contractées par l’État prédécesseur au bénéfice de l’État entier (dettes nationales) sont soumises aux règles de l’article 22 et suivants de la présente Résolution.
Les dettes des institutions et entreprises publiques qui ont un champ d’activité national, sont soumises aux mêmes règles, indépendamment du siège de ces institutions ou entreprises. »
Article 28 – Dettes localisées
« 1. Les dettes d’État souscrites pour des projets ou objets particuliers à une région spécifique qui ont été contractées par l’État prédécesseur ou par une institution ou entreprise publique de cet État ayant un champ d’activité national (dettes nationales localisées), sont soumises aux règles de l’article précédent.
Toutefois, la répartition d’une telle dette selon l’équité doit prendre en considération le passage de biens (objets/installations) liés à la dette ainsi que le bénéfice généré par ces biens pour l’État successeur sur le territoire duquel ils sont situés. »
Article 29 – Dettes locales
« 1. Les dettes des institutions publiques locales (communes, régions, entités fédérées, départements, services publics et autres institutions régionales et locales) passent à l’État successeur sur le territoire duquel se trouvent ces institutions.
(...)
L’État prédécesseur et l’État ou les États successeurs peuvent convenir par voie d’accord du passage des dettes locales selon des modalités différentes. Pour ce qui concerne des dettes privées, les créanciers de celles-ci devraient participer formellement à l’élaboration et à la conclusion de cet accord. »
Enfin, les passages pertinents de la résolution de 2001 relatifs aux effets de la succession d’État sur les personnes privées se lisent ainsi :
Article 24
« 1. Une succession d’États ne devrait pas porter atteinte aux droits et obligations des créanciers et débiteurs privés.
Les États successeurs ont l’obligation de reconnaître dans leur ordre juridique l’existence des droits et obligations des créanciers qui ont été établis dans l’ordre juridique de l’État prédécesseur.
(…) »
Article 25
« Les États successeurs ont l’obligation de respecter dans toute la mesure du possible les droits acquis des personnes privées dans l’ordre juridique de l’État prédécesseur. »
B. L’Accord sur les questions de succession et la pratique pertinente en la matière
L’Accord sur les questions de succession est le fruit de près de dix ans de négociations menées sous les auspices de la Conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie et du Haut Représentant, administrateur international désigné en application de l’annexe 10 de l’Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine. Signé le 29 juin 2001, il est entré en vigueur le 2 juin 2004 à l’égard de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la SerbieMonténégro (à laquelle la Serbie succéda par la suite), de la Slovénie et de l’ex-République yougoslave de Macédoine.
La question des « anciens » fonds d’épargne en devises était litigieuse. Les vues des États successeurs divergeaient sur le point de savoir si elle devait être réglée sous l’angle des engagements de la RSFY au sens de l’annexe C (avoirs et engagements financiers) à l’Accord ou si elle ressortissait au droit privé et relevait en conséquence du régime prévu à l’annexe G (biens privés et droits acquis). Les États concernés étaient également en désaccord sur la question de savoir si la garantie de la RSFY couvrant les « anciens » fonds en devises devait être assumée par l’État du siège social de la banque mère concernée ou par l’État dans lequel les fonds avaient été effectivement déposés. En définitive, les dispositions suivantes furent insérées dans l’annexe C à l’Accord :
Article 2 § 3
« Les autres engagements financiers [de la RSFY] comprennent :
a) Les garanties de la RSFY ou de la Banque nationale de Yougoslavie destinées à couvrir l’épargne en devises étrangères fortes déposée auprès de banques commerciales et de leurs agences situées sur le territoire de l’un quelconque des États successeurs avant la date à laquelle celui-ci a proclamé son indépendance ; et »
Article 7
« Les garanties de la RFSY ou de la Banque nationale de Yougoslavie destinées à couvrir l’épargne en devises étrangères déposée auprès d’une banque commerciale ou de l’une quelconque de ses agences sur le territoire d’un État successeur avant la date à laquelle celui-ci a proclamé son indépendance seront négociées sans délai, en tenant compte notamment de la nécessité de protéger l’épargne en devises étrangères des particuliers. Cette négociation se déroulera sous les auspices de la Banque des règlements internationaux. »
En 2001-2002 se tinrent quatre cycles de négociations consacrés à la répartition des garanties accordées par la RSFY aux « anciens » fonds d’épargne en devises. Les États successeurs n’étant pas parvenus à un accord, la Banque des règlements internationaux (« la BRI ») les informa en septembre 2002 que son expert – M. Meyer – avait décidé de mettre fin à son mandat et qu’elle estimait ne plus avoir aucun rôle à jouer dans les négociations, ajoutant cependant que :
« Si toutefois les cinq États successeurs devaient à l’avenir décider de rouvrir les négociations relatives aux garanties couvrant les fonds en devises fortes et solliciter le concours de la BRI, celle-ci serait disposée à leur prêter assistance selon des conditions à convenir. »
Il semble que peu de temps après tous les États successeurs, à l’exception de la Croatie, aient informé la BRI de leur intention de poursuivre les négociations. La Croatie en fit autant en octobre 2010 et reçut en novembre 2010 une réponse dont les passages pertinents se lisent ainsi :
« (...) La BRI a réexaminé cette question récemment. Elle estime que sa contribution à un nouveau cycle de négociations dans le cadre d’une mission de bons offices n’apporterait rien et tient compte à cet égard du laps de temps qui s’est écoulé depuis le dernier cycle de négociations ainsi que de ses priorités actuelles en matière de stabilité monétaire et financière. Toutefois, elle tient à signaler que les réunions bimensuelles qui se tiennent dans ses locaux à Bâle offrent aux dirigeants des États successeurs l’occasion de discuter de cette question entre eux de manière informelle. »
Il convient de relever qu’une question analogue au problème qui se pose en l’espèce, celle des garanties accordées par la RSFY aux dépôts effectués auprès de la caisse d’épargne postale et de ses agences, a été réglée en dehors des négociations qui ont abouti à l’Accord sur les questions de succession, chacun des États successeurs ayant accepté de prendre ces garanties à sa charge relativement aux succursales situées sur son territoire.
Les avoirs financiers de la RSFY ont été répartis entre les États successeurs selon la clé de répartition suivante (en application de l’article 5 de l’annexe C à l’Accord) : 15,5 % pour la Bosnie-Herzégovine, 23 % pour la Croatie, 7,5 % pour l’ex-République yougoslave de Macédoine, 16 % pour la Slovénie, 38 % pour la Serbie-Monténégro (à laquelle la Serbie succéda par la suite). Il semble que la quasi-totalité des fonds en devises déposés sur les comptes étrangers de la BNY – soit 237 millions USD environ dans des banques américaines et 221 millions USD environ dans d’autres banques – aient été répartis entre les États successeurs selon la même clé de répartition au cours de la période 2003-2012.
Conformément à l’article 4 de l’Accord sur les questions de succession, un Comité mixte permanent composé de hauts représentants de chacun des États successeurs fut mis en place avec mission de veiller à l’application effective de l’Accord et d’offrir une enceinte adéquate pour l’examen des questions relatives à l’application de cet accord. Ce comité s’est réuni trois fois : en 2005, en 2007 et en 2009.
Les dispositions suivantes de l’Accord sont également pertinentes en l’espèce :
Article 5
« 1) Les désaccords qui pourraient surgir au sujet de l’interprétation et de l’application du présent Accord seront résolus, en premier lieu, par des discussions entre les États concernés.
2) Si les désaccords ne peuvent être résolus par de telles discussions dans un délai d’un mois à compter de la première communication présentée dans le cadre de ces discussions, les États concernés devront :
a) soit saisir de la question une personnalité indépendante de leur choix, en vue d’obtenir sur cette question une décision rapide et faisant autorité, qui sera respectée, et dans laquelle pourraient, le cas échéant, être fixés des délais précis pour les mesures à prendre ;
b) soit saisir de la question, pour règlement, le Comité mixte permanent établi en vertu de l’article 4 du présent Accord.
3) Les désaccords qui pourraient surgir dans la pratique au sujet de l’interprétation des termes utilisés dans le présent Accord ou dans tout autre accord subséquent nécessaire à la mise en œuvre des annexes audit Accord pourront, en outre, à l’initiative de l’un quelconque des États concernés, être soumis à un expert unique (qui ne devra être ressortissant d’aucune des parties au présent Accord) nommé d’un commun accord par les parties au différend ou, faute d’un tel accord, par le président de la Cour de conciliation et d’arbitrage au sein de l’OSCE, afin qu’il propose une solution autorisée qui aura force obligatoire. L’expert décidera de toutes les questions de procédure après avoir consulté, s’il le juge approprié, les parties qui l’ont saisi, avec la ferme intention de parvenir à un règlement rapide et efficace du désaccord.
4) La procédure prévue au paragraphe 3 du présent article sera strictement limitée à l’interprétation des termes utilisés dans les accords en question et n’autorisera en aucun cas l’expert à se prononcer sur l’application pratique de l’un quelconque de ces accords. En particulier, la procédure visée ne s’appliquera pas aux dispositions suivantes :
a) L’appendice au présent Accord ;
b) Les articles 1er, 3 et 4 de l’annexe B ;
c) Les articles 4 et le paragraphe 1 de l’article 5 de l’annexe C ;
d) L’article 6 de l’annexe D.
5) Les paragraphes précédents du présent article ne modifient en rien les droits et obligations des Parties au présent Accord découlant d’une quelconque disposition contraignante en vigueur entre eux en matière de règlement des différends. »
Article 9
« Le présent Accord sera appliqué par les États successeurs de bonne foi conformément aux dispositions de la Charte des Nations unies et dans le respect du droit international. »
C. La jurisprudence internationale en matière de pactum de negotiando dans les affaires interétatiques
Un pactum de negotiando impose aux parties qu’il lie l’obligation de négocier en vue de conclure un accord, et le principe fondamental pacta sunt servanda les oblige à négocier de bonne foi. Dans l’affaire Grèce c. République fédérale d’Allemagne, le Tribunal d’arbitrage de l’Accord sur les dettes extérieures allemandes a rendu le 26 janvier 1972 une sentence dont les passages pertinents se lisent ainsi :
[Traduction du greffe]
« 62. Toutefois, la conclusion d’un pactum de negotiando n’est pas dépourvue d’effets juridiques. Elle implique que chacune des parties s’efforce de bonne foi de parvenir à une solution réciproquement satisfaisante par la recherche d’un compromis, même s’il lui faut pour cela renoncer à des positions auxquelles elle tenait fermement. Le pactum de negotiando suppose que chacune des parties soit disposée à s’écarter de ses positions initiales dans un esprit de négociation, et à se rallier partiellement à celles de l’autre partie. Les termes de l’accord ne peuvent être interprétés comme autorisant chacune des parties à s’en tenir à sa position initiale et à exiger la capitulation complète de l’autre. Une telle approche serait incompatible avec la notion de « négociation » et diamétralement opposée à l’objectif poursuivi. En s’engageant à négocier, les parties doivent avoir l’intention de traiter l’une avec l’autre en vue de parvenir à un arrangement. Si l’article 19 combiné avec le paragraphe II de l’annexe I ne peut être interprété comme imposant aux parties l’obligation absolue de conclure un accord, le Tribunal estime que le libellé de ces dispositions les oblige à négocier et à transiger en s’efforçant de bonne foi de parvenir à une solution acceptable pour chacune d’entre elles, dans le but de mettre un terme à ce long différend (...)
L’accord conclu en vue de la négociation des réclamations monétaires litigieuses postule que les parties sont disposées à envisager un arrangement. Et cela même si leur différend porte non seulement sur le montant des créances, mais aussi sur leur existence même, circonstances qui sont sans incidence sur le principe du règlement des différends. L’article 19 n’exige pas nécessairement que les parties règlent les questions juridiques en litige. Par exemple, il ne tient pas pour acquis que les parties se mettront d’accord sur certaines questions qui les opposent, en l’occurrence celles de savoir si les créances litigieuses ont ou non une existence juridique, et si elles revêtent un caractère public ou privé. D’ailleurs, les parties conviennent que ces questions prêtent à controverse entre elles. Toutefois, malgré le différend qui les oppose sur ce point, elles se sont engagées à négocier dans toute la mesure du possible en vue de parvenir à un accord de règlement.
(...)
Le Tribunal estime que le principe qui sous-tend la solution donnée à l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord est pertinent en l’espèce. Ce principe, énoncé par la Cour internationale de justice, confirme le sens courant du terme « négociation » et le concrétise. Pour que la négociation ait un sens, il faut qu’elle ait été engagée en vue de la conclusion d’un accord. Si, comme le Tribunal l’a déjà indiqué, un accord de négociation n’impose pas aux parties l’obligation de conclure un accord de règlement, il les oblige à déployer de réels efforts pour y parvenir. »
Dans une affaire récente (Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt du 5 décembre IJ Recueil 2011, § 132), la Cour internationale de justice a récapitulé la jurisprudence pertinente de la manière suivante :
« La Cour fait observer que la notion de négociation aux fins du règlement des différends, ou d’obligation de négocier, a été clarifiée par sa jurisprudence et celle de sa devancière, ainsi que par des sentences arbitrales. Comme la Cour permanente de justice internationale l’a précisé dès 1931 dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur la question du Trafic ferroviaire entre la Lituanie et la Pologne, l’obligation de négocier, avant tout, n’est « pas seulement [celle] d’entamer des négociations, mais encore [celle] de les poursuivre autant que possible, en vue d’arriver à des accords ». De toute évidence, cela n’implique cependant ni « [l’obligation] de s’entendre » (Trafic ferroviaire entre la Lituanie et la Pologne, avis consultatif, PJI série A/B no 42, p. 116 ; voir également Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, CIJ Recueil 2010 (I), p. 68, par. 150) ni la nécessité de mener de longues négociations (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, PJI série A no 2, p. 13). Les États ont néanmoins l’obligation de se comporter de telle sorte que « les négociations aient un sens ». Il n’est pas satisfait à cette condition lorsque, par exemple, l’une ou l’autre partie « insiste sur sa propre position sans envisager aucune modification » (Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays‑Bas), arrêt, CIJ Recueil 1969, p. 47, par. 85) ; voir également Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, CIJ Recueil 2010 (I), p. 67, par. 146) ou fait obstacle aux négociations, par exemple, en interrompant toute communication, en causant des retards injustifiés, en ne tenant pas compte des procédures convenues (Affaire du Lac Lanoux (Espagne/France) (1957), Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XII, p. 307). La tenue de négociations en vue de parvenir à un accord implique également que chaque partie tienne raisonnablement compte de l’intérêt de l’autre (Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, CIJ Recueil 1974, p. 33, par. 78). En ce qui concerne la preuve requise pour établir la mauvaise foi (ce qui fonderait l’une ou l’autre Partie à soutenir qu’elle est libérée de son obligation d’exécution), « le simple échec de certaines négociations ne constitue pas un élément suffisant » (arbitrage de Tacna-Arica (Chili/Pérou) (1925), RSA, vol. II, p. 930). Si ladite preuve peut être apportée par des éléments indirects, elle doit cependant être étayée « non par des déductions contestables mais par des éléments clairs et convaincants qui appellent nécessairement pareille conclusion » (ibidem). »
D. L’arrêt E-16/11 rendu par la Cour de justice de l’Association européenne de libre-échange (AELE) le 28 janvier 2013
La Landsbanki était une banque privée de droit islandais qui avait des succursales aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, et dont l’une des activités consistait à commercialiser des comptes d’épargne en ligne sous la désignation « Icesave ». Les dépôts effectués sur ces comptes étaient couverts par les systèmes de garantie islandais, néerlandais ou britannique, selon le cas.
En 2008, la Landsbanki s’effondra. Le gouvernement islandais légiféra en urgence pour éviter une crise systémique et créa une nouvelle banque, la « New Landsbanki ». Les dépôts effectués en Islande furent transférés à cette nouvelle banque, mais non ceux qui avaient été réalisés aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Peu après la fondation de la New Landsbanki et le transfert des dépôts effectués en Islande, le système de garantie islandais fut appelé à rembourser les avoirs des épargnants, y compris ceux qui avaient été déposés aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Contrairement à ceux qui avaient effectué des dépôts en Islande, les épargnants qui avaient placé des fonds dans les succursales néerlandaises et britanniques de la Landsbanki ne furent pas indemnisés par le système de garantie islandais, mais se firent, en définitive, rembourser leurs avoirs par le système de garantie néerlandais ou britannique, selon le cas.
En 2001, l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange (AELE) saisit la Cour de justice de l’AELE, alléguant que, faute d’avoir versé aux épargnants qui avaient effectué des dépôts aux PaysBas et au Royaume-Uni l’indemnité minimale (20 000 euros) dans les délais prévus, l’Islande, État partie à l’Accord sur l’Espace économique européen (« EEE »), avait manqué aux obligations découlant de la Directive 94/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 1994 relative aux systèmes de garantie des dépôts. La Commission européenne intervint dans la procédure au soutien de l’Autorité de surveillance.
Par un arrêt rendu le 28 janvier 2013, la Cour de justice de l’AELE conclut que, bien que les normes de l’Union européenne relatives au marché unique eussent été transposées dans l’ordre juridique de l’EEE, l’Islande n’avait pas violé la directive susmentionnée. Pour se prononcer ainsi, elle releva notamment que la directive en question n’imposait pas aux États et à leurs autorités une obligation d’indemnisation en cas de défaillance d’un système de garantie des dépôts liée à une crise systémique. Par ailleurs, elle souligna que les États jouissaient d’une « ample marge d’appréciation dans les choix fondamentaux à opérer en matière de politique économique dans le contexte particulier d’une crise systémique ». | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1965 et réside à Fafe (Portugal).
Le 11 octobre 1999, il fut victime d’un accident du travail.
Le 18 septembre 2000, il saisit le tribunal du travail de Maia d’une action contre la compagnie d’assurance de son employeur, réclamant la reconnaissance d’une incapacité permanente partielle (ci-après « IPP ») pour le travail.
Par un jugement du 20 avril 2001, le tribunal fit droit à la demande du requérant. Fixant l’IPP du requérant à 15,92 %, le tribunal condamna la compagnie d’assurance à verser au requérant une rente viagère d’un montant annuel de 719 euros (ci-après « EUR »).
Le 19 mars 2008, le requérant demanda au tribunal du travail de Maia de revoir le taux d’IPP fixé en faisant valoir une aggravation de son handicap.
Le 15 avril 2008, le requérant fut examiné par un médecin généraliste de l’Institut de Médecine Légale (ci-après « IML ») de Porto.
Par une ordonnance du 18 avril 2008, sur recommandation du médecin généraliste, le tribunal demanda à l’IML de soumettre le requérant à un examen médical ORL.
Le 27 juin 2008, le requérant fut observé par un médecin ORL. Celui-ci prescrit ensuite divers examens médicaux complémentaires.
Le 26 septembre 2008, le bilan médical réalisé par l’ORL fut envoyé au tribunal.
Le 10 octobre 2008, le requérant comparut devant le tribunal en vue de la conclusion de l’examen médical de révision. Le procès-verbal de l’examen conclut à une aggravation de l’infirmité du requérant, estimant l’IPP à 17, 35 %.
Le bilan de cet examen fut porté à la connaissance des parties. Celles-ci contestèrent le résultat de l’examen, réclamant une contre-expertise médicale par un comité médical (junta médica) composé de trois experts, à désigner par le tribunal et chacune des parties.
Faisant droit à leur demande, le tribunal ordonna une contre-expertise médicale et invita les parties à formuler les questions (quesitos) auxquelles elles souhaitaient que le comité médical réponde. La compagnie d’assurance de l’employeur envoya ses questions le 20 octobre 2008 et le requérant le 17 novembre 2008.
Le 2 mars 2009, le comité médical procéda à la contre-expertise médicale. Dans son rapport final, il répondit aux questions des parties et fixa à l’unanimité le taux d’incapacité permanente partielle pour le travail du requérant à 13 %.
Le 12 mars 2009, le tribunal demanda des clarifications au comité médical au motif qu’il existait des contradictions entre l’une des réponses donnée aux questions et le taux d’IPP fixé. Il invita ainsi le comité médical à préciser s’il y avait eu aggravation des lésions initiales du requérant et quel était son taux actuel d’IPP.
Le 2 avril 2009, l’expert médical qui avait été désigné par le requérant informa le tribunal qu’il y avait lieu de réaliser à nouveau la contre-expertise médicale. Le tribunal fixa celle-ci au 11 mai 2009, la présence du requérant ne fut toutefois pas demandée.
À la date prévue, après la réunion du comité médical, un deuxième rapport fut déposé. Répondant aux questions des parties, celui-ci indiquait qu’il y avait eu aggravation du handicap auditif du requérant et que le taux d’IPP à cet égard était de 13 %. Il précisait qu’à ce taux devait s’ajouter le taux d’incapacité de 5 % qui avait été attribué au niveau neurologique, concluant à une incapacité permanente partielle globale de 17, 35 %.
Le 21 mai 2009, le ministère public requit au tribunal la reconnaissance du taux d’IPP de 17,35 % estimé par le comité médical et l’augmentation de la rente viagère annuelle du requérant à 783 EUR.
Par une décision du 29 mai 2009, en tenant compte de l’IPP établie dans le rapport du comité médical, le tribunal décida qu’il n’y avait pas lieu de réaliser d’autres démarches et porta la rente viagère à 783,78 EUR, à compter du 10 octobre 2008.
Le requérant interjeta appel de cette décision devant la cour d’appel de Porto.
Le 15 juin 2009, il présenta ses conclusions. Contestant le nouveau taux d’incapacité attribué, il dénonçait aussi une violation du principe du contradictoire dans la mesure où le rapport final du comité médical n’avait pas été porté à sa connaissance.
Le 14 juillet 2009, le tribunal du travail accueillit le recours du requérant.
Le 10 septembre 2009, le tribunal invita le requérant à se prononcer s’agissant d’un avis émis par le ministère public qui concluait que le recours du requérant était dénué de fondement et devait, par conséquent, être rejeté.
Par un arrêt du 7 novembre 2009, la cour d’appel rejeta le recours du requérant, confirmant la décision du tribunal du travail de Maia du 29 mai 2009. S’agissant de la violation du principe du contradictoire, elle considéra :
« (...) l’intervention du requérant a eu lieu au moment où il (...) a formulé ses questions au comité médical, lequel y a répondu. Ceci montre que le sinistré savait ce qui se passait et n’a rien dit ; aucune disposition légale n’a donc été violée. »
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Les dispositions pertinentes du décret-loi no 480/99 du 9 novembre 1999 régissant le code de procédure du travail au moment des faits se lisaient ainsi :
Article 145
Révision judiciaire de l’incapacité
« 1. Lorsque la révision de l’incapacité est demandée, le juge ordonne que le sinistré se soumette à un examen médical.
La demande de révision est formulée par simple requête. Celle-ci doit être étayée ou accompagnée de questions (quesitos).
Le résultat de l’examen est porté à la connaissance du sinistré et de l’entité responsable pour la réparation des dommages résultant de l’accident.
En cas de désaccord avec le résultat de l’examen, les parties peuvent solliciter, dans un délai de 10 jours, un examen par un comité médical aux termes prévus à l’alinéa 2 (...).
(...) après conclusion [de l’examen du comité médical] et réalisation des diverses démarches jugées nécessaires, le juge décide par ordonnance, en maintenant, augmentant ou diminuant la pension ou en déclarant l’extinction de l’obligation de la payer.
(...). » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les quatre requérants sont nés respectivement en 1959, 1975, 2007 et 2007. Le premier requérant se trouve en détention provisoire à la prison Diavata de Thessalonique. Les trois autres requérants résident à Thessalonique. Le premier requérant est le mari de la deuxième requérante et le père de la troisième requérante et du quatrième requérant. Accusé de plusieurs infractions liées à la criminalité économique, il fut placé en détention provisoire dans cette prison le 2 octobre 2012 en vertu d’un mandat émis par le juge d’instruction près le tribunal correctionnel de Thessalonique.
Le 4 février 2013, il fut remis en liberté suite à la décision de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Thessalonique du 1er février 2013 (paragraphes 35-36 ci-dessous)
A. L’état de santé du premier requérant
Un certificat médical établi par la prison de Thessalonique le 19 octobre 2012 indique que le requérant souffre : depuis vingt ans d’un diabète de type II nécessitant un traitement par insuline ; d’une affection de la rétine due au diabète (la vision de l’œil droit ne permet guère plus que le comptage des doigts de la main et celle de l’œil gauche est de 3/10 ; de difficultés à marcher dues à une neuropathie multiple des membres inférieurs ; depuis 2004, d’une maladie coronarienne ayant nécessité la pose d’un stent ; d’une insuffisance rénale chronique terminale (IRCT), nécessitant depuis le 2 mars 2011 une hémodialyse tous les lundis, mardis, jeudis et samedis. Le requérant s’est vu reconnaître une invalidité à vie de 90 %.
Pendant sa détention, il fut hospitalisé pour un incident ischémique à la clinique cardiologique de l’hôpital Papanikolaou, où il fut soumis à une angioplastie le 5 octobre 2012. En outre, lors d’une hémodialyse, le 11 octobre 2012, il présenta une fibrillation du ventricule pour laquelle il fut transporté à l’hôpital de garde. Une nouvelle fibrillation rendit nécessaire son transfert à la clinique cardiologique.
Un autre certificat médical établi par la même prison à la même date précisait qu’il serait difficile de faire face à un arrêt cardiaque si celui-ci survenait alors que le malade n’était pas déjà hospitalisé.
Un certificat médical établi le 23 novembre 2012 par l’hôpital Ippokrateio de Thessalonique indiquait que le requérant souffrait d’un diabète sucré de type II présentant les complications suivantes : 1) IRCT avec hémodialyse trois fois par semaine ; 2) affection de la rétine due au diabète et limitant gravement sa capacité visuelle ; 3) neuropathie multiple due au diabète ; 4) maladie coronarienne ayant nécessité une angioplastie le 5 octobre 2012 ; 5) fibrillation ventriculaire paroxystique. Le certificat précisait que les conditions régnant dans le lieu de détention du requérant présentaient les dangers suivants : a) la cohabitation dans un lieu restreint avec d’autres détenus augmentait le risque d’infection et, pour une personne ayant une immunodéficience due à l’insuffisance rénale et au diabète, une telle infection pouvait être fatale ; b) un incident ischémique ou une crise d’arythmie cardiaque, touchant fréquemment des personnes ayant les mêmes pathologies que le requérant, risquent d’être traités de manière inadéquate ou avec beaucoup de retard dans le cadre de la prison et de mettre ainsi en péril la vie de la personne.
B. Les conditions de détention du premier requérant
Le premier requérant décrit comme suit les conditions de sa détention.
Il partageait avec dix autres détenus une cellule de 25 à 30 m². L’aile de la prison où il se trouvait comprend dix-huit cellules de 25 m² environ. Il y a un seul gardien qui est souvent absent et les détenus doivent crier et frapper sur la porte de la cellule pour se faire entendre. Il existe une cantine dans la prison mais, faute de chaises, les détenus ne peuvent pas s’y asseoir. La prison dispose du chauffage central, mais il ne fonctionne que douze heures par jour et les cellules ne sont pas suffisamment chauffées. À la suite de l’application de l’article 39 du règlement intérieur par la Cour, les autorités de la prison ont installé un chauffage électrique dans la cellule qu’il occupe.
La nourriture n’était pas adaptée à son état de santé et est d’une valeur nutritive très basse. Les détenus reçoivent de la viande trois fois par semaine, mais pas de poisson. En raison de ses problèmes de santé, les fruits et les desserts lui étaient interdits. La direction de la prison a elle-même admis que le coût journalier de la nourriture pour chaque détenu ne dépassait pas deux euros.
Il ajoute que la prison se trouve dans un endroit qui est jugé dangereux pour l’habitation.
Les heures de promenade dans la cour sont de 9 heures à 12 heures et de 14 h 30 à 16 h 30. La cour n’est pas abritée et les parapluies et bonnets sont interdits, de sorte que, lorsqu’il pleut, les détenus ne peuvent pas sortir.
Les détenus assuraient eux-mêmes le nettoyage des cellules et lavaient eux-mêmes leurs vêtements et leurs draps dans des bassines en plastique et les faisaient sécher dans la cour. Toutefois, en raison de son état de santé, le requérant avait été autorisé à donner ses vêtements et ses draps à laver chez lui une fois par semaine. Aucune désinfection n’a eu lieu durant son séjour dans la prison, alors que le bâtiment était infesté de cafards.
Le 21 novembre 2012, la deuxième requérante obtint une audience auprès du procureur de permanence à la prison de Diavata. Elle l’informa de l’état de santé de son mari, de ses conditions de détention et de transfert, déplorables selon elle, de la pratique de fouilles au corps humiliantes pour lui, de la nécessité d’une alimentation adaptée à sa pathologie, et de sa proposition de préparer elle-même les repas de son époux et de les lui porter en prison. Elle l’invita aussi à humaniser la détention de son mari et à donner les instructions qu’il jugerait utiles afin de faire en sorte qu’une personne ayant atteint le stade terminal d’une maladie, ce qui serait le cas de son époux, ne soit pas détenue dans de telles conditions.
Le 14 décembre 2012, T.K., le député de Thessalonique, déposa auprès du président de l’Assemblée nationale et à l’attention du ministre de la Justice une demande tendant à l’intégration dans la législation de la suspension de la détention provisoire pour raisons de santé. Il y joignait une lettre dans laquelle le requérant se plaignait de ses conditions de détention.
C. Les conditions de transfert du premier requérant à l’hôpital
Au cours de sa détention, l’état du requérant nécessita à plusieurs reprises son transfert dans divers hôpitaux. L’intéressé était également transféré trois ou quatre fois par semaine à l’unité du rein artificiel de la bioclinique de Thessalonique.
Le transfert avait lieu dans une voiture cellulaire ou une voiture de police sans l’escorte d’un thérapeute. Le requérant était toujours menotté lors des transferts. Il n’avait pas la possibilité de s’allonger et de se reposer après l’hémodialyse, qui avait des effets secondaires tels que des troubles hypotensifs. À chaque retour de clinique, il était obligé de se dénuder dans une pièce non chauffée pour que le gardien procède à la fouille au corps.
À une demande de l’épouse du requérant visant à le faire transférer par ambulance à l’hôpital, la direction de la prison aurait répondu que « cela n’[était] pas prévu ».
D. Les démarches entreprises par le requérant et ses conditions de détention et de transfert à la suite de l’application de l’article 39 du règlement intérieur de la Cour
Dès la notification au requérant par la Cour de la lettre du 20 décembre 2012 par laquelle elle lui faisait savoir qu’elle accueillait sa demande au titre de l’article 39 de son règlement, celui-ci soumit au directeur de la prison, avec copie au procureur compétent, un certificat médical établi à sa demande le 21 décembre 2012 par le directeur de la clinique néphrologique de l’hôpital Ippokrateio de Thessalonique. Ce certificat réitérait la teneur du certificat du 23 novembre 2012 et préconisait de réserver au requérant un traitement particulier, notamment de garantir : 1) un régime adapté au diabète, aux maladies cardiovasculaires et à l’athéromatose, sans aliments phosphoriques ; 2) la possibilité de faire une marche légère de trente minutes par jour ; 3) le respect strict des règles d’hygiène corporelle et de l’espace vital ; 4) la possibilité de faire traiter par laser l’affection de la rétine ; 5) un chauffage suffisant de la cellule et du véhicule utilisé pour les transferts ; 6) la présence d’un médecin dans l’établissement où il était détenu aux fins d’une prise en charge rapide de tout incident lié à la maladie cardiovasculaire et de la prévention d’un arrêt cardiaque ou du décès.
Dans sa lettre, le requérant invitait les autorités de la prison à transmettre le certificat au procureur de tutelle de la prison, aux fins de la mise en œuvre des mesures ordonnées par la Cour au titre de l’article 39.
Le 31 décembre 2012, le requérant adressa au directeur de la prison une demande par laquelle il réclamait que son traitement pharmaceutique lui soit fourni dans son intégralité, soutenant que la prison ne lui avait pas procuré la plupart des treize médicaments qui lui auraient été prescrits. Il n’obtint pas de réponse.
Le 31 décembre 2012, il adressa une lettre au directeur de la prison, dans laquelle il reprochait à celui-ci d’avoir refusé de faire appel à une ambulance pour le transférer à l’hôpital malgré l’apparition d’une douleur aiguë à la poitrine. Cette lettre resta elle aussi sans réponse.
Le 15 janvier 2013, le requérant adressa une nouvelle lettre au directeur de la prison dans laquelle il demandait que sa femme soit présente à ses côtés lors de ses hospitalisations. Il demandait que cette lettre soit transmise au procureur ayant la tutelle de la prison, aux fins de la mise en œuvre des mesures ordonnées par la Cour au titre de l’article 39.
Le requérant soutient que, parmi toutes les mesures préconisées, les autorités ne procédèrent qu’à celles consistant en son transfert dans une cellule qu’il partage avec deux autres détenus et à l’installation d’un chauffage électrique dans la cellule. Il ajoute que, s’agissant des conditions de transfert, le seul changement effectif a consisté en la suppression des menottes.
E. Les décisions des autorités judiciaires relatives aux demandes de remise en liberté du requérant
Le 5 octobre 2012, le requérant avait introduit un recours, fondé sur l’article 285 § 1 du code de procédure pénale, contre la décision de son placement en détention du 2 octobre 2012. Il soutenait que son invalidité à 90 % et ses quatre hémodialyses hebdomadaires écartaient tout risque de fuite. Il demandait à bénéficier de l’article 110A du code pénal.
Le 22 octobre 2012, le procureur formula son avis sur cette demande. Le 31 octobre 2012, le requérant présenta des observations complémentaires, dans lesquelles il demandait à comparaître personnellement afin que la véracité de ses dires concernant son état de santé fût constatée. La chambre d’accusation délibéra le 16 novembre 2012, en l’absence tant du procureur que du requérant.
Par une décision du 21 novembre 2012, la chambre d’accusation rejeta le recours, sans faire aucune référence à la demande de comparution personnelle du requérant. Elle suivit la proposition du procureur en ce sens.
En premier lieu, la chambre d’accusation considéra que le maintien en détention du requérant ne portait pas atteinte au principe de la proportionnalité, compte tenu du caractère répétitif de l’infraction reprochée entre 2003 et 2009 et du montant des fausses factures établies par le requérant, dont le total aurait été de 21 500 000 euros. Elle indiqua que le requérant avait causé des dommages incalculables tant à des particuliers qu’à des services publics et qu’il avait été condamné de manière définitive par le passé pour des infractions similaires. En deuxième lieu, elle affirma que l’article 110A du code pénal, qui concernait les condamnés, ne pouvait pas s’appliquer par analogie aux prévenus, tel le requérant, au motif que les articles 282 et suivants du code de procédure pénale ne comportaient aucune lacune en ce qui concernait la maladie grave d’un détenu. Elle précisa que ces derniers articles permettaient la levée d’une détention provisoire pendant une certaine période et le remplacement de la détention par des mesures restrictives lorsqu’une maladie grave d’un détenu imposait son accueil dans un établissement hospitalier à l’extérieur de la prison.
La chambre d’accusation releva en outre que, d’après les certificats médicaux fournis par le requérant, ses problèmes de santé avaient été traités de manière adéquate pendant la détention et que celle-ci n’était pas la cause de l’aggravation de son état de santé dès lors que le requérant était diabétique depuis vingt ans et qu’il était atteint d’une maladie coronarienne diagnostiquée en 2004. Elle ajouta que, en cas de nécessité, il était possible de faire hospitaliser dans un établissement public – soit par décision de la commission centrale des transferts soit, en cas d’urgence, par simple décision du directeur de la prison – un détenu malade dont le traitement ne pouvait être dispensé efficacement au sein de la prison.
La chambre d’accusation souligna de surcroît que les motifs ayant imposé, depuis un laps de temps assez court (le 2 octobre 2012), la détention provisoire du requérant étaient toujours valides, car aucune des conditions de celle-ci n’aurait entre-temps été modifiée.
Le 18 décembre 2012, le requérant, se fondant sur l’article 286 § 2 du code de procédure pénale, saisit la chambre d’accusation de la cour d’appel de Thessalonique d’un recours tendant à la levée sous condition de sa détention.
Le 1er février 2013, le requérant eut gain de cause. Sa remise en liberté fut ordonnée en ces termes :
« Depuis 2010, le requérant affirme qu’il souffre d’une néphropathie au stade terminal et qu’il est soumis à hémodialyse. Il a fourni des rapports d’expertise et des certificats médicaux délivrés par des hôpitaux privés. Il dépose maintenant, avec le présent recours, un rapport établi par un hôpital public (...) qui confirme qu’il souffre de la pathologie susmentionnée. En conséquence, il est nécessaire, indépendamment du fait que le requérant est particulièrement dangereux et récidiviste, de remplacer la détention provisoire par des mesures restrictives, car il est possible que sa pathologie s’aggrave en prison et lui cause des dommages irréparables. »
Le requérant fut remis en liberté le 4 février 2013. Á cette même date, il entreprit des démarches auprès de juge d’instruction dans le cadre d’autres accusations dirigées contre lui.
F. Les condamnations du requérant et sa fuite
Le 4 mars 2013, la cour d’appel de Thessalonique, dans une formation de juge unique, condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de huit ans pour fraude fiscale. Le juge déclara qu’un appel éventuel aurait un effet suspensif et n’imposa pas au requérant le versement d’une caution. Le 6 mars 2013, le requérant interjeta appel de ce jugement.
Le 10 avril 2013, la cour d’appel de Thessalonique, dans une formation de juge unique, condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de huit ans pour d’autres faits de fraude fiscale. Elle déclara que, si le requérant interjetait appel, l’exécution de la peine serait suspendue sous réserve du versement d’une caution de 200 000 euros.
Le requérant soutient que l’obligation qui lui a été faite de verser une telle caution l’a contraint à prendre la fuite et à se cacher pour éviter d’être appréhendé. Il précise qu’il n’est pas en mesure de payer la somme demandée, sa famille étant, à ses dires, nourrie par l’assistance sociale.
Le 10 avril 2013 toujours, la cour d’appel de Thessalonique, dans une formation de juge unique, condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de six ans pour d’autres faits de fraude fiscale. Elle déclara que, si le requérant interjetait appel, l’exécution de la peine serait suspendue sous réserve du versement d’une caution de 5 000 euros.
Le 20 mai 2013, la cour d’appel de Thessalonique, statuant dans une formation de juge unique, condamna à nouveau le requérant à une peine d’emprisonnement de six ans pour d’autres faits de fraude fiscale. Elle déclara que, si le requérant interjetait appel, l’exécution de la peine serait suspendue sous réserve du versement d’une caution de 5 000 euros.
Le requérant interjeta appel contre ce dernier jugement devant la cour d’appel de Thessalonique, composée de trois membres, aux fins d’obtenir la réduction du montant de la caution. L’audience, fixée initialement au 22 juillet 2013, fut reportée au 24 juillet 2013, afin que le requérant « soit présent pour que la cour constate l’état réel de sa maladie ». À une date non précisée, la cour d’appel rejeta l’appel du requérant.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Les articles pertinents de la Constitution sont ainsi libellés :
Article 2 § 1
« Le respect et la protection de la valeur de la personne humaine constituent l’obligation primordiale de l’Etat. »
Article 7 § 2
« La torture, tous sévices corporels, toute atteinte à la santé et toute pression psychologique, ainsi que toute atteinte à la dignité humaine sont interdits et punis conformément aux dispositions de la loi. »
L’article 110A du code pénal dispose :
« 1. La mise en liberté sous condition est accordée indépendamment de la réalisation des conditions énoncées aux articles 105 et 106 si le condamné souffre du syndrome d’immunodéficience acquise, s’il souffre d’une insuffisance rénale chronique imposant une hémodialyse à intervalles réguliers, s’il est tétraplégique, s’il est atteint de tuberculose, s’il a une cirrhose du foie entraînant une invalidité d’un taux supérieur à 67 %, ou si, ayant dépassé l’âge de 80 ans, il souffre de démence sénile, ou s’il est atteint de néoplasmes malins en phase terminale.
La vérification des conditions du paragraphe 1 est faite, à la demande du condamné, par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel compétent, qui ordonne une expertise spéciale dont le déroulement est fixé par une décision commune du ministre de la Justice et du ministre de la Santé, de l’Aide sociale et de la Sécurité sociale.
La mise en liberté sous condition (...) est inscrite au casier judiciaire du condamné et est accordée une seule fois. »
Les articles pertinents du code de procédure pénale disposent ce qui suit :
Article 282 – Détention provisoire et conditions restrictives
« 1. Pendant la durée de l’instruction et s’il existe des indices sérieux en faveur de la culpabilité de l’accusé pour un crime ou un délit punissable d’une peine d’emprisonnement d’au moins trois mois, il est possible d’ordonner des mesures restrictives, si cela est jugé absolument nécessaire pour atteindre les buts mentionnés à l’article 296.
Les mesures restrictives consistent en le versement d’une garantie, l’obligation de l’accusé de se présenter périodiquement devant le juge d’instruction ou devant une autre autorité, l’interdiction de se rendre ou d’habiter à un endroit particulier ou à l’étranger, l’interdiction de côtoyer ou de rencontrer certaines personnes.
La détention provisoire peut être ordonnée à la place des mesures restrictives (...) seulement lorsque l’accusé est poursuivi pour un crime et qu’il n’a pas de résidence connue dans le pays ou qu’il a pris des dispositions pour organiser sa fuite (...) ou lorsqu’il y a des motifs sérieux de penser que, s’il est libéré, il est probable, au regard de condamnations antérieures définitives pour des infractions similaires, qu’il commette de nouvelles infractions.
(...) La seule gravité de l’acte aux yeux de la loi ne suffit pas pour imposer la détention provisoire (...) »
Article 285 – Recours de la personne en détention provisoire
« 1. Contre le mandat de mise en détention provisoire (...), l’accusé peut recourir devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel. Le recours s’effectue dans un délai de cinq jours (...)
(...)
La chambre d’accusation peut lever la détention provisoire ou la remplacer par des mesures restrictives (...) »
Article 286 – Levée ou remplacement de la détention provisoire
et des mesures restrictives
« 1. Si, pendant l’instruction, il s’avère qu’il n’existe plus de raisons justifiant la détention provisoire ou les mesures restrictives, le juge d’instruction peut, soit d’office soit sur proposition du procureur, lever ces mesures ou inviter la chambre d’accusation à les lever. Contre cette décision, l’accusé peut saisir la chambre d’accusation de la cour d’appel.
Toute personne qui est placée en détention provisoire ou à laquelle des mesures restrictives ont été imposées peut saisir le juge d’instruction afin de faire lever ces mesures ou de faire remplacer la détention provisoire par des mesures restrictives. (...) L’intéressé peut saisir la chambre d’accusation d’un recours contre la décision du juge d’instruction dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision. »
Article 309 – Compétence de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel après la fin de l’instruction
« 1. La chambre d’accusation peut, dans un délai de deux mois ou, si le paragraphe suivant s’applique, dans un délai de trois mois à compter de l’avis du procureur : a) décider de ne pas maintenir l’accusation ; b) mettre fin de manière définitive aux poursuites pénales ; c) suspendre les poursuites pénales mais seulement pour les crimes d’homicide volontaire, de vol avec violences, d’exaction, de vol (...) et d’incendie volontaire ; d) ordonner un complément d’instruction et e) renvoyer l’accusé en jugement devant le tribunal compétent.
La chambre d’accusation délibère en dehors de la présence du procureur et des parties. Dans des cas exceptionnels, si elle l’estime nécessaire, elle peut ordonner la comparution de toutes les parties et, dans ce cas, aussi celle du procureur. Si, après la fin de l’instruction et le dépôt des documents auprès du procureur, une des parties dépose auprès de la chambre des documents ou d’autres éléments de preuve, la chambre, si elle considère que ceux-ci peuvent influencer de manière décisive l’élucidation de l’affaire, doit convoquer les autres parties ou leurs représentants, pour que ceux-ci en soient informés et soumettent leurs observations dans un délai fixé par elle. »
Article 572 – Qui exerce la tutelle et comment
« 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sûreté, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.
En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel se rend à la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition. »
Les articles pertinents en l’espèce du code pénitentiaire (loi no 2776/1999) se lisent ainsi :
Article 6
Protection légale des détenus
« 1. En cas d’acte ou d’ordre illégaux à leur encontre, les détenus ont le droit de se référer par écrit et à une fréquence raisonnable au conseil de la prison lorsque les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. En cas de manquement de l’administration à prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal de l’exécution des peines dans un délai de quinze jours ou d’un mois respectivement à compter de la notification d’une décision de rejet ou de l’introduction de leur demande. Si ce tribunal accueille la requête quant au fond, il ordonne les mesures susceptibles d’effacer les conséquences de l’action ou de l’ordre illégaux. (...)
(...)
La direction de l’établissement pénitentiaire a l’obligation de transmettre au plus tard dans un délai de trois jours tout rapport ou toute lettre adressée par un détenu à une autorité publique ou à une organisation internationale, sans prendre connaissance de leur contenu. À cette fin, un registre spécial est tenu à jour. »
Article 15
Personnes détenues provisoirement
« 2. Les conditions de détention des prévenus se rapprochent le plus possible des conditions de la vie en liberté. Elles n’entraînent pas d’autres restrictions de la liberté que celles nécessaires au bon déroulement de l’instruction (...)
Article 20
Bâtiments
« (...)
Les bâtiments et l’aménagement des espaces de détention respectent les obligations d’hygiène, assurent des conditions de vie appropriées pour les détenus et remplissent les conditions nécessaires au fonctionnement normal et sécurisé des établissements pénitentiaires. Plus particulièrement, la construction et l’aménagement de ceux-ci assurent à un degré satisfaisant, grâce à des fenêtres, la lumière naturelle et l’aération, et assurent également le chauffage, une circulation aisée dans des espaces appropriés (...)
La capacité des établissements pénitentiaires ne doit pas dépasser trois cents détenus. (...) »
Article 21
Espaces de vie des détenus
« 1. Chaque établissement pénitentiaire (...) est divisé en plusieurs secteurs, sans possibilité de communication entre les détenus qui y sont placés. Ces secteurs peuvent inclure des cellules et, de manière exceptionnelle, des dortoirs d’une capacité maximale de six personnes de préférence.
Les cellules individuelles ont un volume d’au moins 35 m3 et sont équipées chacune d’un lit, d’une table, d’une chaise et d’une armoire. Le placement d’un deuxième détenu dans la cellule est permis exceptionnellement et pour une durée limitée mais aussi de manière permanente si la capacité de la cellule est d’au moins 40 m3. Le séjour d’un détenu dans une cellule individuelle est un droit qui doit être respecté lorsque les besoins du détenu l’imposent et que les conditions régnant dans le bâtiment le permettent.
(...)
Les dortoirs doivent être d’une superficie d’au moins 6 m² pour chaque détenu et être équipés de lits, d’armoires, de tables et de chaises en nombre suffisant.
Les cellules individuelles et les dortoirs ont leurs propres installations sanitaires (lavabos, toilettes) et de chauffage. Chaque installation sanitaire doit servir au plus à trois détenus. L’existence d’une salle d’eau dans les cellules et dans les dortoirs n’est pas obligatoire s’il y a un nombre suffisant d’installations communes, avec eau chaude et froide, pour l’hygiène individuelle et la propreté de chaque détenu.
Chaque établissement pénitentiaire doit disposer, outre les espaces administratifs, d’espaces et d’installations suffisants pour des examens médicaux, d’un dispensaire, d’un atelier, d’une bibliothèque, d’une salle de prière, d’une salle de conférences ainsi que d’espaces suffisants de plein air pour la promenade et l’exercice physique des détenus (...) »
Article 25
Hygiène et propreté
« 1. La direction assure les bonnes conditions d’hygiène et de propreté dans l’établissement pénitentiaire, veille au bon fonctionnement de toutes les installations et accorde les moyens pour l’hygiène personnelle et la propreté des détenus. »
Article 27
Soins médicaux
« 1. La direction assure aux détenus des soins médicaux et pharmaceutiques d’un niveau analogue à celui dont bénéficie le reste de la population.
Chaque détenu est examiné par le médecin de l’établissement pénitentiaire au moment de son admission puis tous les six mois. Il peut à tout moment demander à être examiné par le médecin de l’établissement pénitentiaire ou par un médecin de son choix. En cas de pathologie chronique, il a le droit de demander à être suivi par son médecin traitant, en présence du médecin de l’établissement. Les honoraires du médecin de son choix sont à la charge du détenu.
(...) »
Article 30
Admission des détenus malades
dans des établissements pénitentiaires avec dispensaire ou dans des hôpitaux
Les détenus qui tombent malades lors de leur détention ainsi que ceux qui présentent des problèmes de santé psychique aigus sont admis au dispensaire de l’établissement (...)
Les détenus malades dont l’hospitalisation n’est pas possible au sein des dispensaires des établissements pénitentiaires (...) sont transférés à l’hôpital public du département dans lequel l’établissement pénitentiaire est situé (...) »
Article 32
Alimentation
« L’Etat a pour obligation de veiller à une alimentation appropriée des détenus. (...)
La qualité et la préparation générale du repas (...) sont supervisées quotidiennement par le directeur. (...)
Le médecin de l’établissement pénitentiaire fixe, par écrit, le régime spécial ou l’alimentation complémentaire requis par des détenus ou par des groupes de détenus comme les malades, les femmes enceintes et les détenus très âgés.
Un soin particulier est apporté, dans la mesure du possible, à la préparation des régimes spéciaux imposés par certaines convictions religieuses.
Il est permis au détenu de se procurer avec ses deniers personnels des aliments ou des produits pour satisfaire ses propres besoins par l’intermédiaire des services de l’établissement pénitentiaire. La préparation de repas au sein de l’établissement par le détenu lui-même est autorisée uniquement pour des raisons de santé sur décision du directeur à la suite d’un avis conforme du médecin de l’établissement, compte tenu des conditions réelles régnant dans l’établissement.
La livraison de produits alimentaires aux détenus lors des parloirs est prohibée, sauf si le règlement intérieur de l’établissement l’autorise. »
Article 74
Transfert pour raisons de santé
Dans le cas de l’alinéa b) de l’article 72, le transfert du détenu vers un établissement pénitentiaire avec dispensaire ou vers un hôpital, en application de l’article 30 du présent code, est ordonné par la commission centrale des transferts, sur une proposition des autorités de la prison qui doit être accompagnée d’un rapport motivé du médecin de l’établissement (...)
Si le détenu doit être transféré pour un problème sérieux de santé en application des dispositions du présent article, le directeur de l’établissement prévient immédiatement les proches de l’intéressé (...) »
Article 77
Exécution du transfert
« 1. Le transfert doit se dérouler sans porter atteinte à la dignité du détenu et sans lui causer de désagréments supplémentaires. Le détenu n’est menotté que si cela paraît absolument nécessaire au regard de l’appréciation faite par les agents responsables du transfert. En cas de transfert de personnes âgées, de femmes enceintes, de malades et d’adolescents, cette mesure doit être, dans la mesure du possible, évitée.
(...)
Les formalités relatives à la dépose et à la récupération de la personne transférée, les moyens du transfert, les mesures de sécurité prises lors du transfert (...) et tout autre détail y relatif sont réglés par les articles 114 à 154 du décret présidentiel no 141/1991 ainsi que par décision commune du ministre de la Justice et du ministre de l’Ordre public. »
L’article 7 de l’arrêté ministériel no 58819 du 7 avril 2003 se lit ainsi :
Tutelle exercée par le procureur
« 1. Dans le cadre de ses compétences de tutelle, le procureur collabore avec le directeur et les chefs hiérarchiques des sections de l’établissement pénitentiaire, et émet des recommandations concernant l’exécution des peines.
Le procureur superviseur ou son adjoint exercent des compétences de nature juridictionnelle, disciplinaire et de contrôle. En particulier, le procureur superviseur : 1) veille à l’application des dispositions en vigueur relatives au traitement des détenus ainsi que de celles du code pénal et des lois spéciales qui concernent l’exécution des peines et l’application des mesures de sûreté ; (...) 9) entend, à leur demande, les détenus, leurs proches ou leurs avocats ; 10) examine les questions de protection juridictionnelle des détenus et indique aux intéressés les démarches à entreprendre, et transmet aux autorités compétentes les demandes d’aide juridictionnelle des détenus (...) ; 16) veille à la réalisation de contrôles sanitaires de l’établissement pénitentiaire les dix premiers jours de chaque trimestre et de contrôles inopinés lorsqu’il l’estime nécessaire, et est présent lors de ces contrôles. »
Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 2462/1997 portant ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont ainsi libellées :
Article 7
« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. (...) »
Article 10
« 1. Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.
a) Les prévenus sont, sauf dans des circonstances exceptionnelles, séparés des condamnés et sont soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées ;
b) Les jeunes prévenus sont séparés des adultes et il est décidé de leur cas aussi rapidement que possible.
Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. Les jeunes délinquants sont séparés des adultes et soumis à un régime approprié à leur âge et à leur statut légal. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1955 et réside à Paduli.
La requérante était locataire de plusieurs terrains, d’une surface de 35 730 mètres carrés, sis à Paduli et enregistrés au cadastre feuilles 50 et 51, parcelles 55, 187 et 213.
Par un décret du 19 décembre 1985, le ministère des Transports déclara que ces terrains étaient situés dans une zone répondant à l’intérêt public en vertu d’un projet visant à l’extension du réseau ferroviaire.
Le 21 avril 1988, la société ferroviaire (Ente Ferrovia Spa) approuva un projet pour doubler la ligne ferroviaire Caserte-Foggia.
Par un arrêté du 18 mai 1988, le Préfet de Bénévent autorisa la société ferroviaire à occuper d’urgence une portion desdits terrains pour une période de deux ans.
Le 23 juin 1988, le Consorzio COFERI – société concessionnaire des travaux de construction – procéda à l’occupation matérielle des terrains et entama les travaux.
Le 5 septembre 1989, la société ferroviaire versa à la requérante 12 000 000 lires italiennes (ITL), soit 6 197,48 euros (EUR) en acompte de l’indemnité d’expropriation. En effet, conformément à la loi, une indemnité était due aussi à la requérante, à l’époque locataire des terrains.
Par un décret du 28 février 1990, le Préfet de Bénévent prorogea la période d’occupation jusqu’à 20 avril 1993.
Le 16 février 1993, la requérante acheta les terrains en question.
Par un acte d’assignation notifié le 27 août 1994, la requérante introduisit une action en dommages-intérêts à l’encontre de la société ferroviaire et de la société concessionnaire devant le tribunal de Bénévent. Elle alléguait qu’en dépit de la transformation des terrains suite aux travaux de construction effectués sur ceux-ci, aucun décret d’expropriation et aucune indemnisation n’étaient intervenus. D’après elle, la partie des terrains non occupée était désormais inutilisable. Elle réclamait une indemnité pour l’occupation illégitime ainsi que des dommagesintérêts pour la part du terrain non assujettie à expropriation et rendue inutilisable. Elle réclamait aussi une indemnité pour la période d’occupation légale, tout en précisant avoir obtenu une somme en acompte de l’indemnité d’expropriation.
Par un décret du 10 avril 1996, le Préfet de Bénévent décréta l’expropriation de 5 907 mètres carrés des terrains de la requérante.
Le 12 juillet 1996, la société concessionnaire offrit à la requérante une somme de 20 743 260 ITL, soit 10 713 EUR, à titre d’indemnité d’expropriation. La requérante refusa ladite somme.
Au cours de la procédure, le tribunal ordonna une expertise technique. Selon le rapport, déposé au greffe du tribunal le 4 juillet 1997, les terrains, à l’origine destinés à la culture de tabac, avaient été transformés de façon irréversible à la suite de la réalisation des ouvrages publics. L’expert estima que, la valeur marchande de la propriété au 21 avril 1993, à savoir lorsque l’occupation est devenue illégale, était de 6 000 ITL, soit 3,10 EUR au mètre carré. Il chiffra aussi les indemnités à verser à la requérante sur la base de la loi no 662 de 1996.
Par un jugement du 29 janvier 2000, concernant l’indemnité pour la période d’occupation légale, le tribunal se déclara incompétent à juger ; concernant l’indemnité d’occupation illégitime, le tribunal rejeta la demande au motif que la requérante avait été privée de ses terrains conformément à la loi dans la mesure où, d’une part, le décret d’expropriation du 10 avril 1996 avait été pris dans le délai et, d’autre part, la société concessionnaire avait versé à la requérante une indemnité de 6 197,48 EUR.
Le 13 septembre 2000, la requérante saisit la cour d’appel de Naples.
Par un arrêt du 6 mars 2002, déposé au greffe le 16 mai 2002, la cour d’appel déclara que la période d’occupation légitime des terrains avait pris fin le 20 avril 1995 en raison des prorogations prévues par la loi. Partant, elle déclara que le décret d’expropriation du 10 avril 1996 avait été pris alors que l’occupation était devenue illégitime et que la propriété des terrains était passée à l’administration par l’effet de la construction de la ligne ferroviaire en vertu du principe de l’expropriation indirecte. Elle déclara ainsi que la loi no 662 de 1996 n’était pas applicable en l’espèce car il s’agissait de terrains affectés à un usage agricole. A la lumière de ces considérations, la cour d’appel décida que la requérante avait droit à un dédommagement de 12 144,22 EUR (somme obtenue par la différence entre la valeur marchande du terrain au 20 avril 1995, à savoir 18 341,7 EUR et l’indemnité déjà versée, à savoir 6 197,48 EUR) plus les intérêts légaux à compter de 20 avril 1995 et jusqu’au paiement pour la perte de la propriété ; à une indemnité de 692,05 EUR à réévaluer selon les valeurs ISTAT à compter de 20 avril 1995 et jusqu’au paiement pour la dévalorisation des terrains inoccupés ; à une indemnité de 6 794,18 EUR plus les intérêts légaux à compter de 22 juin 1988 et jusqu’au paiement pour la période d’occupation légale ; à une somme de 3 077,98 EUR pour les frais de la procédure de première instance et de 4 723,76 EUR pour les frais de la procédure en appel.
Le 19 septembre 2002, la société concessionnaire versa à la requérante 29 693,32 EUR.
Il ressort du dossier que cet arrêt est devenu définitif le 30 juin 2003.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009.
Par les arrêts nos 348 et 349 du 22 octobre 2007, la Cour constitutionnelle a jugé que la loi interne doit être compatible avec la Convention dans l’interprétation donnée par la jurisprudence de la Cour et, par conséquent, a déclaré inconstitutionnel l’article 5 bis du décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, tel que modifié par la loi no 662 de 1996.
La Cour constitutionnelle, dans l’arrêt no 349, a relevé que le niveau insuffisant d’indemnisation prévu par la loi de 1996 était contraire à l’article 1 du Protocole no 1 et par conséquent à l’article 117 de la Constitution italienne, lequel prévoit le respect des obligations internationales. Depuis cet arrêt, cette disposition de loi ne peut plus être appliquée dans le cadre des procédures nationales encore pendantes.
Suite aux arrêts de la Cour constitutionnelle, des modifications législatives sont intervenues en droit interne. L’article 2/89 e) de la loi de finances no 244 de 2007 a établi que dans un cas d’expropriation indirecte le dédommagement doit correspondre à la valeur vénale des biens, aucune réduction n’étant admise.
Cette disposition fut appliquée à toutes les procédures en cours au 1er janvier 2008, sauf celles où la décision sur l’indemnité d’expropriation ou sur le dédommagement avait été acceptée ou était devenue définitive. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1956 et réside à Matera.
La mère de la requérante était propriétaire d’un terrain constructible de 1 267 mètres carrées, sis à Bernalda et enregistré au cadastre, feuille 4, parcelle 222.
Par un arrêté du 28 février 1981, la Région de Basilicate déclara que le terrain était situé dans une zone répondant à l’intérêt public et autorisa la municipalité de Bernalda à occuper d’urgence 475 mètres carrés dudit terrain afin de le confier à une société de construction en vue d’y réaliser des habitations à loyer modéré (HLM). Suite à la modification de cet arrêté le 12 février 1984, l’autorisation fut notamment étendue à 477 mètres carrés de terrain.
Par un arrêté du 8 juin 1981, la Région autorisa la municipalité à occuper d’urgence une autre partie de la propriété (866 mètres carrés), qui fut réduite en 1987 à 760 mètres carrés.
En septembre 1986, il y eut transformation irréversible du terrain.
Par un acte d’assignation notifié le 2 novembre 1989, la mère de la requérante introduisit une action en dommages-intérêts à l’encontre de la municipalité de Bernalda devant le tribunal de Matera. Elle alléguait que, bien que les travaux de construction effectués sur le terrain l’eussent transformé, aucun décret d’expropriation et aucune indemnisation n’étaient intervenus. Elle allégua que 30 mètres carrés du terrain n’avaient pas été occupés et que ceux-ci étaient désormais inutilisables. Elle réclamait une indemnité pour l’occupation illégitime de son terrain, des dommagesintérêts pour la part du terrain non assujettie à expropriation et rendue inutilisable ainsi qu’une réévaluation de l’indemnité provisoire d’expropriation.
Le 29 mars 1990, le tribunal ordonna une expertise. Dans son rapport déposé le 12 septembre 1990, l’expert établit que la parcelle 222 était complètement occupée par la construction réalisée. Il nota que les travaux de construction avaient commencé le 20 juin 1981 et pris fin le 12 septembre 1986. Se basant sur la valeur du terrain au mètre carré fixée à 37 300 lires italiennes (ITL), l’expert estima que la valeur marchande du terrain lors de sa transformation (le 12 septembre 1986) était de 47 252 500 ITL, soit environ 24 000,00 euros (EUR), plus intérêts et réévaluation monétaire.
Le 14 janvier 1998, le tribunal ordonna un complément d’expertise afin de déterminer l’indemnité d’occupation sur la base de la loi no 662 de 1996.
Par une décision partielle du 18 février 1998, le tribunal déclara son incompétence ratione materiae quant à la réévaluation de l’indemnité provisoire d’expropriation et continua l’instruction pour se prononcer sur la demande de dommages-intérêts et pour l’indemnité d’occupation illégitime.
Dans son rapport déposé le 28 décembre 1998, l’expert estima que la valeur marchande du terrain était de 47 252 500 ITL, soit 24 403,88 EUR, à actualiser en tenant compte de la variation des prix du marché entre 1986 et 1998 (correspondant à 70,86%) et d’un taux d’intérêt légal de 5 %. Selon l’expert, la somme à verser à la mère de la requérante par la municipalité était de 73 347 000 ITL, soit 37 880,56 EUR, à réévaluer selon les indices ISTAT à compter du 30 novembre 1998 jusqu’à la date du paiement, plus les intérêts légaux.
La mère de la requérante décéda le 26 mai 2003 ; la requérante hérita le terrain et, partant, lui succéda dans la procédure.
Par un jugement du 9 juillet 2003, déposé au greffe le 12 juillet 2003, le tribunal de Matera, se basant sur la nouvelle expertise, condamna la municipalité de Bernalda au paiement de 73 347 000 ITL, soit 37 880,56 EUR, à réévaluer selon les indices ISTAT à compter du 30 novembre 1998 jusqu’à la date du paiement, plus les intérêts légaux.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt GuisoGallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants étaient employés par la Province de Milan et exerçaient les fonctions d’assistants administratifs, de collaborateurs, d’assistants techniques et de responsables administratifs dans de différentes écoles (le « personnel ATA »). Ils avaient droit à un salaire de base, assorti d’indemnités accessoires.
Suite au transfert du personnel de la fonction publique territoriale vers la fonction publique de l’État, prévu par la loi no 124 du 3 mai 1999, les requérants furent employés, à partir du 31 décembre 1999, par le ministère de l’Éducation Nationale ( « le ministère »). Les employés déjà en poste dudit ministère, exerçant les mêmes fonctions que les requérants, avaient droit à un traitement de base progressif selon l’ancienneté de service.
Selon l’article 8 de la loi no 124 susmentionnée, l’ancienneté de service acquise par les requérants auprès des collectivités locales devait être reconnue à toutes fins juridiques et économiques. Toutefois, le ministère attribua aux requérants une ancienneté fictive, en transformant la rétribution de base perçue des collectivités locales à la date du 31 décembre 1999 en années d’ancienneté et, au mépris du contrat collectif national de l’École, il calcula leur traitement pécuniaire sans tenir compte de leur ancienneté de service réelle, acquise jusqu’à cette date. En outre, en transformant la rétribution de base en années d’ancienneté fictive, le ministère enleva des dernières fiches de paie des requérants tous les éléments indemnitaires dont leurs salaires étaient régulièrement assortis jusqu’au 31 décembre 1999.
