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Apostuli et martyres mementote nostri in conspectu Domini. |
IN nomine sanctæ indiuiduæ Trinitatis, Amen. LVDOVICVS Dei gratia Francorum Rex. Licet omnes fidei amatores diligere teneamur, loca tamen religiosa, Deo dedicata, cum ipsorum personis diuino seruitio mancipatis, prouida vigilantia tenemur attentius confouere, vt nullis peruersorum hominum inquietentur molestiis, vel importunis angariis fatigentur. Iccirco nouerint vniuersi præsentes pariter futuri, quod cum Monasterium Clugniacense ad regalem custodiam ab antiquo pleno iure pertinere noscatur: Nos diuini amoris intuitu, ob remedium animæ nostræ, animarum inclytæ recordationis Regis Ludouici genitoris nostri, Blanchæ Reginæ genitricis nostræ, ac aliorum antecessorum nostrorum, volumus præcipimus, vt idem Monasterium semper in regia custodia protectione persistens, nullo vnquam tempore possit ab ea recedere, nec nos aut successores nostri Reges Franc. custodiam eiusdem Monasterij extra manum regiam ponere valeamus. Præcipimus etiam, volumus, vt quisquis pro tempore ad tenendam Bailliuam nostram sancti Iangulsi deputabitur, a nobis, vel successoribus nostris in futurum in Capitulo Clun. tactis sacrosanctis Euāgeliis teneatur iurare, quod Abbatem, Conuentum, Monachos ipsius Monasterij bona fide iuuabit ad ipsum Monasterium, ac bona eiusdem per omnia obseruanda. Hæc autem volumus concedimus, saluo iuenostro in omnibus, ac etiam alieno. Quod, vt perpetuæ stabilitatis robur obtineat, præsentem paginam sigilli nostri auctoritate ac regij nominis charactere inferius annotato fecimus communiri. Actum Parisius, anno Dominicæ Incarnationis M. CC. LVIII. mense Septembris, regni vero nostri anno XXXII. astantibus in Palatio nostro, quorum nomina supposita sunt, signa. Dapifero nullo. Signum Ioannis Buticularij. S. Alfonsi Camerarij. S. Ægidij Constabularij. [Monogramme] Data vacante Cancellaria. |
Notum sit tam præsentibus quam futuris quod Stephanus Salinensis clericus prothomartiri Stephano Divionensis Ecclesiæ, et Beato Augustino atque canonicis prædictæ Ecclesiæ, se pro canonico reguli reddidit, concedeus supradicto Stephano, et ejus canonicis, partem de caudaria, qui comunis interse et fratrem suum Petrum videlicet, que frater teneat; illam a prædictis, canonicis reddendo eis in una quoque septimana, quator denarios, quos si noluerit, reddere, pars Stephani illius caudariæ ad canonicos revertatur. Dedit insuper dimidiam vineam, quæ est sita in territorio quod vocatur Prædeyla. Item dedit alteram dimidiam vineam, quam tenet Lebergiæ filius, cum terra ad vinea pertinenti, item dimidiam vineam cum planta, quæ est sita in Rogamta, quam tenet Natali a prædictis patribus, dedit que Casale dimidium quod Tenent Borno et Girardus. Hujus rei testes sunt Ferlaudus Girardus, Rodulfus; Galterius, regulares canonici. Item testes sunt Arduinus Tegerü filius et Nyvo, et Benedictus Salinensis, et Gauterius Karolokasti; propter istos testes sunt Theodericus atque dominicus, et Landaulus. |
Ego Theobaldus Trecensis Comes Palatinus. Notum facio præsentibus futuris, quod grangia, quæ dicitur Mekerelicurtis, quam Monachi de Buillencurto emisse se dicebant a Canonicis de Capella, quod sine meo assensu factum fuerat; cum eam vtrorumque assensu ad me retraxissem, eam in manu mea titulo emptionis tenerem, Ecclesiæ Cluniacensi hoc modo dimisi. Capellam, quæ sita est infra septa ipsius grangiæ, decimas ad eam pertinētes, quicquid videlicet ibi habetur spirituale, pro remedio animæ meæ, pro animabus patris, matris, fratris mei, omniumque parentum meorum dedi Ecclesiæ Clun. vt perpetuo adiaceat Ecclesiæ sanctæ Margaretæ, quæ est Cella Eccl. Clun. Abbas vero Conuentus Clun. pro ipsa grangia, pro pratis, vineis, terris, ædificiis, pro omnibus tēporalibus, quæ ad eandē grangiam pertinent, dederunt mihi mille septingentas libras Pruuinienses. Et ego concessi eisdem Monachis Clun. vt perpetuo possideant in pace sæpe dictam grangiam de Makelicurtis, cum omnibus pertinentiis suis. Tenemur autē ego, successores mei illam grangiam Monachis Clun. garentire aduersus omnes homines: ita quod nullatenus sustinebimus ab aliquo amodo Monachos Cluniacenses super hoc molestari. Quod vt firmum sit, non possit vllatenus infirmari, præsenti authentico meum apposui sigillū. Actum anno Verbi Incarnati MCXCVIII. Data per manum Galteri Cancellarij, Nota, Petri. |
Saichent tuit cilz qui sont et qui advenir sont, qui ces présentes lettres verront et orront, que comme descort fust entre Jehan de Montigne, seigneur de Coichey et dame Aalipz, sa fanme, dame de Coichey d’autre part, et la communaulté des hommes de Coichey pour leur et pour l’eglise de Coichey d’autre, sur mettre messiers, forestiers et vigniers et des amendes des bois et des vignes et de mettre le ban des vignes et d’autres choses en la ville et es terreins de Coichey, et sur plusieurs autres articles cy dessoubz contenuz. En la fin paix est venue amiablement entre les parties par bonnes gens et par l’assentement de religieux et honnorable preudomme mons. Amée, abbé de Saint Estienne de Dijon, cui li eglise de Coichey est. C’est assavoir que li communs de la ville de Coichey eslira chacun an deux preudommes qui sont appellez corniers, qui doivent pourveoir le proffit de la communaulté à bonne foy, et le puet ly communaulté, si lui plait, remuer chascun an. Cilz deux corniers avec la dite communaulté esliront chacun an les forestiers des bois de la communaulté de Coichey et les messiers, et recevrons li maires au seigneur de Coichey et li deux corniers, le serement des messiers et des forestiers que ilz garderont en bonne foy, léaulment, les biens aux preudommes dehors et dedans, et le droit au seigneur, la raison de l’église du lieu et tous les gaiges des amendes de sept solx et de moins, des estranges gens qui seront prins au bois de la communaulté de Coichey, ilz délivreront aux corniers et telles amendes seront d’église de Coichey. Et se l’en y prant gaiges dont les amendes montoient à soixante et cinq solx ou au plus de sept solx, li messiers et li forestiers doivent délivrer telz gaiges au maieur ou au seigneur, en telle manière que li corniers en recevrons sept solx pour l’église. Li forestiers ne li messiers, ne li maires ne peuvent gaigier les hommes de Coichey es bois de la communaulté, mais se ilz treuvent homme de la ville en domaige, ilz le doivent faire savoir es corniers, liquelx en auront à leur volenté, et se ilz en lievent amende, elle est à l’église quelle quelle soit, et de ces choses faire loyalement et de bonne foy, li messiers et li forestiers doivent mettre ploige es mains du maïeur au seigneur et des corniers, Après li corniers et li communaulté de Coichey esliront chacun an deux vigniers à leur volenté, pour garder les vignes des terreins de Coichey, fors que du terreins de Sampaigny; et li sire de Coichey ou ses maires doivent nommer au cornier et à la communaulté de Coichey, trois hommes desquelx li corniers et li communaulté doivent pranre ung qu’il doit estre vignier, avec les deux que li corniers et li communaulté auront esleuz, et de ce ces trois vigniers doivent li maires au seigneur de Coichey et li corniers, pranre le serement et les ploiges que ilz le feront bien et léaulment, à bonne foy et garderont le droit au seigneur de Coichey et es preudommes, et se ilz prennent amendes, elle est au seigneur de Coichey, quelle quelle soit. Après li homes des meix de Sampaigny demourant à Coichey, doivent eslire deux vigniers pour garder le finage de Sampaigney, et li corniers doivent recevoir de celx deux vigniers le serement et les ploiges, sens le commendement au seigneur de Coichey, et doivent celz vigniers par leurs seremens délivrer aux corniers tous les gaiges de toutes les amendes de trois solz et doivent estre à l’église. Et est assavoir que, après la venoinge, li maire peut mettre chacun an son sergent pour garder les paisseaus et les biens aux preudommes; et se cil sergent prant riens ou il ait amende, elle est au seigneur, et doit jurer devant la paroiche en la main au maïeur, que il le fera bien et léaulment et qu’il n’en culpera nulz à tort. Et tantost comme cilz vigniers seront mis, li povoir au seigneur cesse et lui maire peut aler tout le temps partout et se il prant riens où il ait amende, cette amende est au seigneur; et se l’en remue les deux corniers, li deux doivent au maïeur au seigneur, ung couroy de cinq solz, et se l’en n’en remue que ung, il ne doit riens. Li censes des maisons sises en la communaulté sont à l’église, et li noyers qui sont en la communaulté et seront, sont à l’église. Et est assavoir que, quant li preudommes verront que sera temps de mettre le ban de venoinge, le maire et ilz le mettront ou cymetière à l’issue de la messe; et se lui maire n’y vouloit ou ne pouvoit estre, pour ce ne lairoient pas li preudommes à mettre ledit ban; et se il y avoit discort entre les preudommes de mettre ledit ban, ce que la plus grant partie des preudommes en accorderoit, seroit tenu. Li ban au seigneur dure dès la Chamete Grand Oiselor jusques à la Charriere de la Soiche, et le peut tenir deux jours après le ban es preudommes et au tier jour, l’en y peut venoinger sans acuison, ne li communaulté n’est pas tenue de porter garantie au seigneur du ban du terrein du Gros Royal. Et se aucun fait maison ou celier ou escraigne, il peut mettre sans acuison sa pierre ou son merrier ou la terre, ou son fiens ou chemin, en telle manière qu’il n’encombroit pas pour ce la voie et le doit oster plus tost que il pourra souffisamment. Ne ne peut le sire de Coichey donner ne vendre ne aliener des communaultés de la ville, se n’est par les preudommes. Et quant le ban sera mis chacun an, li maire sanz li corniers, ne li corniers sans li maire ne pourront pranre, corner pour venoinger; et se ilz en prannent, la moitié sera à l’église et l’autre moitié au seigneur, sauf le ban au seigneur ou quel l’église n’a riens. Et est assavoir que li communaulté peut vendre pour le profit de l’église des bois de la communaulté toutes les fois qu’il lui plaira; en laquelle vendue le sire a de chascune livre douze deniers, sans que li remenans puisse soffire au soingner le four de la ville de Coichey et pour chief de ce qu’il a en ladite vendue, quant faire sera le vintiesme il ne peut demander partie es dis bois, ne ou treffons, maisques, ainsi comme li aultres de la communaulté, sauve sa justice et la soingne au four de la ville. Et se il y a descort entre les preudommes de Coichey, ilz pourront débonner leurs terres, leurs préz, leurs vignes, leurs mex et leurs maisons sans le seigneur et sans acuison; les pasquers, les chemins communs et les places communes de la ville, ciz ne pevent débonner, se li sire ou son commandement n’y est; et ce que li preudommes que seront esleuz à débonner débonneront, li sires ne peut aler encontre, ainz le doit faire tenir. Et se aucuns de la ville désiroit les pasquiers ou les chemins communs ou les communes places de la ville pour croistre, ou son champ, il est en l’amende au seigneur. Et est assavoir que le courtil tiennent point de ban. Et se li corniers se plaignent au seigneur pour le commun, ilz ne doivent point de claim. Tuit li hommes de la ville se sont cogneuz pour justiciables au seigneur, fors ce que li hommes des mex frans ne si congnoissent pas. Et pevent li corniers et la communaulté mettre des bois de la communaulté en ban toutes les fois qu’il leur plaira, en telle manière que li four de la ville ne perde sa soingne. Et est assavoir que ceste lettre ne donne, ne ne tost, ne ne greve, ne ne aide es mex frans, ne es hommes cui ilz sont, ne es seigneurs cui ilz sont hommes, ne es seigneurs de Coichey. Toutes ces choses dessus dites, je, Jehan de Montigny, sire de Coichey, et Aalipz de Coichey, sa femme, et nous li communaulté des hommes de Coichey, congnoissons et affermons estre faites par nostre volenté et les loons, volons, octroyons et approuvons, et promettons à tenir à tousjours mais, sens aler encontre, par nous ne par aultres, par noz seremens, faiz et donnez corporelment sur sains Evvangilles de Dieu, et au tenir et au garder à tousjours mais fermement et entièrement nous en loions noz hoirs, présens et advenir, et pour ce qu’elles soient fermes et estables à tousjours mais, nous avons prié et requis et fait mettre à ces présentes lettres les scelx de honnorables preudomes monss. Pierre, doïen de la chappelle le Duc, et maistre Aubery, doien de la Crestienté de Dijon. Ce fut fait en l’an de grâce mil CC et soixante et dix, ou mois de juing, le venredi devant la feste de Nativité Saint Jehan Baptiste. |
Nos Ingelrannus, Couciaci, Montis Mirabilis et Oysiaci dominus, notum facimus universis presentes litteras inspecturis, quod cum inter nos, ex una parte, et religiosos viros priorem et monachos ecclesie Beate Marie de Grandi Campo, Cluniacensis ordinis, Meldensis dyocesis, ex altera, discordia verteretur super garda sive custodia et justicia ipsius ecclesie et pertinentiarum suarum ac gruaria nemorum ejusdem ecclesie que ad nos pertinere dicebamus, predictis priore et monachis penitus ista negantibus, tandem, diligenti inquisitione a nobis per bonos et fide dignos super hoc facta, invenimus quod in premissis nichil juris penitus habebamus. Unde nos discordiam hujusmodi in perpetuum removere volentes, confitemur et recognoscimus quod in predicta ecclesia et in prioratu de Grandi Campo et ejus pertinentiis, scilicet terris, pratis, vineis, nemoribus, itineribus, viariis, stratis publicis, vivariis, aquis, molendinis, mensuris bladi seu vini, aut aliis quibuscumque mensuris, censibus, censivis, hospitibus, hominibus, nisi maneant in terra nostra, justiciis, rebus etiam aliis ac juribus quibuscumque et quocumque nomine censeantur, ad dictam ecclesiam seu prioratum predictum de Grandi Campo pertinentibus, seu ab ipsa moventibus, in castellania de Feritate Angulphi sitis, exceptis dicto castro et ejusdem castri territorio, justiciam magnam vel parvam seu custodiam, gruariam, sive aliquid aliud racione juris, dominii, jurisdictionis, usus vel consuetudinis, seu alia quacumque racione sive causa non habemus [vel habere debemus], et si habemus vel habere debemus quocumque jure seu quacumque ratione sive causa, eidem ecclesie seu prioratui predicto, ob remedium anime nostre et parentum nostrorum, in perpetuum totaliter remittimus et quictamus; et quicquid predicta ecclesia seu prioratus predictus in tota castellania predicta, titulo donacionis, empcionis, legationis, permutationis seu alio quocumque modo vel genere acquirendi acquisivit, que in presentiarum possidet, eisdem ecclesie et prioratui in perpetuum libere confirmamus, proinde ac si nominatim et singulariter presenti scripto essent expressa, et volumus quod predicta concessio ac recognicio sit a nobis legitime facta in perpetuum [et] habeat firmitatem. Preterea, volumus et concedimus quod si per importunitatem nostram vel successorum seu servientum nostrorum, vel alio quocumque casu, contra premissa aliquid factum seu attemptatum fuerit per quodcumque temporis spatium, breve vel longum, nobis vel successoribus nostris nichil juris, vel possessionis acquirat. Omnia autem premissa et singula, prout superius sunt expressa, eidem ecclesie et prioratui predicto erga nobilem virum dominum Robertum de Drocis et nobilem mulierem dominam Ysabellim, ejus uxorem, garentire promittimus et tenemur, si in predictis [aliquid] ratione dotis vel dotalicii reclamarent; promittentes fide a nobis super hoc prestita corporaliter, quod contra premissa vel aliquid premissorum per nos vel per alium nullatenus veniemus in futurum, immo omnia premissa et singula inviolabiliter servabimus et faciemus observari, et ab heredibus et successoribus nostris observari volumus in futurum, nos et heredes et successores nostros ad observationem premissorum nichilominus obligantes in perpetuum. Renunciando in hoc facto, ex certa scientia et per eandem fidem quoad premissa et quodlibet premissorum, omni actioni et exceptioni doli mali, fori, in factum, deceptionis et lesionis in premissis, exceptioni et actioni donacionis immense, condicioni sine causa et generaliter et specialiter omnibus exceptionibus, racionibus et allegationibus facti et juris rei coherentibus aut persone que contra premissa vel aliquid premissorum possent obici sive dici, et omni auxilio sive beneficio juris, tam canonici quam civilis. Nos vero Maria, domina de Fara, mater predicti Ingelranni, omnia supradicta et singula, prout superius sunt expressa, volumus, laudamus, approbamus pariter et acceptamus, promittentes per stipulationem solempnem et in bona fide, quod contra premissa vel aliquid premissorum, per nos vel per alium aliqua racione sive causa nullatenus veniemus in futurum. In quorum testimonium et perpetuam rei memoriam, nos prefatus Ingelrannus et nos prenominata Maria supradictis priori et monachis de Grandi Campo presentes litteras tradidimus sigillorum nostrorum munimine roboratas. Datum anno Domini millesimo ducentesimo sexagesimo quinto, die mercurii ante festum cathedre beati Petri apostoli. |
Gregorius episcopus, servus servorum Dei, venerabilibus fratribus archiepiscopo Lugdunensi et suffraganeis suis, et dilectis filiis abbatibus, etc., et aliis ecclesiarum prelatis per Lugdunensem provinciam constitutis, salutem et apostolicam benedictionem. Non absque cordis et plurima turbatione didicimus quod ita in plerisque partibus ecclesiastica censura dissolvitur, et canonice sententie severitas enervatur, ut viri religiosi, et hii maxime qui per sedis apostolice privilegia maiori donati sunt libertate passim a malefactoribus injurias sustineant, et rapinas, dum vix invenitur qui congrua illis protectione subveniat, et pro fovenda pauperum innocentia se murum deffensionis opponat. Specialiter, autem, dilecti filii abbas et fratres monasterii de Quinciaco, cisterciensis ordinis, Lingon. diocesis, tam de frequentibus injuriis quam de ipso quothidiano defectu justicie conquerentes, universitatem vestram litteris petierunt apostolicis excitari ut ita, videlicet, eis in tribulationibus suis contra malefactores eorum prompta debeatis magnanimitate consurgere, quod ab angustiis quas sustinent et pressuris vestro possint presidio respirare. Ideoque universitati vestre, per apostolica scripta mandamus atque precipimus quatenus illos qui possessiones, vel res predictorum fratrum irreverenter invaserint, aut ea injuste detinuerint que predictis fratribus ex testamento decedentium relinquantur, seu in ipsos fratres, vel eorum aliquem contra indulta sedis apostolice sententiam excommunicationis aut interdicti presumpserint promulgari, vel decimas laborum de possessionibus habitis ante concilium generale ante quod susceperunt ejusdem ordinis instituta, quas propriis manibus aut sumptibus excolunt, sive de nutrimentis animalium ipsorum, spretis apostolice sedis privilegiis extorquere, monitione premissa, si laici fuerint, publice candelis accensis singuli vestrum in diocesibus et ecclesiis vestris excommunicationis sententia percellatis. Si, vero, clerici, vel canonici regulares, seu monachi fuerint, eos appellatione remota, ab officio et beneficio suspendatis; neutram relaxaturi sententiam donec predictis fratribus plenarie satisfaciant; et tam laïci quam clerici seculares, qui pro violenta injectione manuum in fratres ipsos vel eorum aliquem anathematis fuerint vinculo innodati, cum diocesani episcopi litteris ad sedem apostolicam venientes ab eodem vinculo mereantur absolvi. Datum Perusii, duodecim kalend. Junii, pontificatus nostri anno nono. |
Primus Nicetius confessor, II almus Justus, III sanctus Eusebius, IIII inclitus Decius, V egregius Momulus, VI beatus Florentinus, VII sanctus item Decius, VIII Gundulfus vocatus episcopus, VIIII Adalrannus, X Brendencus, XI Bernardus, XII Lambertus, XIII Guntardus, XIIII sacratus Giraldus, XV Berno, XVI Maimbodus, XVII Theotelmus, XVIII Ado, XVIIII Johannes, XX Milo, XXI Ledbaldus, XXII Gauslenus, XXIII Walterius, XXIIII Drogo, XXV Landricus, XXVI Berardus, XXVII Jocerannus, XXVIII Pontius, XXVIIII Stephanus, XXX Renaudus, XXXI Pontius, XXXII Haymo. |
Cum mandatum apostolicum pro abbate Cluniacensi suscepissemus, ego Cantuariensis et Heliensis et Cicestrensis episcopi, ut tam comitem Warenne ad satisfatiendum de dampnis et injuriis quas intulerat ecclesie Lewensi, quam monachos Lewenses ad obediendum priori quem abbas eis preposuerat compelleremus, omni contradictione et appellatione cessantibus, et postmodum super principali questione, de nominatione vel electione prioris Lewensis, partibus diem assignaremus in curia, prius paci reformande inter dictos abbatem et comitem duximus insistendum, pro bono pacis quam sperabamus executionem nobis injunctam aliquandiu protelantes. Tamdem vero cum idem abbas non sine multo labore et gravi dispendio ad nos accessisset in Anglia, die quadam sibi et comiti apud Wataham prefixa, ipso et procuratoribus comitis in nostra presentia constitutis, presente etiam nuntio Cicestrensis episcopi ipsius vices agente, P., camerarius, Helias, Willelmus, Symon et Hugo, monachi Lewenses, pro se et conventu Lewensi, ex cujus parte venerant, protestati sunt in jure quod in nullo se opponebant Cluniacensi ecclesie, immo ipsi tamquam matri sue penitus adherentes parati erant eidem et abbati Cluniacensi, sicut patri et domino, omnimodam obedientiam et reverentiam exhibere. Dictis igitur monachis, ad peticionem nostram ab abbate susceptis in osculo pacis, indiximus parti comitis, ut custodes qui ad portam domus Lewensis positi dicebantur a comite removeret, ita quod salvo jure comitis, abbas et sui liberum ingressum et egressum haberent ad domum Lewensem; alioquin custodes excommunicationi supponeremus et terram comitis interdicto. Et sic dicto abbate consentiente, ob reverentiam domini regis, qui super hoc nobis scripserat, prefiximus alium diem. Cum autem abbas ad domos suas de Lewes et de Acra non post multum temporis causa visitationis accederet, comitantibus nuntiis nostris, ut videlicet providerent ne vel abbas in prejuditium comitis super querela que inter eos vertebatur aliquid attemptaret, vel comes aut homines sui eidem abbati vel suis ad domos supradictas aditum denegarent, tam ipsi quam abbas utrobique ab hominibus comitis ignominiose per violentiam sunt repulsi; unde malefactores excommunicati fuerunt et terra comitis interdicto supposita. Abbas etiam utrumque monasterium propter violentiam ibidem commissam, et quia custodes, quamvis excommunicati, in eisdem tamen morabantur domibus, interdixit. Postmodum vero cum ad diem prefixam Wigorniam venissemus, ad iteratam petitionem domini regis protractum est negotium de assensu dicti abbatis. Appropinquante autem solempnitate paschali, accesserunt ad me Cantuariensem nuntii comitis pro ipso et hominibus suis cautionem offerentes, quod super predictis injuriis ecclesie starent mandato; et sic absolutis hominibus juxta formam communem, recesserunt nuntii michi firmissime promittentes quod statim amoverentur custodes a porta Lewensi et ad submonitionem meam de premissis satisfactio fieret competenter. Verum abbate consequenter ad Lewense monasterium accedente, iterum abbati et suis ingressus et egressus monachis per violentiam est preclusus; unde propter iteratam injuriam et illusionem Deo factam, hujus sceleris complices et factores excommunicati fuerunt; et quia novissima pejora erant prioribus, non tantum terra comitis propria, verum etiam terre de feodo suo supposite fuerunt interdicto; altera vero die Londonii prefixa, presentibus dicto abbate et uxore et filio comitis cum procuratoribus ejusdem et quamplurimis baronibus terre sue, postquam diu laboravimus ad pacem, tamdem, cum difficultate maxima, de assensu predictorum et consilio multorum episcoporum et magnatum terre, qui ibidem aderant, fuit pax ad honorem utriusque partis, sicut credimus, provisa, per assensum comitis, si ad hoc posset induci, postmodum roboranda. Porro veniente die ad roborationem pacis vel executionem mandati apostolici faciendam statuta, de pace formata vel alia nichil prorsus a parte comitis renuntiatum est nobis; immo, quod grave tulimus, eadem parte comitis ad laicalem potentiam convolante, tam nobis quam abbati ex parte domini regis inhibitum est districte, ne in prefato negotio, quod ad coronam regiam pertinere dicebatur, procedere temptaremus. Cum autem nichilominus mandatum domini pape vellemus exequi, Deo magis obedire quam hominibus eligentes, nec nobis datum esset desuper in his que pacis erant proficere, pro comite contra dictum abbatem est objectum litteras quibus innitebamur nullius esse momenti, eo quod interveniente illo, qui se falso gesserat comitis procuratorem in curia, easdem impetraverat pars abbatis; unde quod si contra comitem statutum est in curia vel optentum, censendum est irritum et inane. E contrario pars abbatis executionem mandati apostolici fieri petebat instanter, maxime de obedientia priori exhibenda, proponens exceptionem de falso procuratore ad hunc articulum non pertinere; nam dominus papa precise contra monachos statuerat ut obedientiam exhiberent priori quem abbas instituerat, quos tamen in litteris suis fatebatur non habuisse procuratorem in curia. Preterea juri communi consentaneum videbatur, ut priori ab abbate preposito, qui etiam aliquamdiu in possessione fuerat prioratus, non deberet a monachis, pendente questione an rite sit institutus, obedientia denegari; precipue cum hoc idem favor religionis exigat, ne ordo depereat pro defectu prepositi, et monachi absque priore degentes ut acephali, tamquam oves sine pastore, dispersi errare incipiant et vagari. Monachi vero Lewenses, qui venerant ex parte conventus, professi sunt in jure se abbati tamquam patri et domino et ecclesie Cluniacensi subjectos et obedientes existere, nec eisdem velle in aliquo resistere vel controversiam movere; nec conventum Lewensem in electione seu nominatione sui prioris jus aliquod vendicare. Habito igitur prudentum virorum consilio, cum constaret collegam nostrum episcopum Cicestrensem interesse non posse, ego Cantuariensis et Heliensis episcopus prefatum articulum decidentes, auctoritate apostolica precepimus, juxta formam suscepti a nobis mandati, obedientiam et reverentiam magistro Alexandro, quem abbas in sepedicta domo Sancti Pancratii priorem instituerat, a monachis Lewensibus exhibendam, et quoscumque resistentes quominus pacifica possessione et administratione prioratus gauderet, omni contradictione et appellatione cessantibus, per censuram ecclesiasticam decrevimus cohercendos. Verum discretis ac religiosis personis, J[ohanne] de Bello et W[illelmo] de Ponte Roberto, abbatibus, de mandato nostro accedentibus ad domum Lewensem, ut illuc introducerent dictum priorem, tam ipsi quam prior violenter ab hominibus comitis sunt repulsi. Unde resistentes excommunicationis sunt innodati sententia, et terra comitis auctoritate apostolica supposita interdicto. Novissime vero, cum in ipsum comitem multociens et benigne commonitum parati essemus districtionem ecclesiasticam exercere, tamdem per Dei gratiam, presentibus multis episcopis et magnatibus terre, pax inter dictos abbatem et comitem est firmata ab ipsis et successoribus in perpetuum observanda, sicut plene in rescripto pacis autentico continetur. Postmodo vero ego Cantuariensis comitem et malefactores predictos super predictis injuriis veniam postulantes, quos absolvere potui, recepta ab eis solita cautione, absolvi; et eisdem injunxi penam, indicens comiti ne deinceps religiosis domibus vim inferret vel ibidem custodes apponeret; et sic, me presente et comitante, introductus est abbas in domum Lewensem, et a comite et monachis honorifice receptus, libere in eadem domo que ad suum pertinebant officium ordinavit. (Trace de sceau.) |
Grauem nimis ac miserabilem Orientalis Ecclesiæ gemitum ad aures vestras, immo ad ipsa etiam penetralia cordis arbitror peruenisse. Dignum quippe est, vt secundum magnitudinem vestram, magnum exhibeatis eidem vestræ, omnium fidelium matri compassionis affectum: præsertim tam vehementer afflictæ, tam grauiter periclitanti. Dignum, inquam, vt tanto amplius comedat vos zelus domus Dei: quanto ampliorem in ea locum ipso auctore tenetis. Alioquin, si duramus viscera, si obduramus corda, si plagam hanc paruipendimus, nec dolemus super contritione: vbi nostra in Deum charitas, vbi dilectio proximorum? Immo vero, si non satagimus quanta possumus sollicitudine, consilium aliquod, remedium tantis malis tantisque periculis adhibere: quomodo non ingrati esse conuincimur ei, qui abscondit nos in die malorum in tabernaculo suo, iustius perinde, vehementius puniendi, vtpote tam diuinæ gloriæ quam fraternæ salutis negligentes? Hæc vobis tam fiducialiter quam familiariter duximus suggerenda: ob gratiam vtique, qua nostram indignitatem excellentia vestra dignatur. Nam Patres nostri, Episcopi Franciæ, vna cum Domino Rege, Principibus, tertia Dominica post Pascha, apud Carnotum venturi sunt, de verbo hoc tractaturi: vbi vtinam mereamur habere præsentiam vestrā! Quia enim magnis omnino magnorum virorum consiliis, hoc verbum constat egere: gratum profecto obsequium præstabitis Deo, si negotium eius a vobis non duxeritis alienum: sed charitatis vestræ zelum probaueritis in opportunitatibus, in tribulatione. Nostris enim, Pater amantissime, nostis, quoniam amicus in necessitate probatur. Confidimus autem, quod magnum huic verbo prouentum præsentia vestra præstabit: tum pro auctoritate sanctæ Cluniacēsis Ecclesiæ, cui Deo disponente præestis: tum maxime pro sapientia gratia, quam vobis ipse donauit, ad vtilitatem vtique proximorum, suum ipsius honorem. Qui vobis etiam nunc inspirare dignetur, vt non grauemini venire: seruis suis in nomine eius, pro zelo ipsius nominis, congregandis, vestram admodum desiderabilem conferre præsentiam. |
Ie Iean sires de Saluns faicts scavoir à tous ces qui verront et ourront ces presentes lettres que cum Isabeaume de Moisse filia file cay en arrieres monseigneur Iean dit Pillot de Dole, chevalier et Odot de Blace mary a la devant dicte Isabelle aient vendu et quitte a tous iorz mes a religioux homme al abbe et au couvent de Sainct Estienne de Diion du diocèse de Langres et bois, et le fief de ce bois, liquez bois siet au finage de Uille soz Geuvier au lieu ou lendit en Baalanges. Liquez bois est et meue de mon fief et ledict bois ils ont vendu pour trente livres de vienois. Ie volens faire grace special sus ce es dicts acheteurs ladite vendue lo veuil et octroiois et reconnois ladicte vendue estre faicte de ma volonté et quitte esdicts acheteurs ledict fie et quelconque daution de devraison. Ie ay avoir puis audict bois et au fonds de celuy bois par raison doudict fief, et promets soubs l’obligation de tous mes biens et en bonne foy que ie niray encontre ladicte quittance, ne encontre la tenour de ces presentes lettres pour moy ne autres taisiblement ou en appert, ie ne reclameray aucune chose de droict audict bois pour raison de fief doicy en avant; et pour ce que ceste chose soit ferme et estauble, ie lai voulut que cete lettre soit sellée de mon seel; ce faict lan de nostre seignour mil deux cent quatrevingt et seize, au mois de février. |
In nomine sanctæ et individuæ Trinitatis. Notum sit omnibus sanctæ Dei æcclesiæ fidelibus, quod ego Arnaldus Vualricus et uxor mea, filiique mei et meæ filiæ, considerantes casum nostræ fragilitatis venturum, donamus, pro remedio animarum nostrarum omniumque parentum nostrorum, Domino Deo et sanctorum apostolorum principibus, ad locum Cluniacensem, cui preest pater Hugo, auxiliante Domino, quandam æcclesiam in honore beati Johannis consecratam, atque in territorio Caturcino constitutam, scilicet in villa Colnac vocabulo vocatam, et cum ecclesia omnia alia quæ sibi sunt accidentia, laudante Petro de la Rocca, qui hanc æcclesiam de nobis ad fedum tenebat, et filius suus, et laudante Gauzelmo de Vosias cum suis liberis, qui de Petro supradicto et de filiis suis hanc iterum tenebant ad fedum, et laudantibus his subtitulatis, scilicet Stephano, et Rainaldo, et Aone, et Petro, et Arnaldo, qui de Gauzelmo et de illius filiis hanc æcclesiam rursus ad fedum habebant. S. Arnaldi, qui cartulam istam manu sua firmavit et firmare rogavit, tali pacto ut si quis ex mortalibus hoc contradixerit, cum diabolo ejusque satellitibus adsit. Facta est carta ista mense febroario, regnante Phylippo. |
Ego Nicholaus, Dei gratia Bisuntinensis archiepiscopus, notum facio presentibus et futuris quod nobilis vir Hugo, miles, de Borbona, dedit in puram et perpetuem elemosinam Deo et Beate Marie Morimundi et fratribus ibidem Deo serventibus molendinum suum quod est sub Borbonia situm et terram ante idem molendinum, ad aliquod edificium ibidem si predictis fratribus placuerit faciendum. Laudaverunt etiam et ratum habuerunt hoc donum filii dicti Hugonis Petrus, Gerardus et Willermus, de feodo cujus Willermi idem molendinum movet, et hoc idem laudavit uxor dicti Willermi Margareta.
Dedit iterum et concessit jamdictus Hugo, miles, predictis fratribus Morimundi laude et assensu pronominatorum filiorum suorum Petri videlicet, Gerardi et Willermi, paschua per totum finagium suum de Borbonia et per totam terram suam in omnibus terris cultis et incultis ad omnia genera animalium pascenda et enutrienda, ita tamen quod si sepedicti fratres vel eorum animalia casu aliquo alicui dapnum fecerint, sine emenda vel altero gravamine dapnum restituere tenebuntur.
Et ne super hac elemosina supradicti fratres Morimundi possent in posterum ab aliquo perturbari, ad petitionem dicti Hugonis militis et pronominatorum filiorum ejusdem sigilli mei testimonio presentem paginam roboravi. Actum anno Domini millesimo ducentesimo tricesimo quinto. |
Por conforter ma pesance
Faz un son.
Bons ert, se il m'en avance,
Car Jason,
Cil qui conquist la toison,
N'ot pas si grief penitance.
E ! é ! é !
Je meïsmes a moi tence,
Car reson
Me dit que je faz enfance,
Quant prison
Tieng ou ne vaut raençon ;
Si ai mestier d'alejance.
E ! é ! é !
Ma dame a tel conoissance
Et tel renon
Que g'i ai mis ma fiance
Jusqu'en son.
Meus aim que d'autre amor don
Un regart, quant le me lance.
E ! é ! é !
Melz aim de li l'acointance
Et le douz non
Que le roiaume de France.
Mort Mahon !
Qui d'amer qiert acheson
Por esmai ne pour dotance !
E ! é ! é !
Bien ai en moi remenbrance
A conpaignon ;
Touz jorz remir sa senblance
Et sa façon.
Aiez, Amors, guerredon !
Ne sosfrez ma mescheance !
E ! é ! é !
Dame, j'ai entencion
Que vos avroiz conoissance.
E ! é ! é !
De touz maus n'est nus plesanz
Fors seulement cil d'amer,
Mès cil est douz et poignanz
Et deliteus a penser
Et tant set biau conforter,
Et de granz biens i a tanz
Que nus ne s'en doit oster.
Fins amis obedianz,
Vueil a ma dame encliner.
Je ne puis estre dolanz,
Quant je oi de li parler ;
Tant me plest a remenbrer,
Que de touz maus m'est garanz
Sa biauté a recorder.
Amors, quant vous m'avez mis
Lïé en vostre prison,
Melz ameroie estre ocis
Que g'eüsse raençon.
Tels maus est bien sanz reson
Qui me plest, quant me fet pis,
Ne ja n'en qier garison.
Quanque il vous est a vis,
Dame, me senble reson ;
Si m'a vostre amor sorpris
Et vostre plesant façon,
Et biautez a tel foison
Qui resplent en vostre vis
Et dès les piez jusqu'en son.
Se de vos peüsse avoir,
Dame, un pou plus biau senblant,
Je ne savroie voloir
Querre Dieu merci si grant,
Que de joie avroie tant
Que tuit autre honme, pour voir,
Seroient vers moi dolent.
Dame, ou touz mes biens atent,
Sachiez, quant vous puis veoir,
Nus n'a si joieus torment.
Je ne voi mès nului qui gieut ne chant
Ne volentiers face feste ne joie,
Et pour ce ai je demoré longuement
Que n'ai chanté ensi com je soloie,
Ne je n'en ai eü conmandement ;
Et pour ice, se je di folement
En ma chançon de ce que je voudroie,
Ne m'en doit on reprendre malement.
Grant pechié fet qui fin ami reprent,
N'il n'aime pas qui pour diz se chastoie ;
Et la coustume est tels de fin amant :
Plus pense a li, et il plus se desroie.
Qui en amor a tot cuer et talent,
Il doit sousfrir bien et mal merciant,
Et qui ensi nel fet, il se foloie,
Ne ja n'avra grant joie en son vivant.
Se m'aït Deus, onques ne vi nului
Tres bien amer qui s'en poïst retraire,
Et cil est fous et fel et plains d'ennui
Qui autrement veut mener son affaire.
Ha ! s'avïez esté la ou je fui,
Douce dame, s'ainz riens d'amors conui,
Vostre fins cuers, qui si pert debonaire,
Avroit merci, s'onques riens l'ot d'autrui.
Quant plus m'enchauce amors, et mains la fui ;
Cist maus est bien a touz autres contraire,
Car qui aime, ainz Deus ne fist celui
N'estuit souvent de ses maus joie faire.
De vos amer onques ne me recrui
Puis cele heure, dame, que vostres fui,
Que mes fins cuers vous fist tant a moi plaire,
Dont mau gré soi de ce que je l'en crui.
Si sui pensis que ne sai que je qier
Fors que merci, dame, s'il vous agree ;
Que bien savez ja n'iert en reprouvier
D'orgueilleus cuer bone chançon chantee.
Mès par pitié se doit on essaucier,
Ne ja orguels ne s'i doit herbegier
La ou il a d'amors tel renonmee,
Ainz doit le sien bien faire et avancier.
Chançon, di li que tot ce n'a mestier ;
Que, s'ele avoit cent foiz ma mort juree,
Si m'estuet il remaindre en son dangier.
Fueille ne flor ne vaut riens en chantant
Que por defaut, sanz plus, de rimoier
Et pour fere solaz vilaine gent
Qui mauvès moz font souvent aboier.
Je ne chant pas por aus esbanoier,
Mès por mon cuer fere un pou plus joiant,
Q'uns malades en guerist bien souvent
Par un confort, quant il ne puet mengier.
Qui voit venir son anemi corant
Pour trere a lui granz saetes d'acier
Bien se devroit destorner en fuiant
Et garantir, s'il pouoit, de l'archier ;
Mais, quant Amors vient plus a moi lancier,
Et mains la fui, c'est merveille trop grant,
Q'ausic reçoif son coup entre la gent
Com se g'iere touz seus en un vergier.
Je sai de voir que ma dame aime cent
Et plus assez : c'est pour moi corrocier.
Mais je l'aim plus que nule riens vivant,
Si me doint Deus son gent cors enbracier !
Ce est la riens que plus avroie chier,
Et, se j'en sui parjurs a escïent,
On me devroit traïner tout avant
Et puis pendre plus haut que un clochier.
Se je li di :« Dame, je vous aim tant »,
Ele dira je la vueil engingnier,
Ne je n'ai pas ne sens ne hardement
Qu'encontre li m'osasse desresnier.
Cuers me faudroit, qui me devroit aidier,
Ne parole d'autrui n'i vaut noient.
Que ferai je ? Conseilliez moi, amant !
Li quels vaut melz, ou parler ou lessier ?
Je ne di pas que nus aint folement,
Que li plus fous en fet melz a prisier,
Mès granz eürs i a mestier souvent
Plus que n'a sens ne reson de pledier.
De bien amer ne puet nus enseignier
Fors que li cuers, qui done le talent.
Qui plus aime de fin cuer loiaument,
Cil en set plus et mains s'en set aidier.
Dame, merci ! Vueilliez cuidier itant
Que je vous aim ; riens plus ne vous demant.
Vez le forfet dont je vous vueil proier !
Li rosignous chante tant
Que morz chiet de l'arbre jus ;
Si bele mort ne vit nus,
Tant douce ne si plesant.
Autresi muir en chantant a hauz criz,
Que je ne puis de ma dame estre oïz,
N'ele de moi pitié avoir ne daigne.
Chascuns dit q'il aime tant
C'onques si fort n'ama nus.
Ce fet les amanz confus
Que trop mentent li truant ;
Mès dame doit conoistre a leur faus diz
Que de toz biens s'est leur faus cuers partiz,
N'il n'est pas droiz que pitiez leur en praingne.
Onques fierté n'ot si grant
Vers Pompee Julius
Que ma dame n'en ait plus
Vers moi, qui muir desirrant.
Devant li est touz jorz mes esperiz
Et nuit et jor li crie mil merciz,
Besant ses piez, que de moi li souviengne.
J'en trerai Dieu a garant
Et touz les sainz de lasus
Que, se nus puet amer plus,
Que je n'aie amendement
Ne ja de vous ne soie mès oïz,
Ainz me tolez voz debonaires diz
Et me chaciez com beste de montaingne.
Je ne cuit pas que serpent
N'autre beste poigne plus
Que fet Amors au desus ;
Trop par sont si coup pesant.
Plus tret souvent que Turs ne Arrabiz,
N'onques oncor Salemons ne Daviz
Ne s'i tindrent ne q'uns fous d'Alemaigne.
N'est merveille se je sui esbahiz,
Que li conforz me vient si a enviz
Que je dout mout que touz biens ne sousfraigne.
Dame, de vous ne puis estre partiz,
Si vous en jur les grez et les merciz
Que je atent c'oncor de vous me viengne.
Mainz durs assauz m'avra Amors bastiz.
Chançon, va tost et non pas a enviz
Et salue nostre gent de Champaigne !
De bone amor vient seance et bonté,
Et amors vient de ces deus autresi.
Tuit troi sunt un, qui bien i a pensé ;
Ja a nul jor ne seront departi.
Par un conseil ont ensenble establi
Li coreor, qui sont avant alé :
De mon cuer ont fet leur chemin ferré ;
Tant l'ont usé, ja n'en seront parti.
Li coreor sunt la nuit en clarté
Et le jor sont por la gent oscurci :
Li douz regart plesant et savoré,
La granz biautez et li bien que g'i vi ;
N'est merveille se je m'en esbahi.
De li a Deus le siecle enluminé,
Car qui avroit le plus biau jor d'esté,
Lez li seroit oscurs a plain midi.
En amor a paor et hardement :
Li dui sont troi et du tierz sont li dui,
Et grant valeur est a eus apendant,
Ou tout li bien ont retret et refui.
Por c'est Amors li hospitaus d'autrui
Que nus n'i faut selonc son avenant.
G'i ai failli, dame, qui valez tant,
A vostre ostel, si ne sai ou je sui.
Or n'i a plus fors qu'a li me conmant,
Car touz biens fez ai lessié pour cestui :
Ma bele joie ou ma mort i atent,
Ne sai le quel, dès que devant li fui.
Ne me firent lors si oeil point d'ennui,
Ainz me vindrent ferir si doucement
Par mi le cuer d'un amoreus talent ;
Oncore i est li cous que j'en reçui.
Li cous fu granz, il ne fet qu'enpoirier,
Ne nus mires ne m'en porroit saner,
Se cele non qui le dart fist lancier.
Se de sa main i daignoit adeser,
Bien en porroit le coup mortel oster
A tout le fust, dont j'ai grant desirrier ;
Mès la pointe du fer n'en puet sachier,
Qu'ele bruisa dedenz au cop doner.
Dame, vers vous n'ai autre messagier
Par cui vous os mon corage envoier
Fors ma chançon, se la volez chanter.
Une dolor enossee
S'est dedenz mon cuer
Que je ne puis oster fuer
Por nule riens qui soit nee ;
C'est dolor d'amors,
Dont n'ai confort ne secors,
Ainz cuit ce que j'aim me hee.
Dolenté desesperee
Doit on geter puer,
Ne je ne vueil a nul fuer
Qu'ele soit en moi entree.
Melz aim mes dolors
Sousfrir et les granz poors,
Que sousfrir vaint consieurree.
Dame, ainz ne m'osai conplaindre
A vous tant ne quant,
Que vostre biauté tres grant
Fet mon sens el cuer estaindre,
Si que n'ai pouoir
De vous dire mon voloir ;
Por tant puet touz jorz remaindre.
Bien voi que n'i puis ataindre
Par nul mandement,
N'en qier, voir, parler avant
Ne aillors ne m'en vueil plaindre ;
Ainz atendrai, voir,
Sa merci de dur voloir,
Se pitiez ne la fet fraindre.
N'os entrer en son repaire,
Tant dout son corroz.
As sospirs et as sangloz
M'en tieng, que n'en puis plus faire ;
Ainz vois aorant
Le leu et merci criant
Conme a un haut saintuaire.
Dame, cui j'aim tant,
Quelque bien en delaiant
Me donnez por plus atraire.
Bernart, cil qui sent
Mes maus et merci n'atent
Trop a ennui et contraire.
Por mau tens ne por gelee
Ne por froide matinee
Ne por nule autre riens nee
Ne partirai ma pensee
D'amors que j'ai,
Que trop l'ai amee
De cuer verai.
Valara !
Bele et blonde et coloree,
Moi plest quanq'il vous agree.
He, Deus ! car me fust donee
L'amor que vous ai rouvee !
Quant prierai,
S'ele m'est veee,
Je me morrai.
Valara !
Dame, en la vostre baillie
Ai mis mon cors et ma vie.
Por Deu, ne m'ocïez mie !
La ou fins cuers s'umilie
Doit on trouver
Merci et aïe
Pour conforter.
Valara !
Dame, faites cortoisie !
Plaise vos que en ma vie
Iceste parole die :
Ma bele, tres douce amie
Vos os nonmer,
C'onques n'oi envie
D'autrui amer.
Valara !
Onques jor ne me soi plaindre,
Tant seroit ma dolor graindre ;
Ne d'amer ne me sai faindre,
Ne mes maus ne puis estaindre,
Se je ne di
Que touz vueil remaindre
En sa merci.
Valara !
Trop seroit fort a estaindre
Chançons de li ;
L'amors est a fraindre,
Dont pens a li.
Valara !
Tant ai amors servies longuement
Que dès or mès ne m'en doit nus reprendre
Se je m'en part. Ore a Dieu les conmant,
Qu'en ne doit pas touz jorz folie enprendre ;
Et cil est fous qui ne s'en set desfendre
Ne n'i conoist son mal ne son torment.
On me tendroit dès or mès por enfant,
Car chascuns tens doit sa seson atendre.
Je ne sui pas si com cele autre gent
Qui ont amé, puis i vuelent contendre
Et dïent mal par vilain mautalent.
On ne doit pas seigneur servise vendre
Ne vers Amors mesdire ne mesprendre ;
Mès qui s'en part parte s'en bonement.
Endroit de moi vueil je que tuit amant
Aient grant bien, quant je plus n'i puis prendre.
Amors m'a fet grant bien enjusqu'ici,
Qu'ele m'a fet amer sanz vilanie
La plus tres bele et la meilleur ausi,
Au mien cuidier, qui onques fust choisie.
Amors le veut et ma dame m'en prie
Que je m'en parte, et je mult l'en merci.
Quant par le gré ma dame m'en chasti,
Meilleur reson n'ai je a ma partie.
Autre chose ne m'a Amors meri
De tant com j'ai esté en sa baillie,
Mès bien m'a Deus par sa pitié gueri,
Quant delivré m'a de sa seignorie.
Quant eschapez li sui sanz perdre vie,
Ainz de mes euz si bone heure ne vi,
Si cuit je fere oncor maint jeu parti
Et maint sonet et mainte raverdie.
Au conmencier se doit on bien garder
D'entreprendre chose desmesuree,
Mès bone amor ne let honme apenser
Ne bien choisir ou mete sa pensee.
Plus tost aime on en estrange contree,
Ou on ne puet ne venir ne aler,
Qu'on ne fet ce qu'on puet toz jorz trouver
Issi est bien la folie esprouvee.
Or me gart Deus et d'amor et d'amer
Fors de Celi, cui on doit aourer,
Ou on ne puet faillir a grant soudee.
Douce dame, tout autre pensement,
Quant pens a vous, oubli en mon corage.
Dès que vous vi des euz premierement,
Ainz puis Amors ne fu de moi sauvage ;
Ançois m'a plus traveillié que devant.
Pour ce voi bien que garison n'atent,
Qui m'assoage,
Fors seul de vos remirer
Des euz du cuer en penser.
Se je ne puis vers vos aler souvent,
Ne vos poist pas, bele, cortoise et sage,
Que je me dot forment de male gent
Qui devinant avront fait maint damage ;
Et se je faz d'aillors amer senblant,
Sachiez que c'est sanz cuer et sanz talent,
S'en soiez sage ;
Et s'il vous devoit peser,
Gel leroie ançois ester.
Sanz vos ne puis, dame, ne je ne qier,
Ne ja d'autrui Deus ne me doint mès joie !
Car j'aim mult melz estre en vostre dangier
Et sousfrir mal qu'autre bien, se l'avoie.
Ha ! si bel oeil riant a l'acointier
M'i firent si mon corage changier ;
Que je soloie
Blasmer et despire amors ;
Ore en sent mortieus dolors.
Si grant biauté com s'i pot acointier
En cortois sens, qui son gent cors mestroie,
Ja li fist Deus por fere merveillier
Touz ceus a qui ele veut fere joie.
Nul outrage, dame, je ne vous qier
Fors seul itant que daignissiez cuidier
Que vostres soie ;
Mult me seroit granz secors
Et esperance d'amors.
Ainz riens ne vi en li ne m'ait navré
D'un coup parfont a si tres douce lance :
Front, bouche et nés, euz, vis frès coloré,
Mains, chief et cors et bele contenance.
Ma douce dame, et quant les reverré,
Mes anemis, qui si fort m'ont grevé
Par leur puissance
C'ainz mès nus hons ne fu vis
Tant amast ses anemis ?
Chançon, va t'en a celi que bien sé
Et si li di por poor ai chanté
Et en doutance ;
Mes droiz est que fins amis
Soit a sa dame ententis.
Tuit mi desir et tuit mi grief torment
Viennent de la ou sont tuit mi pensé.
Grant poor ai, pour ce que toute gent
Qui ont veü son gent cors acesmé
Sont si vers li de bone volenté.
Nès Deus l'aime, gel sai a escïent ;
Grant merveille est, quant il s'en suesfre tant.
Touz esbahiz m'obli en merveillant
Ou Deus trouva si estrange biauté ;
Quant il la mist ça jus entre la gent,
Mult nous en fist grant debounereté.
Trestout le mont en a enluminé,
Qu'en sa valor sont tuit li bien si grant ;
Nus ne la voit ne vous en die autant.
Bone aventure aviengne fol espoir,
Qui mainz amanz fet vivre et resjoïr !
Desperance fet languir et doloir,
Et mes fous cuers me fet cuidier guerir ;
S'il fust sages, il me feïst morir.
Pour ce fet bon de la folie avoir,
Qu'en trop grant sens puet il bien mescheoir.
Qui la voldroit souvent ramentevoir,
Ja n'avroit mal ne l'esteüst guerir,
Car ele fet trestoz ceus melz valoir
Cui ele veut belement acoillir.
Deus ! tant me fu grief de li departir !
Amors, merci ! Fetes li a savoir :
Cuers qui n'ainme ne puet grant joie avoir.
Souviengne vous, dame, du douz acueil
Qui ja fu fez par si grant desirrier,
Que n'orent pas tant de pouoir mi oeil
Que je vers vous les osasse lancier ;
De ma bouche ne vos osai prïer,
Ne poi dire, dame, ce que je vueil ;
Tant fui coarz, las, chetis ! q'or m'en dueil.
Dame, se je vos puis mès aresnier,
Je parlerai mult melz que je ne sueil,
S'Amors me let, qui trop me maine orgueil.
Chançon, va t'en droit a Raoul noncier
Qu'il serve Amors et face bel acueil
Et chant souvent com oiselez en brueil.
De nouviau m'estuet chanter
El tens que plus sui marriz.
Quant ne puis merci trouver,
Bien doi chanter a enviz ;
Ne je n'os a li parler ;
De ma chançon faz mesage,
Que tant est cortoisie et sage
Que ne puis aillors penser.
Se je peüsse oublïer
Sa biauté et ses bons diz
Et son tres douz esgarder,
Bien peüsse estre gueriz ;
Mès n'en puis mon cuer oster,
Tant i pens de fin corage.
Espoir s'ai fet grant folage,
Mès moi l'estuet endurer.
Chascuns dit q'il muert d'amor,
Mès je n'en qier ja morir.
Melz aim sousfrir ma dolor,
Vivre et atendre et languir,
Qu'ele me puet bien merir
Mes maus et ma consieurree.
N'aime pas a droit qui bee
Q'il l'en porroit avenir.
Dame, qui a grant poor
Souvent l'estuet esbahir
Et penser a tel folor
Dont je ne me puis tenir.
S'il est a vostre plesir,
S'iert bien ma paine sauvee,
Que sol de la desirree
Me fet mon cuer resbaudir.
Nus ne puet grant joie avoir,
S'il ne ra des maus apris.
Qui touz jorz fet son voloir
A poine ert ja fins amis.
Pour ce fet Amors doloir
Qu'ele veut guerredon rendre
Ceus qui bien sevent atendre
Et servir a son voloir.
Dame, de tout mon pouoir
M'otroi a vous sanz contendre,
Que sanz vous ne me puet rendre
Nus biens ne ne puet valoir.
Nus hons ne puet ami reconforter
Se cele non ou il a son cuer mis.
Por ce m'estuet souvent plaindre et plorer,
Que nus conforz ne me vient, ce m'est vis,
De la ou j'ai toute ma remenbrance.
Por bien amer ai sovent esmaiance
A dire voir.
Dame, merci ! Donez moi esperance
De joie avoir !
Je ne puis pas souvent a li parler
Ne remirer les biaus euz de son vis.
Ce poise moi que je n'i puis aler,
Car adès est mes cuers la ententis.
Hé, bele riens, douce sanz conoissance !
Car me metez en meilleur atendance
De bon espoir !
Dame, merci ! Donez moi esperance
De joie avoir !
Je ne sai tant vers li merci crïer
Qu'ele ne cuit que je soie faintis,
Que tante gent se sont pris au guiler
Qu'a paine ert mès coneüz fins amis.
Ice m'ocit, ice me desavance,
Ice me tout ma joie et ma fiance
Et fet doloir.
Dame, merci ! Donez moi esperance
De joie avoir !
Aucuns i a qui me seulent blasmer,
Quant je ne di a qui je sui amis,
Mès ja, dame, ne savra mon penser
Nus qui soit nez, fors vous, cui je le dis
Coardement, pooros, en dotance.
Vos poïstes lors bien a ma senblance
Mon cuer savoir.
Dame, merci ! Donez moi esperance
De joie avoir !
Amors, de vos me vueil du tout clamer,
Car en vous est trestouz li larrecins.
Trop savez bien le cuer d'un honme enbler,
Mès du rendre n'est il termes ne fins,
Ainz le tenez esmaiant en balance.
Amors, en vous ai fet ma remenbrance
De mon voloir.
Dame, merci ! Donez moi esperance
De joie avoir !
Chançon, va t'en a Nantueil sanz faillance !
Phelipe di que, s'il ne fust de France,
Trop puet valoir.
Dame, merci ! Donez moi esperance
De joie avoir !
Tout autresi con fraint nois et yvers,
Que vient estez, que li douz tens repaire,
Deüst fraindre li faus prïerres sers
Et fins amis amender son afaire ;
Et je dot mult q'il ne me soit divers,
Se il touz est aus autres debonaire ;
Mès tant me fi la ou biautez repaire,
Q'aÿmanz sui, se tout n'est vers moi fers.
Par Dieu, Amors, ainz serai vains et pers
Et plus destroiz que cil qui porte haire
Que ne sache de vos un autre vers
Que n'est icil qui tant me fet mal traire.
Ne soiez pas con li cines c'adès
Bat ses cisniaus, quant il lor doit melz faire,
Quant il sont grant et il vient a son aire,
Et a premiers les a norriz et ters.
Nule paine, qui guerredon atent ;
C'est aese, qui bien le set entendre.
Car qui adès veut fere son talent,
On i puet bien mainte chose reprendre.
Tel chevauchent mult acemeement
Qui ne sevent leur grant honor atendre.
En Amors a maint guerredon a prendre
Dont el puet bien son dru faire joiant.
Certes, dame, bien cuit a escïent
N'i doi perdre, se ne m'i puis desfendre.
De vos amer me va Amors hastant,
Que je me claim vaincu sanz plus coup rendre ;
Et vos tenez le baston en estant,
Si fetes tant c'on ne vos puist reprendre ;
Et je vos vueil avuec itant aprendre :
Se m'ocïez, n'i gaaigniez noient.
Enviz prent nus nul oiselet au broi
Q'il nel mehaint ou ocie ou afole,
Et Amors prent tout autretel conroi
De mult de ceus qu'ele tient a s'escole ;
Gent les atret, si leur moustre pour quoi ;
A premiers est chascuns si liez q'il vole.
Mult m'atrest bel, mès ci me faut parole,
Car vos dirai de qui ce poise moi.
Chançon, va t'en cele part ou je voi
Douz cuer au mains, que que die en parole ;
Et se mi oeil sont loing, ice m'afole,
Mès je me fi tout adès en ma foi.
Amors me fet conmencier
Une chançon nouvele,
Qu'ele me veut enseignier
A amer la plus bele
Qui soit el mont vivant :
C'est la bele au cors gent,
C'est cele dont je chant.
Deus m'en doint tel nouvele
Qui soit a mon talent !
Que menu et souvent
Mes cuers por li sautele.
Bien me porroit avancier
Ma douce dame bele,
S'ele me voloit aidier
A ceste chançonele.
Je n'aim nule riens tant
Conme li seulement
Et son afetement,
Qui mon cuer renouvele.
Amors me lace et prent
Et fet lié et joiant,
Por ce qu'a soi m'apele.
Quant fine amor me semont,
Mult me plest et agree,
Que c'est la riens en cest mont
Que j'ai plus desirree.
Or la m'estuet servir
- Ne m'en puis plus tenir -
Et du tout obeïr
Plus qu'a riens qui soit nee.
S'ele me fet languir
Et vois jusqu'au morir,
M'ame en sera sauvee.
Se la mieudre de cest mont
Ne m'a s'amor donee,
Tuit li amoreus diront
Ci a fort destinee.
S'a ce puis ja venir
Qu'aie, sanz repentir,
Ma joie et mon plesir
De li, qu'ai tant amee,
Lors diront, sanz mentir,
Qu'avrai tout mon desir
Et ma queste achevee.
Cele pour qui souspir,
La blonde coloree,
Puet bien dire et gehir
Que por li, sanz mentir,
S'est Amors mult hastee.
En chantant vueil ma dolor descouvrir,
Quant perdu ai ce que plus desirroie.
Las ! si ne sai que puisse devenir,
Que m'amors est ce dont g'espoire joie ;
Si m'estouvra a tel dolor languir,
Quant je ne puis ne veoir ne oïr
La bele riens a qui je m'atendoie.
Quant m'en souvient, grief en sont li souspir,
Et c'est toz jorz, ne ja n'en recrerroie.
Por li m'estuet mainte gent obeïr,
Que je ne sai se nus va cele voie ;
Mès, se nus puet a bone amor venir
Par bien amer et loiaument servir,
Ge sai de voir qu'encore en avrai joie.
Mi chant sont tuit plain d'ire et de dolor
Por vos, dame, que je ai tant amee,
Que je ne sai se je chant ou je plor ;
Ensi m'estuet sousfrir ma destinee.
Mès, se Deu plest, oncor verrai le jor
Qu'Amors sera changiee en autre tor,
Si vos donra vers moi meillor pensee.
Souviengne vos, dame, de fine amor,
Que loiautez ne vos ait oublïee,
Que je me fi tant en vostre valor
Qu'adès m'est vis que merci ai trouvee,
Et ne por quant je muir et nuit et jor !
Or vous doint Deus, pour oster ma dolor,
Que par vos soit m'ire reconfortee !
Dame, bien vueil que vous sachiez de voir
C'onques par moi ne fu mès dame amee,
Ne ja de vous ne me qier mès mouvoir ;
Mon cuer i ai et m'entente atornee.
Je n'ai mestier, dame, de decevoir,
Que de tel mal ne me sueil pas doloir.
Ne m'esfreez, s'il vous plest, a l'entree !
Chançon, va t'en, garde ne remanoir !
Prie celi qui plus i a pooir
Que tu soies souvent par li chantee.
Je me cuidoie partir
D'Amors, mès riens ne me vaut.
Li douz maus du souvenir,
Qui nuit et jor ne m'i faut,
Le jor m'i fet maint assaut,
Et la nuit ne puis dormir,
Ainz plain et pleur et souspir.
Deus ! tant art quant la remir,
Mès bien sai q'il ne l'en chaut.
Nus ne doit Amors traïr
Fors que garçon et ribaut ;
Et, se n'est par son plesir,
Je n'i voi ne bas ne haut ;
Ainz vueil qu'ele me truist baut
Sanz guiler et sanz mentir ;
Mès se je puis consivir
Le cerf, qui tant puet fouir,
Nus n'est joianz a Thiebaut.
Li cers est aventureus
Et si est blans conme nois
Et si a les crins andeus
Plus sors que or espanois.
Li cers est en un defois
A l'entrer mult perilleus
Et si est gardez de leus :
Ce sont felon envïeus
Qui trop grievent aus cortois.
Ainz chevaliers angoisseus
Qui a perdu son hernois,
Ne vielle qui art li feus
Mesons, vignes, blez et pois,
Ne chacierres qui prent sois,
Ne leus qui est fameilleus
N'est avers moi dolereus,
Que je ne soie de ceus
Qui aiment deseur leur pois
Dame, une riens vous demant :
Cuidiez vous que soit pechiez
D'ocirre son vrai amant ?
Oïl, voir ! bien le sachiez !
S'il vos plest, si m'ocïez,
Que je le vueil et creant,
Et se melz m'amez vivant,
Je le vos di en oiant,
Mult en seroie plus liez.
Dame, ou nule ne se prent,
Mès que vos vueilliez itant
C'un pou i vaille pitiez !
Renaut, Phelippe, Lorent,
Mult sont or li mot sanglent
Dont couvient que vos rïez.
De ma dame souvenir
Fet Amors lié mon corage,
Qui me fet joiant morir,
Si la truis vers moi sauvage.
La bele que tant desir
Fera de moi son plesir,
Que touz sui siens sanz fausser.
Nus ne puet trop acheter
Les biens qu'Amors set doner.
Bele et bone, a vos servir
Vueil estre tout mon aage,
Si sui vostres sanz faillir
Et de cuer et de corage.
Car me daigniez retenir,
Amors, par vostre plesir !
Fetes li de moi menbrer !
Nus ne puet trop acheter
Les biens qu'Amors set doner.
Une costume a Amors,
Qui ami forment guerroie :
Plere li fet ses dolors.
Ce me senble, por la moie,
Que nus biens ne puet d'aillors
Venir fors du haut secors
Qu'en li me doint Deus trouver.
Nus ne puet trop acheter
Les biens qu'Amors set doner.
Et qui ses tres granz valors
Recorderoit, toute voie
Est ele sor les meillors ;
Qu'adès m'estuet que la voie
Et que sa fresche colors
Soit en mon cuer mireors.
Deus ! con s'i fet biau mirer !
Nus ne puet trop acheter
Les biens qu'Amors set doner.
Atendre m'estuet ensi,
Si m'est vis que je foloie.
ja n'i cuit trouver merci,
Si feré, voir, toute voie ;
Qu'en ma dame trop me fi,
Ne je n'ai pas deservi
Que si me doie grever.
Nus ne puet trop acheter
Les biens qu'Amors set doner.
Chançon, va t'en tost et di
A Blazon, a mon ami,
Que il te face chanter !
Nus ne puet trop acheter
Les biens qu'Amors set doner.
Li douz penser et li douz souvenir
M'i font mon cuer esprendre de chanter,
Et fine Amor, qui ne m'i let durer,
Qui fet les siens en joie maintenir
Et met es cuers la douce remenbrance.
Pour c'est Amors de trop haute poissance,
Qui en esmai fet honme resjoïr
Ne pour doloir nel let de li partir.
Sens et honor ne puet nus maintenir,
S'il n'a en soi senti les maus d'amer,
N'a grant valor ne puet pour riens monter,
N'onques oncor nel vit nus avenir ;
Pour ce vous pri, d'Amors droite senblance,
C'on ne s'en doit partir pour esmaiance,
Ne ja de moi nou verroiz avenir,
Que touz parfez vueil en amors morir.
Dame, se je vos osasse prïer,
Mult me seroit, ce cuit, bien avenu,
Mès il n'a en moi tant de vertu
Que devant vous vous os bien aresnier ;
Ice me font et m'ocit et m'esmaie.
Vostre biauté fet a mon cuer tel plaie
Que de mes euz seul ne me puis aidier
Dou regarder dont je ai desirrier.
Quant me couvient, dame, de vous loignier,
Onques, certes, plus dolenz hons ne fu ;
Et Deus feroit, ce croi, pour moi vertu,
Se je jamès vous pouoie aprochier ;
Que touz les biens et touz les maus que j'aie
Ai je de vous, douce dame veraie,
Ne ja sanz vous nus ne me puist aidier !
Non fera il, q'il n'i avroit mestier.
Ses granz biautez, dont nus hons n'a pouoir
Q'il en deïst la cinqantisme part,
Li dit plesant, li amoreus regart
M'i font souvent resjoïr et doloir.
Joie en atent, que mes cuers a ce bee,
Et la poors rest dedenz moi entree.
Ensi m'estuet morir par estouvoir
En grant esmai, en joie et en voloir.
Dame, de qui est ma granz desirree,
Saluz vos mant d'outre la mer salee,
Conme a celi ou je pens main et soir ;
N'autres pensers ne me fet joie avoir.
Chanter m'estuet, que ne m'en puis tenir,
Et si n'ai je fors qu'ennui et pesance ;
Mès tout adès se fet bon resjoïr,
Qu'en fere duel nus del mont ne s'avance.
Je ne chant pas com hons qui soit amez,
Mès com destroiz, pensis et esgarez ;
Que je n'ai mès de bien nule esperance,
Ainz sui toz jorz a parole menez.
Je vous di bien une riens sanz mentir :
Qu'en Amors a eür et grant cheance.
Se je de li me poïsse partir,
Melz me venist qu'estre sires de France.
Ore ai je dit com fous desesperez :
Melz aim morir recordant ses biautez
Et son grant sens et sa douce acointance
Qu'estre sires de tout le mont clamez.
Ja n'avrai bien, gel sai a escïent,
Qu'Amors me het et ma dame m'oublie,
S'est il resons, qui a amer entent,
Q'il ne dout mort ne paine ne folie.
Puis que me sui a ma dame donez,
Amors le veut, et quant il est ses grez,
Ou je morrai ou je ravrai m'amie,
Ou ma vie n'iert mie ma santez.
Li Fenix qiert la busche et le sarment
En quoi il s'art et gete fors de vie.
Ausi quis je ma mort et mon torment,
Qant je la vi, se pitiez ne m'aïe.
Deus ! tant me fu li veoirs savorez
Dont j'avrai puis tant de maus endurez !
Li souvenirs me fet morir d'envie
Et li desirs et la granz volentez.
Mult est Amors de merveilleus pouoir,
Qui bien et mal fet tant com li agree.
Moi fet ele trop longuement doloir ;
Resons me dit que g'en ost ma pensee.
Mès j'ai un cuer, ains teus ne fu trouvez ;
Touz jorz me dit :« Amez ! amez ! amez ! »,
N'autre reson n'iert ja par lui moustree,
Et j'amerai, n'en puis estre tornez.
Dame, merci ! qui touz les biens savez.
Toutes valors et toutes granz bontez
Sont plus en vous qu'en dame qui soit nee.
Secourez moi, que fere le poëz !
Chançon, Phelipe, a mon ami, courez !
Puis que il s'est dedenz la cort boutez,
Bien est s'amors en haïne tornee ;
A paine ert ja de bele dame amez.
Tout autresi con l'ente fet venir
Li arrousers de l'eve qui chiet jus,
Fet bone amor nestre et croistre et florir
Li ramenbrers par coustume et par us.
D'amors loial n'iert ja nus au desus,
Ainz li couvient au desouz maintenir.
Por c'est ma douce dolor
Plaine de si grant poor,
Dame, si faz grant vigor
De chanter, quant de cuer plor.
Pleüst a Dieu, pour ma dolor garir,
Qu'el fust Tisbé, car je sui Piramus ;
Mès je voi bien ce ne puet avenir :
Ensi morrai que ja n'en avrai plus.
Ahi, bele ! con sui pour vous confus !
Que d'un qarrel me venistes ferir,
Espris d'ardant feu d'amor,
Quant vos vi le premier jor.
Li ars ne fu pas d'aubor,
Qui si trest par grant douçor.
Dame, se je servisse Dieu autant
Et priasse de verai cuer entier
Con je faz vous, je sai certainement
Qu'en Paradis n'eüst autel loier ;
Mès je ne puis ne servir ne prïer
Nului fors vous, a qui mes cuers s'atent,
Si ne puis apercevoir
Que ja joie en doie avoir,
Et si ne vos puis vooir
Fors d'euz clos et de cuer noir.
La prophete dit voir, qui pas ne ment,
Que en la fin faudront li droiturier,
Et la fins est venue voirement,
Que cruautez vaint merci et prïer,
Ne servises n'i puet avoir mestier,
Ne bone amor n'atendre longuement,
Ainz a plus orgueus pouoir
Et beubanz que douz vouloir,
N'encontre Amor n'a savoir
Q'atendue sanz espoir.
Aygles, sanz vos ne puis merci trouver.
Bien sai et voi qu'a touz biens ai failli,
Se vous ensi me volez eschiver,
Que vous de moi n'aiez quelque merci.
Ja n'avrez mès nul si loial ami
Ne ne porroiz a nul jor recovrer.
Et je me morrai chetis,
Ma vie sera mès pis
Loing de vostre biau cler vis,
Ou nest la rose et li lis.
Aygle, j'ai touz jorz apris
A estre loiaus amis,
Si me vaudroit melz un ris
De vous qu'autre paradis.
A enviz sent mal qui ne l'a apris :
Guerir l'estuet ou morir ou remaindre,
Et li miens maus, las ! dont je ne m'os plaindre,
Icil par est seur touz poosteïs.
Morir en vueil, mès quant me vient devant
L'esperance de la grant joie ataindre,
Lors me confort. Voire, qui poïst tant
Sousfrir en pais, mès ne puis, ce m'est vis !
Et cil qui est d'Amors si entrepris
Qu'il li estuet a sa volenté maindre,
Mult me merveil s'Amors se puet tant faindre
Vers moi, qui sui a ma dame ententis ;
Despuis que vi son biau cors droit et gent
Et son cler vis, qui trop m'i set destraindre,
Nel cuidai pas trouver si decevant
Conme il estoit ; oncor m'en va il pis.
Mès cil qui sert et merci i atent,
Cil doit avoir joie fine et entiere ;
Et je, qui n'os vers li fere proiere
- Tant par redout son escondisement -,
G'en deüsse partir, voire par foi,
Mès je ne puis veoir en quel maniere.
Estre ne puet ensi, a li m'otroi,
Qu'en mon dangier n'est ele de noient.
Dès ore mès vueil prïer en chantant,
Et, se li plest, ne me sera tant fiere,
Car je ne cuit que nus hons qui reqiere
Merci d'amors, qu'il n'ait le cuer plorant,
Que, se Pitiez li chiet aus piez por moi,
Si dout je mult qu'ele ne la conqiere.
Ensi ne sai se faz sens ou foloi,
Car cist esgarz va par son jugement.
Se ma dame ne prent oncor conroi
De moi, qui l'aim par si grant couvoitise,
Mult la desir et, s'ele me desprise,
Narcisus sui, qui noia tout par soi.
Noiez sui près, loing est ma garison,
S'entendré je touz jorz a son servise.
Servir doi bien pour si grant guerredon ;
Mult voudroie qu'ele en seüst ma foi.
Dame, merci ! qu'aie de vos pardon !
Se je vous aim, ci a bele entreprise.
Je ne puis pas bien couvrir ma reson,
Si le savrez encor, si con je croi.
Chançon ferai, que talenz m'en est pris,
De la meilleur qui soit en tout le mont.
De la meilleur ? Je cuit que j'ai mespris.
S'ele fust teus, se Deus joie me dont,
De moi li fust aucune pitié prise,
Qui sui touz siens et sui a sa devise.
Pitiez de cuer, Deus ! que ne s'est assise
En sa biauté ? Dame, qui merci proi,
Je sent les maus d'amer por vos.
Sentez les vos por moi ?
Douce dame, sanz amor fui jadis,
Quant je choisi vostre gente façon ;
Et quant je vi vostre tres biau cler vis,
Si me raprist mes cuers autre reson :
De vos amer me semont et justise,
A vos en est a vostre conmandise.
Li cors remaint, qui sent felon juïse,
Se n'en avez merci de vostre gré.
Li douz mal dont j'atent joie
M'ont si grevé
Morz sui, s'ele m'i delaie.
Mult a Amors grant force et grant pouoir,
Qui sanz reson fet choisir a son gré.
Sanz reson ? Deus ! je ne di pas savoir,
Car a mes euz en set mes cuers bon gré,
Qui choisirent si tres bele senblance,
Dont jamès jor ne ferai desevrance,
Ainz sousfrirai por li grief penitance,
Tant que pitiez et merciz l'en prendra.
Diré vos qui mon cuer enblé m'a ?
Li douz ris et li bel oeil qu'ele a.
Douce dame, s'il vos plesoit un soir,
M'avrïez vos plus de joie doné
C'onques Tristans, qui en fist son pouoir,
N'en pout avoir nul jor de son aé ;
La moie joie est tornee a pesance.
Hé, cors sanz cuer ! de vos fet grant venjance
Cele qui m'a navré sanz defiance,
Et ne por quant je ne la lerai ja.
L'en doit bien bele dame amer
Et s'amor garder, qui l'a.
Dame, por vos vueil aler foloiant,
Que je en aim mes maus et ma dolor,
Qu'après les maus la grant joie en atent
Que je avrai, se Deu plest, a brief jor.
Amors, merci ! ne soiez oublïee !