Les requérants saisirent les tribunaux du travail de Milan afin d’obtenir la reconnaissance juridique et économique de l’ancienneté acquise auprès de leurs employeurs locaux d’origine et, en conséquence, le versement de la différence de rétribution née à partir du 1er janvier 2000. Ils firent valoir qu’ils percevaient un salaire qui ne correspondait pas à leur ancienneté et que ce salaire était ainsi inférieur à celui des fonctionnaires qui avaient toujours été employés par le ministère.
Par plusieurs arrêts, les tribunaux accueillirent les recours des requérants et condamnèrent le ministère à reconnaître l’ancienneté acquise par les requérants auprès des collectivités locales.
Le ministère interjeta appel de ces jugements.
Par plusieurs arrêts, les cours d’appel confirmèrent les jugements des tribunaux, au motif que le ministère n’avait pas respecté l’article 8 de la loi no 124. Cette solution était conforme à la jurisprudence établie par de nombreux arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d’État.
Le 23 décembre 2005, le ministère se pourvu en cassation. Alors que ces procédures étaient pendantes, le Parlement adopta la loi de finances pour 2006 (« la loi no 266 »). L’article 1, alinéa 218, de ladite loi était intitulé « interprétation authentique (interpretazione autentica) de l’article 8 de la loi no 124 de 1999 » ; il prévoyait que le personnel ATA devait être intégré dans les tableaux de paye de la nouvelle administration sur la base du traitement salarial global des intéressés au moment de la mutation.
Dans le système juridique italien, les lois, dites d’interprétation authentique, ont un effet rétroactif, en ce sens que l’interprétation qu’elles fournissent est considérée comme faisant corps avec les dispositions interprétées depuis l’entrée en vigueur de celles-ci.
Par plusieurs arrêts, la Cour de cassation, compte tenu de la loi no 266, fit droit aux pourvois du ministère.
En conséquence, les requérants ont été contraints à restituer au Gouvernement les sommes qu’ils avaient reçues en exécution des jugements de première instance (paragraphe 8 ci-dessus). Ils ont aussi perdu la reconnaissance de l’ancienneté acquise auprès des autorités locales d’origine. De surcroît, ils ont vu leurs salaires devenir inférieurs à ceux d’autres membres du personnel ATA qui avaient obtenu gain de cause par des décisions ayant acquis l’autorité de la chose jugée avant l’entrée en vigueur de la loi no 266.
Des informations pertinentes sur les faits relatifs à ces procédures sont contenues dans le tableau récapitulatif en annexe.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Jusqu’au 31 décembre 1999, une partie du personnel ATA et des enseignants technico-praticiens des établissements scolaires italiens dépendait du ministère et ce personnel était rémunéré sur la base d’un contrat collectif national de travail de l’Ecole. En revanche, une autre partie de l’effectif dépendait et était rémunérée sur la base d’un contrat collectif des régions autonomes locales, par les communes ou les provinces.
La loi no 124 du 3 mai 1999 prévoyait, dans son article 8, alinéa 2, que le personnel des collectivités locales en service dans les institutions scolaires publiques à la date de son entrée en vigueur serait transféré dans les corps du personnel ATA de la fonction publique. Il était reconnu à ce personnel, à toutes fins juridiques et financières, l’ancienneté acquise auprès de leurs anciens employeurs, à savoir les collectivités locales de provenance.
Le 20 juillet 2000, l’association représentant l’administration (ARAN) conclut un accord avec les organisations syndicales concernées afin de déroger au principe de la conservation de l’ancienneté, posé par la loi no 124. Cet accord fut ensuite entériné par un décret ministériel du 5 avril 2001.
Ultérieurement, par des notes des 27 février et 12 septembre 2003, déposées auprès des tribunaux de Milan, l’ARAN a fait valoir que l’accord en question ne pouvait être qualifié d’« accord collectif » et qu’elle entendait bien maintenir sa position et déroger au principe susmentionné de la conservation de l’ancienneté.
La loi no 266 de finances pour 2006, prévoyait en son article 1 que l’alinéa 2 de l’article 8 de la loi no 124 devait être interprété de façon à ce que le personnel ATA à transférer dans l’effectif relevant de la fonction publique de l’Etat soit considéré comme dépendant du statut correspondant à la fonction publique. Dans le système juridique italien, pareilles lois, dites d’interprétation authentique, ont un effet rétroactif, en ce sens que l’interprétation qu’elles fournissent est considérée comme faisant partie intégrante des dispositions interprétées, depuis l’entrée en vigueur de celles-ci.
L’article 2112 du code civil dispose que le contrat de travail continue avec le cessionnaire éventuel et que le travailleur conserve tous les droits qui en dérivent.
A. Jurisprudence de la Cour de cassation avant l’adoption de la loi no 266 de 2005
Avant l’intervention de la loi no 266 en question (paragraphe 19 cidessus), la jurisprudence civile déclarait nul l’accord passé entre l’ARAN et les organisations syndicales (paragraphe 16 ci-dessus), car il était en contradiction avec le principe du classement dans les corps ministériels sur la base de l’ancienneté acquise, au sens de l’article 8 de la loi no 124 (paragraphe 16 ci-dessus).
En 2005, la Cour de cassation avait d’ailleurs rejeté tous les pourvois formés par le ministère, confirmant le droit au classement dans les corps de fonctionnaires de l’Etat sur la base de l’ancienneté acquise par le personnel concerné avant le reclassement, c’est-à-dire avant le transfert (Cassation, chambre sociale, arrêts no 4722 du 4 mars 2005, nos 18652-18657 du 23 septembre 2005 et no 18829 du 27 septembre 2005).
Le Conseil d’Etat s’était également prononcé dans le même sens, notamment, dans ses arrêts no 4142/2003 du 6 juillet 2005 et no 5371 du 6 décembre 2006.
B. Les arrêts de la Cour constitutionnelle
La Cour constitutionnelle italienne, dans son arrêt no 234 de 2007, a déclaré conforme à la Constitution la loi no 266 de finances pour 2006, se basant sur le fait que dans le système juridique italien, le législateur disposait du pouvoir d’édicter des lois interprétatives même incompatibles avec le texte de la loi interprétée et qu’en fait, l’article 8 alinéa 2 de la loi no 124 de 1999 représentait une dérogation au principe général en vigueur à l’époque pertinente. La Cour constitutionnelle a également estimé que la loi no 266 ne créait aucune différence de traitement entre les travailleurs qui avaient bénéficié d’un arrêt définitif favorable et ceux qui n’avaient pas encore obtenu un jugement définitif.
Le 3 juin 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation invita la Cour constitutionnelle à revoir sa position, compte tenu de l’article 6 § 1 de la Convention.
Par un arrêt du 26 novembre 2009 (no 311), la Cour constitutionnelle a rejeté le renvoi décidé par la Cour de cassation. Elle a considéré que l’interdiction de l’ingérence du législateur dans les affaires pendantes auxquelles l’Etat est partie n’était pas absolue ; selon elle, il ressortait de différentes exemples de jurisprudence que la Cour européenne des Droits de l’Homme n’avait pas voulu poser une interdiction absolue à cet égard (voir, par exemple, Forrer-Niedenthal c. Allemagne, no 47316/99, 20 février 2003 ; National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997VII ; OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France, nos 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004) et avait considéré comme non contraires à l’article 6 de la Convention certaines interventions rétroactives des législateurs nationaux. La légalité de telles interventions avait notamment été reconnue lorsque se présentaient certaines circonstances historiques, comme dans le cas de la réunification allemande. Quant à la ratio legis de la nouvelle loi no 266, la Cour constitutionnelle a admis le besoin pressant d’harmoniser le système de rétribution du personnel ATA indépendamment de ses antécédents professionnelles. De surcroît, la Cour constitutionnelle a fait référence à la nécessité de remédier à la faille technique de la loi originaire no 124, laquelle qui prévoyait la possibilité de laisser cette matière à la discrétion des parties et du pouvoir réglementaire.
C. Jurisprudence de la Cour de cassation après l’adoption de la loi no 266 de 2005
Après l’entrée en vigueur de la loi no 266, la Cour de cassation a infirmé tous les arrêts favorables aux travailleurs et a accueilli les pourvois du ministère.
D. Arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 6 septembre 2011
Par un arrêt du 6 septembre 2011, la Cour de Justice de l’Union Européenne (« la CJUE ») s’est prononcée sur la question préjudicielle soulevée par le tribunal de Venise concernant le statut du personnel ATA. La CJUE a précisé la portée de la protection des droits des travailleurs repris par un nouvel employeur. En particulier, s’agissant du calcul de la rémunération des travailleurs ayant fait l’objet d’un transfert, elle a considéré qu’il était loisible à l’employeur cessionnaire d’appliquer – à compter de la date du transfert –, les conditions de travail prévues par la convention collective en vigueur chez lui, y compris celles relatives à la rémunération. Ceci étant, les modalités choisies pour une telle réintégration salariale des travailleurs transférés devaient en tout état de cause être conformes à l’objectif de la réglementation de l’Union en matière de protection des droits des travailleurs transférés, étant entendu que cette réglementation consiste, essentiellement, à empêcher que ces travailleurs soient placés, du seul fait du transfert, dans une position défavorable comparée à celle dont ils bénéficiaient auparavant.
La CJUE a souligné qu’en l’espèce, au lieu de reconnaître cette ancienneté en tant que telle et sans réserve, le ministère avait calculé pour chaque travailleur transféré une ancienneté « fictive », ce qui avait joué un rôle déterminant dans la fixation des conditions de la rémunération dorénavant applicables à ces derniers. Étant donné que les tâches exercées avant le transfert, dans les écoles publiques par le personnel ATA des collectivités territoriales étaient analogues, voire identiques, à celles exercées par le personnel ATA employé par le ministère, l’ancienneté acquise par un personnel auprès de l’employeur cédant jusqu’au transfert aurait pu être qualifiée d’équivalente à celle acquise par un membre du personnel ATA possédant le même profil et employé depuis toujours par le ministère.
La CJUE a conclu que lorsqu’un transfert au sens de la directive 77/187, (concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements) conduit à l’application immédiate, aux travailleurs transférés, de la convention collective en vigueur auprès du cessionnaire et lorsque les conditions de rémunération prévues par cette convention sont notamment liées à l’ancienneté, le droit de l’Union s’oppose à ce que les travailleurs transférés subissent, par rapport à leur situation immédiatement antérieure au transfert, une régression salariale substantielle en raison du fait que leur ancienneté acquise auprès du cédant – équivalente à celle acquise par des travailleurs au service du cessionnaire – n’est pas prise en compte lors de la détermination de leur position salariale de départ auprès de ce dernier. Selon la CJUE, il appartenait aux juridictions nationales d’examiner s’il y a eu, lors du transfert en cause, une telle régression salariale.
La CJUE a rappelé, en outre, qu’il n’y avait plus besoin de se prononcer sur la compatibilité de la loi de finances no 266 (paragraphes 11 et 19 ci-dessus) avec les principes généraux du droit, tels que le principe de protection juridictionnelle effective et le principe de sécurité juridique, car la Cour Européenne des Droits de l’Homme avait répondu entre-temps à cette question dans son arrêt Agrati et autres c. Italie (nos 43549/08, 6107/09 et 5087/09, 7 juin 2011).
À la suite de cet arrêt, le juge de la procédure interne a quo a ordonné l’accomplissement d’une expertise afin d’évaluer les positions salariales des requérants.
En outre, par deux arrêts des 12 octobre (no 20980/121) et 14 octobre 2011 (no 21282), la Cour de cassation, à la suite l’arrêt de la CJUE, a renvoyé aux cours d’appels la procédure afin qu’elles évaluent si, dans les cas d’espèce, les requérants avaient effectivement subis une régression salariale. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont des frères, nés respectivement en 1978 et en 1984. Ils résident à Chișinău.
A. Allégations de mauvais traitements infligés au premier requérant
Le 22 octobre 2001, le tribunal de Râşcani émit un mandat d’arrêt au nom du premier requérant, soupçonné d’avoir commis un viol.
Le 8 avril 2003, vers 13 h 30, le premier requérant fut arrêté par deux agents de police. Selon les policiers, l’intéressé a résisté et a blessé l’un d’eux avec un couteau. Le policier blessé aurait fait usage de son arme et aurait tiré dans les jambes du premier requérant.
Selon le premier requérant, il fut conduit, après son arrestation, au siège du bataillon des forces spéciales du ministère des Affaires intérieures, où il aurait été soumis à des mauvais traitements. Il aurait notamment été suspendu à une barre de fer, pieds et mains liés, dans la position de l’« hirondelle ». Puis il aurait été relié à une source de courant électrique. Il aurait également été filmé par les agents de police pendant l’infliction de mauvais traitements.
Selon une lettre du directeur du Centre national de médecine d’urgence du 9 juin 2006, le premier requérant fut hospitalisé dans cet établissement le 8 avril 2003, à 19 h 10, avec le diagnostic suivant :
« plaie causée par arme à feu à la jambe gauche dans le tiers moyen sur la partie latérale ; corps étranger (balle) (...) ; plaie contuse dans la région pariétale gauche. »
Les médecins opérèrent l’intéressé et retirèrent la balle. Selon un certificat de visite médicale délivré le 31 mai 2006, ils recommandèrent, après l’intervention chirurgicale, le transfert du premier requérant à l’hôpital pénitentiaire. Il ressort du dossier que le transfert prévu n’a pas été effectué et que le premier requérant a été reconduit au siège du bataillon des forces spéciales.
Le 9 avril 2003, un procureur du parquet de Chișinău plaça le premier requérant en garde à vue. Dans le procès-verbal correspondant, il notait que le placement en garde à vue avait eu lieu au siège du parquet de Chișinău ce jour-là, à 14 heures.
Le même jour, la police interrogea le premier requérant.
À une date non précisée en avril 2003, le premier requérant fut transféré dans les locaux du commissariat général de police de Chişinău. À ses dires, il a régulièrement été conduit, pendant un mois, au siège du bataillon des forces spéciales où il aurait été maltraité et tenu enfermé dans une pièce dépourvue d’eau potable, de lit, de matelas, de toilettes et des autres commodités. Il aurait perdu connaissance à plusieurs reprises et on l’aurait arrosé d’eau pour lui faire reprendre ses esprits.
Il aurait également été contraint de se procurer par ses propres moyens les médicaments nécessaires pour soigner les blessures causées par les mauvais traitements allégués.
Le 22 septembre 2004, le premier requérant fut remis en liberté et, le 8 février 2006, il fut placé de nouveau en détention.
Le 17 mai 2006, le premier requérant saisit le parquet. Il se plaignait de l’usage d’une arme à feu à son encontre lors de son arrestation en 2003 et de mauvais traitements infligés par les policiers.
Le 5 juillet 2006, le procureur en charge de l’affaire classa sans suite la plainte du premier requérant. Il notait que, lors de son arrestation, qui avait eu lieu le 8 avril 2003, vers 24 heures, l’intéressé avait résisté aux deux policiers qui lui avaient tendu une embuscade, qu’il avait blessé un des deux agents à la poitrine avec un couteau, qu’il avait tenté de prendre la fuite et que le policier blessé avait, après quelques coups de feu en guise d’avertissement, tiré dans sa direction, le blessant à la jambe. Le procureur indiquait également que, par la suite, le premier requérant avait été inculpé de rébellion et d’attentat contre la vie d’un agent. Le procureur concluait que l’usage de l’arme à feu avait été légitime et conforme aux dispositions légales.
À une date non spécifiée, le premier requérant contesta cette décision.
Par un non-lieu définitif du 1er août 2006, un juge d’instruction du tribunal de Râşcani confirma le classement sans suite effectué par le parquet. Il estima que le procureur avait vérifié d’une manière objective et approfondie les faits exposés par le premier requérant et que la plainte de ce dernier avait été rejetée à bon droit.
Par la suite, le premier requérant déposa auprès du parquet et devant les tribunaux plusieurs plaintes dénonçant les mauvais traitements qu’il aurait subis. Les autorités en question rejetèrent ces plaintes comme irrecevables en faisant principalement référence au classement sans suite du 5 juillet 2006.
Dans l’intervalle, le 13 juillet 2006, le tribunal de Buiucani avait, entre autres, acquitté le premier requérant des charges de viol pesant sur lui et classé la procédure pour autant qu’elle concernait l’attentat contre la vie d’un agent. Par un arrêt du 1er décembre 2008, la cour d’appel de Cahul infirma la décision de l’instance inférieure et jugea le premier requérant coupable, notamment, d’avoir commis un viol aggravé et d’avoir attenté à la vie d’un agent de police. Elle le condamna à douze ans d’emprisonnement. Sur recours du premier requérant, la Cour suprême de justice confirma le 24 juin 2009 l’arrêt de l’instance d’appel.
B. Contexte de l’affaire concernant le second requérant
Entre-temps, les 1er et 2 novembre 2005, les requérants et une autre personne avaient perpétré un vol par effraction dans une villa de la banlieue de Chişinău. Ils s’étaient emparés de 320 000 dollars américains (USD), de 20 000 euros (EUR) et de deux lingots d’or.
À une date non précisée, un avis de recherche fut émis au nom des requérants.
Allégations de mauvais traitements infligés lors de l’arrestation et de la détention du second requérant
À ses dires, le second requérant fut arrêté le 28 décembre 2005 en Ukraine par des agents de police moldaves, qui l’auraient embarqué de force dans le coffre d’une voiture et transporté en Moldova. Il aurait été maltraité lors de son arrestation et pendant le voyage, et aurait notamment reçu des coups lors du passage de la douane à la frontière moldo-ukrainienne. Puis, à proximité de Căuşeni (Moldova), on l’aurait attaché à une voiture et traîné par terre pour lui faire avouer où le premier requérant aurait caché l’argent volé (paragraphe 21 ci-dessus). Ensuite, les policiers lui auraient tiré dans les jambes avec des balles en caoutchouc et auraient éteint des cigarettes sur les plaies provoquées par les balles, puis ils lui auraient mis un pistolet dans la bouche, le menaçant de le tuer. Il aurait perdu connaissance à plusieurs reprises. Par la suite, il aurait été conduit dans un garage situé à Chişinău, où il aurait été déshabillé et battu avec des tubes en caoutchouc. Les policiers auraient en outre arrosé ses jambes d’essence et auraient menacé de mettre le feu.
Le même jour, le second requérant fut conduit au commissariat général de police de Chişinău où il affirme avoir également été soumis à des mauvais traitements. Il soutient en particulier qu’il a été électrocuté au moyen de fils électriques fixés sur ses oreilles et ses doigts, et qu’il a été attaché et suspendu à une barre de fer.
Il affirme en outre avoir été examiné à cinq reprises par des médecins qui n’auraient pas pu l’hospitaliser faute d’avoir obtenu l’aval des policiers. Le 3 ou le 4 janvier 2006, du sang aurait commencé à couler de ses oreilles, de son nez et de sa bouche, et il aurait été hospitalisé d’urgence. Peu de temps après, il aurait été emmené, contre l’avis des médecins, au commissariat.
Selon un extrait du registre des demandes d’aide médicale des personnes gardées à vue et des détenus des locaux de détention provisoire (izolator de detenție provizorie (IDP)) du commissariat général de police de Chişinău, un infirmier a examiné le second requérant à plusieurs reprises entre le 6 janvier et le 21 mars 2006. Il a noté, entre autres, que ce dernier souffrait des maladies suivantes : névralgie intercostale, céphalées, angine catarrhale, neurodystonie, tension artérielle élevée, pharyngite.
Le 24 mars 2006, les autorités compétentes transférèrent le second requérant dans l’établissement pénitentiaire no 13. Selon l’intéressé, son transfert a eu lieu après la disparition des traces de violences sur son corps.
Par une lettre du 28 août 2008 adressée au second requérant, le commissaire général de Chişinău confirma que ce dernier avait été détenu dans l’IDP du commissariat général de police de Chişinău du 28 décembre 2005 au 24 mars 2006. Il précisait que l’intéressé avait été sorti de sa cellule dix fois entre le 6 janvier et le 21 mars 2006.
La garde à vue et la détention provisoire du second requérant
Dans l’intervalle, l’officier de police en charge de l’affaire avait placé le second requérant en garde à vue. Il avait consigné dans son procès-verbal que le placement du second requérant en garde à vue avait eu lieu au siège du commissariat général de police de Chişinău le 5 janvier 2006, à 10 h 20.
Par un jugement avant dire droit du 6 janvier 2006, le tribunal de Râşcani avait accueilli la demande du procureur visant au placement du second requérant en détention provisoire pour une durée de dix jours. Le tribunal indiquait que la durée de la détention devait se calculer à compter du 5 janvier 2006, à 10 h 20.
La plainte du second requérant concernant les allégations de mauvais traitements
Le 23 mai 2006, le second requérant se plaignit, par le biais d’une lettre ouverte adressée à plusieurs autorités, dont le Parlement, d’avoir subi des mauvais traitements et d’avoir été détenu illégalement.
Sa plainte fut transmise au parquet de Chişinău qui fut chargé d’élucider les faits.
Selon une note de l’Hôpital Clinique Républicain du 31 mai 2006, le second requérant avait été admis dans cet établissement le 1er janvier 2006 pour une douleur abdominale. À la suite des examens, le médecin de garde avait conclu à l’absence de signe d’hémorragie interne et de lésion des organes internes. Il avait également exclu toute pathologie chirurgicale aigüe.
Le 21 juin 2006, un médecin légiste examina le second requérant. Dans le rapport correspondant, il notait que ce dernier présentait une cicatrice sur l’hémithorax droit de 2 cm sur 1,5 cm et des zones dépigmentées sur l’avant de la jambe droite. Il considérait que la cicatrice était probablement due à un corps incandescent, mais qu’il était impossible de déterminer la date et les circonstances de son origine. Il qualifiait cette blessure de lésion corporelle sans préjudice pour la santé.
Le 22 juin 2006, le procureur en charge de l’affaire adopta une ordonnance de classement sans suite à raison de l’absence de tout fait répréhensible dans les actes des agents de police. Il tirait sa conclusion des explications de l’un des policiers concernés qui avait nié toute infliction de mauvais traitements au second requérant et affirmé que les autorités ukrainiennes avaient conduit le second requérant jusqu’à la frontière moldo-ukrainienne, où l’intéressé aurait été pris en charge par les autorités moldaves. Le procureur notait également que le second requérant avait été placé en détention provisoire le 2 janvier 2006 et que, pendant sa détention dans l’IDP du commissariat général de police de Chişinău, il ne s’était plaint ni auprès du procureur compétent ni auprès du juge d’instruction d’agissements des policiers. Le procureur faisait enfin référence au rapport médicolégal du 21 juin 2006 selon lequel une seule cicatrice avait été constatée chez le second requérant, dont il n’aurait pas été possible de déterminer l’origine et la date d’apparition. Il soulignait que le médecin légiste n’avait relevé la présence d’aucune lésion provoquée par une arme à feu ou par brûlure.
À une date non spécifiée, le requérant contesta la décision du procureur.
Par un non-lieu définitif du 1er août 2006, un juge d’instruction du tribunal de Râşcani confirma le classement sans suite.
C. Condamnation pénale des requérants concernant le vol de novembre 2005
Par un jugement du 26 décembre 2006, le tribunal de Botanica jugea les requérants coupables d’avoir commis, les 1er et 2 novembre 2005, le vol par effraction précité. Il condamnait le premier requérant à dix-sept ans d’emprisonnement et le second requérant à dix ans et demi d’emprisonnement.
Le 2 juillet 2009, la cour d’appel de Chişinău accueillit partiellement les appels interjetés par les requérants et réduisit leurs peines, condamnant le premier requérant à une peine d’emprisonnement de sept ans et trois mois et le second requérant à une peine d’emprisonnement de sept ans et demi.
D. Action civile en dédommagement contre l’État en raison des mauvais traitements subis
Entre-temps, le 20 septembre 2006, les requérants avaient engagé contre le ministère des Finances, le parquet général et le ministère des Affaires intérieures une action civile en réparation du préjudice causé par les mauvais traitements allégués. Ils invoquaient expressément, entre autres, l’article 3 de la Convention. Le second requérant se plaignait également d’avoir été détenu sans mandat légal avant son placement en garde à vue en bonne et due forme.
Par un jugement du 4 septembre 2009, le tribunal de Râşcani accueillit partiellement l’action. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, ce jugement se lit comme suit :
« [Concernant le premier requérant]
(...) [Il est confirmé] que [le premier requérant] a été hospitalisé le 8 avril 2003, à 19 h 10, à l’hôpital des urgences avec le diagnostic « plaie primaire causée à la jambe gauche par une arme à feu ».
Après l’intervention des médecins, les agents de police avaient l’obligation d’hospitaliser [le premier requérant] à l’hôpital pénitentiaire, mais celui-ci n’y fut pas transféré.
Le plaignant dit qu’il a été conduit de l’hôpital des urgences au siège du bataillon des forces spéciales où il aurait été torturé, détenu dans une pièce en béton, sans eau ni nourriture, sans lumière, sans matelas, sans toilettes, sans lit, sans chaise, sans table ; (...)
Ces tortures lui auraient été infligées délibérément en guise de représailles parce qu’il aurait blessé un policier avec un couteau.
Afin de dissimuler les traces de torture, le 9 avril 2003, [les autorités compétentes ont] dressé un procès-verbal de garde à vue, consignant que le placement en garde à vue avait eu lieu ce jour-là, à 14 heures.
Dans son jugement du 13 juillet 2006, le tribunal de Buiucani a constaté que :
« Ayant été blessé par balle le 8 avril 2003 et ayant subi une intervention chirurgicale à la jambe, alors qu’il avait été recommandé de le transférer à l’hôpital pénitentiaire, [le premier requérant] a été interrogé le 9 avril 2003, soit le lendemain. Le tribunal considère les actions de l’organe de poursuites pénales comme illégales, car le dossier de l’affaire ne contient aucun avis médical susceptible de confirmer que l’intéressé [était] apte à participer aux mesures de poursuites pénales. »
Le parquet n’a pas ordonné d’expertise médicolégale afin de recueillir l’avis des experts sur l’état de santé [du premier requérant] au 9 avril 2003 (...)
L’interrogatoire [du premier requérant] le lendemain de l’intervention chirurgicale, les coups portés avec des armes automatiques à la jambe opérée et le fait de l’avoir traîné sur le béton constituent (...) une torture.
(La) torture et l’humiliation ont été enregistrées avec une caméra et la cassette vidéo est jointe au dossier.
(...)
[Le premier requérant] a porté plainte auprès du parquet (...) mais le [5 juillet 2006] sa plainte a été classée sans suite au motif que les faits allégués n’avaient pas été confirmés. Le parquet ne s’est même pas prononcé sur la demande [du premier requérant] d’être examiné par un médecin légiste.
En sus, le parquet n’a pas établi où se trouvait [le premier requérant] pendant les six heures qui ont suivi sa blessure par balle à la jambe.
(...)
Le tribunal accepte les déclarations du [premier requérant], car elles sont corroborées par des preuves directes et indirectes et concordent avec les circonstances de fait (...)
[Concernant le second requérant]
[Le second requérant] a porté plainte auprès du parquet (...), du ministère des Affaires intérieures (MAI), dénonçant la torture [qu’il aurait subie] et contestant la légalité de sa garde à vue et de sa détention (...)
Par une ordonnance du 22 juin 2006, le procureur V.P. du parquet de Chișinău, qui avait mené l’enquête pénale et rédigé le réquisitoire [dans le cadre de l’affaire pénale dirigée contre le second requérant] a classé sans suite la plainte. (...)
Selon [cette] ordonnance, [le second requérant] a été arrêté le 2 janvier 2007 en Ukraine et, sur le fondement d’un accord, il a été extradé vers la Moldova.
Aux termes du procès-verbal de garde à vue, [le second requérant] a été placé en garde à vue le 5 janvier 2006 et, le 6 janvier 2006, il a été placé en détention provisoire pour une durée de dix jours (...)
Le procureur et le MAI n’ont pas présenté l’accord du 2 janvier 2006 concernant l’extradition [du second requérant] par l’Ukraine vers la Moldova, et [le service des frontières], invoquant le secret d’État, a refusé de présenter des informations relatives à son extradition (...)
L’affirmation du procureur selon laquelle [le second requérant] a été extradé le 2 janvier 2006 est réfutée par l’attestation médicale de l’hôpital clinique républicain du 1er janvier 2006 dans laquelle il est expressément indiqué que, [ce jour-là] à 19 heures, [le second requérant] a été conduit de l’IDP du commissariat général de police de Chișinău à l’hôpital (...). L’affirmation du procureur est également combattue par la lettre du commissaire général de la police de Chișinău du 28 août 2008, de laquelle il ressort que, le 28 décembre 2005, [le second requérant] se trouvait déjà dans ce commissariat (...)
Il existe beaucoup de preuves en faveur de la violation des droits [des requérants] et les défendeurs ne les ont pas combattues dans leurs mémoires. »
Le tribunal considérait que les intéressés avaient été soumis à des mauvais traitements, qu’ils n’avaient pas eu accès à un médecin légiste et que leurs demandes visant à l’examen de leurs plaintes pour mauvais traitements n’avaient pas été satisfaites. Le tribunal estimait qu’il y avait eu violation des articles 3, 6 et 13 de la Convention à l’égard des requérants. Il allouait pour dommage moral 500 lei moldaves (MDL) (environ 30 EUR) au premier requérant et 1 000 MDL (environ 60 EUR) au second requérant.
À des dates non spécifiées, les requérants interjetèrent appel. Le 23 septembre 2009, le parquet interjeta également appel.
Le 3 mars 2010, la cour d’appel de Chişinău accueillit l’appel du parquet. Elle classa la procédure, considérant que l’action relevait non pas de la compétence de l’instance civile, mais de celle du juge d’instruction.
Le 6 juillet 2010, les requérants se pourvurent en cassation.
Par une décision du 23 février 2011, la Cour suprême de justice accueillit le pourvoi, infirma l’arrêt de la cour d’appel du 3 mars 2010 et renvoya l’affaire devant cette instance. Elle notait que les questions soulevées par l’action des requérants étaient différentes de celles qui relevaient de la compétence du juge d’instruction et que les tribunaux nationaux, y compris elle-même, avaient déjà examiné des affaires semblables et appliqué les lois internes à la lumière des dispositions de la Convention.
Le 7 juin 2011, la cour d’appel de Chişinău rejeta les appels des requérants et du parquet et confirma le jugement du tribunal de Râşcani du 4 septembre 2009.
Le 26 juin 2011, les requérants formèrent un recours.
Par une décision définitive du 16 mai 2012, la Cour suprême de justice infirma les décisions des instances inférieures dans la partie relative au quantum du préjudice moral. Elle allouait à chacun des requérants 15 000 MDL (environ 900 EUR) à ce titre. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérantes sont nées en 1977, 1974 et 1971, et résident à Budakeszi, Budapest et Gödöllő, respectivement.
À l’époque des faits, les requérantes étaient des députés membres du parti d’opposition LMP.
Le 21 juin 2013, l’Assemblée procéda au vote définitif d’un nouveau texte, le projet de loi no T/7979 portant transfert de terres agricoles et de terrains forestiers. Très controversé, ce projet avait suscité de vives réactions parmi les membres de l’opposition. Au cours de ce vote définitif, à titre de protestation, Mme Lengyel posa sur la table devant le premier ministre une petite brouette dorée remplie de terre, tandis que Mme Szél et Mme Osztolykán déployèrent devant la chaire du président de l’Assemblée (« le Président ») une bannière sur laquelle on pouvait lire « La réforme agraire plutôt que le vol de terres ! », cependant que Mme Lengyel s’exprimait à l’aide d’un porte-voix. Celle-ci était auparavant intervenue deux fois au cours des débats article par article et une fois au cours des débats définitifs sur ce projet de loi, déposant trois demandes de modification d’amendements d’autres députés et deux propositions d’amendement juste avant le vote définitif.
Le 25 juin 2013, en vertu de l’article 49 § 4 de la loi no XXXVI de 2012 relative à l’Assemblée (« la loi de 2012 »), le Président présenta une proposition tendant à infliger à Mme Szél et à Mme Lengyel une amende d’un montant de 131 410 forints hongrois (« HUF »), soit environ 430 euros (« EUR »), et à Mme Osztolykán une amende d’un montant de 154 600 HUF, soit environ 510 EUR, pour avoir gravement perturbé la séance plénière.
Le Président proposait l’imposition du montant maximal (un tiers des émoluments mensuels) en raison de la situation extraordinaire née au cours du scrutin. Le motif exposé par lui était que les requérantes avaient gravement perturbé les travaux de la séance plénière en déployant leur affiche et en utilisant un porte-voix.
Le 26 juin 2013 fut adoptée en séance plénière, sans débat, une décision portant approbation de la proposition du Président.
Le 4 novembre 2013, la Cour constitutionnelle rejeta un recours constitutionnel que M. E.N., un député membre du parti d’opposition Jobbik, avait formé contre une sanction pour comportement perturbateur (décisions nos 3206/2013. (XI.18.) AB et 3207/2013. (XI.18.) AB ; voir paragraphe 16 ci-dessous).
La Cour constitutionnelle constata que l’amende avait été infligée à M. E.N. sur la base des articles 48 § 3, 50 § 1 et 52 § 2 – et non de l’article 49 § 4 – de la loi de 2012. Elle jugea en particulier que les restrictions imposées à lui pour un comportement relevant des dispositions ci-dessus – c’est-à-dire l’emploi d’« expressions gravement attentatoires » – étaient conformes à la Loi fondamentale. Le grief de M. E.N. fondé sur l’article 49 § 4 fut rejeté au motif que cette disposition, qui vise les « comportements gravement attentatoires », n’était pas applicable dans son cas.
La Cour constitutionnelle releva ensuite que M. E.N. ne disposait d’aucun recours contre la mesure dénoncée.
Enfin, elle dit que les règles en matière de discipline parlementaire concernent les affaires intérieures de l’Assemblée et le comportement des députés dans l’exercice de leurs fonctions, et non les droits et obligations des simples citoyens. Elle en conclut qu’aucune obligation d’instaurer un recours contre une mesure disciplinaire parlementaire ne pouvait être tirée de l’article XXVIII § 7 de la Loi fondamentale.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
La Loi fondamentale hongroise dispose, dans ses parties pertinentes :
Article IX
« 1. Chacun a droit à la liberté d’expression.
La Hongrie reconnaît et garantit la liberté et la diversité de la presse et assure les conditions de la libre diffusion des informations nécessaires à la formation d’une opinion publique démocratique. »
Article XXVIII
« 7. Chacun peut former un recours contre toute décision d’une autorité, judiciaire, administrative ou autre, qui porterait atteinte à ses droits ou intérêts légitimes. »
Article 5
« 7. L’Assemblée nationale fixe ses règles de fonctionnement et l’ordre de ses débats dans les dispositions de son règlement intérieur (Házszabály), adopté à la majorité des deux tiers des voix des députés présents. De manière à en assurer le fonctionnement paisible et à en préserver la dignité, le Président exerce les pouvoirs de police et disciplinaires que lui confère le règlement intérieur.
Les règles régissant les sessions ordinaires de l’Assemblée nationale sont fixées par une loi organique. »
Article 7
« 2. Tout député peut interpeller ou questionner le Gouvernement ou l’un quelconque de ses membres sur tout point relevant de leur compétence. »
La loi de 2012 dispose, en ses parties pertinentes :
Article 2
« Le Président : (...)
f) ouvre les séances, les préside impartialement et en prononce la levée ; donne la parole aux députés, veille au respect du règlement intérieur, annonce le résultat des scrutins et maintient l’ordre et le protocole au cours des séances. »
Article 46
« 1. Le président de séance rappelle à la question tout député qui s’en écarterait manifestement et sans raison au cours de son intervention ou qui répéterait inutilement ses propos ou ceux de ses collègues au cours du même débat et, dans le même temps, l’avertit des conséquences s’il n’obtempère pas.
Le président de séance peut retirer le droit de parole à tout député qui, au cours de son intervention, continuerait à se comporter de la manière indiquée au paragraphe 1 du présent article après avoir reçu un second avertissement ».
Article 47
« Le président de séance peut retirer le droit de parole, en en exposant les raisons, à tout intervenant dont le temps de parole, imparti à lui ou à son groupe parlementaire, serait épuisé ».
Article 49
« 2. Ne peut se voir retirer le droit de parole un député qui n’aurait pas été averti des conséquences des rappels par le président de séance.
Un député qui se verrait retirer le droit de parole en vertu du paragraphe 1 du présent article, du paragraphe 2 de l’article 46 ou du paragraphe 2 de l’article 48 ne pourra plus reprendre la parole le même jour de séance sur la même question.
Le président de séance peut proposer l’exclusion pour le reste du jour de la séance de tout député qui adopterait un comportement attentatoire à l’autorité de l’Assemblée et à l’ordre au sein de celui-ci ou qui violerait les dispositions du règlement de l’Assemblée sur l’ordre des interventions ou du scrutin, sans lui adresser de rappel à l’ordre ni d’avertissement, et l’imposition d’une amende. La proposition précise le motif de la mesure et (...) la disposition du règlement intérieur violée.
(...)
En l’absence de la proposition de sanction visée au paragraphe 4 du présent article, le Président peut proposer l’imposition d’une amende au député dans les cinq jours à compter de l’adoption par celui-ci du comportement visé au même paragraphe.
8 L’Assemblée nationale se prononce sans débat sur les propositions d’imposition d’amende visées aux paragraphes 4 et 7 du présent article, lors de la séance qui suit la proposition. Le montant de l’amende ne peut dépasser un tiers des émoluments mensuels du député. »
Article 51
« Si, en séance, un comportement perturbateur rend impossible la poursuite des débats, le président de séance peut suspendre celle-ci pour une durée déterminée ou en prononcer la levée. À la clôture de la séance, il en convoque une nouvelle. S’il n’est pas en mesure de dire quelle décision prendre, il quitte son siège, ce qui interrompt la séance. Une séance interrompue ne peut reprendre que s’il la convoque de nouveau. »
Les résolutions pertinentes à caractère général de la commission parlementaire chargée de l’interprétation du règlement intérieur sont ainsi libellées :
Résolution no 28/2010-2014 ÜB du 11 mars 2013
« En vertu de l’article 2 § 2 f) de la loi relative à l’Assemblée nationale, le président de séance est chargé de veiller au bon fonctionnement des séances de l’Assemblée nationale. Le régime instauré par cette loi lui confère une certaine latitude quant au choix des (...) mesures nécessaires au maintien de l’ordre en séance. »
Résolution 22/2010-2014 AIÜB du 1er octobre 2012
« L’article 97 § 4 du règlement intérieur donne au Président le droit de rejeter toute motion qui ne donnerait pas matière à débat ou à décision. Mettre aux débats une motion manifestement futile et offensante est incompatible avec l’autorité de l’Assemblée nationale. Le Président a le droit et l’obligation, en vertu des fonctions que lui confère l’article 2 § 1 de la loi relative à l’Assemblée nationale, de rejeter de telles motions. »
Dans ses décisions nos 3206/2013. (XI.18.) AB et 3207/2013. (XI.18.) AB, la Cour constitutionnelle examina la loi de 2012. Elle rappela que, par rapport à la liberté d’expression des particuliers, celle des députés est plus étendue car ceux-ci sont protégés par l’immunité parlementaire. Elle indiqua toutefois que, pour compenser cette immunité étendue, certains de leurs comportements sont soumis à des règles disciplinaires, par exemple lorsqu’un député porte atteinte aux droits et intérêts d’une personne ou d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Elle précisa que, s’ils n’atteignent pas le degré de gravité appelant des poursuites au pénal ou des sanctions au civil, de tels comportements n’en méritent pas moins d’être réprimés. Voilà pourquoi, selon elle, le Président doit disposer des moyens nécessaires pour empêcher les abus de liberté d’expression de la part des députés. La Cour constitutionnelle ajouta que le bon déroulement des séances est une condition nécessaire à l’exercice des fonctions de l’Assemblée et que la protection de l’autorité de cette dernière peut donc justifier une restriction au droit à la liberté d’expression des députés. Elle estima que les dispositions légales attaquées prévoyaient l’application progressive de sanctions disciplinaires, tout en veillant à ce que celles-ci soient proportionnées à la gravité de la faute disciplinaire en ce sens que les sanctions les plus graves, à savoir l’exclusion d’un député ou la réduction de ses émoluments mensuels, ne peuvent être prononcées qu’en cas de « propos particulièrement offensants » ou de « comportement particulièrement perturbateur ». Elle souligna que les règles disciplinaires de l’Assemblée régissent les affaires intérieures de celle-ci et réglementent surtout la conduite des députés en leur qualité de parlementaires, par opposition aux droits et obligations des citoyens. Par conséquent, elle ne déduisit de l’article XXVIII § 7 de la Loi fondamentale aucune obligation d’offrir un recours en justice contre les sanctions de ce type (paragraphe 44 de la décision no 3206/2013. (XI.18.) AB).
Dans son opinion dissidente, le président de la Cour constitutionnelle estima que restreindre la parole d’un député qui, à l’Assemblée, tiendrait des propos particulièrement offensants ou adopterait un comportement perturbateur ne pourrait passer pour proportionné à l’impératif de protection de la dignité de l’Assemblée que si ce député avait été au préalable rappelé à l’ordre et averti des conséquences de ses actes. Selon lui, une sanction prononcée en l’absence d’un tel préavis serait disproportionnée et contraire à la Loi fondamentale.
III. RÈGLEMENT DE L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE
L’article 22 du règlement de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (résolution 1202 (1999) adoptée le 4 novembre 1999) avec modifications ultérieures du Règlement), relatif à la discipline, dispose :
« 21.1. Le Président rappelle à l’ordre tout membre de l’Assemblée qui trouble la séance.
2. En cas de récidive, le Président le rappelle de nouveau à l’ordre avec inscription au compte rendu des débats.
3. En cas de nouvelle récidive, le Président lui retire la parole ou peut l’exclure de la salle pour le reste de la séance. »
IV. DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE
A. Règlement du Parlement européen
L’article 11 § 2 du règlement du Parlement européen dispose :
« Le comportement des députés est inspiré par le respect mutuel, repose sur les valeurs et principes définis dans les textes fondamentaux de l’Union européenne, préserve la dignité du Parlement et ne doit pas compromettre le bon déroulement des travaux parlementaires ni la tranquillité dans l’ensemble des bâtiments du Parlement. Les députés se conforment aux règles du Parlement applicables au traitement des informations confidentielles. Le non-respect de ces éléments et de ces règles peut conduire à l’application de mesures conformément aux articles 152, 153 et 154. »
Le chapitre 4, relatif aux mesures en cas de non-respect des règles de conduite applicables aux députés, énonce les sanctions disciplinaires pertinentes applicables aux députés pour leur comportement au sein de Parlement. En voici les dispositions pertinentes :
Article 152 – Mesures immédiates
« 1. Le Président rappelle à l’ordre tout député qui porte atteinte au bon déroulement de la séance ou dont le comportement n’est pas compatible avec les dispositions pertinentes de l’article 11.
En cas de récidive, le Président rappelle à nouveau le député à l’ordre, avec inscription au procès-verbal.
Si la perturbation se poursuit, ou en cas de nouvelle récidive, le Président peut retirer la parole au député concerné et l’exclure de la salle pour le reste de la séance. Le Président peut également recourir à cette dernière mesure immédiatement et sans deuxième rappel à l’ordre dans les cas d’une gravité exceptionnelle. Le secrétaire général veille sans délai à l’exécution d’une telle mesure disciplinaire avec l’aide des huissiers et, au besoin, du personnel de sécurité du Parlement.
Lorsqu’il se produit une agitation qui compromet la poursuite des débats, le Président, pour rétablir l’ordre, suspend la séance pour une durée déterminée ou la lève. Si le Président ne peut se faire entendre, il quitte le fauteuil présidentiel, ce qui entraîne une suspension de la séance. Elle est reprise sur convocation du Président.
Les pouvoirs définis aux paragraphes 1 à 4 sont attribués, mutatis mutandis, au président de séance des organes, commissions et délégations, tels qu’ils sont définis dans le présent règlement.
Le cas échéant, compte tenu de la gravité de la violation des règles de conduite, le président de séance peut saisir le Président d’une demande de mise en œuvre de l’article 166, au plus tard avant la prochaine période de session ou la réunion suivante de l’organe, de la commission ou de la délégation concernés. »
Article 153 – Sanctions
« 1. Dans le cas où un député trouble la séance d’une manière exceptionnellement grave ou perturbe les travaux du Parlement en violation des principes définis à l’article 11, le Président, après avoir entendu le député concerné, arrête une décision motivée prononçant la sanction appropriée, décision qu’il notifie à l’intéressé et aux présidents des organes, commissions et délégations auxquels il appartient, avant de la porter à la connaissance de la séance plénière.
L’appréciation des comportements observés doit prendre en considération leur caractère ponctuel, récurrent ou permanent, ainsi que leur degré de gravité, sur la base des lignes directrices annexées au présent règlement.
La sanction prononcée peut consister en l’une ou plusieurs des mesures suivantes:
a) un blâme;
b) la perte du droit à l’indemnité de séjour pour une durée pouvant aller de deux à dix jours;
c) sans préjudice de l’exercice du droit de vote en séance plénière, et sous réserve dans ce cas du strict respect des règles de conduite, une suspension temporaire, pour une durée pouvant aller de deux à dix jours consécutifs pendant lesquels le Parlement ou l’un quelconque de ses organes, commissions ou délégations se réunissent, de la participation à l’ensemble ou à une partie des activités du Parlement;
d) la présentation à la Conférence des présidents, conformément à l’article 21, d’une proposition de suspension ou de retrait d’un ou de plusieurs mandats que l’intéressé occupe au sein du Parlement. »
Article 154 – Voies de recours internes
« Le député concerné peut introduire un recours interne devant le Bureau dans un délai de deux semaines à partir de la notification de la sanction arrêtée par le Président, recours qui en suspend l’application. Le Bureau peut, au plus tard quatre semaines après l’introduction du recours, annuler la sanction arrêtée, la confirmer ou en réduire la portée, sans préjudice des droits de recours externes à la disposition de l’intéressé. En l’absence de décision du Bureau dans le délai imparti, la sanction est réputée nulle et non avenue. »
ANNEXE XVI
Lignes directrices relatives à l’interprétation des règles de conduite applicables aux députés
« 1. Il convient de distinguer les comportements de nature visuelle, qui peuvent être tolérés, pour autant qu’ils ne soient pas injurieux et/ou diffamatoires, qu’ils gardent des proportions raisonnables et qu’ils ne génèrent pas de conflit, de ceux entraînant une perturbation active de quelque activité parlementaire que ce soit.
La responsabilité des députés est engagée dès lors que des personnes qu’ils emploient, ou dont ils facilitent l’accès au Parlement, ne respectent pas à l’intérieur des bâtiments de celui-ci les règles de comportement applicables aux députés. Le Président ou les personnes qui le représentent exercent le pouvoir disciplinaire à l’égard de ces personnes ou de toute autre personne extérieure au Parlement se trouvant dans les bâtiments de celui-ci. »
La version consolidée du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose, en ses parties pertinentes :
Article 263 (ex-article 230 TCE)
« La Cour de justice de l’Union européenne contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil, de la Commission et de la Banque centrale européenne, autres que les recommandations et les avis, et des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. Elle contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers.
(...)
Toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.
Les actes créant les organes et organismes de l’Union peuvent prévoir des conditions et modalités particulières concernant les recours formés par des personnes physiques ou morales contre des actes de ces organes ou organismes destinés à produire des effets juridiques à leur égard (...) »
Le Tribunal (troisième chambre) de la Cour européenne de justice fut saisi d’un recours en annulation notamment de la sanction d’un député sous la forme de la perte de son droit à l’indemnité de séjour pendant une durée de dix jours. Le 5 septembre 2012, il rejeta ce recours, entre autres pour forclusion (affaire T-564/11, Nigel Paul Farage c. Parlement européen et Jerzy Buzek).
V. DROIT DES ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L’EUROPE
Le Gouvernement a produit des éléments sur les pratiques parlementaires en matière d’amendes et d’autres sanctions applicables dans divers pays membres en cas de manquement aux règles parlementaires. Ces éléments, que ne contestent pas les requérantes, sont exposés ci-dessous.
Selon le Gouvernement, tous les États membres du Conseil de l’Europe font usage des moyens offerts par les règles disciplinaires de manière à assurer le déroulement paisible des travaux parlementaires et à préserver l’autorité et la dignité de l’Assemblée. Le fondement juridique de la restriction aux droits des parlementaires et de l’existence pour eux d’obligations serait l’autonomie parlementaire, qui veut que l’Assemblée puisse fixer en toute indépendance son règlement intérieur.
En vertu du règlement de l’Assemblée nationale française, un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal emporterait de droit la privation du quart des émoluments mensuels du député. Dans une affaire récente, qui aurait pour origine l’interruption à plusieurs reprises, au cours d’une séance de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2013, de Mme V. M., députée membre du parti EELV, par un député membre du parti UMP qui, depuis les bancs de l’opposition, n’aurait cessé de caqueter comme une poule, les chefs des groupes parlementaires auraient unanimement sanctionné ce dernier en retenant un quart de ses émoluments mensuels pour la « nature sexiste de son comportement ».
Des amendes existeraient en Allemagne, en Slovaquie et en République tchèque.
On trouverait des exemples de restriction, de suspension ou de retrait de droits des parlementaires pour mauvais comportement ou pour trouble à l’ordre parlementaire en Bulgarie (exclusion), au Royaume-Uni (exclusion, cessation des fonctions), en Grèce (réprimande, suspension temporaire), en France, en Pologne, en Lituanie (exclusion), au Luxembourg (suspension et réprimande), au sein de la chambre basse roumaine et en République tchèque.
De nombreux États membres prévoiraient l’expulsion de l’enceinte, la suspension (surtout à durée déterminée) et l’exclusion, et les sanctions seraient d’autant plus lourdes que, au cours de la période d’expulsion ou de suspension, les parlementaires dans la plupart des États membres ne seraient pas autorisés à exercer la moindre fonction se rapportant à leurs activités au parlement.
Dans certains pays membres (République tchèque, Portugal, Slovénie), lorsque de lourdes sanctions sont imposées, les parlementaires pourraient, en guise de recours, les contester devant le parlement en séance plénière (ou en commission). Au sein de la chambre basse polonaise, les députés pourraient demander le réexamen de la décision du président devant le présidium et le réexamen de la décision du présidium devant la chambre (en cas d’exclusion ou de privation d’émoluments).
L’autorisation d’intervenir afin de donner une explication ou de présenter des excuses serait en général garantie aux parlementaires de manière à leur permettre d’exposer leur opinion. Une telle autorisation – qui ne pourrait être donnée qu’en cas de faute mineure – passerait parfois aussi pour une sanction disciplinaire morale (excuses obligatoires).
Au vu de ces éléments, la Cour constate que, dans certains États membres du Conseil de l’Europe, un parlementaire peut se voir infliger une amende ou perdre une partie de ses émoluments en cas d’expulsion temporaire (suspension). Parmi ces États, on trouve souvent une sorte d’échelle des sanctions. Par exemple, un parlementaire ayant adopté un comportement perturbateur est rappelé à l’ordre par le président de la chambre. Lorsqu’un parlementaire déjà rappelé à l’ordre l’est une nouvelle fois pendant la même séance, il en est notamment pris acte au procès-verbal (voir par exemple l’Assemblée nationale française, le parlement letton, la Chambre des communes au Royaume-Uni et le Sénat polonais). Il existe souvent un recours devant l’un des organes parlementaires contre la décision du président et, parmi les treize pays qui imposent des sanctions pécuniaires à titre de mesure disciplinaire, le Portugal, l’Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la Slovaquie et la République tchèque donnent à leurs juridictions constitutionnelles des pouvoirs disciplinaires. | 1 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérantes sont respectivement la directrice de publication et la société éditrice de l’hebdomadaire Paris Match. Mme Anne-Marie Couderc, ressortissante française, est née en 1950. La société Hachette Filipacchi Associés, personne morale de droit français, a son siège à Levallois-Perret.
A. La publication litigieuse et la procédure devant les juridictions françaises
Le 3 mai 2005, parurent dans le quotidien britannique Daily Mail des révélations de Mme C. concernant son fils dont elle affirmait que le père était Albert Grimaldi, Prince régnant de Monaco depuis la mort de son père, le 6 avril 2005. L’article se référait à la publication à venir dans le magazine Paris Match et en reprenait les éléments essentiels ainsi que trois photographies, dont une montrant le Prince tenant l’enfant dans ses bras.
Informé de l’imminence de la parution d’un article dans Paris Match, le Prince adressa aux requérantes, par acte d’huissier du 3 mai 2005, une mise en demeure de ne pas publier l’article en cause.
Nonobstant la mise en demeure, l’hebdomadaire Paris Match, dans son édition no 2920 datée du 5 mai 2005 et tirée à 1 010 000 exemplaires, publia une interview de Mme C. présentant son fils A. comme né de ses relations intimes avec le Prince, ayant succédé à son père le 6 avril précédent. Annoncé en couverture du magazine sous le titre « Albert de Monaco : A., l’enfant secret », l’article de dix pages intitulé « A., c’est le fils d’Albert, dit sa mère » comportait plusieurs photographies représentant le Prince aux côtés de Mme C. ou de l’enfant. Celles du Prince avec l’enfant avaient été prises par Mme C., avec le consentement du Prince. Celle-ci, qui était seule investie de l’autorité parentale sur l’enfant, les avait remises à Paris Match en vue de leur publication.
Cet article, dans lequel Mme C. répondait aux questions d’un journaliste, donnait des précisions sur les circonstances dans lesquelles celle-ci avait fait la connaissance du Prince, leurs rencontres, leur relation intime, leurs sentiments, la manière dont le Prince avait réagi à l’annonce de la grossesse de Mme C. et celle dont il s’était comporté lorsqu’il rencontrait l’enfant. Elle précisait que celui-ci était né le 24 août 2003 et que le Prince l’avait reconnu chez un notaire le 15 décembre 2003, mais désirait que cette reconnaissance ne soit pas rendue publique avant le décès de son propre père, le Prince Rainier III.
Le 19 mai 2005, le Prince assigna les requérantes devant le tribunal de grande instance de Nanterre, sur le fondement des articles 8 de la Convention, et 9 et 1382 du code civil, aux fins d’obtenir réparation des atteintes qui avaient été portées à sa vie privée et à son image par la publication de l’article précité le 5 mai 2005.
Le 29 juin 2005, le tribunal fit droit à la demande, octroyant au Prince 50 000 euros de dommages-intérêts et ordonnant la publication de la condamnation, sous astreinte et aux frais de la société éditrice, sur l’intégralité de la page de couverture du magazine sous le titre « Condamnation judiciaire de Paris Match à la demande du Prince Albert II de Monaco ». Ledit jugement était assorti de l’exécution provisoire.
Pour ce faire, le tribunal releva notamment que, dès sa première page, le magazine révélait la paternité du Prince par le titre « Albert de Monaco : A., l’enfant secret », accompagné d’une photographie montrant l’enfant dans ses bras.
Il ajouta que cet article traitait sur dix pages la question de la filiation princière de cet enfant au moyen de questions conduisant la mère de l’enfant à s’exprimer sur ses relations avec le Prince, les sentiments des protagonistes, la vie privée et les réactions du Prince et sur la reconnaissance de l’enfant chez un notaire. Il ajouta que de nombreuses photographies manifestement réalisées dans le cadre de l’intimité de la vie privée des intéressés avaient été choisies à dessein pour illustrer et accréditer la révélation ; qu’elles étaient accompagnées de légendes propres au journal se rapportant également à la vie sentimentale du Prince, analysant son comportement, ses réactions face à la jeune femme et à l’enfant et supputant ses sentiments à l’égard de cet enfant secret.
Le tribunal estima que l’article entier et ses illustrations relevaient de la sphère la plus intime de la vie sentimentale et familiale et qu’ils ne se prêtaient à aucun débat d’intérêt général.
Il ajouta que l’avènement du demandeur comme souverain de la principauté de Monaco ne le privait pas du droit au respect de sa vie privée ni du droit dont il disposait sur son image, face à de simples rumeurs sur l’état civil d’un enfant qui ne pouvaient servir de prétexte légitime à l’information d’un public indiscret et curieux de la vie des personnalités, de leurs sentiments et de leurs comportements privés. En outre, selon le tribunal, un journal ne pouvait sérieusement prétendre se substituer au prétoire où sont légalement défendus les droits des enfants et ceux des femmes.
Le tribunal conclut que l’article en cause, qui donnait à des rumeurs un traitement sensationnel, tant par son texte que par ses illustrations dépourvues de toute pertinence, constituait une violation caractérisée des droits essentiels de la personnalité du demandeur, qui avait mis expressément la société éditrice en demeure de les respecter par acte d’huissier du 3 mai 2005.
Les requérantes interjetèrent appel de ce jugement et obtinrent la suspension de l’exécution provisoire.
Le 6 juillet 2005, le Prince reconnut publiquement l’enfant par le biais d’un communiqué. L’acte notarié fut transcrit à l’état civil à la même période.
Le 24 novembre 2005, la cour d’appel de Versailles rendit son arrêt.
Elle constata que l’article incriminé était consacré, au travers de l’interview de la mère de l’enfant, à la révélation de la naissance de celui-ci, présenté comme né des relations intimes qu’elle avait entretenues avec le Prince depuis 1997.
En outre, à la date de parution de l’article, sa naissance comme sa filiation étaient inconnues du public.
La cour d’appel souligna que la vie sentimentale, amoureuse ou familiale, la paternité ou la maternité relèvent de la sphère de la vie privée et tombent sous la protection de l’article 9 du code civil comme de l’article 8 de la Convention, qui, selon elle, ne distinguent pas entre personnes anonymes et personnes publiques, quelles que soient leurs fonctions civiles, politiques ou religieuses.
Elle releva que la paternité du Prince « n’avait été l’objet d’aucune reconnaissance publique », que la Constitution monégasque exclut qu’un enfant né hors mariage puisse accéder au trône et que le Prince n’avait pas consenti à la révélation de sa possible paternité à l’égard de l’enfant en ayant le 3 mai 2005 fait signifier à la société requérante son opposition à la publication de ces faits. Elle conclut dès lors que celle-ci avait violé délibérément les dispositions de l’article 9 du code civil et celle de l’article 8 de la Convention. Elle estima qu’on ne pouvait justifier cette infraction par les nécessités de l’actualité, la légitimité de l’information ou le droit à l’information des lecteurs, dont ne relevait pas la paternité secrète du Prince, quand bien même il serait devenu, depuis le décès de son père en avril 2005, Prince régnant de la Principauté.
La cour d’appel releva encore que l’article ne se contentait pas de la révélation de l’existence d’un enfant « secret ». Il contenait aussi de nombreuses digressions tirées des confessions de la mère de l’enfant quant aux circonstances de leur rencontre, les sentiments du Prince, ses réactions les plus intimes à l’annonce de la grossesse et son comportement envers l’enfant lors des rencontres dans l’intimité. Elle estima que cela ne trouvait sa justification ni dans la publication concomitante de ces faits par un magazine allemand, ni dans l’impact médiatique causé par la teneur de l’article, ni par le fait que d’autres publications avaient par la suite repris ces faits devenus notoires par la faute de la société éditrice, ni dans la prétendue légitimité d’une telle révélation. L’enfant n’avait aucun statut officiel qui aurait fait de sa naissance et de la révélation de l’identité du père un sujet dont les médias devaient, dans leur devoir d’information, assumer la divulgation auprès du public.
Elle estima que si les photographies, qui accompagnaient l’article et représentaient l’intimé avec l’enfant, avaient été prises par la mère de celui-ci avec le consentement du Prince, ce dernier n’avait pas consenti à leur publication, de telle sorte que celle-ci était fautive.
La cour d’appel conclut que la publication incriminée avait causé au Prince un dommage irréversible en ce que sa paternité, qu’il souhaitait rester secrète et qui l’était restée depuis la naissance de l’enfant jusqu’à l’article litigieux, était devenue brusquement et contre son gré de notoriété publique. Le préjudice moral ainsi causé justifiait qu’à titre de réparation complémentaire, une mesure de publication judiciaire soit ordonnée, laquelle n’était, par rapport à la nature de l’atteinte et à la gravité de ses conséquences, nullement disproportionnée aux intérêts en présence et constituait au contraire la réparation la plus adéquate en de telles circonstances.
La cour d’appel de Versailles confirma le jugement déféré, notamment le versement de 50 000 euros de dommages-intérêts, modifiant uniquement les modalités de la publication judiciaire, laquelle ne devait plus mentionner d’intitulé et devait porter sur le tiers de la page de couverture. La cour ordonna ainsi la publication dans le premier numéro à paraître dans les huit jours de la signification de l’arrêt, sous peine d’une astreinte de 15 000 euros par numéro de retard, d’un bandeau sur fond blanc couvrant le tiers inférieur de la page de couverture et comportant le texte suivant :
« Par arrêt de la cour d’appel de Versailles confirmant le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre, la société Hachette Filipacchi Associés a été condamnée pour avoir porté atteinte à la vie privée et au droit à l’image d’Albert II de Monaco dans le numéro 2920 daté du 5 mai 2005 du journal Paris Match dans un article intitulé ‘Albert de Monaco : A. L’enfant secret.’ »
Ce communiqué fut publié sur la couverture du numéro 2955 de l’hebdomadaire en date du 5 janvier 2006, sous ce commentaire de la rédaction : « Albert de Monaco : La vérité condamnée. Paris Match avait révélé l’existence de son fils, A. La justice sanctionne la liberté d’informer. La presse internationale réagit et nous soutient. »
Les requérantes formèrent un pourvoi en cassation. Dans leur mémoire ampliatif, elles excipèrent notamment d’une violation de l’article 10 de la Convention, dès lors que la révélation de la paternité du Prince concernait la vie publique et était justifiée par les nécessités de l’information en raison des fonctions de l’intéressé, souverain d’une Principauté pratiquant la transmission héréditaire.
Par un arrêt rendu le 27 février 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi aux motifs notamment :
« (...) que toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir a droit au respect de sa vie privée ; que l’arrêt relève d’une part que, à la date de la parution de l’article, l’existence et la filiation de l’enfant étaient inconnues du public, que d’autre part, la constitution de la principauté exclut que, né hors mariage, il puisse accéder au trône, situation que, du reste, les conclusions de la société ne soutenaient ni être en débat dans les sociétés française ou monégasque, ni être étudiée par la publication litigieuse, et, enfin, que l’article comportait de nombreuses digressions sur les circonstances de la rencontre et de la liaison de Mme C. et du prince Albert, les réactions de celui-ci à l’annonce de la grossesse et son comportement ultérieur à l’égard de l’enfant ; qu’au vu de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a exactement retenu l’absence de tout fait d’actualité comme de tout débat d’intérêt général dont l’information légitime du public aurait justifié qu’il fût rendu compte au moment de la publication litigieuse ; que par ailleurs, la publication de photographies représentant une personne pour illustrer des développements attentatoires à sa vie privée porte nécessairement atteinte à son droit au respect de son image. »
B. La publication en Allemagne et la procédure devant les juridictions allemandes
L’interview avec Mme C. et les photographies litigieuses furent également publiées dans l’hebdomadaire allemand Bunte du 4 mai 2005.
Ayant assigné en référé cet hebdomadaire afin d’interdire toute nouvelle publication, le Prince fut débouté par jugement du 19 juillet 2005 du tribunal régional (Landgericht) de Fribourg, confirmé le 18 novembre 2005 par la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Karlsruhe.
Les juridictions allemandes firent prévaloir le droit du public à l’information sur les intérêts du Prince à la protection de sa vie privée, eu égard à sa qualité de souverain d’une principauté européenne. Elles le qualifièrent de « personnage absolu de l’histoire contemporaine » et estimèrent que la question d’une descendance masculine dans une monarchie héréditaire constitutionnelle avait une importance décisive, dès lors qu’une modification de la règle interdisant à un enfant naturel de prétendre au trône monégasque n’était pas à exclure à l’avenir.
Elles estimèrent qu’il appartenait à la mère de l’enfant, et non au Prince qui ne l’avait pas reconnu, de décider si la révélation de l’existence de l’enfant tombait ou non dans la sphère privée protégée. La cour d’appel de Karlsruhe interdit toutefois la publication d’une photographie représentant le Prince en compagnie de Mme C.
II. LES TEXTES DE DROIT INTERNE ET EUROPEEN PERTINENTS
A. Le code civil
Les dispositions pertinentes du code civil se lisent comme suit :
Article 9
« Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé. »
Article 1382
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
B. La résolution 1165 (1998) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur le droit au respect de la vie privée
Les passages pertinents en l’espèce de la résolution 1165 (1998), adoptée par l’Assemblée parlementaire le 26 juin 1998, sont ainsi libellés :
« 1. L’Assemblée rappelle le débat d’actualité qu’elle a consacré au droit au respect de la vie privée au cours de sa session de septembre 1997, quelques semaines après l’accident qui a coûté la vie à la princesse de Galles.