S'or me failliez, c'iert traïson doublee,
Que mes granz maus por vos si fort m'agree.
Ne me metez longuement en oubli !
Se la bele n'a de moi merci,
Je ne vivrai mie longuement ensi.
La grant biautez qui m'esprent et agree,
Qui seur toutes est la plus desirree,
M'a si lacié mon cuer en sa prison.
Deus ! je ne pens s'a li non.
A moi que ne pense ele donc ?
Contre le tens qui devise
Yver et pluie d'esté,
Et la mauvis se debrise,
Qui de lonc tens n'a chanté,
Ferai chançon, car a gré
Me vient que j'ai enpensé.
Amors, qui en moi s'est mise,
Bien m'a droit son dart geté.
Douce dame, de franchise
N'ai je point en vous trouvé,
S'ele ne s'i est puis mise
Que je ne vous esgardé.
Trop avez vers moi fierté,
Mès ce fet vostre biauté,
Ou il n'a point de devise ;
Tant en i a grant plenté.
En moi n'a pas abstinence
Que je puisse ailleurs penser
Fors qu'a li, ou conoissance
Ne merci ne puis trouver.
Bien fui fez pour li amer,
Car ne m'en puis saouler,
Et qant plus avrai cheance,
Plus la me couvient douter.
D'une riens sui en dotance
Que je ne puis plus celer :
Qu'en li n'ait un pou d'enfance.
Ce me fet desconforter
Que, s'a moi a bon penser,
Ne l'ose ele demoustrer.
Si feïst qu'a sa senblance
Le peüsse deviner !
Dès que je li fis prïere
Et la pris a esgarder,
Me fist Amors la lumiere
Des euz par le cuer passer.
Cist conduiz me fet grever,
Dont je ne me sai garder,
N'il ne puet torner arriere ;
Li cuers melz voudroit crever.
Dame, a vos m'estuet clamer
Et que merci vos reqiere.
Deus m'i dont merci trouver !
Dame, l'en dit que l'en muert bien de joie.
Je l'ai douté, mès ce fu pour noient
Que je cuidai, s'entre voz braz estoie,
Que je fenisse enqui joieusement.
Si douce morz fust bien a mon talent,
Que la dolor d'amors qui me guerroie
Par est si grant que du morir m'esfroie.
Se Deus me doint ce que je li querroie,
Ce me retient a morir seulement,
Que resons est, se je por li moroie,
Qu'ele en eüst por moi son cuer dolent ;
Et je me doi garder a escïent
De corocier li, qu'estre ne voudroie
En Paradis, s'ele n'i estoit moie.
Deus nous pramet que, qui porra ataindre
A Paradis, q'il porra souhedier
Quanq'il voudra ; ja puis ne l'estuet plaindre,
Que il l'avra tantost sanz delaier ;
Et, se je puis Paradis gaaignier,
La avrai je ma dame sanz contraindre,
Ou Deus fera sa parole remaindre.
Tres granz amors ne puet partir ne fraindre,
S'el n'est en cuer desloial, losengier,
Faus, guileor, qu'a mentir et a faindre
Font les loiaus de leur joie esloignier.
Mès ma dame set bien, au mien cuidier,
A ses doz moz cointes si bel ataindre
Qu'ele i conoist ce qui la fet destraindre.
Se je puis tant vivre que il li chaille
De mes dolors, bien porroie guerir ;
Mès ele tient mes diz a controuvaille
Et dit toz jorz que je la vueil traïr ;
Et je l'aim tant et la vueil et desir
Q'el mont n'a bien qui sanz li riens me vaille.
Melz vaut la morz que trop vilaine faille.
Dame, qui veut son prison bien tenir
Et si l'a pris a si dure bataille,
Doner li doit le grain après la paille.
Je ne puis pas bien metre en nonchaloir
Que je ne chant, quant Amors m'en semont,
Que de ç'ai je le greigneur duel du mont
Que je n'os pas descouvrir ma pensee,
Ce dont je voi les autres decevoir.
Tels fet senblant d'amor qui point n'i bee ;
Por ce chant je que g'en refraig mon plor,
Et s'en atent joie après ma dolor.
Ceste dolor me devroit mult seoir
Qui est sanz rive et n'i a point de font ;
Et s'il est nus qu'autrement m'en respont,
Je l'en avrai mult tost reson moustree ;
Qu'après granz maus, ce dit on tot por voir,
Est mainte foiz grant joie recouvree.
S'il ensi est, dont n'ai je pas poor
Que de mes maus n'aie bien le retor.
Ice retor, Deus ! et quant l'avrai gié ?
Certes, dame, de vos sole l'atent.
Les voz biautez et vostre fin senblant
Me font avoir une bone esperance ;
Et si ne sai se je ai foloié,
Que mult redout de vous fausse senblance.
Ensi le di, que ne m'en puis celer,
Ne ne m'en puis partir ne remuër.
Dou remuër ja ne prendrai congié,
Nel feroie por riens qui soit vivant ;
Si i parra, quant mis m'en sui en tant
Que j'atendrai queus sera ma cheance,
Et couverrai ensi mon cuer irié
Et si savrai s'Amors a conoissance,
Ne s'ele set ami guerredoner.
Ja n'i perdrai pour belement celer.
Celer dit on que mult vaut a ami,
Mès ne m'en puis apercevoir de rien.
Li miens celers me fet plus mal que bien,
Que jangleor, qui poignent et atisent,
Vont tant parlant que tantost ont merci,
Ne le mentir une feve ne prisent.
Et je, dame, me rent a vos pensis,
Hunbles, celanz et fins, loiaus amis.
Nus hons n'ert ja de bien amer espris,
S'il est de cuer decevanz et faintis.
Empereor ne roi n'ont nul pouoir
Envers Amors, ice vous vueil prouver :
Il puënt bien doner de leur avoir,
Terres et fiez, et mesfez pardoner,
Mès Amors puet honme de mort garder
Et doner joie qui dure,
Plaine de bone aventure.
Amors, fet bien un honme melz valoir,
Que nus fors li ne porroit amender ;
Le grant desir done du douz voloir,
Tel que nus hons ne puet autre penser.
Seur toute riens doit on Amors amer ;
En li ne faut fors mesure
Et ce qu'ele m'est trop dure.
S'Amors vosist guerredoner autant
Conme ele puet, mult fust ses nons a droit,
Mès el ne veut, dont j'ai le cuer dolent,
Qu'ensi me tient sanz guerredon destroit ;
Et je sui cil, quels que la fins en soit,
Qui a li servir s'otroie.
Empris l'ai, n'en recrerroie.
Dame, avra ja bien qui merci atent ?
Vous savez bien de moi au parestroit
Que vostres sui, ne puet estre autrement ;
Je ne sai pas se ce mal me feroit.
De tant d'essais fetes petit d'esploit,
Que, se je dire l'osoie,
Trop me demeure la joie.
Je ne cuit pas q'il onques fust nus hon
Qu'Amors tenist en point si perilleus.
Tant m'i destraint que g'en pert ma reson ;
Bien sent et voi que ce n'est mie a gieus.
Quant me moustroit ses senblanz amoreus,
Bien cuidai avoir amie,
Mès oncor ne l'ai je mie.
Dame, ma mort et ma vie
Est en vous, que que je die.
Raoul, cil qui sert et prie
Avroit bien mestier d'aïe.
Por froidure ne por yver felon
Ne lesserai
Que ne face d'amors une chançon,
Et si dirai
Que qui aime repente s'en, s'il puet.
Chascuns le dit, mès mentir l'en estuet.
Qui bien aime, il ne s'en puet partir,
Tant que l'ame li soit du cors partie.
Por moi le di, que j'ai mis a reson :
A moi tençai.
Plus pren conseil de si fete acheson,
Plus m'en esmai,
Que li esmais de mon fin penser muet.
Plus pens a li, et plus en i apluet.
Dame, merci ! je ne vos puis faillir ;
Ançois sera mers por pluie faillie.
Dame, se j'ai de mes granz maus poor,
Ne vous poist pas,
Que bien poëz alegier ma dolor.
Et tu, t'en vas,
Chançon, a li, si li di en plorant
Qu'une merciz d'amors en souspirant
Vaut bien cent tanz a fin, loial ami
Que ne porroit pour riens cuidier s'amie.
Fort sont li laz et grant li couvertor
- Ce n'est pas gas -
En que cil est qui aime par amor.
Et qu'en diras,
Puis que je sai et conois son senblant
Et je me tieng ensi devers sa gent ?
M'a ele donc pris, lïé ne saisi ?
Oïl, certes, ja n'en ert dessaisie.
Puis qu'ensi est, j'atendrai bonement
En lonc espoir,
Car il n'est riens que je vousisse tant
Con son vouloir
Faire par tout sanz acheson trouver,
Et el seüst mon cuer et mon penser ;
Que par ce cuit que j'avroie merci.
Deus, quant verrai pour quoi je la mercie !
Nus ne porroit de cestui mal esmer
Fors vos, dame, conbien il puet durer ;
Et, s'il vous plest, nel metez en oubli,
Que nule foiz mes cuers ne vous oublie.
Coustume est bien, quant on tient un prison,
Qu'on ne le veut oïr ne escouter,
Car nule riens ne fet tant cuer felon
Con grant pouoir, qui mal en veut user.
Pour ce, dame, de moi m'estuet douter,
Car je n'i os parler de raençon
N'estre ostagiez s'en bele guise non.
Après tout ce ne puis je eschaper.
D'une chose ai au cuer grant soupeçon,
Et c'est la riens qui plus me fet douter :
Que tant de genz li vont tout environ.
Je sai de voir que c'est por moi grever ;
Adès dïent :« Dame, on vos veut guiler ;
Ja par amors n'amera riches hom ».
Mès il mentent, li losengier felon,
Car qui plus a, melz doit amors garder.
Se ma dame ne veut amer nului,
Moi ne autrui, cinq cenz merciz l'en rent,
Qu'assez i a d'autres que je ne sui
Qui la prïent de faus cuer baudement.
Esbaudise fet gaaingnier souvent,
Mès ne sé riens, quant je devant li sui ;
Tant ai de mal et de paine et d'ennui,
Quant me couvient dire :« A Dieu vous conmant ! »
Vous savez bien qu'en ne conoist en lui
Ce qu'en conoist en autrui plainement.
Ma grant folie onques jor ne conui,
Tant ai amé de fin cuer loiaument ;
Mès une riens m'i fet alegement :
Qu'en esperance ai un pou de refui.
Li oiselez se va ferir el glui,
Quant il ne puet trouver autre garant.
Souvent m'avient, quant je pens bien a li,
Qu'a mes dolors une douçors me vient
Si granz au cuer que trestouz m'entroubli,
Et m'est a vis qu'entre ses braz me tient ;
Et après ce, quant li sens me revient
Et je voi bien qu'a tout ce ai failli,
Lors me courrouz et ledange et maudi,
Car je sai bien que il ne l'en souvient.
Bele du tout et dure de merci,
Se mi travail ne sont par vous meri,
Mult vivrai mal, s'a vivre me couvient.
Savez por quoi Amors a non amors,
Qui ne grieve fors les siens soulement ?
Qui le savra s'en die son talant,
Car je nel sai, se Deus me doint secors !
Amors semble deable qui maistrie :
Plus engigne celui qu'en li se fie ;
Et poise m'en, se j'aie ja merci,
Plus que por moi cent mile tanz por li,
Quant on la puet rester de felonnie.
Je sui touz siens et s'en sent les dolors,
Et me poise de son mal durement,
Et en son bien cuit mon avancement,
Car de seignors vient granz biens a plusors ;
Et cil sert bien son seignor qui chastie,
A cui poise, quant il fait vilenie.
Mais Amors n'a cure de nul chasti,
Car ele a tant et veü et oï
Que ne li chaut de rien que on li die.
Amors m'a fait tantes foiz corrocier
Qu'en mon corrouz n'a mès point de pooir,
Ainz sui plus siens, quant plus me desespoir.
Ausi con cil qui delez le foier
Gist malades et ne se puet desfendre
Et menace la gent par mi a fendre,
Ausi di je ce por moi desenfler.
Il fait grant bien, quant on en ot parler ;
Mieuz en puet on l'assaut d'Amors atendre.
Se je m'en duil, ne fait a merveillier,
Que Deus la fist pour gent faire doloir.
La ou Amors la m'amena veoir
Oi je adès un tres douz atochier
Qu'ele me fist de sa blance main tendre,
Quant par la main me prist au salu rendre.
Mieuz aim la main dont me volt adeser
Que l'autre cors ou ce me fait penser,
Car dou confort set Amors as siens rendre.
Qui set amer, il savroit bien haïr,
Se il voloit, plus que nus autres hom,
Mais n'est pour ce loiautez ne raison,
Qui bien aime, qu'il en doie partir ;
Ainz doit chascuns amer sa renonmee.
Et se Amors estoit bien apensee,
Ele donroit a fin ami loial
Joie et secors pour sosfrir trop grant mal ;
Ensi seroit servie et honoree.
Dame, merci ! La mains enbausemee
Que nuit et jor bais cent foiz d'un estal
Me fait parler de vos si a cheval
Qu'il m'est a vis que merci ai trouvee.
Les douces dolors
Et li mal plesant
Qui viennent d'amors
Sont douz et cuisant,
Et qui fet fol hardement
A paines avra secors.
G'en fis un dont la poors
Me tient el cors que g'en sent.
Bien est grant folors
D'amer loiaument.
Qui porroit aillors
Changier son talent !
Hé, Deus ! g'en ai apris tant
Q'ançois seroit une tors
Portee a terre de flors
Qu'on m'en veïst recreant.
Lonc respit m'ont mort
Et grant desirrier
Et ce qu'a son tort
Me veut corrocier.
Mains en fera a prisier,
Se je n'ai de li confort,
Qu'el mont n'a chose si fort
Port li ne me fust legier.
Je chant et deport
Pour moi solacier
Et voi en ma sort
Ennui et dangier,
Si porrai bien perillier
Quant ne puis venir a port,
Ne je n'ai aillors resort
Sanz ma lejance brisier.
Dame, j'ai tout mis
- Et cuer et penser -
En vous et assis
Sanz ja remuër.
Se je voloie aconter
Vostre biauté, vostre pris,
J'avroie trop anemis ;
Por ce ne m'en os parler.
Dame, je n'i puis durer,
Car tout adès m'ira pis,
Tant que vous dïez :« Amis,
Je vous vueil m'amor donner ».
Por ce se d'amer me dueil,
Si i ai je grant confort,
Car adès en li recort,
Deus ! ce que virent mi oeil :
C'est sa grant biauté veraie
Qui en pluseurs sens m'essaie,
Que ce que j'ai, ce se combat a moi :
C'est cuers et cors et li oeil dont la voi ;
Mès le cuer a, qu'est de greigneur pouoir.
Or me dont Deus les autres vueille avoir !
Maintes genz ont un escueil,
Ou soit a droit ou a tort,
Et Amors fiert sanz deport ;
Ja n'i doutera orgueil.
Li sages plus s'en esmaie,
Que trop set fere grant plaie.
Grant la me fist, quant le cuer a de moi.
En sa prison biau m'est quant je l'i voi ;
Melz l'aim en li qu'en nul autre pouoir.
Or li dont Deus garder a mon vouloir !
Dame, qui pert au besoing
Por son ami ce qu'il a,
Se cil le guerredon n'a,
Honiz en est par tesmoing ;
Et je pert, sanz reconquerre,
Mon cuer, que tenez en serre.
Perdu non ai, nel perdrai pas ensi,
Que pour le cuer prïera tant merci
Li cors vers vos que merveilles ert grant,
Se ne fraigniez vers lui vostre talent.
Se je a un honme doing
- Aucuns de tels genz i a, -
Demain autant me harra,
Se ne li remet el poing.
Mult grant sens a a biau querre
Et a doner sanz requerre ;
Et je, dame, mil foiz vos cri merci :
De ce qui miens deüst estre vos pri ;
Que n'espoir pas, a vostre douz senblant,
Que la merciz me viengne au cuer devant.
Dame, ore ai dit ma poor.
Mult voudroie ore escouter
Se ja daigneroiz penser
Vers moi aucune douçor
Ne riens nule qui me vaille,
Si que li cuers en tresaille
En la prison, la ou vos le tenez.
Deus ! fu ainz mès cuers si bien enchantez ?
Nenil, certes ! Mès se li cors pris fust
Avec le cuer, ja ne li despleüst.
Dame, ne puis loër voz granz biautez,
Que trop petiz me seroit uns estez ;
Mès, se riens puis fere qui vos pleüst,
N'iert ja si grief que mie me neüst.
Une chançon oncor vueil
Fere por moi conforter.
Pour celi dont je me dueil
Vueil mon chant renouveler ;
Pour ce ai talent de chanter
Que, quant je ne chant, mi oeil
Tornent souvent a plorer.
Simple et franche, sanz orgueil
Cuidai ma dame trouver.
Mult me fu de bel acueil,
Si le fist por moi grever.
Si sont a li mi penser
Que la nuit, quant je sonmeil,
Vet mes cuers merci crïer.
En dormant et en veillant
Est mes cuers du tout a li
Et li prie doucement,
Conme a sa dame, merci.
En sa pitié tant me fi
Que, quant g'i pens durement,
De joie toz m'entroubli.
Joie et duel a cil souvent
Qui le mien mal a senti.
Mes cuers plore, et ge en chant ;
Ensi m'ont mi oeil traï.
Amors, tost avez saisi,
Mès vous guerredonez lent ;
Ne pour qant de moi vous pri.
Hé, las ! s'il ne li souvient
De moi, morz sui sanz faillir.
S'el savoit dont mes maus vient,
Bien l'en devroit souvenir.
Cist maus me fera morir,
Se ma dame n'en soustient
Une part par son plesir.
Chançon, di li sanz mentir
C'uns resgarz le cuer me tient
Que li vi fere au partir.
Ausi conme unicorne sui
Qui s'esbahist en regardant,
Quant la pucele va mirant.
Tant est liee de son ennui,
Pasmee chiet en son giron ;
Lors l'ocit on en traïson.
Et moi ont mort d'autel senblant
Amors et ma dame, por voir :
Mon cuer ont, n'en puis point ravoir.
Dame, quant je devant vous fui
Et je vous vi premierement,
Mes cuers aloit si tressaillant
Qu'il vous remest, quant je m'en mui.
Lors fu menez sanz raençon
En la douce chartre en prison
Dont li piler sont de talent
Et li huis sont de biau veoir
Et li anel de bon espoir.
De la chartre a la clef Amors
Et si i a mis trois portiers :
Biau Senblant a non li premiers,
Et Biautez cele en fet seignors ;
Dangier a mis a l'uis devant,
Un ort, felon, vilain, puant,
Qui mult est maus et pautoniers.
Cil troi sont et viste et hardi :
Mult ont tost un honme saisi.
Qui porroit sousfrir les tristors
Et les assauz de ces huissiers ?
Onques Rollanz ne Oliviers
Ne vainquirent si granz estors ;
Il vainquirent en conbatant,
Mès ceus vaint on humiliant.
Sousfrirs en est gonfanoniers ;
En cest estor dont je vous di
N'a nul secors fors de merci.
Dame, je ne dout mès riens plus
Que tant que faille a vous amer.
Tant ai apris a endurer
Que je sui vostres tout par us ;
Et se il vous en pesoit bien,
Ne m'en puis je partir pour rien
Que je n'aie le remenbrer
Et que mes cuers ne soit adès
En la prison et de moi près.
Dame, quant je ne sai guiler,
Merciz seroit de seson mès
De soustenir si greveus fès.
Qui plus aime plus endure,
Plus a mestier de confort,
Qu'Amors est de tel nature
Que son ami maine a mort ;
Puis en a joie et deport,
S'il est de bone aventure ;
Mès je n'en puis point avoir,
Ainz m'a mis en nonchaloir
Cele qui n'a de moi cure.
Onques riens ne fu si dure
D'aÿmant en mon recort.
Des souspirs et de l'ardure
Et des lermes que je port
Sui perciez par la plus fort
Et mis a desconfiture,
Et je n'ai vers li pouoir,
Ainz rit, quant me voit doloir :
Ci faut pitiez et mesure.
Puis que pitiez est faillie,
Bien m'en devroie partir ;
Mes sens m'en semont et prie,
Mès mes cuers nel veut sousfrir,
Ainz me het por li servir ;
Tant aime sa seignorie.
Dame, une riens vos demant :
Que vous jugiez qui se rent,
Se il a mort deservie.
Par maintes foiz l'ai sentie
En dormant tout a loisir,
Mès quant pechiez et envie
M'esveilloit et que tenir
La cuidoie a mon plesir,
Et ele n'i estoit mie,
Lors ploroie durement
Et melz vousisse en dormant
Li tenir toute ma vie.
Ma grant joie en dormant iere
Si granz que nel puis conter.
En veillant ne truis maniere
De ma dolor conforter.
Bien me deüst trestorner
Amors ce devant deriere
Li dormirs fust en oubli
Et g'eüsse en veillant li ;
Lors seroit ma joie entiere.
Quant li vueil crïer merci,
Lors ai tel poor de li
Que n'os dire ma proiere.
Raoul, Turc ne Arrabi
N'ont riens dou vostre sesi ;
Revenez par tens arriere !
De grant joie me sui toz esmeüz
En mon voloir, qui mon fin cuer esclaire :
Quant ma dame m'a envoié saluz,
Je ne me puis ne doi de chanter taire.
De ce present doi je estre si liez
Com de celui qui a, bien le sachiez,
Fine biauté, cortoisie et vaillance ;
Pour ce i ai mis trestoute m'esperance.
Dame, pour Dieu ne soie deceüz
De vos amer, que ne m'en puis retraire !
De touz amis sui li plus elleüz,
Mès ne vos os descouvrir mon afaire.
Tant vous redout forment a corrocier
C'onques vers vous n'osai puis envoier,
Que, se de vous eüsse en atendance
Mauvès respons, morz fusse sanz doutance.
Onques ne soi decevoir ne trichier
- Ne je pour rien aprendre nel voudroie -
Envers celi qui me puet avancier.
Faire et desfaire et donner bien et joie,
Tout c'est en li et en sa volenté.
Deus ! s'el savoit mon cuer et mon pensé,
Je sai de voir que j'avroie conquise
Douce dame, ce que mes cuers plus prise.
Nus qui aime ne se doit esmoier,
Se fine amor le destraint et mestroie,
Car qui atent si precïeus loier,
Il n'est pas droiz que d'amer se recroie,
Car qui plus sert, plus en doit avoir gré ;
Et je me fi tant en sa grant biauté,
Qui des autres se desoivre et devise,
Que il me plest a estre en son servise.
Des euz du cuer, dame, vous puis veoir,
Car trop sont loing li mien oil de ma chiere,
Qui tant m'ont fet pour vous pensee avoir.
Dès celui jor que je vous vi premiere,
De vous veoir ai volenté trop grant.
Par ma chançon vous envoi en present
Mon cuer et moi et toute ma pensee.
Recevez le, dame, s'il vous agree !
Dame, de vous sont tuit mi pensement,
Et a vous sui remés a mon vivant.
Pour Dieu vous pri, se mes fins cuers i bee,
Ma volenté ne soit trop comparee.
Baudoÿn, il sunt dui amant
Qui ainment de cuer sanz trichier
Une pucele de jovent.
Li quelx la doit mieuz desraignier ?
Li uns l'ainme por ses valors
Et por sa cortoisie ausi ;
Li autres l'ainme par amours
Por la grant beauté qu'est en li.
- Sire, saichiez certeinnement
Que celui doit tenir plus chier
Qui por son bon ensoignement
L'ainme de leal cuer entier ;
Car cortoisie et granz honors
Plaisent plus a leal ami
Que beautez ne fresche colors
Ou il n'a pitié ne merci.
- Baudoïn, la tres grant beauté
A valor et mainte vertu.
S'ele disoit grant niceté,
Onques si cortois moz ne fu.
Granz beautez fait cuer forsenner
Plus que nule autre rien vivant,
Ne nuns ne puet son cuer doner,
Se la beautez n'i est avant.
- Sire, saichiez de verité :
Beautez a tout son non perdu,
Puis que valors a alevé
A dame son non et creü ;
Car cortoisie fait loër
Dames et bel acointement
Et toz jors en bon pris monter,
Ce dont beautez ne fait noiant.
- Baudoÿn, assez trueve l'en
Vielles plus laides que nuns chiens
Qui ont cortoisie et grant sen,
Mais au touchier ne valent riens.
Si la fait or si bon amer
Por ce que bel vos parlera ?
La bele ne puet mesparler,
Ainz est bon quanque me dira.
- Sire, je ne dirai oian
Qu'a vielle soie, ne ja siens
Ne serai mais, si con j'entent.
Blamer me volez les granz biens
Que bele dame set mostrer
Qui cortoisie et bon pris a.
Mieuz devrïez celui blamer
Qui por beauté valour laira.
- Baudoÿn, soul d'un resgarder
Ou d'un ris, quant le me fera,
La bele que je n'os nonmer
Vaut quanque la laide donra.
- Sire, li miens cuers remuër
Ne se veut de cel qui l'a.
Valors l'a fait emprisoner,
Qui cortoisie li dona.
Une chose, Baudoÿn, vos demant :
S'il avenoit a fin, leal ami,
Qui sa dame a amee longuement
Et proiee tant qu'ele en a merci
Et li mande que parler veingne a li
Tout por sa volenté faire,
Que fera il tot avant por li plaire,
Quant li dira :« Beaus amis, bien veingniez » ?
Baisera il ou sa bouche ou ses piez ?
- Sire, je lo que il premierement
En la bouche la baist, car je vos di
Que de baisier la boche au cuer descent
Une douçours dont sunt tuit acompli
Li grant desir par qu'il s'entrainment si ;
Et joie qui cuer esclaire
Ne puet celer lëaus amis ne taire,
Ainz li semble qu'il soit toz alegiez,
Quant de la boche a sa dame est baisiez.
- Baudoÿn, voir ! je n'en mentirai ja :
Qui sa dame vuet tout avant baisier
En la bouche, de cuer onques n'ama ;
Qu'ainsi baise on la fille a un bergier.
J'aing mieuz baisier ses piez et mercïer
Que faire si grant outrage.
L'en doit cuidier que sa dame soit sage,
Et sens done que granz humilitez
Doit bien valoir a estre mieuz amez.
- Sire, j'ai bien oï dire pieç'a
Qu'umilitez fait l'amant avancier,
Et puis qu'Amors par humilité l'a
Tant avancié que rende le loier,
Qu'il ait cele que tant ainme et tient chier,
Je di qu'il feroit folage
S'en la bouche ne li feïst honmage,
Car j'oï dire, et vos bien le savez :
Qui bouche lait por piez, c'est nicetez.
- Baudoÿn, voir ! ice ne di je pas
Qu'en sa bouche laist por ses piez avoir,
Mais baisier vuil ses piez eneslepas
Et puis après sa bouche a mon voloir
Et son beau cors, c'on ne tient mie a noir,
Et ses beaus eulz et sa face
Et son chief blont, qui le fin or efface.
Mais vos estes bauz et desmesurez,
Si semble bien que pou d'amour savez.
- Sire, bien est et recreanz et las
Qui congié a de baisier et d'avoir
Le douz solaz dou cors lonc, graille et gras
Et met douçour de bouche en nonchaloir
Por piez baisier ; ne fait mie savoir.
Ja Deus ne doint que il face
Jamès chose par quoi il ait sa grace,
Que mil tanz est li baisiers savorez
De la bouche que cil des piez assez !
- Baudoÿn, cil qui tant chace
Que il ataint, bien se tient a eschace,
Quant a ses piez ne chiet toz enclinez ;
Je di qu'il est deables forsennez.
- Sire, cil cui Amors lace
Ne puet muër, quant il a leu n'espace
Qu'asevir puist toutes ses volentez,
Tost n'ait les piez por la boche oblïez.
Phelipe, je vous demant :
Dui ami de cuer verai
Sont qui aiment loiaument,
Bacheler novel et gai.
Li uns a tout son talent,
Li autres est a l'essai.
Qui doit plus venir avant,
Li amez ou cil qui prie ?
- Cuens, sachiez certainement :
Li amez est fors d'esmai
Et pour c'est il plus en grant
De melz valoir, bien le sai ;
Quant plus a, et plus enprent
Et plus fet bien sanz delai ;
Ne cil ne puet valoir tant
Qui qiert merci et aïe.
- Phelipe, cil qui reqiert
Doit melz valoir qar raison,
Que toute bontez affiert
A atendre a si haut don.
Cil s'esforce qui conqiert,
Mès cil qui en est a son
Jamès partir ne se qiert
Por nul pris d'avec s'amie.
- Cuens, ja li prïerres n'iert
Qui n'ait duel et soupeçon,
Et pensee au cuer le fiert
Conment il avra pardon ;
Mès cil qui a ce q'il qiert
Ne pense s'a valoir non :
Joie son pris li porqiert
Et sa dame, qui l'en prie.
- Phelipe, plus doit valoir
Cil qui veut entendre a li
Et qui atent main et soir
De sa dame avoir merci.
Cist pensers li fet avoir
Le cuer vaillant et hardi.
Trop fet cil mains son pouoir
Qui a sa joie aconplie.
- Cuens, sachiez vos bien de voir
Que ci avez vos failli :
S'on vaut mains por joie avoir,
Dont sunt tout amant honi.
Se cil qui se doit doloir
Vaut melz de joieus ami,
Dont fesons dames savoir
Par tot c'on nes ainme mie.
- Phelipe, je faz savoir
A Auberon, mon ami,
Q'il nos en die le voir,
U sa langue soit honie !
- Cuens, a Rodrigue le Noir
Mant de par vos et li pri
Q'il nos en mant son voloir
Qui a droit de la partie.
Cuens, je vous part un gieu par aatie
Et si m'en met seur vostre jugement :
Dui chevalier aiment chascuns s'amie ;
Li uns des deus aime mult loiaument,
Et li autres guile mult durement.
Li quels tret pis, se Deus vous beneïe,
Ou li loiaus ou cil qui triche et ment
Et deçoit ?
Dites m'en droit,
Sire, tout orendroit
Et si prenez l'un des deus maintenant,
Et j'avrai l'autre partie
Et respondrai avenant,
Selonc voz diz, en chantant.
- Mesire Guis, mult me siet la partie,
Mès du meilleur vous dirai mon senblant ;
Que loiautez n'iert ja par moi perie,
Oncor la bé a tenir mon vivant.
Li desloiaus ne bien ne mal ne sent,
Qu'endormiz est en sa vil tricherie,
Si ne li chaut li quels chiés voist avant,
Tort ou droit,
Quant il deçoit
Celi qui tout metroit,
Et cuer et cors, en son conmandement.
Dehez ait qui plus s'i fie !
Qui bien a et bien atent
Ja n'avra son cuer dolent.
- Cuens, je sai bien auques vostre pensee ;
Ne savez pas d'amors jusq'au doloir :
Toutes dolors sont vers celi rousee
D'ome qui aime et n'en puet joie avoir ;
Et je pri Dieu q'il vous face savoir
Quel mal cil sent qui bien aime a celee.
Adonc primes savroiz vos bien de voir,
Ce m'est vis,
Que mult est pris
Cil qui aime et trait pis
Que li autres, qui guile a son pooir
Et a toute honor quitee.
Endroit moi, pour nul avoir
Ne vueil avoir tel voloir.
- Messires Guis, touz jorz ert honoree
La bone amor la ou ele est, por voir !
Mains trait de mal qui toute a sa pensee
En la joie dont muevent tuit savoir.
La fole gent n'i puënt remanoir,
Ainz dit chascuns que trop atent qui bee.
Fins amerres doit touz jorz mentevoir
Son cler vis
Et son douz ris,
Qui li est Paradis,
Si ne se doit pas puis de li doloir
Dont atent joie honoree.
Qui s'i fet apercevoir,
Tuit l'en doivent mal voloir.
- A Gilon pri q'il en die le voir,
Qui a tort de la meslee
Ne qui s'en doit plus doloir.
Die le por pès avoir !
- Sor dan Perron m'en met a son voloir,
Qui du vis resenble espee,
Qui nos face remanoir
Et voir die a son pooir.
Sire, ne me celez mie
Li queus vous ert melz a gré :
S'il avient que vostre amie
Vous ait parlement mandé
Nu a nu lez son costé
Par nuit que n'en verroiz mie,
Ou de jorz vous best et rie
En un biau pré
Et enbrast, mès ne di mie
Q'il i ait de plus parlé.
- Guilleaume, c'est grant folie,
Quant ensi avez chanté ;
Li bergiers d'une abeïe
Eüst assez melz parlé.
Quant j'avrai lez mon costé
Mon cuer, ma dame, m'amie,
Que j'avrai toute ma vie
Desirré,
Lors vous quit la druërie
Et le parlement dou pré.
- Sire, je di qu'en s'enfance
Doit on aprendre d'amors ;
Mès mult faites mal senblance
Que n'en sentez les dolors.
Pou prisiez esté ne flors,
Gent cors ne douce acointance,
Biaus regarz ne contenance
Ne colors.
En vous n'a point d'abstinence ;
Ce deüst prendre uns priors.
- Guilleaume, qui ce conmence,
Bien le demaine folors,
Et mult a pou conoissance
Qui n'en va au lit le cors ;
Que desouz biaus couvertors
Prent on tele seürtance
Dont on s'oste de doutance
Et de freors.
Tant com je soie en balance,
N'ert ja mes cuers sanz poors.
- Sire, pour riens ne voudroie
Que nus m'eüst a ce mis.
Quant celi qui j'ameroie
Et qui tout m'avroit conquis
Puis veoir en mi le vis
Et besier a si grant joie
Et enbracier toute voie
A mon devis,
Sachiez, se l'autre prenoie,
Ne seroie pas amis.
- Guilleaume, se Deus me voie,
Folie avez entrepris,
Que, se nue la tenoie,
N'en prendroie Paradis.
Ja por resgarder son vis
A paiez ne me tendroie.
S'autre chose n'en avoie.
J'ai melz pris,
Qu'au partir, s'el vos convoie,
N'en porteroiz c'un faus ris.
- Sire, Amors m'a si sorpris
Que siens sui, ou que je soie,
Et sor Gilon m'en metroie
A son devis,
Li quels va plus droite voie
Ne li quels maintient le pris.
- Guilleaume, fous et pensis
I remaindroiz toute voie ;
Et cil qui ensi dosnoie
Est bien chaitis.
Bien vueil que Gilon en croie,
Mès sor Jehan m'en sui mis.
Rois Thiebaut, sire, en chantant responnez :
Joene dame tres bele et avenant
Seur toute riens de fin cuer amerez,
Mès n'en porrez avoir vostre talent,
S'a vostre col gesir ne la portez
Chiés un autre qui de li est amez,
Ou se celui ne li fetes venir
En vostre ostel pour avec li gesir.
- Baudoïn, voir ! mauvès gieu me partez !
Mès, por avoir ma dame, a son talent
La porterai, puis que li est ses grez,
Entre mes braz, besant et acolant.
Ja ne crerrai tels soit sa volentez,
Se me juroit cent foiz sainz Barnabez,
Après tel bien que me vueille traïr.
Fins amis doit ou ataindre ou morir.
- Par Dieu, sire, trop avez meschoisi,
Quant vous de li voulez saisir celui
Qui ele tient pour son loial ami.
Ne la verrez jamès jour sanz ennui,
Puis que celui en avrïez saisi.
Trop a le cuer mauvès et endormi
Qui s'amie porte autrui a son col.
J'aim melz sousfrir qu'en m'en tenist por fol.
- Baudoïn, cil a bien d'amors menti
Qui sa dame veut lessier a nului.
S'en m'en devoit detrenchier tout par mi,
Ne la puis je guerpir, dès que siens sui.
Ainz me plest tant l'atente de merci
Que le vilain enuieus en oubli,
Que je mult haz, foi que je doi saint Pol ;
Mès tot le mont ne pris sanz li un chol.
- Certes, sire, de cuer onques n'ama
Qui s'amie veut chiés autrui lessier ;
Et qui de ce a droit jugier voudra,
Je doi servir ce qu'ele aime et tient chier,
Tout m'ennuit il ce que ele en fera.
Melz vueil sousfrir de ce qu'ele amera
Qu'en mon ostel en face son voloir
Qu'il fust saisiz et j'amasse en espoir.
- Baudoïn, voir ! ja chiés moi n'entrera
Mes anemis por ma dame baillier,
Mès ma dame la ou il li plera
Vueil je porter et servir sanz dangier ;
Ne ja por riens mes cuers n'en retrera.
S'ele me dit :« Biaus amis, je vois la »,
C'est faintise, je nel cuit pas de voir ;
Qu'ele le dit por moi fere doloir.
Sire, loëz moi a choisir
D'un gieu ! Li quels doit melz valoir :
Ou souvent s'amie sentir,
Besier, acoler, sanz veoir,
Sanz parler et sanz plus avoir
A touz jorz mès de ses amors,
Ou parler et veoir touz jorz,
Sanz sentir et sanz atouchier ?
Se l'un en couvient a lessier,
Dites li quels est mains joianz
Et du quel la joie est plus granz.
- Raoul, je vous di sanz mentir
Que il ne puet nul bien avoir
En prendre ce dont a morir
Couvient ami par estouvoir ;
Mès, quant il ne puet remanoir,
El veoir a plus de secors
Et el parler qui est d'amors.
Si bel ris et si solacier
Feront ma dolor alegier,
Que je ne vueil estre senblanz
Meremellin ne ses paranz.
- Sire, vous avez mult bien pris
De vostre amie regarder,
Que voz ventres gros et farsis
Ne porroit sousfrir l'adeser,
Et por ce amez vous le parler
Que voz solaz n'est preus aillors.
Ensi vait des faus pledeors,
Dont li senblant sont mençongier.
Mès d'acoler et de besier
Fet bone dame a son ami
Cuer large, loial et hardi.
- Raoul, du regart m'est a vis
Q'il doit plus ami conforter
Qu'estre de nuiz lez li pensis
La ou l'en ne puet alumer,
Veoir, oïr, joie mener ;
L'en n'i doit avoir fors que plors.
Et s'ele met sa main aillors,
Quant vous cuidera enbracier,
Se la potence puet baillier,
Plus avra duel, je vous afi,
Que de mon gros ventre farsi.
- Rois, vous resenblez le gaignon
Qui se revenche en abaiant ;
Por ce avez mors en mon baston
De quoi je m'aloie apuiant.
Mès pris avez a loi d'enfant ;
Car il n'est si granz tenebrors,
Se je pouoie les douçors
De ma douce dame enbracier,
Qui ja me poïst ennuier ;
Et si me puis melz delivrer
De mon bordon que vous d'enfler.
- Raoul, j'aing melz nostre tençon
A lessier tout cortoisement
Que dire mal, dont li felon
Riroient et vilaine gent,
Et nous en serions dolent ;
Mès mult vaudroit melz en amors
Veoir et oïr qu'estre aillors,
Rire, parler et solacier
Douz moz, qui font cuer tatouillier,
Et resjoïr et saouler
Que en tenebres tastoner.
Bons rois Thiebaut, sire, conseilliez moi !
Une dame ai, mult a lonc tens, amee
De cuer loial, sachiez, en bone foi,
Mès ne li os descouvrir ma pensee,
Tel poor ai que ne m'i soit veee
De li l'amors qui me destraint souvent.
Dites, sire, qu'en font li fin amant ?
Suesfrent il tuit ausi si grant dolor,
Ou il dïent le mal q'il ont d'amor ?
- Clers, je vous lo et pri que teigniez quoi ;
Ne dites pas pour quoi ele vous hee,
Mès servez tant et fetes le, pour quoi
Qu'ele sache ce que vostre cuers bee ;
Que par servir est mainte amor donee.
Par moz couverz et par cointe senblant
Et par signes doit on moustrer avant,
Qu'ele sache le mal et la dolor
Que fins amanz tret pour li nuit et jor.
- Par Dieu, sire, tel conseil me donez
Ou ma mort gist et ma grant mesestance,
Que mot couvert et signe, ce savez,
Et tel senblant viennent de decevance.
Assez trueve on qui set fere senblance
De bien amer sanz grant dolor sousfrir ;
Mès fins amis ne puet son mal couvrir
Q'il ne die ce dont au cuer souvient
Par l'angoisse du mal que il soustient.
- Clers, je voi bien que haster vous voulez,
Et bien est droiz, qu'en clerc n'a abstinence ;
Mès s'amïez autant con dit avez,
Nel dirïez pour quanq'il a en France ;
Car, quant on est devant li en presence,
Adonc viennent trenbler et grief souspir,
Et li cuers faut, quant doit la bouche ouvrir ;
N'est pas amis qui sa dame ne crient,
Car la crieme de la grant amor vient.
- Par Dieu, sire, po sentez, ce m'est vis,
La grant dolor, le mal et le juïse
Que nuit et jor tret fins, loiaus amis ;
Ne savez pas conment Amors justise
Ce que sien est et en sa conmandise.
Je sai de voir que, se le seüssiez,
Ja du dire ne me repreïssiez ;
Car pour ce fet Amors ami doloir
Que de son mal regehisse le voir.
- Clers, je voi bien que tant estes espris
Que la corone est bien en vous assise.
Quant du prïer par estes si hastis,
Ce fait li maus des rains qui vous atise ;
Itels amors n'est pas el cuer assise.
Dites li tost, quant si vous angoissiez ;
Ou tost l'aiez, ou vous tost la lessiez,
Car bien puet on a voz diz parcevoir
Qu'aillors voulez changier vostre voloir.
- Par Dieu, Sire, j'aing de cuer sanz faintise,
Mès vos guilez Amors. Pour ce cuidiez
Que je soie tout ausi tost changiez
Con vous estes, qui mis en nonchaloir
Avez Amors et ceus de son pooir.
- Clers, puis qu'a moi avez tel guerre enprise
Et vous de riens mon conseil ne prisiez,
Crïez merci, mains jointes, a ses piez
Et li dites tout le vostre voloir ;
El vous crerra, et ce sera bien voir.
Girart d'Amiens, Amours, qui a pouoir
Sor toutes gens, vous et un autre esprendre
Fait de son feu - dont mieus devez valoir -
D'une dame ou il n'a que reprendre.
Se vous voulez, tantost, sans plus atendre,
Ou vous plaira avecques vous l'avrez,
Mais bien sachiez : de li haïs serez ;
Ou, en tel point que je vos di, l'avra
Autre avec lui, et el vous ainmera.
- Roy de Navarre, il doit bien mescheoir
A tout honme qui le bien n'osse prendre,
Puis qu'il le puet, sans lui mesfaire, avoir ;
Car nus amis ne porroit tant mesprendre
Que de sousfrir, s'il le pouoit desfandre,
C'autres fust ja de sa dame privés ;
Par coi le bien qui m'iert abandonnez
Par tel eür ne refusserai ja,
N'autres, mon gré, nul jour n'i partira.
- Girart d'Amiens, huimais puis parcevoir
Que vous le cuer avez et fol et tendre
A un tel fait desloial conscevoir,
Si vueil que vous, pour la folie entendre,
Sachiez qu'amis n'est pas chilz qui engendre
Riens dont il soit haïs ne disfamés
De la dame dont il seroit amez,
S'il li plessoit, et dont haïs sera,
Quant tout premiers, son gré, la decevra.
- Pour pis que mort ne rage recevoir,
Sire, ne puis connoistre ne aprendre
Qu'il m'en peüst nesun bien escheoir.
Conment pourroie a plus grant dolour tendre
Que de lessier tant ma dame souprendre
Qu'autres eüst de li ses voulentez ?
Plus ne pourroie estre desesperés,
S'elle me het. Amours pourchacera
Qu'amés en ier si tost que li plera.
- Girart d'Amiens, quant plus vous voy mouvoir
D'ensi parler, plus m'est vostre sens mendre.
Nus hons n'entant sa dame a decevoir
Ne deserve que l'en le doie pendre.
Se mes eürs fait ma dame destendre
A un tel fait, n'en vueil estre encombrés ;
J'ain mieus qu'autre que moy en soit blasmés.
S'amer me vueut, plus me proufitera ;
C'uns tieulz deduiz jamais ne vous vaudra.
- Sire, ne puis en pensee mannoir
C'uns teus profis se puist en bien estandre
Dont li amis cherra en desespoir,
Qu'il n'osse en riens qu'il parçoive contendre ;
Par quoi ja jour ne me quier vaincu rendre,
Que mieus ne vueille ensi joïr assez
De celle a cui je sui touz que de lés
Reveingne autres qui en esploitera.
Honnis soit cilz qui ce otrïera !
Phelipe, je vous demant
Que est devenue amors :
En cest païs ne aillors
Ne fet nus d'amer senblant.
Trop me merveil durement
Por qu'ele demore ensi,
S'ai oï
Des dames grant plaint,
Et chevalier en font maint.
- Sire, sachiez voirement
Qu'amors faut par ameors,
S'en remaint joie et valors
Et faillent tornoiement,
Si ont corpes mesdisant,
Vielles et mauvès mari ;
N'est failli
Par dames qu'en aint,
Mès es chevaliers remaint.
- Phelipe, bien m'i acort
Q'il remaint es chevaliers,
Mès tout ce fet li dangiers
Que dames mainent tant fort.
Quant il sont jusqu'a la mort,
Lors lor metent achesons.
Bon respons
N'i puënt trouver,
S'en font maint desesperer.
- Sire, il s'en partent a tort
Et s'en plaignent volentiers.
Plus lor plest li aaisiers
Qu'atendre d'Amors confort,
N'aiment valor ne deport,
Ainz tolent et font mesons ;
N'est resons :
Cil qui veut amer
Se doit du tout amender.
- Phelipe, legierement
S'en partent qui poor ont,
Que les dames trop leur sont
De sauvage acointement.
Dame doit atrere lent
Por melz fere a li baer,
Que d'amer
Doit dame savoir
Por plus faire ami valoir.
- Sire, trop hastivement
Vuelent mès par tout le mont
Cil qui amoureus se font
Avoir joie entierement,
Mès dames a lor talent
Doivent lor amis mener.
Endurer
Doit on lor voloir
Sanz plaindre et sanz decevoir.
- Phelipe, ami voir
N'en sevent pas le pooir.
- Sire, tout pour voir,
Dames font le mont valoir.
Dame, merci ! Une riens vos demant,
Dites m'en voir, se Deus vous beneïe :
Quant vous morrez et je - mès c'iert avant,
Car après vous ne vivroie je mie -,
Que devendra Amors, cele esbahie,
Que tant avez sens, valor, et j'aim tant
Que je croi bien qu'après nous ert faillie ?
- Par Dieu, Thiebaut, selonc mon escïent
Amors n'iert ja pour nule mort perie,
Ne je ne sai se vous m'alez guilant,
Que trop megres n'estes oncore mie.
Quant nos morrons (Deus nos dont bone vie !),
Bien croi qu'Amors damage i avra grant,
Mès toz jorz ert valors conplie.
- Dame, certes ne devez pas cuidier,
Mès bien savoir que trop vous ai amee.
De la joie m'en aim melz et tieng chier
Et pour ce ai ma graisse recouvree
Qu'ainz Deus ne fist se tres bele riens nee
Com vos, mès ce me fet trop esmaier,
Quant nos morrons, qu'Amors sera finee.
- Thiebaut, tesiez ! Nus ne doit conmencier
Reson qui soit de touz droiz desevree.
Vous le dites por moi amoloier
Encontre vous, que tant avez guilee.
Je ne di pas, certes, que je vos hee,
Mès, se d'Amors me couvenoit jugier,
Ele seroit servie et honoree.
- Dame, Deus doint que vos jugiez a droit
Et conoissiez les maus qui me font plaindre,
Que je sai bien, quels li jugemenz soit,
Se je i muir, Amors couvient a faindre,
Se vous, dame, ne la fetes remaindre
Dedenz son lieu arriers ou ele estoit ;
Q'a vostre sens ne porroit nus ataindre.
- Thiebaut, s'Amors vous fet pour moi destraindre,
Ne vous griet pas, que, s'amer m'estouvoit,
J'ai bien un cuer qui ne se savroit faindre.
L'autre nuit en mon dormant
Fui en grant dotance
D'un gieu parti en chantant
Et en grant balance,
Quant Amors me vint devant,
Qui me dist :« Que vas querant ?
Trop as corage mouvant ;
Ce te muet d'enfance. »
Lors tresailli durement ;
En grant esmaiance
Dis li :« Dame, se g'entent
A ma grant pesance,
C'est par vostre faus senblant,
Qui m'a mort si cruëlment.
Partir vueil de vostre gent
Par vostre esloignance.
- Cil n'avra ja son voloir
A longue duree
Qui por mal ne paine avoir
Change sa pensee ;
Oncor t'en puès pou doloir.
Mult doit avoir le cuer noir
Qui por fere son pouoir
Pert sa desirree.
- Trop savez bien decevoir,
Nus n'i a duree.
Il n'est pas en son pooir,
Cil qui a vos bee.
Por ce m'estuet remanoir,
Ne truis en vos fors espoir ;
Ne bonté ne puis avoir,
S'el n'est conparee.
- N'aies si le cuer desvé,
Mès en moi te fie !
Qui est en ma poosté
Plus mauvès n'est mie,
Ainz a cent tanz plus bonté,
Plus valor, plus largeté.
Tost t'avrai guerredoné ;
Met t'en ma baillie !
- Tant m'avez biau sarmoné
Que ne lerai mie
Que ne face vostre gré.
Mon cors et ma vie
Met en vostre volenté,
Mau gré ceus qui m'ont mellé
A vous, qui j'ai creanté
A estre en aïe.
Or vos pri merci, pour Dé ;
Que cil qui tant a amé
A vous s'umelie. »
Par Dieu, sire de Champaigne et de Brie,
Je me sui mult d'une riens merveilliez,
Que je voi bien que vous ne chantez mie,
Ainz estes pou jolis et renvoisiez ;
Car me dites pour quoi vous le lessiez.
Estez revient et la sesons florie,
Que tous li monz doit estre bauz et liez ;
Et bien sachiez que mains en vaudrïez,
S'Amors s'estoit si tost de vos partie.
- Phelipe, n'ai de chançon fere envie,
Que d'Amors sui partiz et esloigniez.
Je l'ai lonc tens honoree et servie,
N'onques par li ne fui jor avanciez,
Si ne vueil plus de li estre chargiez.
Par tout la voi et remese et faillie,
Mult est ses nons et ses pris abessiez.
Du tout m'en part, et vous si ferïez,
Se ne volez demorer en folie.
- Sire, a grant tort m'avez Amors blasmee
Et du partir faus conseil me donez.
S'Amors avez mal servie et guilee,
Pour ce n'est pas ses nons deshonorez,
Que d'Amors vient toute honor et bontez.
Qui bien la sert en fez et en pensee
Ne puet faillir ne remaigne honorez,
Que sanz Amors n'est nus a droit loëz,
Et cil puet bien po valoir qui n'i bee.
- Phelipe, Amors est chose forsenee,
Ne nus ne doit sieurre ses volentez.
Tant la conois tricheresse prouvee
Que je pris pou li et ses faussetez,
Ainz me sui si de li servir lassez
Que j'en hé ceus par qui ele est loëe.
Pour ce vous pri que jamès n'en chantez,
Que vous serez touz jorz par li guilez,
Si com je sui, qui ainz n'en oi soudee.
- Sire, trop est Amors et douce et chiere,
Et trop m'en plest li servirs et li nons.
Servirai la, sanz moi retrere arriere,
D'uevre et de cuer et de fere chançons.
Quant li plera, s'en avrai guerredons,
Que je la sai loial et droituriere ;
S'ele tant est blasmee des felons,
Des desloiaus qui qierent achesons,
Et mult m'est bel, quant il la truevent fiere.
- Phelipe, Amors est fausse et trop legiere ;
Oncor diroiz que voire est ma resons.
Quant vos savroiz conoistre sa maniere,
Ne tendroiz pas les partiz a bricons.
Trop conois bien Amors et ses façons :
A l'encontrer vos iert de bele chiere,
Puis troveroiz guiles et traïsons ;
Et en la fin ne vaut noient li dons :
Trop la covient conquerre a grant proiere.
- Sire, dehet qui crerra voz sermons !
A fine Amor m'otroi, qui m'a semons,
Et maintendrai ma pensee pleniere.
- Phelipe, oncor vendra autre sesons.
Ains qu'en aiez conquis nul bon respons,
Me diroiz vous qu'Amors n'est pas entiere.
Robert, veez de Perron
Conme il a le cuer felon,
Qu'a un si loigtaing baron
Veut sa fille marïer,
Qui a si clere façon
Que l'en s'i porroit mirer !
Hé, Deus ! con ci faut reson !
Veez du vis de fuiron !
Gente de toute façon,
Or vos en voi je mener.
Robert, ne vaut un bouton
Qui si l'en lera aler.
- Sire, vos doit on blasmer,
S'ensi l'en lessiez mener.
Ce que tant poëz amer
Et ou avez tel pouoir
N'en devez lessier aler
Pour terre ne pour avoir.
Mult par avroiz le cuer noir,
Quant vous en savroiz le voir.
N'avroiz force ne pouoir
De li veoir ne sentir ;
Et sachiez : si bel avoir
Doit on près de lui tenir.
- Robert, je vueil melz morir,
S'il li venoit a plesir,
Que l'en lessasse partir
Pour trestoute ma conté.
Hé, las ! qui porroit gesir
Une nuit lez son costé !
- Sire, Deus vous dont joïr
De ce qu'avez desirré !
- Robert, je m'en crien morir,
Quant il l'ont fet, mau gré Dé !
J'aloie l'autrier errant
Sanz conpaignon
Seur mon palefroi, pensant
A fere une chançon,
Quant j'oï, ne sai conment,
Lez un buisson
La voiz du plus bel enfant
C'onques veïst nus hon ;
Et n'estoit pas enfes si
N'eüst quinze anz et demi,
N'onques nule riens ne vi
De si gente façon.
Vers li m'en vois maintenant,
Mis l'a reson :
« Bele, dites moi conment,
Pour Dieu, vous avez non ! »
Et ele saut maintenant
A son baston :
« Se vous venez plus avant
Ja avroiz la tençon.
Sire, fuiez vous de ci !
N'ai cure de tel ami,
Que j'ai mult plus biau choisi,
Qu'en claime Robeçon. »
Quant je la vi esfreer
Si durement
Qu'el ne me daigne esgarder
Ne fere autre senblant,
Lors conmençai a penser
Confaitement
Ele me porroit amer
Et changier son talent.
A terre lez li m'assis.
Quant plus regart son cler vis,
Tant est plus mes cuers espris,
Qui double mon talent.
Lors li pris a demander
Mult belement
Que me daignast esgarder
Et fere autre senblant.
Ele conmence a plorer
Et dist itant :
« Je ne vos puis escouter ;
Ne sai qu'alez querant. »
Vers li me trais, si li dis :
« Ma bele, pour Dieu merci ! »
Ele rist, si respondi :
« Ne faites pour la gent ! »
Devant moi lors la montai
De maintenant
Et trestout droit m'en alai
Vers un bois verdoiant.
Aval les prez regardai,
S'oï criant
Deus pastors par mi un blé,
Qui venoient huiant,
Et leverent un grant cri.
Assez fis plus que ne di :
Je la les, si m'en foï,
N'oi cure de tel gent.
L'autrier par la matinee
Entre un bois et un vergier
Une pastore ai trouvee
Chantant por soi envoisier,
Et disoit un son premier :
« Ci me tient li maus d'amor. »
Tantost cele part m'en tor
Que je l'oï desresnier,
Si li dis sanz delaier :
« Bele, Deus vos dont bon jor ! »
Mon salu sanz demoree
Me rendi et sanz targier.
Mult ert fresche et coloree,
Si m'i plot a acointier :
« Bele, vostre amor vous qier,
S'avroiz de moi riche ator. »
Ele respont :« Tricheor
Sont mès trop li chevalier.
Melz aim Perrin, mon bergier,
Que riche honme menteor. »
« Bele, ce ne dites mie ;
Chevalier sont trop vaillant.
Qui set donc avoir amie
Ne servir a son talent
Fors chevalier et tel gent ?
Mès l'amor d'un bergeron
Certes ne vaut un bouton.
Partez vos en a itant
Et m'amez ; je vous creant :
De moi avrez riche don. »
« Sire, par sainte Marie,
Vous en parlez por noient.
Mainte dame avront trichie
Cil chevalier soudoiant.
Trop sont faus et mal pensant,
Pis valent de Guenelon.
Je m'en revois en meson,
Que Perrinez, qui m'atent,
M'aime de cuer loiaument.
Abessiez vostre reson ! »
G'entendi bien la bergiere,
Qu'ele me veut eschaper.
Mult li fis longue proiere,
Mès n'i poi riens conquester.
Lors la pris a acoler,
Et ele gete un haut cri :
« Perrinet, traï, traï ! »
Du bois prenent a huper ;
Je la lais sanz demorer,
Seur mon cheval m'en parti.
Quant ele m'en vit aler,
Si me dist par ranposner :
« Chevalier sont trop hardi ! »
Seigneurs, sachiez : qui or ne s'en ira
En cele terre ou Deus fu morz et vis
Et qui la croiz d'Outremer ne prendra,
A paines mès ira en Paradis.
Qui a en soi pitié ne remenbrance,
Au haut Seigneur doit querre sa venjance
Et delivrer sa terre et son païs.
Tuit li mauvès demorront par deça,
Qui n'aiment Dieu, bien ne honor ne pris ;
Et chascuns dit :« Ma fame, que fera ?
Je ne leroie a nul fuer mes amis. »
Cil sont cheoit en trop fole atendance,
Q'il n'est amis fors que cil, sanz dotance,
Qui pour nos fu en la vraie croiz mis.
Or s'en iront cil vaillant bacheler
Qui aiment Dieu et l'eneur de cest mont,
Qui sagement vuelent a Dieu aler,
Et li morveus , li cendreus demorront ;
Avugle sont, de ce ne dout je mie.
Qui un secors ne fet Dieu en sa vie,
Et por si pou pert la gloire du mont.
Deus se lessa por nos en croiz pener
Et nos dira au jor ou tuit vendront :
« Vous qui ma croiz m'aidastes a porter,
Vos en iroiz la ou mi angre sont ;
La me verroiz et ma mere Marie.
Et vos par qui je n'oi onques aïe
Descendroiz tuit en Enfer le parfont. »
Chascuns cuide demorer touz hetiez
Et que jamès ne doie mal avoir ;
Ensi les tient Anemis et pechiez
Que il n'ont sens, hardement ne pouoir.
Biaus sire Deus, ostez leur tel pensee
Et nos metez en la vostre contree
Si saintement que vos puissons veoir !
Douce dame, roïne coronee,
Prïez pour nos, Virge bone eüree !
Et puis après ne nos puet mescheoir.
Dame, ensi est q'il m'en couvient aler
Et departir de la douce contree
Ou tant ai maus apris a endurer ;
Quant je vous lais, droiz est que je m'en hee.
Deus ! pour quoi fu la terre d'Outremer,
Qui tanz amanz avra fet desevrer
Dont puis ne fu l'amors reconfortee,
Ne ne porent leur joie remenbrer !
Ja sanz amor ne porroie durer,
Tant par i truis fermement ma pensee,
Ne mes fins cuers ne m'en let retorner,
Ainz sui a li la ou il veut et bee.
Trop ai apris durement a amer,
Pour ce ne voi conment puisse durer
Sanz joie avoir de la plus desirree
C'onques nus hons osast merci crïer.
Je ne voi pas, quant de li sui partiz,
Que puisse avoir bien ne solaz ne joie,
Car onques riens ne fis si a enviz
Con vous lessier, se je jamès vous voie ;
Trop par en sui dolenz et esbahiz.
Par maintes foiz m'en serai repentiz,
Quant j'onques voil aler en ceste voie
Et je recort voz debonaires diz.
Biaus sire Deus, vers vous me sui guenchiz ;
Tout lais pour vous ce que je tant amoie.
Li guerredons en doit estre floriz,
Quant pour vous pert et mon cuer et ma joie.
De vous servir sui touz prez et garniz ;
A vous me rent, biaus Peres Jhesu Criz !
Si bon seigneur avoir je ne porroie :
Cil qui vous sert ne puet estre traïz.
Bien doit mes cuers estre liez et dolanz :
Dolanz de ce que je part de ma dame,
Et liez de ce que je sui desirranz
De servir Dieu, qui est mes cors et m'ame.
Iceste amor est trop fine et puissanz,
Par la couvient venir les plus sachanz ;
C'est li rubiz, l'esmeraude et la jame
Qui touz guerist des vius pechiez puanz.
Dame des cieus, granz roïne puissanz,
Au grant besoing me soiez secorranz !
De vous amer puisse avoir droite flame !
Quant dame pert, dame me soit aidanz !
Au tens plain de felonnie,
D'envie et de traïson,
De tort et de mesprison,
Sanz bien et sanz cortoisie,
Et que entre nos baron
Fesons tout le siecle empirier,
Que je voi esconmenïer
Ceus qui plus offrent reson,
Lors vueil dire une chançon.
Li roiaumes de Surie
Nos dit et crie a haut ton,
Se nos ne nos amendon,
Pour Dieu ! que n'i alons mie :
N'i ferions se mal non.
Deus aime fin cuer droiturier,
De teus genz se veut il aidier ;
Cil essauceront son non
Et conquerront sa meson.
Oncor aim melz toute voie
Demorer el saint païs
Que aler povre, chetis
La ou ja solaz n'avroie.
Phelipe, on doit Paradis
Conquerre par mesaise avoir,
Que vous n'i trouverez ja, voir,
Bon estre ne geu ne ris,
Que vous avïez apris.
Amors a coru en proie
Et si m'en maine tout pris
En l'ostel, ce m'est a vis,
Dont ja issir ne querroie,
S'il estoit a mon devis.
Dame, de qui Biautez fet hoir,
Je vous faz or bien a savoir :
Ja de prison n'istrai vis,
Ainz morrai loiaus amis.
Dame, moi couvient remaindre,
De vous ne me qier partir.
De vous amer et servir
Ne me soi onques jor faindre,
Si me vaut bien un morir
L'amors qui tant m'asaut souvent.
Adès vostre merci atent,
Que biens ne me puet venir,
Se n'est par vostre plesir.
Chançon, va moi dire Lorent
Qu'il se gart bien outreement
De grant folie envaïr,
Qu'en lui avroit faus mentir !
Deus est ensi conme li pellicanz
Qui fet son nif el plus haut arbre sus,
Et li mauvès oisiaus, qui vient de jus,
Ses oisellons ocit : tant est puanz ;
Li peres vient destroiz et angoisseus,
Du bec s'ocit, de son sanc dolereus
Vivre refet tantost ses oisellons.
Deus fist autel, quant fu sa passions :
De son douz sanc racheta ses enfanz
Du Deable, qui trop estoit poissanz.
Li guerredons en est mauvès et lenz,
Que bien ne droit ne pitié n'a mès nus,
Ainz est orguels et baraz au desus,
Felonie, traïsons et bobanz.
Mult par est or nostre estaz perilleus ;
Et se ne fust li essamples de ceus
Qui tant aiment et noises et tençons
- Ce est des clers qui ont lessié sarmons
Por guerroier et pour tuër les genz -,
Jamès en Dieu ne fust nus hons creanz.
Nostre chiés fet touz noz menbres doloir,
Por c'est bien droiz qu'a Dieu nos en plaingnons ;
Et granz corpes ra mult seur les barons,
Qui il poise quant aucuns veut valoir ;
Et entre gent en font mult a blasmer
Qui tant sevent et mentir et guiler ;
Le mal en font deseur aus revenir ;
Et qui mal qiert, maus ne li doit faillir.
Qui petit mal porchace a son pouoir,
Li granz ne doit en son cuer remanoir.
Bien devrions en l'estoire vooir
La bataille qui fu des deus dragons,
Si com l'en trueve el livre des Bretons,
Dont il couvint les chastiaus jus cheoir :
C'est cist siecles, qui il couvient verser,
Se Deus ne fet la bataille finer.
Le sens Mellin en couvint fors issir
Por deviner qu'estoit a avenir.
Mès Antecriz vient, ce poëz savoir,
As maçues qu'Anemis fet mouvoir.
Savez qui sont li vil oisel punais
Qui tuënt Dieu et ses enfançonèz ?
Li papelart, dont li nons n'est pas nèz.
Cil sont bien ort et puant et mauvès ;
Il ocïent toute la simple gent
Par leur faus moz, qui sont li Dieu enfant.
Papelart font le siecle chanceler ;
Par saint Pere, mal les fet encontrer :
Il ont tolu joie et solaz et pès.
Cil porteront en Enfer le grant fès.
Or nos dont Deus lui servir et amer
Et la Dame, qu'on n'i doit oblïer,
Et nos vueille garder a touz jorz mès
Des maus oisiaus, qui ont venin es bès !
Du tres douz non a la Virge Marie
Vous espondrai cinq letres plainement.
La premiere est M, qui senefie
Que les ames en sont fors de torment ;
Car par li vint ça jus entre sa gent
Et nos geta de la noire prison
Deus, qui pour nos en sousfri passion.
Iceste M est et sa mere et s'amie.
A vient après. Droiz est que je vous die
Qu'en l'abecé est tout premierement ;
Et tout premiers, qui n'est plains de folie,
Doit on dire le salu doucement
A la Dame qui en son biau cors gent
Porta le Roi qui merci atendon.
Premiers fu A et premiers devint hom
Que nostre loi fust fete n'establie.
Puis vient R, ce n'est pas controuvaille,
Qu'erre savons que mult fet a prisier,
Et sel voions chascun jor tout sanz faille,
Quant li prestes le tient en son moustier ;
C'est li cors Dieu, qui touz nos doit jugier,
Que la Dame dedenz son cors porta.
Or li prions, quant la mort nous vendra,
Que sa pitiez plus que droiz nous i vaille.
I est touz droiz, genz et de bele taille.
Tels fu li cors, ou il n'ot qu'enseignier,
De la Dame qui pour nos se travaille,
Biaus, droiz et genz sanz teche et sanz pechier.
Pour son douz cuer et pour Enfer bruisier
Vint Deus en li, quant ele l'enfanta.
Biaus fu et genz, et biau s'en delivra ;
Bien fist senblant Deus que de nos li chaille.
A est de plaint : bien savez sanz dotance,
Quant on dit a, qu'on se plaint durement ;
Et nous devons plaindre sanz demorance
A la Dame que ne va el querant
Que pechierres viengne a amendement.
Tant a douz cuer, gentil et esmeré,
Qui l'apele de cuer sanz fausseté,
Ja ne faudra a avoir repentance.
Or li prions merci pour sa bonté
Au douz salu qui se conmence Ave
Maria ! Deus nous gart de mescheance !
Mauvès arbres ne puet florir,
Ainz seche touz et va crollant ;
Et hons qui n'aime, sanz mentir,
Ne porte fruit, ainz va morant.
Flor et fruit de cointe senblant
Porte cil en qui nest amors.
En ce fruit a tant de valors
Que nus nel porroit elligier,
Que de touz maus puet alegier.
Fruit de Nature l'apele on ;
Or vos ai devisé son non.
De ce fruit ne puet nus sentir,
Se Deus ne le fet proprement.
Qui a Dieu amer et servir
Done cuer et cors et talent,
Cil queut du fruit trestout avant,
Et Deus l'en fet riche secors.
Par le fruit fu li premiers plors,
Quant Eve fist Adam pechier ;
Mès qui du bon fruit veut mengier
Dieu aint et sa Mere et son non,
Si queudra le fruit de seson.
Seigneur, de l'arbre dit vos ai
De Nature, de qu'amors vient ;
Du fruit meür conté vous ai
Que cil quieut qui a Dieu se tient ;
Mès dou fruit vert me resouvient
Qui ja en moi ne meürra :
C'est li fruiz en qu'Adans pecha.
De ce fruit est plains mes vergiers :
Dès que ma dame vi premiers,
Oi de s'amor plain cuer et cors,
Ne ja nul jor n'en istra fors.
Bien cuit dou fruit ne gousterai
Que je cueilli, ançois m'avient
Si conme a l'enfant, bien le sai,
Qui a la branche se soustient
Et entor l'arbre va et vient
Ne ja amont ne montera ;
Ensi mes cuers foloiant va.
Tant par est granz mes desirriers
Que je en tieng mes granz maus chiers,
Si sui afinez con li ors
Vers li, qui est touz mes tresors.
Deus ! se je pouoie cueillir
Du fruit meür de vous amer,
Si com vous m'avez fet sentir
L'amor d'aval et conparer,
Lors me porroie saouler
Et venir a repentement.
Par vostre douz conmandement
Me donez amer la meillor :
Ce est la precïeuse flor
Par qui vos venistes ça jus,
Dont li Deables est confus.
Mere Dieu, par vostre douçor
Du bon fruit me donez savor,
Que de l'autre ai je senti plus
C'onques, ce croi, ne senti nus !
Phelipe, lessiez vostre error !
Je vos vi ja bon chanteor.
Chantez, et nos dirons desus
Le chant Te Deum Laudamus.
De chanter ne me puis tenir
De la tres bele esperitaus,
Que riens du mont ne puet servir
Qui ja viengne honte ne maus ;
Que li Rois celestïaus,
Qui en li daigna venir,
Ne porroit mie sousfrir
Qui la sert q'il ne fust saus.
Quant Deus tant la vout obeïr,
Qui n'estoit muables ne faus,
Bien nos i devons dont tenir,
Dame roïne naturaus !
Cil qui vous sera fëaus,
Vous li savroiz bien merir ;
Devant vos porra venir
Plus clers qu'estoile jornaus.
Vostre biauté, qui si resplent,
Fet tout le monde resclarcir.
Par vous vint Deus entre la gent
En terre pour la mort sousfrir
Et a l'Anemi tolir
Nos et geter de torment.
Par vous avons vengement
Et par vous devons garir.
David le sout premierement
Que de lui devïez oissir,
Quant il parla si hautement
Par la bouche du Saint Espir.
Vous n'estes mie a florir,
Ainz avez flor si poissant :
C'est Deus, qui onques ne ment
Et par tout fet son plesir.
Dame, plaine de granz bontez,
De cortoisie et de pitié,
Par vous est touz renluminez
Li mondes, nès li renoié ;
Quant il seront ravoié
Et crerront que Deus soit nez,
Seront sauf, bien le savez.
Dame, aiez de nos pitié !
Douce Dame, or vos pri gié
Merci, que me desfendez
Que je ne soie dampnez
Ne perduz par mon pechié !
De grant travail et de petit esploit
Voi le siecle chargié et enconbré,
Que tant sonmes plain de maleürté
Que nus ne pense a fere ce q'il doit ;
Ainz avons si le Deable troussé
Qu'a lui servir chascuns paine et essaie ;
Et Dieu, qui ot pour nos la cruël plaie,
Avons mès tuit arriere dos bouté :
Mult est hardiz qui pour mort ne s'esmaie.
Deus, qui tout set et tout puet et tout voit,
Nos avroit tost un entredeus geté,
Se la Dame, plaine de grant bonté,
Qui est lez lui, pour nous ne li prioit.
Si tres douz mot plesant et savoré
Le grant coroz du grant Seigneur rapaie.
Mult par est fous qui autre amor essaie,
Qu'en cesti n'a barat ne fausseté,
Ne es autres ne merci ne manaie.
La soriz qiert, por son cors garantir
Contre l'iver, la noiz et le forment,
Et nous, chetif ! n'alons mès riens querant,
Quant nos morrons, ou nos puissons guerir ;
Nous ne cerchons fors qu'Enfer le puant.
Ore esgardez q'une beste sauvage
Porvoit de loing encontre son damage,
Et nous n'avons ne sens ne escïent ;
Il m'est a vis que plain sonmes de rage.
Deables a geté pour nous sesir
Quatre aimeçons aoschiez de torment :
Couvoitise lance premierement
Et puis Orgueil pour sa grant roiz enplir ;
Luxure va le batel traïnant,
Felonie les gouverne et les nage.
Ensi peschant s'en viennent au rivage,
Dont Deus nos gart par son conmandement,
En qui sainz fonz nous feïsmes honmage !
Les preudonmes doit on tenir mult chiers
La ou il sont et servir et amer,
Mès a paines en puet on nus trouver,
Car il sont mès si com li faus deniers
Que on ne puet en trebuchet verser,
Ainz le gete on sanz coing et sanz balance ;
Torz et pechiez en eus fine et conmence.
Faus tricheor, bien vous devroit menbrer
Que Deus prendra de vos cruël venjance !
A la Dame qui touz les biens avance
T'en va, chançon ! S'el veut escouter,
Onques ne fu nus de meillor cheance.
Conmencerai
A fere un lai
De la meillour.
Forment m'esmay,
Que trop par ai
Fet de dolour,
Dont mi chant torront a plour.
Mere Virge savouree,
Se vous fetes demouree
De prïer le haut Seignour,
Bien doi avoir grant paour
Du Deable, du Felon,
Qui en la noire prison,
Nous veut mener,
Dont nus ne puet eschaper ;
Et j'ai forfet, douce Dame,
A perdre le cors et l'ame,
Se ne m'aidiez.
Douz Dieus, aiez
Merci de mes vils pechiez !
Ou sera merci trouvee,
S'ele est de vous refusee,
Qui tant valez ?
Sire, droiture oublïez
Et destendez vostre corde,
Si vaigne misericorde
Pour nous aidier !
Nous n'avons de droit mestier ;
Quant seur touz estes puissanz,
Bien devez de voz serganz
Avoir merci.
Biaus, douz Sire, je vous pri
Ne me metez en oubli !
Se pitié ne vaint venjance,
Dont serons nous sanz doutance
Trop mal mené.
Dame, plaine de bonté,
Vostre douz mot savouré
Ne soient pas oublïé !
Prïez pour nous !
Jamès ne serons rescous,
Se ne le sonmes par vous,
De voir le sai.
Ci lesserai ;
Et Dieus nous doint sanz delai
Avoir son secours verai !
Poinne d'amors et li maus que j'en trai
Font que je chant amorous et jolis
Et en chantant rover - ce qu'ainz n'osai -
Cele cui j'aing que ne fusse escondiz
De tel don con de joie ;
Mais ce n'iert ja que doie
Avoir tel bien de li,
Se par pitié bone Amors, que j'en pri,
Ne fait, ausi con je sui suens, soit moie.
Lëaus Amors, de voz maus que ferai ?
Consoilliez moi : je sui de vos sopris.
Celerai je ma dame ou li dirai
Que por li sui en poinne, et m'i a mis ?
Li celers m'i guerroie,
Et se je li disoie,
Tost diroit :« Fui de ci ! »,
Et il n'est rien que je resoigne si,
Si me tairai, face sens ou foloie,
Fors qu'en chantant ensi me deduirai,
En atendant - ce qu'Amors m'a promis -
D'avoir merci, quant deservi ne l'ai,
De la moillor, cui je ai lonc tens quis ;
Et se je requeroie
Ma dame et g'i failloie,
Si com autre ont failli,
Jamais desduit en espoir si joli
N'avroit en moi, si aing mieuz qu'ainsi soie.
Tresdont que vi ma dame, m'i donai ;
Ainz puis ne fui de li amer faintis,
Ne ja ne vuille Amors qu'en nul delai
Mete le douz penser qu'en li ai pris.
Mieuz penser ne savroie
Et plus je ne porroie
Amors metre en obli,
Si me convient en espoir de merci
Vivre et menoir ; pour rien ne recroiroie.
Aucune gent m'ont demandé que j'ai,
Quant je si port pesme color ou vis ;
Et je lor ai respondu :« Je ne sai »,
Si ai menti : c'est d'estre fins amis.