À cette occasion, certaines voix se sont élevées pour demander un renforcement au niveau européen de la protection de la vie privée, notamment des personnes publiques, au moyen d’une convention, tandis que d’autres étaient d’avis que la vie privée était suffisamment protégée par les législations nationales et la Convention européenne des Droits de l’Homme, et qu’il ne fallait pas porter atteinte à la liberté d’expression.
Pour approfondir la réflexion sur ce sujet, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme a organisé une audition à Paris le 16 décembre 1997 avec la participation tant de personnes publiques ou de leurs représentants que des médias.
Le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, a déjà été défini par l’Assemblée dans la déclaration sur les moyens de communication de masse et les droits de l’homme contenue dans la Résolution 428 (1970) comme « le droit de mener sa vie comme on l’entend avec un minimum d’ingérence ».
Pour tenir compte de l’apparition des nouvelles technologies de la communication permettant de stocker et d’utiliser des données personnelles, il convient d’ajouter à cette définition le droit de contrôler ses propres données.
L’Assemblée est consciente que le droit au respect de la vie privée fait souvent l’objet d’atteintes, même dans les pays dotés d’une législation spécifique qui la protège, car la vie privée est devenue une marchandise très lucrative pour certains médias. Ce sont essentiellement des personnes publiques qui sont les victimes de ces atteintes, car les détails de leur vie privée représentent un argument de vente. En même temps, les personnes publiques doivent se rendre compte que la position particulière qu’elles prennent dans la société, et qui est souvent la conséquence de leur propre choix, entraîne automatiquement une pression élevée dans leur vie privée.
Les personnes publiques sont celles qui exercent des fonctions publiques et/ou utilisent des ressources publiques et, d’une manière plus générale, toutes celles qui jouent un rôle dans la vie publique, qu’il soit politique, économique, artistique, social, sportif ou autre.
C’est au nom d’une interprétation unilatérale du droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, que bien souvent les médias commettent des atteintes au droit au respect de la vie privée, estimant que leurs lecteurs ont le droit de tout savoir sur les personnes publiques.
Il est vrai que certains faits relevant de la sphère de la vie privée des personnes publiques, en particulier des politiciens, peuvent avoir un intérêt pour les citoyens et qu’il est donc légitime de les porter à la connaissance des lecteurs qui sont aussi des électeurs.
Il est donc nécessaire de trouver la façon de permettre l’exercice équilibré de deux droits fondamentaux, également garantis par la Convention européenne des Droits de l’Homme : le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression.
L’Assemblée réaffirme l’importance du droit au respect de la vie privée de toute personne, et du droit à la liberté d’expression, en tant que fondements d’une société démocratique. Ces droits ne sont ni absolus ni hiérarchisés entre eux, étant d’égale valeur.
L’Assemblée rappelle toutefois que le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme doit protéger l’individu non seulement contre l’ingérence des pouvoirs publics, mais aussi contre celle des particuliers et des institutions privées, y compris les moyens de communication de masse.
L’Assemblée considère que, tous les Etats membres ayant désormais ratifié la Convention européenne des Droits de l’Homme, et par ailleurs de nombreuses législations nationales comportant des dispositions garantissant cette protection, par conséquent, il n’est pas nécessaire de proposer l’adoption d’une nouvelle convention pour garantir le droit au respect de la vie privée.
(...) » | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Procédure devant le tribunal de district de Limassol
Le 4 mai 1999, le requérant et F.H.Ltd., une société commerciale de droit chypriote, signèrent un acte notarié de reconnaissance de dette (acknowledgment of debt deed). Par cet acte, le requérant déclarait emprunter 100 000 dollars américains (USD) à F.H.Ltd. et s’engageait à rembourser ce montant, augmenté d’intérêts, avant le 30 juin de la même année. L’acte contenait aussi des clauses de choix de loi et de for, selon lesquelles il devait être régi « à tous les égards » par la loi chypriote, et la compétence non exclusive pour connaître de tous les litiges résultant de cet acte était accordée aux tribunaux chypriotes.
En 2003, F.H.Ltd. assigna le requérant devant le tribunal de district de Limassol (Επαρχιακό Δικαστήριο Λεμεσού, Chypre), déclarant qu’il n’avait pas remboursé la dette susmentionnée, et demandant sa condamnation au paiement de la dette et des intérêts.
Par une ordonnance du 27 juin 2003, le tribunal de district somma le requérant à comparaître devant elle. Puisque le requérant ne résidait pas à Chypre, le 11 septembre 2003, F.H.Ltd. saisit le même tribunal d’une requête ex parte, lui demandant d’arrêter une nouvelle ordonnance qui permettrait de citer le requérant en dehors de Chypre et de fixer le délai de sa comparution à trente jours à compter de la délivrance de la citation. À cet égard, l’avocat de la société demanderesse fournit un affidavit (déclaration écrite sous serment) déclarant que le lieu de résidence habituelle du défendeur se trouvait rue G., à Riga, et qu’il pouvait effectivement être cité à cette adresse. Pour sa part, le requérant soutient qu’il ne pouvait objectivement pas recevoir la citation à l’adresse en question, car il s’agissait tout simplement de l’adresse où il avait signé le contrat de prêt et l’acte de reconnaissance de sa dette en 1999, et non de son domicile personnel ou professionnel.
Le 7 octobre 2003, le tribunal de district de Limassol ordonna la citation du requérant à l’adresse susmentionnée. Il le somma à comparaître ou à se manifester dans les trente jours suivant la réception de la citation, faute de quoi toutes les annonces concernant l’affaire seraient dorénavant affichées sur le panneau d’annonces du tribunal. Il ressort d’un affidavit fourni par une employée du cabinet d’avocats qui représentait F.H.Ltd., que, conformément à l’ordonnance du tribunal, la citation fut envoyée à l’adresse située rue G., à Riga, le 16 novembre 2003, sous pli recommandé. De même, il en ressort que le cabinet a reçu un bordereau postal attestant la réception de ce courrier par le requérant le 18 novembre 2003 (la fête nationale lettonne, donc un jour férié en Lettonie). Le requérant affirme qu’il n’a jamais reçu la citation.
Le requérant n’ayant pas comparu, le tribunal de district de Limassol, statuant en son absence le 24 mai 2004, le condamna à payer à la demanderesse 100 000 USD, ou une somme équivalente en livres chypriotes (CYP), plus les intérêts de dix pour cent du montant susmentionné par an, à compter du 30 juin 1999 et jusqu’au règlement de la dette. Le requérant fut également condamné aux frais et dépens, dont le montant brut s’élevait à 699,50 CYP, plus les intérêts de huit pour cent par an de cette somme. Aux termes du jugement, dont le texte fut mis au net le 3 juin 2004, le requérant avait été dûment informé de la tenue de l’audience mais n’avait pas comparu. Le jugement lui-même ne contenait aucune mention quant à son caractère définitif et aux voies de recours disponibles à son encontre.
B. Procédure en reconnaissance et en exécution devant les juridictions lettonnes
Le 22 février 2005, F.H.Ltd. saisit le tribunal de première instance de l’arrondissement de Latgale de la ville de Riga (Rīgas pilsētas Latgales priekšpilsētas tiesa, Lettonie) d’une demande de reconnaissance et d’exécution du jugement du 24 mai 2004. Dans sa demande, la société demanderesse requit également l’application d’une mesure conservatoire. Elle indiqua que le requérant était propriétaire de biens immobiliers sis à Garkalne (district de Riga), qui, d’après le registre foncier, étaient déjà grevés d’une hypothèque au profit d’une banque ; par conséquent, par peur que l’intéressé ne cherchât à se soustraire à l’exécution du jugement, elle demanda au tribunal d’appliquer à ces biens une hypothèque conservatoire et de l’inscrire au livre foncier. Enfin, elle demanda de condamner le requérant aux dépens. Dans sa demande, F.H.Ltd. mentionna, en tant que lieu de résidence du requérant, une adresse située à Riga, rue Č., mais différente de celle qui avait été précédemment communiquée au tribunal chypriote.
Le 28 avril 2005, le tribunal de l’arrondissement de Latgale suspendit l’examen de la demande de F.H.Ltd., tout en indiquant une série de défauts de contenu de cette demande que la société demanderesse devait corriger dans le délai d’un mois. En particulier, il constata que la demanderesse avait omis d’expliquer d’où provenait l’adresse située rue Č., alors que le domicile présumé du requérant qui avait jusqu’alors figuré dans l’affaire était situé rue G.
Le 26 mai 2005, F.H.Ltd. déposa un acte rectificatif dans lequel elle expliqua, entre autres, que, d’après les données fournies par le registre des résidents (Iedzīvotāju reģistrs), l’adresse située rue Č. était le domicile officiellement déclaré du requérant. Quant à l’autre adresse, située rue G., les représentants de la société demanderesse avaient présumé qu’il s’agissait de la résidence de fait du requérant.
Par une ordonnance du 31 mai 2005, le tribunal de l’arrondissement de Latgale jugea l’acte rectificatif déposé par F.H.Ltd. insuffisant pour réparer tous les défauts de sa demande, refusa de l’examiner et la renvoya à la demanderesse. Celle-ci forma un recours devant la cour régionale de Riga (Rīgas apgabaltiesa) qui, le 23 janvier 2006, annula l’ordonnance entreprise, renvoya l’affaire devant le tribunal de l’arrondissement et lui enjoignit d’examiner la demande de reconnaissance et d’exécution telle que rectifiée par l’acte du 26 mai 2005.
Par une ordonnance du 27 février 2006, arrêtée en l’absence des parties, le tribunal de l’arrondissement de Latgale fit droit à la demande de F.H.Ltd. dans son intégralité. Elle ordonna la reconnaissance et l’exécution du jugement du tribunal de district de Limassol du 24 mai 2004, ainsi que l’inscription, au livre foncier de la commune de Garkalne, d’une hypothèque conservatoire grevant les biens du requérant situés dans cette commune. En outre, le requérant fut condamné aux dépens.
Ce ne fut que le 16 juin 2006 que le requérant apprit – par hasard, selon lui – l’existence tant du jugement du tribunal chypriote du 24 mai 2004 que de l’ordonnance du tribunal letton du 27 février 2006. Il ne tenta pas de contester le jugement chypriote devant les instances chypriotes. En revanche, il saisit la cour régionale de Riga d’un recours dit complémentaire (blakus sūdzība) contre l’ordonnance susmentionnée, tout en demandant au tribunal de l’arrondissement de Latgale de proroger le délai de ce recours. À cet égard, le requérant fit remarquer qu’aucune pièce du dossier n’attestait le fait qu’il aurait été cité à l’audience du 27 février 2006 ou que l’ordonnance arrêtée ce jour-là lui aurait été communiquée ; dès lors, le délai de trente jours fixé par la loi sur la procédure civile devait commencer à courir à partir du 16 juin 2006, date à laquelle il avait pris connaissance de l’ordonnance litigieuse.
Par une ordonnance du 13 juillet 2006, le tribunal de l’arrondissement de Latgale accueillit la demande du requérant et prorogea le délai de recours. Il releva notamment :
« (...) Il ressort de l’ordonnance du tribunal du 27 février 2006 que la question de reconnaissance et d’exécution du jugement étranger a été tranchée en l’absence des parties, sur la base des documents fournis par la demanderesse, [F.H.Ltd.]. En même temps, l’ordonnance indique que le requérant peut l’attaquer par voie d’un recours dans un délai de trente jours à compter de la date de réception de la copie [de ladite ordonnance], comme le veut l’article 641 § 2 de la loi sur la procédure civile.
Le tribunal estime fondées les circonstances indiquées par le requérant, P. Avotiņš, à savoir le fait qu’il n’a reçu l’ordonnance (...) du 27 février 2006 que le 16 juin 2006, ce fait étant attesté par la mention dans la liste de consultations [attachée au dossier], ainsi que par le fait que l’ordonnance, notifiée [au requérant] par le tribunal, a été retournée le 10 avril 2006 (...). Il ressort des pièces annexées au recours que le requérant n’habite plus à l’adresse déclarée rue [Č.] depuis le 1er mai 2004 ; cela confirme (...) les explications de son représentant à l’audience, selon lesquelles le requérant n’habite plus à l’adresse susmentionnée.
Dès lors, il y a lieu de conclure que le délai de trente jours (...) court à partir de la date où le requérant a reçu l’ordonnance en question (...).
En même temps, le tribunal estime mal fondé l’avis de la représentante de [F.H.Ltd.], selon lequel le requérant serait lui-même responsable pour ne pas avoir reçu la correspondance, car il n’aurait pas promptement déclaré son domicile, et qu’il n’y aurait donc pas lieu de proroger le délai [de recours]. En effet, le fait de ne pas avoir rempli les exigences de la loi relatives à l’enregistrement du domicile n’est pas suffisant pour justifier les conséquences qui pourraient se produire si le tribunal venait à refuser au requérant l’exercice des droits fondamentaux garantis par l’État en matière d’accès aux tribunaux et de protection judiciaire, y compris le droit de faire appel d’une décision. (...) »
Dans son mémoire de recours adressé à la cour régionale de Riga, le requérant fit valoir que la reconnaissance et l’exécution du jugement chypriote en Lettonie enfreignaient le règlement no 44/2001 du Conseil de l’Union européenne du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit le « Règlement de Bruxelles I », ci-après le « Règlement »), ainsi que les dispositions pertinentes de la loi lettonne sur la procédure civile. À cet égard, il souleva deux moyens.
En premier lieu, le requérant rappela qu’aux termes de l’article 34, point 2, du Règlement (correspondant en substance à l’article 637 § 2, point 3, de la loi lettonne sur la procédure civile), une décision provenant d’un autre État membre ne peut pas être reconnue si l’acte introductif d’instance n’a pas été notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre. Or, selon lui, ces dispositions avaient été violées dans son affaire. Le requérant soutint que tant les avocats chypriotes ayant représenté la société demanderesse devant le tribunal de district de Limassol que les avocats lettons qui la représentaient devant les juridictions lettonnes connaissaient très bien son adresse professionnelle à Riga. À cet égard, il fit valoir qu’il avait eu des contacts professionnels avec les avocats chypriotes et que ceux-ci l’avaient appelé au téléphone et lui avaient envoyé des télécopies à son bureau ; quant aux avocats lettons, il les avait personnellement rencontrés. Dès lors, ni les uns ni les autres ne pouvaient ignorer son adresse professionnelle. En outre, le requérant aurait pu être cité à son adresse privée à Garkalne, car il y avait un domicile officiellement déclaré conformément à la loi, et les biens immobiliers qu’il y possédait étaient inscrits à son nom au registre foncier que les avocats auraient pu consulter. Toutefois, au lieu de le citer à l’une de ces adresses, connues ou accessibles, les avocats avaient communiqué aux tribunaux une adresse où il ne pouvait objectivement pas être cité.
En deuxième lieu, le requérant rappela qu’aux termes des articles 38 § 1 du Règlement et 637 § 2, point 2, de la loi sur la procédure civile, une décision doit être exécutoire dans l’État d’origine pour l’être dans l’État requis. Or, en l’espèce, ces exigences avaient été méconnues à triple titre. Premièrement, la partie demanderesse n’avait soumis au tribunal letton que le texte du jugement du tribunal chypriote, mais non un certificat requis par l’annexe V du Règlement. À cet égard, le requérant reconnut que l’article 55 § 1 du Règlement autorisait, dans certains cas, la juridiction requise à dispenser la partie demanderesse de son obligation de produire le certificat ; cependant, en l’occurrence, le tribunal de l’arrondissement de Latgale avait omis d’expliquer si et pour quelle raison elle estimait que la demanderesse pouvait être dispensée de cette obligation. Deuxièmement, le jugement chypriote lui-même ne comportait aucune mention de son entrée en vigueur et des voies éventuelles de recours. Troisièmement, pour être exécuté conformément au Règlement, un jugement doit être exécutoire dans le pays émetteur ; toutefois, aucune pièce produite par la société demanderesse n’attestait que le jugement du 24 mai 2004 serait exécutoire à Chypre. Dans ces circonstances, le requérant conclut que ce jugement ne pouvait en aucun cas être reconnu et exécuté en Lettonie.
Par un arrêt du 2 octobre 2006, la cour régionale estima fondés les moyens soulevés par le requérant, infirma l’ordonnance entreprise et rejeta la demande de reconnaissance et d’exécution du jugement chypriote.
F.H.Ltd. attaqua cet arrêt par voie d’un recours devant le sénat de la Cour suprême, qui l’examina à l’audience du 31 janvier 2007. Au début de l’audience, la partie demanderesse soumit au sénat copies de plusieurs documents et notamment le certificat prévu à l’article 54 et à l’annexe V du Règlement, portant la date du 18 janvier 2007 et signé par un juge temporaire du tribunal de district de Limassol. Selon ce certificat, l’acte introductif d’instance avait été signifié au requérant le 27 novembre 2003. Quant au champ final du certificat, destiné à recueillir le nom de la personne contre laquelle la décision judiciaire est exécutoire, il avait été laissé vide. Invité à s’exprimer sur ces pièces, l’avocat du requérant soutint qu’elles étaient manifestement insuffisantes pour rendre le jugement exécutoire.
Par un arrêt définitif du 31 janvier 2007, le sénat cassa et annula l’arrêt de la cour régionale du 2 octobre 2006 et fit droit à la demande de F.H.Ltd. Il ordonna la reconnaissance et l’exécution du jugement chypriote, ainsi que l’inscription au livre foncier d’une hypothèque conservatoire au regard des biens immobiliers du requérant se trouvant à Garkalne. Les passages pertinents de cet arrêt se lisent ainsi :
« (...) Il ressort des pièces du dossier que le jugement du tribunal de Limassol est devenu définitif. Cela est confirmé par les explications des deux parties à l’audience de la cour régionale du 2 octobre 2006, d’après lesquelles ce jugement n’a pas fait l’objet d’un appel, ainsi que par le certificat délivré le 18 janvier 2007 (...). [Le requérant] n’ayant pas fait appel du jugement, les arguments de son avocat selon lesquels [il] ne se serait pas vu dûment notifier l’examen de l’affaire par un tribunal étranger, n’ont aucune importance.
Eu égard à ce qui précède, le sénat reconnaît que le jugement du tribunal de Limassol (Chypre) du 24 mai 2004 doit être reconnu et exécuté dans l’État letton.
L’article 36 du règlement prévoit que la décision étrangère ne peut en aucun cas faire l’objet d’une révision au fond ; et, conformément à l’article 644 § 1 de la loi sur la procédure civile, une fois reconnue, elle est exécutée selon les modalités prévues par la même loi. (...) »
Sur la base de l’arrêt du sénat, le 14 février 2007, le tribunal de l’arrondissement de Latgale délivra un titre exécutoire (izpildu raksts). Le requérant se conforma aussitôt à ses termes et versa à l’huissier de justice engagé par la société demanderesse une somme totale de 90 244,62 LVL (soit environ 129 000 euros (EUR)), dont 84 366,04 LVL pour la dette principale et 5 878,58 LVL au titre des frais d’exécution. Il demanda alors la levée de l’hypothèque conservatoire grevant ses biens situés à Garkalne. Par deux ordonnances du 24 janvier 2008, le juge des livres fonciers (Zemesgrāmatu nodaļas tiesnesis) refusa de faire droit à cette demande. Le requérant forma alors un pourvoi devant le sénat de la Cour suprême qui, par une ordonnance du 14 mai 2008, leva l’hypothèque.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
A. Les éléments pertinents du droit de l’Union européenne
Règlement no 44/2001
Le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (le « Règlement de Bruxelles I ») est entré en vigueur le 1er mars 2002, remplaçant la Convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale du 27 septembre 1968. Il lie tous les États membres de l’Union européenne sauf le Danemark. Les seizième à dix-huitième considérants de ce règlement énoncent:
« (16) La confiance réciproque dans la justice au sein de la Communauté justifie que les décisions rendues dans un État membre soient reconnues de plein droit, sans qu’il soit nécessaire, sauf en cas de contestation, de recourir à aucune procédure.
(17) Cette même confiance réciproque justifie que la procédure visant à rendre exécutoire, dans un État membre, une décision rendue dans un autre État membre soit efficace et rapide. À cette fin, la déclaration relative à la force exécutoire d’une décision devrait être délivrée de manière quasi automatique, après un simple contrôle formel des documents fournis, sans qu’il soit possible pour la juridiction de soulever d’office un des motifs de non-exécution prévus par le présent règlement.
(18) Le respect des droits de la défense impose toutefois que le défendeur puisse, le cas échéant, former un recours, examiné de façon contradictoire, contre la déclaration constatant la force exécutoire, s’il considère qu’un des motifs de non-exécution est établi. Une faculté de recours doit également être reconnue au requérant si la déclaration constatant la force exécutoire a été refusée. »
Les articles pertinents de ce texte se lisent ainsi :
Article 33
« 1. Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.
En cas de contestation, toute partie intéressée qui invoque la reconnaissance à titre principal peut faire constater, selon les procédures prévues aux sections 2 et 3 du présent chapitre, que la décision doit être reconnue.
(...) »
Article 34
« Une décision n’est pas reconnue si:
(...)
2) l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins qu’il n’ait pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire;
(...) »
Article 35
« 1. De même, les décisions ne sont pas reconnues si les dispositions des sections 3, 4 et 6 du chapitre II ont été méconnues, ainsi que dans le cas prévu à l’article 72.
Lors de l’appréciation des compétences mentionnées au paragraphe précédent, l’autorité requise est liée par les constatations de fait sur lesquelles la juridiction de l’État membre d’origine a fondé sa compétence.
Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1, il ne peut être procédé au contrôle de la compétence des juridictions de l’État membre d’origine. (...) »
Article 36
« En aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond. »
Article 38 § 1
« Les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée. »
Article 54
« La juridiction ou l’autorité compétente d’un État membre dans lequel une décision a été rendue délivre, à la requête de toute partie intéressée, un certificat en utilisant le formulaire dont le modèle figure à l’annexe V du présent règlement. »
Jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes (de l’Union européenne)
Dans l’affaire Klomps c. Michel (affaire 166/80, arrêt du 16 juin 1981, Rec.p. 1593), la Cour de justice a précisé l’étendue des garanties de l’article 27, point 2, de la Convention de Bruxelles (correspondant à l’article 34, point 2, du Règlement de Bruxelles I). Elle a jugé que cette disposition restait applicable dans une situation où le défendeur avait fait opposition contre un jugement rendu par défaut et où la juridiction compétente du pays d’origine avait déclaré l’opposition irrecevable au motif que le délai pour faire opposition était expiré. En outre, même lorsqu’un tribunal de l’État d’origine avait décidé, à la suite d’une procédure contradictoire séparée, que la signification ou la notification était régulière, la disposition précitée exigeait que le juge requis examinât, néanmoins, la question de savoir si cette signification ou notification avait été faite en temps utile pour que le défendeur pût se défendre.
Dans l’arrêt ASML Netherlands BV c. Semiconductor Industry Services GmbH (SEMIS)(affaire C-283/05, arrêt du 14 décembre 2006, Rec.p. I-12041), la Cour de justice a jugé que « l’article 34, point 2, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un défendeur ne saurait être «en mesure» d’exercer un recours contre une décision rendue par défaut à son encontre que s’il a eu effectivement connaissance du contenu de celle-ci, par voie de signification ou de notification effectuée en temps utile pour lui permettre de se défendre devant le juge de l’État d’origine. »
Dans l’affaire Apostolides c. Orams (affaire C-420/07, arrêt du 28 avril 2009), la Cour de justice a déclaré :
« 73. (...) [I]l ressort des seizième à dix-huitième considérants du règlement no 44/2001 que le système de recours qu’il prévoit à l’encontre de la reconnaissance ou de l’exécution d’une décision vise à établir un juste équilibre entre, d’une part, la confiance réciproque dans la justice au sein de l’Union, qui justifie que les décisions rendues dans un État membre soient, en principe, reconnues et déclarées exécutoires de plein droit dans un autre État membre, et, d’autre part, le respect des droits de la défense, qui impose que le défendeur puisse, le cas échéant, former un recours, examiné de façon contradictoire, contre la déclaration constatant la force exécutoire, s’il considère que l’un des motifs de non-exécution est établi.
La Cour a eu l’occasion, dans son arrêt du 14 décembre 2006, ASML (C283/05, Rec. p. I12041), de souligner les différences entre l’article 34, point 2, du règlement no 44/2001 et l’article 27, point 2, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (...).
Ledit article 34, point 2, à la différence dudit article 27, point 2, requiert non pas nécessairement la régularité de la signification ou de la notification de l’acte introductif d’instance, mais plutôt le respect effectif des droits de la défense (...).
En effet, aux termes des articles 34, point 2, et 45, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, la reconnaissance ou l’exécution d’une décision rendue par défaut doit être refusée, en cas de recours, si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre, à moins que ce dernier n’ait pas exercé de recours à l’encontre de cette décision devant les juridictions de l’État membre d’origine alors qu’il était en mesure de le faire.
Il ressort du libellé desdites dispositions qu’une décision rendue par défaut sur la base d’un acte introductif d’instance non signifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre doit être reconnue si ce dernier n’a pas pris l’initiative d’introduire un recours contre ce jugement, alors qu’il était en mesure de le faire.
(...)
Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la (...) question [préjudicielle] que la reconnaissance ou l’exécution d’une décision prononcée par défaut ne peuvent pas être refusées au titre de l’article 34, point 2, du règlement no 44/2001 lorsque le défendeur a pu exercer un recours contre la décision rendue par défaut et que ce recours lui a permis de faire valoir que l’acte introductif d’instance ou l’acte équivalent ne lui avait pas été signifié ou notifié en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre. »
Enfin, dans l’affaire Trade Agency Ltd c. Seramico Investments Ltd (affaire C-619/10, arrêt du 6 septembre 2012), la Cour de justice (devenue Cour de justice de l’Union européenne suite à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009), a déclaré que « l’article 34, point 2, du règlement no 44/2001(...) doit être interprété en ce sens que, lorsque le défendeur forme un recours contre la déclaration constatant la force exécutoire d’une décision rendue par défaut dans l’État membre d’origine et accompagnée du certificat, en faisant valoir qu’il n’avait pas reçu notification de l’acte introductif d’instance, le juge de l’État membre requis, saisi dudit recours, est compétent pour vérifier la concordance entre les informations figurant dans ledit certificat et les preuves. »
B. Le droit interne pertinent
À l’époque des faits, les articles pertinents de la loi lettonne sur la procédure civile (Civilprocesa likums) étaient ainsi libellés :
Article 637 § 2
« Une décision étrangère n’est pas reconnue que s’il existe l’une des raisons suivantes de non-reconnaissance :
(...)
2) la décision étrangère n’est pas devenue exécutoire conformément à la loi ;
3) le défendeur n’a pas pu défendre ses droits, notamment lorsque le défendeur défaillant n’a pas été dûment et promptement cité à comparaître devant le tribunal, à moins que ce défendeur n’ait pas exercé de recours à l’encontre de cette décision alors qu’il était en mesure de le faire;
(...) »
Article 644
« 1o Après avoir été reconnue, une décision étrangère qui est exécutoire dans l’État où elle a été prise, est exécutée conformément à la présente loi.
2o S’agissant des modalités d’exécution d’un jugement prévues par le règlement du Conseil no 44/2001 (...), les dispositions du [présent] chapitre (...) relatives à la reconnaissance des décisions des juridictions étrangères, s’appliquent dans la mesure où [le règlement] le permet. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants, condamnés à des peines de réclusion de plusieurs années pour des crimes à caractère sexuel, ont été détenus ou purgent toujours leur peine à la prison de Tripoli (Péloponnèse). Cette prison accueille uniquement des prévenus ou des condamnés pour des infractions liées aux mœurs. Tous les requérants ont travaillé à la prison de Tripoli pendant un certain nombre de jours, ce qui leur donnait à tous droit à des remises de peine.
A. Le cas individuel des requérants
M. Kallios Katratzopoulos-Katratzis
Le requérant, alors en bonne santé, commença à purger sa peine le 30 avril 2008 à la prison de Tripoli (dortoir no 5). Le 19 janvier 2011, il fut transféré, à la suite de ses demandes répétées, à l’hôpital public de Tripoli où les médecins diagnostiquèrent un cancer de l’hypoglosse (cavité buccale). Toutefois, aucun traitement ni aucune opération ne furent prescrits.
Le 22 mars 2012, le requérant fut transféré de la prison de Tripoli au dispensaire de la prison de Korydallos (Aghios Pavlos) à Athènes. À ses dires, pendant son hospitalisation au dispensaire, il avait seulement été soumis à une radiographie et un électrocardiogramme, alors qu’il y aurait été transféré en urgence en raison de son cancer.
Le 8 mai 2012, il fut transféré à l’hôpital oncologique Aghios Savvas, à Athènes, où les médecins constatèrent que le cancer avait atteint le niveau 4 et qu’il avait métastasé vers le pharynx. Il fut soumis à une chimiothérapie.
Le 6 juin 2012, il fut transféré au dispensaire de la prison de Korydallos. Selon l’avocate du requérant, la cause de ce transfert était un projet de rénovation de la chambre dans laquelle il était hospitalisé.
Le 18 juin 2012, il fut transféré à l’hôpital Aghios Savvas pour une nouvelle chimiothérapie et, le 13 juillet 2012, il fut renvoyé au dispensaire de la prison.
Le 18 juillet 2012, il fut de nouveau admis à l’hôpital Aghios Savvas pour un traitement par radiothérapie qui devait durer de quatre à six mois.
Dans un rapport établi le 18 octobre 2012 par le directeur du service radiologique de l’hôpital Aghios Savvas, il est souligné que l’état de santé de ce patient s’était détérioré les jours précédents, que son transfert était désormais impossible et qu’il avait été décidé d’arrêter le traitement.
Le 19 octobre 2012, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel rejeta une demande de mise en liberté du requérant, fondée sur l’article 565 du code de procédure pénale (doute quant à la nature ou la durée de la peine), au motif qu’une telle mesure n’avait jamais été prise auparavant.
Le 2 novembre 2012, le requérant demanda sa mise en liberté conditionnelle.
Le requérant décéda à la prison de Korydallos le 8 novembre 2012, aux dires de son avocate dans une cellule surpeuplée.
Pendant sa détention, le requérant avait travaillé 531 jours. En outre, selon ses affirmations, son frère lui aurait versé à plusieurs reprises certaines sommes – 50.000 euros – pour améliorer ses conditions de détention.
M. Panagiotis Athanasopoulos
Le requérant fut placé en détention le 25 juin 2008 à la prison de Tripoli (dortoir no 3). Avant son incarcération, il avait été opéré du cœur (triple pontage). Il était diabétique, mais, en dépit de ses demandes réitérées et de celles de son épouse, il ne bénéficia pas en prison d’un régime alimentaire adapté. Il souffrait également d’hypertension artérielle, pour laquelle il était traité. La proposition de son épouse de fournir elle-même les repas du requérant fut rejetée « pour raisons de sécurité ».
Le 8 septembre 2011, le requérant fut transféré à l’hôpital public de Tripoli puis, le 9 septembre 2011, à l’hôpital public Gennimatas, à Athènes, où l’on diagnostiqua un adénocarcinome au gros intestin avec des métastases aux ganglions lymphatiques. Le 21 septembre 2011, il fut opéré dans cet hôpital et commença une chimiothérapie qui prit fin en mai 2012. Le requérant soutient s’être plaint pendant deux mois de douleurs et d’hémorragies au côlon avant d’obtenir l’autorisation des autorités de la prison d’être transféré à l’hôpital de Tripoli.
Alors qu’il avait été placé au dispensaire de la prison de Korydallos, il fut retransféré à la prison de Tripoli du 27 juin au 12 juillet 2012 et du 25 juillet au 23 août 2012.
Le 17 septembre 2012, à la suite d’un iléus, il fut transféré à nouveau à l’hôpital Gennimatas. Il y subit une nouvelle opération qui révéla qu’il était atteint d’un cancer généralisé dans la région ventrale. Le chirurgien attesta que, à la suite de l’opération, le requérant « se trouv[ait] dans un état général critique et a[vait] besoin d’être assisté 24 heures sur 24 ».
Le 18 novembre 2012, le requérant fut transféré à l’hôpital public Tzaneio du Pirée car ses reins ne fonctionnaient plus depuis quelques jours. Selon les affirmations de l’avocate de l’intéressé, les médecins informèrent la famille de son client que s’il n’avait pas été transféré à l’hôpital il serait mort en l’espace de quelques heures. Les médecins auraient aussi affirmé qu’il ne restait au requérant que quelques jours à vivre.
D’après l’épouse du requérant, le transfert de celui-ci à l’hôpital public susmentionné aurait eu lieu à la suite de ses interventions répétées et pressantes auprès des autorités de la prison de Korydallos.
Le 18 novembre 2012, le requérant saisit le tribunal correctionnel d’une demande tendant à sa mise en liberté sur le fondement de l’article 565 du code de procédure pénale (le tribunal correctionnel statue sur toute objection exprimée quant à l’exécution de l’arrêt de condamnation, la nature et la durée de la peine). Le requérant se prévalait, entre autres, de la décision de la Cour d’appliquer l’article 39 à son codétenu, M. Katratzopoulos-Katratzis, qui se trouvait aussi à un stade terminal de la maladie. Le 25 novembre 2012 le tribunal rejeta la demande du requérant et, à l’avocate de celui-ci qui demandait à entendre les motifs du rejet, le tribunal répondit : « Vous les lirez quand la décision sera prête. » L’avocate insista et le tribunal lui répondit que la demande était rejetée car elle n’était pas fondée sur l’article 110A du code pénal (mise en liberté conditionnelle en cas de maladie grave) ou sur l’article 557 du code de procédure pénale (suspension de l’exécution de la peine).
Un certificat médical établi le 13 décembre 2012 par le dispensaire de la prison de Korydallos attestait que l’état du requérant s’était beaucoup dégradé et que le pronostic vital était engagé, mais qu’il n’était pas possible de dire quand la mort pourrait survenir.
Le 14 décembre 2012, l’avocate du requérant informa la Cour que les tumeurs du requérant s’étaient étendues et qu’elles faisaient pression sur ses reins, au point de causer une anurie nécessitant la pose d’une sonde.
Le requérant décéda à la prison de Korydallos le 21 décembre 2012.
Pendant sa détention, le requérant avait travaillé 533 jours.
M. Nikolaos Tsokas
Le requérant est incarcéré à la prison de Tripoli depuis le 27 octobre 2009 (dortoir no 3). Une demande d’autorisation de sortie, initialement rejetée par le conseil de la prison, fut accueillie à la suite d’un recours du requérant devant le tribunal correctionnel.
Pendant sa détention, le requérant a travaillé 298 jours.
M. Andreas Bilias
Condamné à une peine de réclusion de dix-huit ans, le requérant est incarcéré à la prison de Tripoli (dortoir no 6) depuis le 29 septembre 2010. Il dit souffrir de dépression.
Pendant sa détention, le requérant a travaillé 68 jours.
M. Fotios Sgardelis
Le requérant est incarcéré depuis le 1er juillet 2008 (dortoir no 3). Il dit souffrir de dépression.
Un an après son incarcération et alors qu’il travaillait en prison, il fut victime d’un accident du travail et perdit son pouce. Cet accident l’empêchera d’exécuter, après sa libération, les tâches inhérentes à son métier d’agriculteur pêcheur.
Il se vit rejeter six demandes d’autorisation de sortie.
Il sollicita par écrit auprès de l’administration de la prison l’obtention de l’assistance judiciaire en vue d’introduire des actions contre l’Etat, mais il ne reçut aucune réponse.
Pendant sa détention, le requérant a travaillé 590 jours.
M. Ioannis Zafiropoulos
Accusé en juin 2001, le requérant fut condamné en première instance en 2008 à une peine d’emprisonnement de dix-huit ans, réduite en appel en 2011 à douze ans. Il est incarcéré à la prison de Tripoli depuis le 1er juillet 2008 (dortoir no 3).
Souffrant d’une hernie discale, il a subi en 2005 une opération qui avait contribué à faire disparaître les symptômes. En 2007, il ressentit à nouveau des symptômes de cette pathologie après avoir soulevé un objet pesant. Il fournit un certificat médical, établi le 2 juin 2009 par le chirurgien qui le suivait avant son incarcération, qui atteste de la récidive de la pathologie et de l’apparition de douleurs dorsales.
Pendant son incarcération, et en raison de l’effet non suspensif de l’appel qu’il avait formé contre sa condamnation, le requérant saisit plusieurs fois les tribunaux d’une action en suspension de l’exécution de la sentence, invoquant les conséquences néfastes qu’aurait cet effet non suspensif sur sa situation patrimoniale et familiale et soutenant que ses problèmes de santé ne pouvaient pas être traités en prison. La cour d’appel d’Athènes, par ses décisions nos 2693/2008, 2377/2009 et 2472/2010, et la cour d’assises d’Athènes, par ses décisions nos 408 et 409/2010, rejetèrent les actions du requérant au motif que les problèmes de santé et les symptômes décrits pouvaient être traités de manière adéquate au sein de la prison.
Le requérant travaille en prison (il a déjà travaillé 595 jours donnant droit à une remise de peine) et, selon les médecins, il est préférable pour l’intéressé de travailler et d’être ainsi en position assise pendant la journée plutôt que de rester couché sur un lit, comme il le serait s’il ne travaillait pas. Une demande d’autorisation de sortie, initialement rejetée par le conseil de la prison, fut accordée à la suite d’un recours formé par le requérant devant le tribunal correctionnel.
B. Les conditions de détention à la prison de Tripoli
La version des requérants
Les requérants s’accordent pour décrire comme suit les conditions de détention à la prison de Tripoli.
La prison a une capacité d’accueil de 65 détenus environ, la majorité d’entre eux étant accusés d’avoir commis ou condamnés pour avoir commis des infractions à caractère sexuel. Elle est composée de 4 dortoirs de 48 m² ayant chacun 17 lits doubles et accueillant 34 détenus, et d’un autre de 45 m² (le dortoir no 3) contenant 16 lits et accueillant 36 détenus à la date du dépôt des observations des requérants. Un espace de 40 à 50 cm sépare les lits qui sont superposés (deux ou trois étages) et accolés par deux. Enfin, un couloir de 50 m² (sans fenêtres ni ventilation) a été transformé en dortoir (no 6). Les détenus du dortoir no 3 (36 détenus) et ceux qui sont placés dans le couloir (30 détenus) partagent les 2 WC du dortoir no 3. Les dortoirs nos 1, 3, 4 et 5 disposent de 2 WC et le dortoir no 2 de 3 WC.
Les requérants fournissent un tableau établi par le ministère de la Justice qui confirme que la capacité officielle de la prison de Tripoli est de 65 détenus et que, le 1er janvier 2009, celle-ci en accueillait 177 (soit un taux d’occupation de 272,31 %).
La prison accueillait près de 185 détenus à la date de l’introduction de la requête et 215 détenus à la date du dépôt des observations des requérants. Chaque détenu dispose de 1,40 m². Dans les périodes où la prison accueille 200 détenus environ, certains d’entre eux dorment dans des cagibis au-dessus des toilettes.
Neuf douches sont situées dans la cour de la prison, de sorte que les détenus doivent sortir pour s’y rendre même si les températures sont hivernales.
Les dortoirs sont chauffés par six poêles à mazout qui fonctionnent quelques heures par jour mais ne chauffent pas suffisamment. Il n’y a ni climatisation ni ventilateurs pour l’été. Chaque dortoir est équipé d’un téléviseur et d’un réfrigérateur.
La cour a une superficie de 900 m² environ, ce qui est insuffisant lorsque la prison accueille 200 détenus. Cette superficie comprend aussi 3 WC dans un état « lamentable », les douches, le parloir et l’espace de récréation. Il n’y a ni chaises ni bancs où les détenus pourraient s’asseoir. Il n’y a pas d’espace couvert permettant de faire de l’exercice.
Il n’y a pas d’assistante sociale et la seule psychiatre, qui a comme tâche d’émettre des recommandations relativement aux demandes d’autorisation de sortie des détenus, a contribué, de par ses nombreux avis négatifs, à créer un climat peu propice aux interventions à visée thérapeutique.
L’espace réservé au parloir, inférieur à 13 m², peut accueillir quatre personnes. Les détenus se plaignent de ne pouvoir s’entretenir de manière confidentielle avec leurs avocats en raison de la proximité des gardiens.
L’espace de récréation, non chauffé en hiver, a une superficie de 40 m² et ne dispose que d’une table de ping-pong.
L’espace de distribution de la nourriture n’est pas abrité. Les repas ne comprennent pas de viande autre que sous forme de « viande hachée ». Du poisson est servi une fois tous les trois mois et il n’y a ni fruits ni desserts en raison d’une réduction du budget. La nourriture est de très mauvaise qualité. Il est interdit aux détenus de commander des fruits à l’extérieur (sauf des oranges et des clémentines) et aux familles de leur apporter de la nourriture.
Il n’y a ni réfectoire ni chaises et les détenus mangent par terre, debout ou sur les lits. La cour n’a pas d’abri de sorte que, quand il pleut, ils doivent rester à l’intérieur car il leur est interdit d’avoir des parapluies.
Le nettoyage des dortoirs et l’achat des produits d’entretien sont assurés par les détenus eux-mêmes. Les autorités de la prison effectuent une désinfection une fois par an. Faute de machines à laver, les vêtements et le linge de lit sont lavés à la main dans de grandes bassines.
La version du Gouvernement
Le Gouvernement décrit la prison de Tripoli comme suit. La surface totale de la prison est de 1 150 m² dont une partie de 310 m² environ est occupée par les 6 dortoirs (dortoirs nos 1, 3, 4 et 5 : 50 m² chacun, dortoirs nos 2 et 6 : 55 m² chacun, le dernier accueillant 30 détenus environ), le restant étant l’espace réservé à la promenade des détenus. Chaque dortoir est équipé de deux WC, à l’exception du dortoir no 3 qui en a trois. Chaque dortoir a quatre fenêtres et est chauffé. Il y a de l’eau chaude 24 heures sur 24. Chaque détenu dispose d’un lit et d’une table de nuit.
La propreté des dortoirs est suffisante et relève de la responsabilité des détenus qui sont affectés à cette tâche (au total 23 détenus).
L’espace réservé à la promenade est lui aussi équipé de toilettes.
Le parloir a une surface de 13 m² et l’espace de récréation de 70 m².
La capacité totale de la prison est de 110 détenus environ. Pendant la détention des requérants, le nombre des détenus était compris entre 180 et 190.
La nourriture est suffisante en quantité et les menus sont programmés sur une base hebdomadaire. Le requérant Athanasopoulos suivait un régime spécial sur les conseils du médecin de la prison.
Enfin, la prison est équipée d’une infirmerie où sont présents quotidiennement un médecin généraliste, un psychologue et un infirmier.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La loi no 2776/1999 (code pénitentiaire)
Aux termes de l’article 6 de la loi no 2776/1999 :
« 1. En cas d’acte ou d’ordre illégaux à leur encontre, les détenus ont le droit de se référer par écrit et à une fréquence raisonnable au conseil de la prison lorsque les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. En cas de manquement de l’administration à prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal de l’exécution des peines dans un délai de quinze jours ou d’un mois respectivement à compter de la notification d’une décision de rejet ou de l’introduction de leur demande. Si ce tribunal accueille la requête quant au fond, il ordonne les mesures susceptibles d’effacer les conséquences de l’action ou de l’ordre illégaux.
(...) »
L’article 21 de la même loi traite de l’espace de vie des détenus. Il précise ce qui suit :
« 1. Chaque maison d’arrêt (...) est divisée en plusieurs secteurs, sans possibilité de communication entre les détenus qui y sont placés. Ces secteurs peuvent inclure des cellules et, de manière exceptionnelle, des dortoirs d’une capacité maximale de six personnes de préférence.
(...)
Les dortoirs doivent être d’une superficie d’au moins 6 m2 pour chaque détenu et être équipés de lits, d’armoires et de tables d’une surface suffisante ainsi que de chaises en nombre suffisant.
Les cellules individuelles et les dortoirs ont leurs propres installations de chauffage et d’hygiène (lavabos, toilettes). Chaque installation sanitaire doit servir au plus à trois détenus. L’existence d’une douche dans les cellules et dans les dortoirs n’est pas nécessaire s’il y a un nombre suffisant d’installations communes, avec eau froide et chaude, pour l’hygiène individuelle et la propreté de chaque détenu.
(...) »
B. Le Règlement intérieur des établissements pénitentiaires
La décision ministérielle no 58819 du 7 avril 2003 portant Règlement intérieur des établissements pénitentiaires prévoit :
Article 7
Supervision par le procureur
« 2. Le procureur superviseur ou son adjoint exercent des compétences juridictionnelles, disciplinaires et de contrôle. En particulier, le procureur superviseur :
– veille à l’application des dispositions en vigueur concernant le traitement des détenus (...) ;
– entend à leur demande les détenus, leurs proches ou leurs avocats ;
– examine les questions de protection juridictionnelle des détenus en indiquant aux intéressés les démarches à suivre et transmet aux autorités compétentes les demandes d’aide juridictionnelle des détenus qui sont dans l’impossibilité financière de saisir la justice (...) ;
– veille à la réalisation d’un contrôle sanitaire de l’établissement à des intervalles réguliers (...) et exceptionnellement lorsqu’il estime un tel contrôle nécessaire (...) »
Article 31
Droits des détenus
« (...)
Plus particulièrement, les détenus ont le droit :
(...)
de saisir par écrit toute autorité publique, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement, et de demander leur protection légale aux tribunaux. A cet égard, ils ont le droit de s’adresser par écrit au conseil de la prison lorsqu’un acte illégal a été commis à leur encontre (...). Ils peuvent saisir la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du lieu de l’exécution de la peine si leur demande a été rejetée par le conseil de la prison (...). En cas de recours devant la chambre d’accusation, ils peuvent déposer des observations et, si la chambre le demande, comparaître personnellement ou être représentés par un avocat.
(...) »
C. Le code de procédure pénale
Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale sont ainsi libellées :
Article 497
« (...)
Lorsque l’accusé a été condamné par un jugement d’une juridiction de première instance à une peine privative de liberté et qu’il a formé un appel n’ayant pas d’effet suspensif, le procureur ou l’accusé lui-même peuvent demander qu’il soit sursis à l’exécution de la peine imposée jusqu’au prononcé de l’arrêt de la juridiction de deuxième instance.
(...) »
Article 557
« 1. L’exécution d’une peine privative de liberté peut être suspendue dans les cas prévus par les articles 429 § 3 et 556, alinéas a, b et c, ainsi que par les paragraphes 2 et 7 du présent article.
Dans le cas où le détenu est hospitalisé, conformément aux dispositions pertinentes, et s’il souffre d’une maladie tellement grave que le maintien de son hospitalisation dans tout hôpital ne permet pas de prévenir la dégradation irréversible de son état de santé ou présente un danger pour sa vie, celui-ci peut demander son admission dans un autre établissement spécifiquement mentionné pour poursuivre son traitement à ses propres frais. Le traitement médical à domicile est exclu.
Le tribunal compétent se prononce sur cette demande en motivant sa décision de manière spécifique et circonstanciée. Cette décision est rendue après la production de a) l’avis de deux médecins légistes ou, à défaut, de deux médecins engagés par un établissement public sur la nécessité de transférer le demandeur au centre hospitalier proposé par lui-même, b) l’avis de l’établissement où l’intéressé est hospitalisé et c) l’avis du centre hospitalier vers lequel l’intéressé sollicite son transfert.
Si le tribunal fait droit à la demande du requérant, il ordonne le sursis à exécution de la peine de l’intéressé pour une période maximale de cinq mois. L’intéressé ou le procureur peuvent soumettre au tribunal une nouvelle demande avant l’expiration dudit délai en vue de voir proroger le sursis à exécution de la peine par périodes de cinq mois au maximum, s’il y a lieu.
(...)
Dans des cas exceptionnels, le tribunal peut, à la demande du détenu, ordonner son élargissement si le sursis à exécution de la peine ne peut empêcher un dommage irréversible à la santé de l’intéressé ou si son pronostic vital est engagé. Le traitement médical du patient à domicile doit véritablement empêcher la détérioration irréversible de son état de santé.
(...) »
La jurisprudence de la Cour de cassation admet qu’il ressort des articles 370, 504 et 506 combinés du code de procédure pénale que la décision de la cour d’appel sur la demande – formée en vertu de l’article 557 du code de procédure pénale – de suspension de l’exécution de la peine infligée n’est pas susceptible de pourvoi (arrêt de la Cour de cassation no 749/2005).
Article 565
« Tout doute ou objection quant à l’exécution du jugement ainsi qu’à la nature ou la durée de la peine est levé par le tribunal correctionnel du lieu de l’exécution de la peine. Le procureur et le condamné peuvent se pourvoir en cassation contre cette décision. »
Article 572
« 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.
En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel se rend à la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition.
(...) »
D. Le code pénal
L’article 110A du code pénal dispose :
« 1. La libération conditionnelle est accordée indépendamment de la réalisation des conditions visées aux articles 105 et 106 si le condamné souffre du syndrome d’immunodéficience acquise, d’insuffisance rénale chronique imposant une hémodialyse régulière ou de tuberculose tenace, s’il est tétraplégique, s’il est atteint d’une cirrhose du foie ayant entraîné une invalidité de plus de 67 %, s’il souffre de démence sénile et qu’il a dépassé l’âge de quatre-vingts ans révolus, ou s’il est atteint de néoplasmes malins en phase terminale.
La vérification des conditions du premier paragraphe est faite, à la demande du condamné, par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel compétent, qui ordonne une expertise spéciale dont le déroulement est fixé par une décision commune des ministres de la Justice et de la Santé, de la Prévoyance et de la Sécurité sociale.
La libération conditionnelle décidée en vertu du premier paragraphe du présent article est inscrite au casier judiciaire et est accordée une seule fois. »
Une décision ministérielle du 25 janvier 2010 fixe la procédure relative à l’expertise qui permet d’établir si les conditions de l’article 110A § 1 se trouvent réunies. Un expert nommé par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel soumet au directeur de l’établissement pénitentiaire une demande de transfert immédiat du détenu vers un hôpital public ayant les moyens de diagnostiquer la maladie dont il s’agit, lorsque ce diagnostic ne peut pas être fait par le dispensaire de la prison de Korydallos. Lors de son séjour à l’hôpital public, le détenu subit le contrôle clinique décidé par le directeur de l’hôpital, lequel rédige son diagnostic. Le directeur de l’établissement pénitentiaire ou le directeur du dispensaire de la prison de Korydallos transmet immédiatement le dossier du détenu à l’expert, lequel dresse son rapport. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les premiers requérants sont nés en 1965 et 1955 respectivement. Les troisième et quatrième requérantes sont nées en 2000. Ils résident à Maisons-Alfort.
A. La naissance des troisième et quatrième requérantes
Mari et femme, les premiers requérants n’ont pu mener à bien leur projet de parentalité en raison de l’infertilité de la deuxième requérante.
Après avoir vainement fait des tentatives de fécondation in vitro avec leurs propres gamètes, les premiers requérants décidèrent d’avoir recours à la fécondation in vitro avec les gamètes du premier requérant et un ovule issu d’un don, en vue de l’implantation des embryons fécondés dans l’utérus d’une autre femme. Pour ce faire, ils se rendirent en Californie, où ces modalités sont prévues par la loi, et conclurent une convention de gestation pour autrui.
Les requérants précisent que, conformément au droit californien, la « mère porteuse » n’était pas rémunérée mais seulement défrayée. Ils ajoutent que, mariée à un cadre et cadre elle-même, elle disposait de ressources bien supérieures aux leurs, et qu’elle agissait par solidarité.
Une grossesse gémellaire fut constatée le 1er mars 2000 et, par un jugement du 14 juillet 2000, la Cour suprême de Californie, saisie conjointement par les premiers requérants, la mère porteuse et l’époux de celle-ci, décréta que tout enfant qui serait mis au monde par celle-ci dans les quatre mois aurait le premier requérant pour « père génétique » et la deuxième requérante pour « mère légale ». Le jugement précise les mentions devant figurer sur l’acte de naissance, indiquant notamment que les premiers requérants devaient être enregistrés comme père et mère.
Des jumelles – les troisième et quatrième requérantes – naquirent le 25 octobre 2000, et les actes de naissance furent établis comme indiqué ci-dessus.
B. Le refus du consulat français de transcrire les actes de naissance
Au début du mois de novembre 2000, le premier requérant se rendit au consulat français de Los Angeles en vue de la transcription des actes de naissance sur les registres de l’état civil français et de l’inscription des enfants sur son passeport afin de pouvoir rentrer en France avec elles.
Les requérants indiquent que cette procédure avait été suivie avec succès par bon nombre de couples français dans leur situation. Les services consulaires opposèrent cependant un refus au premier requérant, faute pour lui de pouvoir établir l’accouchement de la deuxième requérante. Suspectant un cas de gestation pour autrui, ils transmirent le dossier au parquet de Nantes.
C. L’instruction conduite contre les premiers requérants
L’administration fédérale américaine ayant délivré aux jumelles des passeports américains sur lesquels les premiers requérants sont désignés comme étant leurs parents, ils purent rentrer tous les quatre en France en novembre 2000.
En décembre 2000, une enquête préliminaire fut diligentée à l’initiative du parquet.
En mai 2001, une information fut ouverte, contre X, du chef d’entremise en vue de la gestation pour le compte d’autrui et, contre les premiers requérants, du chef de simulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’enfants.
Le 30 septembre 2004, conformément au réquisitoire du procureur de la République de Créteil, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu : il considéra que, commis sur le territoire américain où ils n’étaient pas pénalement répréhensibles, les faits visés ne constituaient pas des délits punissables sur le territoire national.
D. La procédure devant les juridictions civiles
Entre-temps, le 25 novembre 2002, sur les instructions du parquet, les actes de naissance des troisième et quatrième requérantes avaient été retranscrits sur les registres du service central d’état civil à Nantes par le consulat de France à Los Angeles.
Cependant, le 16 mai 2003, le procureur de la République de Créteil assigna les premiers requérants devant le tribunal de grande instance de Créteil aux fins de voir annuler cette transcription et ordonner la transcription du jugement en marge des actes annulés. Il soulignait que la convention par laquelle une femme s’engage à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance est nulle car elle contrevient aux principes d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain et de l’indisponibilité de l’état des personnes. Il en déduisait que, contraire à la conception française de l’ordre public international et à l’ordre public français, le jugement de la Cour suprême de Californie du 14 juillet 2000 ne pouvait être exécuté en France, et l’autorité des actes d’état civil établis sur son fondement ne pouvait être reconnue en France.
Le jugement du tribunal de grande instance de Créteil du 13 décembre 2005, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 25 octobre 2007 et l’arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2008
Par un jugement du 13 décembre 2005, le tribunal de grande instance de Créteil déclara l’action irrecevable. Il constata que le procureur de la République était « seul à l’origine de la transcription effectuée, qu’il n’[avait] opérée que dans le but désormais avoué d’introduire la présente action en annulation ». Il en déduisit que le procureur ne pouvait « être considéré comme recevable à invoquer un ordre public qu’il [avait] lui-même troublé, alors que les dispositions de l’article 47 du code civil dont il se [prévalait] lui permettaient de procéder à tout contrôle de régularité des actes et de refuser toute demande de transcription tendant à leur conférer opposabilité en France ».
Saisie par le ministère public, la cour d’appel de Paris confirma ce jugement, par un arrêt du 25 octobre 2007. Elle jugea pareillement que le ministère public était irrecevable, au regard de l’ordre public international, à solliciter l’annulation des actes transcrits sur les registres du service central de l’état civil de Nantes. Elle procéda toutefois à une substitution de motifs. Elle retint en effet à cet égard que les énonciations de ces actes étaient exactes au regard du jugement de la Cour suprême de Californie du 14 juillet 2000, et que le ministère public ne contestait ni l’opposabilité à la France de ce jugement ni la foi à accorder, au sens de l’article 47 du code civil, aux actes dressés en Californie dans les formes usitées dans cet État.
Le 17 décembre 2008, la Cour de cassation (première chambre civile) cassa et annula cet arrêt au motif que le ministère public disposait d’un intérêt à agir en nullité des transcriptions dès lors qu’il ressortait des constatations de la cour d’appel que les énonciations inscrites sur les actes d’état civil ne pouvaient résulter que d’une convention portant sur la gestation pour autrui. Elle renvoya la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris autrement composée.
L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 mars 2010
Par un arrêt du 18 mars 2010, la cour d’appel de Paris, infirmant le jugement déféré, annula la transcription des actes de naissance et ordonna la transcription de l’arrêt en marge des actes de naissance annulés.
Sur la recevabilité de l’action du ministère public, la cour d’appel considéra notamment qu’il ne pouvait être sérieusement prétendu que le ministère public avait troublé l’ordre public ou porté atteinte à la paix des familles en sollicitant l’annulation d’une transcription qu’il avait lui-même ordonnée, l’objectif étant de faire échec aux conséquences d’un état civil étranger qu’il estimait contraire à l’ordre public français ou de se prémunir contre une action en transcription.
Sur le fond, la cour d’appel statua comme suit :
« (...) Considérant que les actes de naissance ont été établis sur le fondement de l’arrêt rendu le 14 juillet 2000 par la Cour supérieure de l’État de Californie qui a déclaré [le premier requérant] père génétique et [la deuxième requérante] mère légale de tout enfant devant naître de [la mère porteuse] entre le 15 août 2000 et le 15 décembre 2000 ; que les actes d’état civil sont donc indissociables de la décision qui en constitue le soutien et dont l’efficacité demeure subordonnée à sa propre régularité internationale ;
Considérant que la reconnaissance, sur le territoire national, d’une décision rendue par une juridiction d’un État qui n’est lié à la France par aucune convention est soumise à trois conditions, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure et l’absence de fraude à la loi ;
Considérant qu’en l’espèce, il est constant que c’est à la suite d’une convention de gestation pour autrui que [la mère porteuse] a donné naissance à deux enfants qui sont issus des gamètes [du premier requérant] et d’une tierce personne et qui ont été remises aux [premiers requérants] ;
Considérant que, selon l’article 16-7 du code civil, dont les dispositions qui sont issues de la loi no 94-653 du 29 juillet 1994 et qui n’ont pas été modifiées par la loi no 2004-800 du 6 août 2004, sont d’ordre public en vertu de l’article 16-9 du même code, toute convention portant sur la procréation ou sur la gestation pour le compte d’autrui est nulle ; que, dès lors, l’arrêt de la Cour supérieure de l’État de Californie, en ce qu’il a validé indirectement une convention de gestation pour autrui, est en contrariété avec la conception française de l’ordre public international ; qu’en conséquence, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si une fraude à la loi a été réalisée, il y a lieu d’annuler la transcription, sur les registres du service central d’état civil français, des actes de naissance américains qui désignent [la deuxième requérante] comme mère des enfants et d’ordonner la transcription du présent arrêt en marge des actes de naissance annulés ;
Considérant que les [requérants], qui ne peuvent sérieusement prétendre ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable, ne sont pas davantage fondés à soutenir qu’une telle mesure contrevient à des dispositions inscrites dans des conventions internationales et des textes de droit interne ; qu’en effet, les notions qu’ils invoquent, en particulier celle de l’intérêt supérieur de l’enfant, ne sauraient permettre, en dépit des difficultés concrètes engendrées par une telle situation, de valider a posteriori un processus dont l’illicéité, consacrée par le législateur français à la suite du juge, ressortit, pour l’heure, au droit positif ; qu’en outre, l’absence de transcription n’a pas pour effet de priver les deux enfants de leur état civil américain et de remettre en cause le lien de filiation qui leur est reconnu à l’égard des [premiers requérants] par le droit californien (...) »
L’arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 2011
Les requérants se pourvurent en cassation, faisant valoir, d’une part, une méconnaissance de l’intérêt supérieur des enfants – au sens de l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant – et de leur droit à se voir reconnaître une filiation stable, et, d’autre part, une violation de l’article 8 de la Convention pris isolément et combiné avec l’article 14. Ils soutenaient par ailleurs que la décision étrangère reconnaissant la filiation d’un enfant à l’égard d’un couple ayant régulièrement conclu une convention avec une mère porteuse n’est pas contraire à l’ordre public international, lequel ne se confond pas avec l’ordre public interne.
Lors de l’audience, qui eut lieu le 8 mars 2011, l’avocat général préconisa la cassation. Il exprima l’avis que l’ordre public international ne pouvait être opposé pour refuser à un droit régulièrement acquis à l’étranger ou à une décision étrangère régulièrement prononcée par une juridiction étrangère de produire en France les effets juridiques qui en dérivent lorsqu’un tel refus a pour conséquence de porter atteinte à un principe, une liberté ou un droit garanti par une convention internationale ratifiée par la France.
En particulier, il releva que, dans l’affaire Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg (no 76240/01, 28 juin 2007), la Cour avait, sur le terrain de l’article 8 de la Convention, tenu compte d’une « vie familiale effective » et de « liens familiaux existant de facto » entre une luxembourgeoise célibataire et l’enfant qu’elle avait adopté au Pérou, sans attacher aucune importance au fait que la première était allée chercher à l’étranger un système juridique qui lui permettait d’obtenir ce que la loi de son pays d’origine lui refusait. Selon lui, transposé à la situation de l’espèce, cet élément permettait de penser que même obtenu au terme d’un contournement de la loi prohibitive nationale, un rapport juridique créé régulièrement à l’étranger ne peut se voir refuser de produire l’efficacité de droit qu’il engendre dès lors qu’il doit s’appliquer à une communauté familiale effective et permettre à celle-ci de s’organiser et de se développer dans des conditions normales au regard de l’article 8 de la Convention. Il constata en outre que les troisième et quatrième requérantes vivaient depuis dix ans en France et y « [étaient] élevées par des parents génétiques et d’intention dans le cadre d’une cellule familiale de fait où [elles recevaient] l’affection, les soins, l’éducation et le bien-être matériel nécessaires à leur développement », et que « cette communauté de vie effective et affective – tout à fait régulière au regard du droit étranger qui l’a[vait] vue naître – [était] frappée de clandestinité juridique », « les enfants n’[ayant] aucun état civil reconnu en France et aucun lien de filiation considéré comme valable au regard du droit français ». Posant la question de savoir si un tel état de choses portait atteinte à leur « droit à une vie familiale normale », l’avocat général souligna en réponse ce qui suit :
« (...) À ce stade, deux réponses sont envisageables : ou bien, hypothèse assez théorique et largement paradoxale, le refus de transcription ne tire pas à conséquence et n’apporte aucune gêne d’importance à la vie quotidienne de la famille, ce qui signifie que la transcription n’est qu’une simple formalité, et l’on ne voit pas alors quelle raison majeure s’oppose dans ces conditions à l’accueil d’actes d’effet juridique si ténu qu’on n’imagine pas qu’ils puissent en soi ébranler les assises de nos principes fondamentaux et troubler gravement l’ordre public (puisque les actes ne renferment intrinsèquement aucun indice révélateur sur la gestation).
Ou bien un tel refus perturbe durablement et significativement la vie de la famille qui est en France juridiquement coupée en deux – les époux français d’un côté, les enfants étrangers de l’autre – et se pose alors la question de savoir si notre ordre public international, même de proximité, peut tenir en échec le droit à une vie familiale au sens de l’article 8 [de la Convention] ou si, bien au contraire, un tel ordre public, dont les effets doivent s’apprécier de manière concrète tout comme ceux des droits ou décisions étrangères qu’il a pour objet d’écarter, ne doit pas s’effacer pour permettre à la norme conventionnelle d’être respectée.
Si l’on privilégie le deuxième terme de cette alternative au motif que les conventions internationales doivent primer sur un ordre public dont le support effectif est une norme de valeur législative, il n’en résulte pas nécessairement un effondrement automatique des barrières qu’élève ledit ordre public interne dans de telles occurrences. Tant que la Cour européenne ne s’est pas clairement prononcée sur la question de la licéité de la gestation pour autrui et laisse aux États le soin de légiférer à leur guise en ce domaine, on peut considérer que l’ordre public s’oppose à la validation, au nom du droit au respect de la vie familiale, de situations créées en contradiction avec la loi, à l’intérieur des pays qui les interdisent.
Mais lorsqu’il s’agit seulement de faire produire à de telles situations régulièrement acquises à l’étranger – fût-ce au prix de l’intention de s’affranchir des rigueurs d’une loi impérative – des effets juridiques sur le territoire de ceux-ci, rien ne s’oppose absolument à ce que l’ordre public international, même de proximité, s’efface pour permettre à des familles de mener une vie conforme aux conditions de droit dans lesquelles elles se sont constituées et aux conditions de fait dans lesquelles elles vivent désormais. Ajouté à cela que l’intérêt supérieur de l’enfant envisagé non plus sous l’angle de la convention de New York mais sous celui de la jurisprudence de la Cour des droits de l’homme qui en a fait une composante du respect de la vie familiale milite aussi en ce sens. C’est du moins l’enseignement que l’on peut tirer me semble-t-il de l’arrêt Wagner [ et J.M.W.L.](...) ».