Ensi mes cuers lor noie ;
Et por quoi lor diroie,
Quant ma dame nou di,
Qui m'a navré et tost m'avroit gari,
S'ele voloit et ele en fust en voie ?
Au Pui d'Amors couvenance tenrai
Tout mon vivant, soie amez ou haïs.
[...]
Quant fine Amor me prie que je chant,
Chanter m'estuet, car je nel puis lessier,
Car je sui si en son conmandement
Qu'en moi n'a mès desfense ne dangier.
Se la bele, qui je n'os mès prïer,
N'en a merci et pitiez ne l'en prent,
Morir m'estuet amoreus en chantant.
Morir m'estuet, s'Amors le me consent,
Car sanz Amor ne me puet riens aidier ;
Et quant de li viennent tuit mi torment,
Bien me devroit ma dolor alegier.
Pour ce li pri qu'ele vueille essaier
S'ele a pouoir vers celi qui j'aim tant,
Par prïere ne par conmandement.
Tuit mi desir et tuit mi fin talent
Viennent d'Amors, c'onques ne soi trichier,
Ainz sai amer si esmereement,
Douce dame, qui ja ne qier changier.
Dès icel jor que vous soi acointier,
Vous donai si cuer et cors et talent
Que riens fors vous ne me feroit joiant.
Quant si me sui affinez finement
En fine amor qu'autre deduit ne qier
- Ne fins amis ne doit vivre autrement,
Mès q'il n'en puist partir ne esloignier -,
Se bien amer me puet avoir mestier,
J'avrai joie de vostre biau cors gent,
Bele et bonne de douz acointement !
Se Deus me doint riens que je li demant,
El mont n'a riens qui tant face a proisier
Con cele fait de qui ma chançon chant.
De grant valor et de bon pris entier
Plus puet valoir qu'en ne puet souhedier.
Or me dont Deus amer et servir tant
Qu'aie merci, car merci vois querant !
Par Dieu, Gilles, bien me puis afichier
Que j'aim du mont toute la melz vaillant,
La plus cortoise et la plus avenant.
Chançon, va t'en, garde ne te targier,
Et di Noblet que cuers qui se repent
Ne sent mie ce que li miens cuers sent.
Bele et bone est cele por qui je chant,
S'en doivent bien mes chançons amender.
Onques nul jor puis que la vi avant,
Ne poi aillors q'a li mon cuer torner ;
Mès mout souvent me tormente et esmaie
Ce que je l'ai tant servie en manaie,
Quant ne me veut de riens gueredoner,
Fors seulement qu'apris m'a a chanter.
Contesse a droit la doit on apeler
De tot valoir et de tot avenant.
S'outrageus fui de hautement penser,
Souvent me vient mes biaux forfais devant.
Trop cruëlment et jor et nuit m'essaie
Loiaus amors, qui de riens ne m'apaie.
Tant me puis fins et loiaus esprouver,
Et Deus m'i dont morir ou recouvrer !
Por Dieu, Amors, se vos en mon vivant
De nule riens me devez conforter,
Por quoi vos plest a moi traveillier tant ?
De toz amanz en fetes a blasmer,
Si ne dot pas que biens ne m'en eschaie ;
Car joie avrai de bone amor veraie,
Ou je morai fins amanz sanz fauser
A vos, qu'Amors ne m'i puet pas grever.
Merci puis bien de vrai cuer desirrer
Et requerre mout souvent en chantant,
Mès autrement ne li os demander,
Tant par redout les biens dont ele a tant.
Ne cuidiez pas que d'amors me retraie,
Douce dame, por dolor que j'en aie !
Je n'ai pouoir que vos puisse oublïer,
Si me dont Deus en vos merci trouver !
Droit a Thoumas de Cousi ne delaie,
Chançons, et di que bone amor veraie
Tiengne toz tens son cuer sanz remuër ;
Ensi poura bien son pris amender.
Tant ai Amors servie et honoree
Bien m'i deüst mon servise merir,
Mès ma dolor n'iert ja guerredonee,
Qu'a moi ne puet joie d'Amors venir.
Hé, Deus ! Conment me porroie esjoïr,
Quant je esloing la riens qui plus m'agree !
Se li miens cors se part de sa contree,
Ne s'en veut pas pour ce li cuers partir :
G'en port mon cors, mès g'i lès ma pensee.
Qui près aime, de loig ne puet haïr ;
Ne près ne loig ne puet vrais cuers guenchir,
Ne ja amors n'iert de mon cuer sevree.
Ele est et bele et bone et bien senee ;
S'ele a s'amor m'i daignoit consentir,
Adonc seroit ma dolor oublïee.
Je l'amerai, s'en devoie morir,
Car plus me plest pour li amer languir
Que par autre fust ma dolor sanee.
En pou d'eure fu bien ma mort juree
Sanz moi avant defïer et garnir.
Si oeil riant, sa face coloree,
Ses biaus parlers, qui tant plest à oïr,
M'i sorent bien decevoir et traïr,
Qu'encontre aus trois n'a ma reson duree.
Toute biauté est en li aünee ;
Sousfrete en ot Deus a moi enbelir.
Et quant biauté est toute a li donee,
Deus, qui me fist a la biauté faillir,
M'a doné cuer verai pour vous servir,
S'il vous plesoit, douce dame honoree !
Amis verais ne se puet resortir,
Car ne font pas bone amor amenrir
Ne cors lointains ne longue demoree.
Je n'os chanter trop tart ne trop souvent,
Ne si n'ai gré de chanter ne de taire ;
Ainz ai servi en pardon longuement,
Que je cuidai adès tant dire et faire
Que je peüsse a cele meilleur plere
Qui m'ocirra, se Amors li consent,
Tout a loisir por plus fere torment.
Tuit mi maltret fussent a mon talent,
Se ja nul jor en cuidasse a chief traire,
Mès je voi bien que ne m'i vaut noient,
Qu'amors m'ont si atorné mon afere
Qu'amer ne l'os ne ne m'en puis retrere.
Ensi me tient Amors, ne sai conment,
C'un poi la hé tres amoreusement.
Ensi m'estuet et haïr et amer
Celi a qui ne chaut de mon martire.
S'ele m'ocit, de poi se puet vanter,
Q'il n'i couvient pas trop grant maiestire
De son ami engingnier et ocirre.
Nus ne se doit vers s'amie garder,
S'il ne la veut du tout lessier ester.
Mult me sout bien esprendre et alumer
Au biau parler et au simplement rire.
Nus ne l'orroit si doucement parler
Qui ne cuidast de s'amor estre sire.
Par Dieu, Amors ! ce vos puis je bien dire
Qu'on vous doit bien servir et honorer,
Mès d'un petit s'i puet on trop fïer.
Tant me fera et languir et douloir
Com li plera, q'ele en a bien poissance,
Puis que merciz ne me puet riens valoir
Fors biaus parlers et servise et sousfrance,
Et avec ce i recouvient cheance.
Tant i couvient, qui joie en veut avoir,
Par un petit que ne m'en desespoir.
Amors me tient, qui ne me let mouvoir,
Ainz me detient autresi par senblance
Conme celui qui a presté avoir
A mal detor sanz plege et sanz fiance,
Que ne li ose escondire creance.
Ensi me tient Amors en son pouoir
Q'il me couvient ce qu'ele veut vouloir.
Bone dame me prie de chanter,
Si est bien drois que je por li l'empraingne ;
Autre raison n'i puis je maiz trouver,
Quar ma dolour croist adès et engraigne.
Amours m'ocit, ne sai a cui m'en plaigne,
Quant n'os gehir ne dire mon penser
A la bele, qui me fait endurer
Les greigneurs maus que nus amans soustaigne.
Se merci quier et ne la puiz trouver,
Morir m'estuet sanz pluz longue bargaigne ;
Seul pour itant me devroie haster.
Vie vaut pou ; qui si se descompaigne
De toute joie a cui granz bienz soufraigne,
Bien doit sa mort voloir et desirrer.
Las ! tant mar vi son tres simple vis cler,
Qu'ensi ocist mon fin cuer et mahaigne.
De ce me lo dont j'oi autrui blasmer :
Ja ma dame ne seüst ma pensee
Ne mon voloir, ne fust par deviner
Qu'en avront fait la gent maleüree,
Qui dit li ont que plus l'aim que rienz nee ;
Il dïent voir et si quident gaber.
Si me laist Deus a ma joie achiever,
Que touz fui suens, dès que l'oi esguardee !
Chaitive gent, que vous vaut a blasmer ?
S'aidié m'avez, de rienz ne vous agree.
Quoi qu'aiez dit, ne vous porroie amer,
Quar par vous est mainte amours dessevree ;
Et mainte joie eüst esté dounee,
S'on ne doutast vostre felon parler.
Chascuns vous doit fuïr et eschiver
Qui honte crient et a haute honor bee.
Chançon, va t'en - ne demore pluz ci ! -
A la bele qui m'a en sa baillie ;
Et pour pitié et pour douçour li pri
Que envers moi de ce ne li poist mie
Se li felon ont dit lor estoutie.
Ne l'ai pas fait, n'i ai mort desservi.
Qui me dounast tout l'avoir de Berri,
Ce qu'il ont dit ne lor deïsse mie.
Dame de Blois, la vostre seignorie
Croist chascun jour, la Damedieu merci !
Il est bien drois, qu'ainc si bone ne vi
En touz bons fais n'en douce compaignie.
Onkes ne fut si dure departie
Comme de ceauls ki aimment per amors.
Quant li amans se depairt de s'amie,
C'est une mors et une teils dolors
Ke cil ki l'ont prisent moult pouc lor vie,
Car li solais, li biens et li dousors
K'il ont entre eaus esprovee et sentie
Lor torne plus a poene k'a secors.
Lais, dolerous ! Or est ma vie outree,
Quant laissiet m'ait celle per estevoir
Ke jeu ai plux ke tout le mont amee ;
Trop la desir et se l'ain trop por voir.
Maix se je l'ain et je l'ai desirree,
C'est mes confors ; c'on doit de boin avoir
Estre en atente et faire consirree,
Per coi la puisse aucune fois avoir.
Douce dame, je seux en esperance
C'après lait tens doie biaus tens venir.
Tormenteis seux, maix teilz est ma fiance
C'ancor vos cuit acoleir et sentir.
Douls est li biens ki vient de grant souffrance,
Et bien doit on atendre et soustenir,
Quant la dousor respont a la grevance,
Car dont puet on a grant joie venir.
Belle, j'ain moult l'angoisse et le messaixe
Ke me covient por vos a andureir.
Boens est li mals dont on vient a grant aixe ;
Por ceu se doit fins amans moult peneir,
C'om ne puet riens sens poene avoir ki plaixe.
Li fruit d'amors seivent bien meüreir ;
Ke por atendre un pou sa dolor paixe,
Plux doucement li plaist a savoreir.
Dame, or vos proi ke de moi vos souvaigne
Et ke ne truesse en vos desloiaultei,
Ke vostre amor a toz jors me soustaigne,
Car bien saichiés : je vos port fïaultei.
Or vos gairt Deus, coi ke de moi avaigne ;
C'om sercheroit toute une roiaultei,
Ains c'om trovaist dame en cui tant avaigne
De cors, de vis et de toute biaultei.
Chanson, vai t'en, di bien ma dame et prie
K'elle n'oblist ne ma poene ne moy !
De l'oblïeir seroit grant velonnie.
Por ceu m'otroit s'amor, ou je m'otroi !
Car elle ait tout mon cuer en sa baillie,
S'est bien raixons c'aie le sien en foi,
Car li felon medixant per envie
Veullent torneir bone amor a desroi.
Dame, cist vostre fins amis,
Qui tout son cuer a en vous mis
- De vos amer est si sorpris
Que de jor et de nuit est pris -,
Vos mande que sachiez de voir
Q'il vous aime sanz decevoir ;
En vos amer n'a pas mespris.
Dame, quant de vous me souvient,
Une tel joie au cuer me vient,
Qu'Amors me lace, qui me tient.
Vostre douz regarz me soustient,
Qui soëf m'a le cuer enblé ;
Et souvent me ra il senblé
Que de vous toute joie vient.
Amors, aiez de moi merci,
Que mon cuer, qui n'est mie ci,
Fetes joiant, et prïez li
Que il li souviengne de mi !
Mès certes vous n'en feroiz rien,
Que je vous aim seur toute rien ;
Pour ce sel metroiz en oubli.
Onques nus ne vos ama tant
Com je faz, qui touz jorz entent
A vos servir veraiement.
Pour ce sont perdu li amant
Que trop leur fetes acheter
Ce dont il devroient chanter.
Deus ! si fetes pechié trop grant.
Dame, merci, merci cent foiz !
Pitiez vous praingne a ceste foiz
De moi, qui sui ensi destroiz
Pour vous qu'or sui chauz, or sui froiz,
Or chant, or plor et or souspir.
Je conmant a vos mon espir ;
Ne sai se merci en avroiz.
Ne rose ne flor de lis
Ne des oisiaus li chant
Ne douz mais ne avris
Ne rosignous jolis
Ne m'i fet si joiant
Ne pensis
Com haute amour seignoris,
Que d'amor
Viennent mi chant et mi plor
Ne d'autre labour
Ne sert mes cuers a nul jor.
Si bonement m'a conquis
Ma dame en esgardant
Que, tant com soie vis,
Ne serai fors qu'amis.
Morir en atendant,
Ce m'est vis,
Me seroit honors et pris,
Qu'en amour
N'a nule si haute honor
A fin ameor
Com pour li sousfrir dolor.
Dame d'onor et de pris,
Com seroit bien seant
Qu'en vostre simple vis,
De grant biauté espris,
Trouvasse un douz senblant
Et un ris
Qui fust senblanz a merciz,
Car d'amor
N'ai je riens, fors que j'aor
Des dames la flor
Et de biauté mireor !
Bele, quant du douz païs
Serai tournez plorant,
Pri vous, frans cuers gentis,
Que de vous soie fis
D'un« A Deu vous conmant,
Biaus amis ! »
Lors avrai tout a devis
Bone amor.
Ne creez losengeor
Ne faus tricheor,
Tant en i viengne des lor.
Mon seignor
De Bar, qui pris et valor
Maintient chascun jor,
Doigne Deus joie et honor !
Kant Amors vit ke je li aloignoie
Et j'oi mon cuer retrait de sa prixon,
Se li fut vis ke trop la resoignoie,
Lors m'asailli d'une estrainge tenson
Et dist :« Thiebaus, jai fustes vos mes hom.
Or me moustreis keil tort je vos faissoie,
Ke me voleis guerpir en teil saixon !
- Certes, Amors, aisseis i troveroie
Por vos guerpir forfait et mesprixon,
Maix ne voi riens ke je conquerre i doie ;
Por ceu vers vos ne demant se paix non ;
Si soiés dame, et jeu uns povres hom,
Ki n'ai talent ke jamaix a vos soie,
Se Deus me done aillors ma guerixon.
- Certes, Thiebaut, je me correceroie,
S'encor de moy ne feïssiés chanson.
Vostres chanteirs me plaist et esbanoie,
Car moult vos voi de belle entencion.
Or ne quereis vers moi nulle ochoison,
Ke bien saichiés, cui si grans pueples proie,
K'il ne puet pais a tous faire raison.
- Jai Deus, Amors, ma proiere ne croie,
Quant vos en moy jamaix avrois parson,
Ke j'ai lou duel dont li autre ont la joie,
Et s'avez fait de moi autrui garson.
Com l'aveugles quiert la voie a baston,
Vos ai je quis, et se ne vos veoie.
Trop estes trouble, et s'aveis si cleir nom.
- Coment, Thiebaut, [...]
[...] ne vos ravrai je dont ?
- Nenil, Amors, en perdon se foloie
Ke maix me veult remettre en teil prixon.
Tous jors vos ai porteit loiaul tesmoing,
Et vos m'aveis jüeit d'une corroie
Ou je ne puis faire se perdre non. »
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Domino fratribus Tedulfo et uxore sua Rotlent. Ego Bernoars venditor [vendo] vobis vinea in pago Matisconense, in finem Salorniacense, in villa Engoeno, qui terminet de uno latus terra Sancti Petri, in alio latus terra Guarino, in uno fron terra Bernardi, de quarte par via publica; abet in longo latis la terra Sancti Petri XXVII, latis la terra Guarino perticas XXVI, in lado perticas II et pedes VIIII. Infre istas terminaciones et perticaciones vobis vendo, et accepio de vobis precium invalentem solidos X, et pro ipsa precia manibus recepimus, et de juro meo in vestro trado adque transfundo, et faciatis pos isto die quitquit facere volueritis in omnibus. Si quis vero, nullum contradicentem, si omo est qui calumniare voluerit, de au[ro] libera una componat. Actum Salorniago villa publice. S. Bernoart, qui vindicione ista fierit et firmare rogavit. S. Felicito, Bernart, Bernono, Otgerio, Eldegrimo, Ingelbert, Drocbalt, Guarino. Erblayus, sacerdos, scripsit die mercoris, in mense febroario, annos XXVIII regnante Lotario rege. |
Universis presentes litteras inspecturis, Hugo archidiaconus Lingonensis, salutem in Domino. Noveritis nos litteras inferius annotatas, non cancellatas, non abolitas nec in aliqua sui parte viciatas, vidisse et legisse verbo ad verbum sub hac forma : [a] In nomine sancte et individue trinitatis. Ego Hugo, vicecomes Firmitatis, notum facio tam presentibus quam futuris quodb) dono et concedo pro anime mee salute et predecessorum meorum sanctimonialibus de Valle Baionis terram duorum aratrorum apud Gulas absque terciis et absque omni more, vigintique falceatas pratorum pro quibus pratis singulis annis michi XVIII nummos reddere pro censu debent ; et si plus quam viginti falceatas pratorum extirpare voluerint, pro unaquaque falceata uno quoque anno duos nummos reddent. Concedo etiam supradictis monialibus medietatem ascheviorum hominum ad Gulas habitantium et pasturam bestiarum suarum per omne finagium tam pasturam suorum propriorum porcorum usque ad centum porcos absque pasnagio ; et si plus quam centum porcos ibi adducere voluerint, pro unoquoque unum nummum reddent, si ipse eum accipere voluerint ; et omne usuarium per omne finagium tam in nemoribus quam in aqua et ligna et marrimen ad domos suas edificandas et terram liberam ad fundamentum domorum suarum ; et si aliqua pars terre quam tenent ad domos rusticorum edificandas necessaria fuerit, illam relinquent ; et absque multura ad molendinum molient, et ad furnum absque fornagio suos panes decoquent. Si bestie sanctimonialium hominibus Gularum aliquid dampnum inferrent, absque omni causa et forestagio et emendatione dampnum restaurarent. Et ne hoc in irritum reducatur et ne aliqua controversia inter me et heredes meos et sanctimoniales nascatur, sigillo domini Hugonis Brecensis imprimi feci, de cujus feodo illa terra erat. Teste Villelmo abbate Alberippe, Christiano monacho suo, Duranno monacho suo, Gilleberto converso de Longo Vado, magistro Roberto de Arco, Renaldo presbitero de Arco, Ascelino presbitero de Braus, domino Renaldo de Granceio, Odone de Mormento, Guilenco milite de c), Petro de Planteio, Albood) Dunce, Rodulpho de Poyli, Petro de Asseio. Quod etiam factum fuit Milone filio Rurici Daudaieco et concedente et confirmatum anno >Dominie) |
In nomine Domini amen. Anno incarnationis ejusdem M CC nonagesimo primo, mense julii, ego Guido, dictus Tonduz, de Thoreio prope Avalonem, spontaneus, bene providus, non deceptus, non cohactus nec in aliqua parte circumventus, notum facio universis, etc., quod ego et heredes mei presentes et futuri, nati et nascituri, sumus et erimus in perpetuum homines justiciabiles et manus mortue religiosorum virorum abbatis et conventus Sancti Martini Eduensis. Item quod omnes res et possessiones nostre quas in presenti habemus et possidebimus in futurum sunt et erunt de justitia et de manu mortua dictorum religiosorum. Item quod ego Guido predictus teneor et promitto solvere et reddere anno quolibet et heredes mei solvere tenebuntur dictis religiosis vel eorum certo mandato litterarum presentium viginti solidos turonenses annue cense. Item quod ego Guido predictus et heredes mei antedicti non possumus reclamare nec advoare alium dominum seu justiciarium quam dictos religiosos, ubicumque nos transferamus vel faciamus mansionem. Hec autem omnia et singula predicta, sicut superius sunt expressa, promitto, ego Guido predictus, pro me et heredibus meis quos ad hoc specialiter obligo per stipulationem legitimam et sonlemnem per juramentum super sancta evangelia corporaliter prestitum et sub expressa obligatione omnium et singulorum bonorum meorum quorumcumque, facere, tenere, complere et inviolabiliter observare; renuntians in hoc facto penitus et expresse omni petitioni, omnis appellationis remedio condito sine causa, omni juris auxilio civilis et canonici, omnibus privilegiis et gratiis concessis et ab...... omnibus consuetudinibus et statutis cujuslibet loci et proprie omnibus exceptionibus, rationibus, allegationibus et barris juris et.... renunciationem non valere, volens me compelli ad osbervantiam eorum predictorum per captionem corporis mei et bonorum omnium meorum qualiter ex re advidebitur per curiam ducis Burgundie cujus jurisdictioni quo ad hoc totaliter me suppono et heredes meos. In quorum testimonium premissorum, sigillum dicte curie litteris istis rogavi et optinui apponi..... In presentia Guillellenis dicti Sonat de Flavigni, clerici dicti notarii, Johannis de Cusseio, presbyteri curati de Girollis, Morelli Gonaudi de Capella, Guillelmi...... de Sedeloco, Theobaldi dicti Useau, Carpentarii, et Stephaneti dicti Godot, de burgo Avalonis, testium specialiter ad hoc vocatorum. Anno et die supra dictis. |
Au sacré saint monastère basti en l’honneur de la sainte et indivisible Trinité et situé au lieu appellé Marcigny où le vénérable abbé dom Hugues préside, je, Guichard, offrant à l’Epoux immortel Jésus-Christ ma fille vierge nommée Cécile, je donne, tant pour elle que pour l’âme aussi de mon père et de ma mère et de tous les fidèles et la mienne, quelque chose de mon héritage situé au village d’Autun, au lieu appellé Compierre, la ville même donc avec toute la terre qui y a l’aspect partout où elle réside, comme elle est tenüe par ceux qui y habitent et comme je l’avois déjà donné auparavant en sa vie à la dame Cécile allant à sa conversion. Je donne toutes ces choses susnommées dans leur entier et les accorde pour le lieu susdit de Marcigny pour que les recteurs du même lieu ayent le pouvoir d’y faire ce qu’ils voudront à perpétuité, et aussy toutes les coutumes que me devoient les laboureurs de la terre même et leurs aloux. Je donne et cède toutes ces choses dans leur entier, et pour que cette donation soit ferme et stable et permanente, je la fais approuver par mon fils Dalmace. Lequel Dalmace a donné aussy après la mort de son père les coûtumes de la forest cy-dessus écrite qui est proche de cette terre, et le cours par la forest. Témoins et approbateurs sont: dom Duran, prieur, Jaufrois, seigneur de Semur, Artauld et Girard de Barge, Hugues le Roux de Chastel; Bernard d’Angletures et plusieurs autres. |
Dum in hujus seculi laboriosa vivitur peregrinatione, agendum est ut unusquisque homo ex rebus a Deo sibi conlatis peccata sua helemosinis redimere festinet, ut Christum omnium conditorem in die ultimo valeat reperire misericordissimum. Ut autem emamus regnum sempiternum, properemus agere bonum, etenim scriptum est: «Regnum Dei tantum valet quantum habes. Valet enim regnum Dei his qui sua pauperibus et egenis larga manu distribuunt.» Quapropter notum sit omnibus hominibus, tam presentibus quam futuris, quod ego Stephanus, miles de Saleg, decidens in infirmitate, et video me inde non convalescere, timore mortis perterritus, atque cognoscens me in Deum et in sanctos ejus peccasse me multum, ideo derelinquo hujus seculi vanitates, et accipio habitum Sancti Benedicti; et dono Domino Deo et sanctis ejus Petro et Paulo et loco Cluniaco, ubi domnus Ugo abbas magis videtur prodesse quam preesse, et fratribus ibidem Deo servientibus, presentibus et futuris, videlicet dono ego Stephanus supradictus, pro remedio anime mee et omnium parentum meorum, unum molendinum qui est justa ipsum pratum in villa Saleg, et medietatem de la Forest del Mas, et unum mansum ad Vilarem Mainulfum, cum omnibus que ad ipsum mansum pertinent, et censum et quicquid mihi reddebat ille qui ipsum mansum tenebat, totum ex integro dono loco supradicto. Item ego jam supradictus Stephanus facio aliam donationem loco prenominato de omni alodio meo quem habebam in seculo, et tenebam sine ullo calumniatore, ut si duo filii mei quos in seculo dimisi, mortui fuerint sine heredibus, nullus de parentibus meis omnino nihil in ipso alodio ibi aliquid requirant, sed totum ex integro dono, laudo et confirmo loco Cluniaco et fratribus ibidem Deo servientibus, presentibus et futuris, sine ullo calumniatore. Si quis autem hanc nostram donationem (quod absit!) infringere voluerit, nisi ad satisfactionem venerit, sit anathema maranatha. S. Stephani, qui hoc donum fecit et testes firmare rogavit. S. tribus filiis suis, Bernardi, Gausfredi et Rodberti monachi. S. uxoris sue Pontie. S. Johannes de Chrax. S. Ansedei de Oblat. |
Ego Sibila uxor domini Anserici de Monte Regali ad communem omnium noticiam presenti scripto transmitto quod idem dominus meus sicut scriptum eius testatur recognovit in capitulo Cistercii coram conventu quod domui Cisterciensis dimiserat libere et sine omni retentione clausum de Murisaut perpetuo possidendum sed et dimidium vinum clausi illius quod accipiebat prememoratus dominus meus dimisit et guerpivit ex toto domui memoratę. Insuper dedit eidem domui in perpetuam elemosinam ad usum domus sue de Murisaut tres quadrigatas ligni salvo quercu in nemore quod vocatur Silvata singulis septimanis in perpetuum accipiendas. Hoc totum sicut dominus meus fecit scripsit et sigillavit laudo ego et concedo bona fide et presentem cartam sigillo meo muniri feci. Testes : Pontius cellerarius Cisterciensis, Zacharias monachus, Garnerius conversus, Durannus presbiter Domus Dei, Hugo de Chasuel et Petrus Regina. Actum anno Incarnationis Dominicę millesimo centesimo LXXXo nono. |
Nous Hombers d’Arbois, sires de Malarée, et dame Oyde, sa fame, faisons savoir à touz... que, come nous aions eschangié à noble baron, saige et puissant, nostre bien amé signour Jeham de Chalon, signour d’Allay, et en nom de permutacion [et] d’eschange, por nous et por noz hoirs, aiens baillié, quité et delivré à nostre devantdit signor Jehan et à ses hoirs toutes les choses, les rentes, les fruit, les provenz, issues et possessions que nous aviens, deviens, poiens et deviens avoir es viles, es finaiges et es parrochaiges d’Orselle, de Roches, de Regne et de La Chapelle, ne es appendises d’icelles, en quelque maniere qu’elles s’estendent et soient nommées, prises et jugiés, pour toutes les choses, les fruit, les provenz, issues et possessions que lidiz nostre chier sires avoit, tenoit, pooit ou devoit avoir es viles, es finaiges et es parroches de Menay et de Viler-des-Templiers, ne es appendises d’icelles, c’est à savoir en homes, en tailles, en censes et en toutes autres choses, coment qu’elles soient nommées, prises ou jugiés, ensi come il est plus planierement contenuz en unes autres lettres que lidiz messire Jehans at de nos, seelées dou seel de la court de Besençon et dou seel de moy, Hombert, se les choses d’Orselle, de Roches, de Rainne et de La Chapelle et les appartenances d’ycelles, ensi come dessus est dit, ne valoient ou ne equipolloient de valour es choses de Menay et de Viler-des-Templiers, que lidiz nostre chiers sires nos a bailliez en eschange et en nom de permutacion, nous promettons loialment, par noz foy donées corporelment de nous et de un chascun de nous sus sainz evangiles et par sollempnel stipulacion par devant le notaire cy dessouz nommez, que nous, à regart de mons. Estene Giro et de un autre de la gent doudit nostre signour, proudomes, chavaliers ou autre home, baillerons et delivrerons audit nostre chier signour Jehan de nostre terre à plus près de L’Estoille, tant et de noz choses don il porroit avoir, chescune année, ce que les rentes et toutes les choses de Menay et de Viler-des-Templiers, que il nous a bailliez et delivrez en eschange et en nom de permutacion, vadroient plus, lesquex valours, les choses et les rentes toutes d’Orselle, de Roches, de Regne et de La Chapelle, et les choses que il nous a doné en eschange encontre ne vadroient. Item, nous, li devantdiz Hombers et Oyde, sa fame, confessons et cognissons par devant Bertolomet, notaire, cy dessouz nommé, come per devant le commandement et jurey de la court de Besençon, en lyu de venerable persone et discrete l’official de ladite court, et avons confessé et cogneu en verté que nous tenons purement et devons tenir en fei doudit nostre chier signour Jehan et de ses hoirs devons tenir, nous et nostre hoirs, toutes les choses, les rentes, les fruiz, les provenz, les yssues et les possessions que lidiz nostre chier sires nos a eschangié et en nom de permutacion baillié et delivré es viles de Menay et de Viler-des-Templiers, à ce que nos aviens ne poiens avoir es viles ne es appendises d’Orselle, de Roches, de Reynne et de La Chapelle, ensi come dessus est devisez, et ce qu’il nous delivreroit assi en eschange et en nom de permutacion, à regart doudit mons. Estene Girot, de Montagu, chevalier, et de un autre de sa genz, prodome, se les choses toutes que il nous a eschangiés et en nom de permutacion baillié ne valoient les choses que nous avons ensit eschangié, ensi come il est contenuz es lettres faites de nous et de lui; et de ce nous sumes entrez en son homaige lealment et li avons juré feauté. En tesmoignaige desquelx choses, nous avons fait metre le seal de moy, Hombert, en ces presentes lettres, et pour plus surtey des choses dessusdites avoir, nous avons requis honeste persone et discrete l’official de la court de Besençon par Bertolomet de Gy, clerc, notaire juré et comandement de la court dessusdite, qu’il vuille et dignoit metre le seal de ladite court en cex presentes lettres et en tesmoignaige de verité... Faites et données l’an Nostre Signour mil CC IIIIxx dix et sept, le lundi devant la saint Denis. |
Universis, presentes litteras inspecturis, G. de Autissiod., civis Paris., salutem in Domino. Noveritis quod, cum vir venerabilis, A., abbas Sancti-Petri et conventus ejusdem ecclesie Autissiod., dedissent michi quasdam terras ad medietatem plantandas usque ad septem annos, que sunt in territorio de Augiaco, elapsis septem annis plante ille, pari partium consensu, partite fuerunt ita quod abbas et conventus habuerunt plantam de Monte-Ambrase et petiam que adheret magnis plantis de Fonteneto, versus Vallem, et partem illam que est juxta stannum qui adheret vinee Boisacote, et cuidam vinee mee que extenditur usque ad viam de Vallibus, cum fosseto et omnibus aliis aisamentis, ad imbladiandum et debladiandum; et aliam partem aliarum plantarum, sitarum intra domum meam de Augiaco et Vallem versus Vallem; et bosme posite fuerunt inter partes meas et abbatis et conventus, salvo recto censu et decima illarum que sunt de censiva Beati-Petri que dicte debeo ecclesie. Quod ut ratum sit, presentibus litteris sigillum meum apposui. Actum, anno Gratie Mº CCº vicesimo, mense martio; datum in crastino Letare Jherusalem. |
Universis presentes litteras inspecturis, Archembaudus de Soliaco, dominus de Capella, salutem in vero salutari. Noverit universitas vestra quod nos quittationem quam dilectus filius noster Henricus, Soliaci dominus, fecit religiosis viris Bartholomeo abbati et conventui Sancti Benedicti Floriacensis super viaria, justitiis, costumis et omnibus aliis que in villa de Castellione super Ligerim et ejusdem ville pertinentiis, hominibus et universis rebus ad eamdem villam pertinentibus habebat vel habere debebat, ad preces dicti Henrici concedimus, volumus et laudamus, et etiam, si quid juris in eisdem tam in feodo quam in aliis supradictis habebamus vel habere ad presens sive in posterum quocumque modo poteramus, illud penitus abbati et conventui supradictis quittavimus et quittamus, promittentes quod contra dictam quittationem per nos vel per alium venire in posterum nullatenus presumemus, ita tamen quod ballia de Villa Mesmiae et ejus pertinentie quas idem Henricus filius noster ab eisdem abbate et conventu in eschangium recepit de nostro feodo erunt, prout erant alia supradicta. Quod ut ratum et firmum maneat in perpetuum presentes litteras sigilli nostri munimine roboravimus. Actum anno Domini millesimo ducentesimo vicesimo quinto, mense marcio. |
Ego Willermus, dei gratia sancti Martini Eduensis abbas, et totus ejusdem ecclesie conventus, omnibus notum fieri volumus quod Hugo de Manley, dilectus noster capellanus de Cella, assignavit nobis super quasdam vineas et pratum et terram in terragio de Longchamp ab antecessoribus suis (1214) videlicet Hugone de Furno et Hugone de Bœu in eleemosinam nobis indultas et eidem ad vitam suam a nobis concessas, et super alias vineas quas ipse emit a Petro de Furno et a Gaufrido de Lucenay tridecim sextarios vini, quolibet anno in principio quadragesime reddendos et post prandium, quacumque hora conventus decreverit, ad potum conventus fideliter expendendos. Sciendum vero est quod quamdiu dictus capellanus vixerit et dictas vineas tenere voluerit, tridecim sextarios vini, ut diximus, persolvet. Post decessum vero ejus, dicte vinee et dicte res ad nos revertentur, et nos in manu illius, quantum ad hoc viderimus sufficientem, dictas res ponemus qui, ut superius dictum est, dictos tridecim sextarios vini puri ad potum conventus nostri, quolibet anno in quadragesima persolvet. Ne quis autem abbatum vel monacorum, in presens vel in posterum, hanc institutionem nostram infringere vel immutare possit, hanc cartam in cartofilacio nostro perpetuo conservandam, sigillorum nostrorum munimine fecimus roborari. Actum anno gratie M CC XXV. |
Sacrosanctæ Dei æcclesiæ que est constructa in honore Sancti Petri, in pago Matiscensi, ego Teogrimmus et uxor mea Wandilmodis, pro remedio animarum nostrarum, patris et matris, fratrum et Breydiggo quodam, donamus colonias duas, quæ consistunt in Noviliaco, cum mancipiis his nominibus vocatis: Dominicum videlicet cum uxore sua et omnibus filiis ac filiabus, Lambertum similiter cum uxore sua et filiis ac filiabus, ad serviendum in ipso loco et ad luminaria accendenda, ut Deus omnipotens, pro cujus amore ista donamus, eripiat animas nostras de tenebris et pænis inferni, et det nobis partem beatæ vitæ cum sanctis suis. Si quis contradicere voluerit vel calumpniare hanc donationem, dimidiam auri libram coactus exsolvat, et nisi resipuerit, beatum Petrum apostolum adversarium in ultima die suæ mortis senciat, et hec carta firma et stabilis permaneat, cum stipulatione subnixa. S. Teotgrimi et uxoris ejus Vuandilmodæ, qui donationem istam fecerunt et firmare rogaverunt. S. Sieverti, Rorgonis, Oddonis, Ostraldi. Ego Arnulfus presbiter scripsi et dictavi XVI kalendas febroarii, anno XIIIIº regnante Karolo rege. |
Je Guillaumes, prestes, fil çay en arrier mons. Perrin de Morpré, faiz savoir à touz que je, non mie deceuz ne contrainz, ne par force, ne par barat, ne par paour, mais de ma bone volunté, por mes besoignes affaire profitablemant et pour mes debz paier, ay vendu, baillié, quité et outroié permaignablemant à mon amé et très chier signour Jehan de Chalon, signour d’Arlay, et es suens, mes homes dou val de Myges, c’est à savoir: Poncet, de Morpré, P., son frere, Hemonet, des Boscherens, le Blanc, son frere, Fauconet, le fil Germaine, P., dit Chalour, de Froidefontaine, Winet, son frere, Junet, le frere Jaquet, dit Richier, Emonet, son frere, P. et Erber, enfant Vuillermint, de Froidefontaine, Pillet le Brun, de Mignotviler, P., son frere, Girar et Michiel, enfant Bernart, Fauconet et Rouz, enfanz Arduy, Germain, de Planoisse, et son frere, et touz mes autres homes, ensamble lour meys, que je ay, puis et doy avoir ou val de Myges, lesquiex homes, ensamble lour meys, je tiens de fié ligement dou devantdiz Jehan, mon signour. Et cestes choses je ay vendu pour cenz livres d’estevenanz, lesquiex j’ay eues et receues doudit mons. Jehan en bons deniers nombrez. Desquies choses vendues je me devist et en envist ledit mons. Jehan et les suens et met en possession corporel; prometanz... En tesmoint de laquel chose, je, li devantdiz Guillaumes, prestres, ay requis et fait mettre en cex presentes lettres le seal dou chapitre de Saint-Anathoille de Salins... Ce fut fait et doné en l’an de grace Nostre Seignour corrant par mil CC quatre vinz et nuef, le londi pruchain après la Chandelouse, ou mois de fevrier. |
Innocentius, episcopus, servus servorum Dei, dilectis filiis.. de Marcio et.. de Bellavilla prioribus, Nivernensis et Lugdunensis diocesum, et.. cantori Lugdunensi, salutem et apostolicam benedictionem. Cum sicut dilectus filius Guillelmus, rector ecclesie de Cariloco, clericus dilecti filii.. abbatis Cluniacensis, Matisconensis diocesis, nobis exposuit causam que inter ipsum et Bernardum, presbiterum ejusdem diocesis, vertebatur, super eo quod venerabilis frater noster.. episcopus Matisconensis in ipsa ecclesia eidem G., au[c]toritate apostolici collata, prefatum B., post appellationem ab ipso G. ad sedem apostolicam interjectam, contra justitiam instituerat, dilecto filio magistro Matheo de Asperino, capellano nostro, duxerimus committendam, idem capellanus, cognitis cause meritis, et juris ordine observato, diffinitivam pro eodem G. sententiam promulgavit, prout in instrumento publico confecto exinde plenius continetur, quam idem G. apostolico petiit munimine roborari. Nos igitur ipsius suplicationibus inclinati, sententiam ipsam provide latam ratam et gratam habentes, et auctoritate apostolica confirmantes, discretioni vestre per apostolica scripta mandamus, quatinus jam dictum G. vel procuratorem suum ejus nomine, in corporalem possessionem ejusdem ecclesie, amoto ab ea ipso B., seu alio quolibet illicito detentore, per vos vel per alios inducatis et defendatis inductum, contradictores per censuram ecclesiasticam, appellatione postposita, compescendo, invocato ad hoc, si non sufficit ecclesiasticum, auxilio brachii secularis. Non obstantibus si aliquibus a sede apostolica sit indultum, quod interdici, suspendi vel excommunicari seu extra certa loca citari non possint per litteras apostolicas non facientes plenam de indulto hujusmodi mentionem, et constitutione de duabus dietis edita in concilio generali, dummodo ultra tertiam vel quartam aliquis extra suam diocesim auctoritate presentium ad judicium non trahatur. Quodsi non omnes hiis exequendis potueritis interesse, duo vestrum ea nichilominus exequantur. Datum Asisii, nonas maii, pontificatus nostri anno undecimo. |