Le 6 avril 2011, la Cour de cassation (première chambre civile) rejeta cependant le pourvoi par un arrêt ainsi motivé :
« (...) attendu qu’est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l’ordre public international français de cette décision, lorsque celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu’en l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ;
Que dès lors, la cour d’appel a retenu à bon droit que, dans la mesure où il donnait effet à une convention de cette nature, le jugement « américain » du 14 juillet 2000 était contraire à la conception française de l’ordre public international, en sorte que les actes de naissance litigieux ayant été établis en application de cette décision, leur transcription sur les registres d’état civil français devait être annulée ; qu’une telle annulation, qui ne prive pas les enfants de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien leur reconnaît ni ne les empêche de vivre avec les époux Mennesson en France, ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants au sens de l’article 8 de la Convention (...), non plus qu’à leur intérêt supérieur garanti par l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant (...) »
La demande de certificat de nationalité
Le 16 avril 2013, le premier requérant déposa au greffe du tribunal d’instance de Charenton-le-Pont une demande de délivrance d’un certificat de nationalité française au bénéfice des troisième et quatrième requérantes. Le greffier en chef lui adressa des récépissés datés des 31 octobre 2013 et 13 mars 2014, indiquant que cette demande « [était] toujours en cours dans [ses] services, en attente du retour de la demande d’authentification transmise au consulat de Los Angeles, Californie ».
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Dispositions de droit civil
L’article 18 du code civil est rédigé comme il suit :
« Est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français. »
Les articles 16-7 et 16-9 du code civil (créés par loi no 94-653 du 29 juillet 1994) sont ainsi libellés :
Article 16-7
« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. »
Article 16-9
« Les dispositions du présent chapitre sont d’ordre public. »
À la date de la naissance des troisième et quatrième requérantes (le 25 octobre 2000) et jusqu’au 27 novembre 2003, l’article 47 du code civil prévoyait que « tout acte de l’état civil des français et des étrangers, fait en pays étranger, fera foi, s’il est rédigé dans les formes usitées dans ledit pays ». La Cour de cassation avait toutefois précisé que « les actes de l’état civil ne font foi des faits qui ont été déclarés à l’officier de l’état civil que jusqu’à la preuve du contraire » (Cass. civ., 1re chambre, 12 novembre 1986 : Bulletin 1986 I, no 258, p. 247).
Dans sa version en vigueur du 27 novembre 2003 au 15 novembre 2006, l’article 47 du code civil était rédigé comme suit :
« Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
En cas de doute, l’administration, saisie d’une demande d’établissement, de transcription ou de délivrance d’un acte ou d’un titre, sursoit à la demande et informe l’intéressé qu’il peut, dans un délai de deux mois, saisir le procureur de la République de Nantes pour qu’il soit procédé à la vérification de l’authenticité de l’acte.
S’il estime sans fondement la demande de vérification qui lui est faite, le procureur de la République en avise l’intéressé et l’administration dans le délai d’un mois.
S’il partage les doutes de l’administration, le procureur de la République de Nantes fait procéder, dans un délai qui ne peut excéder six mois, renouvelable une fois pour les nécessités de l’enquête, à toutes investigations utiles, notamment en saisissant les autorités consulaires compétentes. Il informe l’intéressé et l’administration du résultat de l’enquête dans les meilleurs délais.
Au vu des résultats des investigations menées, le procureur de la République peut saisir le tribunal de grande instance de Nantes pour qu’il statue sur la validité de l’acte après avoir, le cas échéant, ordonné toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »
B. Dispositions de droit pénal
Les articles 227-12 et 227-13 du code pénal disposent :
Article 227-12
« (...) Est puni [d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende] le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif, les peines sont portées au double.
La tentative (...) est punie des mêmes peines. »
Article 227-13
« La substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
La tentative est punie des mêmes peines. »
C. La Jurisprudence de la Cour de cassation
La Cour de cassation considère que la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes (Cass. ass. plén., 31 mai 1991 : Bulletin 1991 A.P., no 4, p. 5 ; dans cette affaire, la mère porteuse était la mère biologique de l’enfant). Cette position fait obstacle à l’établissement d’un lien juridique de filiation entre l’enfant issu d’une telle convention et la femme qui l’a recueilli à sa naissance et qui l’élève, que ce soit par le biais, comme en l’espèce, de la transcription sur les registres de l’état civil des mentions figurant sur un acte de naissance régulièrement dressé à l’étranger, par le biais de l’adoption (Cass. civ., 1re chambre, 29 juin 1994 : Bulletin 1994 I, no 226, p. 164 ; dans cette affaire également, la mère porteuse était la mère biologique de l’enfant), ou par l’effet de la possession d’état (Cass. civ., 1re chambre, 6 avril 2011 : pourvoi no 09-17130).
Dans deux arrêts du 13 septembre 2013, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de la transcription des actes de naissance d’enfants nés en Inde d’une gestation pour autrui, de mères indiennes et de pères français (Cass. civ., 1re chambre ; pourvois nos 12-18315 et 1230138). Ces derniers, qui avaient préalablement reconnus les enfants en France, avaient vainement sollicité la transcription des actes de naissances établis en Inde. Dans l’un des cas, la cour d’appel avait ordonné la transcription au motif que la régularité formelle et la conformité à la réalité des énonciations des actes litigieux n’étaient pas contestées. La Cour de cassation a cassé l’arrêt au motif qu’en l’état du droit positif, le refus de transcription est justifié « lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre publique selon les termes des [articles 16-7 et 19-9 du code civil] » (la Cour de Cassation a statué à l’identique le 19 mars 2014 dans une affaire similaire ; pourvoi no 13-50005). Dans l’autre cas, la cour d’appel avait refusé d’ordonner la transcription, retenant qu’il ne s’agissait pas seulement d’un contrat de gestation pour autrui prohibé par la loi française, mais encore d’un achat d’enfant, contraire à l’ordre public, le père ayant versé à la mère porteuse un salaire de 1 500 EUR. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi par le même motif que dans son autre arrêt. Elle a ajouté qu’ « en présence de cette fraude, ni l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention (...) ne sauraient être utilement invoqués ». Sur ce même fondement et après avoir souligné que l’action en contestation de paternité exercée par le ministère public pour fraude à la loi, fondée sur l’article 336 du code civil, n’est pas soumise à la preuve que l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père au sens de l’article 332 du même code, la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel en ce qu’elle avait annulé la reconnaissance de paternité.
D. La décision du juge des référés du Conseil d’État du 4 mai 2011
Par une décision du 4 mai 2011, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté un appel du ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, dirigé contre une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lyon enjoignant de faire bénéficier des enfants nés en Inde d’un père français et d’une mère indienne d’un document de voyage leur permettant d’entrer sur le territoire français dans les meilleurs délais. Leur demande à cette fin avait été rejetée par les autorités au motif qu’elles soupçonnaient qu’ils étaient nés d’une gestation pour autrui.
Le juge des référés du Conseil d’État retient notamment que « la circonstance que la conception de ces enfants par [le père biologique français] et [la mère biologique indienne] aurait pour origine un contrat entaché de nullité au regard de l’ordre public français serait, à la supposer établie, sans incidence sur l’obligation, faite à l’administration par les stipulations de l’article 3-1 de la convention relative aux droits de l’enfant, d’accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ».
E. La circulaire de la garde des Sceaux, ministre de la Justice, du 25 janvier 2013
Le 25 janvier 2013, la garde des Sceaux, ministre de la Justice, a adressé aux procureurs généraux près les cours d’appel, au procureur près le tribunal supérieur d’appel, aux procureurs de la République et aux greffiers des tribunaux d’instance, la circulaire suivante :
« L’attention de la chancellerie a été appelée sur les conditions de délivrance des certificats de nationalité française (CNF) aux enfants nés à l’étranger de Français, lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance, qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui.
Vous veillerez, dans l’hypothèse où de telles demandes seraient formées, et sous réserve que les autres conditions soient remplies, à ce qu’il soit fait droit à celles-ci dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d’un acte d’état civil étranger probant au regard de l’article 47 du code civil selon lequel « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».
À l’inverse, face à un acte d’état civil étranger non probant, le greffier en chef du tribunal d’instance sera fondé, après consultation du bureau de la nationalité, à refuser la délivrance d’un CNF.
J’appelle votre attention sur le fait que le seul soupçon du recours à une telle convention conclue à l’étranger ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de CNF dès lors que les actes de l’état civil local attestant du lien de filiation avec un Français, légalisés ou apostillés sauf dispositions conventionnelles contraires, sont probantes au sens de l’article 47 précité.
Dans tous les cas, le bureau de la nationalité sera destinataire d’une copie du dossier et du certificat de nationalité française délivré ou du refus de délivrance opposé.
Vous veillerez, par ailleurs, à informer le bureau de la nationalité de toutes difficultés liées à l’application de la présente circulaire. »
III. L’ÉTUDE DU CONSEIL D’ÉTAT SUR LA RÉVISION DES LOIS DE BIOÉTHIQUE
Dans une étude sur la révision des lois de bioéthique adoptée par son assemblée générale plénière le 9 avril 2009 (La documentation française, 2009), le Conseil d’État s’est notamment penché sur les questions que pose la gestation pour autrui. Abordant la problématique de la reconnaissance en droit français des enfants ainsi conçus, il a souligné ce qui suit (pp. 63-66) :
« (...)
La question de la reconnaissance en droit français des enfants nés de gestations pour autrui
Quel est le statut juridique des enfants nés, en France ou à l’étranger, d’une gestation pour autrui illégale mais dont les parents d’intention veulent faire reconnaître en France la filiation, notamment par la transcription à l’état civil des actes de naissance dressés sur place ? La Cour de cassation s’est récemment prononcée sur une affaire où la Cour d’appel avait, à rebours de la plupart des décisions de juges du fond, reconnu la validité de la transcription des actes d’état civil dressés aux États-Unis. Mais si la Cour de cassation a cassé l’arrêt, c’est pour une raison de procédure et sans traiter le fond, de sorte que la question n’est toujours pas tranchée en jurisprudence (Première chambre civile, affaire 07-20 468, arrêt no 1285, 17 décembre 2008).
Les questions juridiques que cette situation pose sont sérieuses.
Dans la plupart des cas, les parents d’intention demandent la transcription sur les registres de l’état civil français des actes juridiques qui établissent leur lien de parenté dans le pays où a eu lieu la gestation pour autrui – il s’agit en général de la reconnaissance de l’enfant par le père et de l’adoption de ce même enfant par la mère d’intention.
La reconnaissance de la paternité du père, s’il a été donneur, ne soulève pas toujours de difficultés, quoique la jurisprudence, assez rare sur ces questions, ne soit pas clairement tranchée. Certains tribunaux considèrent en effet que, en se rendant à l’étranger pour y conclure une convention illégale en France, le couple contourne sciemment la loi française et que, par suite, en vertu du principe selon lequel « la fraude corrompt tout », la filiation paternelle doit être refusée. Dans d’autres cas, le père donneur a fait procéder à la transcription sans que le parquet en ait demandé l’annulation. En pratique, le problème tient cependant principalement à la reconnaissance de la « mère d’intention », la Cour de cassation ayant interdit que l’enfant né d’une gestation pour autrui légale à l’étranger puisse faire l’objet d’une adoption plénière par la femme ou la compagne du père de l’enfant, lorsque la paternité de celui-ci est établie (arrêt d’Assemblée plénière du 31 mai 1991, cf. supra note no 31). Pour la Cour de cassation, la disposition d’ordre public que constitue l’article 16-7 du code civil prévoyant que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle », il existe une contrariété entre la loi étrangère et l’ordre public international français.
L’absence de transcription de l’acte d’état civil étranger ne fait pas obstacle à ce que cet état civil soit reconnu et utilisé par les parents dans les actes de la vie courante (rapports avec les administrations, les écoles, les structures de soins...), d’autant que la formalité de la transcription ne revêt pour les couples concernés aucun caractère obligatoire. En effet, l’article 47 du code civil reconnaît la force probante des actes d’état civil dressés à l’étranger [Note de bas de page : Sauf s’il est établi qu’ils sont irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; mais ce n’est pas ce qui est en jeu dans les situations dont nous parlons]. L’acte doit toutefois être traduit et, sous réserve de conventions contraires, être légalisé ou « apostillé » par les autorités compétentes.
Toutefois, dans les faits, la vie de ces familles est plus compliquée en l’absence de transcription, en raison des formalités à accomplir à l’occasion de certains événements de la vie. Il convient de relever notamment qu’en l’absence de reconnaissance en France de la filiation de l’enfant établie à l’étranger à l’égard de la mère d’intention, lorsque celle-ci décède, l’enfant ne peut pas hériter d’elle, sauf à ce qu’elle l’ait institué légataire, les droits fiscaux étant alors calculés comme si l’enfant était un tiers.
À ce jour, la pratique du parquet de Nantes, qui connaît de ces situations, est de refuser les transcriptions demandées, au motif que celles-ci sont contraires à l’ordre public international français. Il existe, il est vrai, la notion « d’effet atténué de l’ordre public », à laquelle on peut recourir lorsqu’il s’agit de laisser perdurer en France les effets d’une situation fixée à l’étranger, mais cette notion ne trouve pas à s’appliquer pour des couples français qui se sont spécialement rendus à l’étranger pour y bénéficier de la gestation pour autrui, si l’on considère que l’article 16-7 du code civil est une loi de police relevant de l’ordre public absolu et, en tout état de cause, qu’il y a eu une fraude à la loi. La transcription devient alors interdite. Cette position du parquet – qui, le cas échéant, procède à la transcription de l’acte étranger à la seule fin d’en demander l’annulation – est partagée par certaines juridictions du fond qui ont eu à se prononcer. Cependant, toutes ne vont pas dans ce sens : un récent arrêt du 25 octobre 2007 de la cour d’appel de Paris [Note de bas de page : Cassé pour motif de procédure par l’arrêt du 17 décembre 2008 de la Cour de cassation déjà cité], confirmant un jugement du tribunal de grande instance de Créteil, a considéré que, « l’intérêt supérieur de l’enfant », garanti par le droit international, justifiait que soit transcrite la filiation tant paternelle que maternelle.
Quelles pistes si l’on veut permettre d’assurer aux enfants une certaine sécurité de la filiation ?
Il a été proposé de dissocier le sort des enfants de celui du contrat illicite, dans l’esprit de l’évolution qui a été constatée pour les enfants adultérins. Dans ce dernier domaine, la loi a fini par reconnaître des droits, notamment successoraux, équivalents à ceux des autres enfants. Pour pallier les inconvénients résultant de l’absence de filiation des enfants issus de gestation pour autrui, la solution pourrait être d’admettre une sorte de « filiation putativ » (en comparaison avec l’institution du mariage putatif admis par le droit français : en vertu de l’article 201 du code civil, un mariage déclaré nul peut malgré tout produire ses effets s’il a été contracté de bonne foi).
Il pourrait également être envisagé d’autoriser la transcription de la filiation paternelle et d’admettre une possibilité pour la mère d’intention d’engager une procédure d’adoption, impossible en l’état du droit. Cette solution permettrait au juge de contrôler l’adoption et de n’admettre celle-ci que si elle est dans l’intérêt de l’enfant. Cette solution pose toutefois un problème dans le cadre des couples non mariés, puisque l’adoption n’est pas permise au sein de tels couples : ainsi, un arrêt du 20 février 2007 de la Cour de cassation a annulé une décision admettant l’adoption de l’enfant par la compagne du père, au motif que cette adoption entraînait le transfert des droits d’autorité parentale à l’adoptante seule. Il en résulterait donc une différence selon le statut matrimonial du couple. En effet, l’adoptante non mariée serait alors seule investie de l’autorité parentale (cf. articles 356 et 365 du code civil), à l’exclusion du père, et la question de l’héritage resterait entière.
Toutes ces solutions auraient cependant pour point commun de créer une profonde incohérence juridique par rapport à la prohibition de la gestation pour autrui en droit interne. Elles conduiraient en effet à reconnaître des effets juridiques à une situation que le législateur a formellement interdite. En privant d’une partie de ses effets l’interdiction de la gestation pour autrui, on prendrait le risque de faciliter des pratiques jugées contraires au respect de la personne humaine, qu’il s’agisse de la mère gestatrice ou de l’enfant. Sur un plan autant juridique que symbolique, il paraît délicat de concilier le maintien de cet interdit en France et la reconnaissance de certains effets d’une gestation régulièrement conduite à l’étranger. En outre, admettre une forme de régularisation au bénéfice des couples ayant eu légalement recours à une gestation pour autrui à l’étranger sans autoriser la même pratique pour les « parents d’intention » qui auraient recouru illégalement à la gestation pour autrui en France, créerait une injustice entre les enfants élevés par des couples ayant eu les moyens de se rendre à l’étranger et les enfants élevés par ceux qui n’auraient pu le faire.
Des solutions ponctuelles peuvent cependant être imaginées dans le but de pallier les difficultés pratiques des familles, sans modifier les règles relatives à la filiation.
On pourrait ainsi permettre la transcription de la seule filiation paternelle, en considérant qu’il en va de l’intérêt de l’enfant que sa filiation soit reconnue à l’égard de son père biologique ; puis, à défaut de permettre la reconnaissance de la filiation maternelle, la mère d’intention pourrait bénéficier, à la demande du père, d’un jugement de délégation avec partage de l’autorité parentale (article 377 du code civil). Dans ce cas, la mère pourrait bénéficier de prérogatives liées à l’autorité parentale (comme peuvent en bénéficier certains tiers au regard du droit de la famille) sans que la filiation à son égard soit pour autant établie. Toutefois, de même que l’option précédente consistant à permettre une adoption par la mère, le recours à une délégation-partage de l’autorité parentale nécessite que l’on admette une possibilité d’établissement de la filiation paternelle (par la transcription de l’acte étranger, ou par la reconnaissance). Celle-ci ne devrait pas, malgré les incertitudes jurisprudentielles, créer de difficulté, puisqu’il existe un lien biologique entre l’enfant et le père, lequel se trouve dans une situation similaire à celle du père d’un enfant né hors mariage. La filiation paternelle paraît au Conseil d’État pouvoir être reconnue.
On pourrait enfin autoriser l’inscription en marge de l’acte de naissance de l’enfant d’une mention relative au jugement étranger qui a reconnu la mère d’intention comme mère, en prévoyant que cette inscription aurait pour seul effet d’éviter qu’en cas de décès de la mère, une procédure d’adoption plénière par un tiers puisse priver les parents de la mère d’intention de tout lien avec l’enfant (cette inscription aurait pour effet de permettre une adoption simple mais non plénière). »
IV. LE RAPPORT DU GROUPE DE TRAVAIL « FILIATION, ORIGINES, PARENTALITé »
Dans le cadre de la préparation d’un « projet de loi abordant les nouvelles protections, les nouvelles sécurités et les nouveaux droits pour les enfants », la ministre déléguée à la famille a chargé un groupe de travail « filiation, origines, parentalité » présidé par Mme Irène Théry, sociologue, directrice d’études à l’école des hautes études en sciences sociales, de préparer un rapport appréhendant les métamorphoses contemporaines de la filiation et analysant la diversité de ses modalités d’établissement ainsi que les question qu’elles soulèvent. Intitulé « filiation, origines, parentalité – le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle » et publié en avril 2014, ce rapport aborde notamment la question de la reconnaissance de la filiation des enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger. Constatant que la jurisprudence de la Cour de cassation fait obstacle à une telle reconnaissance, il souligne que cela a des « implications particulièrement graves » pour l’enfant. Il relève notamment ce qui suit :
« Il est d’abord impossible à l’enfant d’obtenir un acte d’état civil français. Cela présente un inconvénient majeur pour l’enfant et ses parents. S’ils peuvent certes, en pratique, faire certaines utilisations de l’acte étranger, dès lors qu’il est légalisé ou apostillé, le risque réel est que cet acte soit rejeté ou contesté par les administrations, qui confrontés à un acte étranger, craignent systématiquement une fraude.
Inévitablement, même muni de cet acte étranger, les parents d’intention vont se trouver face à des difficultés concrètes majeures. Ils vont devoir obtenir pour l’enfant un titre de voyage et de séjour, puisque l’enfant n’a pas la nationalité française. Il existe certes des correctifs à cette solution introduits par le Conseil d’État et la Circulaire dite Taubira, mais il n’est pas certain que les solutions proposées demeurent, notamment eu égard à la dernière solution de la Cour de cassation qui n’admet plus que la filiation puisse être établie à l’égard du père biologique. Il est probable que les administrations n’admettent plus désormais que l’acte étranger prouve une filiation dont la validité risque d’être contestée en droit français puisque la Cour de cassation a estimé que la naissance est intervenue dans le cadre d’un processus frauduleux. Cette difficulté sera récurrente devant toutes les administrations, pour les inscriptions à l’école, ou encore la perception des prestations sociales. En outre, dans la mesure où la filiation n’est pas réputée établie entre l’enfant et les parents d’intention, ceux-ci n’ont fondamentalement aucun titre à exercer l’autorité parentale ; cet aspect des choses, déjà préoccupant en lui-même, ne peut manquer de soulever des difficultés collatérales en cas de décès ou de séparation. Pour la même raison, en l’absence de legs ou testament, les enfants n’auront aucune vocation successorale à l’égard de leurs parents d’intention. »
Le rapport s’interroge également sur la compatibilité de la position de la Cour de cassation avec notamment l’article 8 la Convention et l’article 3 § 1 de la convention internationale des droits de l’enfant, aux termes duquel, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
Examinant ensuite les différentes solutions envisageables, le rapport formule la proposition suivante :
« Pour les enfants nés de gestation pour autrui à l’étranger, il est proposé d’admettre une reconnaissance totale des situations valablement constituées, et ce parce qu’il est de l’intérêt de l’enfant de voir sa filiation établie à l’égard de ses deux parents d’intention.
Cette reconnaissance doit s’accompagner d’un engagement ferme de la France pour la création prochaine, sur le modèle de la Convention de la Haye sur l’adoption, d’un instrument international de lutte contre l’asservissement des femmes via l’organisation de gestations pour autrui contraires aux droits fondamentaux de la personne. »
V. Les principes adoptés par le comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales du Conseil de l’Europe
Le comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales constitué au sein du Conseil de l’Europe (CAHBI), prédécesseur du comité directeur de bioéthique précité, a publié en 1989 une série de principes dont le quinzième, relatif aux « mères de substitution », est ainsi libellé :
« 1. Aucun médecin ou établissement ne doit utiliser les techniques de procréation artificielle pour la conception d’un enfant qui sera porté par une mère de substitution.
Aucun contrat ou accord entre une mère de substitution et la personne ou le couple pour le compte de laquelle ou duquel un enfant est porté ne pourra être invoqué en droit.
Toute activité d’intermédiaire à l’intention des personnes concernées par une maternité de substitution doit être interdite, de même que toute forme de publicité qui y est relative.
Toutefois, les États peuvent, dans des cas exceptionnels fixés par leur droit national, prévoir, sans faire exception au paragraphe 2 du présent Principe, qu’un médecin ou un établissement pourra procéder à la fécondation d’une mère de substitution en utilisant des techniques de procréation artificielle, à condition:
a. que la mère de substitution ne retire aucun avantage matériel de l’opération; et
b. que la mère de substitution puisse à la naissance choisir de garder l’enfant. »
VI. Éléments de droit comparé
La Cour a procédé à une recherche de droit comparé couvrant trente-cinq États parties à la Convention autres que la France : Andorre, l’Albanie, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Moldova, Monaco, le Monténégro, les Pays-Bas, le Pologne, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, Saint-Marin, la Serbie, la Slovénie, la Suède, la Suisse, la Turquie et l’Ukraine.
Il en ressort que la gestation pour autrui est expressément interdite dans quatorze de ces États : l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, l’Islande, l’Italie, la Moldavie, le Monténégro, la Serbie, la Slovénie, la Suède, la Suisse et la Turquie. Dans dix autres États, dans lesquels il n’y a pas de réglementation relative à la gestation pour autrui, soit elle y est interdite en vertu de dispositions générales, soit elle n’y est pas tolérée, soit la question de sa légalité est incertaine. Il s’agit d’Andorre, de la Bosnie-Herzégovine, de la Hongrie, de l’Irlande, de la Lettonie, de la Lituanie, de Malte, de Monaco, de la Roumanie et de Saint-Marin.
La gestation pour autrui est en revanche autorisée dans sept de ces trente-cinq États (sous réserve de la réunion de conditions strictes) : en Albanie, en Géorgie, en Grèce, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Russie et en Ukraine. Il s’agit en principe de la gestation pour autrui dite altruiste (la mère porteuse peut obtenir le remboursement des frais liés à la grossesse mais ne peut être rémunérée), mais il semble que la gestation pour autrui peut revêtir un caractère commercial en Géorgie, en Russie et en Ukraine. Elle paraît en outre être tolérée dans quatre États où elle ne fait pas l’objet d’une règlementation : en Belgique, en République tchèque et, éventuellement, au Luxembourg et en Pologne.
Dans treize de ces trente-cinq États, il est possible pour les parents d’intention d’obtenir la reconnaissance ou l’établissement juridiques du lien de filiation avec un enfant né d’une gestation pour autrui régulièrement pratiquée à l’étranger, soit par l’exequatur, soit par la transcription directe du jugement étranger ou de l’acte de naissance étranger sur les registres d’état civil, soit par l’adoption. Il s’agit de l’Albanie, de l’Espagne, de l’Estonie, de la Géorgie, de la Grèce, de la Hongrie, de l’Irlande, des Pays-Bas, de la République tchèque, du Royaume-Uni, de la Russie, de la Slovénie et de l’Ukraine. Cela semble également possible dans onze autres États où la gestation pour autrui est interdite ou n’est pas prévue par la loi : en Autriche, en Belgique, en Finlande, en Islande, en Italie (s’agissant du moins du lien de filiation paternelle lorsque le père d’intention est le père biologique), à Malte, en Pologne, à Saint-Marin, en Suède, en Suisse et, éventuellement, au Luxembourg.
Cela semble en revanche exclu dans les onze États suivants : Andorre, l’Allemagne (sauf peut-être quant au lien de filiation paternelle lorsque le père d’intention est le père biologique), la Bosnie-Herzégovine, la Lettonie, la Lituanie, la Moldavie, Monaco, le Monténégro, la Roumanie, la Serbie et la Turquie. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1982 et réside à Constanţa.
La procédure pénale menée contre le requérant
Le 24 mai 2005, R. déposa une plainte pénale pour mauvais traitements contre quatre individus, dont le requérant. Il affirmait avoir été agressé par ces personnes puis obligé de se déshabiller et de plonger dans un lac situé à proximité de la ville de Constanţa. R. ajoutait qu’il avait été contraint de remettre à ses agresseurs 5 000 dollars américains (USD) pour qu’ils arrêtent ce traitement. Une autre personne, P., déclara avoir été soumise à un traitement similaire, par les quatre mêmes personnes.
À partir du 9 juin 2005, un juge du tribunal de Constanţa ordonna, pour une période de trente jours, l’enregistrement des conversations téléphoniques des quatre personnes soupçonnées d’avoir agressé R. et P.
Le 18 juillet 2005, le requérant fut interpellé et conduit au bureau des enquêtes sur le crime organisé.
Le 19 juillet 2005, vers 1 heure, il fut placé en garde à vue pour enlèvement, séquestration et chantage.
Le 20 juillet 2005, le tribunal départemental de Constanţa ordonna le placement du requérant en détention provisoire jusqu’au 17 août 2005. À la suite d’un pourvoi en recours formé par le requérant contre ce jugement avant dire droit, la durée de la détention provisoire fut réduite de neuf jours, pour se terminer le 8 août 2005. Le 5 août 2005, la détention provisoire du requérant fut prolongée, par le même tribunal, jusqu’au 12 août 2005.
Le 11 août 2005, la direction des enquêtes sur le crime organisé et le terrorisme du ministère public demanda au tribunal départemental de Constanţa la prolongation de la détention provisoire du requérant du 13 août au 23 août 2005. Par un jugement avant dire droit prononcé le même jour, le tribunal fit droit à cette demande. Le requérant forma un pourvoi en recours contre ce jugement.
Par un arrêt du 13 août 2005, la cour d’appel de Constanţa rejeta le pourvoi du requérant et confirma le jugement avant dire droit du 11 août 2005.
La détention provisoire du requérant fut successivement prolongée par le tribunal et la cour d’appel de Constanţa jusqu’au 21 octobre 2005. Par un arrêt rendu à cette dernière date, la cour d’appel de Constanţa accueillit le pourvoi en recours du requérant, mit fin à sa détention provisoire et ordonna l’application d’une mesure provisoire moins stricte, consistant dans l’interdiction de quitter la ville de Constanţa tant que durerait l’enquête ouverte à son encontre.
Le 11 février 2008, le tribunal départemental de Constanţa condamna le requérant à un an et dix mois de prison avec sursis. Cette condamnation fut confirmée, en appel, par un arrêt du 1er avril 2009 de la cour d’appel de Constanţa, puis, sur pourvoi en recours du requérant, par un arrêt du 24 novembre 2009 de la Haute Cour de cassation et de justice.
Les conditions de détention dans les locaux de la police
Entre-temps, le 19 juillet 2005, le requérant avait été incarcéré dans une cellule des locaux de détention de la police départementale de Constanţa. À propos de sa détention, il affirme ce qui suit.
Pendant sa privation de liberté, il a été contraint de partager une cellule sans éclairage ni ventilation suffisants, avec onze autres détenus, tous fumeurs, et de subir des conditions d’hygiène déplorables. Il n’a pas pu changer de vêtements pendant les quatre premiers jours de sa détention. Son accès aux toilettes, situées en dehors de sa cellule, était limité et dépendait du bon vouloir des gardiens. En général, ceux-ci lui accordaient la permission de se rendre aux toilettes non pas quand il en ressentait le besoin, mais seulement à de rares occasions décidées par eux. Le reste du temps, lui-même et ses codétenus étaient obligés de satisfaire leurs besoins naturels dans un seau d’un usage très insalubre. En outre, lorsque le seau était plein, ils étaient obligés de s’abstenir d’uriner jusqu’à ce qu’on les autorisât à sortir de la cellule pour le vider. D’avoir dû supporter ces conditions a provoqué chez lui de fortes douleurs abdominales.
Le 15 août 2005, l’avocate du requérant saisit le procureur d’une plainte dénonçant les mauvaises conditions de détention de son client dans les locaux de la police, y compris des entraves à son accès aux toilettes. Cette plainte fut versée au dossier de l’enquête concernant le requérant et resta, selon lui, sans suite.
La lettre du 13 juillet 2011 adressée à l’agent du gouvernement roumain auprès de la Cour par l’inspection générale de la police indique que le requérant a séjourné dans les locaux de détention de la police de Constanţa du 19 juillet au 25 août 2005, date de son transfert à la prison de Poarta Albă, et du 30 août au 29 septembre 2005, date à laquelle il aurait été à nouveau transféré à la prison de Poarta Albă. Durant les deux périodes, l’intéressé aurait partagé avec, au plus, neuf autres personnes la cellule no 10, d’une surface totale de 36,25 m2. Le nombre total de lits ne serait pas connu, mais chaque personne aurait disposé d’un lit.
Il ressort également de cette lettre que, à l’époque des faits, il n’y avait pas de sanitaires dans la cellule, mais que les personnes qui y étaient détenues pouvaient utiliser les toilettes situées à l’extérieur de la cellule en en faisant la demande aux gardiens. Elles auraient également eu accès, au même endroit, à des douches avec eau chaude.
Cette lettre indique encore que la cellule était éclairée naturellement par une fenêtre de 120 cm de largeur et de 70 cm de hauteur et bien aérée, et qu’à l’époque des faits les détenus étaient autorisés à fumer dans les cellules.
Enfin, toujours selon la même lettre, le requérant avait eu la permission de garder ses effets personnels lors de son placement en détention provisoire et il était autorisé à recevoir des visites et des colis. Les visites et la réception des colis étant programmées pour le vendredi de chaque semaine, l’intéressé avait pu, d’après l’inspection générale de la police, recevoir des vêtements de rechange de sa famille le 22 juillet 2005, premier vendredi après son placement en détention provisoire.
Juste avant sa remise en liberté, le 21 octobre 2005, le requérant fut traité à l’hôpital pénitentiaire de Poarta Albă pour une infection urinaire et une colique néphrétique.
Autres éléments factuels
Le 15 août 2005, à l’occasion d’une fête religieuse chrétienne, l’avocate du requérant sollicita des organes d’enquête que son client, qui lui aurait dit qu’il souhaitait pratiquer sa religion notamment en se confessant, fût autorisé à voir un prêtre. Le procureur ne donna pas suite à cette demande au motif que le requérant se trouvait ce jour-là à la disposition des enquêteurs, au siège du parquet, avec d’autres coaccusés auxquels il devait être confronté.
Par ailleurs, à la suite de l’arrestation du requérant et de ses coïnculpés, plusieurs journaux locaux avaient publié des articles concernant les faits ayant entraîné leur arrestation et le déroulement des audiences portant sur les mesures privatives de liberté prises à l’encontre des intéressés. Le requérant écrivit plusieurs lettres aux journaux en question en réclamant un droit de réponse, selon lui en vain. Il n’a pas indiqué à la Cour s’il avait ou non poursuivi en justice lesdits journaux.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
A. Le droit et la pratique internes pertinents
Les dispositions du droit et de la pratique internes pertinents en l’espèce concernant l’exécution des peines et des mesures provisoires privatives de liberté sont partiellement décrites, entre autres, dans les arrêts Gagiu c. Roumanie (no 63258/00, §§ 41-42, 24 février 2009) et Porumb c. Roumanie (no 19832/04, §§ 39-43, 7 décembre 2010).
Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce au sujet du tabagisme passif dans les lieux de détention sont décrits dans l’arrêt Florea c. Roumanie (no 37186/03, §§ 2930, 14 septembre 2010).
Enfin, le droit et la pratique internes relatifs à l’assistance religieuse dans les lieux de détention sont décrits dans l’arrêt Iorgoiu c. Roumanie (no 1831/02, § 49, 17 juillet 2012).
B. Les rapports et les recommandations internes et internationaux pertinents
Le droit et la pratique internationaux pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées en Roumanie tout comme ses observations à caractère général sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012).
Plus particulièrement, les recommandations générales du CPT au sujet de l’accès aux installations sanitaires et aux toilettes ont été exposées dans l’arrêt Bragadireanu c. Roumanie (no 22088/04, § 74, 6 décembre 2007).
Les constats du CPT, y compris au sujet de l’accès des détenus aux toilettes dans les locaux de détention de la police visités en Roumanie, ont été exposés dans l’arrêt Marin Vasilescu c. Roumanie (no 62353/09, § 20, 11 juin 2013).
Dans un rapport, publié le 11 décembre 2008 à la suite de la visite qu’il a effectuée en Roumanie du 8 au 19 juin 2006, le CPT dresse un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents locaux de détention de la police qu’il avait visités. Les extraits pertinents en l’espèce du rapport se lisent ainsi :
« L’état des cellules était déplorable, la lumière naturelle dans les cellules était, au mieux, médiocre et la lumière artificielle variait de convenable à mauvaise. Pire encore, les détenus n’avaient accès aux toilettes que trois fois par jour et jamais pendant la nuit, ce qui les obligeait à utiliser des seaux pour satisfaire leurs besoins naturels.
Ce dernier problème a également été observé au dépôt de Bacău. En outre, dans cet établissement, les toilettes communes étaient ouvertes et la salle de douches était dans un état lamentable.
(...)
Eu égard aux constatations ci-dessus, le CPT en appelle aux autorités roumaines pour qu’elles prennent des mesures immédiates afin que :
(...)
– les détenus placés dans les dépôts de Bacău et de Craiova puissent toujours avoir accès aux toilettes lorsque nécessaire. »
« Les autorités roumaines ont informé la délégation qu’un certain nombre de dépôts [locaux de détention de la police] en très mauvais état avaient été fermés depuis la visite du CPT de 2006. En septembre 2010, le pays comptait 52 dépôts totalisant une capacité de 2 237 places, calculée sur une base de 4 m² d’espace de vie par personne détenue et par cellule (et non plus 6 m3). En ce qui concerne les dépôts en service, les autorités ont indiqué que le programme de réfection débuté après la visite de 2006 avait été ralenti en raison de la situation économique difficile. (...)
Des constatations faites lors de la visite de 2010 il ressort que très peu de progrès ont été réalisés s’agissant de la mise en œuvre des recommandations formulées de longue date par le CPT en vue d’améliorer les conditions matérielles de détention dans les dépôts de la police.
Dans les quatre dépôts visités, le taux d’occupation de la quasi-totalité des cellules était trop élevé (par exemple, 4 lits dans les cellules de 9 à 10 m², 6 lits dans les cellules de 14 à 16 m², et 8 lits dans des cellules de 28 m² environ). (...)
Au dépôt de Craiova, des travaux de rénovation avaient commencé mais le budget disponible avait permis, à ce stade, de ne restaurer totalement qu’une seule cellule (et celle-ci n’était pas encore en service). Les détenus étaient en conséquence hébergés dans des cellules en mauvais état d’entretien, parfois malodorantes, et où l’accès à la lumière naturelle, l’éclairage artificiel et l’aération étaient limités. La moitié des cellules environ étaient équipées de sanitaires ; les détenus hébergés dans les autres cellules pouvaient se rendre aux toilettes communes à tout moment (de jour comme de nuit) sur demande − il s’agit là d’un développement positif depuis la visite de 2006. La salle de douches était accessible deux fois par semaine.
Les personnes détenues dans les dépôts de la police ne recevaient pas de produits pour l’hygiène corporelle. (...) »
Dans ses rapports concernant les visites effectuées le 30 juin 2006, le 27 avril et le 15 mai 2007 dans les locaux de détention de la police départementale respectivement de Ialomiţa, de Târgovişte et de Mehedinţi, une organisation non gouvernementale locale, l’Association pour la défense des droits de l’homme en Roumanie – le Comité Helsinki (APADOR-CH) constatait ce qui suit : les personnes détenues étaient emmenées aux toilettes situées à l’extérieur de leurs cellules selon un horaire fixé à l’avance. En dehors des créneaux préétablis, les intéressés devaient se signaler aux gardiens, qui les faisaient sortir de la cellule pour qu’ils se rendent aux toilettes. Dans certains locaux de détention, comme ceux de la police départementale de Târgovişte et de Mehedinţi, ces demandes n’étaient pas satisfaites pendant la nuit, c’est-à-dire de 22 heures à 6 heures du matin. De ce fait, les personnes détenues utilisaient des seaux d’un usage très insalubre, qu’ils gardaient toute la nuit dans les cellules.
Dans son rapport concernant la visite du 22 novembre 2013 des locaux de détention de la police de Constanţa, APADOR-CH constatait que les cellules se trouvaient en soussol (demisol), qu’elles étaient pourvues de fenêtres ne permettant qu’un éclairage et une ventilation insuffisants, et que, de ce fait, même si les murs avaient été repeints en 2012, soit une année auparavant, ils étaient déjà affectés par la moisissure (pour la description des conditions dans les locaux de détention de la police de Constanţa, voir aussi Dimakos c. Roumanie, no 10675/03, §§ 10-12, 6 juillet 2010). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 27 septembre 1998, le requérant, né en 1982, arriva en Suisse avec sa mère et ses frères et sœurs pour fuir le conflit au Kosovo. En raison des tensions qui s’élevaient à ce moment-là dans cette région, la mère et les frères et sœurs du requérant se virent octroyer des permis de séjour provisoires en Suisse.
Le 15 mai 2000, le requérant bénéficia d’un titre de séjour dans le cadre du regroupement familial, qui fut prolongé plusieurs fois par la suite.
Entre avril 1999 et mai 2001, il fut averti et sanctionné à plusieurs reprises par le parquet des mineurs (Jugendanwaltschaft) pour trois faits de vol ainsi que pour émeute, violence et menace sur agent de la fonction publique.
Sur la base de ces infractions, les autorités l’avertirent par une décision du 11 septembre 2001 qu’il risquait d’être expulsé si son comportement ne s’améliorait pas. En dépit de cet avertissement, le requérant se livra à de nouvelles activités délictuelles. Il fut condamné le 7 juin 2002 à trois mois de prison avec sursis, pour communication et divulgation de fausse information et utilisation frauduleuse d’un ordinateur. Il se vit infliger, le 13 janvier 2004, une amende de 600 francs suisses (CHF) pour conduite sans permis valable. Le 3 mai 2004, il reçut un avertissement pour infraction à la législation en matière de stupéfiants. Le 20 juillet 2004 et le 15 juin 2005 il se vit respectivement infliger deux amendes de 120 CHF et de 100 CHF pour utilisation des moyens de transport publics sans titre valable. Le 4 mai 2005 il fut condamné à un mois de prison avec sursis pour vols multiples, fraude, violation de domicile et possession et consommation de marijuana. Enfin, le 6 juillet 2005, il fit l’objet d’une condamnation, par la cour d’appel du canton de Lucerne, à deux ans et demi de prison pour vols multiples, brigandage et dommages à la propriété notamment. La cour d’appel retint, à titre de circonstances aggravantes, le fait que le requérant s’en prit, au milieu de la rue, à des personnes sans défense et qu’il commit à nouveau une infraction six jours seulement après l’audience de première instance. En outre, cette juridiction prononça l’expulsion du requérant pour une durée de cinq ans avec sursis à titre de peine accessoire et avec un délai de mise à l’épreuve de quatre ans. À une date non indiquée, il commença à purger la peine privative de liberté.
Le 14 mars 2006, le requérant fut invité à présenter ses observations quant à l’éventuel refus de prolonger son permis de séjour et son éventuelle expulsion.
Le 11 mai 2006, alors qu’il était toujours en prison, le requérant épousa une ressortissante suisse, née en 1988, qui, selon ses dires, avait été sa compagne de longue date. Aucun enfant n’est né de cette relation.
Par une décision du 24 juillet 2006, l’Office des migrations du canton de Lucerne décida d’expulser le requérant.
Le 8 mai 2007, le requérant fut libéré conditionnellement de la prison.
Par une décision du 10 juillet 2007, le tribunal administratif du canton de Lucerne confirma son éloignement du territoire suisse.
Par un arrêt du 18 février 2008, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant et confirma le refus des autorités cantonales de prolonger son permis de séjour. Il considéra que la culpabilité du requérant pesait lourdement. Selon lui, les circonstances du délit, à savoir l’agression publique de personnes sans défense mettaient à jour une énergie criminelle importante et un potentiel de violence considérable.
Il estima, en outre, que ni le fait que la peine accessoire d’expulsion du territoire pendant une durée de cinq ans avait été prononcée avec sursis et délai de mise à l’épreuve, ni le comportement irréprochable dont il avait fait preuve en prison et depuis sa libération conditionnelle n’étaient suffisamment pertinents.
Le Tribunal releva également que le requérant n’était arrivé en Suisse qu’à l’âge de seize ans. En dépit des relations avec les membres de sa famille résidant en Suisse et de son insertion professionnelle, le Tribunal refusa de considérer qu’il était bien intégré dans ce pays. Le Tribunal conclut qu’une expulsion au Kosovo était susceptible de frapper le requérant durement, mais qu’elle n’était pas impossible.
En ce qui concerne l’épouse du requérant, le Tribunal fédéral ne doutait pas qu’une expulsion entraînerait des inconvénients importants pour elle. Il apparaissait néanmoins que le requérant n’avait aucun titre l’autorisant à prolonger son séjour en Suisse avant de se marier avec celle qui deviendrait son épouse. Il relevait, à ce moment, du pouvoir discrétionnaire du Canton, eu égard aux manquements répétés du requérant à la législation pénale, de décider s’il voulait ou non prolonger son permis de séjour en Suisse. Ce n’est qu’en raison de son mariage avec une ressortissante suisse, le 11 mai 2006, qu’il obtint une prolongation de son autorisation de séjour. En raison, d’une part, de sa condamnation récente, en 2005, à deux ans et demi de prison et d’autre part, au fait que le requérant avait été invité, le 14 mars 2006, à présenter ses observations en vue d’un éventuel refus de prolongation de son permis de séjour, le Tribunal fédéral estima que les époux auraient dû se douter qu’ils ne pourraient mener leur vie maritale en Suisse. Dans ces conditions, la vie privée du requérant avait nécessairement moins de poids, selon cette juridiction. Enfin, la bonne conduite du requérant était sans incidence sur l’appréciation d’une éventuelle dérogation à la règle d’une condamnation maximale à deux ans de prison comme limite au-delà de laquelle un étranger marié avec un(e) ressortissant(e) suisse ne peut plus être toléré sur le territoire suisse. À la lumière de ces arguments, le Tribunal fédéral conclut qu’il n’existait pas de raisons plausibles de se départir de cette règle d’une condamnation maximale à deux ans de prison. Eu égard aux multiples condamnations du requérant, il existait ainsi un intérêt public prépondérant à ce qu’il soit éloigné.
Le divorce du requérant fut entre-temps prononcé le 16 mars 2010.
Le requérant quitta la Suisse pour le Kosovo le 2 novembre 2010.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Le droit de séjour du conjoint d’un ressortissant suisse ainsi que les conditions auxquelles devait répondre le renouvellement de son permis de séjour étaient réglés par l’ancienne loi sur le séjour et l’établissement des étrangers du 26 mars 1931 (ci-après : « LSEE »), dont les dispositions pertinentes étaient libellées comme suit :
Article 7, alinéa premier
« Le conjoint étranger d’un ressortissant suisse a le droit à l’octroi et à la prolongation de l’autorisation de séjour. Après un séjour régulier et ininterrompu de cinq ans, il a droit à l’autorisation d’établissement. Ce droit s’éteint lorsqu’il existe un motif d’expulsion. »
Article 10, alinéa premier
« L’étranger ne peut être expulsé de Suisse ou d’un canton que pour les motifs suivants :
a. S’il a été condamné par une autorité judiciaire pour crime ou délit ; »
Article 11, alinéa 3
« L’expulsion ne sera prononcée que si elle paraît appropriée à l’ensemble des circonstances (...) » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
A. Le contexte des affaires
Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers.
Les présentes requêtes portent sur des procédures engagées par les requérants ou leurs devanciers en vue d’obtenir le réajustement et l’augmentation du montant de leurs pensions conformément à ces lois.
B. Les procédures en cause
Requête no 45185/12
Le 20 décembre 2002, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 2 avril 2003, suite au rejet tacite de sa demande, il forma une opposition devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
Considérant que sa demande avait été tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 11 juillet 2003, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet tacite de l’administration.
Le 18 avril 2008, la Cour des comptes, par son arrêt no 883/2008, donna gain de cause au requérant.
Le 17 juillet 2009, l’État se pourvut en cassation.
Le 7 décembre 2011, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 3244/2011). Cet arrêt fut notifié au requérant le 8 mars 2012.
Requête no 54535/12
Le 20 avril 2001, le devancier de la requérante saisit la 44e division de la Comptabilité Générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
À une date non précisée, la Comptabilité Générale de l’État rejeta la demande.
Le 9 mai 2003, le devancier de la requérante forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
Le 17 novembre 2004, ledit Comité rejeta l’opposition.
Le 18 octobre 2005, le devancier de la requérante saisit la Cour des comptes d’un appel contre la décision dudit Comité.
Le 29 septembre 2006, il déposa une demande afin que son affaire soit examinée en priorité.
Le 18 avril 2008, la Cour des comptes lui donna gain de cause (arrêt no 888/2008).
Le 24 mai 2008, le devancier de la requérante décéda. Ses droits à pension furent partiellement transmis à la requérante.
Le 17 juillet 2009, l’État se pourvut en cassation contre l’arrêt no 888/2008 devant la formation plénière de la Cour des comptes. Le pourvoi était dirigé contre la requérante.
Le 7 décembre 2011, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 3240/2011). L’arrêt fut notifié à la requérante le 8 mars 2012.
Requête no 69923/12
Le 3 décembre 2001, le requérant saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 17 décembre 2002, la Comptabilité Générale de l’État rejeta la demande.
Le 16 février 2004, le requérant forma une opposition devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
Considérant que sa demande était tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 6 juillet 2004, la Cour des comptes.
Le 16 mai 2008, la Cour des comptes, par son arrêt no 1152/2008, donna gain de cause au requérant.
Le 17 juillet 2009, l’État se pourvut en cassation.
Le 7 décembre 2011, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 3236/2011). Cet arrêt fut notifié au requérant le 25 avril 2012.
Requête no 9022/13
Le 1er décembre 2005, le requérant saisit la 44e division de la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 10 janvier 2006, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande.
Le 20 mars 2006, le requérant saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale.
Le 7 novembre 2008, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant (arrêt no 2517/2008).
Le 16 novembre 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 2517/2008.
Le 6 juin 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1828/2012). L’arrêt fut notifié au requérant le 3 septembre 2012.
Requête no 9424/13
À une date non précisée, le requérant saisit la 44e division de la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.
Le 17 décembre 2002, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande.
Le 8 avril 2003, le requérant forma une opposition contre cette décision devant le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État.
Considérant que sa demande était tacitement rejetée après l’écoulement d’un délai de trois mois sans réponse de la part de l’administration, le requérant saisit, le 4 décembre 2003, la Cour des comptes d’un recours contre le rejet tacite de sa demande.
Le 6 juillet 2004, par sa décision no 1928/2004, le Comité de contrôle de la Comptabilité générale de l’État rejeta l’opposition du requérant datée du 8 avril 2003.
Le 27 juin 2008, la Cour des comptes accepta partiellement le recours (arrêt no 1828/2008).
Le 7 octobre 2009, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 1828/2008.
Le 4 avril 2012, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 948/2012). L’arrêt fut notifié au requérant le 1er août 2012.
C. Le droit interne pertinent
La loi no 4239/2014
La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. La loi précitée introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose :
« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ». | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1952 et en 1976 et résident à Hambourg (Allemagne) et Istanbul. À l’époque des faits, la requérante était la propriétaire d’un journal bimensuel, Dema Nu, et le requérant en était le rédacteur en chef.
Dans son édition du 30 avril 2002, Dema Nu publia des articles intitulés « Agression au Newroz de Berne et les réactions » (Bern Newrozuna Saldırı ve Tepkiler), « Ce qu’il se passe, quel est le changement » (Olup biten ne, değişen ne), « Vive le 1er mai » (1 Mayıs kutlu olsun), « Les Kurdes ne sont pas une minorité » (Kürtler azınlık değil) et « Le kémalisme et les Kurdes » (Kemalizm ve kürtler).
L’écrit intitulé « Vive le 1er mai » était une déclaration du Parti socialiste du Kurdistan (« le PSK ») qui célébrait la fête du travail et critiquait les différentes politiques gouvernementales relatives entre autres à l’interdiction de célébration du 1er mai, la montée du chômage et l’interdiction d’utiliser la langue kurde.
Le 4 mai 2002, à la demande du procureur de la République, le juge assesseur près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul (ci-après « la cour de sûreté de l’État ») rendit une ordonnance de référé portant saisie des exemplaires du numéro du journal susmentionné, en application de l’article 28 de la Constitution, ainsi que de l’article 86 du code de procédure pénale et de l’article 2 § 1 additionnel de la loi no 5680 relative à la presse.
Par un acte d’accusation du 30 mai 2002, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État requit notamment la condamnation des requérants en raison de la publication dans leur journal de la déclaration d’une organisation terroriste. Il leur reprocha également d’avoir fait de la propagande en faveur d’organisations illégales et séparatistes. À cet égard, il requit notamment l’application de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 ») prise en les deuxième et dernier paragraphes de son article 6 et en les premier, deuxième et dernier paragraphes de son article 8.
Devant la cour de sûreté de l’État, les requérants se prévalurent de la liberté d’expression et de la liberté de la presse.
Par un jugement du 29 septembre 2003, la cour de sûreté de l’État reconnut les requérants coupables d’une infraction à l’article 6 § 2 de la loi no 3713 en raison de la publication de l’écrit intitulé « Vive le 1er mai », considérant que celui-ci constituait une déclaration émanant d’une organisation terroriste illégale, à savoir le PSK, publiée à l’occasion du 1er mai. Elle condamna Mme Sezen et M. Aslan respectivement à des amendes de 450 000 000 anciennes livres turques (TRL) (soit environ 280 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à cette date) et de 225 000 000 TRL (soit environ 140 EUR selon le taux de change en vigueur à cette date). Elle ordonna également l’interdiction de la publication pour une durée de sept jours, en application de l’article 2 § 1 additionnel de la loi sur la presse no 5680. Quant aux autres chefs d’accusation, elle acquitta les requérants, eu égard notamment à la suppression des infractions reprochées par le législateur.
Le 4 novembre 2004, la Cour de cassation confirma ce jugement.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010). | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1952 et en 1976 et résident à Hambourg (Allemagne) et Istanbul. À l’époque des faits, la requérante était la propriétaire d’un journal bimensuel, Dema Nu, et le requérant en était le rédacteur en chef.
Dans son édition du 1er février 2003, Dema Nu publia un article intitulé « Provocation ou riposte ? ». L’article portait sur les affrontements ayant eu lieu au sud-est de la Turquie entre l’armée turque et le PKK, organisation armée illégale.
Certains passages pouvaient se lire ainsi :
« (...) Un soldat est mort, cinq autres ont été blessés, et douze combattants de la guérilla ont perdu la vie lors d’un affrontement [ayant] éclaté, le 16 janvier 2003, (...) aux alentours de Tapantepe (...) Alors que les retentissements de la première bataille, qualifiée de provocation de la part des responsables du KADEK, étaient encore à l’esprit, un second accrochage a eu lieu à İdil. En raison d’une attaque lancée par les militants du KADEK contre les logements de la police et les unités militaires, un nouvel accrochage est survenu le 27 janvier 2003 (...) Un soldat est mort (...)
Les attaques, qualifiées de provocations, ont par la suite été revendiquées par les Forces de défense du peuple (HPG) qui fonctionnent au sein du KADEK.
Dans un communiqué fait au nom des HPG, il a été déclaré que ces assauts n’étaient pas des provocations mais des représailles :
" Avec la politique d’isolement mise en place contre notre chef national, le président Apo, une position d’attaque et d’oppression s’est développée contre nos forces de défense du peuple et notre peuple. Un assaut a été lancé contre nos forces de guérilla à Amed par un effectif de 1 500 hommes avec un soutien logistique important et, au cours de cette attaque, 12 combattants de la guérilla ont été massacrés. En réponse, le 27 janvier 2003, une opération de représailles a été effectuée contre la légion située au centre d’İdil ". »
Par une décision du 1er février 2003, la cour de sûreté de l’État d’Istanbul (ci-après « la cour de sûreté de l’État ») ordonna la saisie du numéro de journal susmentionné.
Par un acte d’accusation du 5 février 2003, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État requit la condamnation des requérants en raison de la publication dans leur journal des déclarations de l’organisation illégale armée KADEK.
Par un jugement du 10 juin 2003, la cour de sûreté de l’État reconnut les requérants coupables d’une infraction à l’article 6 § 2 de la loi antiterroriste en raison de la publication de l’écrit intitulé « Provocation ou riposte ? », considérant que celui-ci constituait une déclaration émanant des HPG qui fonctionnaient au sein de l’organisation illégale armée, à savoir le KADEK. Elle condamna Mme Sezen et M. Aslan respectivement à des amendes de 750 000 000 anciennes livres turques (TRL) (soit environ 442 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à cette date) et de 375 000 000 TRL (soit environ 221 EUR selon le taux de change en vigueur à cette date). Elle ordonna par ailleurs la fermeture provisoire du journal pour une durée d’un jour.
Les requérants se pourvurent en cassation contre ce jugement. Dans leur mémoire du 30 juin 2003 présenté devant la Cour de cassation, ils invoquèrent la liberté d’expression et de la presse.
Par un arrêt du 26 mai 2004, la Cour de cassation confirma le jugement du 10 juin 2003.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010). | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants, dont les noms, années de naissance et lieux de résidence sont indiqués en annexe, sont des ressortissants turcs résidant à Silopi, à l’exception de Lokman Şimşek, qui réside en Belgique, à Bruxelles.
À l’époque des faits, les requérants habitaient le village de Görümlü ou le hameau de Derecik, près de Silopi (Şırnak).
A. L’arrestation et la disparition des proches des requérants
Dans la nuit du 13 au 14 juin 1993, un affrontement armé eut lieu entre des membres du PKK et les forces de l’ordre aux environs de la gendarmerie de Görümlü. Le lendemain, des opérations militaires furent menées dans les environs de Görümlü. Le village de Selçik, situé à quelques kilomètres, fut détruit par les militaires et les villageois furent contraints à l’exil. Les événements concernant la destruction du village de Selçik sont exposés dans l’affaire Ali Sencar et autres c. Turquie ((déc.), no 52082/99, 1er juin 2006).
Dans un rapport établi le 13 juin 1993 à 23 h 45, le commandement de la gendarmerie de Silopi relata en substance les faits comme suit :
– Près du village de Görümlü, à Kesiktepe, les gendarmes avaient été attaqués par un groupe de terroristes de cent cinquante personnes ; l’affrontement armé avait duré trois heures environ ; à l’issue de cet affrontement, six soldats avaient été tués et treize autres soldats avaient été blessés ; le groupe de terroristes avait pris la fuite.
Dans un rapport complémentaire établi le 18 juin 1993, le commandement de la gendarmerie de Silopi précisa qu’à la suite de l’affrontement armé du 13 juin 1993 à Görümlü, deux terroristes avaient été arrêtés.
Le 14 juin 1993, les proches des requérants, MM. Şemdin Cülaz, Mehmet Salih Demirhan, Halit Özdemir et İbrahim Akıl (qui était l’imam du village), furent arrêtés sous les yeux des villageois et placés en garde à vue dans les locaux de la gendarmerie de Görümlü. MM. Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek, d’origine chaldéenne et habitant le hameau de Derecik, et M. Abdurrahman Kayek furent également placés en garde à vue. Des croix prises chez Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek furent accrochées au cou d’İbrahim Akıl et celui-ci fut contraint de marcher ainsi dans le village, sous les injures des militaires. Les villageois furent également témoins de l’arrestation de ces deux personnes et virent les gendarmes les emmener à la gendarmerie de Görümlü.
Placé en garde à vue au bataillon de Görümlü, Abdurrahman Kayek fut libéré le soir de son arrestation. Il se rendit au domicile du muhtar Ahmet Tamyer ; il présentait sur tout le corps des lésions, pour lesquelles des soins lui furent prodigués. Abdurrahman Kayek déclara que les autres personnes arrêtées avec lui avaient également été torturées. Le muhtar ainsi que les proches des personnes arrêtées demandèrent aux gendarmeries de Görümlü et de Silopi quel serait le sort de leurs parents encore en garde à vue. Les gendarmes leur répondirent que ces personnes n’étaient plus en garde à vue. Par la suite, Abdurrahman Kayek partit s’installer dans le nord de l’Irak.
Selon ses dires, après l’arrestation de ses proches, Lokman Şimşek demanda des nouvelles sur leur sort aux gendarmeries de Görümlü, Silopi et Şırnak, en vain.
Le 10 juillet 1993, le gendarme H.Y. entendit Osman, le muhtar du village de Koyunören. Celui-ci déclara que, le 13 juin 1993, un affrontement armé avait eu lieu entre les membres du PKK près du village de Görümlü et qu’après l’affrontement les militaires étaient venus jusqu’au village, et qu’ils avaient fouillé les maisons. Il précisa qu’il n’avait été porté atteinte ni à la vie des personnes ni aux biens de son village.
Le 19 juillet 1993, à l’initiative de l’avocat Tahir Elçi, l’organisation non gouvernementale Amnesty International ouvrit une campagne portant sur les personnes placées en garde à vue et disparues à Görümlü en juin 1993. Dans le cadre de cette campagne, des lettres furent envoyées au président de la République, au ministre des Affaires étrangères, au ministre de l’Intérieur, et au commandement général de la gendarmerie pour que la vie des personnes disparues soit protégée et que les mesures nécessaires soient prises. Par ailleurs, les noms des proches des requérants sont inclus dans la liste des personnes disparues figurant dans le rapport annuel de 1994 de la Fondation pour les droits de l’homme de Turquie.
Les 1er, 2 et 3 août 1993, le quotidien Sabah publia une interview du général M.S., commandant de la gendarmerie de Şırnak à l’époque des faits. Celui-ci y rapportait qu’on avait retrouvé les corps d’un imam portant une croix passée autour du cou et d’hommes non circoncis. Selon le général, ces personnes avaient été tuées par une organisation d’origine arménienne.
Le 22 mai 1995, le procureur de la République demanda au commandement de la gendarmerie de Silopi de mener des investigations sur l’hypothèse d’un enlèvement ou d’un enrôlement de Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek par l’organisation dite PKK, et de le tenir informé tous les mois.
En mars 2003, les requérants informèrent de nouveau Amnesty International de la disparition de Şemdin Cülaz, Hamdo Şimşek, Hükmet Şimşek, İbrahim Akıl, Mehmet Salih Demirhan et Halit Özdemir.
B. Les démarches effectuées séparément par certains requérants auprès des autorités nationales
Après l’arrestation de leurs proches, les requérants demandèrent des nouvelles de leur sort aux gendarmeries de Görümlü, Silopi et Şırnak, en vain. Quelques mois plus tard, le général d’armée M.S. réunit les muhtar de Silopi et des environs à Şırnak. Au cours de cette réunion, le général demanda une coopération des citoyens avec les autorités étatiques dans le combat contre le terrorisme dans la région. Le muhtar A.T. demanda au général quel était le sort des personnes arrêtées ; le général répondit que ces personnes étaient des terroristes.
Les proches de Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek
Mme Güle Heylan Şimşek – décédée le 10 juin 1994, et qui était l’épouse de Hamdo Şimşek et la mère de Hükmet Şimşek – s’adressa d’abord verbalement à différentes autorités étatiques au sujet de l’arrestation de son époux et de son fils par les militaires et de leur disparition depuis lors.
Le 30 décembre 1993, elle déposa une plainte devant le procureur de la République de Silopi. Elle y exposait que, sept mois plus tôt, son mari et son fils avaient été arrêtés par les militaires du bataillon établi à Görümlü et qu’elle n’avait plus eu de nouvelles d’eux depuis lors.
Le 31 décembre 1993, sur instruction du procureur de la République, elle fut entendue par la gendarmerie. Elle réitéra le contenu de sa déposition en ajoutant qu’à l’époque des faits, les militaires avaient perquisitionné son village et arrêté son mari et son fils, dont elle restait sans nouvelles depuis.
Le 2 février 1994, la gendarmerie de Silopi établit un procès-verbal indiquant que Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek ne figuraient pas dans leurs registres des gardes à vue, et qu’il ressortait d’une demande d’informations adressée à leur sujet aux unités militaires voisines que ces personnes n’avaient pas été placées en garde à vue.
Un procès-verbal établi le 25 mai 1994 indiqua :
– que selon les recherches menées, il n’y avait pas de trace de Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek dans les registres de garde à vue de Görümlü ni des autres unités militaires avoisinantes ;
– que Lokman Şimşek, autre fils de Hamdo Şimşek, était – sous le nom de code « Cihat » – un adjoint du commandant de l’unité du PKK évoluant dans la montagne de Cudi depuis cinq ans ;
– que Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek avaient aussi rejoint les rangs du PKK.
Le 23 décembre 1994, la gendarmerie de Görümlü établit un procèsverbal indiquant que Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek ne se trouvaient pas au village et qu’ils étaient décédés.
Le 16 mars 1995, le procureur de la République de Silopi demanda au commandement de la gendarmerie de Silopi de mener les recherches nécessaires au sujet de la disparition ou de l’enlèvement de Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek et de le tenir informé.
Le 3 avril 1995, le commandement de la gendarmerie de Silopi informa le procureur de la République que les personnes concernées avaient quitté le village deux ans plus tôt et qu’il n’y avait plus de nouvelles à leur sujet.
Le 28 septembre 1995, à la suite de la plainte du 30 décembre 1993, le procureur de la République de Silopi rendit une ordonnance de non-lieu (1995/373-349). Dans les motifs de sa décision, le procureur indiquait :
– que Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek n’avaient pas été placés en garde à vue, et qu’un autre fils de Hamdo Şimşek, Lokman Şimşek, avait rejoint les rangs du PKK ;
– que la plaignante, Güle Heylan Şimşek, était décédée le 10 juin 1994 ;
– que, selon les informations données par la gendarmerie, Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek avaient rejoint les rangs du PKK ;
– que le dossier de l’enquête avait été envoyé le 12 avril 1995 au procureur de la République près la cour de sûreté de l’État de Diyarbakır ;
– que, le 1er mai 1995, au constat de l’absence d’éléments indiquant que les personnes disparues auraient rejoint les rangs du PKK, le dossier de l’enquête avait été renvoyé au parquet de Silopi ;
– que Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek, de confession chrétienne, n’avaient plus aucune famille au village de Görümlü puisque tous avaient quitté la Turquie en raison du terrorisme ;
– que Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek avaient pu partir à l’étranger, dans la mesure où il n’y avait aucune preuve de leur placement en garde à vue par les forces de sécurité ou de leur enlèvement par d’autres personnes.
D’après les éléments du dossier, cette ordonnance de non-lieu n’a pas été notifiée à Güle Heylan Şimşek, et n’a pas été contestée.
Le 14 avril 2010, en se référant à la plainte pénale déjà déposée par sa mère (1995/349), Lokman Şimşek, fils de Hamdo Şimşek et frère de Hükmet Şimşek, déposa une nouvelle plainte (1995/373) devant le procureur de la République de Silopi, en demandant que les deux plaintes soient examinées ensemble. Il y précisa que la plainte déposée par sa mère s’était conclue par une ordonnance de non-lieu rendue le 28 septembre 1995.
Les proches de Mehmet Salih Demirhan
Le 4 octobre 2000, Zeynep Demirhan, épouse de Mehmet Salih Demirhan, saisit le tribunal de grande instance de Silopi d’une action tendant au constat de la disparition de son époux (gaiplik kararı). Dans sa demande, elle exposait que son époux avait été arrêté par les militaires et qu’elle n’avait plus de nouvelles de lui depuis son arrestation, et qu’en 1993 elle avait publié une annonce dans un quotidien au sujet de cette disparition.
Le 13 janvier 2003, le procureur de la République de Silopi établit un procès-verbal selon lequel il n’avait pas trouvé de trace d’une éventuelle plainte déposée par les familles Şimsek et Demirhan à la suite de la disparition supposée de leurs proches.
Le 21 mars 2003, le procureur de la République de Silopi entendit Ali Demirhan, père de Mehmet Salih Demirhan, par l’intermédiaire d’un interprète. Celui-ci déclara ce qui suit :
– Les militaires étaient venus au domicile de son fils un matin de bonne heure et l’avaient arrêté ; il s’était adressé verbalement à plusieurs reprises au procureur de la République, mais n’avait obtenu aucune information ; il ne savait pas où était son fils ni s’il était en Irak, au camp d’Ertuş.
Le 16 juin 2003, le parquet de Silopi entendit Ali Demirhan, qui habitait le village de Görümlü. Il déclara ce qui suit :
– En juin 1993, un affrontement armé avait eu lieu entre des terroristes et le bataillon de Görümlü ; à l’issue de l’affrontement, les militaires avaient fouillé sa maison et arrêté son fils Mehmet Salih Demirhan, ainsi que d’autres personnes ; le surlendemain, il avait demandé des nouvelles à un gendarme du nom de H., de la gendarmerie de Görümlü ; il avait également fait une demande écrite au sujet de l’arrestation de son fils, demande qui était restée sans réponse ; depuis le placement en garde à vue de son fils, il n’avait plus eu de ses nouvelles.
Le 17 novembre 2009, Nurettin Demirhan, fils de Mehmet Salih Demirhan, demanda, en plus de l’audition de Y.Ö., celle de N.O. – dont il indiquait l’adresse –, concernant la disparition de son père.
Les proches de Halit Özdemir
Le 15 janvier 2003, la gendarmerie de Görümlü entendit Hamza Özdemir, frère de Halit Özdemir. Celui-ci déclara ce qui suit :
– Il travaillait à Istanbul entre 1989 et 1999. Ses proches qui se trouvaient au village lui avaient dit qu’à la suite d’un affrontement armé entre militaires et terroristes, des soldats avaient été tués et d’autres blessés, et que son frère Halit Özdemir avait été placé en garde à vue avec d’autres villageois. Depuis lors, il n’avait plus de nouvelles de son frère. Une plainte avait été déposée en ce sens devant le procureur de la République de Silopi. Son frère avait une arme, pour laquelle il avait un permis. Cette arme lui avait été confisquée par les militaires à l’époque des faits.
Dans un procès-verbal établi le 15 janvier 2003 par la gendarmerie et – supposément – le muhtar İ.B., à la demande du procureur de la République du 30 décembre 2002, il fut indiqué :
– que Şemdin Cülaz, Abdurrahman Kayık, Hükmet Şimşek, Halit Özdemir, Mehmet Salih Demirhan et İbrahim Akıl avaient aidé et assisté l’organisation terroriste PKK-KADEK ;
– qu’ils avaient quitté la région et étaient partis en Irak, au camp d’Ertuş.
Le 10 mars 2003, le procureur de la République entendit İ.B., le muhtar de Görümlü à l’époque des faits. Celui-ci contesta le contenu du procès-verbal établi le 15 janvier 2003. Il déclara ceci :
– À la suite des faits litigieux, les militaires en poste dans la région à l’époque des faits leur avaient dit que les personnes arrêtées avaient rejoint les rangs du PKK. Il ne savait pas où se trouvaient ces personnes.
Le 21 mars 2003, le procureur de la République entendit Abdulkerim Özdemir, frère de Halit Özdemir. Il déclara ceci :
– Il ne savait pas où se trouvait son frère ; il n’avait plus de nouvelles de lui depuis son arrestation à la date des faits litigieux.
Le 21 mars 2003, le parquet de Silopi entendit Abdulkerim Özdemir, qui déclara ce qui suit :
– À l’époque des faits, des terroristes avaient attaqué une base militaire à Görümlü ; le lendemain matin, les militaires étaient venus au village et avaient placé son frère en garde à vue ; il ne savait pas ce qu’il était advenu de lui et n’avait plus eu de ses nouvelles depuis lors ; quant à l’allégation selon laquelle son frère aurait rejoint les rangs du PKK et se trouverait en Irak, au camp d’Ertuş, il n’en savait rien.
Le 16 juin 2003, le parquet de Silopi entendit Abdulkerim Özdemir et Mihyedin Özdemir, sœur de Halit Özdemir, habitant à Görümlü. Ils déclarèrent tous deux ce qui suit :
– En juin 1993, un affrontement armé avait eu lieu entre des terroristes et le bataillon de Görümlü ; à l’issue de l’affrontement, les militaires avaient fouillé leur maison et arrêté leur frère Halit Özdemir ainsi que Mehmet Salih, Hükmet, Hamdin et Ibrahim, qui avaient tous été emmenés au bataillon de Görümlü ; ils avaient demandé à plusieurs reprises des informations au bataillon de Görümlü, en vain ; depuis l’arrestation de Halit Özdemir, ils n’avaient plus eu de ses nouvelles.
Le 15 janvier 2004, Fatma Özdemir, épouse de Halit Özdemir, déclara ce qui suit :
– Le jour de l’incident, tous les villageois avaient été réunis sur la place du village ; six personnes en tout, dont deux habitants de Derecik, avaient été arrêtées par les militaires ; puis, trois heures plus tard environ, les militaires étaient revenus chez elle pour confisquer l’arme de son époux, pour laquelle il avait pourtant un permis. Depuis, elle n’avait plus de nouvelles de son époux.
Les proches de Şemdin Cülaz
Le 15 août 2002, Mevlüde Cülaz, du village de Derecik, déposa une plainte pénale devant le procureur de la République de Silopi au sujet de son époux, Şemdin Cülaz, selon elle placé en garde à vue avec Abdurrahman Kayek le 14 juin 1993 par les militaires de Görümlü. Dans sa plainte, elle précisait ce qui suit :
– Les militaires étaient venus dans le hameau et avaient réuni les villageois ; ils avaient arrêté son époux et Abdurrahman Kayek et les avaient emmenés avec eux ; ils avaient incendié sa maison ; il y avait également de la fumée au-dessus du hameau de Selçik ; Abdurrahman Kayek avait été libéré et lui avait dit qu’il avait été placé en garde à vue avec son époux à la gendarmerie de Görümlü ; depuis l’arrestation, elle n’avait plus eu de nouvelles de son époux ; son beau-père, Mustafa Cülaz, avait fait des démarches auprès du commandement de la gendarmerie de Silopi et de celle de Şırnak sans obtenir de résultat.
Le 16 août 2002, le procureur de la République de Silopi entendit Mevlüde Cülaz, par l’intermédiaire d’un interprète. Elle déclara ce qui suit :
– Dans la nuit du 14 juin 1993, il y avait eu des coups de feu entre le village de Görümlü et le hameau de Derecik, où elle habitait ; tôt le lendemain matin, les militaires étaient venus dans le hameau, ils avaient réuni tous les villageois sur la place du village puis ils avaient emmené son époux et Abdurrahman Kayek ; ce dernier était revenu chez lui, mais pas son époux ; son beau-père, entre-temps décédé, s’était adressé aux autorités compétentes au sujet de l’arrestation de son fils ; elle-même poursuivait les démarches, en vain ; elle portait plainte contre ceux qui avaient placé en garde à vue puis tué son époux.
Le 28 août 2002, la gendarmerie de Silopi indiqua au procureur de la République :
– qu’il n’y avait pas de traces d’un incident tel que relaté par Mevlüde Cülaz ;
– et que, selon le registre des gardes à vue, Şemdin Cülaz n’avait pas été placé en garde à vue.
Le 7 novembre 2002, le parquet de Silopi entendit A.T., muhtar de Görümlü en 1993. Il déclara ce qui suit :
– Le 13 juin 1993, des membres d’une organisation terroriste avaient attaqué le point de contrôle des militaires situé entre Derecik et Görümlü et l’affrontement avait duré plusieurs heures ; le lendemain, les militaires avaient réuni les villageois de Derecik et des hameaux alentour ; ils avaient arrêté İbrahim Akıl, Mehmet Salih Demirhan, Hamdo Şimsek, Hükmet Şimsek, Halit Özdemir et des habitants de son village, et avaient prétendu que ces personnes avaient aidé et soutenu le PKK ; ils avaient également emmené avec eux Şemdin Cülaz et Abdurrahman Kayek ainsi que d’autres personnes dont il ne connaissait pas les noms ; il n’avait pas eu de nouvelles de ces sept personnes depuis leur arrestation ; Abdurrahman Kayek et d’autres personnes dont il avait oublié les noms avaient été libérés ; Abdurrahman Kayek, qui présentait des traces de blessures sur le corps, lui avait dit qu’il avait subi des mauvais traitements ; Abdurrahman Kayek était parti en Irak, mais il ne savait pas où étaient parties les autres personnes libérées ; il avait demandé au bataillon (tabur) des nouvelles de ces personnes mais on lui avait répondu qu’elles avaient été transférées à Silopi ; à Silopi, on lui avait répondu qu’elles avaient été transférées à Şırnak ; à Şırnak, on lui avait répondu qu’elles avaient été libérées et qu’elles avaient probablement rejoint les rangs du PKK ; il n’avait pas obtenu de précisions sur la manière dont ces personnes avaient été placées en garde à vue ou libérées.
Le 25 novembre 2002, la gendarmerie de Görümlü indiqua au procureur de la République :
– qu’il n’y avait pas de traces d’un incident tel que relaté par Mevlüde Cülaz ;
– et qu’il n’y avait aucun registre faisant apparaître le nom de Şemdin Cülaz.
Le 9 janvier 2003, le parquet de Silopi entendit Mevlüde Cülaz, par l’intermédiaire d’un interprète. Elle déposa comme suit :
– Son époux et Abdurrahman Kayek avaient été placés en garde à vue ensemble ; elle avait entendu dire que d’autres personnes avaient également été placées en garde à vue.
Le 9 janvier 2003, le parquet de Silopi réentendit A.T., muhtar de Görümlü à l’époque des faits. Celui-ci déclara ce qui suit :
– Il avait déjà été entendu par le parquet et maintenait sa déposition ; le 23e bataillon d’infanterie était présent à Silopi ; les militaires avaient arrêté les sept personnes citées dans sa précédente déposition ; Hamdo Şimşek, qui n’avait aucune famille en Turquie, et Ali Demirhan, qui avait de la famille à Görümlü, s’étaient adressés aux autorités quelques jours après la disparition des personnes concernées ; Mevlüde Cülaz avait aussi de la famille à Derecik ; il ne savait pas pourquoi la gendarmerie avait déclaré que de tels événements n’avaient pas eu lieu ; lorsqu’il avait demandé à la gendarmerie quel était le sort de ces personnes arrêtées, on lui avait répondu qu’elles avaient été libérées et qu’elles avaient rejoint les rangs du PKK.
Le 13 janvier 2003, le procureur de la République de Silopi établit un procès-verbal indiquant que, contrairement à la déclaration de Mevlüde Cülaz et A.T. selon laquelle une plainte avait été déposée par eux auprès du parquet de Silopi quelques jours après l’arrestation de Hamdo Şimsek et Mehmet Salih Demirhan, aucune démarche en ce sens n’avait été enregistrée par le procureur de la République.
Le 6 février 2003, le procureur de la République de Silopi rendit une ordonnance de non-lieu (2002/1539). Dans ses motifs, le procureur indiquait :
– que le commandement du bataillon de Görümlü avait été mis en place en 1997 ;
– qu’il n’y avait aucun document concernant l’incident évoqué par Mevlüde Cülaz ;
– qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves, de traces ou d’indices pouvant permettre d’affirmer que Şemdin Cülaz avait disparu lors d’une garde à vue.
Le 6 mars 2003, Mevlüde Cülaz contesta l’ordonnance de non-lieu du 6 février 2003 (2002/1539).
Le 10 mars 2003, le parquet de Silopi entendit İ.B., devenu muhtar de Görümlü par la suite. Celui-ci déclara ce qui suit :
– À l’époque des faits, le PKK avait attaqué le bataillon se trouvant à Görümlü et sept soldats avaient été tués ; le lendemain de l’affrontement, les militaires avaient réuni les habitants de son village et des villages alentour, puis ils avaient arrêté une douzaine de personnes dont les noms étaient inscrits sur la demande d’instruction (talimat evrakında isimleri geçen) ; parmi ces douze personnes, Şemdin Cülaz, Hükmet Şimşek, Mehmet Salih Demirhan, Halit Özdemir et Abdurrahman Kayek n’étaient pas revenus au village ; lorsqu’il avait demandé aux autorités militaires ce qu’il était advenu de ces personnes placées en garde à vue, les militaires lui avaient répondu qu’elles avaient rejoint les rangs du PKK ; contrairement aux indications du procès-verbal établi par eux, il n’avait jamais déclaré que ces personnes avaient aidé et soutenu le PKK et qu’elles étaient parties pour le camp d’Ertuş.
Le 28 avril 2003, le président de la cour d’assises de Siirt infirma l’ordonnance de non-lieu du 6 février 2003 contestée par Mevlüde Cülaz. Dans sa décision, le président indiquait qu’il fallait identifier les personnes habitant le village ainsi que le personnel militaire en service à la gendarmerie de Görümlü à la date des faits, et qu’il conviendrait ensuite de recueillir les dépositions des personnes en question.
Dans un procès-verbal du 9 mai 2003, le procureur de la République de Silopi constata :
– que les registres des gardes à vue du poste (Karakol) de Görümlü concernant l’année 1993 avaient été brûlés ou détruits à la suite d’une attaque menée par des terroristes ;
– qu’il n’existait pas de registres antérieurs à l’année 2000 ;
– qu’à la suite de l’attaque susmentionnée, le poste avait été transféré dans les locaux de la gendarmerie.
Le 12 mai 2003, le parquet de Silopi entendit Abdulcelil Cülaz, frère de Şemdin Cülaz habitant le village d’Esenli. Abdulcelil Cülaz déclara ce qui suit :
– À l’époque des faits, il habitait le hameau de Derecik avec son frère ; très tôt le matin, des militaires venus de Görümlü avaient fouillé leur maison, puis son frère avait été placé en garde à vue avec Abdurrahman Kayek ; ce dernier avait été libéré le soir de son arrestation, mais pas son frère ; son père s’était adressé aux autorités compétentes ; les allégations selon lesquelles son frère participerait aux activités du PKK et aurait rejoint le camp d’Ertuş, dans le nord de l’Irak, étaient fausses.
Le 22 mai 2003, le procureur de la République de Diyarbakır se déclara incompétent et se dessaisit au profit du parquet de Silopi. Dans ses motifs, le procureur rappelait :
– que Mevlüde Cülaz avait contesté, en février 2003, l’ordonnance de non-lieu du procureur de la République du 6 février 2002 devant la cour d’assises de Siirt ; que le président de la cour d’assises de Siirt avait infirmé l’ordonnance de non-lieu attaquée ;
– qu’il était allégué dans la plainte que les présumés accusés avaient été placés en garde à vue le 14 juin 1993 par le personnel militaire stationné à Görümlü ; que depuis lors personne n’avait de leurs nouvelles ;
– que le président de la cour d’assises avait demandé l’examen des allégations de Mevlüde Cülaz, l’identification des gendarmes se trouvant à l’époque des faits à Görümlü et la prise de leurs dépositions, et l’obtention d’une copie du registre du commissariat de Görümlü ;
Le procureur notait en outre :
– qu’il ressortait d’une demande du procureur de la République de Silopi du 12 mai 2003 qu’une enquête pénale était pendante, sous le numéro 2003/788 ;
– que deux autres enquêtes pénales avaient été ouvertes pour les mêmes faits par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État de Diyarbakır.
Le 25 mai 2003, après l’infirmation de l’ordonnance de non-lieu, le procureur de la République de Silopi adressa au commandement général de la gendarmerie à Ankara les questions et demandes suivantes :
« – Y avait-il un commandement de la gendarmerie établi à Görümlü le 14 juin 1993 ? Dans l’affirmative, un gendarme dénommé H.Y. y était-il en fonction ?
– À la date indiquée, y a-t-il eu un affrontement armé entre les forces de sécurité et le PKK dans les environs des hameaux de Selçik et de Derecik (Görümlü) ?
– À la date indiquée ou avant cette date, en dehors du commandement de la gendarmerie de Görümlü, d’autres unités militaires étaient-elles présentes au village de Görümlü ? Dans l’affirmative, veuillez fournir des informations au sujet de ces unités militaires ainsi que la liste du personnel militaire en fonction ;
– Veuillez présenter la copie du registre des gardes à vue de la gendarmerie de Görümlü ;
– À la date des faits, les forces de sécurité avaient-elles perquisitionné les maisons se trouvant au hameau de Derecik ? Des personnes du nom de Şemdin Cülaz ou Abdurrahman Kayek, habitants de ce hameau, ou bien İbrahim Akçil, Mehmet Salih Demirhan, Hamdo Şimşek, Hükmet Şimşek et Halit Özdemir, ont-elles été placées en garde à vue ? »
Le 27 mai 2003, le procureur de la République de Silopi entendit Mevlüde Cülaz par l’intermédiaire d’un interprète. Elle réitéra ses précédentes déclarations au sujet de la disparition de son époux.
Le 29 mai 2003, le procureur de la République de Silopi entendit Abdullah Kayek, H.C., Y.Ta., M.Ta. et Ö.C., qui résidaient tous à Derecik à la date du 14 juin 1993. Ils déposèrent en ce sens :
– Le jour de l’incident, les militaires de la garnison de Görümlü étaient venus au village. Ils avaient appelé nommément Abdurahman Kayek et Şemdin Cülaz et avaient emmené ces deux personnes avec eux. Abdurahman Kayek était revenu au village le lendemain avec le muhtar de Görümlü, mais pas Şemdin Cülaz. Abdurahman Kayek avait déclaré que les militaires n’avaient pas libéré Şemdin Cülaz. Une semaine plus tard Abdurahman Kayek était parti en Irak, alors qu’il n’y avait plus de nouvelles de Şemdin Cülaz.
Le 29 mai 2003, le procureur de la République de Silopi entendit İ.K., frère d’Abdurrahman Kayek. Il déclara ceci :
– Le jour de l’incident, son frère et Şemdin Cülaz avaient été arrêtés par les militaires de la garnison de commandos de Görümlü. Son frère avait été libéré, mais pas Şemdin Cülaz. Son frère avait déclaré que d’autres personnes également avaient été arrêtées. Son frère avait été battu mais n’avait rien dit au sujet de sa garde à vue. Une semaine après l’incident, il s’était installé en Irak.
En réponse à la demande du procureur de la République de Silopi du 25 mai 2003, à une date non précisée, le commandement général de la gendarmerie à Ankara donna les éléments d’information suivants :
– le 14 juin 1993, il y avait bien un commandement de gendarmerie à Görümlü, et les gendarmes H.Y. et N.B. y étaient en fonction ;
– le 13 juin 1993, vers 23 h 45, un affrontement armé avait eu lieu entre un bataillon basé près de Görümlü et des membres du PKK dans les environs de Görümlü, Selçik et Derecik ; au cours de l’affrontement, six militaires avaient été tués et treize autres blessés ;
– une enquête pénale avait été déclenchée par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État de Diyarbakır (dossier 1993/3241) contre les responsables de cet affrontement ;
– à la date des faits, il y avait deux bataillons basés à Görümlü (2/1ci Komd.Tuğ et 1/61nci mknz.Tuğ) ;
– aucun registre du commandement de gendarmerie de Görümlü n’avait été retrouvé ;
– les informations et documents présentés par le commandement de la gendarmerie du chef-lieu ne faisaient pas ressortir si les maisons de Derecik avaient été perquisitionnées ou si les personnes citées par le procureur de la République avaient été placées en garde à vue.
Le 2 juin 2003, le parquet de Silopi entendit Kazım Cülaz, fils de Şemdin Cülaz, qui déclara ce qui suit :
– À l’époque des faits, il habitait Derecik ; un affrontement armé avait eu lieu à Görümlü ; le lendemain, les militaires avaient réuni les villageois, dont lui, sur la place du village ; des maisons avaient été fouillées et les pièces d’identité des villageois avaient été contrôlées ; son père et Abdurrahman Kayek avaient été emmenés par les militaires ; son grand-père, décédé en 1996, avait fait des démarches auprès des gendarmeries de Görümlü et de Şırnak, en vain ; le soir de son arrestation, seul Abdurrahman Kayek avait été remis en liberté ; par crainte de représailles, il n’avait fait aucune démarche auprès des autorités compétentes ; Abdurrahman Kayek, İ.K., Ö.K., M.Ta., Y.Ta., A.K., K.K., H.C., Mahmut Cülaz, Selahattin Cülaz, Reşit Cülaz, Celadin Cülaz, Şemdin Cülaz, O.K., A.K., M.A., S.Ç., Ö.C., S.B. et A.K. étaient présents au village au moment des faits.
Le 16 juin 2003, le parquet de Silopi entendit S.B., qui habitait Derecik le 14 juin 1993. Il déclara ce qui suit :
– À l’époque des faits, il se trouvait à Silopi pour affaires ; il avait entendu des villageois dire qu’un affrontement armé avait eu lieu la nuit précédente du côté de Görümlü, que les militaires étaient venus dans le village où vivaient Abdurrahman Kayek, İ.K., H.K., Ö.K., M.Ta., A.Ta., Y.Ta., A.K., K.K., H.C., Mahmut Cülaz, Kasım Cülaz, Selahattin Cülaz, Reşit Cülaz, Celadin Cülaz, Şemdin Cülaz, O.K., M.A., S.Ç., Ö.C., et qu’ils avaient placé en garde à vue Şemdin Cülaz et Abdurrahman Kayek ; ce dernier avait été remis en liberté le soir de son arrestation puis avait quitté le village avec sa famille.
Le 16 juin 2003, le parquet de Silopi entendit Reşit Cülaz, frère de Şemdin Cülaz, qui habitait Derecik le 14 juin 1993. Il déclara ce qui suit :
– Un affrontement armé avait eu lieu dans la nuit du côté de Görümlü ; le lendemain matin, les militaires étaient venus dans le village où vivaient Abdurrahman Kayek, İ.K., H.K., Ö.K., M.Ta., A.Ta., Y.Ta., A.K., K.K., H.C., Mahmut Cülaz, Kasım Cülaz, Selahattin Cülaz, Reşit Cülaz, Celadin Cülaz, Şemdin Cülaz, O.K., M.A., S.Ç., Ö.C.; les militaires avaient vérifié l’identité des villageois et avaient arrêté Şemdin Cülaz et Abdurrahman Kayek ; le soir, seul Abdurrahman Kayek avait été remis en liberté ; celui-ci avait ensuite quitté le village avec sa famille.
Le 16 juin 2003, le parquet de Silopi entendit Mahmut Cülaz, fils de Şemdin Cülaz, qui habitait Derecik le 14 juin 1993. Il déclara ce qui suit :
– Un affrontement armé avait eu lieu dans la nuit du côté de Görümlü ; au matin, les militaires étaient venus dans le village, avaient réuni les villageois et vérifié leur identité ; ils avaient arrêté son père, Şemdin Cülaz, et Abdurrahman Kayek ; seul ce dernier avait été remis en liberté le soir de son arrestation et avait ensuite quitté le village avec sa famille.
Le 16 juin 2003, le parquet de Silopi entendit Selahattin Cülaz, frère de Şemdin Cülaz, qui habitait Derecik le 14 juin 1993. Il déclara avoir été témoin de l’arrestation de Şemdin Cülaz et d’Abdurrahman Kayek, et déposa à l’identique de Mahmut Cülaz.
Le 16 juin 2003, le parquet de Silopi entendit Osman Kayek, frère d’Abdurrahman Kayek. Il déclara ceci :
– Le jour de l’incident, son frère et Şemdin Cülaz avaient été arrêtés par des militaires de la garnison de commandos basés à Görümlü. Son frère avait été libéré mais pas Şemdin Cülaz. Son frère avait déclaré que d’autres personnes également avaient été arrêtées. Une semaine après l’incident, son frère s’était installé avec sa famille en Irak.
Le 25 juin 2003, le procureur de la République de Silopi demanda au commandement du 23e bataillon d’infanterie de Silopi de lui indiquer :
– si un affrontement armé avait eu lieu le 14 juin 1993 entre les forces de l’ordre et le PKK ;
– si une quelconque opération militaire s’était déroulée et si des personnes du nom de Şemdin Cülaz, Abdurrahman Kayek, İ.A., Mehmet Salih Demirhan, Hamdo Şimşek, Hükmet Şimşek et Halit Özdemir avaient été placées en garde à vue ;
– si, à la date indiquée, des unités militaires autres que la gendarmerie de Görümlü étaient présentes au village de Görümlü.
Dans l’affirmative, il demandait que lui soient fournies les informations au sujet de ces unités militaires ainsi que la liste du personnel militaire en fonction.
C. Les démarches effectuées en commun par l’ensemble des requérants auprès des autorités nationales
Le 26 juin 2003, Mevlüde Cülaz, Selahattin Cülaz, Mahmut Cülaz, Kazım Cülaz, Yusuf Demirhan, Zeynep Demirhan, Yasin Akıl et Taybet Akıl déposèrent une nouvelle plainte devant le procureur de la République de Silopi au sujet de la disparition de leurs proches. Dans leur plainte, ils rappelaient que, le 14 juin 1993, leurs proches avaient été arrêtés et emmenés à la gendarmerie de Görümlü, et qu’ils étaient sans nouvelles d’eux depuis lors. Les proches de Şemdin Cülaz demandaient également un élargissement de l’enquête pénale, à la lumière des déclarations écrites remises à l’avocat Tahir Elçi ainsi que de l’interview du général M.S. publiée dans le quotidien Sabah les 1er, 2 et 3 août 1993. À cet égard, ils précisaient que, dans l’article paru le 3 août 1993, le général avait déclaré : – qu’un imam avait été retrouvé mort lors d’un affrontement ; – qu’il portait une croix autour du cou ; – et qu’il était catholique ou arménien. Le général n’ayant pas donné le nom du village où l’affrontement avait eu lieu, ils demandaient que celui-ci, qui à l’époque des faits commandait la gendarmerie de Şırnak, soit entendu. Ils joignaient entre autres à leur demande l’article du quotidien Sabah, le rapport de la Fondation des droits de l’homme de Turquie et la déclaration écrite remise par A.T., muhtar, à l’avocat Tahir Elçi.
Le 16 juillet 2003, le militaire O.A. fut entendu par le parquet de Kocaeli. Il déclara ceci :
– Il était arrivé à Görümlü le 15 septembre 1993, il avait entendu l’incident survenu le 14 juin 1993. Il n’avait pas vu de registre de garde à vue concernant la période concernée.
Le 9 août 2003, le procureur de la République de Silopi versa au dossier de l’enquête une copie du rapport annuel 1994 de la Fondation des droits de l’homme de Turquie, en particulier la page 207 précisant que Şemdin Cülaz, habitant du village de Görümlü, avait disparu le 14 juin 1993.
Le 13 août 2003, le parquet de Bolu entendit le militaire H.Y., qui déclara ceci :
– Le 14 juin 1993 il commandait un détachement d’infanterie à cinq cents mètres du village de Görümlü. Il avait son lit dans un préfabriqué qui servait de bureau et de chambre à coucher tandis que les quatre soldats sous ses ordres étaient hébergés dans une tente. À cette époque il y avait eu un affrontement entre les militaires et des membres du PKK dans les environs de Selçik et de Derecik. La garnison d’infanterie de Görümlü avait été attaquée et certains militaires avaient été tués. Il ne connaissait pas le nom du personnel militaire en poste à la date des faits litigieux. Comme il n’y avait pas de poste de gendarmerie, il n’y avait pas non plus de registre des gardes à vue. Les personnes placées en garde à vue étaient emmenées au commandement de la gendarmerie de Silopi. Il ne savait rien au sujet des personnes disparues et ignorait notamment si elles avaient été placées en garde à vue.
Dans un procès-verbal daté du 27 juillet 2004, la gendarmerie de Silopi indiqua que le commandement de la gendarmerie ne disposait d’un registre des gardes à vue que depuis le 19 mars 2001, de sorte qu’il n’y avait aucune trace des personnes prétendument placées en garde à vue le 14 juin 1993.
Le 12 janvier 2005, le militaire N.O. fut entendu. Il déclara ce qui suit :
– Le jour de l’incident, il était affecté à Görümlü en tant que membre du bataillon des forces aériennes de Kayseri. Un bataillon d’infanterie venu d’Istanbul se trouvait également là-bas. À cette époque il venait de subir une intervention chirurgicale et il n’était pas sur place. Le commandant O.T., qui assurait le commandement par intérim à cette époque, l’avait informé de l’incident.
Le 16 novembre 2005, le parquet de Pendik (Istanbul) entendit N.B., gendarme en service entre 1992 et 1994 à Silopi. Il déclara qu’il était en fonction à Silopi mais qu’il ne se souvenait pas de l’incident en question.
Le 22 mars 2006, N.B. fut entendu par le procureur de la République de Pendik (Istanbul). Il déclara ceci :
– Il avait été en service à Görümlü en juin ou juillet 1993 ; à son arrivée, la gendarmerie se trouvait dans un bâtiment préfabriqué, rattaché au bataillon militaire. Il ne savait rien au sujet de l’incident survenu en juin 1993.
Le 22 mars 2006, sur instruction du parquet de Silopi, le parquet de Pendik (Istanbul) réentendit N.B. Celui-ci déposa comme suit :
– Il avait été en fonction au poste de gendarmerie de Görümlü pendant vingt jours environ ; il n’y avait pas à proprement parler de poste de gendarmerie à cette époque, les locaux de la gendarmerie se trouvaient au sein de la garnison d’infanterie. Il n’y avait pas de cellule ni de registre pour les gardes à vue. Le commandant du poste de gendarmerie s’appelait H. Il ne connaissait pas les personnes prétendument placées en garde à vue et il ne savait pas ce qu’il était advenu à leur sujet.
Le 5 juin 2006, le procureur de la République de Silopi demanda au journal Sabah une copie du reportage fait avec M.S. les 1er, 2 et 3 août 1993.
Le 27 mars 2007, le parquet entendit de nouveau A.T., muhtar du village de Görümlü. Réitérant ses précédentes déclarations, il déposa comme suit :
– À la suite d’un affrontement qui avait eu lieu entre les militaires et des membres de l’organisation, près du village de Görümlü, les militaires l’avaient appelé. Les militaires avaient arrêté İbrahim Akıl, Mehmet Salih Demirhan, Hamdo Şimşek, Hükmet Şimşek et Halit Özdemir et les avaient emmenés au bataillon se trouvant près du village. İbrahim Akıl avait également été battu sur la place du village. Il avait appris par la suite que Şemdin Cülaz et Abdurrahman Kayek avaient également été emmenés au bataillon. Le soir même de leur arrestation, Abdurrahman Kayek avait été libéré. Ce dernier avait passé la nuit chez lui et il avait déclaré avoir été torturé sévèrement. Abdurrahman Kayek lui avait dit que les six autres personnes arrêtées avaient également été torturées au bataillon situé à Görümlü. Abdurrahman Kayek avait été libéré par H.Y., le commandant du poste de Görümlü. Par la suite Abdurrahman Kayek s’était installé au nord de l’Irak. Les proches des autres personnes arrêtées n’ayant pas eu de nouvelles d’elles, il s’était adressé à leur demande au commandant Oktay du bataillon. Celui-ci lui avait déclaré que les personnes arrêtées avaient été emmenées à la gendarmerie de Silopi. Le lendemain, Mustafa Cülaz, Muhittin Özdemir et lui-même s’étaient rendus à la gendarmerie de Silopi mais on leur avait répondu que ces personnes n’avaient pas été emmenées à Silopi. Puis, à leur retour à Görümlü, le commandant O. leur avait dit que ces personnes avaient été emmenées à Şırnak. Il s’était alors également rendu à Şırnak, en vain. Lors de l’arrestation de ces personnes, il y avait un lieutenant du nom de Tansel, qu’il avait accompagné dans les maisons du village pour réunir les habitants.
Le 2 avril 2007, le procureur de la République de Silopi demanda au commandement des forces armées à Ankara les coordonnées d’O.T. et de l’officier du nom de T. pour les auditionner au sujet des faits du 14 juin 1993.
Le 21 mai 2007, le militaire H.S.V. fut entendu. Il déclara qu’il n’avait pas de souvenir de l’incident survenu à l’époque des faits et que la plainte y relative avait pour but de porter atteinte à l’honneur des forces militaires.
Le 31 mai 2007, le procureur de la République d’Eğirdir, lieu de résidence d’O.T., renvoya au parquet de Silopi sa demande d’audition au motif qu’il n’était pas indiqué à quel titre et au sujet de quel incident l’intéressé devait être entendu.
Le 2 août 2007, O.T. fut entendu par le procureur de la République d’Eğirdir. Il déclara ce qui suit :
– Entre 1992 et 1995, il avait été en service dans le sud-est de la Turquie ; il était resté quatre mois environ dans les environs du village de Görümlü. Il n’avait pas été témoin de l’arrestation des personnes mentionnées dans la plainte de Mevlüde Cülaz et d’Ahmet Tamyer ni de l’incendie des villages. Pendant la période où il était en service, aucun village n’avait été incendié.
Le 30 août 2007, le procureur de la République de Silopi rendit une ordonnance de non-lieu (2003/788, 2007/1087). Les motifs de l’ordonnance étaient les suivants :
– Les manquements relevés par le président de la cour d’assises de Siirt avaient été examinés. En particulier, les commandants des unités militaires de la région avaient été entendus : ils avaient déclaré que l’incident allégué n’avait pas eu lieu, et que les plaignants avaient agi dans le but de porter atteinte à l’honneur des forces militaires.
– Le dossier de l’enquête ne contenait pas d’éléments de preuve concrets et convaincants permettant de confirmer les allégations des plaignants. En particulier, les déclarations des plaignants et des témoins étaient contradictoires, étant donné que vingt-huit des villageois interrogés [paragraphe 128 ci-dessous] n’avaient pas confirmé l’arrestation de Şemdin Cülaz, Mehmet Salih Demirhan, Halit Özdemir, Hamdo Şimşek, Hükmet Şimşek et Abdurrahman Kayek, que seules six personnes l’avaient confirmée, et qu’il n’y avait pas de registre de garde à vue attestant les arrestations alléguées.
Le 4 septembre 2007, Mevlüde Cülaz, Selahattin Cülaz, Mahmut Cülaz, Kazım Cülaz, Yusuf Demirhan, Zeynep Demirhan, Yasin Akıl et Taybet Akıl contestèrent l’ordonnance de non-lieu devant le président de la cour d’assises de Siirt. Ils faisaient valoir en particulier que les éléments de preuve émanant du général M.S., commandant de la garnison de Sirnak à l’époque des faits, n’avaient pas été pris en considération.
Le 27 septembre 2007, le président de la cour d’assises de Siirt confirma l’ordonnance de non-lieu du 30 août 2007 (2007/880 et 2007/880). Cette décision fut notifiée aux requérants le 1er octobre 2007.
D. La découverte de nouveaux éléments de preuve
Le 24 août 2009, Mevlüde Cülaz, Selahattin Cülaz, Mahmut Cülaz, Kazım Cülaz, Yusuf Demirhan, Zeynep Demirhan, Yasin Akıl et Taybet Akıl demandèrent au parquet de Silopi l’ouverture d’une enquête complémentaire à la suite de la découverte de nouveaux éléments de preuve. Au nombre de ces nouveaux éléments figurait en particulier, expliquaientils, la déposition d’un « témoin anonyme » entendu lors du troisième volet de l’enquête menée au sujet de l’opération dite Ergenekon (Ergenekon 3. iddianame) et lors de la procédure y relative alors pendante devant la 13e cour d’assises d’Istanbul : ce témoin aurait déclaré qu’en 1993-1994, après une embuscade au cours de laquelle deux militaires avaient été tués à Görümlü, le commandant du bataillon, M.Z.Ö., avait fait arrêter puis tuer six villageois, qui avaient ensuite été enterrés dans le jardin du bataillon de Görümlü.
Les requérants demandaient l’audition de ce témoin, désigné par le pseudonyme « İlkadım », de M.Z.Ö. et du personnel militaire en fonction à l’époque des faits, ainsi qu’une fouille dans le jardin en question pour identifier les éventuels corps qui y auraient été enterrés. À l’appui de leur demande, ils joignaient une copie du quotidien Vatan du 21 août 2009.
Le 26 août 2009, Mevlüde Cülaz, Selahattin Cülaz, Mahmut Cülaz, Kazım Cülaz, Yusuf Demirhan, Zeynep Demirhan, Yasin Akıl et Taybet Akıl transmirent au procureur de la République de Silopi copie d’une déclaration manuscrite d’Abdurrahman Kayek. Les informations apportées par ce dernier étaient les suivantes :
– Avant la date des faits, il avait déjà été placé en garde à vue pour aide et appartenance au PKK. Il avait été arrêté avec d’autres personnes, et ils avaient tous été emmenés au bataillon de Görümlü. Il avait vu les autres personnes arrêtées à l’intérieur du bataillon en compagnie des militaires. En outre, certaines des autres personnes arrêtées avaient été libérées en même temps que lui ; il s’agissait d’Ö.K., Mühittin et Abdulkerim Özdemir, Mehmet Özdemir ; ils avaient tous été torturés. Après avoir été remis en liberté, il s’était rendu chez A.T., le muhtar du village.
Les 12 et 19 octobre 2009, se fondant sur un article publié dans le quotidien Taraf – selon lequel un soldat ayant effectué son service militaire en 1993 à la gendarmerie de Görümlü avait déclaré qu’il avait tiré des balles dans les jambes des six personnes placées en garde à vue, puis les avait traînées avec un véhicule, et qu’elles avaient ensuite été enterrées dans le jardin du bataillon –, Mevlüde Cülaz, Selahattin Cülaz, Mahmut Cülaz, Kazım Cülaz, Yusuf Demirhan, Zeynep Demirhan, Yasin Akıl et Taybet Akıl demandèrent l’audition des personnes suivantes : M.Z.Ö., le général M.S., H.B.V., M.A.Y., İ.K., les sous-officiers M. et D. et l’officier S. (tous en service à Görümlü à l’époque des faits), ainsi que le journaliste auteur de l’article, M.B. Ils réclamèrent également une fouille du jardin, aux fins de recherche des corps de leurs proches.
Le 30 mars 2010, le commissariat de police de Kadıköy (Istanbul) auditionna le témoin Y.Ö. Il déclara ce qui suit :
– Il était le témoin qui avait parlé au journaliste du quotidien Taraf ; il confirmait son témoignage paru dans le quotidien Taraf les 12 et 19 octobre 2009 au sujet du décès des six villageois de Görümlü. À l’époque des faits, il effectuait son service militaire. M.S., commandant de la brigade de Şırnak, avait donné l’ordre [de leur tirer dans les jambes] pour faire croire que ces personnes avaient été tuées au cours d’un affrontement et étaient des terroristes. H.B.V. avait donné l’ordre aux militaires de torturer ces villageois. Des officiers dénommés İ.K., M. et S. avaient tiré des balles dans les jambes des six personnes placées en garde à vue. Au cours de l’enterrement de ces personnes, un militaire du nom de Yunus, originaire d’Erzurum, s’était blessé en marchant sur une mine antipersonnel. Un militaire dénommé Ş., originaire de Trabzon, avec un certain S., de Samsun, avaient torturé ces villageois. Ces personnes avaient été enterrées dans une zone où les militaires avaient creusé des puits, comme il l’avait indiqué sur le croquis publié dans l’article cité. Elles avaient d’abord été jetées dans les puits et, le soir venu, elles avaient été enterrées dans la région de Kesiktepe, à un kilomètre du bataillon, près des rochers, en face de la zone des radars. Il avait entendu M.S. donner l’ordre de dire que ces personnes avaient été tuées au combat et de les présenter comme étant des terroristes. H.B.V. avait donné l’ordre aux appelés de torturer ces six villageois. Ces villageois avaient été attachés derrière un véhicule Land Rover et traînés sur le béton. Toujours sur ordre de H.B.V., M.A.Y. avait ordonné de tirer sur les pieds des villageois : İ.K., deux sous-officiers dénommés M. et D. ainsi que l’officier S. s’étaient exécutés. Il avait ensuite été dit aux appelés qu’ils pouvaient disposer des villageois. Les appelés les avaient alors attachés derrière le véhicule et ils les avaient ainsi traînés durant une heure à l’intérieur du bataillon. Y., un militaire, était parti enterrer les villageois ; à son retour il avait marché sur une mine antipersonnel ; il avait alors été transporté par hélicoptère à Şırnak pour y être soigné. Halit Özdemir, qui portait le même nom de famille que lui-même, lui avait demandé de l’eau pour boire.
Le 30 mars 2010, le commissariat de police de Kadıköy (Istanbul) auditionna le journaliste M.B. Il déclara que l’une de ses sources avait décidé de ne pas dévoiler son identité et que son autre source avait déjà déposé. Se fondant sur la loi sur la presse, il refusa de donner le nom de l’autre source.
À une date non précisée, le procureur de République de Silopi réentendit Y.Ö. Ce dernier déposa comme suit :
– Il confirmait sa déposition du 30 mars 2010. Il avait fait son service militaire dans le bataillon d’infanterie de Tekirdağ, puis lui et son bataillon avaient été transférés le 12 avril 1993 à Görümlü. Il était resté là-bas jusqu’à la fin de son service militaire, le 17 novembre 1993. À cette date la brigade de l’air de Kayseri était également basée à Görümlü. Il n’y avait pas de poste de gendarmerie ni de bâtiments militaires à Görümlü : les officiers vivaient dans des abris préfabriqués et les soldats vivaient dans des tentes, le réfectoire lui-même était constitué d’une tente. Pour la sécurité des militaires, des tranchées avaient été creusées et les soldats y montaient la garde. Parmi les cadres figuraient notamment H.B.V., le commandant du bataillon d’infanterie de Tekirdağ, le commandant İ.K., de la troisième compagnie, ainsi que le commandant M.A.Y. Le général M.S. commandait la brigade de Şırnak. Le 14 mai 1993, un affrontement avait eu lieu à Kesiktepe (Görümlü) : des militaires avaient été tués et plus d’une dizaine avaient été blessés. À Kesiktepe des mines antipersonnel avaient été installées par les militaires. Après l’affrontement, le général M.S. était venu leur rendre visite et il avait donné un papier à H.B.V. en donnant l’ordre d’arrêter les villageois dont les noms s’y trouvaient inscrits. İ.K. s’était rendu à Görümlü, qui se trouvait à un kilomètre environ, pour arrêter sept personnes. Puis le général M.S. avait donné l’ordre aux militaires de tuer ces personnes. Le soldat R.B., qui vivait à Ankara, avait également été témoin de cette scène. L’un des villageois arrêtés portait le même nom de famille que lui, Özdemir. L’un des villageois portait autour du cou une croix ; H.B.V. avait fait enlever cette croix pour la mettre autour du cou de l’imam. H.B.V. lui avait demandé pourquoi ils avaient aidé ceux qui avaient attaqué le bataillon. L’imam avait répondu qu’il ne les aidait pas. Puis, sur ordre de H.B.V., M.A.Y. et İ.K. avaient frappé ces personnes. Plus tard, H.B.V. avait ordonné que l’une des personnes arrêtées soit libérée. Par la suite, les six personnes restantes avaient été emmenées sur la place d’armes du bataillon et, sur ordre de H.B.V., İ.K., M.A.Y. ainsi que d’autres militaires avaient tiré des balles dans les jambes des six personnes. Ces personnes avaient été traînées au moyen d’un véhicule puis les militaires avaient tiré sur eux. Ensuite, les militaires avaient emmené les corps de ces personnes vers les fosses qui se trouvaient à côté du garage situé derrière le bataillon. Il ne savait pas ce qu’il s’était passé ensuite.
Toujours à une date non précisée, le procureur de République de Silopi réentendit A.T., muhtar. Celui-ci confirma ses précédentes déclarations ainsi que celle qu’il avait remise à l’avocat Tahir Elçi le 5 mars 2003.
Le 12 avril 2010, Y.Ö. déposa devant le procureur de la République de Solhan une plainte pour avoir reçu des menaces de mort proférées par des tiers depuis son témoignage dans le quotidien Taraf. Il indiquait notamment que quatre personnes lui avaient coupé la route en lui demandant de retirer sa déposition du 30 mars 2010 et de revenir sur son témoignage fait au quotidien Taraf.
Le 20 mai 2010, à la demande du procureur général de la République de Silopi, le président de la cour d’assises de Siirt (2010/296) infirma l’ordonnance de non-lieu du 30 août 2007 rendue par le procureur de la République de Silopi, au motif de la découverte de nouveaux éléments de preuve.
Le 4 août 2010, N.O. fut entendu par le commissariat de police de Gaziosmanpaşa. Il déclara ce qui suit :
– À l’époque des faits, il faisait son service militaire à Görümlü. Il se souvenait qu’à Kesiktepe, il y avait eu un affrontement et que des soldats avaient été tués. Il savait que six ou sept villageois avaient été arrêtés et qu’ils avaient été torturés par des militaires et des officiers. Il ne savait rien sur leur sort ultérieur.
Le 15 février 2011, sur instruction du procureur de la République de Silopi du 19 janvier 2011, R.B., militaire du rang à l’époque des faits, fut entendu par la police. Il déclara ce qui suit :
– À la date des faits, il faisait son service militaire à Görümlü dans la garnison d’infanterie de Tekirdağ ; il se souvenait uniquement du nom du commandant de compagnie Ö.I. À leur arrivée à Görümlü, le bataillon était situé dans deux bâtiments de plain-pied où résidaient les lieutenants. Une brigade de Kayseri se trouvait également positionnée au même endroit. Un affrontement avait eu lieu avec les terroristes, six militaires avaient été tués ; le jour suivant, ses camarades lui avaient dit que six ou sept personnes de Görümlü avaient été emmenées au bataillon et avaient été fusillées ; il avait vu les corps de ces personnes au milieu du bataillon ; le soir, un véhicule non militaire sans immatriculation était venu emmener les corps de ces personnes dans un endroit dont il ne savait rien.
Le 4 avril 2011, l’avocat des requérants transmit au procureur de la République de Silopi une copie de la déclaration manuscrite d’Abdurrahman Kayek, tout en rappelant que celui-ci avait déjà été entendu à plusieurs reprises. L’avocat donna également l’adresse d’Abdurrahman Kayek en Irak pour qu’il puisse être réentendu.
Le 10 août 2011, N.O.E. fut entendu par le commissariat de police de Narlıdere (Izmir). Il déclara ce qui suit :
– Il avait déjà été entendu concernant l’incident litigieux. À l’époque des faits, il n’était pas en service à Görümlü ; O.T. exerçait le commandement par intérim en son absence. Il ne savait pas ce qu’il s’était passé le jour de l’incident. Il connaissait les militaires M.S. et H.B.V.
Le 17 octobre 2011, à la demande du procureur de la République de Silopi, le commandant de la gendarmerie de Silopi envoya au procureur une copie du croquis sommaire du bâtiment et du jardin de la gendarmerie tels qu’à la date des faits.
À une date non précisée, le procureur de la République de Silopi demanda au commandement de la gendarmerie de Silopi un plan du lieu de cantonnement du bataillon situé près du village de Görümlü.
Le 16 janvier 2012, à la demande du procureur général de la République de Silopi, le tribunal d’instance pénal ordonna la restriction (« kısıtlama kararı ») de l’accès au dossier de l’enquête en cours et de la communication des copies des pièces y contenues, afin de protéger l’identité des personnes qui devaient indiquer l’endroit où était enterré le corps des proches des requérants. Cette décision avait pour effet d’interdire à l’avocat des requérants tout accès au dossier.
Un procès-verbal établi par le procureur de la République de Silopi le 17 janvier 2012 en la présence, entre autres, de l’avocat des requérants, d’Abdülcelil Cülaz, Nurettin Demirhan, Kazım Cülaz, Hacı Akıl, İsmail Özdemir et du témoin Y.Ö., relata l’audition de ce dernier comme suit :
– Le témoin avait déclaré que l’endroit où étaient enterrés les corps commençait à la fin de la piste d’atterrissage pour hélicoptère et s’étendait sur une distance de 25 mètres environ en direction de Görümlü ; selon lui, à cet endroit se trouvait à l’époque des faits un chêne, et les corps avaient été enterrés à six mètres environ de cet arbre ; un mois avant la présente audition, des logements avaient été construits sur la piste d’atterrissage, et l’arbre avait été coupé ; il ne se sentait pas capable d’indiquer le lieu précis où se trouvait l’arbre, dans la mesure où il n’y avait plus d’arbre ; un autre soldat, du nom de N., avait également été témoin de la scène, et avait également vu le journaliste du quotidien Taraf.
Dans un procès-verbal établi le 19 janvier 2012 après les travaux d’excavation, en la présence, entre autres, de l’avocat des requérants ainsi que d’Abdülcelil Cülaz, Nurettin Demirhan, Kazım Cülaz, Hacı Akıl, İsmail Özdemir et du témoin Y.Ö., le procureur de la République de Silopi indiqua que les travaux de recherche effectués sur les lieux indiqués par le témoin (une zone de 12 x 4 mètres avait été creusée, sur une profondeur de trois mètres) n’avaient permis de trouver que trois os ; il n’avait pas été fait de fouille dans une autre zone que celle indiquée par le témoin.
Le 20 janvier 2012, sur opposition formée par l’avocat des requérants, le tribunal d’instance pénal annula la décision de restriction de l’accès au dossier du 16 janvier 2012.
Le 23 janvier 2012, le procureur de la République de Silopi envoya à l’institut médicolégal d’Istanbul les trois os retrouvés pour des analyses, afin de déterminer s’ils appartenaient à des êtres humains ou non.
Le rapport médical du 26 mars 2012 de l’institut médicolégal d’Istanbul établit que ces trois morceaux d’os appartenaient à des animaux.
Le 5 avril 2012, Mihyedin Özdemir, habitant de Görümlü et frère de Halit Özdemir, fut entendu par le procureur de la République de Silopi. Il déclara ce qui suit :
– Le jour de l’incident, des militaires étaient venus dans le village, accompagnés du muhtar A.T. et de Mehmet Özdemir, et avaient perquisitionné les maisons ; le commandant avait une liste dans la main : son nom, et celui de ses frères Ramazan, Halit et Abdulkerim avaient été lus. Le commandant avait incendié leur maison et ils avaient été emmenés sur la place du village ; les maisons d’İbrahim Akıl et de Mehmet Salih Demirhan avaient également été incendiées. Neuf personnes dont lui-même avaient été arrêtées, les autres étant Mehmet Salih Demirhan, İbrahim Akıl, Hamdo Şimşek, Hükmet Şimşek, Ramazan Özdemir, Halit Özdemir, Abdulkerim Özdemir et son cousin Telli Özdemir. Mete Seyar était venu au bataillon. Ils avaient tous été emmenés à côté de l’arbre se trouvant près de la piste d’atterrissage de l’hélicoptère. Ramzan Özdemir et Telli Özdemir avaient été battus par quatre personnes en tenue civile. Il ne savait pas ce qu’il était advenu d’İbrahim Akıl, Mehmet Salih Demirhan, Hamdo Şimşek, Hükmet Şimşek, et Ramazan Özdemir, son frère. Quelques minutes plus tard, il avait entendu des coups de feu provenant de la direction dans laquelle ils avaient été emmenés. L’un des militaires lui avait dit que toutes ces personnes avaient été tuées. Le militaire H. les avait emmenés, lui-même, Ramazan, Telli et Abdulkerim, au poste de gendarmerie. Là-bas se trouvaient également Abdurrahman Kayek et Ö.K., du village de Koyunören. Ils avaient tous été libérés le soir même. Les personnes tuées avaient été emmenées du côté du garage. En 1994, il était devenu garde de village. Dans le cadre de sa formation de garde de village, il se rendait au bataillon de la gendarmerie ; derrière le garage, un endroit avait été ceint de fil de fer et il y avait une inscription – « cimetière » – près d’un chêne. Il pensait qu’İ., le lieutenant-colonel du bataillon, connaissait ce cimetière. M.Z.Ö. était un des commandants de la compagnie à Görümlü.
108. Le 6 avril 2012, N.D., un habitant de Görümlü, fut entendu par le procureur de la République de Silopi. Il ne savait pas l’endroit où les personnes disparues avaient été enterrées.
109. Le 9 avril 2012, Abdulkerim Özdemir, frère de Halit Özdemir, fut entendu par le procureur de la République de Silopi. Il déposa comme suit :
– Il confirmait la déposition de son frère M.Ö. du 5 avril 2012. Il n’avait pas vu de cimetière dans le bataillon de gendarmerie après être devenu garde de village en 1994, dans la mesure où il ne se rendait pas souvent dans l’enceinte du bataillon. Il ne savait pas non plus si les personnes disparues avaient rejoint les rangs de l’organisation terroriste.
Le 9 avril 2012, Telli Özdemir, cousin de Halit Özdemir, fut entendu par le procureur de la République de Silopi. Il déclara ce qui suit :
– Il avait été arrêté par les gendarmes avec Mihyedin Özdemir, Ramazan Özdemir, Abdulkerim Özdemir, Halit Özdemir, İbrahim Akıl (l’imam du village), Hamdo Şimşek, Hükmet Şimşek et Mehmet Salih Demirhan. Il se souvient d’avoir été emmené près d’un arbre. Les militaires les avaient interrogés au sujet de l’affrontement qui avait eu lieu la veille. Mete Sayar leur avait dit que les commandants allaient s’occuper d’eux. İbrahim Akıl, Mehmet Salih Demirhan, Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek n’avaient pas été libérés. Il ne connaissait pas Abdurrahman Kayek et Şemdin Cülaz. À son retour dans son village, il avait retrouvé sa maison incendiée.
Toujours le 9 avril 2012, Ramazan Özdemir fut entendu par le procureur de la République de Silopi. Il déposa comme suit :
– Il confirmait la déposition de Telli Özdemir. En outre, le sous-lieutenant H. les avait emmenés à la gendarmerie ; alors qu’il était en train d’être battu par les militaires, il avait entendu des tirs de feu.
Le 9 avril 2012, M.E., devenu garde de village en 1994, fut entendu par le procureur de la République de Silopi. Il déposa en ce sens :
– Il confirmait qu’à l’époque des faits des personnes avaient été arrêtées, sans être en mesure de donner plus de détails. Par la suite, Abdulkerim Özdemir et Mihyedin Özdemir lui avaient indiqué un endroit situé dans le bataillon et supposé être un cimetière.
Toujours le 9 avril 2012, G.E., devenu garde de village en 1994, fut entendu par le procureur de la République de Silopi. Il déposa ainsi :
– Il n’avait pas été témoin de ce qu’il s’était passé à l’époque des faits ; il se souvenait de M.Z.Ö. parmi les militaires en service à Görümlü.
Le 9 avril 2012, Ö.K., habitant du village de Koyun Ören, fut entendu par le procureur de la République de Silopi. Il déclara ceci :
– En 1989, son fils M.K. et six autres personnes avaient été enlevés par le PKK. En 1993, il avait été emmené à la gendarmerie de Görümlü, où on l’avait interrogé au sujet de son fils, puis il avait été libéré.
Dans un procès-verbal établi le 13 avril 2012 en la présence, entre autres, de l’avocat des requérants ainsi que d’Abdülcelil Cülaz, Nurettin Demirhan, Kazım Cülaz, le procureur de la République de Silopi indiqua que, sur la base des indications données par les témoins M.Ö. et M.E. sur l’endroit où les corps avaient été enterrés, les mesures de délimitation nécessaires avaient été prises pour les travaux d’excavation.
À une date non précisée, le « témoin anonyme » désigné par le nom de code « İlkadım » fut entendu par le procureur général d’Istanbul dans le cadre de l’affaire « Ergenekon ». Ce témoin déclara ce qui suit concernant la disparition des proches des requérants :
– À la suite d’un affrontement armé ayant eu lieu à la date des faits et causé la mort de plusieurs soldats, M.Z.Ö., l’un des commandants du bataillon à Görümlü, était allé au village et avait arrêté six personnes ; l’une de ces personnes avait pour nom de famille Özdemir ; depuis lors, il n’y avait plus de nouvelles de ces personnes ; l’un des soldats ayant fait son service militaire à Görümlü avait déclaré au garde de village A.E. que ces personnes avaient été tuées et avaient été enterrées au sein du bataillon près du bâtiment servant de garage. Ces faits lui avaient été relatés par les gardes de village de Görümlü.
Le 28 mai 2012, le procureur de la République de Silopi se déclara incompétent au profit du procureur de la République de Diyarbakır. Les motifs de sa décision relataient les faits et l’état de la procédure comme suit :
– Le 13 juin 1993 aux alentours du village de Görümlü avait eu lieu un affrontement entre les forces armées et l’organisation terroriste dite PKK ; six militaires avaient été tués au cours de cet affrontement ; selon les dépositions des plaignants, le lendemain de cet affrontement, des membres du commandement du bataillon situé à Görümlü avaient placé en garde à vue Şemdin Cülaz, İbrahim Akıl, Mehmet Salih Demirhan, Halit Özdemir, Hamdo Şimşek, Hükmet Şimşek et Abdurrahman Kayek ; lors de leur garde à vue, ces personnes avaient été torturées ; par la suite Abdurrahman Kayek avait été remis en liberté ; il avait été allégué que les autres personnes placées en garde à vue avaient été tuées.
– Şemdin Cülaz, Hükmet Şimşek, Mehmet Salih Demirhan, Halit Özdemir et Abdurrahman Kayek ayant pu de façon vraisemblable rejoindre les rangs de l’organisation terroriste, l’enquête menée par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État de Diyarbakır avait été envoyée au procureur de la République de Silopi.
– Ce dernier avait rendu une décision de non-lieu, au motif qu’en dehors des allégations de certains villageois il n’y avait pas d’éléments permettant de conclure que Şemdin Cülaz, Hükmet Şimşek, Hamdo Şimşek, Mehmet Salih Demirhan, Halit Özdemir, İbrahim Akıl et Abdurrahman Kayek avaient été placés en garde à vue puis torturés ou que, en dehors d’Abdurrahman Kayek, ils auraient ensuite été tués.
– Par la suite, un militaire du rang ayant servi au bataillon de Görümlü avait déclaré que M.S., le commandant de la brigade de Şırnak, s’était rendu au bataillon de Görümlü et avait donné l’ordre au chef de bataillon H.B.V. de tuer les personnes placées en garde à vue, et que six des villageois arrêtés auraient alors été tués.
– Le président de la cour d’assises de Siirt avait infirmé l’ordonnance de non-lieu.
– Au cours de l’enquête menée par le procureur de la République, il avait été établi que les registres de gardes à vue n’existaient pas en 1993, ces registres ayant été instaurés à partir de l’an 2000 ; Yusuf Özdemir avait déclaré que R.B. avait été témoin de l’incident litigieux ; auditionné, ce dernier avait déclaré que six ou sept villageois avaient été emmenés au bataillon et qu’ils avaient été tués, tout en précisant qu’il n’avait pas lui-même été témoin oculaire de ces faits ; selon la déclaration de N.O., les villageois avaient été torturés, mais il ne les avait pas vus être tués ; le commandant du bataillon, N.O., ne savait pas ce qu’il s’était passé car, à l’époque des faits, il était en congé ; H.B.V. avait déclaré qu’un tel incident n’avait pas eu lieu et qu’il s’agissait de porter atteinte à l’honneur de l’armée ; O.T. avait déclaré que les dires des requérants étaient erronés ; M.Ö., Ramazan Özdemir, Telli Özdemir, M.E., R.K. avaient déclaré qu’à l’époque des faits Şemdin Cülaz, Hükmet Şimşek, Hamdo Şimşek, Mehmet Salih Demirhan, Halit Özdemir, İbrahim Akıl et Abdurrahman Kayek ainsi que Mihyedin Özdemir, Ramazan Özdemir, Telli Özdemir avaient été arrêtés et avaient été emmenés au bataillon de Görümlü ; Abdurrahman Kayek et Ö.K. se trouvaient également au bataillon ; M.Ö., Ramazan Özdemir, Telli Özdemir, Abdurrahman Kayek et Ö.K. avaient été mis en liberté et les autres personnes arrêtées avaient été tuées à l’intérieur du bataillon ; Ö.K. avait déclaré n’avoir vu aucune de ces personnes au bataillon.
– Sur la base des déclarations de Y.Ö., M.Ö., M.E. et R.K., des fouilles par excavation avaient été effectuées et des ossements appartenant à des animaux avaient été retrouvés.
– Au vu des déclarations du témoin « anonyme » ayant pour nom de code « İlkadım » selon lesquelles les villageois de Görümlü avaient été tués, une enquête séparée avait été ordonnée et était en cours auprès du procureur général de Diyarbakır ; l’enquête menée par ce dernier et celle du procureur de la République de Silopi étaient liées.
E. L’action pénale engagée contre les proches des requérants disparus
Le 12 avril 1995, concernant les chefs d’accusation de séparatisme et de participation à l’organisation dite PKK dirigés contre Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek, le procureur de la République de Silopi se déclara incompétent au profit du procureur de la République près la cour de sûreté de l’État de Diyarbakır.
Le 1er mai 1995, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État de Diyarbakır se déclara incompétent concernant l’allégation selon laquelle Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek avaient rejoint les rangs du PKK et renvoya le dossier de l’affaire au parquet de Silopi. Dans sa décision, le procureur indiquait que le dossier de l’affaire ne contenait pas d’éléments susceptibles de prouver que les personnes disparues avaient rejoint les rangs du PKK.
Le 6 février 2002, le procureur de la République de Silopi rendit une ordonnance d’incompétence ratione materiae, au motif qu’il ressortait des informations du 15 janvier 2002 données par la gendarmerie de Silopi ainsi que des autres données de l’enquête pénale que les accusés, qui vivaient à Silopi, avaient aidé l’organisation terroriste PKK-KADEK puis s’étaient installés au camp d’Ertuş, situé dans le nord de l’Irak. Il renvoya le dossier de l’enquête pénale ouverte contre Şemdin Cülaz, Hükmet Şimşek, Mehmet Salih Demirhan, Halit Özdemir et Abdurrahman Kayek pour aide et appartenance au PKK-KADEK au procureur de la République près la cour de sûreté de l’État de Diyarbakır.
En juin 2003, le procureur de la République de Silopi joignit l’action pénale engagée contre Şemdin Cülaz, Hükmet Şimşek, Mehmet Salih Demirhan, Halit Özdemir et Abdurrahman Kayek pour aide et appartenance au PKK avec celle ouverte précedemment.
Le dossier ne contient aucune information sur l’issue de cette action.
F. L’action pénale engagée contre les militaires
123. Le 5 juin 2013, le procureur de la République de Diyarbakır se déclara incompétent au profit du procureur de la République de Şırnak concernant l’action publique intentée contre İ.K., M.A.Y., H.B.V., M.S., S.T. et T.E. du chef de meurtre sur les personnes de Şemdin Cülaz, Mehmet Salih Demirhan, Halit Özdemir, İbrahim Akıl, Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek.