Anno Domini millesimo trecentesimo undecimo statuta sunt haec apud Cistercium tempore capituli generalis. 1. In primis, cum clamor validus super multiplici excessu quorumdam visitatorum aures propulsaverit Capituli generalis, idem Capitulum cupiens remedium adhibere ordinat et diffinit ac omnibus abbatibus in virtute sanctae obedientiae firmiter interdicit, ne de cetero monachi mittantur ad visitandum, nisi de ipsius Capituli petita licentia speciali et obtenta, et nihilominus si dicti patres a biennio vel circa missos culpabiles vel excessisse invenerint, ipsos facta diligenti indagatione secundum quantitates excessuum punire sub poena excommunicationis praecipit Capitulum generale. 2. Item, exigit perversorum audacia, ut non prohibitione culparum contenti, poenam delinquentibus infligamus. Igitur clamorem qui super esu carnium ac ministratione aures Capituli generalis propulsaverit, non valens Capitulum generale diutius sustinere, ceteris diffinitionibus ac prohibitionibus cum poenis appositis in suo robore perdurantibus, adiungit Capitulum generale omnibus personis Ordinis firmiter prohibendo ne intra abbatiarum terminos quibuscumque personis saecularibus aut alterius religionis cuiuscumque conditionis aut status existant, carnes administrent ; nec abbates nec quaecumque personae Ordinis tales in mensis suis, nisi infirmitorio ad esum carnium admittere presumant. Contravenientes poenas talibus constitutas teste conscientia sustineant, et nihilominus sub poena excommunicationis sicut prohibet Capitulum generale. 3. Item, cum cautius sit agendum ubi maius periculum timeatur, domino Cistercii et quatuor primis committit Capitulum generale, quatinus persolvendis debitis iam contractis, et in posterum certis ex causis necessario contrahendis, contributiones faciant prout relevationi et utilitati Ordinis viderint expedire, et si abbates summas sibi impositas ab ipsis patribus, locis et terminis statutis, non solverint, omni sexta feria sint in pane et aqua ; quamdiu poenam istam facere distulerint, gradum altaris non ascendant ; et nihilominus prior et subprior, cellerarius et bursarius pro depositis habeantur. 4. Item, cum ea quae sancta romana instituit ecclesia cedant ad honorem et salutem animarum, debemus summopere custodire et pro nostris viribus adimplere. 5. Item, abbatibus extra regnum Franciae constitutis praecipit Capitulum generale, misericorditer ipsis parcens ista vice, ut usque ad sequens Capitulum generale solvant summas sibi impositas, quod si non solverint pro depositis habeantur. Bursarii vero et cellerarii ab officiis amoveantur, non promovendi ad aliqua officia sine consensu Capituli generalis. |
Universis presentes litteras inspecturis, nos officialis Eduensis notum facimus quod in nostra presentia propter hoc specialiter constitutus dominus Guido de Yssartenes, miles, non coactus, non deceptus nec in aliquo deffraudatus, immo sponte, scienter et provide, prout ipse asserit coram nobis, recognoscit et confitetur publice et in jure coram nobis, presente domino Humberto de Unlaio, presbitero, procuratore decani et capituli ecclesie Eduensis, quod quedam pecia vinee sita in finagio de Sampigniaco, subtus clausum de Bully ex una parte et juxta vineam domini Roberti dicti Heretain, militis, ex altera, movet ab antiquo de feodo virorum venerabilium decani et capituli ecclesie Eduensis et ad ipsos decanum et capitulum et nomine predicte ecclesie feodum predicte vinee pertinere, et se tenere predictam vineam cum appenditiis et pertinentiis dicte vinee in feodum a dictis decano et capitulo, nomine ecclesie supradicte. Abrenunciat coram nobis in hoc facto dictus miles omni actioni, etc. In cujus rei testimonium, litteris presentibus sigillum curie Eduensis, ad preces et requisitionem dicti militis, decani et capituli predictorum, apponimus. Datum die veneris post octobas focorum, anno Domini Mº CCº nonagesimo quarto. |
Domino fratribus Richielmo. Ego Huncbertus propterea vendimus tibi de res meas que sunt sitas in pago Matisconense, in agro Itgiacense, in villa Curciaco: oc campus qui terminat a mane et a medio terra Sancti Petri, a sero via publica, a cercio de ipsa ereditate. Et abet in longo perticas XI et dimidio, in lato pertica I et dimidio; et in alio loco alio campus, qui terminat a mane via publica, a medio die Beliar et infantibus suis, a sero et a cercio terra Sancti Petri; et abet in longo perticas XI, in lato I. Infra istas terminaciones totum vendimus, tradimus, et accepimus precium valente solidos III; et faciatis quicquid facere voluerit. Et si ullus omo qui contradicere voluerit, auri uncia persolvat; firma stabili permaneat, adtribulacione subnixa. Actum Cluniaco publice. S. Huncbertus et uxor Arenberga, qui fierit et firmare rogavit. S. Gunterius. S. Rotgerius. S. Bernoenus. S. Costancia. S. Bernardi. Data per manum Bernardi, sub die dominico, mense janoarii, annos regnante Agdrico rege. |
Regula virtutum Pater Hugo, decus Monachorum, Spes inopum, contemptor opum, portus miserorum, Vas templumq. Dei, libamē hostia Christi, Carne locatur humi, sed spiritus astra petiuit. O fœlix currus, fœlix auriga tuorum! Fac vt ad astra vehas quos hic viuente regebas. Vltima lux vitæ penultima luxit Aprilis, Lux æterna Deus tibi luceat omne per æuum. Deo laus. |
Clemens, episcopus, servus servorum Dei: venerabili episcopo Æduensi et dilectis filiis decano Sancti-Aredii Lemovicensis diecesis, ac Joanni de Segurano, canonico Bituricensium ecclesiarum, salutem et apostolicam benedictionem. Laudabilia dilecti Guillelmi Alberti, canonici Autissiodorensis juventutis indicia, per que prout habet fide dignorum assertio, colligitur evidenter quod, auxiliante Domino, prefatus Guillelmus se virum imposterum debeat producere virtuosum, merito nos inducunt ut sibi reddamur in exhibitione gratie liberales. Cum itaque canonicatus et prebenda ecclesie Autissiodor., quos dilectus filius Petrus Alberti, olim ipsius ecclesie canonicus prebendatus in eadem ecclesia, dudum obtinuit per liberam resignationem in manibus venerabilis fratris Stephani episcopi Sancti-Pontii, Thomeriarum camerarii nostri nuper apud Sedem apostolicam sponte factam, et ab eodem episcopo, de mandato nostro vive vocis oraculo super hoc sibi facto, apud eandem sedem admissam, apud sedem predictam vacavisset et tunc vacaret, nullusque preter nos ea vice disponere potuisset, neque posset pro eo quod nos diu ante vocationem hujusmodi omnes canonicatus et prebendas, ceteraque beneficia ecclesiastica tunc apud ipsam sedem quocumque modo vacantia, et in posterum vacatura, collationi et dispositioni nostre specialiter reservantes, decrevimus ex tunc irritum et inane si secus super his à quoquam, quavis autoritate, scienter, vel ignoranter contingeret attemptari. Nos volentes eidem Guillelmo, circa nonum etatis sue annum constituto, premissorum intuitu, necnon consideratione dilecti filii nostri Stephani, tituli SS. Joannis et Pauli presbyteri cardinalis, pro eodem Guillelmo nepote suo nobis super hoc humiliter supplicantis gratiam facere specialem, canonicatum et prebendam predictos sic vacantes cum plenitudine juris canonici apostolica eidem Guillelmo autoritate cum omnibus juribus et pertinentiis suis contulimus, et de illis etiam providimus ....... Datum Avinioni, decimo tertio kalendas julii, pontificatus nostri anno sexto. |
Ego Petrus de Cortenay, comes Nivernensis, notum facio presentibus et futuris, et ratum in perpetuum haberi volo quod Radulphus, botillarius, et Avelina, uxor ejus, reddiderunt semet ipsos cum omni tenemento suo et omnibus que habebant in omnibus utilitatibus et usibus Deo et ecclesię Longivadi. Ego autem pro remedio animę meę et antecessorum meorum et maxime Agnetis comitissę, hoc ipsum eis laudavi et concessi. Ipsi autem jam dicti fratres Longivadi dictę Agneti comitissę officium plenarie persolverunt, et pro anima ipsius oratione in missa una cotidiana pro defunctis facient celebrari. Hoc laudavit filia mea Agnes, anno Verbi incarnati M°C°XC°IV°. |
Noticia verpituria et recredituria qualiter quibus presentebus bonis ominibus coram presenciam, quia anc noticia ista subterfirmaveront. Cum resetisset Rotbertus vicecomis in Cabilon civitatem, in mallo pullico, ibique venit Ariodus, dante Gislebert vicecomis, cum illis escabineis, a Lessanaro et Aimono vicario et Utuldrio et Adalo et Arembert, et aliis ceteris pluris bonis ominibus. Is proclamabat de Ariodo, filio Liviono, et [de] Imberto, qui in avoeria fueront Arierio et Arelt femina Eurardo et ibi prejudicium escabiniorom ibi invenit. Ariodus super reliquias scancti Georgi probavit per Domino Deo altissimo et virtute sancti Georgii plus legibus debuit tenire que istos homines contrarios in ereditatem Acoldri, et ibi invenit Ariodus in campo, et paratui fuit de campo, et ibi recredideront suos contrarios de ista tencione, is presentibus: Otselmo, Barnardo, Bosono, Josbert, Volfardo, Folherio, Otboldo, Atolgerio, Arnoldo, Emporio, Tetboldo, Adalardo, Girardo, Tetbert. Isti sont testibus Ariodo, per quem lege tenire debet. S. Rotbert vicecomis. S. Aimono vicario, Ululdrico, Alessandro. S. Ornado. S. Andrio (?). S. Odono. S. Adalart. odioc. Ego Volfardus rogatus escripsit et datavit die jovis, in mense junio, anno primo rennante Loterio rege. |
Legaliter admonemur ac in commune cunctis dominatum habentibus precipitur, ut si quisquam senior cuipiam mancipio ma[nu]missionem facere voluerit, palam hoc et coram testibus, non in abdito et clanculo peragat, ut in propatulo res effecta firmum deinceps vigorem [obtineat?]. Quapropter noverint tam presentes quam futuri fideles, quod quidam nobiliori genere exortus, vocabulo Bernardus, interpellatus est a bone memorie donno Viviano, Cluniensis cenobii preposito, atque aliis fratribus Achedeo, Aimone, Evrardo, Dacfredo, Roberto, pro quibusdam servis Beati Petri, quos sui hereditarios proclamabat. Unde pro amore Christi, filii Dei omnipotentis, cujus sacratissima instabat passio, ac singulari genitricis ejus affectu, vuerpivit omnem querelam adversus ipsa mancipia et contra jam dictum locum, cui donnus ac reverentissimus pater Odilo preest, jussione sanctissimi patris Maioli. Hanc autem vuerpituriam quam justam sive injustam proclamabat suam, pro redemptione animæ sue ac patris seu matris, ac omnium affinitate sibi propinquorum, ut sibi Dominus in presenti prosperitatem, et in futuro seculo det vitam æternam, atque ut reddita non repetantur, manu propria firmavit, testibusque ut identidem agerent rogavit. Actum Cluniaco publice. S. Bernardi, qui fieri et firmari rogavit. S. Leudbaldi, Leotaldi, Bernardi, Vuiberti. |
Petrus Divionensis fecit istum lapidem. |
Calixtus, episcopus, servus servorum Dei, venerabili fratri B. Matisconensi episcopo, salutem et apostolicam benedictionem. Quæ Beati Petri Cluniacensi monasterio a te illata sunt et nos et fratres nostros vehementer gravant. Post nostras enim commoniciones, post scripta frequenter missa, manum tuam, quod actenus inauditum est, super ipsam parrochiam extendisti, clericos et laicos excommunicasti et in beati Odonis ecclesia divina penitus celebrari officia prohibuisti. Monachis etiam graves prout asserunt injurias intulisti, et nonnulla eis pertinentia abstulisti. In his tamen omnibus paterna tibi benignitate pepercimus, correctionem tuam, sicut venerabilis frater noster Hu[mbaldus], Lugdunensis archiepiscopus, ad nos veniens promiserat, expectantes. Tu autem, ut prius, sicut et postea, pertinaciter restitisti. Hanc ergo presumptionem et tantum apostolice sedis contemptum ferre diutius non valentes, licet inviti, propter paterne dilectionis et familiaritatis gratiam, ex racionabili fratrum nostrorum sententia, episcopale tibi officium auctoritate sedis apostolicæ interdicimus, donec a Cluniacensis monasterii et clericorum seu laicorum et ipsius capellæ infestatione desistas, et nobis de contentu nostro satisfacias. Datum Laterani, V idus januarii. |
Domnus Wigo de Varena dedit Deo et hujus loci fratribus mansum Thetmanni, in ipsa villa de Varena; et item donavit Bernardum Cocum et tenementum ejus, et mansum Aalaldi de la Capella, et ipsum et filios ejus, et mansum Vualberti de Laval: hæc omnia dedit post obitum suum, et in vestitura XII. denarios omni anno in unoquoque manso. In barrochia autem de Vitri, in Charneto, dedit Petrum cum suo tenemento, et Ingelbertum ex toto ibidem similiter. Testes hujus rei: Rainerius archipresbiter, Durannus Rufus presbiter, Artaldus Buxol, Jodcerannus Olsola, Gelinus de Munda. Et I. mulam pro hoc accepit. |
Cautio quam Ted fecit et uxor ejus Dominica in Viscurto, pro solidis IIIIor usque ad V annos, hoc est una vinea quæ terminatur a mane terra Sancti Petri, a medio die terra Ermetis, a sero terra Noæ, a certio terra Gauffredo; et post V annos teneant usque in diem solutionis. S. Ted et uxoris suæ Dominicæ. S. Dodonis. S. Algotis. S. Bernardi. S. Rannaldi. |
Nos Amees abbes et li couuenz de Saint Estiene de Dyion et ge Jehans sires de Trichatel facons sauoir a touz cels qui uerront cels presentes lettres que comme descorz fust antre nos dou marchie que ie Jehanz sires de Trichatel auoie fait crier nouelement a lu lou quel l’abbes et li couuenz ne conoissoient mie que ie le poisse faire; par le consoil de proudomes nos auons acorde en tel meniere que ie Jehanz sires de Trichatel reconois de ma propre uolente et lou promet par mon sairement doné corporelment sus sainte euuangile que ie ne mi hoir ne ferons iamais marchie ne foire mais que doues foires que l’abbes et li couuenz m’ont otroie si com il est contenu ci desouz a Trichatel ne defors de trois lices anuiron Trichatel de toutes parz; ainz deuons conduire et garder le marchie de Trichatel a l’abbe et au couuent de Saint Estiene de Dyion et au priore de Trichatel a bone foi et reconois que toutes les issues dou dit marchie sont au priore de Trichatel sauf les estalaiges et la iustise dou marchie et nos l’abbes et li couuenz deuant dit reconoissons que nos auons otroie au deuant dit seignor de Trichatel et a ses hoirs a faire doues foires a Trichatel a touz iors mais chascun an et quelque raison que nos eussiens en cels doues foires por chief dou marchie nos lou quittons et otroions au dit seignor de Trichatel et a ses hoirs et de cels doues foires li une doit commencier le lundi matin deuant la feste Saint Andrie et doit durer iusque le samedi a soir pruchien après et li autre doit durer des landemain matin de la Trinite iusque le samedi a soir pruchien apres et aussi tost comme chascune des dites foires sera faillie li marchiez et les issues dou marchie repaireront et doiuent repairier au priore de Trichatel et ge Jehanz sires de Trichatel reconois que l’abbes et li couuenz deuant diz et li prious et li chanoine de Trichatel ont atrait a Trichatel et se il uient home a Trichatel et il gise premierement ou mes a l’ome dou priore de Trichatel ie ne mi hoir ne le poons retenir que il ne soit hons a l’abbe et au couuent et au priour deuant diz et nos l’abbes et li couuenz reconoisons ausi que se li homs gist premierement ou mes a l’ome au seignor de Trichatel nos ne le poons retenir que il ne soit ses homs; et reconoissons nos l’abbes et li couuenz et li sires de Trichatel que nostre home de Trichatel ont aquez li un sus les autres et que il poent doner en mariages li un as autres de lor mobles et de lor herietages; et reconois ge Jehanz sires de Trichatel que li priour et li chanoine dou priore de Trichatel et li home dou priore ont usaiges et aisances par tout ausi comme mi home de Trichatel et que li prious puet exploitier de ses homes de tailles et dayes a sa uolente. Apres nos l’abbes et li couuenz et li sires de Trichatel deuant dit reconoissons que nos ne poons retenir li uns les homes a l’autre de Trichatel ne de la Chatelerie. Encor reconois ie Jehanz sires de Trichatel que ie ne puis abandener a mes homes de Trichatel a user en bois ne en aigues ne en perrieres ne en pastures que li home dou priore de Trichatel et li prious et li chanoine dou priore ni usoient et promet a l’abbe et au couuent et au priour et as chanoines deuant diz lor et lor possessions et touz lor biens qui apartienent au priore de Trichatel garder a bone foi iusque a droit et reconois ancor que li prious de Trichatel doit panre chascun an cinquante solz desteuenans ou paiage de Trichatel que li paagerres doit randre le ior de feste Saint Jehan Baptiste por chief de l’anniuersaire mon seignor Hugon mon oncle; toutes ces choses desus nomees et deuisees ie ai promis a garder et a faire et a tenir por moi et por mes hoirs par mon sairement corporelment done et se ie ou mi hoir ou autres por moi ou por mes hoirs encontre ces choses ou aucune de ces choses aliens ge uoeil et octroi et pri mon seignor l’euesque de Lengres qui or est ou qui seroit euesques de Lengres entens que il mette en cels qui encontre en iroient a la requeste de l’abbe de Saint Estiene ou de son commendement sentence descomeniement et la teigne tant que sattisfacions soit faite anterinement de ce donc l’en seroit alez encontre a l’abbe et au couuent deuant diz et que l’en fust repairiez as conuenances deuant dites. Toutes ces choses deuant dites ie Marie qui est apelee Symone fame au dit seignor de Trichatel et ie Guioz lor filz loons et uolons et otroions et prometons a tenir a touz iors mais par noz sairemenz sus sainte euuangile corporelment donez et que iamais n’irons encontre par nos ne par autre. Ou tesmoing de toutes ces choses nos Amees abbes et li couenz de Saint Estiene de Dyion et ie Jehanz sires de Trichatel auons mis nos seals en ces presentes lettres et a plus grant seurce nos l’abbes et li couuenz et li sires de Trichatel et Marie et Guioz deuant dit auons prie et requis a mettre en ces presentes letres lou seal de redoutable pere mon seignor Guion par la grace de Deu euesques de Lengres et nos Guiz par la grace de Deu euesques de Lengres par la prieir des parties desus nomees auons fait mettre nostre seal en ces presentes lettres. Ce est fait en l’an de grace M. CC. et cinquante nuef ou mois de septembre. |
Domino fratribus Ainone et uxor sua Rihelt emtores, igitur ego Godo et uxor mea Alieldis vinditores, vindimus vobis silva qui est in pago Vianense, in villa qui dicitur Bracost, qui terminad de uno latus et uno fronte vias publicas, de alio latus et alio fronte bosco Radberno vicecomes et Ainone et Jarlanno. Infra as fines et terminaciones, una cum arboribus et omne suprapositum vel exivis, totum et sub integrum, quiquit mea porcio est et mihi legibus venit, usque inesquisitum vel ad inquirendum, vobis vindimus et acepimus de vos precio, sicut inter nos placuit, solidos V et in ipso precio vobis vindimus adque trasfundimus, ad abendi, vindendi, perdonandi, quiquit facere volueritis vos vel eredes vestri. Et si quis, nos, aut ullus omo, aut ullus ex eredibus nostris, aut ulla aliqua persona qui vindicione ista inquietare presumserit, non valeat vindicare quod repetit, set componad vobis tantum et alium tantum quantum ista vindicione meliorata valuerit et inantea facta et firma permanead, cum istibulacione supnixa. S. Godoni et uxor mea Alieldis, qui vindicione ista escribere et firmare in presente rogaverunt. S. Adoni. S. Warnerio. S. Ermegnone. S. Gonterio. S. Martino. Ego Warnerius, jubente Bernardo, vindicione ista escripsi. Data in die lunis, in mense marcio, anno VIII regnante Gondrado rege. |
Guido, Dei gratia Senonensis archiepiscopus, omnibus ad quos littere iste pervenerint, in Domino salutem. Notum sit omnibus quod, pro anima Sevini Morelli qui apud Deilocum sepultus est, dedit fratribus ibi Deo servientibus Erveus, frater ejus, duos solidos census apud Vovas, quos excambiaverunt Deilocenses pro duobus solidis quos Sevinus, prepositus Sancti-Sidronii, debet: XII videlicet super terram et XII super vineam in parrochia Sancti-Sidronii sitas; tali conditione interposita quod, si census die constituto non solvatur, possunt Deilocenses debitores ante se submonere, et secundum terre consuetudinem legem accipere; scilicet laudes vel venditiones aut aliam justiciam in eodem censu non habebunt. Quod ut ratum sit, sigilli nostri auctoritate firmavimus. Actum, anno Verbi incarnati Mº Cº octogesimo nono. Data Deiloci, per manum magistri Petri, cancellarii. |
Ego Hugo, Dei gratia Lingonensis episcopus, universis presentes litteras inspecturis, notum facimus quod dilectus et fidelis noster dominus Hugo de Arneio miles in nostra presentia recognovit se dedisse in puram et perpetuam elemosinam ecclesie Vallis Beonis tria sextaria frumenti ad mensuram Lingonensem capienda singulis annis in decima sua de Cuseyo. Ego autem, de cujus feodo dicta decima movet, prefate ecclesie dictam elemosinam laudavi. Laudavit etiam prefatam elemosinam domina Sesfe, uxor prefati Hugonis, et Jacobus filius eorum. Et tam dictus H[ugo] miles et uxor ejus quam prefatus Jacobus filius eorum promiserunt prefate ecclesie Vallis Beonis se super predicta elemosina adversus omnes legitimam ferre guarantiam. In cujus rei testimonium, ad instantiam supradicti Hugonis, presentes litteras sigilli nostri fecimus appensione muniri. Actum anno Domini M° CC° tricesimo primo, mense maio. |
Ego Mathildis comitissa Nivernensis: omnibus notum facimus, quod nos volumus et approbamus, ut venerabilis pater et Dominus Henricus Dei gratia episcopus Autissiodorensis, post decessum nostrum, vel episcopus Autissiodorensis qui pro tempore erit, habeat donationem et collationem capelle que est in domo nostra de Interamne, cujus capelle donationem et collationem Domnus H. episcopus Autiss. nobis ad vitam nostram concessit, salvo in omnibus jure ecclesie parochialis de Interamne. Quod ut ratum sit et firmum, presentes litteras fecimus sigilli nostri munimine roborari. Actum anno Domini M. CC. XXVII, mense februario. |
Nos Guillermus Prior et conuentus sancti Synphoriani Eduensis Notum facimus presentibus et futuris Quod, ad remouendum scandalum quod erat in Ecclesia nostra de anniuersariis illorum faciendis qui pro remedio anime sue et pro anniuersariis suis singulis annis in Ecclesia nostra celebrandis nobis et Ecclesie nostre suas helemosinas erogauerant et ut saluti animarum eorum consuleremus, de ipsis anniuersariis sic in Capitulo [n]ostro, fratribus nostris conuocatis, dignum duximus ordinandum Quod Nos Guillermus Prior dedimus et assedimus et etiam tradidimus prefato conuentui nostro vigenti Librata[s] reddituum ad Diuionem quas predictus conuentus annuatim percipiet in viginti quatuor sestariis siliginis et in sexaginta solidis diuionensium quos uiginti quatuo[r] sestarios et sexaginta solidos ipsi conuentui persoluere tenebitur quicumque erit Curatus Ecclesie de Anox. et cum hiis dicto conuentui tradidimus Octo se[s]tarios siliginis |
Dum in hujus seculi laboriosa peregrinatione, interim dum licet dumque tempus acceptabile atque dies salutis instare videntur, summopere providendum est ut, si qua agere bona valemus, omni dilatione postposita operari non pigritemus, facientes nostri debitores eos quos veraciter novimus, et inpresentiarum corporum saluti consulere et in futuro animarum nostrarum judices esse minime dubitamus, quia enim post mortem nil boni facere possumus, opere precium credimus antequam ad illud subtile et [in]comprehensibile ducamur examen, occulto judici satisfatiendo, neglegenter a nobis commissa manu pœnitentiæ in istius ævi brevitate qualitercumque possumus, te[r]gere non desistamus. Igitur ego Stephanus, indignus peccator, et uxor mea, nomine Ermengardis, peccatorum nostrorum enormitatem considerantes, et, quod est salubrius, illam Domini nostri Jesu Christi dulcissimam vocem delectantes, qua ait: «Date elemosinam, et ecce omnia mundasunt vobis,» necnon et illud quod sancta Scriptura nos ammonet, dicens: «Divitie viri, redemptio anime ejus sunt;» propter hanc vero exortationem seu ammonitionem, donamus aliquid ex rebus proprietatis nostræ Deo et sanctis apostolis ejus Petro et Paulo, ad locum Cluniacum, quo domnus Eymardus humilis abba preesse videtur. Est etenim ipse locus in pago Matiscensi situs, et in veneratione beatæ Dei genitricis Mariæ semper virginis et eorumdem apostolorum consecratus. Sunt autem ipsæ res sytæ in comitatu Arvernico, in episcopatu Augustidunense; hoc est curs indominicata quæ vocatur Oydellis, cum capella quæ est constructa in honore beate Dei genitricis Mariæ, ubi sanctus Leotadus in corpore quiescit. Donacionem vero istam in eo tenore facimus, dummodo vivimus ego Stephanus et uxor mea Ermengarda, teneamus et possideamus, et rectores loci supranominati teneant ipsam capellam in vestitura cum omnibus que ad ipsam capellam pertinere videntur; post nostrum quoque utrorumque discessum, quantum ad ipsam curtem vel ad ipsam capellam quæ inibi est edificata, aspicit vel aspicere videtur, totum ad integrum Domino Deo, ut sæpæ jam diximus, donamus donatumque in perpetuum esse volumus pro remedio animarum nostrarum, necnon et pro remedio animarum parentum nostrorum, insuper et pro salute vivorum et requiem defunctorum, cum servis et franchiziis, campis, pratis, vineis, silvis, aquis aquarumque decursibus, molendinis, domibus, ædifitiis, cum omni supraposito, mobili et imobili, exitibus et regressibus, cultis et incultis, quesita etiam et inquirenda, ad ipsam hereditatem aspitientia vel pertinentia, sicut a nobis presenti tempore regitur et possidetur, quatinus semper rectores jam dicti monasterii et inibi Deo famulantes, absque alicujus interpellatione, in perpetuum firmiter solideque teneant et possideant. Si quis vero, quod futurum esse [non] credimus, nos ipsi (quod absit!), aut aliquis qualibet consanguinitate nobis conjunctus, filius vel filia, nepos, seu etiam ulla intromissa persona, istius donationis spontaneæ a nobis factæ contra jus divinum invasor aut contradictor extiterit et res Deo dicatas sanctisque ejus delegatas in suos usus transferre conatus fuerit, primitus iram Dei omnipotentis incurrat, cujus res temerario presumpserit ausu, vinculo etiam terribilis anathematis innodetur, et, nisi resipuerit, omni maledictioni subjaceat, donatio vero firma permaneat. S. Stephani et uxoris ejus Ermengardæ, Heldini, Rainaldi, Rotberti, Caronis, Vuarmeri. Actum apud Oydeldis puplice. Boso scripsit, datavit mense junio, anno incarnationis Dominice DCCCCLII, indictione III, regni autem Hlotharii regis anno I, qui de eadem donacione preceptum jussit fieri et sigillo suo insigniri. Hec carta, jubente domno Stephano, lecta est in curte Eniziaco, ante domnum Willelmum comitem, in presentia domni Stephani, Arvernorum episcopi, die illo quando seniores Arvernici cum comite supranominato convenerunt eique se commendaverunt; et servos et ancillas qui denominati non erant nominatim scribere fecit. Hec sunt nomina eorum: Bladaldus, qui est vicarius de ipsa potestate, cum uxore sua, nomine Ermentrude, et filiis et filiabus suis eorum, et alium nomine Godinum, cum uxore sua et filiis et filiabus eorum, necnon et alios omnes servos qui ad eandem potestatem pertinere videntur. Carta autem ista in eodem placito firmata et corroborata est, precante ipso domno Stephano, qui fieri rogavit. S. domni Stephani, Arvernorum episcopi, Willelmi comitis, Rotberti vicecomitis, Rotberti abbatis, Girberni, Teudtardi, Stephani, Dalmatii vicecomitis, Heldini, Willelmi, Deodati. |
[Adrianus Episcopus, servus servorum Dei, dilecto filio in Christo Petro Cluniacensi Abbati, ejusque successoribus canonicè substituendis in perpetuum. Gloriosa et admirabilis divinæ providentiæ majestatis, ad hoc diversos gradus et ordines in Ecclesia sua constituit: ut dum inferiores superioribus debitam obedientiam et reverentiam exhiberent, una fieret ex diversitate connexio, et ordinabiliter gereretur officiorum amministratione singulorum. Sicut autem filii obedientiæ in sinu matris Eccl. gratiosæ consolationis uberibus confovendi sunt, ita rebelies et elati, qui per inobedientiam suam quasi peccatum ariolandi et idololatriæ scelus incurrunt, severitatis Ecclesiasticæ disciplinis sunt arctioribus coërcendi. Balmense itaque Monasterium, quod per fratres ibidem congregatos, et odore bonæ opinionis, et religionis decore splendescere ac florere debuerat: quia veterem hominem cum suis actibus sequebantur, in peccatis eorum, diabolo suadente, contabuit: unde tam in spiritualibus quàm in temporalibus miserabiliter fuerat imminutum; cum autem placuit ei qui ab æterno cuncta disponit, ut tantis malis finem imponeret, et locum ipsum ad obsequium suum misericorditer revocaret, facies eorumdem fratrum implere ignominia voluit, ut per hoc nomen suum inquirerent, et ad viam rectitudinis inviti etiam remearent. Hac itaque justitia præeunte, dilecte in Domino fili Petre Abbas, Balmense Monasterium, cum omnibus quæ in præsenti justè et canonice possidet, aut in futurum rationabilibus modis præstante Domino poterit adipisci, prædecessorum nostrorum venerabilis memoriæ Eugenii et Anastasii Romanorum Pontificum vestigiis inhærentes, tibi et successoribus tuis, et par vos Cluniacensi Ecclesiæ in perpetuum confirmamus. Ea videlicet ratione, ut ordo monasticus ibi secundum institutionem Cluniacensium fratrum, futuris temporibus inviolabiliter conservetur: et pro rebellione contumacia et offensa Balmensis Monasterii, quam Abbas et fratres adversus sanctam Romanam exercuerunt Ecclesiam, quicumque regimen in eodem loco per vos pro tempore obtinuerit, numquam Abbatis, sed Prioris nomen tantummodo sortiatur. In bonis autem et possessionibus ejus hæc propriis duximus exprimenda nominibus. Obedientiam Visani Monasterii. Obedientiam de Strabona. Obedientiam de grandi Fonte cum appendiciis suis. Obedientiam de Galda cum appendiciis suis, et Ecclesiam S. Leodegarii, quæ est in villa, quæ Bavinans dicitur. Ecclesiam de Beliaco. Ecclesiam de Wilari Rostanni. Ecclesiam de Fragiaco. Ecclesiam de Vadriaco. Ecclesiam de Montibus, Obedientiam S. Lauteni. Obedientiam de Breriaco, cum omnibus appendiciis suis. Baernam in ipso Burgo. Obedientiam Cavaniacensem. Obedientiam de Poloniaco cum omnibus appendiciis suis, et Capella sancti Savini. Tres Burgenses in Burgo Ledonis, qui vocantur Vvanirant. Obedientiam de Dola. Obedientiam de Benevant. Obedientiam S. Mauritii. Obedientiam de Saoneres. Obedientiam de Biviliaco. Obedientiam S. Agnetis. Obedientiam de la Fracte. Obedientiam de Munet. Obedientiam de Ponte Atleti cum earum appendiciis et cum Ecclesia de Pinctis. Ecclesiam de Blaterans. Ecclesiam de Vvilari Rodulphi. Obedientiam de Capella. Obedientiam de Sinziaco cum pertinentiis earum. Ecclesiam de Cornavo. Ecclesiam de Corlant. Ecclesiam de Fay cum decimis et earum appendiciis. Ecclesiam de Freboans cum decimis suis. Obedientiam S. Ranneberti cum appendiciis suis. Decernimus ergo ut nulli omnino hominum liceat præfatum Monasterium temerè perturbare, aut ejus possessiones auferre, vel ablatas retinere, minuere, aut aliquibus vexationibus fatigare, sed omnia integra conserventur eorum, pro quorum gubernatione et sustentatione concessa sunt, usibus omnimodis profutura, salva in omnibus Sedis Apostolicæ auctoritate, et in supra dictis Ecclesiis Diœcesanorum canonica justitia. Si qua igitur in futurum Ecclesiast. sæcularisve persona hanc nostræ constitutionis paginam sciens, contra eam temerè venire tentaverit, secundò tertióve commonita, nisi præsumptionem suam digna satisfactione correxerit, potestatis honorisque sui dignitate careat, reamque se divino judicio existere de perpetrata iniquitate cognoscat, et à sacratissimo Corpore et Sanguine Dei et Domini Redemptoris nostri Jesu Christi aliena fiat, atque in extremo examine districtæ ultioni subjaceat. Cunctis autem eidem loco jura sua servantibus sit pax Domini nostri Jesu Christi, quatenus et hic fructum bonæ actionis percipiant, et apud districtum judicem præmia æternæ pacis inveniant. Amen. Ego ADRIANUS Catholicæ Ecclesiæ Episcopus. Ego Ymarus Tusculanus Episcopus. Ego Censius Portuensis et sanctæ Rufinæ Episcopus. Ego Gregorius Sabinensis Episcopus. Ego Guido Presbyter Card. tit. S. Grisogoni. Ego Hubaldus Presb. Card. tit. S. Praxedis. Ego Maimedus Presb. Card. tit. S. Savinæ. Ego Julius Presb. Card. tit. S. Marcelli. Ego Bernardus Presb. Card. tit. S. Clementis. Ego Octavianus Presb. Card. tit. S. Cæciliæ. Ego Astaldus Presb. Card. tit. S. Priscæ. Ego Girardus Presb. Cardinalis tit. S. Stephani in Celio monte. Ego Joannes Presb. Card. SS. Joannis et Pauli tit. Pammachii. Ego Henricus Presbyter Cardinalis tit. SS. Nerei et Achillei. Ego Joannes Presbyter Cardinalis tit. SS. Sylvestri et Martini. Ego Odo Decanus et Cardinalis S. Georgii ad velum aureum. Ego Rodulphus Diaconus Cardinalis S. Luciæ in Septa Solis. Ego Guido Decanus Cardin. sanctæ Mariæ in Porticu. Ego Joannes Diaconus Cardinalis SS. Sergii et Bachi. Ego Gerardus Diaconus Cardinalis S. Mariæ in vialata. Ego Odo Diaconus Cardinalis S. Nicolai in carcere Tulliano. Datum Romæ apud S. Petrum per manum Rolandi S. Romanæ Ecclesiæ Presbyteri, Cardinalis et Cancellarii Nonas Maii, indictione III. Incarnationis Dominicæ anno M. C. LV. Pontificatus verò Domni Adriani Papæ IV. anno primo.] |
Supplicat decanus de Gaya, quod cum domus de Gaya cum omnibus membris suis, necnon domibus de Regiis et de Tullo sibi subjectis, juxta taxationem decime ad mille libras Turonensium olim fuerit taxata, prout per litteras ac alia documenta constare poterit manifeste, que quidem domus, tam ex impositione nove cense quam antique, mille libris Turonensium extiterit annis singulis onerata, ducentis ex antiqua et octingentis ex nova, nec ob hoc dicta domus fuit in aliquo relevata, nisi solum de quinquagintis libris eidem decano male persolutis propter paupertatem de Regiis et de Tullo domorum predictarum. Quare vobis constare potest quod est quasi impossibile eidem decano onera dicte domus de Gaya, que sunt magna et ardua, cum onere tante cense viriliter supportare. Que onera subsequuntur: 1. Primo in dicta domo sunt viginti quinque monachi nec plures antiquitus consueverunt interesse et secundum diminutionem reddituum, equitate suadente, diminui debet numerus monachorum, secundum etiam tenorem privilegii decanatibus concessi. 2. Item omnia onera tam ordinaria, quam extraordinaria dicte domus, vestiario monachorum excepto, supportat idem decanus. 3. Item hospitalitate regis, baronum, nobilium et indifferenter omnium transsientium ibidem est multum aggravata. 4. Item diebus singulis plusquam quingintis pauperibus fit ibidem elemosina, prout extitit consuetum. 5. Item fiunt ibidem plures et singulares alie elemosine singulis diebus consuete ab antiquo. 6. Item dicta domus intus et extra magna habet edificia que sumptus non modicos requirunt et insuper in dyocesi Cath[alaunensi] sunt duodecim ecclesie parrochiales, quarum naves et cancellos ratione decimarum quas percipit in territorio earumdem, habet reficere et retinere, juxta consuetudinem dyocesis predicte et in presenti dicte ecclesie pro majori parte indigent refectione; propter quam parrochiani decimas eidem decano solvere contradicunt, dominis temporalibus faventibus eisdem. 7. Item redditus dicte domus sunt in quinque dyocesibus et quatuor bailliviis Campanie dispersi et a dicta domo multum remoti sub juridictione et potestate regis, potentum et nobilium, pretextu quorum reddituum et juridictionum dicta domus causas et controversias magnas et arduas cum eisdem rege, nobilibus, necnon personis ecclesiasticis ac aliis quamplurimis habet necessario subire. 8. Item ecclesia dicte domus, que est multum pulchra et habilis, si tota esset reedificata seu perfecta, sed navis ejusdem a tempore impositionis nove cense imperfecta remansit et perpetuo remanebit, rebus se habentibus ut nunc, in grande scandalum principis et omnium de terra et in vituperium ordinis nisi remedium apponatur. 9. Item domus de Tullo, que domui de Gaya subest immediate, tenetur dicto decano annis singulis in tringinta (sic) libris Turonensium parvorum, quam pecunie summam non recepit dictus decanus, tres anni jam sunt elapsi, propter ipsius domus paupertatem. In qua quidem domo prior cum unico socio residentiam debet, sed propter ipsius domus miseriam nec prior, nec monachus residentiam faciunt, cum non habeant unde valeant ibidem sustentari; propter quod nec divinum servicium, nec hospitalitas, nec elemosina fiunt ibidem et preterea terra et possessiones ipsius inculte remanent, edificia corruunt et jam pro parte corruerunt et nisi celeriter remedium apponatur, timendum est ne paciatur irrecuperabile detrimentum. 10. Item cum contra tenorem privilegii in favorem et exonerationem Cluniacensis ecclesie concessi et in dicte domus de Gaya grande onus, decanus ejusdem domus ad solutionem decime compellatur, et jam anno proximo preterito pro arreragiis dicte decime quingentas libras vel circa, vi et potencia regia, dictus decanus persolvit pro decima supradicta. 11. Item pro terminis Beate Marie Magdalene et Purificationis ultimo elapsis quatuor viginti et quinque libras per collectores dicte decime compellitur [solvere] dictus decanus pro decima predicta, quas quidem sommas petit dictus decanus de censa sibi deduci, quia qui emolumentum recipit et onus supportare debet et adeo propter dictam decimam opprimitur dictus decanus, quod nisi celeriter remedium apponatur, verisimiliter timendum est ne paciatur irrecuperabile detrimentum. 12. Item cum sterilitate presentis et preteriti annorum nulla vina et modica blada, multum parva et turpia receperit dictus decanus, super quibus quasi totum fundamentum reddituum dicte domus consistit, qui quidem defectus ascendit ad sommam mille librarum et ultra et adeo modica quod semina siliginum non superfuerunt et defficientibus redditibus dicte domus, divina voluntate, non est dicto decano possibile onera ipsius domus supradicta viriliter supportare, nisi super hoc provideatur de remedio opportuno, et cum alias dictus decanus super premissis reverendis patribus diffinitoribus capituli generalis supplicaverit pro remedio opportuno, iterato supplicat idem decanus quatinus pietatis intuitu super premissis tale remedium opponatur quod cedat ad laudem Dei et ad honorem ordinis ac dicte domus de Gaya utilitatem. (Traces de deux sceaux.) |
CI COMMENCHE LE LIVRE DE FAUVEL
De Fauvel que tant voi torchier
Doucement , sans lui escorchier ,
Sui entrés en milencolie ,
Por ce qu'est beste si polie .