Par un acte d’accusation dont la date n’est pas précisée, le procureur de la République de Şırnak intenta une action pénale contre İ.K., M.A.Y., H.B.V., M.S., S.T. et T.E. du chef de meurtre sur les personnes de Şemdin Cülaz, Mehmet Salih Demirhan, Halit Özdemir et İbrahim Akıl, Hamdo Şimşek et Hükmet Şimşek, en mentionnant comme plaignants Nurettin Demirhan, Kazım Cülaz, İsmail Özdemir et Hacı Akıl, en leur qualité de proches des disparus Mehmet Salih Demirhan, Şemdin Cülaz, Halit Özdemir et İbrahim Akıl.
Le 25 juin 2013, la cour d’assises de Şırnak tint une audience préparatoire. Elle fixa l’audience suivante au 5 novembre 2013.
Le 31 octobre 2013, pour des raisons de sécurité publique et de bonne administration de la justice, la Cour de cassation dessaisit la cour d’assises de Şırnak au profit de la cour d’assises d’Ankara.
La procédure est toujours pendante devant la cour d’assises d’Ankara.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
La Cour se réfère à l’aperçu du droit interne figurant notamment dans les arrêts Kurt c. Turquie (25 mai 1998, §§ 56-62, Recueil des arrêts et décisions 1998III), Tekin c. Turquie (9 juin 1998, §§ 25-29, Recueil 1998IV), Çakıcı c. Turquie ([GC], no 23657/94, §§ 56-67, CEDH 1999IV, Ertak c. Turquie (no 20764/92, §§ 94-106, CEDH 2000V), Sabuktekin c. Turquie (no 27243/95, §§ 61-68, CEDH 2002II), et Fatma Kaçar c. Turquie (no 35838/97, § 57, 15 juillet 2005).
Le 30 novembre 2002, l’état d’urgence, qui était en vigueur dans les départements du sud-est de la Turquie, a été définitivement levé. En conséquence, le décret-loi no 430 a cessé d’être appliqué à cette date.
Selon l’article 172 § 2 du code de procédure pénale (« le CPP » – loi no 5271 du 4 décembre 2004), une fois qu’une décision de non-lieu a été rendue, une nouvelle action publique ne peut être engagée pour les mêmes faits qu’en cas de découverte d’éléments de preuve nouveaux. | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1951 et réside à Diyarbakır. Il est le père de Tarık Ataykaya, né le 25 septembre 1983 et décédé le 29 mars 2006.
A. Incident du 29 mars 2006
À la suite du décès de quatorze membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation illégale armée) lors d’une confrontation armée ayant eu lieu le 24 mars 2006, de nombreuses manifestations illégales furent organisées à Diyarbakır entre le 28 et le 31 mars 2006, au cours desquelles plusieurs manifestants trouvèrent la mort. Le Gouvernement indique que près de 2 000 personnes ont participé à ces manifestations, qu’elles ont donné l’assaut avec des pierres, des bâtons et des cocktails Molotov à un bâtiment appartenant à la direction de la sûreté, et qu’elles ont attaqué les forces de l’ordre et leurs véhicules qui auraient été postés dans la ville. Au cours de ces incidents, neuf personnes seraient décédées, et plus de 200 membres des forces de l’ordre et 214 officiers, ainsi qu’un médecin, une infirmière, deux journalistes et un conducteur d’ambulance, auraient été blessés. De même, plusieurs bureaux et bâtiments publics, parmi lesquels les bâtiments de la faculté de médecine de l’université de Dicle et de la direction de la sûreté auraient été endommagés.
Le 29 mars 2006, aux environs de 13 h 30-14 heures, à la sortie de l’atelier où il travaillait, Tarık Ataykaya se retrouva au milieu d’une manifestation. Le Gouvernement accepte la thèse selon laquelle Tarık Ataykaya n’a pas participé à ces manifestations mais s’y est trouvé par hasard, et il précise que les forces de l’ordre ont procédé à de nombreux tirs de grenades lacrymogènes qui auraient eu pour but de disperser les manifestants. Tarık Ataykaya fut touché à la tête par une de ces grenades et décéda quelques minutes plus tard.
Le 30 mars 2006, à 11 h 15, une autopsie fut pratiquée à l’hôpital public de Diyarbakır. Les conclusions de ce rapport sont ainsi libellées :
« 1. Le décès résulte d’une hémorragie et de dommages cérébraux provoqués par une balle d’arme à feu (grenade lacrymogène, gaz fişeği).
Les caractéristiques de l’orifice d’entrée du projectile permettent de conclure que la distance de tir n’était pas courte (...) »
Le 3 avril 2006, I.D., témoin oculaire et collègue de Tarık Ataykaya, se rendit avec M.S.D., un autre témoin oculaire et collègue de T. Ataykaya, à l’antenne de l’Association des droits de l’homme à Diyarbakır. I.D. déclara notamment ce qui suit :
« (...) Le 29 mars 2006, aux environs de 13 h 30-14 heures, nous avons fermé l’atelier avec Tarık Ataykaya, un des ouvriers, et sommes rentrés à pied. Nous avons vu passer des chars. Les gens étaient très inquiets. Six ou sept membres des forces de l’ordre, armés et vêtus de l’uniforme des équipes spéciales (ils portaient des uniformes militaires spéciaux, aux couleurs mélangées, il ne s’agissait pas de policiers ou de militaire ordinaires), sont arrivés. Ils ont commencé à tirer au hasard. Il y a eu une grande confusion. Alors que nous courions, nous avons entendu le bruit d’une arme (...). Nous avons vu Tarık Ataykaya tomber au sol, inconscient (les forces de l’ordre effectuaient les tirs en posant un genou à terre et en visant. Cela veut dire qu’ils ne tiraient pas en l’air, mais en direction des gens). (...) je me suis rendu compte que [Tarık Ataykaya] était blessé à la tête. M.S.D. aussi s’en est rendu compte. Nous avons porté Tarık Ataykaya vers un espace vide près d’un bâtiment et avons appelé une ambulance (...) »
À la suite d’une demande du parquet de Diyarbakır du 4 avril 2006, un rapport d’expertise fut dressé le 12 avril 2006 par la présidence des laboratoires de la police criminelle auprès de la direction de la sûreté de Diyarbakır. Il en ressort que l’objet extrait de la tête de Tarık Ataykaya était une cartouche (muhimmat) en plastique provenant d’une grenade lacrymogène de type no 12. Le rapport précise également que cette cartouche ne portait pas de marque caractéristique qui eût permis d’identifier l’arme qui était à l’origine du tir.
B. Enquêtes administrative et pénale
Plainte du requérant
Le 19 avril 2006, le requérant déposa une plainte. Se référant aux déclarations de I.D. et de M.S.D., recueillies par l’antenne de l’Association des droits de l’homme à Diyarbakır (paragraphe 9 ci-dessus), il demanda au procureur de la République de Diyarbakır d’identifier le fonctionnaire de police qui aurait tiré sur son fils et d’engager une action pénale à son encontre pour meurtre. De même, il sollicita que la pièce extraite de la tête du défunt fût examinée par un collège d’experts auprès de l’institut médicolégal.
Tentatives du parquet pour déterminer l’identité et le nombre des agents des forces de l’ordre ayant été habilités à utiliser des lanceurs de grenade
Le 3 mai 2006, le parquet de Diyarbakır chargé d’enquêter sur les crimes organisés se déclara incompétent pour examiner l’affaire. Il s’exprima notamment comme suit :
« (...) l’autopsie du défunt a permis de déterminer que le décès a été provoqué par une cartouche ayant atteint [la tête du défunt]. [Par la suite], le rapport d’expertise a établi que cette cartouche provenait d’une grenade lacrymogène no 12 et que des munitions de ce type sont utilisées par les forces de l’ordre (...). Par conséquent, l’instruction doit être menée par le procureur de la République [chargé d’enquêter sur les crimes de droit commun]. »
Le 23 mai 2006, le procureur de la République de Diyarbakır saisi de l’affaire suite à la décision d’incompétence du 3 mai 2006 adressa une lettre à la direction de la sûreté de Diyarbakır. Il demanda des informations sur les unités de la police qui auraient été équipées de lanceurs de grenades lacrymogènes lors de l’incident du 29 mars 2006 et la communication des matricules des policiers qui s’en étaient servi. Toutefois, il ressort des réponses exposées ci-dessous et émanant de la direction de la sûreté de Diyarbakır qu’il n’était pas possible d’établir avec certitude ni l’identité ni le nombre de tous les agents des forces de l’ordre ayant été habilités à utiliser ce type d’arme.
Tout d’abord, en juin 2006, la direction de la sûreté de Diyarbakır informa le parquet de Diyarbakır qu’au cours de l’incident en question trois policiers des forces spéciales (özel harekat), dont les matricules étaient indiqués dans la lettre, avaient utilisé les lance-grenades afin, à leurs dires, de disperser les manifestants qui auraient jeté des pierres et des cocktails Molotov sur les forces de l’ordre.
Par une lettre du 13 juillet 2006, le chef de la section antiterroriste de la direction de la sûreté de Diyarbakır informa le parquet de Diyarbakır qu’il n’avait pas été possible d’identifier les personnes responsables du décès de Tarık Ataykaya.
Le 30 octobre 2006, le parquet de Diyarbakır demanda à la direction de la sûreté de Diyarbakır de lui indiquer le lieu d’affectation des trois policiers concernés à la date de l’incident en question.
Le 1er décembre 2006, un document concernant l’affectation des policiers fut versé au dossier. Il en ressort que ces agents avaient été affectés à différentes zones au cours de l’incident.
Par une lettre du 10 avril 2007, le chef de la section antiterroriste auprès de la direction de la sûreté de Diyarbakır informa à son tour le parquet de Diyarbakır que douze lanceurs de grenades lacrymogènes avaient été inscrits au nom de douze agents des forces spéciales, que ces policiers n’étaient pas en fonction avenue Goral [près du lieu d’incident] et que, au cours de l’incident, ces équipes avaient été affectées à différentes zones par instruction des chefs de la police. En outre, il précisa que onze autres policiers des forces d’intervention rapide (çevik kuvvet) avaient utilisé des lance-grenades et qu’ils avaient été affectés à différentes zones au cours de l’incident. Il conclut enfin que des lanceurs de grenade avaient été utilisés au total par vingttrois agents de police rattachés à la section antiterroriste.
Témoignages obtenus par le parquet
Le 1er novembre 2006, le requérant fut entendu par le parquet. Il demanda l’identification et la sanction des responsables du décès de son fils.
Le 14 février 2007, B.A., l’un des trois policiers dont le matricule avait été communiqué précédemment (paragraphe 14 ci-dessus), fut entendu par le parquet. Il déclara que, le jour de l’incident, environ 500 policiers et militaires avaient utilisé les lanceurs de grenade lacrymogène et que, si Tarık Ataykaya était décédé à la suite d’un tir de grenade lacrymogène par les forces de l’ordre, l’auteur de ce tir pouvait être l’un de ces 500 policiers et militaires. Il ajouta que, lors de l’incident, environ 4 000 à 5 000 grenades lacrymogènes avaient été utilisées par les policiers des forces spéciales pour disperser les manifestants.
Le 5 novembre 2007, le requérant fut à nouveau entendu par le parquet. Il demanda toujours l’identification et la punition des responsables du décès de son fils.
Le 15 novembre 2007, I.D., témoin oculaire et collègue de Tarık Ataykaya, fut entendu par le parquet. Il déclara notamment :
« (...) Le 29 mars 2006, on travaillait avec Tarık Ataykaya dans l’atelier de menuiserie, situé boulevard Medine, à Bağlar. Vers midi, une grande foule se trouvait réunie sur le boulevard Medine à cause des manifestations (...). Nous avons été obligés de fermer l’atelier. Il y avait environ 50-60 manifestants et 5-6 policiers, vêtus de tenues de camouflage et de cagoules. Alors que nous fermions l’atelier, j’ai vu que les policiers au visage masqué, genou à terre (yere diz çökerek), tiraient des coups de fusil de manière soutenue en direction des manifestants. Tarık Ataykaya était avec nous. Il n’a pas participé aux manifestations. Après avoir quitté l’atelier, Tarık Ataykaya y est retourné car les manifestants se dirigeaient vers nous. [À ce moment-là], Tarık Ataykaya, atteint par une balle tirée par un policier, est tombé au sol, ce qui veut dire qu’il a été touché par le tir d’un policier. En le soutenant, nous l’avons conduit vers un espace vide près d’un bâtiment et avons appelé l’ambulance. Tarık Ataykaya était atteint à la tête et des petits morceaux de son cerveau en étaient sortis. On a conduit Tarık Ataykaya à l’hôpital avec un pick-up car l’ambulance n’arrivait pas. Comme les policiers avaient le visage masqué, je ne peux pas les identifier. »
I.D. ajouta que, le jour de l’incident, certains amis avaient indiqué avoir vu les images de l’incident probablement sur la chaîne de télévision privée NTV.
Le même jour, M.S.D., témoin oculaire et collègue de Tarık Ataykaya, fut également entendu par le parquet. Il confirma les déclarations de I.D.
Toujours le 15 novembre 2007, R.K., une résidente du quartier qui avait été le théâtre de l’incident, fut entendue par le parquet de Diyarbakır. Elle déclara notamment :
« (...) le 29 mars 2006, dans mon domicile situé boulevard Medine, j’attendais le retour de l’école de mon fils. Il était environs 13 heures. Les manifestations avaient commencé dans les rues. Mon fils était en retard et je suis descendue pour le chercher boulevard Medine. J’ai vu mon fils rentrer de l’école. Tarık Ataykaya, avec trois de ses collègues, avait fermé l’atelier et je pense qu’il rentrait chez lui. La rue était envahie par la foule. Les policiers s’avançaient vers nous. Ils tiraient de manière continue en direction des manifestants avec leurs fusils. Quand je suis rentrée avec mon fils chez moi, j’ai vu qu’un policier au visage masqué, qui avait mis un genou à terre, tirait en direction de Tarık Ataykaya qui lui tournait le dos. J’ai vu Tarık Ataykaya tomber au sol. On l’a transporté jusqu’à la porte d’un bâtiment. On a appelé une ambulance. Quand j’ai contrôlé le cœur de Tarık Ataykaya, j’ai compris qu’il était décédé. Les policiers qui s’étaient dirigés vers nous avaient le visage masqué et je ne serais donc pas en mesure de les identifier. Comme je portais toute mon attention à Tarık Ataykaya, je n’ai pas vu ce que le policier était en train de faire. Les personnes qui étaient présentes lors de l’incident étaient I.D. et M.S.D. (...) »
Le 21 janvier 2008, le procureur de la République de Diyarbakır demanda au parquet d’Ankara de recueillir les déclarations des policiers N.O. et H.A. pour établir s’ils étaient présents boulevard Medine ou avenue Goral lors de l’incident.
Le 18 février 2008, N.O. et H.A. furent entendus par le parquet. Ils déclarèrent ne pas avoir été affectés à ces deux endroits au moment où l’incident avait eu lieu et ne pas avoir vu celui-ci.
Enquête administrative
Entretemps, par une lettre du 2 novembre 2007, le procureur de la République demanda à la préfecture de Diyarbakır de mener une enquête administrative et de transmettre le dossier de cette enquête au parquet. À cet égard, il précisa que, dans le cadre de cette enquête, il convenait de recueillir les déclarations des onze policiers des forces d’intervention rapide et des trois policiers des forces spéciales.
Il ressort du dossier qu’une enquête administrative fut engagée par la préfecture de Diyarbakır en vue de déterminer la responsabilité de quatorze policiers dans la survenance de l’incident. Suite à cette enquête, le 30 janvier 2008, le conseil disciplinaire de la police auprès de la préfecture de Diyarbakır, composé du préfet, du chef de la direction de la santé et de trois commissaires de police, décida de ne pas prononcer de sanction à l’encontre de ces policiers ayant fait usage de gaz lacrymogènes lors de la manifestation du 29 mars 2006. Il s’exprima notamment comme suit :
« (...) Il convient de clore le dossier compte tenu [des éléments suivants :] il s’agissait d’un incident de grande ampleur. Selon les déclarations des témoins, le visage du fonctionnaire ayant tiré la grenade lacrymogène responsable du décès du défunt n’a pas été vu car il était couvert d’une cagoule. Tous les fonctionnaires ont suivi une formation dans laquelle ils ont appris que le tir [des grenades] doit être réalisé de façon à ne pas atteindre la cible directement. Il n’existe pas de document, de preuve, de trace ou de preuve circonstancielle (emare) tendant à établir que les fonctionnaires à l’encontre desquels l’enquête a été menée avaient commis l’infraction en question (...) »
Avis de recherche permanent
Le 3 avril 2008, le parquet de Diyarbakır adopta un avis de recherche permanent aux fins de retrouver l’auteur du tir en question, et ce jusqu’au 29 mars 2021, date de la prescription de l’infraction. Pour ce faire, se référant entre autres à la décision de clôture du dossier adoptée par le conseil disciplinaire de la police, il indiqua notamment ce qui suit :
« (...) L’autopsie effectuée le 30 mars 2006 a permis de déterminer que le décès a été causé par une grenade lacrymogène de type no 12 ayant atteint [la tête du défunt] (...). Ce projectile a été utilisé par les forces de l’ordre qui étaient en fonction lors de l’incident (...).
(...) En vertu de l’article 6 annexé à la loi no 2559 sur les fonctions et compétences de la police, la police a le pouvoir de recourir à la force physique, à la force matérielle et aux armes pour immobiliser les contrevenants, d’une manière graduelle et proportionnée aux particularités et au degré de résistance et d’agressivité de ceux-ci. Dans de telles circonstances, il incombe au supérieur hiérarchique de définir le degré de la force qui sera employée (...). [Par ailleurs], en vertu de l’article 24 du code pénal, la personne qui se conforme aux obligations d’une loi ne peut pas être punie et celle qui obéit à un ordre donné par une autorité compétente dans le cadre de son pouvoir ne peut être tenue pour responsable de son acte.
Dans les registres des forces de l’ordre, il n’existe pas d’information concernant la manière dont le décès s’est produit.
(...)
Le défunt Tarık Ataykaya s’est retrouvé parmi les manifestants lors des manifestations sociales qui ont eu lieu le 29 mars 2006 dans le centre de Diyarbakır, soit parce qu’il participait à ces manifestations soit parce qu’il était sorti de l’atelier où il travaillait. Lors de ces incidents, des affrontements avec jets de pierres et bâtons se sont produits entre les manifestants et les policiers. Les policiers sont intervenus contre les manifestants en ayant recours à des grenades lacrymogènes et à des balles en caoutchouc. La cartouche d’une grenade lacrymogène lancée contre les manifestants en mouvement a touché la tête [de Tarık Ataykaya] et causé sa mort. Cet incident n’est pas mentionné dans les documents de la police. Les témoins de l’incident ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas identifier la personne ayant tiré car celle-ci avait le visage masqué. Il n’a pas été possible de déterminer l’arme. La cartouche ne portait pas de marque caractéristique de l’arme qui était à l’origine du tir. Bien qu’il n’existe pas de preuve tangible susceptible d’établir définitivement que la personne ayant tiré était un policier, compte tenu du fait qu’aucun registre ne donne à penser que d’autres personnes armées auraient utilisé des grenades lacrymogènes, [on peut conclure que] cette grenade a probablement été utilisée par les forces de l’ordre qui sont intervenues à ce moment-là. [Cependant,] le procès-verbal d’autopsie, les déclarations du plaignant et des témoins, le rapport d’expertise et l’ensemble du dossier ne permettent pas d’identifier l’auteur de l’incident (...) »
Cette décision fut notifiée au requérant le 17 avril 2008.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
La partie pertinente en l’espèce de l’article 16 de la loi no 2559 sur les attributions et obligations de la police, adoptée le 4 juillet 1934 et publiée au Journal officiel le 14 juillet 1934, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, était ainsi libellée :
« (...) Les agents de police ne peuvent utiliser leurs armes que :
a) en cas de légitime défense ;
(...)
h) ou si une personne ou un groupe résiste à la police et l’empêche de s’acquitter de ses fonctions ou s’il y a une attaque contre la police. (...) »
L’article 16 de la loi no 2559 a été amendé par la loi no 5681, publiée au Journal officiel le 14 juin 2007. Cette disposition se lit depuis lors comme suit :
« La police
(...)
c) peut faire usage d’armes à feu aux fins d’arrêter une personne faisant l’objet d’un mandat de détention ou d’arrestation (...) ou un suspect en flagrant délit, en restant dans les limites correspondant à la réalisation de ce but.
Avant de faire usage d’armes à feu, la police (...) doit d’abord dire « halte ! » (...) Si la personne continue à fuir, la police peut tirer un coup de sommation. Si, nonobstant ces avertissements, la personne continue à fuir et si aucun autre moyen de l’arrêter n’est envisageable, la police peut faire usage d’armes à feu aux fins d’arrêter la personne, en restant dans les limites correspondant à la réalisation de ce but (kişinin yakalanmasını sağlamak amacıyla ve sağlayacak ölçüde silahla ateş edilebilir) (...) »
Aux termes de l’article 24 de la loi no 2911 sur les réunions et manifestations :
« Si une réunion ou une manifestation débutée dans le respect de la loi (...) se transforme en une réunion ou manifestation contraire à la loi :
(...)
b) La plus haute autorité civile locale (...) envoie [un ou plusieurs] commandants locaux de la sûreté sur les lieux des événements.
Ce commandant somme la foule de se disperser conformément à la loi et l’avertit qu’en cas de refus d’obtempérer il sera fait usage de la force. Si la foule ne se disperse pas, elle sera dispersée par le recours à la force (...)
Dans les situations décrites (...), en cas d’attaque contre les forces de l’ordre ou les lieux et personnes qu’elles protègent ou en cas de résistance effective, il sera recouru à la force sans qu’il soit besoin [d’émettre] une sommation.
(...)
Si une réunion ou une manifestation débute de façon contraire à la loi (...), les forces de l’ordre (...) prennent les précautions nécessaires. Le commandant des forces de l’ordre somme la foule de se disperser conformément à la loi et l’avertit qu’en cas de refus d’obtempérer, il sera fait usage de la force. Si la foule ne se disperse pas, elle sera dispersée par le recours à la force. »
L’article 6 annexé à la loi no 2559 sur les fonctions et compétences de la police en vigueur à l’époque des faits disposait :
« Les termes usage de la force s’entendent comme le recours à la force physique, à la force matérielle et aux armes pour immobiliser les contrevenants, d’une manière graduelle et proportionnée aux particularités et au degré de résistance et d’agressivité [de ceux-ci].
Lorsque l’intervention est effectuée à l’encontre d’un groupe, le degré de la force employée et la quantité d’armement (zor kullanmanın derecesi ile kullanılacak araç ve gereçler) nécessaire seront déterminés par le superviseur de l’unité intervenante. »
L’article 25 de la directive relative aux forces d’intervention rapide (Polis Çevik Kuvvet Yönetmeliği) du 30 décembre 1982 fixe les principes régissant la surveillance, le contrôle et l’intervention des forces d’intervention rapide lors de manifestations (pour le texte de cette circulaire, voir Abdullah Yaşa et autres c. Turquie, no 44827/08, § 27, 16 juillet 2013).
Le 15 février 2008, le directeur de la sûreté générale (Emniyet Genel Müdürü) adressa à l’ensemble des services de la sûreté une circulaire fixant les conditions d’utilisation du gaz lacrymogène (E.G.M. Genelge No : 19). Celle-ci se référait à une directive portant sur l’usage des armes et des munitions à gaz lacrymogène (Göz Yaşartıcı Gaz Silahları ve Mühimmatları Kullanım Talimatı) élaborée en février 2008.
Cette directive décrit les caractéristiques des armes à base de gaz lacrymogène ainsi que les effets physiologiques du gaz utilisé (pour le texte de cette circulaire, voir Abdullah Yaşa et autres c. Turquie, no 44827/08, § 28, 16 juillet 2013). | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1950, en 1948, en 1982, en 1977, en 1981 et en 1974 et résident à Malatya.
A. Le décès du proche des requérants
Le 15 avril 2002, un individu malade mental, M.H.Ö., tua avec un couteau le fils et frère des requérants, U.K., alors âgé de vingt-six ans, et blessa une autre personne, Ö.F.G., dans le centre de Malatya. Selon les dires des requérants, M.H.Ö. avait quitté l’hôpital psychiatrique d’Elazığ (Ruh ve Sinir Hastalıkları Hastanesi) neuf jours plus tôt.
B. L’action en dommages et intérêts
Le 16 septembre 2002, les requérants intentèrent une action en dommages et intérêts contre le ministère de la Santé en raison du décès de leur proche. Ils réclamaient la somme de 145 000 livres turques (TRL – environ 88 206 euros (EUR)) pour les dommages matériel et moral qu’ils disaient avoir subis.
Par un jugement du 31 janvier 2005, le tribunal administratif de Malatya accorda aux requérants la somme totale de 23 999,67 TRL (environ 13 660 EUR) pour les dommages moral et matériel, montant assorti du taux d’intérêt légal. Il rejeta le surplus de la demande au titre du dommage matériel pour absence de justificatifs, notamment ceux relatifs aux frais funéraires. Dans ses attendus, le tribunal constata :
« Il ressort de l’examen du dossier (...) qu’une action publique du chef d’homicide et de tentative d’homicide contre l’auteur incriminé avait été engagée devant la cour d’assises de Malatya (E : 2002/185) et que, à la demande de la cour d’assises, l’hôpital psychiatrique d’Elazığ a transmis à celle-ci le rapport médical du 16 juillet 2002 établi par le conseil de santé [de l’hôpital]. D’après ce rapport, le malade mental était atteint de « psychose chronique » (kronik psikoz) et, le jour de l’infraction, il était pénalement irresponsable de ses actes. Selon le dossier médical de l’intéressé, il avait été interné à l’hôpital psychiatrique le 1er mai 1991 pour réaction psychotique (psikotik reaksiyon) ; le 24 mai 1991, il était sorti de l’hôpital en raison d’une amélioration de son comportement social (sosyal salah) ; après cette date, il avait été interné à l’hôpital psychiatrique le 13 mars 1992 pour psychose atypique (atipik psikoz), le 14 mai 1992 pour réaction psychotique, le 18 novembre 1992 pour un léger retard mental de nature psychotique (hafif mental reterdasyon, zeminde psikoz), le 13 mars 1994 pour trouble schizophrénique (şizofrenik bozukluk), et, les 9 mars 1995, 10 juillet 1997, 14 novembre 2000, 10 juillet 2001, 30 novembre 2001, 7 mars 2002, 20 avril 2002 et 20 juillet 2002, il avait été interné pour psychose chronique puis il avait quitté l’hôpital psychiatrique en raison d’une amélioration de son comportement social. [Le dossier] médical de l’intéressé précisait qu’il était atteint de psychose chronique avec des [phases de] rémissions et de pulsions aiguës (remisyon ve akut alevlenmeler) ; lors des pulsions aiguës, l’intéressé était interné à l’hôpital pour y être soigné, lors des rémissions il quittait l’hôpital et prenait le traitement prescrit [par les médecins] lui-même et avec l’aide de sa famille. Il avait été interné à l’hôpital psychiatrique à quatorze reprises. À l’instar des autres malades atteints de psychose chronique, l’intéressé ne pouvait pas être interné à l’hôpital à vie pour y recevoir des soins et, de toute façon, compte tenu de la capacité en lits de l’hôpital, cela n’était pas possible (...) L’administration compétente a pour responsabilité de contrôler et d’interner de tels malades qui peuvent porter préjudice à la société [en plus] de leur prodiguer des soins. Les insuffisances techniques ne sont pas de nature à décharger l’administration de sa responsabilité. À cet égard, [les agissements d’]un malade, atteint d’une psychose chronique incurable, interné à l’hôpital à quatorze reprises depuis 1991 par l’administration pour traitement, contrôle et séjour, engage[nt] la responsabilité de celle-ci pour faute de service lorsqu[e ce malade] commet un homicide durant la période pendant laquelle il a été autorisé à quitter l’hôpital en raison d’une amélioration de son comportement social. »
Par un arrêt du 31 mai 2006, le Conseil d’État confirma le jugement du tribunal administratif de Malatya du 31 janvier 2005.
Par un arrêt du 26 mai 2008, le Conseil d’État rejeta le recours en rectification de l’arrêt présenté par le ministère de la Santé. Dans ses attendus, il observait que l’hôpital psychiatrique d’Elazığ n’avait pas informé les unités de sécurité de l’hôpital ou bien la direction de la sûreté de Malatya de façon à ce qu’elles puissent prendre des mesures préventives et il concluait que cela avait constitué une faute de service lourde dans l’exécution du service de la santé.
À une date non précisée, les requérants reçurent l’indemnité accordée par le tribunal administratif.
C. L’enquête administrative
Le 11 décembre 2002, la préfecture d’Elazığ nomma le médecin-chef de l’hôpital psychiatrique d’Elazığ, comme inspecteur pour entendre les médecins N.S., I.C.H. et O.Z.Ö. au sujet du traitement prescrit au patient M.H.Ö.
Le 12 décembre 2002, l’inspecteur entendit le docteur N.S qui déclara qu’il ne suivait pas M.H.Ö. Le même jour, il entendit le docteur I.C.H. qui confirma que M.H.Ö. était interné à l’hôpital lors de ses épisodes de pulsions aiguës pour y être soigné.
Toujours le 12 décembre 2002, l’inspecteur entendit le docteur O.Z.Ö. Ce dernier déclara notamment ce qui suit : M.H.Ö. avait été hospitalisé à quatorze reprises ; il était interné à l’hôpital lors de ses épisodes de pulsions aiguës pour y être soigné ; lors des phases de rémissions, il était remis à sa famille qui lui donnait le traitement prescrit ; il était soigné pour cette maladie selon les traitements médicaux en vigueur ; il avait été interné à l’hôpital le 7 mars 2002 pour des pulsions aiguës et y avait été maintenu jusqu’au 5 avril 2002, et, à cette dernière date, il avait quitté l’hôpital. Pour le médecin, l’hôpital ne pouvait pas être responsable pour le crime commis par M.H.Ö. neuf jours après sa sortie de l’hôpital.
En se référant notamment au contenu de la déposition du docteur O.Z.Ö., le rapport médical établi le 29 juillet 2003 par trois experts psychiatres, dont les docteurs O.Z.Ö. et I.C.H., conclut que l’hôpital psychiatrique d’Elazığ ne pouvait pas être tenu pour responsable du meurtre commis par le patient M.H.Ö.
D. Les actions pénales
L’action pénale engagée devant le tribunal correctionnel d’Elazığ
Il ressort du dossier que, le 22 février 2001 – soit antérieurement à l’homicide du proche des requérants –, le conseil de santé de l’hôpital psychiatrique d’Elazığ a établi un rapport médical, à la demande du tribunal correctionnel d’Elazığ, en raison de dommages (ɪzrar) causés par M.H.Ö. le 17 janvier 2001. Le rapport médical constatait que M.H.Ö. était atteint de psychose chronique et était pénalement irresponsable de ses actes le jour de l’infraction en cause.
Selon les informations données par le Gouvernement, le tribunal correctionnel d’Elazığ a ordonné, par un jugement du 2 juin 2006, l’internement de M.H.Ö. à l’hôpital psychiatrique le plus proche pour une durée maximale de deux ans, avec une alternance, tous les six mois, entre des périodes de soins et des sorties de l’hôpital. Toujours selon les informations données par le Gouvernement, la Cour de cassation a confirmé ce jugement le 14 mai 2007.
L’action pénale engagée devant la cour d’assises de Malatya
À une date non précisée, une action publique du chef d’homicide et de tentative d’homicide sur la personne de U.K. fut engagée contre M.H.Ö. devant la cour d’assises de Malatya.
Le 12 juin 2002, le procureur de la République de Malatya ordonna l’examen de M.H.Ö. pour savoir s’il était pénalement responsable de ses actes commis, le 15 avril 2002, sur la personne de U.K.
Le rapport médical du 16 juillet 2002 établi par le conseil de santé de l’hôpital d’Elazığ indiqua que M.H.Ö. était atteint de psychose chronique et qu’il était pénalement irresponsable de ses actes le jour de l’infraction.
Devant la cour d’assises, M.H.Ö. déclara que le jour de l’incident les commerçants du centre-ville l’avaient énervé et qu’il avait pris un couteau sur un comptoir et s’en était pris aux personnes qui s’étaient trouvées sur son passage.
Selon les informations données par le Gouvernement, le 2 juin 2006, la cour d’assises a rendu un arrêt concluant à l’irresponsabilité pénale de M.H.Ö. s’agissant de l’homicide commis sur la personne de U.K. Toujours selon les informations données par le Gouvernement, la Cour de cassation a confirmé cet arrêt le 27 octobre 2007.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Constitution
Les paragraphes 1 et 7 de l’article 125 de la Constitution disposent :
« Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel.
(...)
L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »
Ces dispositions consacrent une responsabilité objective de l’État, qui entre en jeu dès lors qu’il a été établi que, dans des circonstances données, l’État a manqué à son obligation de maintenir l’ordre et la sécurité publics ou de protéger la vie et les biens des personnes, et ce sans qu’il faille établir l’existence d’une faute délictuelle imputable à l’administration. Sous ce régime, l’administration peut donc se voir contrainte d’indemniser toute victime d’un préjudice résultant d’un acte commis par des personnes non identifiées.
B. Le code des obligations
Le code des obligations, en son article 43, prévoit la fixation du montant de l’indemnité en fonction des circonstances et de la gravité de la faute. Son article 44 porte sur la réduction du montant à accorder. Son article 45 a trait à l’octroi de dommages et intérêts en cas de décès : si le décès de la personne victime de l’acte illicite en cause a privé d’autres personnes du soutien de celle-ci, ces personnes doivent être indemnisées de la perte résultant de cet évènement.
C. La résolution no (75)7 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 14 mars 1975
Les dispositions pertinentes en l’espèce de la résolution no (75)7 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 14 mars 1975, relative à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès, vise à faire « réduire les divergences qui existent entre les États membres dans la législation et la jurisprudence en ce domaine ». Cette résolution comporte, en annexe, un exposé des principes régissant la réparation des dommages ; les parties pertinentes en l’espèce de ladite annexe figurent dans l’arrêt Zavoloka c. Lettonie, (no 58447/00, § 21, 7 juillet 2009). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérantes sont nées respectivement en 1950, 1952, 1960, 1962 et 1931 et résident à Istanbul.
Les requérantes étaient propriétaires de la parcelle no 2217, d’une superficie de 2 148 m2, située à Marmara Ereğlisi (Tekirdağ). Plusieurs bâtiments avaient été édifiés sur ce terrain conformément au permis de construire délivré par la municipalité.
Le 29 novembre 1996, le Trésor public (« le Trésor ») intenta une action devant le tribunal de grande instance de Marmara Ereğlisi (« le tribunal ») en vue d’obtenir l’annulation du titre de propriété des requérantes et la démolition des bâtiments édifiés sur ce terrain au motif qu’une partie du terrain faisait partie de la bande littorale et ne pouvait être l’objet d’une propriété privée à ce titre.
Le même jour, le tribunal de grande instance de Marmara Ereğlisi prit une mesure conservatoire concernant les biens des requérantes et ordonna l’inscription d’une mention à cet égard au registre foncier.
Au cours de la procédure, le tribunal releva que les tracés du littoral effectués en 1980 et 1984 étaient devenus caducs et que le nouveau tracé n’avait pas été effectué par la préfecture conformément aux articles 5 et 9 de la loi sur le littoral, malgré les demandes formulées en ce sens. Il précisa que selon l’arrêt de l’assemblée générale d’harmonisation jurisprudentielle de la Cour de cassation du 28 novembre 1997, il appartenait aux juridictions judiciaires de déterminer le tracé de la bande littorale en matière de droit de propriété. À la lumière de cet arrêt et tenant compte du défaut de la préfecture de délimiter un tracé conformément à la nouvelle loi sur le littoral, le juge ordonna plusieurs expertises pour déterminer le nouveau tracé de la bande littorale.
Le 17 mai 2004, s’appuyant sur le rapport d’expertise du 30 mars 2004, le tribunal releva que la parcelle litigieuse faisait partiellement partie de la bande littorale et annula le titre de propriété des requérantes concernant 998,11 m2. Il ordonna également la démolition des bâtiments érigés sur la partie concernée.
Le 22 février 2005, la Cour de Cassation confirma le jugement de première instance. Le 5 mai 2005, elle rejeta la demande de rectification d’arrêt.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Le Gouvernement a soumis à l’examen de la Cour plusieurs exemples de jugements et arrêts des tribunaux internes et de la Cour de cassation rendus depuis 2007 et dans lesquels il a été établi que les intéressés privés de leur bien situé sur la bande littorale avaient acquis de bonne foi le bien en question en se fiant au registre foncier et, de ce fait, il y avait lieu de les indemniser en raison de l’annulation de leur titre de propriété.
Plus tard, concernant le délai de prescription pour les actions en indemnisation, le 15 juillet 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation, spécialisée dans les affaires de biens situés sur le littoral, a décidé que toute personne dont le titre de propriété avait été annulé et inscrit au registre foncier au nom du Trésor public pouvait introduire une action en réparation dans un délai de dix ans, conformément à l’article 125 du code des obligations.
La même chambre civile a réitéré cette jurisprudence dans deux autres arrêts similaires rendus le même jour (E. 2011/6324-K. 2011/8361 et E. 2011/4661-K. 2011/8362).
Pour de plus amples renseignements sur l’évolution jurisprudentielle de la Cour de cassation, voir la décision Mehmet Altunay c. Turquie (no 42936/07, §§ 20-28, 17 avril 2012). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1981 et réside à Drăgăşani.
Première condamnation du requérant
Par un arrêt définitif du 20 septembre 2001, la cour d’appel de Piteşti condamna le requérant à une peine de trois ans d’emprisonnement du chef d’actes de perversion sexuelle sur mineur. Elle prononça le sursis à l’exécution de cette peine.
Seconde condamnation du requérant
a) La procédure pénale diligentée contre le requérant
En 2005, un certain G.N. contacta par téléphone le vendeur d’une voiture d’occasion mise en vente sur un site Internet allemand. Le vendeur lui demanda de verser à un certain C.C. l’équivalent d’environ 5 000 euros (EUR) pour les frais de transport du véhicule.
G.N. contacta également par téléphone C.C. et lui demanda une preuve du transport de la voiture. C.C. lui fournit par courrier électronique une attestation établie par un transporteur.
Soupçonnant une fraude, G.N. alerta la police. Le 24 janvier 2005, celle-ci procéda à l’arrestation de C.C. qui s’était rendu dans un bureau de poste pour retirer l’argent envoyé par G.N.
C.C. déclara à la police qu’il avait agi pour le compte du requérant et que celui-ci lui avait demandé à plusieurs reprises de retirer de l’argent provenant de tierces personnes en échange d’une commission. L’attestation du transporteur se révéla être fausse.
Le 26 février 2005, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue par la police des frontières à l’occasion d’un contrôle des personnes se rendant à l’étranger. Il nia les faits qui lui étaient reprochés et soutint qu’il était victime d’une mise en scène orchestrée par un tiers qui, à ses dires, lui devait de l’argent.
Le même jour, sur demande du parquet, le tribunal de première instance de Timişoara, s’appuyant sur les dispositions de l’article 148 f) et h) du code de procédure pénale (CPP), ordonna le placement en détention provisoire du requérant pour une période de vingtneuf jours. Il nota que le requérant avait déjà été condamné et il estima que sa remise en liberté présentait une menace pour l’ordre public compte tenu des déclarations de C.C. relatives aux agissements de l’intéressé. Il rejeta également les demandes du requérant visant au remplacement de la détention par une interdiction de quitter la ville ou le pays aux motifs que le plaignant habitait à Drăgăşani, alors que les poursuites avaient lieu à Timişoara, et que, de surcroît, son intention de quitter le pays avait été établie.
Aux audiences des 26 février, 22 mars, 22 avril et 19 mai 2005, le tribunal prolongea la détention provisoire aux motifs que l’enquête était en cours et que la remise en liberté du requérant présentait une menace pour l’ordre public.
A la fin de l’enquête, C.C. revint sur ses déclarations initiales et affirma qu’elles étaient la conséquence de pressions exercées sur lui par la police. Le parquet renvoya le requérant et C.C. devant le tribunal de première instance de Timişoara du chef d’escroquerie.
Au cours de la première audience qui eut lieu le 18 juin 2005, le tribunal de première instance, siégeant en formation de juge unique (le juge O.C.D.), examina la légalité et l’opportunité du maintien en détention des inculpés. Compte tenu de la rétractation de C.C., il estima que la condition posée par l’article 148 h) du CPP à la prolongation de la détention provisoire, à savoir l’existence d’une menace pour l’ordre public, n’était plus remplie. Cependant, citant l’article 148 f) du CPP, il maintint la détention provisoire du requérant au motif que, ayant déjà été condamné pour d’autres faits, celui-ci était en état de récidive. Aux audiences des 6 juillet, 3 août et 19 septembre 2005, il maintint également la détention pour la même raison et constata l’existence d’«indices sérieux qu’il avait probablement commis les faits dont il était accusé ». En outre, le juge se fonda sur le même motif pour rejeter les demandes du requérant visant à la révocation de la mesure de détention ou à son remplacement par une interdiction de quitter le pays.
Le tribunal départemental de Timiş rejeta les pourvois formés par le requérant contre les décisions concernant son maintien en détention. Le tribunal estima que le motif qui avait justifié son placement en détention était toujours valable. À l’audience du 14 octobre 2005, il confirma l’existence d’« indices sérieux » contre le requérant et la probabilité que ce dernier ait commis les faits reprochés. Certains de ces pourvois, dont celui du 14 octobre 2005, furent examinés par les juges M.M. et E.B.
Par un jugement du 1er novembre 2005, le tribunal de première instance de Timişoara, siégeant en formation de juge unique, en l’occurrence le juge O.C.D., condamna le requérant à une peine de deux ans et six mois d’emprisonnement pour tentative d’escroquerie. Il révoqua par ailleurs le sursis assorti à la précédente peine prononcée par l’arrêt du 20 septembre 2001 (voir paragraphe 6 ci-dessus) et il ordonna l’exécution des deux peines cumulées, représentant au total cinq ans et six mois d’emprisonnement.
Le tribunal écarta la rétractation de C.C. au motif que, si la police avait exercé des pressions sur lui, elle aurait certainement procédé de même avec le requérant. Or il nota que ce dernier n’avait fait état d’aucune pression de la part des enquêteurs. Le tribunal écarta également l’hypothèse d’une mise en scène et conclut que le requérant était le principal organisateur de la tentative d’escroquerie.
Par un arrêt du 24 novembre 2006, le tribunal départemental de Timiş, dans une formation de jugement dont faisaient partie les juges M.M. et E.B., rejeta l’appel du requérant qui plaidait son innocence et demandait sa relaxe.
Le requérant forma un pourvoi, se plaignant d’un manque d’impartialité des juges du tribunal de première instance et du tribunal départemental qui avaient examiné aussi bien le fond de l’affaire que la question de son maintien en détention. Il réitéra sa ligne de défense, et il contesta l’interprétation des preuves et l’application du droit interne faites par ces juridictions.
Par un arrêt définitif du 30 avril 2007, la cour d’appel de Timişoara rejeta le pourvoi. Elle estima que les aveux de C.C. étaient corroborés par les pièces du dossier. Quant à l’absence alléguée d’impartialité, la cour nota que la loi no 356/2006, qui a édicté une impossibilité (incompatibilitate) pour les juges ayant statué sur la détention provisoire de connaître du fond, était entrée en vigueur après la condamnation du requérant en première instance.
b) La remise en liberté du requérant
Le requérant forma une contestation en annulation de l’arrêt prononcé en 2001 à son encontre au motif qu’il avait été absent à la procédure pour des raisons qui ne lui auraient pas été imputables.
Par un arrêt du 29 juin 2007, la cour d’appel de Piteşti accueillit la contestation et annula l’arrêt du 20 septembre 2001.
Le requérant forma également une contestation à l’exécution de la sanction prononcée à son encontre par le jugement du 1er novembre 2005. Il exposa qu’il n’avait plus à exécuter les deux peines cumulées à la suite de l’annulation de sa première condamnation et que, de plus, il avait déjà exécuté la peine de deux ans et six mois prononcée pour tentative d’escroquerie.
Par un jugement du 20 septembre 2007, le tribunal de première instance de Piteşti fit droit à cette contestation. Le tribunal constata que la peine de deux ans et six mois avait déjà été exécutée et il ordonna la remise en liberté du requérant. Aucun pourvoi n’ayant été formé, le jugement devint définitif le 3 octobre 2007 et le requérant fut libéré le même jour.
Dans le cadre du réexamen de la procédure concernant l’inculpation du requérant pour des actes de perversion sexuelle, par un arrêt définitif du 2 novembre 2007, la cour d’appel de Piteşti condamna l’intéressé à une nouvelle peine de trois ans d’emprisonnement avec sursis.
En 2009, le requérant demanda la réparation du préjudice moral qu’il estimait avoir subi en raison du caractère illégal à ses yeux de sa privation de liberté. L’illégalité de celle-ci était due, selon lui, à l’annulation de l’arrêt prononçant sa première condamnation.
Par un arrêt définitif du 4 mai 2012, la Haute Cour de cassation et de justice fit droit à cette action. Elle constata que, le 25 août 2007, l’intéressé avait intégralement purgé la peine de deux ans et six mois infligée pour tentative d’escroquerie. Compte tenu de l’annulation de l’arrêt du 20 septembre 2001, elle jugea que les deux peines prononcées ne pouvaient pas se cumuler et elle conclut que, du 25 août au 3 octobre 2007, le requérant avait été illégalement privé de liberté. Elle lui octroya l’équivalent d’environ 7 000 EUR pour le préjudice moral subi.
La détention du requérant
Entre-temps, le 21 juin 2005, le requérant avait été transféré du dépôt de la police de Timişoara à la prison de Timişoara. Le 19 juillet 2006, il a été transféré à la prison de Colibaşi. Il fut libéré le 3 octobre 2007.
a) Les conditions matérielles de détention du requérant
i. La version du requérant
Le requérant dénonce les mauvaises conditions de détention qu’il dit avoir subies dans les prisons de Timişoara et de Colibaşi. À ses dires, ces lieux de détention étaient surpeuplés, il ne disposait pas d’un lit individuel, l’espace personnel était inférieur à 2 m², les cellules étaient mal éclairées et également mal aérées malgré une présence permanente de fumée de cigarettes, les conditions d’hygiène étaient déplorables, les installations sanitaires et la literie étaient sales et vétustes, et les activités extérieures se limitaient à une sortie dans la cour pendant un maximum d’une heure par jour.
ii. La version du Gouvernement
Le Gouvernement affirme que, selon les informations contenues dans une lettre de l’Administration nationale des pénitenciers, le requérant a été successivement détenu dans quatre cellules différentes dans chacune des prisons de Timişoara et de Colibaşi, et qu’il a disposé dans ces cellules d’un espace personnel compris entre 1,20 m² et 2,35 m². Il ajoute que le nombre de détenus dans ces cellules n’était pas supérieur au nombre de lits. Il admet cependant que, à la prison de Colibaşi, le requérant a partagé une cellule de 29 m² dotée de 24 lits avec 26 autres détenus pendant une semaine.
Quant aux conditions d’hygiène, le Gouvernent affirme que les cellules étaient meublées, et convenablement éclairées et aérées. Il indique que chaque cellule était raccordée à l’eau froide et équipée de toilettes et de douches séparées. Il précise que les détenus avaient accès à l’eau chaude en permanence à la prison de Timişoara et deux fois par semaine à la prison de Colibaşi. Il ajoute que le nettoyage des cellules était effectué par les détenus avec les produits et matériel nécessaires fournis par les établissements pénitentiaires, et que le requérant avait la possibilité d’effectuer une ou deux heures de promenade quotidienne.
b) La comparution du requérant devant les juridictions en tenue pénitentiaire
Entre 2005 et 2006, le requérant fut contraint de comparaître devant les tribunaux dans sa tenue pénitentiaire.
Le 27 octobre 2006, le tribunal de première instance de Timişoara accueillit la plainte du requérant à ce sujet et il constata que cette pratique était contraire aux règles pénitentiaires internes et aux recommandations du Comité des Ministres concernant les droits des personnes privées de liberté. Il ordonna à la direction de la prison de Timişoara d’autoriser le requérant à porter ses vêtements personnels lors de ses comparutions.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Les dispositions relatives aux modalités d’exécution des peines privatives de liberté et des autres mesures privatives de liberté, aux voies de recours, ainsi que les observations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) rendues à la suite des visites qu’il a effectuées dans des prisons de Roumanie sont résumées dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012).
Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP étaient ainsi libellées à l’époque des faits :
Article 143
« L’autorité de poursuite peut placer une personne en garde à vue si des preuves ou indices raisonnables montrent que celle-ci a commis un fait prohibé par la loi pénale (...) »
Article 148
« La mise en détention de l’inculpé peut être ordonnée si les conditions prévues par l’article 143 sont remplies et dans l’un des cas suivants :
(...)
f) l’inculpé est récidiviste ;
(...)
h) l’inculpé a commis un crime ou un délit pour lequel la loi prévoit une peine d’emprisonnement (...) et il existe des preuves certaines que son maintien en liberté constituerait un danger pour l’ordre public. »
Article 155
« La durée de la détention provisoire de l’inculpé peut être prolongée en cas de nécessité et à condition d’être motivée.
La prolongation de la durée de la détention provisoire peut être ordonnée par le tribunal qui est compétent pour statuer sur le bien-fondé des accusations (...) »
Article 160 b)
« S’il constate que les motifs qui avaient justifié le placement en détention n’existent plus et qu’il n’y a pas de nouveaux motifs, le tribunal ordonne la remise en liberté de l’inculpé. »
Article 300-1
« A la première audience sur le fond, le tribunal vérifie d’office la légalité et le bienfondé de la détention. »
Article 300-2
« Au cours de la procédure, le tribunal vérifie d’office [au minimum tous les soixante jours] la légalité et le bien-fondé de la détention. »
Le point f) de l’article 148 du CPP a été abrogé par la loi no 356/2006. Désormais, la récidive ne peut plus justifier à elle seule le placement ou le maintien en détention provisoire. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1979 et est actuellement incarcéré à la prison d’Alikarnassos.
A. La condamnation du requérant et ses demandes aux autorités de la prison de Patras
Le requérant fut arrêté le 16 mars 2007 et placé en détention au commissariat de police d’Amaroussion. Le lendemain, il fut transféré à la direction générale de la police d’Athènes, puis, le 26 mars 2007, à la prison de Korydallos.
Le 21 janvier 2008, la cour criminelle d’Athènes, composée de trois juges, condamna le requérant à une peine de réclusion à perpétuité pour plusieurs infractions relatives à la loi sur les stupéfiants.
Le 8 avril 2008, le requérant fut transféré à la prison de Patras, une prison accueillant des condamnés à des peines de réclusion. Cette prison se trouve dans une zone industrielle en dehors de la ville et accueille un grand nombre de détenus condamnés pour infractions à la loi sur les stupéfiants.
Pendant son séjour dans cette prison, à différentes dates, le requérant adressa six demandes au conseil de la prison. Par ces demandes, il sollicitait l’autorisation d’obtenir un accordéon, un décodeur numérique pour la télévision, une guitare, des légumes et des fruits secs, des livres par courrier, ainsi que des matériaux pour des activités artisanales. Toutes ces demandes furent acceptées, à l’exception de celle concernant la disposition d’une guitare.
Pendant sa détention, le requérant prépara des examens pour être admis à la faculté d’électrologie de Crète. Il était soutenu en cela par le personnel de la prison. Il en remercia par écrit le directeur de la prison à deux reprises.
Le requérant présenta aussi plusieurs demandes pour pouvoir bénéficier du régime du parloir dit « libre » (sous lequel le détenu est en contact direct avec le visiteur), notamment pour les visites de son épouse, de sa sœur, de ses parents, ainsi que de deux témoins dans son affaire : il présenta ainsi 31 demandes en 2008, 8 en 2009, 19 en 2010 et 6 en 2011. Toutes ces demandes furent accueillies par le conseil de la prison.
Plus particulièrement, selon un document provenant des archives de la prison, le requérant reçut les visites de son épouse et de sa mère aux dates suivantes : les 15, 22 et 29 avril 2008, les 13, 20 et 27 mai 2008, les 3, 10, 17 et 24 juin 2008, les 1er, 8, 15, 22 et 29 juillet 2008, les 5, 12, 19 et 26 août 2008, les 2, 9, 16 et 30 septembre 2008, les 8 et 14 octobre 2008, les 4, 11, 18 et 25 novembre 2008, les 2, 9 et 23 décembre 2008, les 13 et 20 janvier 2009, les 3, 10, 17 et 24 février 2009, les 3, 25 et 31 mars 2009, les 7 et 28 avril 2009, les 5, 19 et 26 mai 2009, les 2, 16, 23 et 30 juin 2009, les 7, 14 et 21 juillet 2009, les 4 et 11 août 2009, les 1er, 8, 15, 22 et 29 septembre 2009, le 20 octobre 2009, les 10 et 17 novembre 2009, les 1er, 15 et 29 décembre 2009, le 12 janvier 2010, le 2 février 2010, les 9 et 23 mars 2010, les 6 et 27 avril 2010, le 11 mai 2010, le 1er juin 2010, les 13 et 27 juillet 2010, les 3 et 24 août 2010, le 14 septembre 2010, le 5 octobre 2010, le 1er novembre 2010, le 7 décembre 2010, le 22 février 2011, les 12 et 26 avril 2011, le 14 juin 2011 et le 5 juillet 2011.
Selon les informations contenues dans les observations du requérant, à une date non précisée, l’épouse de l’intéressé, de nationalité italienne, demanda le divorce et quitta la Grèce pour l’Italie.
Le 14 avril 2012, le requérant fut transféré, à sa demande, à la prison d’Alikarnassos.
Le 2 décembre 2012, il sollicita une audience auprès du procureur superviseur de la prison afin d’être autorisé à sortir pour passer des examens en vue de l’obtention d’un diplôme d’électricien.
B. Les conditions de détention à la prison de Patras
La version du requérant
Le requérant décrit comme suit les conditions de sa détention à la prison de Patras.
Le requérant était détenu dans les dortoirs BC3, BC4 et AB6, tous d’une surface de 25 m². Neuf autres personnes, voire onze autres personnes à plusieurs reprises, occupaient ces dortoirs en même temps que lui. Ces dortoirs étaient conçus pour accueillir quatre personnes mais, en raison de la surpopulation régnant dans la prison, des lits avaient été rajoutés pour permettre l’accueil de dix personnes. Lorsque le nombre de détenus passait parfois à onze, l’un des prisonniers dormait par terre. Eu égard à ce grand nombre de personnes, la ventilation du dortoir était insuffisante et, par ailleurs, la pose sur les fenêtres d’un treillis métallique contre les moustiques et les insectes contribuait à réduire aussi la lumière naturelle.
En raison de la surpopulation, l’eau chaude était insuffisante d’autant plus que quatre douches sur huit, pour une seule aile accueillant 300 personnes, étaient hors d’usage de manière permanente, ce qui provoquait des querelles parmi les détenus pour l’accès à ces douches. La plomberie et les conduites d’évacuation des eaux étaient défectueuses et bouchées de sorte que les eaux usées se répandaient partout.
La lumière artificielle était faible car un ventilateur de plafond placé au-dessous des ampoules créait des ombres, et il était impossible de lire ou de regarder la télévision à cause de ces ombres. Le chauffage était aussi limité car il y avait un seul radiateur placé devant un lit.
Les dortoirs n’étaient pas entretenus et leur désinfection était problématique. Soixante pour cent des détenus avaient des problèmes dermatologiques et souffraient de la gale. Les détenus ne recevaient pas de produits d’hygiène corporelle ou de produits de nettoyage pour les dortoirs.
L’épaisseur des matelas ne dépassait pas trois centimètres et les couvertures étaient sales et usées.
En raison de la surpopulation, il n’y avait pas de dortoirs pour non-fumeurs, les autorités ne pouvant pas réserver des dortoirs pour un nombre inférieur à dix détenus.
Les détenus mangeaient dans leurs cellules et certains d’entre eux jetaient les déchets par les fenêtres dans la cour de la prison. En fait, entre 9 heures et 15 heures – heures de ramassage des poubelles –, celles-ci débordaient de restes de nourriture qui restaient dans les dortoirs pendant cinq ou six heures. De plus, lorsque la prison fermait – à 20 heures l’été et à 17 heures l’hiver –, les déchets étaient ramassés onze heures plus tard en été et quinze heures plus tard en hiver.
L’eau courante n’était pas potable car elle provenait d’un réservoir situé dans l’enceinte de la prison, de sorte que les détenus devaient acheter des bouteilles d’eau minérale avec leurs propres deniers.
Quant à la nourriture, les quatre ou cinq derniers mois, la fourniture au petit-déjeuner de lait, coupé d’eau, fut réduite à deux fois par semaine, au lieu de six avant. Faute de moyens, les repas contenaient rarement de la viande.
La prison ne procédant pas à un examen médical des nouveaux arrivants, le nombre de détenus toxicomanes, porteurs du virus VIH ou atteints d’hépatite B était en augmentation constante. En raison de la surpopulation, les soins et les examens étaient réservés à ceux qui étaient dans le coma, les autres détenus devant attendre des mois voire des années pour se faire examiner afin de savoir s’ils étaient porteurs de maladies infectieuses. Les examens médicaux auxquels le requérant a été soumis ont eu lieu à sa demande ; sans son insistance, il aurait dû aussi attendre plusieurs mois.
Le psychiatre présent dans la prison traitait les détenus comme des clients et leur prescrivait des médicaments sans les examiner.
La communication du requérant avec ses visiteurs s’avérait difficile en raison de l’existence d’une vitre doublée d’une tôle trouée ; la visibilité et les conversations, qui avaient lieu par le biais de téléphones, étaient ainsi limitées. Les rencontres au parloir étaient très brèves en raison du grand nombre de détenus et perturbées par le vacarme ambiant. Même lors des visites au parloir dit « libre », autorisées sur demande, un agent pénitentiaire était toujours présent et mettait un terme à la visite au bout de dix minutes. La prison ne disposait pas d’espace aménagé permettant à des époux d’être en contact intime.
La version du Gouvernement
Le Gouvernement décrit comme suit les conditions de détention à la prison de Patras.
Le requérant a été placé dans le dortoir AB6 d’une superficie de 25 m², situé dans l’aile A de la prison, et d’une capacité de dix personnes. Il partageait ce dortoir avec un nombre maximal de neuf autres personnes.
Le dortoir contenait une toilette séparée et une douche. Il n’y avait pas d’eau chaude dans le dortoir, mais le requérant pouvait utiliser les douches communes situées au rez-de-chaussée de son aile.
Chaque dortoir disposait de deux fenêtres mesurant 1,62 m x 1,54 m et garantissant une lumière naturelle et une ventilation suffisantes. Dans chaque dortoir, en plus des lits des détenus, il y avait des tables de chevet et des tabourets en nombre égal à celui des détenus, une table, une télévision et une poubelle.
La prison était chauffée par un système de chauffage central. Dans chaque dortoir, il y avait un radiateur qui était en marche du 15 novembre au 15 mars, de 06 h 30 à 08 h 30 et de 20 h 30 à 22 heures. En cas de basses températures, ces plages horaires étaient adaptées.
La prison était reliée au réseau d’approvisionnement en eau pour toute la région et l’eau du robinet était potable.
Tous les nouveaux arrivants recevaient un matelas, un oreiller et une assiette plastique. Les détenus pouvaient utiliser leurs propres couvertures, linge de lit et serviettes.
Les détenus mangeaient dans les dortoirs et jetaient leurs déchets dans les poubelles placées dans les dortoirs ou dans celles placées dans les couloirs auxquels ils avaient accès juste après les repas. Les poubelles des dortoirs étaient vidées dans les poubelles des couloirs. Ces dernières étaient vidées deux fois par jour, le matin à 9 heures et l’après-midi à 15 heures. Même les déchets que les détenus jetaient par la fenêtre dans la cour étaient ramassés au plus tard dans les cinq heures.
Les espaces intérieurs et extérieurs étaient nettoyés quotidiennement par les détenus eux-mêmes avant la fermeture des portes des dortoirs, et ce deux fois par jour. Le nombre de détenus travaillant au nettoyage de la prison s’élevait à 157. En plus du nettoyage ordinaire, des sociétés privées de désinfection effectuaient régulièrement des nettoyages plus spécifiques pour lutter contre les insectes et les souris.
Comme tous les détenus, le requérant avait subi un examen médical lors de son admission à la prison, le 8 avril 2008. Les 5 et 6 mai 2008, le requérant a été soumis à des examens radiologiques du thorax et microbiologiques (dont la recherche d’anticorps du VIH et de l’hépatite). Tous les examens médicaux subis à différentes périodes ont démontré que le requérant était en bonne santé, et l’intéressé n’a reçu aucune médication.
Le requérant a travaillé comme électricien au sein de la prison du 20 mai 2008 au 26 mars 2012, le matin pendant les heures d’ouverture de l’atelier et parfois pendant l’après-midi.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Les articles pertinents en l’espèce du code pénitentiaire (loi no 2776/1999) se lisent ainsi :
Article 6
Protection légale des détenus
« 1. En cas d’acte ou d’ordre illégaux à leur encontre, les détenus ont le droit de se référer par écrit et à une fréquence raisonnable au conseil de la prison lorsque les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. En cas de manquement de l’administration à prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal de l’exécution des peines dans un délai de quinze jours ou d’un mois respectivement à compter de la notification d’une décision de rejet ou de l’introduction de leur demande. Si ce tribunal accueille la requête quant au fond, il ordonne les mesures susceptibles d’effacer les conséquences de l’acte ou de l’ordre illégaux (...) »
Article 52
Visites
« 1. Chaque détenu a le droit de recevoir au moins une fois par semaine et pour une durée minimale d’une demi-heure la visite de ses proches jusqu’au quatrième degré ainsi que la visite de son avocat, [et ce] sans restrictions par rapport au nombre ou la durée des visites (...)
Le conseil de la prison peut, de sa propre initiative ou sur recommandation écrite ou orale du service social ou à la demande du détenu, autoriser la visite d’autres personnes ou d’associations non susceptibles d’exercer une influence néfaste sur le détenu (...)
Les visites se déroulent dans un espace spécial de la prison sous un contrôle uniquement visuel. Les visites des conjoints ou des enfants se déroulent dans un espace séparé de la prison.
Le nombre maximal de visites, la durée et les moyens de communication, le contrôle des visiteurs pour des raisons de sécurité ainsi que toute autre question [sont régis par le] règlement intérieur de la prison.
En cas d’interdiction ou de limitation ou de non-réalisation des visites, chaque détenu peut saisir le magistrat compétent.
(...) »
Article 54
Permissions de sortie des détenus
« Les détenus se voient accorder des permissions de sortie ordinaires, extraordinaires et éducatives (...) »
Article 55
Permissions de sortie ordinaires – Conditions
« 1. Les permissions de sortie [ordinaires] sont accordées lorsque :
le condamné a purgé un cinquième de sa peine (...) et la détention a duré au moins trois mois. En cas de réclusion à perpétuité, la détention doit avoir duré au moins huit ans (...) »
L’article 572 du code de procédure pénale (le CPP) se lit comme suit :
« 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée, exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.
En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition. »
Les articles pertinents en l’espèce de l’arrêté ministériel no 58819/2003 du 7 avril 2003 se lisent ainsi :
Article 7
« 1. Dans le cadre de la supervision, le procureur collabore avec le directeur et les chefs hiérarchiques des différents secteurs de l’établissement pénitentiaire et fait des recommandations sur des questions qui concernent l’exécution des peines.
Le procureur superviseur ou son adjoint exercent des compétences juridictionnelles, disciplinaires et de contrôle.
En particulier, le procureur :
veille à l’application des dispositions en vigueur concernant le traitement des détenus ainsi que de celles du code pénal et des lois spéciales relatives à l’exécution des peines et à l’application des mesures de sûreté.
(...)
entend les détenus, leurs proches et les avocats des premiers, à leur demande (...)
examine les questions de protection juridictionnelle des détenus en indiquant aux intéressés les démarches à suivre, et fait suivre aux autorités compétentes les demandes d’aide juridictionnelle des détenus (...) »
Article 21
« 1. Les détenus ont le droit de recevoir au moins une fois par semaine la visite de leurs conjoints et de leurs proches jusqu’au quatrième degré : la durée minimale de la visite est d’une demi-heure. Le conseil de la prison fixe le nombre maximal des visites et leur durée.
(...)
Les visites se déroulent dans un espace spécial de la prison et sous un contrôle uniquement visuel. Les visites des conjoints et des enfants se déroulent dans un espace séparé de la prison. À la demande du détenu et sur autorisation du conseil de la prison, la visite peut se dérouler dans un espace sans grille ou autre dispositif de séparation. »
III. LES RAPPORTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
Dans son rapport du 17 novembre 2010, établi à la suite de sa visite du 17 septembre au 29 septembre 2009, le Comité pour la prévention de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants (le CPT) a relevé ce qui suit au sujet des conditions régnant dans la prison de Patras.
La prison, construite en 1974, est située dans la zone industrielle de la ville et accueille des détenus condamnés. Elle comporte trois ailes principales – les ailes A, B et C –, chacune ayant trois étages, et une aile plus petite – l’aile D – réservée à ceux qui travaillent dans la prison. À la date de la visite, la prison, d’une capacité de 380 détenus, en accueillait 709.
Les ailes A, B et C consistaient en des dortoirs, chacun de 22,50 m², dans lesquels étaient placés jusqu’à dix détenus. En plus de cinq séries de lits superposés, il y avait une table, quelques chaises, des casiers individuels, une télévision et un réfrigérateur. En dépit de la surpopulation, la lumière, artificielle et naturelle, ainsi que la ventilation étaient suffisantes. Chaque dortoir avait une annexe comportant une toilette, un robinet (qui servait aussi pour faire la vaisselle) et une douche (avec de l’eau froide). Il y avait aussi des douches communes au rez-de-chaussée de chaque aile.
Plusieurs détenus se plaignaient d’un manque d’intimité, en particulier du fait que la plupart d’entre eux purgeaient de longues peines, et de mauvaises conditions d’hygiène dues à un manque de produits de nettoyage.
Les conditions dans les quatre dortoirs de l’aile D, qui accueillait au total 60 détenus, étaient acceptables dans l’ensemble, bien que chaque détenu disposait de moins de 3 m². | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1964. Il est actuellement détenu à la prison de Bistriţa.
Le 25 novembre 2008, le requérant, accusé de vol, fut placé en détention provisoire. Cette détention provisoire fut prolongée jusqu’à la condamnation de l’intéressé à six ans de prison ferme, prononcée par le tribunal de première instance de Cluj-Napoca dans une décision définitive du 29 avril 2010.
Le requérant fut incarcéré dans plusieurs centres de détention dont la prison de Gherla, l’hôpital pénitentiaire de Dej, et les prisons de Baia-Mare, de Botoşani, de Bistriţa, de Craiova, de Timişoara et de Iaşi.
A. Les conditions matérielles de détention du requérant
Les conditions de détention telles que décrites par le requérant
Le requérant indique qu’il a été incarcéré à la prison de Gherla de décembre 2008 à novembre 2011, qu’il y a été placé dans une cellule comportant 30 lits avec 34 autres détenus, et qu’il a parfois dû partager son lit avec un autre détenu. Il ajoute que la cellule était sale et très humide et n’offrait pas la possibilité d’avoir une hygiène corporelle adéquate.
L’intéressé indique aussi que de novembre 2011 à février 2012 il a été placé à la prison de Baia-Mare, et qu’il a été incarcéré avec 44 autres détenus dans une cellule dotée de 42 lits superposés sur trois niveaux, de deux lavabos et de toilettes. Il affirme que les détenus y prenaient des repas d’une mauvaise qualité. Il ajoute que la cellule était très humide et qu’une forte odeur de diluant et de substances chimiques utilisées pour la fabrication de chaussures – activité exercée selon lui par les détenus dans la cellule au titre du travail en prison – se répandait. Il précise que la cellule était aussi infestée de punaises et que les détenus avaient accès aux douches deux fois par semaine pendant quinze minutes à chaque fois.
Il indique de même qu’il a été incarcéré de février à mars 2012 à la prison de Botoşani dans laquelle, d’après lui, la surpopulation et l’état de saleté étaient pires que dans les deux précédents établissements.
Il indique également que de mars à avril 2012 il a été incarcéré à la prison de Bistriţa, et qu’il y a été placé avec 44 autres détenus dans une cellule comprenant 45 lits ainsi qu’une salle de bain séparée pourvue de deux lavabos et de deux toilettes.
Il affirme aussi qu’il a été incarcéré à la prison de Craiova d’avril à août 2012 afin de bénéficier de soins dentaires, et qu’il y a été placé dans une cellule dotée de 30 lits et accueillant certains jours 39 autres détenus.
Il ajoute qu’il a été incarcéré de août à septembre 2012 de nouveau à la prison de Bistriţa dans une cellule dotée de 45 lits avec 44 autres détenus.
Il indique de plus que de septembre à décembre 2012 il a été incarcéré à la prison de Timişoara, dans une cellule dotée de 9 lits, avec 8 autres détenus.
Il indique aussi que de décembre 2012 à février 2013 il a été incarcéré à la prison de Iaşi, dans une cellule dotée de 30 lits et dans laquelle étaient parfois placés 40 détenus pendant trois à quatre jours.
Il affirme également que de février à mars 2013 il a été à nouveau incarcéré à la prison de Bistriţa, dans une cellule exiguë pourvue de 8 lits et dans laquelle les conditions d’hygiène étaient acceptables.
Il ajoute qu’il a été transféré au mois de mars 2013 pour quelques jours à la prison de Iaşi et qu’il y a été placé dans la même cellule que celle dans laquelle il avait déjà séjourné (paragraphe 15 ci-dessus).
Il précise que depuis mars 2013 il est incarcéré à la prison de Bistriţa.
Le requérant dénonce en outre les conditions d’hygiène et d’aération dans toutes les prisons.
Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement
Le Gouvernement indique que du 23 décembre 2008 au 22 novembre 2011 le requérant a été incarcéré à la prison de Gherla, à l’exception de quelques jours pendant lesquels il a été transféré à l’hôpital pénitentiaire de Dej. Il expose que l’intéressé a ainsi été placé dans onze cellules, dont par exemple dans la cellule no EG3.18, d’une superficie de 14,28 m², avec 6 autres détenus, ou dans la cellule no EG4.35, d’une superficie de 59,22 m², avec 24 à 25 autres détenus.
Le Gouvernement indique également que du 22 novembre 2011 au 20 février 2012 le requérant a été incarcéré à la prison de Baia Mare, où il a été placé alternativement dans plusieurs cellules avec 26 autres détenus : la cellule no E2.7, d’une superficie de 40,37 m², la cellule no E4.3, d’une superficie de 37,7 m², et la cellule no E4.4, d`une superficie de 39,39 m².
Il affirme aussi que du 24 février au 20 mars 2012 le requérant a été incarcéré à la prison de Botoşani dans la cellule no E7.2, d’une superficie de 56,43 m², avec 38 autres détenus.
De même, le Gouvernement indique qu’à différentes périodes, à savoir du 23 mars au 26 avril 2012, du 10 août au 10 septembre 2012, du 12 au 21 février 2013 et du 19 mars 2013 à ce jour, le requérant a été incarcéré à la prison de Bistriţa. Il ajoute que l’intéressé y a occupé quatre cellules, dont par exemple la cellule no E4.6, d`une superficie de 71,32 m², avec 44 autres détenus, ou la cellule no E3.8, d`une superficie de 20,03 m², avec 7 autres détenus.
Le Gouvernement affirme également que du 2 mai au 9 août 2012 le requérant a été incarcéré à la prison de Craiova dans la cellule no E4.32, d’une superficie de 39,11 m², avec 29 autres détenus.
Il ajoute que du 14 septembre au 17 décembre 2012 le requérant a été incarcéré à la prison de Timişoara dans la cellule no E8.7, d’une superficie de 21 m², avec 8 autres détenus.
Il précise enfin que du 18 décembre 2012 au 15 mars 2013 le requérant a été incarcéré à la prison de Iaşi, qu’il y a été placé dans trois cellules, dont par exemple dans la cellule no E1.3, d’une superficie de 33,6 m², avec 25 autres détenus ou dans la cellule no E11.7, d’une superficie de 19,3 m², avec 7 autres détenus.
D’après le Gouvernement, le requérant a bénéficié d’un lit individuel dans chacune des cellules qu’il a occupées, toutes les cellules étaient pourvues d’éclairage naturel et artificiel, de ventilation naturelle, de toilettes, de rangements pour les bagages et d’eau potable, et l’intéressé a eu accès aux douches deux fois par semaine.
Selon le Gouvernement, l’hygiène dans les cellules relève de la responsabilité des détenus, lesquels se verraient distribuer des produits de nettoyage. D’après lui, les cellules sont désinfectées chaque matin avec du chlore, et des actions de désinsectisation et de dératisation sont menées une fois par trimestre.
B. Le suivi dentaire du requérant en prison
La version du requérant
Le requérant indique qu’au cours de sa détention à la prison de Bistriţa l’état de ses dents a commencé à se dégrader. Il ajoute qu’il a demandé à l’Administration nationale des prisons (« l’ANP ») de prendre les mesures nécessaires pour lui fournir une prothèse dentaire complète et qu’il a mentionné ne pas bénéficier de revenus. À une date non précisée, l’ANP aurait accueilli la demande du requérant, acceptant de supporter les frais de ses soins dentaires. Aucune attestation en ce sens n’a été versée au dossier.
L’intéressé précise que le 12 avril 2012 la direction de la prison de Bistriţa – où il était incarcéré – l’a informé qu’elle ne disposait pas d’un médecin stomatologue et l’a invité à s’adresser à l’administration pénitentiaire d’un autre établissement susceptible de lui fournir des soins dentaires.
Il indique qu’il a alors été transféré en avril 2012 à la prison de Craiova afin de bénéficier de ces soins dentaires. Il précise que, après un examen par un médecin stomatologue, il a été informé qu’il avait besoin d’une prothèse dentaire en urgence mais qu’il devait en supporter le coût au motif d’une absence de fonds de la prison pour réaliser des travaux prothétiques. Il ajoute que, malgré ses demandes répétées, il n’a pas bénéficié de prothèse dentaire et qu’il a été transféré en août 2012 à la prison de Bistriţa.
Le requérant indique de plus que le 5 août 2013, alors qu’il était incarcéré à la prison de Bistriţa, il a été soumis à un examen par un médecin stomatologue. Il ajoute qu’il a également reçu un devis pour la réalisation et le remplacement de plusieurs prothèses dentaires s’élevant à 18 780 lei roumains (« RON »), soit environ 4 200 euros (EUR) selon le taux de change de la Banque nationale roumaine.
La version du Gouvernement
Le Gouvernement indique que le 2 mai 2012 l’intéressé a été transféré de la prison de Bistriţa à la prison de Craiova afin de bénéficier de soins dentaires et que le 10 mai 2012, à la suite d’un examen dentaire, le médecin stomatologue a conclu que le requérant avait besoin de l’extraction de deux dents et de la réalisation d’une prothèse fixe en remplacement. Il précise que le coût de l’intervention s’élevait à 540 RON, soit environ 120 EUR. Il ajoute que le requérant ne disposait pas de ressources financières et que l’intervention n’a pas eu lieu pour cette raison. Par ailleurs, il indique que le 19 juillet 2012 le requérant a demandé son transfert vers la prison de Timişoara afin de pouvoir assister aux audiences d’une affaire inscrite au rôle d’un tribunal avoisinant et qu’il a spécifié dans sa demande écrite que ce procès était plus important à ses yeux que les soins dentaires qu’il avait sollicités.
Le Gouvernement indique également qu’à partir du mois d’avril 2013 le requérant a à nouveau demandé à bénéficier de soins dentaires. Il précise que, après avoir renoncé à un premier examen prévu pour le 15 avril 2013, il a été examiné le 29 avril et les 8 et 29 juillet 2013 et qu’il s’est fait extraire deux dents le 5 août 2013.
Selon le Gouvernement, d’après la situation du compte du requérant établie en septembre 2013, celui-ci disposait de ressources financières s’élevant à environ 1 010 RON.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines ainsi que la jurisprudence citée par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).
Les dispositions relatives aux soins dentaires des détenus sont résumées dans l’arrêt Fane Ciobanu c. Roumanie (no 27240/03, §§ 47-51, 11 octobre 2011). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1972 et est actuellement détenu au pénitencier de Bellizzi Irpino (Avellino).
A. Les conditions de détention du requérant et son état de santé
Le requérant fut arrêté le 3 février 2009. Il fut d’abord détenu au pénitencier Poggioreale de Naples, puis, le 28 mars 2009, il bénéficia d’une détention à domicile. Depuis le 8 octobre 2009, il est détenu à la prison de Bellizzi Irpino, où il est censé purger une peine de dix ans d’emprisonnement. La date de sa libération est fixée au 25 février 2018.
Auparavant, en 2007, alors qu’il était détenu à la prison de Larino, le requérant avait été opéré pour des hémorroïdes. Depuis cette opération, il souffre d’un relâchement du sphincter anal et de problèmes d’incontinence. Dès son arrivée au pénitencier de Bellizzi Irpino, le requérant informa le personnel carcéral de sa pathologie, ce qui, selon lui, aurait dû conduire à son placement dans une cellule individuelle équipée de sanitaires et à la possibilité de se laver quotidiennement. Il affirme cependant avoir été placé dans une cellule disposant d’un seul lieu d’aisance avec six autres détenus, et il indique que chaque détenu bénéficiait d’un espace personnel d’environ 2,5 mètres carrés (m²).
Le Gouvernement conteste la version du requérant ; il affirme que l’intéressé avait été assigné à la cellule numéro 10 située au deuxième étage de la prison et partagée avec quatre autres détenus, que cette cellule mesurait 24 m² et qu’une salle de bain interne de 4,83 m² s’y trouvait.
Lors de son entrée au pénitencier de Bellizzi Irpino, le requérant fut considéré comme étant en bonne santé par le médecin de la prison. Après d’autres examens conduits entre le 21 et le 25 octobre 2009, son état de santé fut estimé satisfaisant (condizioni generali discrete). Le 30 octobre 2009, il fut décidé que le requérant devait être soumis à des tests médicaux, notamment à un examen des selles et à une manométrie du sphincter anal. Ces tests furent effectués le 10 février 2010 à l’hôpital public d’Avellino ; selon le Gouvernement, ils indiquaient que l’état de santé du requérant s’était amélioré.
Le 5 novembre 2009, le requérant fut transféré « pour des raisons médicales » dans une cellule à partager avec un autre détenu et équipée d’un cabinet de toilette. D’après le requérant, cette cellule ne disposait ni de douche ni de bidet ; selon le Gouvernement, elle mesurait 10 m² et disposait d’une salle de bain interne de 4,77 m².
L’intéressé fut soumis à d’autres visites médicales les 11 et 18 novembre 2009.
Le requérant indique qu’il a dû de facto faire part de ses problèmes d’incontinence à ses codétenus. Il ajoute que ces problèmes l’avaient mis dans un tel embarras lors d’un incident survenu pendant un cours scolaire qu’il avait tenté de se suicider le 20 novembre 2009. Le Gouvernement indique qu’à cette occasion le personnel de la prison était intervenu en temps utile et que le requérant n’avait eu aucune séquelle physique; l’intéressé ne conteste pas ce point.
À la suite de cette tentative de suicide, le requérant fut visité par un psychiatre, mis pour « raisons de santé » en isolement (reparto separati) et placé sous haute surveillance, y compris sous celle d’un psychiatre. Il fut dénudé et placé dans une cellule mesurant 10 m² comprenant une salle de bain et ne comportant aucun élément de mobilier à l’exception d’un lit, et ce jusqu’au 27 novembre 2009. Selon le Gouvernement, l’intéressé pouvait disposer de linge et de vêtements.
Après une visite psychiatrique, le requérant fut gardé sous surveillance et autorisé, pendant un mois, à prendre une douche par jour (au lieu de deux par semaine). Il fut placé dans une cellule individuelle équipée d’une salle de bain avec l’eau courante froide. Selon le requérant, cette cellule mesurait deux mètres sur trois mètres, et la lumière naturelle et l’air n’y pénétraient que par une fenêtre minuscule protégée par une grille épaisse et donnant sur la cour de promenade. Le requérant indique également que la cour était elle aussi de dimensions réduites, couverte par une grille métallique épaisse d’un centimètre, et qu’elle était dotée de toilettes à la turque malodorantes et sans eau courante. Il ajoute qu’en hiver la grille se couvrait de glaçons qui tombaient sur les promeneurs avec des grains de rouille et que les douches ne fonctionnaient pas bien et se remplissaient d’eau.
Le Gouvernement conteste les affirmations du requérant quant aux dimensions de la cellule en question et assure que celle-ci mesurait 10 m² et comprenait une salle de bain intérieure.
Le requérant soutient que, se trouvant dans un secteur d’isolement d’où il ne pouvait sortir, d’après lui, que pour les visites, il n’a pu ni participer à des activités sociales ou de traitement pénitentiaire ni suivre des cours. Le Gouvernement conteste cette allégation et il indique que le placement en isolement du requérant pendant la période allant du 27 novembre 2009 au 1er juillet 2010 s’expliquait par le souci de lui éviter l’embarras qu’il avait ressenti dans la cellule commune. Au cours de la période en question, l’intéressé aurait été constamment assisté et contrôlé par le personnel de la prison et par des médecins.
Le requérant indique être demeuré dans le secteur d’isolement jusqu’au 3 juillet 2010 (jusqu’au 1er juillet 2010 selon le Gouvernement). Il affirme n’avoir bénéficié d’aucune autre thérapie que l’administration de calmants. Il ajoute avoir demandé à plusieurs reprises, en vain d’après lui, à rencontrer le directeur du pénitencier ou le magistrat d’application des peines ou à être transféré dans un autre pénitencier. Il déclare également avoir demandé à être soumis à des examens médicaux (manométrie du sphincter et examen des selles), lesquels n’ont été réalisés que le 10 février 2010 (paragraphe 9 ci-dessus) en raison, à ses dires, de problèmes d’organisation.
Le requérant fut à nouveau autorisé à prendre une douche par jour pendant un mois.
Aucune cellule individuelle n’étant disponible dans le secteur ordinaire de la prison, le requérant fut transféré à l’infirmerie début juillet 2010. Le Gouvernement affirme que ce transfert s’est opéré le 2 juillet 2010 et que l’intéressé y avait consenti. Le requérant soutient que ce transfert a été effectué le 3 juillet 2010, qu’aucune thérapie ne lui a été administrée, et que la seule raison de son transfert était la présence d’un cabinet de toilette avec l’eau courante chaude. Il ajoute que ce placement l’empêchait de participer à des activités sociales ou de traitement pénitentiaire et de suivre des cours.
S’agissant de ses conditions de détention à l’infirmerie, le requérant indique qu’il pouvait se promener dans la cour pendant vingt minutes le matin et vingt minutes l’après-midi, et que l’accès à l’air et à la lumière naturelle était limité. Le Gouvernement conteste ces affirmations et soutient que pendant son placement à l’infirmerie le requérant avait le loisir d’accéder à la cour de promenade pour une durée de deux heures par jour.
L’administration du pénitencier ne fournissant pas de couches, le requérant était obligé d’en acheter à l’extérieur pour ses problèmes d’incontinence. Un examen gastroentérologique prévu initialement le 2 février 2010 ne fut effectué que le 3 juillet 2010.
Il ressort d’une note du pénitencier du 10 juillet 2013 que dès l’arrivée du requérant l’administration avait demandé à l’hôpital de lui fournir des couches, qu’en l’absence d’une déclaration d’invalidité ces protections ne pouvaient pas être fournies gratuitement, que l’intéressé n’avait pas demandé à être déclaré invalide, et que, de toute manière, les volontaires de l’association Caritas, le curé et les médecins de la prison avaient donné à plusieurs reprises des couches au requérant.
Le Gouvernement indique que, lors de sa détention à l’infirmerie, le requérant a été amené à occuper alternativement deux cellules : la cellule individuelle numéro 6 (mesurant 10 m² avec une salle de bain intérieure de 4,74 m²) du 2 juillet 2010 au 14 février 2012 et du 17 mai 2012 au 17 janvier 2014 (date des dernières informations fournies), ainsi que la cellule numéro 3 (mesurant 16 m² avec une salle de bain intérieure de 7,41 m²), partagée occasionnellement avec un autre détenu, du 16 avril au 17 mai 2012. Du 14 février au 16 avril 2012, il se trouvait à la prison de Spoleto (paragraphe 25 ci-dessus). Les informations fournies par le Gouvernement quant aux dimensions des cellules (voir également les paragraphes 8, 10 et 15 ci-dessus) se fondent sur des documents provenant de l’administration carcérale, parmi lesquels figurent des planimétries.
Le Gouvernement affirme que le placement à l’infirmerie a permis une surveillance plus régulière des besoins du requérant.
Le 13 novembre 2010, il fut certifié que l’état de santé de ce dernier était « bon » ; il fut ensuite considéré comme « décent » à l’issue de contrôles médicaux réalisés en prison les 26 septembre, 7 octobre, 15 et 28 novembre 2011. Entre-temps, le 21 mars 2011, le médecin de la prison avait qualifié de « mineurs » les problèmes d’incontinence de l’intéressé, et des examens (manométrie du sphincter) effectués en dehors de la prison le 20 mai 2011 avaient montré que son problème d’hypotonie du sphincter anal était « léger ». Du 23 août au 13 novembre 2012, le requérant suivit, deux fois par semaine, un traitement de rééducation (« biofeedback ») à l’hôpital public d’Avellino, qui avait été ordonné par le médecin de la prison le 5 avril 2011 et par un médecin de l’hôpital public le 20 mai 2011. Selon le Gouvernement, ce traitement a donné de très bons résultats. Dans une lettre manuscrite du 31 mai 2013, le requérant se déclara « guéri » grâce au traitement médical qui lui avait été administré et il demanda à être admis au travail en prison.
Le Gouvernement indique que la capacité réglementaire du pénitencier de Bellizzi Irpino est de 306 places et que la capacité maximale de cet établissement est de 549 places. Il ajoute que le nombre de personnes détenues était de 495 au 11 août 2010 et de 667 au 9 juillet 2013. Il précise que les détenus sont admis à la promenade à l’extérieur de 9 heures à 11 heures et de 15 heures à 16 heures (17 heures en été), qu’ils ont la possibilité de se rendre à la salle commune pour des activités de socialisation, qu’ils se trouvent normalement en dehors de leurs cellules lorsqu’ils travaillent ou participent à des activités éducatives, et que le requérant a été admis à ces dernières.
Le Gouvernement indique également que du 14 février au 16 avril 2012 le requérant a été transféré à la prison de Spoleto, et qu’il a été placé d’abord dans une cellule de 20 m² équipée d’une salle de bain intérieure et partagée avec deux ou trois autres détenus, puis, après une deuxième tentative de suicide (paragraphe 26 ci-dessus), dans une cellule individuelle mesurant 30 m².
L’intéressé réplique que le pénitencier de Spoleto n’est pas équipé d’un centre clinique. Il allègue avoir été placé dans une cellule dotée d’un seul cabinet de toilette et avoir partagé cette cellule avec cinq autres détenus fumeurs.
Le 17 mars 2012, le requérant tenta à nouveau de se suicider. Il fut ensuite transféré dans une cellule individuelle. En avril 2012, il entama un cycle de séances de kinésithérapie, mais le 16 avril 2012 il retourna au pénitencier de Bellizzi Irpino.
Le requérant affirme en outre qu’il s’était laissé tomber d’un mur le 19 mai 2012 et qu’il avait été alors hospitalisé pendant cinq jours dans un état comateux.
Selon les informations fournies par le Gouvernement le 17 janvier 2014, à cette dernière date, le requérant était encore placé, avec son consentement, à l’infirmerie du pénitencier de Bellizzi Irpino où, d’après le Gouvernement, il pouvait être mieux assisté et contrôlé et avait la possibilité quotidienne de prendre une douche avec de l’eau chaude. Par ailleurs, le requérant fréquente l’école de la prison, où il a commencé à étudier en novembre 2009, et suit un cours d’insertion professionnelle.
B. Les recours tentés par le requérant
À une date non précisée, le requérant demanda à bénéficier de la détention à domicile.
Par une ordonnance du 7 octobre 2011, le magistrat d’application des peines d’Avellino rejeta cette demande. Il observa qu’il ressortait d’un rapport médical du 26 septembre 2011 que le requérant souffrait d’une ancienne toxicomanie, d’un état anxieux, d’hyperchromie du gland et d’incontinence, qu’il avait subi des interventions chirurgicales pour une hernie et pour des hémorroïdes, et que son état de santé général était satisfaisant (discrete) et n’était dès lors pas incompatible avec la détention.
Le requérant demanda également la suspension de l’exécution de sa peine pour motifs de santé.
Par une ordonnance du 20 décembre 2011, dont le texte fut déposé au greffe le 4 janvier 2012, le tribunal d’application des peines de Naples rejeta cette demande. Il nota que la suspension de l’exécution de la peine pouvait être ordonnée seulement en présence de conditions de santé d’une gravité telle à faire redouter un danger pour la vie ou à rendre la détention inhumaine ou encore en présence de conditions de santé exigeant des thérapies ne pouvant pas être administrées en milieu carcéral. Or, sur la base d’un rapport médical daté du 28 novembre 2011 et en substance similaire à celui du 26 septembre 2011, le tribunal considéra que tel n’était pas le cas du requérant, que ce dernier avait été soumis à des examens gastroentérologiques et qu’un cycle de rééducation (« biofeedback rectal ») avait été sollicité.
Par ailleurs, le requérant indique avoir mis en demeure les autorités de lui administrer un traitement médical approprié à sa pathologie, en vain d’après lui. Il indique également leur avoir demandé, toujours en vain selon lui, de se prononcer sur ses conditions de détention, qu’il estime inhumaines et dégradantes. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
La requérante est née en 1966 et réside à Istanbul.
A. La déclaration de presse
Le 16 septembre 2000, vers 12 heures, un groupe d’avocats appartenant à l’Association des juristes contemporains (Çağdaş Hukukçular Derneği), dont la requérante, se réunit à Istanbul pour dénoncer, par le biais d’une déclaration publique à la presse, certains aspects du régime au sein des prisons de type F en Turquie.
Selon le procès-verbal d’arrestation, établi par la police à 12 h 30, les événements se sont déroulés ainsi : la police a demandé plusieurs fois aux manifestants de se disperser et leur a donné quinze minutes pour obtempérer ; ceux-ci ont persisté dans leur volonté de faire leur déclaration publique dans la rue d’İstiklal ; le groupe s’est mis à scander des slogans et a refusé de se disperser malgré les sommations des forces de l’ordre ; la police est intervenue de manière musclée et quarante-neuf personnes, dont la requérante, ont été placées en garde à vue. Selon la requérante, les forces de l’ordre ont arrêté les participants, y compris elle-même, et les ont insultés et battus.
D’après le rapport médical établi à 15 h 30 par l’institut de médecine légale, la requérante présentait des ecchymoses sur les bras et sur la jambe droite. Elle se plaignait également de douleurs dues selon elle à des mauvais traitements que lui auraient infligés les forces de sécurité. Le médecin conclut à une incapacité de travail de cinq jours.
Le même jour, à la suite de son contrôle médical, la requérante fut remise en liberté.
Le 18 septembre 2000, elle s’adressa à la fondation des droits de l’homme, à Istanbul, se plaignant d’avoir subi des mauvais traitements. Les médecins de la fondation l’examinèrent. Dans leur rapport, ils firent état de plusieurs ecchymoses et indiquèrent que les blessures de la requérante paraissaient compatibles avec ses allégations de mauvais traitements.
B. L’action pénale engagée contre la requérante
Par un acte d’accusation déposé le 17 novembre 2000, le procureur de la République de Beyoğlu, se fondant sur la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations publiques, intenta à l’encontre de la requérante et d’autres coaccusés une action pénale pour participation à une manifestation illégale.
Par un jugement du 28 mars 2001, le tribunal correctionnel de Beyoğlu acquitta la requérante en raison de l’absence des éléments constitutifs de l’infraction.
C. La plainte pénale déposée contre les agents
Le 18 septembre 2000, la requérante et vingt-six autres personnes déposèrent devant le parquet de Beyoğlu une plainte pénale contre le préfet d’Istanbul et contre les policiers pour mauvais traitements et pour privation arbitraire de liberté.
Le 26 septembre 2000, le parquet de Beyoğlu, après avoir relevé que les actes allégués avaient été commis par des agents en fonction, se déclara incompétent et transmit le dossier à la préfecture d’Istanbul, en application de la loi no 4483 relative aux poursuites contre les fonctionnaires.
Le 9 novembre 2000, la requérante fut entendue par deux inspecteurs désignés par le préfet d’Istanbul. Elle déclara que, à sa connaissance, personne n’avait demandé d’autorisation aux autorités compétentes pour la lecture de la déclaration de presse, parce que, aux yeux de son groupe, une telle autorisation n’était pas requise par la loi. Elle précisa que, alors que la lecture allait débuter, les policiers, tout en les encerclant, avaient informé les manifestants qu’ils devaient se disperser. Elle ajouta que, avant de monter dans le véhicule de police, elle avait été battue par des policières. Elle identifia trois d’entre elles à partir de photographies parues dans les médias.
Par une décision du 21 décembre 2000, le préfet d’Istanbul, se fondant sur la loi no 4483, n’autorisa pas l’ouverture de poursuites pénales contre les policiers en cause. Il estimait que l’action menée par les manifestants et la déclaration de presse étaient contraires à l’article 44 de la loi sur les associations. Il constatait que les manifestants n’avaient pas obtempéré à l’ordre de dispersion lancé par la police, qu’ils avaient résisté aux policiers qui tentaient de les arrêter et de les faire monter dans les véhicules, qu’ils avaient scandé des slogans contraires à la loi et que la force utilisée par les policiers pour les placer en garde à vue n’avait pas excédé le seuil fixé par leurs fonctions (yetki dahilinde bulunan zorla gözaltına alma). Il concluait que le procès-verbal d’identification à partir de photographies des policiers ainsi que les enregistrements vidéo n’avaient pas permis d’établir que les policiers avaient commis les actes reprochés.
A une date non précisée, la requérante forma opposition à la décision du 21 décembre 2000.
Par un jugement du 17 avril 2001, le tribunal administratif régional d’Istanbul, considérant qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve dans le dossier de l’affaire pour autoriser l’ouverture d’une action pénale contre les policiers en question, infirma la décision du 21 décembre 2000.
Par un acte d’accusation du 11 mai 2001, le procureur de la République de Beyoğlu requit la condamnation de six policiers en vertu de l’article 245 de l’ancien code pénal réprimant le recours excessif à la force.
Par un jugement du 28 septembre 2004, le tribunal correctionnel de Beyoğlu, sur le fondement de l’article 245 du code pénal, constatant que les policiers avaient fait usage à l’encontre de la requérante d’une force ayant outrepassé les limites prévues dans le cadre de leurs fonctions et prenant en compte le rapport médical établi par l’institut de médecine légale, condamna les policières M.A., Ş.Ö. et E.K. à une peine d’emprisonnement de trois mois et à leur exclusion provisoire de la fonction publique pour une période de trois mois ; puis, sur le fondement de l’article 4 de la loi no 647 sur l’exécution des peines, le tribunal commua la peine d’emprisonnement en une amende pénale de 273 780 000 anciennes livres turques (environ 145 euros). Constatant que le casier judiciaire des condamnées était vierge et estimant que celles-ci ne commettraient pas d’autres infractions similaires à l’avenir, le tribunal, se fondant sur l’article 6 § 1 de la loi no 647, prononça le sursis à l’exécution de la peine prononcée.
Par un arrêt du 6 novembre 2006, la Cour de cassation infirma la partie de condamnation du jugement du 28 septembre 2004 rendu à l’encontre de ces policières en raison de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal.
Par un jugement du 11 septembre 2007, le tribunal correctionnel de Beyoğlu condamna de nouveau M.A., Ş.Ö. et E.K. à une peine d’emprisonnement de trois mois et à leur exclusion provisoire de la fonction publique pour une période de trois mois ; puis il commua la peine d’emprisonnement en une amende pénale de 270 livres turques (environ 150 euros) et prononça le sursis à l’exécution de la peine.
Par un arrêt du 22 décembre 2009, la Cour de cassation constata que le délai de prescription était échu et déclara la procédure éteinte.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations publiques et de la loi no 2559 sur les fonctions et compétences de la police, ainsi que celles de la directive relative aux forces d’intervention rapide (Polis Çevik Kuvvet Yönetmeliği) du 30 décembre 1982 qui fixent les principes régissant la surveillance, le contrôle et l’intervention des forces d’intervention rapide dans des situations de manifestations figurent aux paragraphes 15 à 17 de l’arrêt Kop c. Turquie (no 12728/05, §§ 15-17, 20 octobre 2009).
L’article 6 § 1 de la loi no 647 sur l’exécution des peines se lit ainsi :
« Quiconque n’ayant jamais été condamné (...) à une peine autre qu’une amende se voit infliger (...) une amende (...) et/ou une peine d’emprisonnement d’un an [maximum] peut bénéficier d’un sursis à l’exécution de cette peine, si le tribunal est convaincu que [l’auteur], compte tenu de [sa] propension à transgresser ou non la loi, se gardera de récidiver si on lui accorde un tel sursis (...) »
La loi no 4483 relative aux poursuites contre les fonctionnaires, entrée en vigueur le 2 décembre 1999, dispose dans son article 9 que les décisions rendues par les organes administratifs compétents sur les demandes d’ouverture d’enquêtes pénales formulées par les parquets et mettant en cause un fonctionnaire sont susceptibles d’opposition dans un délai de dix jours. Les juridictions administratives sont seules compétentes pour connaître de telles oppositions et leurs décisions sont définitives. À la suite de la promulgation de la loi d’amendement no 4778, les poursuites pour mauvais traitements (article 243 de l’ancien code pénal et articles 94 et 95 du nouveau code pénal du 26 septembre 2004) et pour recours excessifs à la force (article 245 de l’ancien code pénal et article 256 du nouveau code pénal) par des agents de l’État ont été exclues du champ d’application de la loi no 4483 (Çamçı et autres c. Turquie, no 25172/02, §§ 21-22, 24 février 2009). À l’heure actuelle, l’instruction de tels actes relève du droit commun et donc de la compétence exclusive des procureurs de la République. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1979 et réside à Labruge (Portugal).
Par un jugement, devenu définitif, du 23 mai 2008, le tribunal du travail de Porto condamna la société R., ancien employeur du requérant, à verser à ce dernier 21 291,75 euros au titre d’arriérés de salaires et pour licenciement abusif.
La société ne s’étant pas conformée au jugement, le 4 septembre 2008, le requérant saisit à nouveau le tribunal du travail de Porto en vue d’obtenir l’exécution forcée du jugement.
Le 10 septembre 2008, un huissier de justice (solicitador de execução, aujourd’hui, agente de execução) fut nommé par le tribunal pour entreprendre les démarches nécessaires à l’exécution du jugement du 23 mai 2008.
Le 30 septembre 2008, l’huissier pria le tribunal du travail d’ordonner la saisie de tous les comptes bancaires de la société R. Le même jour, le tribunal rendit une ordonnance faisant droit à cette demande.
À une date non précisée, l’huissier de justice demanda au tribunal si l’assistance judiciaire dont l’intéressé avait bénéficié devant le tribunal du travail couvrait également la procédure d’exécution. La délégation de Porto de la sécurité sociale le confirma le 24 mars 2009.
Le 8 mai 2009, l’huissier informa le tribunal que la société R. avait été dissoute et qu’elle n’était plus immatriculée au registre des entreprises au Portugal.
Le 21 mai 2009, cette information fut portée à la connaissance du requérant.
Le tribunal demanda au requérant s’il souhaitait poursuivre l’instance même si l’exécution s’annonçait difficile compte tenu que les associés étaient de nationalité espagnole et n’étaient pas domiciliés au Portugal.
Le 8 juin 2009, le requérant confirma vouloir continuer la procédure. Il demanda au tribunal du travail d’émettre un certificat constatant la force exécutoire du jugement du 23 mai 2008, conformément au Règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, dit « Bruxelles I ». Relevant que la société R. ne semblait disposer d’aucun bien au Portugal, il estimait qu’il fallait saisir les juridictions espagnoles d’une procédure d’exécution contre l’associé principal de la société, M. R., un ressortissant espagnol demeurant à Badajoz (Espagne).
Le 16 juin 2009, le tribunal délivra le titre exécutoire demandé par le requérant et l’envoya au requérant le 14 juillet 2009.
Le 17 juillet 2009, le requérant transmit ladite déclaration à l’huissier de justice, le priant de poursuivre l’exécution en Espagne.
Par télécopie du 13 octobre 2009, l’avocat d’office du requérant demanda à l’huissier des renseignements sur l’état de la procédure.
Par une lettre du 29 octobre 2009, adressée à l’avocat d’office du requérant, se référant au Règlement (CE) no 805/2004 du Parlement européen et du Conseil, l’huissier estima ne pas avoir de compétence pour introduire l’exécution en cause auprès des tribunaux espagnols.
Par une ordonnance du 2 décembre 2009, le tribunal sollicita du requérant des informations sur les démarches qu’il avait entreprises devant les juridictions espagnoles.
Le 16 décembre 2009, l’avocat d’office du requérant demanda au juge d’indiquer qui, de lui-même ou de l’huissier, devait introduire la procédure d’exécution en Espagne.
Par une ordonnance du 4 janvier 2010, le juge décida qu’il appartenait à l’huissier d’entamer la procédure d’exécution devant les juridictions espagnoles. Le jour suivant, cette ordonnance fut portée à la connaissance du requérant et de l’huissier.
En février et en mars 2010, le tribunal demanda à l’huissier des renseignements sur l’état de la procédure.
Le 31 mars 2010, l’huissier informa le tribunal qu’il avait transmis, le 18 février, le titre exécutoire aux juridictions espagnoles et qu’il attendait leur retour.
Le 17 mai 2010, le tribunal de première instance (juzgado de primera instancia) d’Almendralejo, en Espagne, indiqua au tribunal du travail de Porto que le juge espagnol de paix de Cortegana avait été saisi de l’affaire. Cette information fut portée à la connaissance de l’huissier le 25 mai suivant.
Le 18 juin 2010, le tribunal demanda à l’huissier quelles avaient été les démarches qu’il avait entreprises.
Le 17 août 2010, l’huissier déclara que, selon les informations qu’il avait reçues des juridictions espagnoles, la signification du jugement du tribunal du travail de Porto avait été remise à la belle-sœur de l’associé principal de la société.
Par une ordonnance du 16 septembre 2010, le tribunal ordonna à l’huissier de poursuivre les démarches en vue d’obtenir le paiement de la créance du requérant.
Par des ordonnances du 21 octobre et du 20 novembre 2010, le tribunal demanda à l’huissier des informations sur l’état de la procédure.
Le 8 décembre 2010, l’huissier demanda la levée du secret concernant les données relatives au patrimoine de l’associé principal de la société. Le 15 décembre, le tribunal fit droit à cette demande.
Le 31 janvier 2011, l’huissier saisit l’administration fiscale d’Elvas afin d’obtenir des renseignements sur le patrimoine et les revenus dudit associé. La réponse de l’administration fiscale fut jointe au dossier de la procédure le 6 avril 2011 et portée à la connaissance du requérant le 13 avril.
Le 3 mai 2011, le requérant informa le tribunal qu’il avait demandé à l’huissier de poursuivre l’exécution en Espagne étant donné que les associés ne disposaient pas de biens au Portugal.
Par une ordonnance du 5 mai 2011, le juge demanda à l’huissier des informations sur l’état de la procédure. Il renouvela cette demande le 1er septembre. Le 19 septembre suivant, il indiqua à l’huissier qu’un défaut de réponse serait sanctionné par une amende.
Aux dernières informations reçues, lesquelles remontent au 23 octobre 2013, la procédure était toujours pendante.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET EUROPÉENS PERTINENTS
A. Le droit de l’Union européenne
Le Règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, dit « Bruxelles I », détermine la compétence des tribunaux en matière civile et commerciale. Il stipule que les décisions rendues dans un État membre de l’Union européenne sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure sauf en cas de contestation. Une déclaration relative à la force exécutoire d’une décision doit être délivrée après un simple contrôle formel des documents fournis, sans que la juridiction puisse soulever d’office un des motifs de non-exécution prévus par le règlement. Concernant la compétence territoriale des tribunaux, l’article 20 du Règlement dispose :
« Sont seuls compétents, sans considération de domicile :
(...)
en matière d’exécution des décisions, les tribunaux de l’État membre du lieu de l’exécution. »
Le Règlement (CE) no 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 a créé un titre exécutoire européen pour les créances incontestées. Il établit des normes minimales afin d’assurer que les décisions, transactions judiciaires et actes authentiques portant sur des créances incontestées puissent circuler librement.
B. Le droit et la pratique internes
La procédure d’exécution au Portugal a été modifiée de manière substantielle par les décrets-lois no 38/2003, du 8 mars 2003, et no 226/2008, du 20 novembre 2008 et la dernière réforme du code de la procédure civile apportée par la loi no 41/2013 du 26 juin 2013.
Avant le décret-loi no 226/2008, il incombait à l’huissier de justice (solicitador de execução ou agente de execução depuis le décret-loi no 226/2008) d’effectuer, sous le contrôle du juge chargé de l’exécution, toutes les démarches inhérentes à la procédure d’exécution et notamment les citations à comparaître, les assignations et les publications. Collaborateur de la procédure, sous contrôle de la chambre des huissiers (Câmara dos Solicitadores) et dans un lien de dépendance à l’égard du juge chargé de l’exécution, l’huissier de justice exerçait ses compétences spécifiques d’agent de l’exécution et les autres tâches qui lui étaient attribuées par la loi.
Au moment où l’action en exécution a été introduite au niveau interne (c’est-à-dire avant le décret-loi no 226/2008), l’article 808 du code de procédure civile disposait dans ses parties pertinentes :
« 1. Il appartient à l’huissier de justice (...) d’effectuer toutes les démarches de la procédure d’exécution (...), sous le contrôle du juge (...).
(...)
L’huissier de justice désigné ne peut être relevé de ses fonctions que par une décision du juge de l’exécution, d’office ou à la demande du demandeur, pour malveillance ou négligence dans l’activité procédurale ou pour violation grave des devoirs qui lui sont imposés (...).
(...). »
Depuis le décret-loi no 226/2008 du 20 novembre 2008, applicable aux procédures introduites après son entrée en vigueur (articles 22 et 23 du décret-loi), le demandeur peut choisir et librement dessaisir l’huissier de justice. Les huissiers peuvent aussi être relevés de leurs fonctions par l’organe disciplinaire compétent, la Commission pour l’Efficacité des Exécutions, en cas de conduite fautive avec dol ou négligence ou pour violation grave de leurs devoirs, après une investigation sommaire des faits. Ceci n’a pas été modifié par la dernière réforme du code de procédure civile apportée par la loi no 41/2013 du 26 juin 2013. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont nés respectivement en 1978 et 1967 et résident à Canas de Senhorim (Portugal) et Luanda (Angola).
Dans son édition du 13 septembre 2002, le Jornal do Centro, un hebdomadaire couvrant la région de Viseu dont la deuxième requérante était à l’époque la directrice, publia un article, signé par le premier requérant, sur le don de certains biens ayant appartenu au tribunal de São Pedro do Sul à une institution privée de solidarité sociale de cette même ville, la Misericórdia.
Le journal annonça ainsi en couverture le titre « Misericórdia sous le poids des soupçons ». Dans le sous-titre, il était écrit :
« Le tribunal de São Pedro do Sul a distribué de vieux meubles par l’intermédiaire d’associations de la commune, comme prévu par la loi. La Misericórdia a reçu la moitié des biens. Ce « privilège » soulève des soupçons de favoritisme envers des intérêts particuliers. Une partie des meubles a échoué chez les fonctionnaires. »
Dans son article, le premier requérant faisait état de la décision du secrétaire du tribunal de São Pedro do Sul, B., de donner 34 des 69 meubles en cause à la Misericórdia, ainsi que du fait que d’autres associations locales, comme le Termas Hoquei Club, l’Associação Cultural e Recreativa de Arcozelo et le Alafum s’estimaient lésées et faisaient état d’un certain mécontentement et de soupçons. L’article contenait les déclarations de B., qui soulignait avoir suivi et respecté le formalisme légal applicable. Un autre article, publié à côté de celui du requérant, mais signé par un autre journaliste, recueillait la réaction du directeur de la Misericórdia. Le premier requérant avait également consulté la direction générale de l’administration de la justice du Ministère de la justice, dont les explications furent publiées.
Dans la même édition, la deuxième requérante fit publier un éditorial critiquant le don des meubles. L’éditorial s’exprimant notamment comme suit :
« (...) On prend les meubles et on les donne. Sans concours. Sans critère. Sans la préoccupation d’informer les éventuels intéressés. Vraiment tous. On concentre des objets dans une seule main. Allez savoir pourquoi. Et au nom de qui. Ce n’est pas étonnant que des soupçons se lèvent. Ce n’est pas étonnant que les plaintes se succèdent. Ce n’est pas étonnant que la justice se change en injustice. Et tout cela alors qu’il aurait suffi de prendre un peu plus de précautions. »
À une date non précisée, B. et la Misericórdia déposèrent des plaintes pénales avec constitution d’assistente (auxiliaire du ministère public) devant le parquet de São Pedro do Sul. Des poursuites furent ouvertes et le ministère public accusa les requérants du chef de diffamation.
Par un jugement du 15 juin 2009, le tribunal de São Pedro do Sul jugea les requérants coupables de diffamation à l’encontre de la Misericórdia et de diffamation aggravée à l’encontre de B., et condamna le premier requérant à une peine cumulée de 270 jours-amende et la deuxième requérante à une peine cumulée de 290 jours-amende, au même taux journalier de 7 euros (EUR). Il condamna par ailleurs les requérants au versement de 3 500 EUR, plus les intérêts y afférents, à chacun des plaignants, ainsi qu’au paiement des frais de justice. Le tribunal considéra notamment que, même si les requérants avaient mené une enquête journalistique sérieuse, la teneur des articles laissait les lecteurs croire que B. avait agi de manière partiale et dans l’intérêt de la Misericórdia. Ce faisant, les requérants avaient dépassé les limites admissibles et ainsi diffamé les plaignants.
Par un arrêt du 10 mars 2010, la cour d’appel de Coimbra confirma le jugement en toutes ses dispositions. Se prononçant sur la violation alléguée de l’article 10 de la Convention, invoquée par les requérants, la cour d’appel fit notamment les considérations suivantes :
« Dans l’interprétation et l’application [de l’article 10 de la Convention] en ce qui concerne la liberté de la presse, la Cour européenne des droits de l’homme a révélé une cohérence très marquée dans le sens d’une protection forte, agissant parfois même comme une véritable quatrième instance. Malgré cela, l’on considère que : l’imputation de faits sous forme de soupçon ; de faussetés moyennant de soupçons à partir de faits véritables ; d’insinuations malicieuses, même si puisées en partie sur des faits réels, ne doivent pas être accueillies sous le voile protecteur du devoir d’informer et du droit à être informé, même si appuyées dans un prétendu droit à la liberté d’expression. »
La Misericórdia refusa le paiement des dommages intérêts. Le 20 mai 2010, les requérants versèrent la somme de 4 353,42 EUR à B.
II. LE DROIT PERTINENT
A. Le Code pénal
L’article 180 du code pénal, qui concerne la diffamation, dispose notamment :
« 1. Celui qui, s’adressant à des tiers, accuse une autre personne d’un fait, même sous forme de soupçon, ou qui formule, à l’égard de cette personne, une opinion portant atteinte à son honneur et à sa considération, ou qui reproduit une telle accusation ou opinion, sera puni d’une peine d’emprisonnement jusqu’à six mois ou d’une peine jusqu’à 240 jours-amende.
La conduite n’est pas punissable :
a) lorsque l’accusation est formulée en vue d’un intérêt légitime ; et
b) si l’auteur prouve la véracité d’une telle accusation ou s’il a des raisons sérieuses de la croire vraie de bonne foi.
(...)
La bonne foi mentionnée à l’alinéa b) du paragraphe 2 est exclue lorsque l’auteur n’a pas respecté son obligation imposée par les circonstances de l’espèce de s’informer sur la véracité de l’accusation. »
Aux termes de l’article 183 § 2 de ce code, lorsque l’infraction est commise par l’intermédiaire d’un organe de presse, la peine encourue peut atteindre deux ans d’emprisonnement ou une sanction non inférieure à 120 jours-amende.
B. Le Code civil
Les dispositions pertinentes du code civil se lisent ainsi :
Article 70 (Protection générale de la personne)
« 1. La loi protège les individus contre les atteintes ou les menaces d’atteintes illicites contre leur personnalité physique ou morale.
Sans préjudice de la responsabilité civile à laquelle donnerait lieu l’atteinte, la personne visée peut demander des mesures, adéquates aux circonstances de l’affaire, dans le but d’éviter la mise à exécution d’une menace ou d’atténuer les conséquences d’une atteinte. »
Article 483 (Principe général)
« Quiconque, par un dol ou une faute simple, porte atteinte de manière illicite à un droit d’autrui ou à une quelconque disposition légale ayant pour but la protection des intérêts d’autrui doit indemniser la personne lésée pour les dommages résultant d’un tel acte.
(...) »
Article 484 (Atteinte à la réputation ou au bon nom)
« Quiconque énonce ou fait connaître un fait susceptible de porter atteinte à la réputation ou au bon nom d’une personne physique ou morale répondra des dommages causés. »
III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONALE PERTINENTS
Les dispositions pertinentes de la Résolution 1577 (2007) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (« vers une dépénalisation de la diffamation ») se lisent ainsi :
« 9. L’Assemblée rejoint la position claire du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, qui a dénoncé les menaces de poursuites pour diffamation comme «une forme particulièrement insidieuse d’intimidation». L’Assemblée considère qu’une telle dérive dans le recours aux législations anti-diffamation est inacceptable.
Par ailleurs, l’Assemblée salue les efforts déployés par le représentant pour la liberté des médias de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en faveur de la dépénalisation de la diffamation, et son engagement constant pour la liberté des médias.
Elle constate avec une vive inquiétude que de nombreux Etats membres prévoient des peines d’emprisonnement en cas de diffamation et que certains persistent à y recourir en pratique (...)
Chaque cas d’emprisonnement d’un professionnel de la presse est une entrave inacceptable à la liberté d’expression et fait peser une épée de Damoclès sur les journalistes dans l’exercice de leur travail d’intérêt public. C’est la société tout entière qui pâtit des conséquences des pressions que peuvent ainsi subir des journalistes muselés dans l’exercice de leur métier.
Par conséquent, l’Assemblée considère que les peines carcérales pour diffamation devraient être abrogées sans plus de délai. Elle exhorte notamment les Etats dont les législations prévoient encore des peines de prison – bien que celles-ci ne soient pas infligées en pratique – à les abroger sans délai, pour ne donner aucune excuse, quoique injustifiée, à certains Etats qui continuent d’y recourir, entraînant ainsi une dégradation des libertés publiques.
L’Assemblée dénonce également le recours abusif à des dommages et intérêts démesurés en matière de diffamation et rappelle qu’une indemnité d’une ampleur disproportionnée peut aussi violer l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. » | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est un syndicat, Tüm Bel-Sen (« Tüm Belediye ve Yerel Yönetim Hizmetleri Emekçileri Sendikası »), fondé en 1990 par des fonctionnaires appartenant à des diverses municipalités et qui sont soumis à la loi no 657 sur les fonctionnaires d’État. Son siège se trouve à Istanbul.
À des dates non précisées, le requérant conclut avec les municipalités d’Ordu (requête no 38927/10) et de Bademli (requêtes nos 47475/10 et 47476/10) des conventions collectives. Ces conventions concernaient tous les aspects des conditions de travail dans les services des municipalités concernées, notamment les salaires, les allocations et les services d’action sociale. En application de ces conventions, les municipalités versèrent à leurs fonctionnaires, membres du syndicat requérant, certaines allocations supplémentaires vis-à-vis des salaires fixés par la loi.
Ces conventions firent l’objet d’un examen de la Cour des comptes qui, par des décisions devenues définitives les 24 mars 2009 (requête no 38927/10) et 16 juin 2009 (requêtes nos 47475/10 et 47476/10), estima que les comptables ayant autorisé et effectué le paiement des allocations supplémentaires en cause devaient les rembourser au budget de l’État.
La Cour des comptes rappela à cet égard que le statut des fonctionnaires, y compris le salaire et les allocations auxquels ils avaient droit, était fixé par la loi no 657, à laquelle les fonctionnaires des municipalités étaient également soumis, et que les fonctionnaires ne pouvaient pas percevoir de revenus autres que ceux prévus par la loi. Elle considéra que, depuis la modification de l’article 53 de la Constitution en date du 23 juillet 1995 et l’adoption de la loi no 4688 sur les syndicats des fonctionnaires en date du 25 juin 2001, ces syndicats avaient certes le droit d’engager des négociations collectives sous certaines conditions de représentativité, mais non le droit de conclure directement avec les administrations concernées des conventions collectives valides, contrairement à ce que pouvaient faire les syndicats de salariés de droit commun avec leurs employeurs.
Les arrêts définitifs rendus le 24 mars 2009 par la Cour des comptes furent notifiés aux comptables mis en cause de la municipalité d’Ordu le 6 novembre 2009.
Quant à la municipalité de Bademli, les arrêts définitifs rendus le 16 juin 2009 par la Cour des comptes furent notifiés aux comptables mis en cause le 22 février 2010.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Pour le droit interne et international pertinent, voir l’arrêt Demir et Baykara c. Turquie ([GC], no 34503/97, §§ 34-51, 12 novembre 2008).
Selon l’article additionnel 8 de la loi no 6009 entrée en vigueur le 27 juillet 2010, les comptables ayant autorisé et effectué le paiement des allocations sous le nom d’aides sociales des fonctionnaires ne sont plus dans l’obligation de rembourser au budget de l’État le surplus des allocations perçues en application des conventions collectives conclues par les syndicats requérants.
Par une modification apportée le 4 avril 2012 à la loi 4688, le droit de négocier des conventions collectives et de les conclure en cas d’accord avec l’Administration a été clairement reconnu pour les syndicats des fonctionnaires. | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1954 et réside actuellement à Bucarest.
A. La condamnation du requérant pour escroquerie, faux et usage de faux
En avril 2001, le requérant signa, en tant que représentant d’une société ayant son siège aux États-Unis, l’acte de vente d’un immeuble sis à Bucarest. Pour le paiement de son achat, le requérant utilisa une traite bancaire délivrée par une banque néerlandaise. Les vendeurs saisirent les organes de police de Bucarest d’une plainte pénale pour escroquerie, indiquant que la banque néerlandaise et la société au nom de laquelle le requérant avait signé l’acte n’existaient pas.
Parallèlement, le requérant fut soupçonné d’avoir acquis la propriété de différents biens immeubles à Bucarest au moyen de faux pouvoirs émis aux États-Unis en sa faveur par des citoyens roumains qui avaient été les propriétaires de biens immobiliers en Roumanie. Le parquet retint que le requérant avait utilisé lesdits pouvoirs afin de revendiquer la propriété d’immeubles nationalisés et d’en vendre. Le parquet retint également la vente par le requérant, en 2001, de deux maisons sises à Bucarest, appartenant à des tierces personnes, au moyen de faux pouvoirs. Il ressort des éléments du dossier que les affaires furent jointes.
Par un jugement du 21 septembre 2005, le tribunal départemental de Bucarest condamna le requérant à douze ans de prison ferme pour escroquerie, faux et usage de faux. Les juges conclurent, après avoir analysé les éléments de preuve (copies des actes de vente des immeubles, copies des pouvoirs, témoignages, déclarations, interrogatoires) que le requérant était à l’origine de la vente illégale de plusieurs biens immeubles au moyen de faux documents. Le tribunal ordonna également l’annulation des actes de vente frauduleusement conclus et condamna le requérant à dédommager les parties civiles à hauteur d’environ 50 000 EUR.
Le 14 février 2007, la cour d’appel de Bucarest, sur appel du requérant, cassa partiellement le jugement du 21 septembre 2005, réduisit la peine à dix ans de prison ferme et maintint les autres dispositions du jugement. Les juges de la cour d’appel estimèrent que, malgré la culpabilité et la malhonnêteté du requérant, qui était de plus récidiviste, la peine de douze ans était disproportionnée et qu’une réduction s’imposait. Il ressort des éléments du dossier que le requérant a purgé sa peine d’emprisonnement au centre de détention de Rahova jusqu’au 2 décembre 2008.
B. Les conditions de détention dans le centre de détention de Jilava
Les conditions de détention telles que décrites par le requérant
Le 2 décembre 2008, le requérant fut transféré à la prison de Bucarest-Jilava et placé dans la cellule no 511.
S’appuyant sur soixante photos prises par lui-même, il dénonce les conditions dans lesquelles il y séjourna. D’abord, cette cellule, qui d’après lui mesurait 28 m2 et était équipée de lits en fer rouillé surmontés de vieux matelas pleins de vermine, était occupée par une vingtaine de détenus. Ensuite, le système de chasse d’eau dans les toilettes y aurait été déficient, dégageant ainsi des odeurs nauséabondes. De surcroît, ce qui y tenait lieu de lavabo était un simple bac en béton, dont certains détenus se servaient comme d’un réfrigérateur.
Le requérant indique par ailleurs que la porte des toilettes était complètement détruite, que l’unique robinet était hors service, qu’au début de sa détention les douches restèrent plusieurs mois sans eau chaude, que par la suite il n’y eut d’eau chaude qu’une heure par semaine, pour une population de 300 détenus, et que la poubelle, placée à l’intérieur de la cellule, n’était pas vidée régulièrement et dégageait de fortes odeurs.
Il ajoute que le bas de la porte de la cellule permettait le passage des rats et des souris, qui selon lui étaient légion, tout comme les poux, les punaises et différentes espèces de cafards, que les fenêtres de la cellule étaient cassées et qu’elles laissaient pénétrer la pluie, que l’éclairage (une seule ampoule de 40 watts) était très faible et qu’il y avait une absence totale de linge de lit.
Enfin, il affirme que certains des 20 détenus partageant la même cellule avaient contracté la tuberculose, la syphilis ou l’hépatite, que certains détenus fumaient et que d’autres se droguaient à l’héroïne, que les médicaments dispensés pour le traitement des diverses affections étaient périmés, qu’il n’y avait aucune possibilité d’accès à un service d’urgence, que le seul service médical disponible consistait en un contrôle médical sommaire, que la consultation d’un stomatologue nécessitait un délai d’attente de huit mois à un an et que la nourriture était insuffisante.
Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement
Le Gouvernement confirme que le requérant a été incarcéré le 2 décembre 2008 dans la prison de Bucarest-Jilava (cellule no 511). S’appuyant sur une lettre de l’administration nationale des prisons (ANP) en date du 20 octobre 2010, il indique que le requérant a été libéré le 29 juin 2010.
Il expose que la cellule en cause mesurait 42,84 m², qu’elle était pourvue de deux fenêtres (135 x 62 cm et 135 x 135 cm) et qu’elle était équipée de deux toilettes séparées par un mur et accessibles par une porte. Il affirme ne pas détenir d’informations exactes quant au nombre de lits que comptait la cellule, mais explique que des lits supplémentaires pouvaient être ajoutés en fonction du nombre de détenus incarcérés. Quant au nombre moyen des codétenus du requérant, il fournit des chiffres allant de 14 à 18 pour la période comprise entre décembre 2008 et juin 2010.
Le Gouvernement indique par ailleurs qu’un espace destiné à la conservation des denrées alimentaires non périssables était prévu dans la cellule, que dans cette section de la prison les détenus disposaient également de deux réfrigérateurs, que la prison bénéficiait d’un système de chauffage, que les détenus avaient accès, deux fois par semaine, à un espace sanitaire comprenant 11 douches, que selon les informations fournies par l’ANP les détenus avaient l’obligation de veiller à la bonne hygiène de leur cellule et des toilettes, que des draps furent mis à la disposition du requérant, que les locaux étaient désinfectés une fois par trimestre au moins, que le régime alimentaire dont le requérant a bénéficié dans cette prison répondait aux normes imposées par le ministère de la Justice, et, enfin, qu’il était formellement interdit aux détenus de fumer dans les cellules et que les fumeurs avaient accès à des endroits spécialement aménagés à cet effet.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues, ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumées dans les arrêts Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113129, 24 juillet 2012) et Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).
Le CPT a dressé un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents établissements pénitentiaires roumains visités en janvier 1999 et en juin 2006, dont la prison de Bucarest-Jilava. Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT s’est montré très préoccupé par le fait que le surpeuplement des prisons demeurait un problème persistant à l’échelon national. Qualifiant d’« atterrantes » les conditions matérielles de détention dans certaines cellules de la prison de Bucarest-Jilava en raison, notamment, du surpeuplement chronique, du manque constant de lits, des conditions d’hygiène déplorables et de l’insuffisance d’activités éducatives pour les détenus, le CPT a recommandé aux autorités roumaines de prendre des mesures immédiates afin de réduire de façon significative le taux d’occupation des cellules. La direction de la prison a attiré l’attention de la délégation du CPT sur le fait que les conditions matérielles étaient « extrêmement médiocres » dans l’ensemble de la prison.
Les extraits pertinents de la Recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptée le 11 janvier 2006, sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009) et Rupa c. Roumanie (no 1) (no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1971 et réside à Vérone. Au moment des faits il était sans domicile fixe.
A. L’arrestation du requérant
Le 11 mars 2010, vers 17 heures, le requérant se trouvait dans un bar à Cerea. Il demanda à la gérante du bar, M.T., à pouvoir utiliser son téléphone portable afin de passer un appel urgent. Celle-ci y consentit et lui prêta son téléphone. Après quelques minutes, ayant remarqué que la conversation se prolongeait, elle demanda au requérant de lui rendre le téléphone, mais celui-ci refusa. Le requérant s’adressa à la gérante sur un ton arrogant et provocateur, de sorte qu’un autre client du bar appela les carabiniers.
Après quelques minutes, deux carabiniers, S.R. et L.B., arrivèrent sur les lieux et demandèrent au requérant de présenter une pièce d’identité, ce qu’il refusa. Les carabiniers enjoignirent au requérant de les suivre au poste mais l’intéressé refusa et se mit à crier et à les insulter. Les carabiniers procédèrent alors à l’arrestation en flagrant délit du requérant et l’amenèrent au poste de Cerea (comando dei carabinieri) en voiture.
Le procès-verbal relatif à l’arrestation du requérant, daté du même jour, fait état de ce que S.R. et L.B. s’étaient rendus sur les lieux à la demande d’une personne qui avait signalé que le requérant était en train de menacer la gérante du bar. Arrivés sur place, ils avaient vu que le requérant insultait la gérante. Invité à présenter une pièce d’identité, le requérant avait refusé et – défiant leur présence (sprezzante della loro presenza) – il s’était assis sur une chaise et avait résisté passivement. Invité à nouveau à présenter une pièce d’identité par les deux carabiniers, le requérant avait répondu « j’ai une maîtrise en droit et vous ne pouvez rien me demander, je peux faire ce que je veux et vous ne devez pas me casser les c.(....). Je suis dans ce café, je lis un livre et vous me cassez les c.(...) ». Étant donné le refus du requérant et vu la présence d’autres clients dans le café, les carabiniers demandèrent au requérant de sortir du bar pour le conduire au poste. Le requérant refusa, il s’adressa à L.B. et le menaça en lui disant « je te tue, je tue ta fille et ta femme, je te trouverai car je suis dans les parages et je viendrai te chercher pour te tuer ». Soudainement, le requérant essaya de frapper L.B. ; il n’y arriva pas grâce à la prompte réaction de S.R. Les deux carabiniers étaient parvenus difficilement (a fatica) à le maîtriser grâce à la pose de menottes. Une fois sorti du bar, alors qu’il montait dans la voiture des carabiniers, le requérant avait essayé de se débattre et de frapper L.B. au visage. Ce dernier avait réussi à éviter le coup. Pendant le trajet vers le poste des carabiniers, le requérant avait continué à invectiver et à menacer les carabiniers. Arrivé à la station, le requérant avait été identifié. Il maintenait une conduite agressive et violente au motif qu’il s’agitait par terre, qu’il proférait des phrases injurieuses et menaçantes envers tous et il tentait de donner des coups de pieds à ceux qu’il voyait. À l’aide d’autres membres du personnel, les carabiniers étaient parvenus à faire entrer le requérant dans la cellule de sûreté (camera di sicurezza). Le requérant s’infligea des blessures en donnant des coups de tête dans la porte de la cellule. Les carabiniers avaient contacté le ministère public. Celui-ci avait ordonné le placement du requérant en cellule de sûreté au poste des carabiniers et son transfert au tribunal le lendemain matin, pour qu’il soit présenté au juge en procédure de comparution immédiate (direttissima). À la suite des coups reçus, L.B. s’était rendu à l’hôpital de Legnago, où le médecin avait constaté des excoriations aux poignets, guérissables en cinq jours. L.B. avait porté plainte contre le requérant pour les lésions subies. Étant donné le flagrant délit (violence et menace dirigées contre un officier public, opposition aux actes de l’autorité, outrage d’un officier public, lésions corporelles simples, refus de fournir son identité), ainsi que la gravité des faits reprochés, compte tenu de la dangerosité sociale de l’intéressé, des graves soupçons pesant à son encontre, de son casier judiciaire et du fait qu’il était sans domicile fixe, le requérant fut arrêté à 17h30.