Souvent le voient en painture
Tiex qui ne seivent se figure
Moquerie , sens ou folie .
Et pour ce , sans amphibolie ,
Clerement diroi de teil beste
Ce qui m'en peut chaer en teste .
Fauvel ne giest mès en estable ,
Il a meson plus honorable :
Avoir veult haute menjoere
Et rastelier de grant afere .
Il s'est herbergiés en la sale ,
Pour mielx demonstrer son regale ;
Et nepourquant par sa science
Es chambres a grant reverence ,
Et es garderobes souvent
Fet il assembler son couvent
Qui si soingneusement le frote
Qu'en lui ne peut remaneir crote .
Fortune , contraire a Raison ,
Le fet seignour de sa meson :
En lui essauchier met grant peine ,
Quer el palès roial le maine ;
De lui fere honoreir ne cesse .
Entor Fauvel a si grant presse
De gens de toutes nacions
Et de toutes condictions
Que c'est une trop grant merveille :
N'i a nul qui ne s'appareille
De torchier Fauvel doucement .
Trop i a grant assemblement :
Rois , dus et contes verrïés
Pour torchier Fauvel alïés ,
Tous seignours temporels et princes
I vienent de toutes provinces ,
Et chevaliers grans et petis ,
Qui a torchier sunt bien fetis .
N'i a , sachiés , ne roy ne conte
Qui de torchier Fauvel ait honte .
Viscontes , prevos et baillis
A bien torchier ne sont faillis ;
Bourjois de bours et de cités
Torchent par grans subtilités ,
Et vilains de vile champestre
Sont emprès Fauvel pour lui pestre .
Puis en consistore publique
S'en va Fauvel , beste autentique ,
Et quant li pape voit teil beste ,
Sachiez qu'il li fet trop grant feste ,
Et les cardonneaux mout l'ennourent
Et pour lui torchier tous aquourent .
Li vischancelier , li notares ,
Audïenchiers , referendares
Metent paine d'euls efforchier
Pour Fauvel bien a point torchier .
Prelas n'esparnent mont ne val
Pour torchier cel noble cheval .
Abbeis , gens de religion
I ont trop grant devocion .
Jacobins , Cordeliers , ou estes ?
A cest cop ne soiés pas bestes ,
Anciés penseis d'estudïer
A Fauvel souef manïer ,
Si fetes vous , se Diex m'aït ,
Tant que cescun s'en esbahit .
Augustins et nonnains et moines ,
Archediacres et chanoines
Et clers d'iglise pourveüs
Sont au torchier bien esmeüs ,
Et povres clers qui sont sans rente
I metent trop bien lor entente ,
Mès ne peuvent pas si près estre
Ne si avant com li grant mestre ,
S'en sont courochiés et plain d'ire ,
Si que souvent les ot l'en dire
Que Fortune , qui n'est pas ferme
Et qui de torneir ne se terme ,
Le plus avant retornera ,
De haut bas , de loing près fera .
Ce que Fortune si tost torne
Et en son torner ne met borne
Fait les povres reconforter
Et de lour mals bien deporteir .
Et quant ne peuent avenir
A Fauvel torchier ne tenir ,
Si dient il : « Dieu gart teil beste ,
Mout a beau corps et bele teste . »
Or convient savoir la maniere ,
Les contenances et la chiere
Qui sont a torchier cel Fauvel .
L'en ne cognoist nonnain au vel ;
Pour ce est bon que l'en le sache ,
Quer maint torchent qui n'i font trache .
Premier commencherei au pape ;
Ce n'est pas drois que il m'eschape ,
Mès je fais protestacion
Que ce n'est pas m'entencion
D'aleir contre l'ennour de Romme ,
A qui doit obeïr tout homme ;
Mès de Fauvel diroi le voir ,
Si com je le puis conchevoir .
Le pape se siet en son siege ,
Jadis de pierre , or est de liege ;
Fauvel resgarde en sa presence ,
A qui l'en fet grant reverence
De lui torchier et soir et main .
Le pape si li tent la main ,
Par le frain doucement le prent ,
De torchier nuli ne reprent ,
Et puis frote a Fauvel la teste
En disant : « Ci a bele beste » .
Li cardineaus dient pour plere :
« Vous dites voir , sire saint Pere . »
Lors a Fauvel tous les mains metent
Et de li torchier s'entremetent ;
Il me semble qu'estrilles tienent
Et qu'entor la teste le piegnent .
Je ne sei comment il l'entr'oignent ,
Mès sus la teste le rooignent .
Ileques rois de tous païs
De torchier ne sont esbahis .
Un en i a qui est seignor ,
Entre les autres le greignour
Et en noblece et en puissance .
De conreer Fauvel s'avance :
De l'une main touse la crigne
Et o l'autre main tient le pigne ;
Mès il n'a point de miroer ,
Il en devroit bien un louer :
Bien devroit mireor avoir ,
Quer grant mestier a de savoir
A queil chief i porra venir
De Fauvel si a point tenir .
Emprès les rois les contes torchent
Si doucement que point n'escorchent ;
Prelas et abbés d'autre part
A bien torchier cescun se part ,
Sus le dos , entor les coustés ,
Nul n'est d'emprès Fauvel osteis ,
Sus le ventre et devant le pis ;
L'un torche mielx , et l'autre pis .
Priors , doëns , archediacres
A torchier ne sont pas pouacres :
De toutes les pars i atrotent
Et Fauvel es pastureausfrotent .
Chevaliers n'i sont pas en coupe ,
Fauvel torchent dessus la croupe ;
Et escuiers , qui bien s'estuident ,
Lievent les piés et si les vuident ,
Et si font nouvelle lietiere ,
Si que Fauvel lor fait grant chiere .
Chanoines , chapelains , persones ,
Moines , nonnains de toutez gonnez ,
Par bois , par villes , par marès
Torchent a Fauvel les garès ;
Entre les cuisses , près des ennes
Frotent a Fauvel ners et veinnez ,
Et Cordeliers et Jacobins
Sont a bien froteir drois robins :
Devant torchent et puis derriere ;
Trop bien en soivent la maniere .
Et povres gens a torchier viennent ,
Mès emprès la queue se tiennent
Et le mielx qu'il peuent s'adrecent :
La queue escouent et la trecent .
Or sont au torchier tous venus ,
Riches , moëns , gros et menus .
Se cest livre voulon entendre ,
Des or mès nous convient descendre
A Fauvel proprement descrire
Et par diffinicion dire
Ce que Fauvel nos senefie ;
Mès anciex est bien que je die
De la coulour premirement .
Aristote dit vraement :
Les accidens grant aïdance
Font a cognoistre la substance .
Fauvel n'a mie coulour noire ,
Quer noire coulour est memore
De mort , de paine et de tristece ,
Et Fauvel est en grant leece ,
Si que de noir habit n'a cure ;
Il n'est pas propre a sa nature .
Ne coulour n'a il pas vermeille .
Saveis pour quoi ? N'est pas merveille :
Roge coulour si senefie
Charitei a cescun amie .
Fauvel n'a cure de teil cote ,
Quer il n'aime fors qui le frote .
Ne il n'a pas la coulour blance .
Por ce qu'el est senefiance
De chose qui est nete et pure ;
Mès Fauvel est si plain d'ordure
Qu'il convient tous jours qu'en le frote ;
Pour ce n'a il pas blanche cote :
Se il l'avoit , ce seroit perte .
Ausi n'a il pas cote verte ,
Quer verdure est senefiance
De foi loial et d'esperance ;
Mès Fauvel a mise s'entente
Du tout en fortune presente ,
Sans espereir cele qui dure ,
Ne de foy gardeir n'a il cure .
Cote n'a il pas azuree ,
Quer teil coulour est aduree
Denotant considereson
De bien , de sens et de reson .
Par le saphir le peus prouver ,
Ou coulour d'azur dois trouver ,
Et l'etherien firmament
A d'azur vrai resemblement .
Mès Fauvel n'a pas a duree
La fortune qu'il a trouvee ,
Ne la fin pas ne considere ,
Ains quiert tout ce qui li peut plere .
Ausi Fauvel , se Diex me sauve ,
Ne doit avoir coulour fors fauve ,
Ne sus le dos , ce dois savoir ,
Ne doit il noire roie avoir .
Teil coulour vanité denote :
A vaine beste vaine cote .
Encor est il si bas devant
Que maintes gens en va grevant ;
Et de tous les quatre piés cloche ,
Mès si soutiment les acroche
Que l'en l'apercevroit a paine ,
Quer beste est de malice plaine .
Or est il temps que le mistere
De Fauvel plus a plein apere
Pour savoir l'exposition
De lui et sa description .
Fauvel est beste appropriee
Per similitude ordenee
A signifier chose vaine ,
Barat et fauseté mondaine .
Ausi par ethimologie
Pues savoir ce qu'il senefie :
Fauvel est de faus et de vel
Compost , quer il a son revel
Assis sus fauseté velee
Et sus tricherie meslee .
Flaterie si s'en derrive ,
Qui de nul bien n'a fons ne rive .
De Fauvel descent Flaterie ,
Qui du monde a la seignorie ,
Et puis en descent Avarice ,
Qui de torchier Fauvel n'est nice ,
Vilanie et Varieté ,
Et puis Envie et Lascheté .
Ces siex dames que j'ai nommees
Sont par FAUVEL signifiees :
Se ton entendement veus mestre ,
Pren un mot de cescune letre .
De Fauvel , qui si reigne en terre
Par differences et par guerre ,
Dirai la diffinition
Pour mielx monstreir m'entencion .
Fauvel beste est nient raisonnable ,
Chose apparant et non estable ,
Plain de fauseté , vui de voir ,
Figure pour gens dechevoir .
Fauvel est beste voirement ,
Que il ne porroit autrement
Sus beste seignorie avoir .
Par raison le peus bien savoir :
Li roy des hommes si est homme ,
Le egle est roy des oeseaux comme
Le lyon est dit roy des bestes ;
Ausi sachiés , vous qui ci estes ,
Que Fauvel , cel gentil seignour ,
Est le souvrain et le greignour
De tout homme qui comme beste
El monde a fichié cuer et teste .
Tiex hommes devon bestes dire ,
De quoy Fauvel est roy et sire .
A Templier herege equippole
Cil qui de Fauvel fait ydole .
Beste est Fauvel , et cil est beste
Qui li fet ne honor ne feste .
Or te vuil je prouver sans fable
Que Fauvel est nient resonnable .
Il deüst gesir en l'estable ,
Mès c'est beste si mal estable
Qu'en son lieu ne se veult tenir :
Il ne fet qu'aler et venir
Pour avoir bonne menjouere ;
Mout s'estudie qu'il puist plere :
En barat et en fausetei
A son engin du tout getei .
Il a tant alei et venu
Que ja mès ne sera tenu
N'arestei par frain ne par bride .
Il court par tout et point et ride ,
Par fortune va sans reson
Et si regne en toute seson ;
Pour soi hauchier mout s'estudie
Eu doctrinal de flaterie ,
Si que faus puisse bien polir ,
Verité tere et droit tolir .
Sa diffinition sus mise
Ai desclerie , or te souffise .
Des or mès dirai la maniere ,
En continuant ma matiere ,
Comment et pour quoi ce puet estre
Que Fauvel fet le monde pestre ,
Et comment et grant et petit
Ont en lui torchier appetit .
Diex , le roy de toute puissance ,
Qui tout a a sa cognoissance ,
Quant il fist au commenchement
Le monde gloriosement ,
Ordena toute creature
Et li donna propre nature .
Tout ordena si sagement
Que nuls hons ne puet , s'il ne ment ,
Dire que defaust i puist estre ,
Que desus lui n'a point de mestre .
Mès ce qu'il avoit ordenei
Est mué et si mal menei
Qu'il convient par droite raison
Que près soion de la saison
En quoi le monde finera ,
Ou Dieu autre monde fera .
Raison i fait fort argument ,
Au premier , quant sans instrument
Il plut a Dieu le monde fere
Et il vout de limon pourtraire
Homme et fourmeir a son ymage .
A l'homme fist teil avantage
Que des bestes le fist seignour
Et en noblece le greignour .
Mès or est du tout berstorné
Ce que Diex avoit atourné ,
Que hommes sont devenus bestes .
Devers terre portent les testes :
Ne lour chaut fors de terre avoir .
De Dieu ne veulent riens savoir :
Onques vers le ciel ne regardent ,
Quer eu feu de convetise ardent .
Operacion si argue
La forme estre teile tenue
Comme l'euvre semblablement .
Pour ce di je certainement
Qu'ommes sont bestes rëaument
Quant il vivent bestïaument ;
Et pour ce par droit pouon dire
Que Fauvel est du monde sire ,
Que il est par tout honorés
Et com Dieu en terre aorés .
Raison a perdu roiauté
Quant nous voion bestïautei
Sus les hommes si haut assise
Et resons est au dessous mise .
Einsi l'ordenance devine
Est du tout tornee a ruine :
Nous alon par nuit sans lanterne ,
Quant bestïauté nous governe .
Las ! que ne fu Fauvel mort nei ,
Quant le monde a si berstornei !
Cescun treuve en lui grant savor
Pour aquerre humaine favor .
Hé las ! hé las ! quant je regarde
Que par cest Fauvel , que feu arde ,
Est au jour d'ui si sainte Eglise
Abatue et au dessous mise
Qu'a paine porra relever !
Tous les jours la voi si greveir
Que c'est une trop grant merveille
Que saint Pere ne s'apareille
De tost secourre a sa nacele ,
Qui si horriblement chancele
Que l'estat de crestïentei
En doit tout estre espouentei ;
Li gouverneur sont esbloé ,
Et sachiés que l'arche Noé ,
Quant l'eve couvri terre toute ,
Ne fut onques en si grant doute
D'estre noiee et desconfite
Com la nacele dessus dite ,
C'est a dire Eglise presente
Que la nacele represente ;
De toutes pars est en tempeste ,
N'a mès en li joe ne feste :
Bien peut par desolacion
Chanter la lamentacion
De Jeremie le prophete ;
Je croi qu'elle fut pour lié fete .
La dame des rois et des princes ,
Princesse de toutes provinces ,
Giest au jour d'uy sous le treü
Plus qu'onques mais ne fut veü
Puis que la primitive Yglise
Fu essaucie et avant mise .
Fauvel , qui est faus et quassé ,
Tout cest brouet li a brassé :
Si com il veut Fortune torne
Et ce que Diex a fet bestorne .
Or te vuil monstreir la maniere
Com'il met ce devant deriere .
Or entent , tu qui Fauvel torches :
Diex fist au premier .ij. grans torches ,
Plaines de mout tres grant lumiere ,
Mès c'est par diverse maniere .
L'une a non soleil , l'autre lune ;
Clarté de jour nous donne l'une :
C'est le solail qui luist de jour ,
La lune de nuit sans sejour .
Mès le solail , se Diex m'ament ,
Est trop plus haut eu firmament
Que n'est la lune , c'est sans doute ,
Ne elle n'a de clartei goute
Que le solail ne li envoie .
Mès Fauvel , qui trestout desvoie ,
A tant fait que cest luminare
Est tout berstornei au contraire .
Mout est beste de grant emprise :
La lune a sus le solail mise ,
Si que le solail n'a lumiere
Fors de la lune et au derriere .
Grant eclipse pues ci trouver ;
Ce que j'é dit te vuil prouveir .
Li sage fondé sus reson
Font semblable compareson
Au solail du ciel de prestrise ,
Et a la lune au dessous mise
Comparent temporel empire ;
La cause de ce te vuil dire .
Diex , qui sus tous est sire et mestre ,
Fist son filz de la Virge nestre ,
Qui sacrifia comme prestre ,
Si que por ce doit prestrise estre
Au solail acomparagie ,
Que Diex li donna la mestrie
De donner au monde lumiere ,
Par quoi il levast cuer et chiere
A cognoistre la droite voie
D'aler en pardurable joie .
Ausi ordena Diex prestrise
Qu'ele fust chief de sainte Yglise ,
Qu'en lié vout le pouer crïer
De tout lïer et deslïer .
Mès a temporel seignorie
Ne donna Diex nule mestrie ,
Ains vout que fust dessous prestrise ,
Pour estre bras de sainte Eglise ,
Si qu'el n'eüst pouer de fere
Fors ce qu'a l'Iglise doit plere .
Et par reson le pues veïr :
Le bras doit au chief obeïr
Et a execusion metre
Ce que le chief li veult commetre .
Mout prest est le bras par nature
A garder le chief de laidure ,
Quer le chief est plus haut en l'omme
Que n'est nul des membres , si comme
Celui qui tout le corps gouverne :
Par lui voit et ot et discerne .
Et se le chief estoit malade ,
Il n'i a membre , tant soit rade ,
Que l'en n'en voie plus mat estre ,
Si com les sergens de lor mestre .
Einsi doit temporalitei
Obeïr en humilitei
A sainte Eglise , qui est dame ,
Qui peut lïer et corps et ame .
Mès Fauvel a tant fauvelé
Et son chariot roelé
Que , mal gré Ferrant et Morel ,
La seignorie temporel ,
Qui deüst estre basse lune ,
Est par la roe de Fortune
Souveraine de sainte Eglise .
Sainte Yglise est au dessous mise ,
Si qu'el donne poi de lumiere ;
Ainsi va ce devant derriere :
Les membres sont dessus le chief .
Grant mestier fust que de rechief
Diex vousist fere un novel monde ,
Que cestui de tout mal soronde ,
Pour ce que Fauvel le gouverne
En tenebres et sans lanterne ,
Si que l'a mis hors du chemin :
Trouvei n'est pas en parchemin
N'en livre de sainte Escripture
Qu'ains mès fust si hors de mesure
Com nous le voion maintenant .
Fauvel si couche au remenant ,
Que le mestre est de la griesche .
Tout le monde maine a la tresche :
Pour plus melleir et bestorneir ,
Torner le fait et retorneir ;
Tant i a mis entente et cure
Qu'au jor d'ui toute creature
Est du tout tornei au contraire
De ce pour quoi Diex le vout fere .
Je le te monstre en tous estas
Par argumens non intestas ,
Primes en ceulz de sainte Eglise ,
Ou plus d'amor doit estre assise ;
Sans gloseüre et sans comment ,
Clerement te diroi comment
Les persones de sainte Eglise
Ont vie berstornee prise .
Eu temps de la foy primitive ,
De quoi salut humain derive ,
Quant Diex sainte Yglise espousee
Out et de son sanc rachatee ,
Son vicare fist de saint Pere
Et vout que fust pastour et pere
Pour gouverneir crestïenté ;
De pouer li donna plenté
Et es apostres ensement ,
Si que par lour enseignement
Le peuple revenist a voie
D'aleir en pardurable joie .
Ces apostres desciples urent
Qui sus eulz le pouer rechurent
De tout lïer et deslïer
Et de nous a Dieu ralïer .
Les apostres evesques furent ,
Que els principaument rechurent
Le gouvernement de l'Eglise ;
Et , puis que la foi fut esprise ,
Li disciple si s'espandirent
Par tout le monde et entendirent
A bien la foi multiplïer ,
Et pensoient d'estudïer
Que asseis gaïgnassent d'ames ,
Qui en paradis fussent dames .
Saint Pere , qui papes estoit ,
D'escallate pas ne vestoit
Ne ne vivoit d'exactions :
Toutes ses consolacions
Estoient en saintement vivre
Et que le monde fust delivre
De servitude de pechié
Et qu'en bien fust tout adrechié ;
Et quant il avoit labourei
Et por son peuple bien orey ,
De vie mendiant n'out cure ,
Mès pour avoir sa repeuture
Se vivoit de sa pescherie
Et en menoit petite vie .
Mès , sachiés , peschier ne savoit :
Une petite rois avoit
Et une petite nacele ,
Si ne prenoit que poi d'avele
Ou d'autres pissonnés menus ,
Si que vivant fust soustenus .
Mès nostre pape d'orendroit
Si pesche en trop meillour endroit :
Il a une roy grant et forte
Qui des flourins d'or li aporte
Tant que saint Peire et sa nacele
En tremble et ele chancele .
Des flourins pesche il sans nombre ;
Il ne pense pas comme l'ombre
De saint Peire garir souloit
Cescun qui de mal se douloit .
Saint Pere vesqui sans richece ;
Mès or en a si grant largesce
Son successour que c'est merveille ;
Que Fauvel estudie et veille
A lui porter flourins asseis ,
Ne si n'en peut estre lasseis .
Le pape , pas ne celeroi ,
Torche Fauvel devers le roy
Pour les joiaus qu'il li presente ,
Et a lui plere met s'entente .
De ces diesiesmes li envoie
Et des prouvendes li otroie
Par tout pour ces clers largement .
Hé las ! com mal entendement ,
Que par ce voion sainte Eglise
Tributaire et au dessous mise ,
Que Fauvel , qui est bien letrei ,
A les diesismes empetrei
Pour le roi , par devers le pape .
Le pape n'i met pas sa chape
Ne du clergié n'est pas tuteur ,
Mès le roy fait executeur ,
Si que par la laie justise
Est justisie sainte Yglise .
C'est chose faite a escïent ,
Si qu'apeleir n'i vaut nïent .
Ainsi le pape Fauvel torche
Si bel que le clergié escorche ,
Et si n'i met la main , ce semble ;
Mès sainte Eglise toute en tremble .
Des cardineaux que pouon dire
Sans euls de rien mouvoir a ire ?
Sauve toute lour reverence ,
Dire en pouon ceste sentence
Qu'as premiers apostres , sans fable ,
Sont , ce me semble , poi semblable .
Les premiers apostres estoient
Povres , et povrement vivoient :
Plains estoient de charitei
Et fondés sus humilitei .
Or est le dey changié , hé las !
Quer autrement vont nos prelas .
Je n'en puis faire bon hystoire ,
Quer Avarice et Vaine Gloire
Les ont du droit chemin osteis ;
Trop joint leur sont près des costeis .
Pastours sont , mès c'est pour els pestre :
Huy est le louf dez brebis mestre .
Bien lour seivent osteir la laine
Si près de la pel qu'el en saine ;
Au touseir sont tuit aprestei ,
Ne eulz n'atendent pas l'estei ,
Mès en tous temps plument et pillent .
Fauvel le veut , que els l'estrillent ,
Et si le frotent doucement :
Placebo chantent hautement ,
Mès Dirige dient sans note .
Il est general terremote ,
Quer la terre torne a rebours ,
Et clers et lais , moines et bors,
Sont torné ce devant derriere .
Las ! comment sont mis en chaiere
Jennes prelas par symonie ,
Qui poi ont apris de clergie ?
Eulz ont non de reverent pere ,
Et enfans sont ; ne doit pas plere
A Dieu que s'espouse l'Iglise
Soit en mains de tiex prelas mise .
Ne sont pas gouverneurs seürs
Jenne gent , s'euls ne sont meürs .
Nepourquant , a bien esluignier ,
Je ne saroie distinguier
Lesqueuls prelas , a dire voir ,
Font au jor d'ui miex lor devoir .
Les uns , encor en parleroi ,
Sont devers le conseil le roy :
As enquestes , as jugemens ,
As eschiquiers , as parlemens
Vont nos prelas , bien y entendent .
Les biens de l'Eglise y despendent ;
Les povres en ont povre part ,
Quer Fauvel l'aumosne depart ,
Qui en boban tout abandonne
Et es povres gens riens ne donne .
Par tiex prelas , si com je cuide ,
Est au jour d'uy l'Iglise vuide
De foi plus qu'ains ne fut veü .
Par eulz est souvent pourveü
Le roy d'exactions leveir
Sus l'Iglise et de lié greveir .
Par les prelas qui veulent plere
Au roy et tout son plesir fere
Dechiet au jour d'ui sainte Eglise
Et pert s'onnor et sa francise .
Tiex prelas peires ne sont mie ,
Mès parrastres , qui n'aiment mie
Les enfans de lour espousees ,
Qui par honnour lour sont donnees .
Les enfans ne lour peuent plere
Desquels il n'aiment pas la mere .
Nos prelas font bien lour deü ,
Car il sont posteaus de seü
Et de rosel en sainte Eglise .
Tant en font que nul ne les prise :
Lor subjès pinchent bien et taillent ,
Mès a tous lor besoings lor faillent .
Tous jors s'en vont de pis en pire .
Il n'est mès temps que l'en se mire
En lor fais pour example prendre ;
Mès savoir deveis et entendre
Que Diex a son grant jugement
En prendra cruel vaingement .
Hé las ! et pour quoi ne s'avisent
Nos prelas , qui huy tant se prisent ,
Pour les biens qu'il ont de l'Iglise ,
Que toute lour entente ont mise
En orguil et en vanité ?
Tous temps veulent , c'est verité ,
Avoir honnours et grans servises
A genoiz et en toutes guises ,
Enclineis , chaperons osteis .
Tant ont d'onour en tous costeis
Qu'il ne semble pas , c'est la somme ,
Qu'il soient né de fame et d'omme ,
Ainz croissent tous jors lor estas .
Il ne pensent pas as restas
Qu'euls aront au general conte ;
Diex les gart qu'il n'en aient honte .
La vaine gloire dont tant boivent
Et les honors si les deçoivent ,
Enyvreis sont , ne lor sovient
De ce que faire lor couvient .
Reson si me dit et enhorte
Qu'il n'entreirent pas par la porte
Par quoy prelas jadis entreirent ,
Mès par dessus les murs monteirent .
Autrement que ne fist Cephas
Tant ont fait per fas et nephas
Tiex rampeours que la mestrise
Ont au jor d'ui de sainte Yglise .
Fauvel jusques as murs les porte ,
Et Symonie , qui est forte ,
L'eschiele tost lor apareille ;
Tost montent si que c'est merveille .
Avis m'est que n'oi pas veü
De mon temps prelat esleü
Pour ce qu'il fust de sainte vie ,
Mès grant lignage ou symonie
En font du tout lour volenté :
Sans euls n'est mès nul clerc renté ,
Se par servise nel porchace .
Encor i fait Fauvel fallace ,
Quer le bon serjant essaiés
Est mout souvent trop pis paiés
Et piés renté que n'est celui
Qui plus tart vient piere de lui .
Le bon n'a cure de flateir ,
L'autre soit bien Fauvel grateir ;
Et Fauvel , qui les rentes donne ,
Ne regarde pas la personne
De celui qui le bien dessert ,
Mès cil qui de torchier le sert .
Pour ce souvent lor paine perdent
Qui a servir tiex gens s'aerdent .
A nos prelas doint Diex avis ,
Par quoi il soient plus ravis
D'ameir foi , raison et droiture
Et ceulz dont il portent la cure .
De sainte Yglise sont le chief .
Pour ce lour di tout de rechief
Que par lour notoire deffaute
L'Iglise qui fut jadis haute
Est au dessous , dolente et basse ,
Com la nacelle sous la nasse ,
Si c'on n'i peut mais nul bien prendre ,
Que li pescheour sont a reprendre .
Des autres estas de l'Yglise
Poi en y voi de bonne guise :
Tous sont mués de lour droit estre ,
Chanoine , moine , clerc et prestre .
Les chanoines l'iglise heent
Et poi i vont , fors quant il beent
Qu'argent i puissent recevoir ;
Einsi font il mal lour devoir .
Lor principal doit estre entente
De bien paier a Dieu sa rente ,
De li loer et aoreir
Et dedens l'iglise honoureir
Autant le grant comme le mendre ,
Et ne doivent premier entendre
A merite pecuniaire :
Ce ne devroit pas a Dieu plaire .
S'il le font en ceste maniere ,
Il le font ce devant derriere .
Des prouvendes ont largement ,
Mès il servent escharsement
Celui de qui tous les biens viennent .
Hé las ! com a grant peril tienent
Les prouvendes de sainte Eglise ,
Se il n'en rendent tel servise
Comme l'Iglise a ordenei .
Aucuns dient , non pas senei ,
Que lor prouvendes sont trop francez ;
Mès ce sont noires chauces blanchez
Qu'aucuns ont les biens de l'Iglise ,
Si n'en font a Dieu nul servise
Es leus ou doivent demoureir ,
Ou il doivent Deu honoureir .
Tout ecclesial benefice
Est donnei pour devin office .
Or se gart qui en a grant nombre ,
Quer por servir cescun s'encombre .
Bien sont li chanoine aornei
Que saint Benet le bestornei
A au jour d'ui de sa mesnie ,
Qui mainent bestornee vie .
Ne vivent mie clerjaument ,
Anciés vivent bestïaument :
Les uns chevaucent a lorrain ,
Les autres sont tous jors forain ,
A Fauvel sont fis et neveus ;
A dorenlot sont lor cheveus .
Il sont de l'Yglise fillastre ,
Quer euls font trop le gentillastre .
Coeffez ont et saouleirs a las .
Bien devroient crier : Hé las ,
Se le crucefis regardassent
Et en lui souvent se mirassent ,
Comment il est en crois haucié ,
Comment il est estroit chaucié ,
Et de queil robe il est vestu .
Ne deüssent pas si testu
Ne si fous les chanoines estre
Pour gasteir les biens de lor mestre .
Des prestres curez que diron ?
De lour estat un poi luiron .
Il sont par tout bien conneüs ,
Quer il sont de mout près veüs .
Briefment ore m'en passeroi ;
Ne pour quant mès ne m'en teroi
Que je aucune chose ne die
De lour estat et de lour vie .
Quant yglises vaquier souloient ,
Les boens prelas si les donnoient
A clers qui de bons mours estoient
Et qui l'Escripture entendoient
Et qui savoient preeschier
Por lour subjès despeeschier
De pechié , quant il i chaoient ,
Et qui adrechier les savoient .
Mès les parrochïaus yglises
Sont au jour d'ui a cels commises
Qui seivent trop poi de clergie .
Pour ce ne me merveil je mie
Se le peuple vit folement
Quant il a fol gouvernement :
Li grant pastour et li petit
N'ont au jour d'ui pas appetit
De bien entendre a lour office ;
Nice sont et chargié de vice ,
Si qu'il ne soivent metre paine .
Li aveigle l'aveigle maine ,
Si qu'euls deus chaier les couvient .
Sire Diex ! Quant il me souvient
D'acuns prestres qui sont cureis ,
Comment il sont desmesureis
Et comment il mainent vie orde ,
Ne maintiennent estat ne orde ,
Trestout le cuer m'en espouente :
Laes gens metent hors de sente ;
Ne pueent prendre bon example
En l'eglise ne hors du temple
Les laies gens en lour cureis ,
Qui en pechié sont endureis .
Hé las ! c'est grant mal'aventure
Quant aus fous est baillie cure
De gens gardeir et conseillier ;
Cescun s'en doit bien merveillier .
Fauvel ne le veult autrement :
Liez est quant tout va folement .
Des gens mis en religion
Vuil faire aussi colacion
Pour voier com orde est gardee .
As Mendians vuil commenchier ,
Mès ce n'est pas pour euls tenchier ,
Ne pour euls flateir ; pas n'i bee .
Saint François et saint Dominique
Deus ordres commenceirent si que
Fondeies fussent sus poverte :
Sans terres et possessions
Doivent ces deus religions
Vivre humblement , c'est chose aperte .
Mès Fauvel , le roy de fallace ,
Lour a fet espicial grace
Pour ce que de Placebo chantent :
Mout se painent au monde plere
Et de filles vers euls atrere ,
Qui lez visitent et les hantent .
Il veulent avoir cures d'ames
Par tout et d'ommes et de famez ,
De tout se veulent entremetre :
Ne sont pas vrai religious
Tiex gens qui sont si couvetous
De lour estude au siecle metre .
Il a trop grant distinction
Entre siecle et religion ,
L'un a l'autre est mout opposite :
Qui a religion se prent
Et puis siecle lessié reprent
Comme chien va a son vomite .
Les religions mendians
Sont au jour d'ui si ennoians
Pour ce qu'il changent lor nature :
Il sont povres gens plains d'avoir ,
Tout lessent , tout veulent avoir ,
Hors du monde ont mondaine cure .
L'en ne fait mès , se Diex m'ament ,
Mariage ne testament ,
Acort ne composition ,
Que n'i vienge la corratiere ,
La papelarde , seculiere ,
Mendiante religion .
C'est religion descousue
Qui met la main a la carue
Et tous jours derriere regarde .
Ainsi nous fait deception
La cote de religion
Qui dehors est si papelarde ,
Et dedens n'a fors que fallace ,
Qui tous jors quiert tens et espasce
De sa volentei replanir .
Tant ont vers Fauvel entesé
Qu'il lour a , sachiés , dispensé
Qu'il peuent bien propre tenir .
De ceuls qui ne mendient mie ,
Qui ont rentes et seignorie
Pour fere le devin service ,
Au jour d'ui et blans et noiers moines ,
Les gris et regulers chanoines
Sont plains d'envie et d'avarice .
Conscience ne les remort
Comment il sont au siecle mort
Sans avoir propre affection ,
Mès tout au contraire redonde :
Mort sont a Dieu et vif au monde
Et mourir font religion .
Che sont cil qui au siecle vivent :
Tous jors y sont , tous i arivent ,
Riens ne heent tant com le cloistre .
Pou entrent en religion
Qui n'aient plainne entencion
D'avoir office et d'eus acroistre .