En outre, le procès-verbal faisait état de ce que le ministère public avait finalement décidé de transférer le requérant à la maison d’arrêt de Vérone Montorio. Le lendemain matin, l’intéressé serait conduit au tribunal de Vérone par le personnel de la prison.
Il ressort du dossier que M.G. – le commandant du poste des carabiniers de Cerea – contacta le ministère public pour savoir s’il pouvait conduire le requérant à la maison d’arrêt de Vérone Montorio pour qu’il y passe la nuit plutôt que dans un poste des carabiniers. Le ministère public refusa. Le commandant décida alors de transférer le requérant pour la nuit au poste des carabiniers de Legnago, et de s’arrêter en cours de route aux urgences de l’hôpital de Legnago.
Le service des urgences de l’hôpital de Legnago enregistra l’arrivée du requérant à 20h29. Le certificat médical établi par le praticien du service des urgences mentionne que le requérant avait été amené par les forces de l’ordre à cause de son état d’agitation. Le diagnostic confirma l’agitation psychomotrice du requérant. Par ailleurs, l’intéressé présentait un traumatisme crânien, un hématome sur le front et des excoriations sur les mains. L’examen du thorax et de l’abdomen ne révéla aucun problème (obiettività toracicoaddominale negativa). Le médecin soigna la blessure au front et fit au requérant une injection intraveineuse (Propofol 150 mg et Midazolam 3 mg) afin d’obtenir la sédation de l’intéressé. Le pronostic pour la guérison fut établi à « zéro jour ». La consultation se termina à 20h44 et les carabiniers et le requérant quittèrent l’hôpital.
Une fois sortis de l’hôpital, les carabiniers sollicitèrent pour la deuxième fois l’accord du ministère public pour conduire le requérant à la maison d’arrêt de Vérone plutôt que dans une de leurs casernes. A l’appui de leur demande, ils alléguaient que, malgré la sédation, le requérant les menaçait de se venger et avait, de ce fait, toujours une conduite agressive.
Le ministère public donna son accord au placement du requérant à la maison d’arrêt de Vérone Montorio et les carabiniers l’y amenèrent.
Legnago est situé à une distance de 44 kilomètres par la route par rapport à Vérone, et de 51 kilomètres par rapport à Montorio. L’hôpital de Legnago et le poste des carabiniers sis dans la même ville sont à 1,7 km de distance.
Le Gouvernement a fait savoir que les carabiniers n’ont pas rédigé de rapport de service concernant les évènements du 11 mars 2010.
B. Le placement du requérant à la maison d’arrêt de Vérone
À son entrée à la maison d’arrêt, le requérant fut examiné par le service médical avant 22 heures (l’horaire indiqué sur la fiche médicale est de 21h00 (...) – les minutes n’étant pas lisibles). Il ressort du compte-rendu médical que le requérant était conscient, lucide et tranquille. Il présentait un hématome sur le front au niveau de l’arcade sourcilière droite ; que ses membres étaient mobiles ; qu’il n’y avait pas de fractures manifestes ; qu’il y avait des égratignures sur les mains ; qu’il n’y avait rien de pathologique à l’appareil uro-génital. Le médecin prescrivit un médicament (nom illisible) sous forme de pilules. Il ressort en outre d’un document manuscrit, non daté et vraisemblablement rédigé par le même médecin qui rédigea la fiche relative à la consultation médicale, que le requérant déclara avoir été frappé par les carabiniers durant l’arrestation (nelle fasi dell’arresto) et qu’il ressentait des douleurs à la quatrième et à la cinquième côte gauche.
Le requérant fut placé dans une cellule individuelle, située dans un quartier de la prison où l’administration pénitentiaire était certaine qu’il n’y aurait pas de risque de bagarres.
Le 13 mars 2010, en raison de fortes douleurs à l’aine et au thorax, le requérant demanda à voir en urgence le médecin de la prison. Ce dernier l’examina, rédigea un compte-rendu à 12h00 et envoya l’intéressé d’urgence à l’hôpital de Borgo Trento. Le requérant fut examiné par un médecin des urgences de l’hôpital à 14h15. Les examens pratiqués sur le requérant mirent en évidence la fracture de trois côtes et un hématome du testicule gauche entraînant une incapacité temporaire totale de vingt jours. Ces lésions étaient compatibles avec une origine traumatique.
Rentré à la maison d’arrêt le soir du 13 mars 2010, le requérant déclara à la police pénitentiaire de la maison d’arrêt de Vérone que les lésions qui venaient d’être constatées à l’hôpital lui avaient été infligées par les carabiniers pendant qu’il était entre leurs mains. Ces lésions avaient déjà été signalées au médecin de la prison au moment de son arrivée le soir du 11 mars 2010. La déclaration faisait état de ce que le requérant avait demandé à voir le médecin de la prison en urgence le 13 mars au matin et que celui-ci l’avait fait conduire à l’hôpital en fin de matinée. Le requérant précisa que pendant son séjour à la maison d’arrêt, il n’avait eu aucune bagarre ou accrochage, ce qui renforçait ses allégations selon lesquelles ces lésions étaient survenues antérieurement.
Le 17 mars 2010, l’urologue de l’hôpital examina le requérant et confirma que l’hématome au testicule gauche pouvait résulter d’un traumatisme. Le 18 mars 2010, le requérant fut conduit à nouveau à l’hôpital pour des examens radiologiques au thorax.
C. L’audience du 12 mars 2010
Le 12 mars 2010, le requérant fut amené au tribunal de Vérone pour la validation de l’arrestation en flagrant délit (menaces et résistance à l’égard de L.B. et S.R., ainsi que coups et blessures infligées à L.B.) et pour la procédure de comparution immédiate (per direttissima). Il était assisté d’un avocat commis d’office.
Pendant l’audience, le requérant admit qu’il avait été verbalement agressif vis-à-vis des carabiniers mais nia avoir été physiquement violent, arguant du fait qu’il avait été menotté tout le temps. Il avait été agressé et frappé à répétition (ripetutamente) par les carabiniers qui l’avaient menotté dans le dos. Il portait encore les traces des menottes et avait les côtes cassées. Il savait que sa parole ne valait rien face à celle d’un carabinier. Suite à cette plainte, le tribunal transmit le dossier au procureur de la République.
Par ailleurs, le juge valida l’arrestation et ordonna le placement du requérant en détention provisoire.
Les parties n’ont pas informé la Cour sur l’issue de la procédure pénale ouverte à l’encontre du requérant.
D. L’enquête ouverte suite aux déclarations de mauvais traitements
Le 16 mars 2010, l’administration pénitentiaire de Vérone adressa au tribunal de Vérone un dossier concernant le requérant au motif que celui-ci présentait au moment de son arrivée en prison des signes des lésions. Le dossier contenait les déclarations du requérant et les documents médicaux pertinents (paragraphes 15 et 17 ci-dessus).
Le 24 mars 2010, des poursuites pour coups et blessures furent ouvertes contre X.
Pendant l’enquête, M.G., le commandant du poste des carabiniers de Cerea, fut entendu en tant que personne informée des faits. Il déclara se souvenir de l’état agité du requérant et avait estimé que l’intéressé était vraisemblablement sous l’effet de l’alcool. Bien que menotté, le requérant avait jeté sa tête contre un mur et s’était blessé au front. Pour éviter que des doutes surgissent quant à l’origine des blessures du requérant, M.G. avait décidé de le conduire à l’hôpital de Legnago. Le requérant ne s’était pas plaint de mauvais traitements. Une fois sorti de l’hôpital, pendant qu’il était conduit vers les cellules de sûreté du poste des carabiniers de Legnago, le requérant avait recommencé à donner des coups de pied, ce qui pour M.G. indiquait que l’effet des calmants était déjà terminé. Ce n’est qu’au moment où il avait été conduit à la maison d’arrêt de Vérone que le requérant avait dit qu’il dénoncerait les coups subis lors de son arrestation. M.G. fit remarquer que le requérant avait indiqué avoir été frappé par les carabiniers sans fournir de précisions sur l’identité de ceux-ci. En outre, il était notoire que l’intéressé s’adonnait à l’alcool.
La gérante du bar, M.T., fut également entendue. Elle affirma que, le 11 mars 2010, le requérant était passé en fin de matinée pour boire un café. Il était revenu dans l’après-midi et avait demandé à pouvoir utiliser son portable pour un appel urgent. Lorsqu’elle lui avait demandé le téléphone en retour, le requérant lui avait répondu sur un ton de défi et de menace et avait ajouté qu’il ne craignait pas les carabiniers au cas où elle souhaitait les appeler. Un des clients avait appelé les carabiniers. Le requérant avait refusé de montrer ses papiers et avait essayé de frapper l’un des carabiniers lorsque ceux-ci voulaient le menotter. Il avait été nécessaire d’utiliser force et fermeté pour menotter le requérant. Toutefois, les carabiniers n’avaient pas été violents.
Le carabinier L.B. ne fut pas entendu.
Le carabinier S.R. fut entendu en tant que personne informée des faits. Avec L.B., il avait reçu l’ordre de se rendre au bar T. car un individu dérangeait les clients et menaçait la gérante. Arrivé sur place, S.R. avait constaté que le requérant avait une conversation animée avec la gérante du bar. S.R. lui avait intimé de montrer ses papiers, et, après trois refus, l’avait invité à le suivre au poste. S.R. relata les mots du requérant (paragraphe 8 ci-dessus). Lorsque le requérant avait menacé L.B. et avait tenté de le frapper au visage, ce geste avait laissé tout le monde perplexe car L.B. n’avait rien dit et rien fait vis-à-vis de l’intéressé. Les deux carabiniers avaient alors essayé de le maîtriser et avaient réussi à le menotter nonobstant la résistance opposée. Pendant le trajet en voiture, le requérant avait à nouveau proféré des menaces et avait tenté de frapper L.B. avec les menottes, car il était assis dans le véhicule avec les bras devant. Une fois au poste de Cerea, le requérant s’était jeté par terre et avait tenté de donner des coups de pied à tous ceux qui s’approchaient. À l’aide d’autres collègues, les carabiniers avaient réussi à le maîtriser et à le placer en cellule de sûreté. Une fois enfermé, il avait commencé à donner des coups avec son front et ses pieds contre la porte et les murs, en se faisant une blessure au front. S.R. déclara qu’aucune violence n’avait été utilisée envers le requérant et confirma que le magistrat avait été mis au courant des réactions violentes et auto-mutilantes du requérant. Il avait, dans un premier temps, refusé de placer le requérant à la maison d’arrêt de Vérone. S.R. était alors resté au poste de Cerea, tandis que le commandant M.G. accompagné de L.B. et G.D. étaient partis avec le requérant en direction du poste des carabiniers de Legnago. S.R. précisa que le requérant était connu comme quelqu’un de violent et qui s’adonnait à l’alcool.
Enfin, l’autorité judiciaire entendit le carabinier G.D. Ce dernier avait pris l’appel provenant du bar et avait demandé à la patrouille de service d’intervenir. Au moment de son arrivée au poste de Cerea, le requérant était menotté. Il s’était mis à hurler et s’était jeté par terre. G.D. relata les coups de pied, les insultes et les menaces à l’égard de L.B. G.D. était intervenu pour aider les collègues et immobiliser le requérant qui avait été conduit en cellule de sûreté. Retourné à son poste, il entendait le requérant qui hurlait des phrases incohérentes et donnait des coups à la porte métallique de la cellule. G.D. avait ensuite remarqué une blessure au front que le requérant n’avait pas à son arrivée. Le commandant M.G. avait ordonné de préparer un véhicule pour transférer le requérant au poste des carabiniers de Legnago, ce qui était une procédure habituelle lorsque le poste de Cerea était fermé pour la nuit. G.D. était parti avec le commandant M.G. et LB. Durant le trajet, M.G. avait ordonné de passer par l’hôpital de Legnago qui était sur le chemin. Le requérant avait fait l’objet d’une sédation en raison de son agressivité et avait reçu des soins pour la blessure au front. Lors de la consultation à l’hôpital le requérant n’était pas menotté. Après les soins, les carabiniers avaient dû utiliser assez de force et de fermeté pour pouvoir le menotter à nouveau. Une fois en voiture, M.G. avait demandé pour la deuxième fois eu ministère public l’autorisation de conduire le requérant à la maison d’arrêt de Vérone Montorio et avait obtenu son accord. Le requérant avait été directement conduit à la maison d’arrêt.
E. Le classement sans suite de l’enquête
Le 29 avril 2010, le procureur de la République demanda au juge des investigations préliminaires (GIP) de classer l’enquête. Selon lui, les éléments recueillis ne permettaient pas d’engager une action pénale. Les faits relatés par le requérant n’étaient corroborés par aucun des témoignages. La gérante du bar avait déclaré que le requérant, au moment de l’arrestation, était très agité, agressif et insultant à l’égard des carabiniers et d’elle-même et qu’il n’y avait pas eu de comportements violents de la part de carabiniers. Selon le procureur, la nature des blessures du requérant était compatible avec l’intervention des carabiniers pour maîtriser son agressivité et pour se défendre au moment où ils le menottaient pour le conduire dans la cellule de sûreté.
Ensuite, il fallait prendre en compte le fait que la crédibilité du requérant était entachée en raison de son casier judiciaire, par ses antécédents et par sa personnalité. Il ressortait en fait d’un compte-rendu rédigé par une psychothérapeute, que fin 2009-début 2010, le requérant avait vécu dans une communauté d’accueil. L’intéressé était atteint d’un trouble de la personnalité qui le rendait antisocial, intolérant aux règles de la cohabitation et provocateur. Il avait abusé deux fois de l’alcool et avait été admis d’urgence à l’unité psychiatrique de l’hôpital suite à une rixe dans un bar avec des immigrés. Le séjour en communauté avait pris fin le jour où le requérant avait agressé verbalement un autre hôte et avait provoqué une rixe. Il ressortait en outre d’une note rédigée par la police judiciaire le 21 avril 2010 que le requérant devenait agressif sous l’effet de l’alcool et cherchait la vengeance. Il avait une personnalité difficile, car il était incapable d’avoir de bonnes relations avec les autres ; il provoquait des rixes et, entre le 17 et le 18 février 2010, les carabiniers avaient été appelés trois fois. Selon la police, il se pouvait que les lésions du requérant soient la conséquence de quelque rixe ayant eu lieu avant l’arrestation et que le requérant ait décidé de les utiliser comme prétexte pour se venger des carabiniers venus l’arrêter au bar. En outre, le requérant avait parlé des coups prétendument subis seulement pendant le trajet vers la prison de Montorio, et avait menacé les carabiniers de les dénoncer. Enfin, il ressortait du casier judiciaire du requérant qu’il avait été condamné pour les infractions suivantes : conduite en état d’ébriété en 1995, 2000 et 2005 ; résistance à l’autorité et coups et blessures en 2006 ; mauvais traitements en 2008.
Le requérant fit opposition à la demande de classement du procureur. Il arguait que ses lésions n’avaient pas été provoquées au moment où les carabiniers étaient dans le bar mais plus tard, de sorte que le témoignage de la gérante ne voulait rien dire. Il se pouvait que les carabiniers aient eu recours à la violence pendant le trajet vers le poste de Cerea, au poste lui-même pendant qu’il se trouvait en cellule de sûreté, pendant le trajet vers Legnago ou pendant le trajet vers la maison d’arrêt de Vérone. Les lésions encourues étaient attestées par les certificats médicaux de l’hôpital de Borgo Trento et du médecin de la prison de Vérone Montorio. Il s’agissait de lésions souvent observées chez les gens arrêtés et menottés. Les lésions litigieuses ne pouvaient être le résultat d’une automutilation, car il n’était pas crédible qu’on puisse se casser trois côtes et se faire un hématome au testicule en se jetant contre le mur. Invoquant l’article 3 de la Convention et rappelant l’obligation positive de conduire une enquête officielle effective visant à l’identification et à la punition des responsables, le requérant demandait : à être entendu ; une expertise pour vérifier la compatibilité de ses lésions avec l’action des carabiniers ; qu’une expertise soit faite sur les lésions prétendument infligées par lui au carabinier L.B. ; d’entendre à nouveau la gérante du bar et d’entendre les autres clients afin de vérifier comment le requérant avait été menotté ; que le résultat du test d’alcoolémie du 11 mars 2010 fait à l’hôpital de Legnago soit versé au dossier. Le requérant rappela en outre que L.B. n’avait pas été entendu, tout comme les médecins.
Par une ordonnance du 1er septembre 2010, le GIP de Vérone classa l’enquête sans suite. En utilisant un formulaire standard pré-rempli, le GIP estima que les allégations du requérant n’étaient pas prouvées et que les compléments d’enquête demandés par celui-ci n’étaient pas pertinents. En effet, l’élément décisif était le témoignage de la gérante du bar, seul témoin étranger aux faits. Le GIP adhérait ainsi complètement au raisonnement formulé par le procureur de la République. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1954 et réside à Ghiroda Veche.
Le 21 octobre 2004, le requérant fut placé en garde à vue sur ordre du parquet qui l’accusait d’escroquerie, de faux et d’usage de faux. Le parquet retint qu’entre 1999 et 2004 le requérant avait contracté plusieurs crédits bancaires en se servant de faux documents et qu’il avait émis des chèques sans provision au nom de plusieurs sociétés commerciales, provoquant ainsi pour sept sociétés commerciales et trois banques un préjudice total d’environ 17 000 euros.
Le 22 octobre 2004, sur demande du parquet, le tribunal de première instance de Timişoara ordonna le placement en détention provisoire du requérant au motif que la peine de prison encourue était supérieure à quatre ans et que sa remise en liberté présentait un danger pour l’ordre public compte tenu de ses agissements et du nombre d’infractions qu’il avait commises. L’enquête étant toujours en cours, le tribunal prolongea par la suite la détention provisoire. Le requérant forma des pourvois qui furent rejetés par le tribunal départemental de Timiş.
Par un réquisitoire du 19 janvier 2005, le parquet renvoya le requérant et un complice devant le tribunal de première instance de Timişoara pour répondre des chefs d’accusation susmentionnés.
Au cours de la première audience, qui eut lieu le 21 janvier 2005, le tribunal de première instance de Timişoara examina d’office la légalité et l’opportunité du maintien en détention du requérant.
Il nota que le requérant avait reconnu la majorité des faits qui lui étaient reprochés, mais il estima que son maintien en détention était justifié dès lors que sa remise en liberté risquait de constituer une menace pour l’ordre public. À cet égard, le tribunal considéra que, au vu des agissements du requérant et du préjudice porté aux parties civiles, une mesure de remise en liberté pouvait avoir un impact négatif sur l’opinion publique. Il conclut que les motifs qui avaient justifié le placement en détention, dont notamment le trouble à l’ordre public, étaient toujours valables.
Le tribunal de première instance de Timişoara examina ensuite à intervalles réguliers les demandes de mise en liberté formées par le requérant et l’opportunité de son maintien en détention.
Celui-ci demanda sa remise en liberté au motif que la détention provisoire n’était plus justifiée. Il alléguait également que, du fait de son incarcération, sa famille se trouvait dans une situation matérielle difficile. Il exposa enfin qu’il souffrait de nombreuses maladies qui ne pouvaient pas être soignées en prison.
Une expertise médicale ordonnée par le tribunal conclut que l’état de santé du requérant était compatible avec le régime de détention. Les autres arguments du requérant furent écartés au motif qu’ils n’étaient pas pertinents pour l’application de l’article 148 h) du code de procédure pénale.
Ainsi au terme des audiences des 16 mars, 6 avril, 4 et 18 mai, 29 juin, 26 août, 14 septembre, 12 octobre, 2 novembre et 21 décembre 2005 et du 25 janvier 2006, le tribunal de première instance de Timişoara rejeta les demandes de remise en liberté du requérant et prolongea sa détention en vertu de l’article 148 h) du code de procédure pénale. Le tribunal précisa que l’opinion publique serait négativement affectée si elle apprenait que des personnes poursuivies pour plusieurs infractions étaient remises en liberté avant la fin de la procédure. Il ajouta que les faits incriminés n’étaient pas suffisamment anciens pour que l’écoulement du temps ait effacé leur impact négatif sur l’opinion publique.
Les pourvois formés par le requérant contre les décisions de maintien en détention furent rejetés par le tribunal départemental de Timiş qui estima que les motifs qui avaient justifié son placement en détention étaient toujours valables.
Le 29 juin 2005, le tribunal décida de joindre à la procédure un autre dossier concernant le même type d’infractions commises en 2004 par un tiers avec l’aide du requérant. Il entendit plusieurs témoins et les parties versèrent diverses pièces au dossier.
Par un jugement du 1er mars 2006, le requérant fut condamné à une peine de cinq ans de prison pour escroquerie, faux et usage de faux, ainsi qu’à la réparation du dommage matériel subi par les parties civiles.
Les juridictions internes continuèrent à vérifier à intervalles réguliers l’opportunité du maintien en détention provisoire du requérant dès lors que, selon le droit interne, cette mesure ne prenait fin qu’au moment où le jugement rendu en premier ressort devenait définitif.
Le requérant demanda sa remise en liberté. Il soutenait que le maintien en détention était dépourvu de base légale à compter du 24 octobre 2005, date à laquelle, selon lui, les sections réunies de la Haute Cour de cassation et de justice avaient défini dans leur arrêt le champ d’application de l’infraction d’escroquerie prévue par le code pénal. Il alléguait que, en vertu de cet arrêt, la peine encourue était inférieure à la période de détention qu’il avait déjà effectuée.
Le tribunal départemental et la cour d’appel prolongèrent la détention de l’intéressé, estimant que les motifs qui avaient justifié son placement en détention étaient toujours valables. Cependant, à l’occasion de l’un de ces contrôles, le 5 octobre 2006, la cour d’appel de Timişoara considéra que la détention provisoire avait dépassé la durée raisonnable et ordonna la remise en liberté du requérant.
L’appel du requérant contre le jugement rendu en première instance fut rejeté par un arrêt du 20 octobre 2006 du tribunal départemental de Timiş. Le pourvoi du requérant fut partiellement accueilli par un arrêt définitif du 9 mars 2009 de la cour d’appel de Timişoara qui constata la prescription de la responsabilité pénale pour une partie des infractions.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale étaient ainsi libellées à l’époque des faits :
Article 143
« L’autorité de poursuite peut placer une personne en garde à vue si des preuves ou indices raisonnables montrent que celle-ci a commis un fait prohibé par la loi pénale (...) »
Article 148
« La mise en détention de l’inculpé peut être ordonnée si les conditions prévues par l’article 143 sont remplies et dans l’un des cas suivants :
(...)
h) l’inculpé a commis un crime ou un délit pour lequel la loi prévoit une peine d’emprisonnement supérieure à quatre ans et il existe des preuves certaines que son maintien en liberté constituerait un danger pour l’ordre public. »
Article 155
« La durée de la détention provisoire de l’inculpé peut être prolongée en cas de nécessité et à condition d’être motivée.
La prolongation de la durée de la détention provisoire peut être ordonnée par le tribunal qui est compétent pour statuer sur le bien-fondé des accusations (...) »
Article 160 b)
« S’il constate que les motifs qui avaient justifié le placement en détention n’existent plus et qu’il n’y a pas de nouveaux motifs, le tribunal ordonne la remise en liberté de l’inculpé. »
Article 300-1
« À la première audience sur le fond, le tribunal vérifie d’office la légalité et le bienfondé de la détention. »
Article 300-2
« Au cours de la procédure, le tribunal vérifie d’office [au minimum tous les soixante jours] la légalité et le bien-fondé de la détention. » | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1979 et réside à Bursa.
Depuis 2001, le requérant, étudiant en troisième année à la faculté de médecine, se procurait de la drogue pour sa consommation personnelle auprès d’un certain Efe (l’agent X). Selon un procès-verbal intitulé « entretien avec informateur », daté du 14 décembre 2004, l’agent X (identité non indiquée), informateur en période d’essai, se rendit au commissariat de police et l’informa d’un trafic de stupéfiants auquel se livrait le requérant. L’agent X déclara qu’il pouvait mettre en contact un acheteur déguisé avec le requérant, en vue de son arrestation en flagrant délit. Le même jour, Efe contacta le requérant et lui demanda de lui procurer soixante-dix comprimés d’ecstasy. Le requérant accepta et prit contact avec un dénommé S.H. Le 15 décembre 2004 à 0 h 15, le requérant et Efe furent arrêtés dans un véhicule après avoir quitté le domicile de S.H. où ils s’étaient procurés les comprimés. Toutefois ils réussirent à fuir en voiture et jetèrent les comprimés par la fenêtre. Les policiers qui les poursuivaient ramassèrent ces cachets. Le requérant fut arrêté par la suite à 20 heures dans un centre commercial. Il conduisit les policiers chez S.H. où une trentaine de comprimés furent saisis. Par la suite, dans sa déposition recueillie au commissariat, le requérant admit être toxicomane et avoir acheté la drogue à S.H pour sa consommation. Il relata que, sans avoir un intérêt personnel, il avait accepté de contacter S.H., pour lui présenter Efe. Il affirma que S.H. refusa de rencontrer un inconnu, demanda au requérant d’apporter les cachets à cette personne et de lui ramener l’argent. Le requérant ne fut pas assisté par un avocat pendant toute la durée de sa garde à vue.
Le 17 décembre 2004, le requérant fut présenté au parquet. Devant le procureur, assisté par un avocat, il refusa tout le contenu de sa déposition recueillie au commissariat. Le même jour, le juge du tribunal de paix de Bursa ordonna sa détention provisoire pour trafic de drogue.
Par un acte d’accusation du 10 janvier 2005, le procureur de la République d’Istanbul reprocha au requérant l’acquisition et la vente de produits stupéfiants. Il requit sa condamnation en vertu de l’article 403/57 du code pénal. L’acte d’accusation indiqua que des informations ayant été obtenues sur l’existence d’une contrebande organisée par le requérant pour la vente de comprimés d’ecstasy, celui-ci avait été placé sous surveillance policière après contact établi entre un agent informateur (l’agent X) et le requérant. Un policier déguisé en acheteur avait appelé le requérant par l’intermédiaire de l’agent informateur. Le requérant accepta de procurer soixante-dix comprimés à condition de les remettre en main propre seulement à l’agent informateur.
Une action pénale fut ainsi entamée devant la cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises ») à l’encontre du requérant.
Le 17 mai 2005, lors de l’audience, le requérant déposa qu’il avait agi à la demande de Efe, qu’il s’était contenté de mettre en contact ce dernier avec S.H. et qu’il ne s’était jamais livré à un commerce de stupéfiants.
Lors de la procédure, les demandes de l’avocat du requérant tendant à l’audition de l’agent X (Efe) furent rejetées.
Le 23 février 2006, la cour d’assises condamna le requérant à 2 ans et 1 mois d’emprisonnement ainsi qu’à une amende pécuniaire. Dans les motifs de son arrêt, la cour d’assises se fonda, entre autres, sur la déposition du requérant recueillie en garde à vue, sur la visite des lieux, et sur les liens avérés justes entre le requérant et d’autres prévenus arrêtés lors de l’opération.
Le 29 novembre 2006, rejetant la demande relative à la tenue d’une audience, la Cour de cassation confirma le jugement de condamnation du requérant.
Le 29 novembre 2006, le requérant adressa une demande au procureur principal près la Cour de cassation pour faire opposition auprès de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, en application de l’article 308/1 du nouveau code de procédure pénale no 5271.
Le 22 février 2007, le procureur principal près la Cour de cassation rejeta la demande.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Un exposé des dispositions pertinentes du droit turc figure entre autres dans l’arrêt Salduz c. Turquie ([GC], no 36391/02, §§ 2731, CEDH 2008). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Les requérants sont des communautés religieuses et des particuliers. À l’origine, les communautés requérantes existaient et opéraient légalement en Hongrie en tant qu’Églises enregistrées par le tribunal compétent conformément à la loi no IV de 1990 (« la loi de 1990 sur les Églises »).
(...)
Outre les Églises reconnues figurant à l’annexe à la loi de 2011 sur les Églises (paragraphe 22 ci-dessous), toutes les autres communautés religieuses enregistrées précédemment comme Églises perdirent ce statut mais purent continuer leurs activités en tant qu’associations. Toute communauté religieuse souhaitant continuer ses activités avec le statut d’Église devait demander au Parlement de la reconnaître comme telle.
Dans sa décision no 6/2013 (III. 1.), la Cour constitutionnelle jugea inconstitutionnelles certaines dispositions de la loi de 2011 sur les Églises et les annula avec effet rétroactif.
Dans l’intervalle, plusieurs communautés requérantes demandèrent au ministre compétent de les enregistrer en tant qu’Églises, mais celui-ci rejeta les demandes, au motif que – en dépit de la décision de la Cour constitutionnelle – la loi de 2011 sur les Églises l’empêchait de procéder aux enregistrements requis.
À la suite de la décision de la Cour constitutionnelle, plusieurs communautés requérantes demandèrent à l’Agence nationale des impôts et des douanes de leur réattribuer le numéro nécessaire pour pouvoir continuer à percevoir la somme correspondant à 1 % de l’impôt sur le revenu que tout contribuable pouvait verser aux Églises. L’Agence nationale des impôts et des douanes suspendit la procédure et invita les requérants à engager une procédure de reconnaissance devant le Parlement, ignorant une fois de plus, selon les requérants, la décision de la Cour constitutionnelle.
Plusieurs communautés requérantes se virent réattribuer le statut d’Église à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Aperçu des évolutions de la législation pertinente
Entre le 12 février 1990 et le 31 décembre 2011, les activités religieuses furent réglementées par la loi de 1990 sur les Églises, qui définissait comme Églises les communautés religieuses ayant au moins une centaine d’adhérents.
À partir du 1er janvier 2012, la loi de 1990 sur les Églises fut remplacée par la loi no CCVI de 2011 (« la loi de 2011 sur les Églises »). En vertu de la nouvelle loi, les communautés religieuses pouvaient exister soit en tant qu’Églises soit en tant qu’associations menant des activités religieuses (« des associations religieuses » conformément à la terminologie utilisée par la Cour constitutionnelle). Les seules entités pouvant prétendre à la qualification d’Églises étaient celles qui étaient énumérées dans l’annexe à la loi de 2011 sur les Églises et celles qui étaient classées comme Églises par le Parlement sous certaines conditions, au départ jusqu’au 29 février 2012. La base constitutionnelle de cette réglementation était constituée par l’article 21 § 1 des dispositions transitoires de la Loi fondamentale, qui conférait au Parlement le pouvoir d’identifier les Églises reconnues dans la loi cardinale pertinente et de déterminer les critères de reconnaissance des Églises susceptibles d’être ajoutées à la liste à l’avenir. Les Églises formellement enregistrées pouvaient être requalifiées, à leur demande, en associations et mener leurs activités dans ce cadre ; toutefois, en vertu des nouvelles règles, elles n’avaient alors droit à aucune subvention budgétaire. À l’origine (sous l’empire de la loi de 1990 sur les Églises), il y avait 406 Églises enregistrées, alors que l’annexe à la loi de 2011 sur les Églises n’en dénombrait que quatorze. Dans l’annexe, en vigueur depuis le 1er mars 2012, figurent vingt-sept Églises et alliances ecclésiastiques, soit trente-deux Églises en tout. Selon les informations publiées par les autorités fiscales, ces trente-deux institutions ne correspondent pas totalement avec les trente-deux Églises bénéficiant du soutien financier le plus important si l’on mesure ce soutien à l’aune du nombre de contribuables leur ayant consenti des donations fiscales volontaires.
Le 28 décembre 2011, la Cour constitutionnelle annula parmi d’autres dispositions les règles des dispositions transitoires de la Loi fondamentale qui avaient accordé au Parlement le droit d’identifier les Églises reconnues. Le 26 février 2013, elle annula également les dispositions de la loi de 2011 sur les Églises en vertu desquelles les communautés requérantes avaient été légalement privées de leur statut d’Église.
Pour répondre en partie aux décisions susmentionnées de la Cour constitutionnelle, le pouvoir du Parlement d’accorder un statut spécial d’Église fut réintroduit dans la Loi fondamentale elle-même, notamment par le biais de son quatrième amendement qui entra en vigueur le 1er avril 2013. Cette disposition introduisit les termes « Églises » et « autres organisations menant des activités religieuses », les Églises étant définies comme des organisations avec lesquelles l’État coopère pour promouvoir des buts communautaires et que l’État reconnaît en tant que telles. De même, en vertu des règles de la loi de 2011 sur les Églises telles que modifiées avec effet au 1er août 2013, le terme actuellement utilisé est celui de « communautés religieuses » ; ce terme comprend les « Églises incorporées » (bevett egyház) ainsi que les « organisations menant des activités religieuses » (vallási tevékenységet végző szervezet). Toutefois, toutes ces entités sont en droit d’utiliser le terme « Église » (egyház) dans leur dénomination.
En vertu des règles en vigueur, pour qu’une communauté religieuse devienne une « Église incorporée », elle doit démontrer soit qu’elle existe depuis cent ans au niveau international soit qu’elle fonctionne en Hongrie depuis vingt ans de manière organisée, et doit prouver qu’elle a un nombre d’adhérents au moins égal à 0,1 % de la population du pays. De plus, elle doit démontrer son intention et sa capacité à long terme de coopérer avec l’État pour promouvoir des buts d’intérêt général. Par ailleurs, un groupe d’individus peut obtenir la qualification d’« organisation menant des activités religieuses » s’il a au moins dix membres et est enregistré comme tel par un tribunal.
Le cinquième amendement à la Loi fondamentale (entré en vigueur le 1er octobre 2013) visait à mettre en exergue, y compris au niveau constitutionnel, le principe selon lequel toute personne a le droit d’établir des entités juridiques spéciales (« communautés religieuses ») conçues pour mener des activités religieuses, et l’État peut coopérer avec certaines de ces communautés pour promouvoir des buts communautaires, en leur conférant la qualité d’« Église incorporée ». Pour refléter l’uniformité des « Églises [incorporées] » et des « autres organisations menant des activités religieuses » en termes de liberté de religion, ces termes ont été remplacés par le terme générique « communautés religieuses » dans tout le texte de la Loi fondamentale.
Toutefois, en vertu du droit positif hongrois, les Églises incorporées continuent de jouir d’un traitement préférentiel, notamment dans les domaines de la fiscalité et des subventions. En particulier, elles sont les seules à avoir le droit de percevoir les sommes provenant du pourcentage de 1 % de l’impôt sur le revenu pouvant être versé par les contribuables et les subventions correspondantes de l’État. De plus, dans sa décision no 6/2013 (III. 1.), la Cour constitutionnelle a énuméré de manière non exhaustive (...) plusieurs activités dont l’exercice est facilité – en termes juridiques, économiques, financiers et pratiques – par le législateur dans le cas des Églises incorporées mais pas dans le cas des autres communautés religieuses : ces exemples comprennent l’éducation religieuse et les activités confessionnelles au sein des institutions de l’État, la gestion des cimetières, y compris les funérailles religieuses, la publication de documents religieux imprimés et la production et le marketing d’objets religieux.
Bien que les communautés requérantes aient nominalement regagné leur statut juridique, elles ne peuvent pas bénéficier d’un traitement préférentiel de la sorte, qui est réservé aux seules Églises incorporées.
(...) | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant no 1 a été détenu à la prison de Nauplie (cellule A1-4), où il purgeait une peine de neuf ans et deux mois de réclusion, du 19 mars 2010 au 12 septembre 2013. À cette dernière date, il a été transféré, à sa demande, au centre de désintoxication pour détenus d’Elaiona. Le requérant no 2 a été détenu à la prison de Nauplie (cellule A1-7) du 29 mars 2012 au 18 janvier 2013, date à laquelle il a été mis en liberté, l’appel qu’il avait formé contre le jugement de condamnation ayant eu un effet suspensif quant à l’exécution de la peine. Le requérant no 3 a été détenu à la prison de Nauplie (cellule A3-4) du 26 mai 2010 au 9 septembre 2013, date à laquelle il a été libéré sous condition. Il purgeait des peines de cinq ans et sept mois de réclusion et de trois ans et onze mois d’emprisonnement. Le requérant no 4 a été détenu à la prison de Nauplie (cellule A1-3), où il purgeait une peine de sept ans de réclusion, du 20 juin 2012 au 27 janvier 2014. À cette dernière date, il a été transféré, à sa demande, à la prison agricole de Tiryntha. Le requérant no 5 a été détenu à la prison de Nauplie (cellule A1-3), où il purgeait une peine de huit ans de réclusion, du 28 septembre 2011 au 3 avril 2013. À cette dernière date, il a été transféré, à sa demande, à la prison agricole de Kassandra. Le requérant no 6 est détenu à la prison de Nauplie (cellule A3-4) depuis le 12 novembre 2010 et purge des peines de treize ans de réclusion et six mois d’emprisonnement. Le requérant no 7, qui purge une peine de dix ans de réclusion, a été détenu à la prison de Nauplie (cellule A1-9), du 13 septembre 2012 au 21 février 2013, date à laquelle il a été hospitalisé à la clinique psychiatrique de la prison de Korydallos sur ordre du directeur de la prison. Rentré à nouveau à la prison de Nauplie le 7 août 2013, il a été transféré, à sa demande, le 12 décembre 2013, au centre de désintoxication pour détenus d’Elaiona. Le requérant no 8 est détenu à la prison de Nauplie (cellule A3-6) depuis le 29 décembre 2008 et purge une peine de vingt ans de réclusion.
Le requérant no 9 est détenu à la prison de Nauplie (cellule A1-6) depuis le 10 septembre 2010 et purge une peine de onze ans de réclusion. Le requérant no 10 a été détenu à la prison de Nauplie (cellule A1-8) du 19 avril 2010 au 13 novembre 2013, date à laquelle il a été libéré sous condition. Il purgeait une peine de dix ans de réclusion. Le requérant no 11 a été détenu à la prison de Nauplie (cellule A1-8) du 19 avril 2010 au 13 novembre 2013, date à laquelle il a été libéré sous condition. Il purgeait une peine de dix ans de réclusion. Le requérant no 12 a été détenu à la prison de Nauplie (cellule A1-3) du 9 octobre 2009 au 26 avril 2013, date à laquelle il a été libéré sous condition. Il purgeait une peine de dix ans de réclusion. Le requérant no 13 est détenu à la prison de Nauplie (cellule A1-8) depuis le 12 août 2010 et purge une peine de sept ans et six mois de réclusion. Le requérant no 14 est détenu provisoirement à la prison de Nauplie (cellule A1-3) depuis le 16 juin 2012. Le requérant no 15, qui purge des peines de six ans et dix mois de réclusion et de deux ans et sept mois d’emprisonnement, a été détenu à la prison de Nauplie (cellule A1-7) du 17 mars 2010 au 3 avril 2013. À cette dernière date, il a été transféré à la prison de Korydallos, afin de comparaître, le 10 avril 2013, devant la cour d’appel d’Athènes. Le requérant no 16 est détenu à la prison de Nauplie (cellule A1-7) depuis le 30 juin 2011 et purge des peines de vingt-cinq ans de réclusion et de dix ans et deux mois d’emprisonnement.
Les conditions de détention des requérants
La version des requérants
Les requérants indiquent avoir été ou être détenus à la prison de Nauplie dans des cellules conçues pour deux détenus mais en accueillant six. Ils ajoutent que nombre d’entre eux dormaient ou dorment à même le sol et que tous étaient ou sont confinés dans des cellules non chauffées, et ce dix-huit heures par jour. Ils indiquent aussi que, outre une insuffisance de nourriture en termes quantitatif et qualitatif, ils étaient ou sont obligés de prendre leurs repas dans leurs cellules.
Le 30 novembre 2012, les requérants déposèrent, en vertu de l’article 6 du code pénitentiaire, une requête devant le conseil de la prison pour se plaindre de leurs conditions de détention, notamment de la surpopulation – alléguant que chacun disposait d’un mètre carré d’espace personnel –, d’un risque de propagation de maladies contagieuses dont plusieurs détenus auraient été porteurs et d’une impossibilité d’avoir des activités récréatives.
La version du Gouvernement
Le Gouvernement décrit la prison de Nauplie comme suit.
La prison dispose de 72 cellules et de 4 dortoirs. Chaque cellule a une superficie de 14 m² et contient 3 ou 4 lits, une douche avec toilette, une table avec quatre tabourets, une poubelle, un téléviseur et un ventilateur de table. De plus, chaque cellule dispose d’un espace supplémentaire de 2 m² où les détenus peuvent poser leurs affaires. Chaque dortoir a une superficie de 60 m² et contient 25 lits avec autant de tables de chevet, un téléviseur, deux poubelles et deux ventilateurs de plafond. De plus, chaque dortoir dispose de deux salles d’eau (avec toilette, lavabos et miroirs) d’une superficie supplémentaire de 25 m².
Chaque cellule accueille en moyenne quatre détenus et chaque dortoir vingt-cinq détenus. Ces nombres fluctuent en fonction des transferts des détenus qui sont en principe nombreux en raison d’une augmentation de la criminalité.
Les cellules et les dortoirs sont chauffés par un système de chauffage central. Ils sont alimentés en eau chaude et froide.
Pour des raisons de sécurité, la prison n’a pas de réfectoire. Les détenus prennent leurs repas dans les cellules et les dortoirs en prenant place autour des tables et sur les tabourets qui s’y trouvent. Le menu est élaboré par le médecin de la prison en collaboration avec le conseil de la prison et est riche en vitamines, en protéines et en glucides. La direction de la prison supervise la qualité des repas quotidiennement et le procureur superviseur de la prison une fois par semaine.
Dans la prison, des appareils de gymnastique sont mis à disposition des détenus. Ceux-ci ont également la possibilité de jouer au basketball et au football. Une bibliothèque de prêt fonctionne aussi au sein de la prison et des programmes éducatifs sont organisés par le ministère de l’Éducation et de la Formation permanente.
Les détenus sont obligés de rester dans les cellules ou dortoirs de 12 h 15 à 15 heures et de 20 h 30 à 07 h 30 pendant l’horaire d’hiver, et de 12 h 15 à 15 heures et de 21 heures à 07 h 30 pendant l’horaire d’été.
La prison dispose d’une cellule médicale, comprenant un généraliste et un infirmier qualifié. Tout détenu qui est admis à la prison est examiné par le médecin. La cellule médicale collabore avec deux hôpitaux publics où sont transférés les détenus qui ont besoin de soins spécifiques. Trois dentistes assurent les soins dentaires des détenus dans un cabinet dentaire entièrement équipé.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les articles pertinents en l’espèce de la Constitution sont ainsi libellés :
Article 2 § 1
« Le respect et la protection de la valeur de la personne humaine constituent l’obligation primordiale de l’État. »
Article 7 § 2
« Les tortures, tous sévices corporels, toute atteinte à la santé ou pression psychologique, ainsi que toute autre atteinte à la dignité humaine sont interdits et punis conformément aux dispositions de la loi. »
L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :
« L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
L’article 57 du code civil (CC) dispose :
« Celui qui est atteint d’une manière illicite dans sa personnalité a le droit d’exiger la suppression de l’atteinte et, en outre, l’abstention de toute atteinte à l’avenir. En cas d’atteinte à la personnalité d’une personne décédée, ce droit appartient aux conjoint, descendants, ascendants, frères et sœurs et héritiers testamentaires du défunt.
En outre, la prétention à des dommages-intérêts, conformément aux dispositions relatives aux actes illicites, n’est pas exclue. »
La loi no 2462/1997 portant ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit, en son article 7, l’interdiction des tortures et des traitements inhumains et dégradants et, en son article 10, que toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.
Pour les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénitentiaire, la Cour se réfère à la décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, § 21, 19 décembre 2013).
III. LES RAPPORTS NATIONAUX
En octobre 2008, le directeur de la prison de Nauplie envoya au ministère de la Justice un rapport intitulé « surpopulation dans l’établissement – séjour des détenus – conditions d’hygiène – sécurité de l’établissement ». Le directeur attirait l’attention du ministère sur les insuffisances des infrastructures prévues pour l’accueil et le séjour des détenus et sur les problèmes d’hygiène apparus en raison des conditions de surpopulation. Il précisait que dans chaque cellule, d’une superficie de 9 m², étaient entassés six voire sept détenus, ce qui avait pour conséquence que trois ou quatre détenus dormaient par terre, dont un dans les toilettes.
En 2011, dans une déclaration de presse, le président de l’association du personnel pénitentiaire de la prison de Nauplie souligna que la surpopulation dans la prison était telle que dans les cellules étaient entassées six personnes, au lieu de trois, et que trois d’entre elles dormaient par terre. Il ajoutait que même les cellules disciplinaires servaient comme cellules ordinaires, de sorte que les détenus sanctionnés disciplinairement devaient être placés dans un espace spécialement aménagé à la réception de la prison.
Le 17 avril 2013, trois membres du Parlement posèrent une question au ministre de la Justice par rapport à la situation existant dans la prison de Nauplie, après avoir effectué une visite sur les lieux. Les trois députés qualifiaient de « tragiques » les conditions de détention à la prison. Ils soulignaient que le nombre des détenus s’élevait à 600, pour une capacité officielle de 300, et que 50 à 60 détenus provisoirement placés dans des commissariats de police attendaient leur transfert dans cette prison. Ils ajoutaient que les cellules de 9 m², prévues pour un à trois détenus, en accueillaient six ou sept. Ils dénonçaient aussi l’absence d’espaces communs, tels un réfectoire ou une bibliothèque, ainsi que la diminution du budget destiné à la nourriture qui était passé de 3,20 euros (EUR) par jour et par détenu à 2,40 EUR. Ils précisaient qu’un sérieux problème existait concernant l’achat des médicaments coûteux pour des maladies infectieuses, telle l’hépatite. Enfin, ils invitaient le ministre à prendre certaines mesures pour faire face, entre autres, au problème de surpopulation dans la prison.
Dans sa réponse du 1er mai 2013, le ministre de la Justice fit une analyse de la situation pour l’ensemble des prisons grecques, mettant l’accent sur les initiatives prises pour améliorer cette situation, à savoir la législation adoptée et les mesures décidées par le gouvernement. Se référant plus particulièrement au problème de la surpopulation dans la prison de Nauplie, il faisait savoir que, dans l’attente de la mise en service des prisons de la Macédoine centrale et de Crète, le ministère allait gérer le transfert de nouveaux détenus en fonction du nombre de détenus déjà présents dans la prison. | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1977. Il est actuellement interné à l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas.
Alors que le requérant avait été arrêté le 3 novembre 2002 pour des faits de vol et de viols, deux rapports psychiatriques furent établis en mars et en mai 2003 à la demande du juge d’instruction. Le premier rapport constatait que le requérant était hautement intelligent, qu’il avait une personnalité mensongère, manipulatrice et fortement antisociale. Il devait être considéré comme un violeur du type sadique modéré. Le deuxième diagnostiquait une schizophrénie pseudo-psychopathique et décrivait le requérant comme un aliéné mental. Il recommandait que le requérant soit interné et suive une thérapie psychiatrique et orthopédagogique de longue durée, entre dix et vingt ans.
Le 16 juillet 2003, le requérant fut interné sur ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Louvain, décision qui fut ensuite confirmée par un arrêt du 28 octobre 2003 de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles. Il fut décidé de placer le requérant à l’aile psychiatrique de la prison de Louvain dans l’attente que la Commission de défense sociale (« CDS ») compétente désigne un lieu d’internement conformément à la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels (« loi de défense sociale »).
La CDS d’Anvers décida que le requérant serait interné d’abord à l’aile psychiatrique da la prison de Louvain, ensuite à l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas.
La CDS confirma plusieurs fois de 2004 à 2007 le maintien du requérant à Merksplas dans l’attente de l’autorisation d’admission du requérant dans un établissement psychiatrique de haute sécurité spécialisé pour les délinquants sexuels. Ces décisions tenaient compte des résultats des pré-thérapies entreprises à Merksplas notamment grâce à l’intervention d’un centre spécialisé dans l’encadrement thérapeutique des auteurs de faits de mœurs.
D’après un avis établi par les services pénitentiaires en 2004, le requérant avait contacté trois établissements psychiatriques qui avaient laissé ses demandes sans suite. Il avait également pris contact avec trois établissements spécialisés dans le traitement de délinquants sexuels, qui toutefois avaient refusé de le prendre en charge en raison du score élevé qu’il avait obtenu au test PCL-R (Psychopathy Check List - Revised). Selon l’auteur de l’avis, aucune perspective de reclassement n’existait à ce stade car elle dépendait de l’admission du requérant dans un établissement spécialisé. Le même constat fut répété dans plusieurs rapports établis de 2005 à 2007.
En 2005, le requérant demanda une contre-expertise. Le psychiatre consulté conclut que les perspectives d’évolution n’étaient pas nulles et qu’un traitement spécialisé de la problématique sexuelle du requérant pouvait faire évoluer le diagnostic et correspondait à ce qu’il demandait.
Sur la base de cette contre-expertise, le requérant contacta à nouveau des établissements psychiatriques spécialisés qui soit refusèrent de le prendre en charge en raison de sa dangerosité soit laissèrent la demande sans suite.
Un nouveau test PCL-R fut effectué en 2006. Il confirmait que le requérant était un psychopathe gravement atteint et indiquait que les traitements existants n’auraient qu’un effet minimal sur son évolution et qu’une pré-thérapie risquait d’aggraver les sentiments négatifs.
Le 14 janvier 2008, la CDS confirma à nouveau le maintien du requérant à Merksplas. Le recours introduit par le requérant contre cette décision fut rejeté par la Commission supérieure de défense sociale (« CSDS ») le 14 février 2008.
Dans un rapport du 24 décembre 2008, un psychiatre du service pénitentiaire confirma le diagnostic décrivant le requérant comme un violeur en série atteint d’une psychopathie marquée qui, dans l’état de la science, n’était pas curable. Il recommandait le placement du requérant dans un cadre hautement sécurisé. Cet avis fut confirmé à plusieurs reprises par d’autres psychiatres en 2009 et 2010.
Le 2 mars 2009, la CDS confirma une fois encore le maintien à Merksplas. La décision, longuement motivée, soulignait que le requérant présentait un très haut risque de récidive pour la société et que, même s’il n’y avait pas de perspective de traitement, il devait être placé dans un établissement hautement sécurisé pour protéger la société et en particulier les enfants contre les abus sexuels. Elle constata que le personnel de Merksplas faisait de son mieux pour accompagner le requérant et améliorer ses conditions de vie et que les conditions d’internement, bien que perfectibles, étaient acceptables. Considérant qu’une visite des lieux ne lui apprendrait rien de nouveau, elle refusa de faire suite à la demande de visite qui avait été formulée par le requérant.
Le 25 mars 2009, le requérant saisit la CSDS d’un recours contre cette décision. Se référant à la jurisprudence de la Cour et notamment à l’arrêt Aerts c. Belgique (30 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998V), il dénonçait ses conditions de détention comme étant inappropriées à son état et ses besoins et demandait qu’une visite des lieux soit effectuée. Il demandait son admission immédiate dans un établissement approprié au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.
Le 26 mars 2009, la CSDS rejeta le recours, s’exprimant en ces termes :
(traduction)
« Il n’est pas nécessaire, avant de se prononcer, d’effectuer une visite des lieux de l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas.
Il ressort du dossier et des débats que l’état de l’interné ne s’est pas suffisamment amélioré et que les conditions en vue d’un reclassement ne sont pas remplies. (...)
La Commission ne peut pas ordonner le transfèrement immédiat de l’interné vers un établissement psychiatrique sans la soumission d’une attestation d’admission de l’intéressé dans un tel établissement
La prolongation de l’internement d’un interné ne remplissant pas les conditions pour sa libération n’emporte pas violation de l’article 5 § 1 de la Convention. »
Le requérant se pourvut en cassation contre cette décision. Il se plaignait que la CSDS n’avait pas ordonné son transfèrement dans un établissement approprié à sa problématique en vue d’assurer qu’un lien soit maintenu entre le but de sa détention et les conditions dans lesquelles elle avait lieu conformément à la jurisprudence de la Cour. Il invoquait également les articles 6 § 1 et 13 de la Convention alléguant qu’en raison du refus d’effectuer une visite du lieu de détention, il était dans l’impossibilité de démontrer que l’aile psychiatrique de Merksplas était un lieu inapproprié à sa détention.
Le 9 juin 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par le requérant. Se référant notamment à l’article 14 de la loi de la loi de défense sociale en vertu duquel l’internement a lieu dans un endroit désigné par les instances de défense sociale, la Cour jugea que la décision relative au transfèrement d’un interné dans un établissement psychiatrique privé était une modalité d’exécution de l’internement qui n’était pas susceptible d’un pourvoi en cassation. Par conséquent, dans la mesure où le grief du requérant était dirigé contre la décision rendue sur sa demande tendant à un transfèrement immédiat dans une telle structure, son moyen n’était pas recevable.
Deux rapports établis par les services pénitentiaires en 2011 constatèrent qu’il y avait très peu d’évolution dans le dossier du requérant, qu’il ne demandait presque jamais d’entretien et restait superficiel dans ses contacts. Il devait être considéré comme représentant toujours un très grand risque pour la société. Les auteurs des rapports soulignaient qu’un tel profil ne pouvait être traité qu’au sein d’un établissement hautement sécurisé « comme il n’en existe pas encore ».
D’après un bilan des soins figurant en annexe d’un rapport établi le 21 décembre 2007 par le service psycho-social, le requérant bénéficia au sein de la prison, entre octobre 2005 et avril 2008, de dix-neuf entretiens avec un psychologue et de quatre consultations auprès d’un psychiatre.
II. LA SITUATION EN DROIT ET EN PRATIQUE EN MATIÈRE D’INTERNEMENT EN BELGIQUE
Les dispositions légales applicables et la description des structures d’internement en Belgique en général figurent dans l’arrêt Van Meroye c. Belgique (no 330/09, §§ 36 à 60, 9 janvier 2014).
La Cour a récemment rendu quatre arrêts de principe concernant la régularité de l’internement en Belgique de personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux au sein d’ailes psychiatriques de prisons ordinaires. Les extraits pertinents de documents internes et internationaux relatifs aux problèmes structurels rencontrés en Belgique dans ce domaine figurent dans ces arrêts (L.B. c. Belgique, no 22831/08, §§ 72-74, 2 octobre 2012, Claes c. Belgique, no 43418/09, §§ 42-69 et 70-72, 10 janvier 2013, Dufoort c. Belgique, no 43653/09, §§ 37-62 et 63-65, 10 janvier 2013, et Swennen c. Belgique, no 53448/10, §§ 29-53 et 54-56, 10 janvier 2013). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
Le requérant est né en 1969. Il est actuellement interné à l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas.
Le 13 octobre 1989, le requérant fut une première fois interné sur décision de la chambre du conseil du tribunal de première instance d’Anvers pour des faits qualifiés de vol avec violence. Il fut plusieurs fois mis en liberté à l’essai et fit plusieurs séjours au sein d’établissements psychiatriques. En raison de ses fuites ou de la commission de nouveaux faits, il fut chaque fois à nouveau réintégré au sein d’un établissement pénitentiaire.
Le 1er février 2006, le requérant fut mis en liberté à l’essai à condition de faire l’objet d’un suivi au centre public de soins psychiatriques de Rekem.
Le 25 avril 2007, le requérant fut à nouveau arrêté pour agression et, le 29 mai 2007, conformément à la loi de défense sociale du 9 avril 1930 à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels (« loi de défense sociale »), la Commission de défense sociale (« CDS ») d’Anvers ordonna son placement à l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas jusqu’à ce que le requérant puisse présenter une attestation d’admission dans un établissement psychiatrique de sécurité moyenne.
Les 4 décembre 2007 et 9 juillet 2008, considérant que l’état de santé de l’intéressé ne s’était pas suffisamment amélioré et qu’un reclassement présentant des garanties suffisantes pour protéger la société n’était pas possible, la CDS confirma sa décision de maintenir le requérant à Merksplas jusqu’à son admission en hôpital psychiatrique, en maison médico-légale de soins psychiatriques ou dans un établissement de l’Agence flamande pour les personnes avec un handicap (Vlaams Agentschap voor Personen met een Handicap, VAPH).
Les recours introduits par le requérant contre ces décisions furent rejetés par la Commission supérieure de défense sociale (« CSDS ») les 3 janvier et 7 août 2008. Dans ses recours, le requérant se plaignait que l’établissement où il était accueilli était surpeuplé et que les internés n’y bénéficiaient d’aucun soin approprié.
Le 5 janvier 2009, un rapport psychiatrique du docteur L. indiquait que le requérant avait été diagnostiqué comme étant schizophrène. Il expliquait que si les mises en liberté conditionnelle avaient été révoquées, cela résultait de l’attitude intrusive et harcelante de sa mère qui avait fait échouer jusqu’à présent les traitements et les hospitalisations entrepris. A son avis, la mère représentait un danger pour le requérant et il convenait de s’interroger sur l’opportunité d’interner la mère pour mettre fin à cette « situation absurde ». Entre-temps, le rapport recommandait le maintien du requérant à Merksplas dans l’attente d’une admission dans un établissement de sécurité moyenne.
Le 6 janvier 2009, le surveillant général de l’établissement de Merksplas rédigea un rapport dans lequel il indiquait que la personnalité du requérant n’avait pas évolué, qu’il résidait et devait continuer à résider en permanence au sein de l’unité de crise car ses faits et gestes devaient être placés sous contrôle. Il n’était pas capable de fonctionner de façon autonome. Il n’était pas davantage question, selon le rapport, de le laisser retourner au sein de sa famille, cette solution s’étant révélée un échec.
Le 4 mars 2009, considérant que l’état de santé de l’intéressé ne s’était pas suffisamment amélioré et qu’un reclassement présentant des garanties suffisantes pour protéger la société n’était pas possible, la CDS confirma sa décision de maintenir le requérant à Merksplas jusqu’à son admission au sein d’un établissement psychiatrique de sécurité moyenne.
Le 25 mars 2009, le requérant saisit la CSDS d’un recours contre cette décision. Se référant à la jurisprudence de la Cour et notamment à l’arrêt Aerts c. Belgique (30 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998V), il dénonçait ses conditions de détention comme étant inappropriées à son état et ses besoins et demandait qu’une visite des lieux soit effectuée. Il demandait son admission immédiate dans un établissement approprié au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.
Le 26 mars 2009, la CSDS rejeta le recours, s’exprimant en ces termes :
(traduction)
« Il n’est pas nécessaire, avant de se prononcer, d’effectuer une visite des lieux de l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas.
Il ressort du dossier et des débats que l’état de l’interné ne s’est pas suffisamment amélioré et que les conditions en vue d’un reclassement ne sont pas remplies. (...)
La Commission ne peut pas ordonner le transfèrement immédiat de l’interné vers un établissement psychiatrique sans la soumission d’une attestation d’admission de l’intéressé dans un tel établissement
La prolongation de l’internement d’un interné ne remplissant pas les conditions pour sa libération n’emporte pas violation de l’article 5 § 1 de la Convention. »
Le requérant se pourvut en cassation contre cette décision. Il se plaignait que la CSDS n’avait pas ordonné son transfèrement dans un établissement approprié à sa problématique en vue d’assurer qu’un lien soit maintenu entre le but de sa détention et les conditions dans lesquelles elle avait lieu conformément à la jurisprudence de la Cour. Il invoquait également les articles 6 § 1 et 13 de la Convention alléguant qu’en raison du refus d’effectuer une visite du lieu de détention, il était dans l’impossibilité de démontrer que l’aile psychiatrique de Merksplas était un lieu inapproprié à sa détention.
Le 2 juin 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par le requérant. Se référant notamment à l’article 14 de la loi de la loi de défense sociale en vertu duquel l’internement a lieu dans un endroit désigné par les instances de défense sociale, la Cour jugea que la décision relative au transfèrement d’un interné dans un établissement psychiatrique privé était une modalité d’exécution de l’internement qui n’était pas susceptible d’un pourvoi en cassation. Par conséquent, dans la mesure où le grief du requérant était dirigé contre la décision rendue sur sa demande tendant à un transfèrement immédiat dans une telle structure, son moyen n’était pas recevable.
Le maintien du requérant à l’aile psychiatrique de Merksplas fut à nouveau confirmé par la CDS à plusieurs reprises courant 2009 et 2010 dans l’attente d’une admission dans un établissement psychiatrique de sécurité moyenne ou en maison médico-légale de soins psychiatriques. Dans une décision du 6 mai 2010, la CDS motiva son refus d’effectuer une visite des lieux et fit valoir ce qui suit :
(traduction)
« La Commission a une connaissance générale des conditions dans lesquelles les internés sont détenus à la prison de Merksplas. D’après les rapports de la direction, en raison de ses troubles mentaux, l’intéressé réside en cellule de crise de façon permanente (avec ses bons et ses mauvais jours). Il est évident que le requérant a droit aux soins, comme tous les internés, et même s’il serait mieux au sein d’un établissement psychiatrique, ordonner une telle visite en l’espèce ne serait pas pertinent. Par ailleurs, au moins à première vue, il peut être considéré, sur la base de ces rapports, que le séjour permanent de l’intéressé dans la cellule de crise est adapté à ses troubles mentaux. »
D’après un rapport établi par le service psycho-social de la prison le 22 mars 2010, le requérant avait été refusé par le centre de soins de Rekem en raison des problèmes qu’il avait connus avec le requérant par le passé. L’hôpital psychiatrique de Zelzate avait également refusé de prendre en charge le requérant en raison des problèmes de communication et du besoin élevé d’assistance et d’accompagnement qu’exigeait l’état du requérant. Deux autres établissements avaient également refusé l’admission du requérant.
Le 1er juillet 2010, la CSDS rejeta le recours introduit par le requérant contre la décision de la CDS du 6 mai 2010. Un pourvoi dirigé contre la décision de la CSDS fut rejeté par la Cour de cassation par un arrêt du 21 septembre 2010.
Un rapport établi par le psychiatre de la prison le 18 janvier 2011 souligna que la gravité et la chronicité de la problématique du requérant s’étaient confirmées avec les années et qu’il avait besoin de soins intensifs, raison pour laquelle il avait été placé nuit et jour au sein de l’unité psychiatrique « de crise ». Une évolution devait toutefois être notée puisqu’en décembre 2010, il avait été décidé qu’il passerait ses après-midis dans un pavillon ordinaire. Compte tenu de la schizophrénie chronique dont souffrait le requérant, de ses faibles capacités intellectuelles et du risque de fuite, le psychiatre recommandait son placement à long terme au sein d’un établissement de soins psychiatriques résidentiel de sécurité moyenne. Un retour dans son milieu familial n’était pas envisageable en raison des troubles mentaux importants dont souffrait la mère du requérant. Le psychiatre soulignait que, compte tenu de la gravité mineure des faits reprochés au requérant, son dossier était particulièrement poignant.
D’après un bilan des soins administrés, le requérant bénéficia, de mai 2007 à juin 2011, de quatre-vingt-douze consultations auprès d’un psychiatre.
Le 10 mai 2011, la clinique psychiatrique privée de Bierbeek accepta de prendre en charge le requérant. Dans ses observations, le Gouvernement indique qu’aucune date précise n’est connue.
D’après les informations figurant dans le dossier, le requérant serait toujours à l’aile psychiatrique de la prison de Merksplas.
II. LA SITUATION EN DROIT ET EN PRATIQUE EN MATIÈRE D’INTERNEMENT EN BELGIQUE
Les dispositions légales applicables et la description des structures d’internement en Belgique en général figurent dans l’arrêt Van Meroye c. Belgique (no 330/09, §§ 36 à 60, 9 janvier 2014).
La Cour a récemment rendu quatre arrêts de principe concernant la régularité de l’internement en Belgique de personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux au sein d’ailes psychiatriques de prisons ordinaires. Les extraits pertinents de documents internes et internationaux relatifs aux problèmes structurels rencontrés en Belgique dans ce domaine figurent dans ces arrêts (L.B. c. Belgique, no 22831/08, §§ 72-74, 2 octobre 2012, Claes c. Belgique, no 43418/09, §§ 42-69 et 70-72, 10 janvier 2013, Dufoort c. Belgique, no 43653/09, §§ 37-62 et 63-65, 10 janvier 2013, et Swennen c. Belgique, no 53448/10, §§ 29-53 et 54-56, 10 janvier 2013). | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 0 |