Quant un poi en cloistre sejornent
Et après au siecle retornent ,
Hors sont du sens et deslïés .
Il ne doutent blasme ne honte :
De ce tiennent trop poi de conte
Qu'a Jhesucrist sont dedïés .
Il ont religious habit ,
Mès poi est de bien qui habit
Au jour d'ui sous froc ne sous gonne .
Par itiex gens est Dieu gabé :
Sire Fauvel est lor abbé
Qui mout souvent entre eulz sermonne .
Tant i a fet la beste fauve
Que les ordres , se Diex me sauve ,
Sont toutes près desordenees .
Bien pert Fauvel est mavès chief :
Un'ordre a ja mis a meschief
Qui estoit des plus honourees .
Tant i a fait la beste ameire
Que sainte Yglise , nostre meire ,
S'en complaint griefment et demente :
La fraude des Templiers aperte ,
Qui les dampne a mort et a perte ,
La fait mere triste et dolente ,
Soupireir la fait et gemir
Si que tout homme en doit fremir
Qui est droit filz de sainte Yglise .
Li Templier l'ont mis en tristece
Si qu'el lamente en grant destrece
Et se complaint en ceste guise :
« Hé las ! com si mal'aventure ,
Chose grieve et fortune dure ,
Quant mes enfans m'ont deguerpie !
Li Templier que je tant amoie
Et que tant honorés avoie
M'ont fait despit et vilanie .
Mon chier espos ont renïé ,
Qui pour eulz fu crucefïé ,
De quoi il portoient le signe .
Las ! pour quoi l'ont il voulu fere ?
Je lour ai estei tous jors mere
Douce , graciouse et benigne .
Le signe de la crois portoient :
De la crestïenté devoient
Estre maintiens et champions .
Pour ce mout honoureis estoient ,
Essauciés partout et avoient
Rentes et grans possessions .
Onques a eus nul mal ne fis ,
Mais des biens du vrai crucefis
Avoient il outre mesure ,
Et franchises et privileges .
Las ! or sont devenuz hereges
Et pecheeurs contre nature .
Le cueur m'est tout mat et fremi
De ce qu'es laz a l'ennemi
Se sont si longuement tenuz .
Touz s'i estoient entassez ;
Il a plus de cent anz passez
Que leurs meschiés sont avenuz .
Entr'eus avoient fait une ordre
Si horrible , si vil , si orde
Que c'est grant hideur a le dire :
Tantost com aucun recevoient ,
Renïer Dieu tost li fesoient ,
Jhesucrit et la croiz despire ,
A cracher dessus commandoient .
L'un l'autre derriere baisoient .
Moult avoient ors estatuz .
Hé las ! mar furent d'Adam nez ,
Car il en seront touz dampnez
Et dissipez et abatuz .
Hé las ! hé las ! c'est bien raison ,
Car il ont trop longue saison
Ceste orde vie demenee :
Si regnassent plus longuement ,
Crestïenté certenement
En fust par tout envenimee .
Diex , qui en veut faire venjance ,
A fait grant grace au roi de France
De ce qu'il l'a aperceü .
Diex a s'amour l'a apelé
Quant tel mal li a revelé
Qu'ains mès ne pot estre sceü .
Saint Loÿs , le roi de Secire
Ouirent bien en leur temps dire
Des Templiers faiz de soupeçon ,
Et moult penerent du savoir ;
Mais onques n'en porent avoir
En leur temps certene leçon .
Mais cestui neveu saint Loÿs
Doit estre liez et esjoïs ,
Car il en a ataint le voir .
Moult a mis et labour et painne
A faire la chose certainne .
Tres bien en a fait son devoir :
Diligaument , comme preudomme ,
Devant l'apoustolle de Romme
A poursuï ceste besoingne
Tant que li Templier recognurent
Des greigneurs qui en l'ordre furent
Devant le pape leur vergoingne
Et tant de douleur que grant honte
Seroit a faire en plus lonc conte ,
Si qu'il est miex que je m'en taise .
Dampnez en sont et mis a mort .
Or est bien foul qui ne s'amort
A faire tant qu'a Fauvel plaise !
Fauvel lour a trop bien rendu
Ce qu'il avoient entendu
A vivre eu siecle faussement .
Teil louier a qui sert teil mestre :
Quant Fauvel a fait les suens pestre
Si lour donne lour paement . »
Hé las ! li seignor temporel
Ne donnent ausi un porel
Fors que Fauvel soit bien frotés .
Je ne sai au jor d'ui , par m'ame ,
Nul grant seignor ne nule dame
Que tuit n'en soient assotés .
L'en n'a mès cure de proudomme :
Fauseté par tout , c'est la somme ,
Est bien venue et honouree .
Faus Semblant et Desloiauté
Ont du monde la roiauté ,
Et Verité est hors boutee .
Bien peut les grans seignors hanter
Qui soit de Placebo chanter ;
Teile canchon trop lour agree .
Il n'ont mès cure de mesnie
Qui prestement ne lour otrie
Toute lour plaine desiree .
Comment qu'il n'i ait pas reson ,
Si veulent il toute seson
Qu'en lour die : « Bien dit , misire » .
Liés sont quant l'en les tient a sages .
Hé Diex ! qu'il a de faus visages
Par tout le rëaume et l'empire !
Faus les serjans , faus li seigneur ,
Faus li petit , faus li greigneur ,
Faus sont au jour d'ui tous et toutes .
Les seignors pensent de grever
Les subjez et sus eulz lever
Exactions et males toutes .
Li grant seignor , c'est grant merveille ,
Ne veulent mès qu'en lor conseille
Fors ce qui est miex a lour teste ,
Si que maint n'osent mais voir dire ,
Que il ne courouchent lor sire ;
Einsi torchent la fauve beste .
N'i a mès roy ne duc ne conte
Qui ne soit berstorné a honte .
Bien se devroient esmaier ,
Que il ne font droit ne justise :
Trestoute lor entente ont mise
A acroire sans riens paier .
Roys et contes jadis souloient
Grandement des biens qu'eus avoient
Fonder et douer les yglises ;
Mès euls maintenant les essillent ,
Le crucefis plument et pillent ,
Ses biens tolent en toutes guisez .
L'Iglise et tout le clergié heent ,
De tout bien faire se recreent
Et chevalier et escuier :
Lour noblece au jour d'ui tant prisent
Que toutes autres gens despissent ,
Si qu'il en doit bien ennuier .
Gentis sont plains de vilennie :
C'est chose qui trop contrarie
Que vilanie et gentillece ;
Et pour ce par reson me semble
Que ne peuent pas estre ensemble ;
Miex vaut sens que fole noblece .
Noblece , si con dit li sage ,
Vient tant seulement de courage
Qui est de boens mours aornei ;
Du ventre , sachiez , pas ne vient .
Le ventre est fienz et fiens devient :
Nul n'est noble de teil four nei .
Se li gentil homme pensoient
Comment et en queil point estoient
Dedens le ventre de lour meire :
I ourent il point d'avantage
Plus que gens de petit lignage ?
Comment les peut l'en d'ilec treire ?
Avoient il noble viande ?
Encor lor fès une demande :
En issirent il a cheval ?
Gentis qui se font si nouvel ,
Ne sont pas d'argent lor bouel :
Ne sont il mie filz eval ?
Tous summes neiz d'une semence ,
Si qu'il n'a point de difference
Entre vilain et gentil homme :
Tous summes d'Eve et d'Adan neis ,
Et tous fusmes a mort dampneis
Pour ce qu'il mordrent de la pomme .
Trop povre est l'orguil de cest monde ,
Que c'est la valee parfonde ,
De meschief plaine et de doulour :
N'i doit avoir boban ne feste
Fors a ceulz qui torchent la beste
Qui toute est de fauve coulour .
C'est Fauvel qui trestout bestorne :
Gentis fet vilainz et retorne
Vilains a meneir gentillece ;
Les gentis , neis de boen lignage ,
Fait orguellous et plains d'outrage ,
Si qu'il en perdent lour noblece .
Tout li monde , si com me semble ,
A charue de chiens resemble :
L'un tret avant et l'autre arriere .
Li seignour veulent trop grant estre ,
Et li subjet refont le mestre :
C'est le mestier de la chiviere .
Puis que les rois sont menteours
Et riches hommes flateours ,
Prelas plains de vainne cointise ,
Et chevaliers heent l'Yglise ,
Clergié est example de vices ,
Religious plains de delices ,
Riches hommes sans charitei ,
Et marcheans sans veritei ,
Labourëurs sans lëautei ,
Hosteliers plains de cruauté ,
Baillis et juge sans pitei ,
Et parens sans vraie amistei ,
Voisins mesdisans , plains d'envie ,
Jennez enfans plains de boesdie ,
Desleal et fausse mesnie ,
Les seignours plains de tricherie ,
Trichirres en bonne fortune ,
Et ribaus gouvernans commune ,
Les cors amés plus que les ames ,
Et fames de lor maris dames ,
Sainte Yglise poi honouree ,
France en servitute tournee ,
Par Fauvel , cele male beste ,
Par quoi nous vient toute tempeste ;
Puis qu'eissi le monde bestorne
Par tout sans mesure et sans bourne
Et qu'ainsi toute criature
A lessié sa propre nature
Et pris le contraire , si comme
J'ai dessus dit en grosse somme ,
Quer trop longement i metroie
S'en especial tout disoie :
Je conclu par droite reson
Que près summes de la seson
En quoi doit defineir le monde ,
Quer toute malice y redonde ,
Et si nous dit la prophecie
Que quant foi en terre iert faillie
Adonc sera l'avenement
Du fils Deu au grant jugement ;
Et je voi la foi si fenir
Qu'il peut bien des or mès venir .
S'il est point de foi , el est morte ,
Quer foi sans euvre n'est pas forte ;
Si croi qu'Antecrist soit venus ,
Quer Cupido reigne et Venus
Par tout , es grans et es menus ,
Et si ne soi nule ne nus
Qui de voir ne puisse bien dire
Plus vit eu monde plus empire .
Ce fet Fauvel , le desreé ,
Qui si souvent est conreé
Du conseil Maugis et Basin ,
Meine tout per antifrasin ,
C'est a dire par le contraire .
Cescun s'en devroit bien retraire ,
Quer en lui et en son viare
Voion figureir et pourtraire
Tout faus et toute flaterie
Et general ydolatrie .
Tous siuent au jor d'ui l'escole
De conroier Fauvel l'ydole :
L'en porte si grant reverence
A cescun qui a excellence
D'estat , de richece ou de force
Que j'os bien dire que pour ce
N'est pas au jour d'ui bien rendue
L'onnor qui a Dieu est deüe .
L'en met au jour d'ui greigneur paine
A servir creature humaine
Pour avoir temporel richece
Qu'a servir celui qui largece
Donne du tout bien pardurable ;
C'est chose trop mal resonnable .
Ici vuil fere arrestement ,
Mès a tous pri devotement ,
Se Fauvel ai trop près taillié ,
Se près du madre l'ai baillié ,
Se j'en ai parlei nicement ,
Ou poi ou superfluement ,
En queil maniere que ce soit ,
Pour Dieu , que pardonné me soit .
Diex , qui est voir et voie et vie ,
Soit que n'ai pas fet par envie
N'en male entente cest traitié ,
Mès a fin que li affaitié
Fauvel fust descript vraiement ,
Si a plain et si cleirement
Que flateours soient haïs
Et des or mès en tous païs
Verité soit en estat mise
Et Dieu amé et sainte Yglise ,
A qui soupli , ains que me tese ,
Que cest petit livret li plese ,
Qui fut complectement edis
En l'an mil e trois cens et dis .
De Fauvel bien oÿ avez
Comme il est pigniez et lavez .
Mès pour ce que necessité
Seroit a toute humanité
De Fauvel congnoistre l'ystoire
Et bien retenir en memoire ,
Car il est de tout mal figure ,
Et , si com nous dit l'escripture ,
Nul ne puet bien eschiver vice
S'il ne congnoist ainçois malice ,
Pour ce vueil je encore dire
Aucune chose qui s'atire
A ce que plus a plain apere
L'estat de Fauvel et l'affaire :
Affin que sans lui puissons vivre ,
Ay de ly fait cest segont livre
Qui parle comme marïez
S'est Fauvel et monteplïez .
Un jour estoit en son paloys
Fauvel , qui ne pert pas galoys ,
Tout ait il eu païs de Gales
Chasteaux , danjons , manoirs et sales .
Entour ly avoit grant plenté
De gens , tous de son parenté ,
Car il n'avoit de son mesnage
Nul qui ne fust de son lignage .
En un faudestuel fu assis ,
Mès je croy que cy n'a pas sis
Qui aussi bel oncques veïssent
Ne qui de tel parler oÿssent .
Sy bel estoit que , par saint Cosme ,
Ce paroit euvre de fantosme .
Il estoit d'un or d'arquemie
Semblant fin , mez ne le fu mie ,
Et sy grandement reluisoit
Qu'il n'est nul qui près de ly soit
Qui ne s'esbloe du veoir
Et qui n'ait fain d'ilec seoir .
Esmaillié fu en taille eroise ,
Ouvré d'euvre sarrasinoise ,
Pains a escuceaux d'estrilletez ,
Bordez tout entour d'espousettez ,
Semez de pluseurs bestelettez ,
De renardeaux , de goupillettez ,
De serpenteles , de tortues ,
D'escouflez , de faucons , de grues ,
D'ostours , de voutours , de pantheres ,
D'oyseaux de proie , de chimeres
Et de bestez pluseurs manieres ,
En couleurs bien parans et chieres ,
Et faux escuceaux a losenges
Avoit moult tout entour et frenges .
Barat et Fauseté et Guile ,
Aussi com par l'enchant Virgile ,
Le faudestuel en l'air portoient ,
De quoy trestous se merveilloient .
La se sist Fauvel noblement ,
Vestu de draps d'or richement ,
Trestout de menu vair forrez ;
Ja mès de plus riche n'orrez .
Mantel ot de drap de Turquie ,
Que ly donna Ypocrisie ,
A un bien orfroisié label ;
Mès n'y ot riens de l'euvre Abel ,
Ains le firent les mains Caÿn ,
Car Fauvel ensuit son traïn .
En son chief ot une couronne
Par apparence belle et bonne :
Pierres y avoit precieuses ,
A regarder moult gracieuses ;
Mès autre vertu il n'avoient
Fors que grant plaisance donnoient
En eulx mirer et regarder ,
Pour fos en vanité larder .
Dès que Fauvel les ot acquises ,
Les vertus que Diex y ot mises
Par le pechié Fauvel chaïrent ,
Mès leurs beautez pas ne perdirent ,
Par quoy l'en les vent grant argent
Et sont en grant chierté , car gent
Riche et de vanité plaine
Orgueil , gloire et bouban en maine .
De tel couronne estoit parez
Fauvel , qui n'est pas esgarés .
N'a plus belle jusqu'a Gyronde ;
Mès elle n'estoit pas roonde ,
Car Fauvel et toute sa geste
Ont de leur droit colueteste .
Mès sachiez que son dit palaiz
N'estoit pas couvert de balaiz .
Le palaiz fu couvert d'adoise
Si plaisant que nul n'y adoise
Qui ja mès departir s'en puisse ,
Quelque paine et labour y truisse .
Reluisant est la couverture
Du palaiz , si que sans mesure
Esmeut chascun a y venir .
A paine s'en puet nul tenir ,
Nul qui entre en ceste maison ,
Comment qu'il ait vive raison ,
Qu'el'est trop vaine et decepvable :
Puis que Fauvel l'asiet a table
N'en partira jusqu'a la mort .
Fauvel ad douz lopins l'amort ,
Si qu'il ne scet nulle saison
Mengier son pain en sa maison .
Dedens estoit paint richement
Le dit palaiz et cointement
De synjoz et de renardeaux
Contrefaiz , a petis hardeaux ,
A tricherrez et a bouleurs ,
A advocas et a plaideurs ,
A faux jugez , faux conseilleurs ,
Faux tesmoings , faux raporteeurs ,
Faux hosteliers , faux conteeurs ,
Faux seigneurs et faux flateeurs ;
Toute monnoie de baras
Y estoit painte a grant haras ,
Et tout entour y avoit paintez
Chançons , lois et baladez maintez ,
Hoqués , motés et chançonnetes ,
Qui n'estoient pas d'amouretes ,
Mès de fraudez bien esprouveez ,
Que mestre Barat ot diteez ,
La furent eu palaiz signeez ,
Bien escriptez et bien noteez
Par bemoz et fausses musiques ;
Aussy y furent les croniques
De Fausseté la et en ça ,
Puis que le monde commença ,
Et de Renart toute l'istoire
Y estoit painte a grant memoire .
Et sachiez ilequez meïsmez
Ot pluseurs dechevans sophimez
Et mistions de premerainez
En termes et premisses vainez
Pour engendrer conclusions
De mal et de deceptions .
Neïs d'elenches les cauteles
Et les fallaces qui ysneles
Sont a toute gent decevoir
Y furent , ce te di de voir .
N'estoit brisiez ne defroissiez
Le palaiz , ains fu lambroissiez
Trop cointement de fust d'Islande
A une taille espesse et grande
D'un bois qui n'est fendu n'ouvert ,
Mès moult en soy clos et couvert .
Tremble y ot qui resembloit aune ,
Mès tout fu vernicé de jaune ,
Estincelant si clerement
Que nuz hom ne puet vraiement
Veoir leens le ciel celestre ,
S'il n'en yst par quelque fenestre ,
Car les couleurs sont si ardans
Qu'il aveuglent les regardans .
Et se voulez que je vous die
Ceulx qui lors tindrent compaignie
A Fauvel , je le vous diray ;
Ja que puisse n'en mentiray .
Lés Fauvel a destre partie
Se sist Charnalité s'amie ,
Une dame d'auctorité ,
Qui est contraire a Charité ,
Marrastre d'Ospitalité ,
Adversaire de Verité ,
Nourrice de Crudelité ,
Mere de toute iniquité .
C'est celle qui n'aime que ly :
Semblant d'amour monstre a cely
De qui el puet son prouffit faire .
Autrement nul ne ly puet plaire ;
Et quant son gaaing plus n'y dure ,
Elle le het et n'en a cure .
De ceste dy certainement
Qu'el ayme soy tant seulement
Et a , ce sachiez , tel maniere
Que tous tient vil et soy trop chiere .
Son corps aime et bien le coutive ,
En deliz charnelz ententive ,
En ses plaisances moult soutive
Et en barat agüe et vive ;
Cointe est et pou ly chaut de l'ame :
Vie maine de fole fame ,
Car il ly semble trop amer
A Dieu et son prouchain amer ,
Et si en fait elle souvent
Semblant , mez c'est par tel couvent
Que cuer ne volenté n'y a ;
Oncques sagez ne s'y fia .
Pour ce croy je que David die
Qu'es princes ne nous fions mie
Ne es filz du charnel palut ,
Esquelz il n'a point de salut .
Charnalité , qui est si fole
Qu'elle fuit Raison et s'escolle ,
N'aime nul qui son bien ly die
Ne cure n'a qu'on la chastie ,
Ains est de sy gentil courage
Qu'el n'aime fors que son lignage .
Ja courtoysie ne fera
A nul fors qu'a cil qui sera
Son niez ou de son parenté .
Par ceste sont souvent renté
Et em portent grans benefices
Les enfans et les plains de vices .
Prelaz et grant gent entechié
Sont trop vilment de ce pechié :
N'aiment fors leurs charnelz amis .
Fauvel du sien tant y a mis
Qu'il n'y a riens de charité ,
Car ce font pour posterité
D'avoir après la mort memoire
De leur vie de vaine gloire .
Mès de tiex gens pou en chaudra :
Quant mourront , tout bien leur faudra .
Charnalité est la nourrice
Fauvel , ou il a tant de vice :
Charnalité si le nourri
En son sain , qui est tout pourri ;
Pour ce est Fauvel tout plain d'ordure ,
Et sa fin sera pourreture .
Et de ceste charnalité
Nous dit l'apostre en verité
Qu'en la fin de cest charnel monde ,
En qui tout mal sourt et habunde ,
Les gens qui adonques seront
Soy tant seulement ameront ,
Car chascun si charnel sera
Que nul fors que soy n'amera .
Lors ne puet estre charité
Qui vient de double extremité .
Si se tient toute d'une part
Charnalité qui l'os depart :
Elle donne l'os et le megre ,
Mès au cras retenir est egre ,
Si qu'el fait par les nascions
Contens et separations .
Delez Charnalité assise
Fu , ce me semble , Couvoitise ,
Qui est de volenté moult male ;
Megre fu , seche , bise et palle ,
Et sy n'est pas si ennormale
Qu'el n'ait de deniers plaine male ,
Car elle est nuit et jour en guerre
Pour plus avoir et plus acquerre .
Sa vie en grant douleur a mise ,
Car il n'est riens qui ly souffise :
S'elle estoit roÿne de France
Si n'aroit el pas souffisance ,
Ançois souffreroit grant martire
Pour avoir encore l'empire .
Tous jours a avoir trait et tire ,
Et tant plus a et plus empire .
Emprès ly seoit Avarice ,
Qui se differe d'autre vice ,
Que plus dure et plus rajennie ;
Ce soivent ceulx qui sont en vie .
Ne s'enviellist point en viellesce ,
Qui tous vicez fors que ly blesce ,
Et dit l'Escripture divine
Qu'elle est de tous les maulx racine
Et qu'a ly est comparagie
Servitude d'ydolatrie .
Et puis après seoit Envie ,
Que sire Fauvel ne het mie :
C'est celle qui ne puet bien dire
De chose qui a bien s'atire .
El a du tout mis son vouloir
En soy d'autri prouffit douloir
Et d'autri douleur faire joye .
Les yex a tous chargiez de toie ,
Si qu'el ne voit pas clerement
Ne ne fait nul droit jugement .
Et damage est qu'elle voit goute ;
Mès elle ot trop cler et escoute
Malez nouvellez volentiers
Et les seme par tous sentiers .
Plus tost trote que nul frison
Quant elle pense a traïson .
Après seoit Detraction ,
Qui est de male estraction ,
Car elle est fille Male Bouche ,
Qui matin se lieve et tart couche
Pour mal dire a champ et a ville .
Tous jours desvuide mal ou file
Detraction , qui bon nom emble ;
Du tout a sa mere ressemble ,
Car el ne vuelt riens tant amer
Com gent blasmer et diffamer ,
Ne ne puet oïr que l'en die
Nul bien d'omme qui soit en vie ;
Et encore souvent le mort ,
Runge , detrait et point et mort :
C'est la sansue envenimee ,
Qui suche bonne renommee ,
Ce est la langue serpentine ,
Qui de geter venim ne fine ,
Et si n'en puet el tant router
Qu'elle puisse tout hors bouter ,
Et plus de gens runge et devoure
Plus en son corps venin demoure ,
Mielx vault estre feru d'espee
Que de tel langue envenimee .
Après ceste se sist Haÿne ,
Qui a tout mal faire est encline ,
Et puis après se sist Rancune ,
Qui en trop de gens est commune .
C'est celle qui est si tres dure
Que dedens le cuer tous jours dure
Et son mal talent point n'efface ,
Souvent pour acort que l'en face ,
Ains runge tous jours le chardon ,
Si qu'el ne vuelt donner pardon
Nullement a mort ne a vie ;
Mès sachiez qu'elle n'ara mie
Pardon , s'el ne le veult donner .
Pour nient en feroit on sonner
Après la mort ne chanter messe :
En enfer prendra sa promesse .
Et puis après se sist Tristesce ,
Qui de nul bien ne s'esleesce .
Après tantost fu assise Yre ,
Qui ainc ne sot raison eslire ,
Ains se prent par impacience
Tous jours a la pire sentence .
Après , si com j'oÿ retraire ,
Fu Peresceuse - de - bien - faire .
Joygnant de ly se sist Ouiseuse ,
Qui est en tous trop perilleuse .
Après fu assise Venus ,
Qui prent les gens vestus et nuz :
Ce est le pechié naturel ,
Qui tous jours est de blancdurel ,
Se viellesce ou mal ou raison
Ne li fait perdre sa saison .
Joignant de ly fu Gloutonnie ,
De trop mengier noire et ternie ,
Après Yvresce et Lecherie ,
Qui oncques en toute leur vie
Juner n'a temps mengier ne surent :
Leurs enfans tous saous moururent .
Mez de lez Fauvel a senestre
Vy Orgueil en grant estat estre .
Emprès ly fu Presumption ,
Despit et Indignacion ,
Vaine Cointise et puis Vantance ,
Bouban et Fole Outrecuidance .
Après se sist Ypocrisie ,
Qui par dehors moult s'umilie ,
Mès en son cuer par grant mestrie
Repont Orgueil et sa mesnie .
C'est une dame merveilleuse :
Une foiz est religïeuse
En habit , et puis seculiere ,
Puis Cordelier , puis Cordeliere ,
Puis Jacobin , puis Jacobine ,
Une foiz dame , autre meschine ,
Et puis seigneur , et puis garson .
Moult a cordes en son archon :
A l'une et puis a l'autre trait ,
Une foiz loe , autre detrait ;
Devant la gent prie et barbete ,
Mez eu cuer a la goupillete .
Bien scet et par paix et par guerre
A Dieu faire barbe de fuerre .
Faus Semblant se sist près de ly ,
Mès de ceste ne de cely
Ne vous vueil faire plus grant prose ,
Car en eulx nul bien ne repose ;
Et qui en vuelt savoir la glose
Si voist au Roumans de la Rose .
Après se sist Varieté ,
Qui en son dos avoit geté
Un mantel fourré de panthere ,
Fait de variable matere .
Et celle qui tost se remue
De chanjant est tous jours vestue :
Une chose dit , mès du faire
N'est riens fors que tout au contraire ,
Et par sa belle contenance
Est elle appelee Inconstance .
Après fu Doubleté assise ,
Qui tous jours a s'entente mise
A dire sa parolle trouble
Ou qui soit d'entention double .
Lez ly tint Lascheté son siege ,
Qui est plus fausse que n'est liege :
C'est celle ou l'en aucun bien cuide ,
Mez elle est desloyal et vuide .
Emprès se sist Ingratitude ,
Qui est trop mauvaise et trop rude ,
Car el ne vuelt nul reconnoistre
Qui paine ait mis en li acroistre .
En toutez cours soit condampnee ,
Car el fu de male heure nee .
Emprès ly se sist Vilanie
En estat de chevalerie ,
Mès a savoir vraie noblece
Ne maintient son cuer ne adrece ;
Et , s'el fust fille de bon pere ,
Droit fust qu'aucun bien ly en pere .
Elle cuide estre noble et sage
Pour ce qu'elle a grant heritage ,
Mès el se dechoit et meserre ,
Car noblesce n'est pas pour terre ,
Ains est de cuer en homme enté ,
Qui est de noblez meurs renté ,
Esquiex ceulx qui sont ententis
Sont tres noblez et tres gentilz .
De noble homme tien et tendré
Qu'il est de mal sanc engendré
Ou né en pechié d'avoutire
Quant il ne s'achesme et atire
De noblez faiz , pour quoy on die
Que vilain ne l'engendra mie .
Et puis après sist Angoisseuse ,
Qui de labourer n'est oyseuse ,
Car as dimenchez et as festez
Fait labourer et gens et bestez .
Si grant haste a de labourer
Qu'il ne li chaut de Dieu ourer ,
Et s'el n'avoit enfant ne femme
Si vouroit el mener tel game .
Sachiez qu'il est nez de male heure
Qui en tel maniere labeure ,
Et l'un et l'autre Testament
Le maudient , se Diex m'ament .
Entour le sire qui est fauve
Avoit , se Jhesucrist me sauve .
Trop grant foison de sa mesnie .
Moult y ot belle compaignie :
Il y fu Barat , Boulerie ,
Fausart , Tripot et Tricherie ,
Murdre , Traïson , Roberie ,
Neiz Parjurez et Foy Mentie ;
En l'eschielle montez estoient
Pour veoir Fauvel qu'il amoient .
Illec aussi fu Houlerie ,
Et puis Hasart , qui Dieu renie ,
Herese y fu , et Sodomie ,
Et tous estaz de maise vie ;
Par la sale en tour les piliers
Furent a mons et a miliers
Entour Fauvel et sa chaiere ,
Loings et près , devant et derriere .
Lors ne s'est pas Fauvel teü .
Un bastoncel tint de seü .
Ne sembloit pas qu'il eüst rieume ,
En hault parla , tel est son tieume :
« Seigneurs et dames qui cy estez ,
Mener devez joiez et festez ,
Car vous estez de mon mesnage ,
Et tous estez de mon lignage ,
Et sy veez que nostre afere
Va si bien que il nous doit plere .
Je suy au jour d'uy roy et sire
Et du royaume et de l'empire .
Tout le monde veez beer
A moy servir et conreer :
N'y a prelat ne clerc ne prestre
Qui ne vueille bien a moi estre ,
Et tuit ly prince temporel
Torchent miex Fauvel que Morel .
Pou veez qui ait bonne robe
S'il ne m'estrille ou torche ou lobe .
Tant ay froté , tant suy frotez
Que par moy sont tous assotez .
Fait me suy si soutivement
Et si malicieusement
Que les degrez ay mescontez
Du grant estat ou suy montez .
Ne suy pas venus droite voie ,
Car par la monter ne saroie :
La droite voie m'est trop grieve ,
Et la torte m'est bonne et brieve ;
Ja le droit chemin ne tendrai
Ne par ly n'yrai ne vendrai .
Tant ay fait , ce pouez veoir ,
Qu'en grant estat puis bien seoir .
Raison ay toute au dessouz mise ,
Je ne la doute mès ne prise .
Mes ennemis sont hors boutez ,
Et mes amis fors et doutez .
Je bestourne tout a ma guise
Le monde , qui moult m'aime et prise .
N'est nul qui mès me puist grever :
Quanqu'empren say bien achever ;
Trestout me vient a volenté .
Moult sui riches et bien renté
Par mon sens et par ma fallace .
J'ay bien de Fortune la grace :
Du tout a mon vouloir tournie .
Moult m'a donné grant seigneurie :
Du monde , qui est sa maison ,
M'a fait seigneur maugré Raison .
Mès je me dout moult d'une chose
Qu'a nul fors qu'a vous dire n'ose ,
Et vous devez trestous veillier
Pour moy garder et conseillier .
Je voy que Fortune est mouvable
Et dame moult espouentable .
Pour ce qu'adez vuelt estre noeve ,
Me dout que vers moy ne se moeve
Pour geter moy de mon degré .
Or vous diray je mon segré ,
Que j'ay pensé parfondement ,
Pour estre fondé fermement ,
Si que ja mès nulz hom ne blece
L'excellence de ma hautece .
Vous savez que n'ay point de femme .
Mestier seroit qu'aucune dame
Qui bien me plaroit espousasse ,
Si que je me montepleasse
Ainsi par generacion
Et parmanant succession
De filz , de neveuz et de niecez ,
Qui eüssent et part et piecez
De mon sens et de ma nature ,
Si que humaine creature
Fust toute de mes hoirs pourprise
Pour faire la vivre a ma guise .
Or ay je pensé d'autre part
Que Fortune , qui tout depart ,
Il ne puet estre qu'el ne m'aime
Quant si grans honneurs en moy seime .
Puis qu'elle m'a fait si grant mestre ,
Il ne pourroit nulement estre
Que elle ne m'ait sans fallace
Donnee s'amour et sa grace ;
Et elle n'est pas mariee ,
Ne moy aussi , qui a lié bee ,
Et croy , qui li en parleroit ,
Que moult tost s'y acorderoit .
Et se j'espousee l'avoie ,
De sa roe mestre seroie :
La dame en mon dangier seroit ,
Tout a mon plaisir tourneroit .
Lors seroie de bon eür
Et me dormiroie asseür .
Mès comment que femmes s'atirent
A bien amer ce qu'il desirent ,
Si n'est il drois en nulle terre
Qu'elles doient premier requerre ;
Mès volenté qui est legiere
En femme moustre tel maniere
Par quoy elle est souvent premiere
A esmouvoir qu'on la requiere ;
Et quant elle semblant en fait ,
Par signe ou en dit ou en fait ,
Elle tient a trop grant despit
Celi qui sur ce met respit .
Aussi Fortune , qui tout mine ,
Est en meurs toute feminine ;
Et pour ce , se le conseilliez ,
Je seray tost appareilliez
A lié requerre et supplïer
Qu'en moy se vueille marïer . »
Sans regarder raison ne loy
Respont le conseil sans deloy :
« Sire Fauvel , noble emperiere ,
Bien devez seoir en chaiere
Et gouverner trestout l'empire ,
Car a voz sens riens ne s'atire :
Vostre engin tout sourmonte et passe ,
Maugré qu'en ait Raison la lasse ,
Ne Lëauté ne Verité .
Tout avez bien suppedité :
Vostre majesté est souvraine
Desus toute vertu humaine .
Bonnez meurs et bon accident
S'en sont fuïz en occident ,
Es isles ou nully n'abite .
Touz les avez par vostre lite
Abatuz et tous desvoiez
Et puis en essil envoiez .
Neïs les cardinaus vertuz
Ont leur escuz plains de pertuz
Que faiz leur avez a l'espee ;
Tout ont perdu a la meslee ,
Car vous savez trop de la guerre ;
Rener devez en toute terre .
Le tres grant sens que nous oons ,
Sire , moult prisons et loons ,
Et moult est noble la pensee
Que vous avez cy recitee
Pour vostre hautesce fremer
Par tout et cy et outre mer .
Vo cuer nous avez descouvert
Et vo grant secré aouvert ;
Et comment que soions felons ,
Si est il droit que le celons ,
Car se vers les autres faux sommez ,
Si sommez nous voz ligez homes
Et vos sergens et vos amis .
Tous jours chascun de nouz a mis
Et metra en vous servir paine
Pour donner vous honneur mondaine ,
Car la chose trop près nous touche ,
Et pour ce y metons cuer et bouche ;
Car nous ne querons fors qu'avoir
Honneur ou monde et grant avoir ,
Ne ne nous chaut des amez perdre
Pour nous a vo service aerdre .
Moult nous semble bonne besoigne
Que vous tantost et sans pourloigne
Metez paine au dit mariage
Qu'a pensé vo gentil courage .
Quanque nous sommez le greons ,
Car trop grant honneur y veons . »
Quant sire Fauvel ot oÿ
Son conseil , moult s'en esjoÿ ,
Car il est tous jours moult a aise
Quant on li dit ce qui li plaise .
Tantost commande a enmaler
Tout son hernoiz pour s'en aler
Vers Fortune l'aventureuse .
Il ceint s'espee et si se heuse ,
Et ses esperons pas n'oublie ;
Puis s'en va a grant compaignie
De ses gens et de ses amis .
En bien cheminer tant a mis
Et alé de nuiz et de jours ,
A grans esploiz et briés sejours ,
Qu'il est venuz a Macrocosme ,
Une cité de grant fantosme ,
Qui fu jadis faite pour l'homme ,
Que Raison Microcosme nomme .
Illec faisoit sa residence
La dame de grant reverence
Qui tourne tout a la volee :
C'est Fortune , la redoutee .
En son palaiz fu sans seoir
Pour ce qu'el vuelt par tout veoir .
Oncques ne se siet ne areste ,
Car a tourner est tous jours preste .
Sachiez , moult seroit bon machon
Qui pourroit bien de sa façon
La verité a plain descrire .
Un pou vous en vueil ore dire
Pour savoir en quel contenance
Sire Fauvel , qui moult s'avance ,
Pout dame Fortune trouver ,
Quant il li vint s'amour rouver .
Fortune avoit semblant de femme
Qui fust ou roÿne ou grant dame ,
Et sembloit bien a son visage
Qu'el eüst moult courant courage .
Beau grant avoit et bien faitiz
Et les membrez lons et traitiz .
En sa main tint double couronne :
L'une pert male et l'autre bonne .
Et celle qu'on a bonne cuide
N'estoit pas si com sembloit vuide
De belles pierres precïeusez ,
A regarder moult gracïeusez ;
Mès moult en y avoit de telez
Qui n'estoient bonnez ne belez ,
Ains semblent estre crapoudinez ,
Poignans par dedens com espinez
Jusqu'au cuer desoubz la chemise .
Mès a paine nul s'en avise
Fors ceulx qui portent tel couronne ,
Quant Fortune leur abandonne .
L'autre couronne , qui pert male ,
Si est et vil et orde et sale
Et est d'un metal trop trenchant :
Qui l'a n'a talent qu'il en chant
Ne qu'il puisse bon semblant fere ,
Car tel couronne est trop amere .
Nepourquant dedens sont couvertez
Petitez esmeraudez vertez
Qui sont com grains de sel menus ,
Qu'il ne soient aperceüz
Fors que des povrez qui les portent ,
Qui leur desconfors en confortent .
Ices .ij. couronnes tenoit
Fortune , a qui moult avenoit .
Mès trop avoit hideux visage :
Je ne sai privé ne sauvage
Qui l'ait itel comme Fortune .
L'une face ot oscure et brune
Et a regarder trop hideuse ,
Et l'autre bele et gracïeuse ,
Tendre , blance , clere et rouvente .
Ne semble pas femme dolente
Quant l'en la voit de celle part ;
Mès de l'autre semble liepart ,
De tourment plaine , felle et fiere ,
Desirante que tous jours fiere .
L'un des yex a rouge et ardant ,
Fel et horrible en regardant ,
Et siet en la face senestre ;
Mez vair et riant a l'ueil destre ,
Si que soupris et deceüz
En sont ceulx qui en sont veüz .
Vestu avoit robe partie
Fortune , dont l'une partie
Fu de samin , non pas de lange ,
Si qu'en pluseurs couleurs se change ;
L'autre part fu d'une viez sarge ,
Dont Fortune est courtoise et large ,
Car gerons et pans en depart
A quiconquez va celle part .
Deux roez ot devant Fortune
Qui tous jours tournient , mès l'une
Va tost et l'autre lentement ,
Et en chascune vraiement
A une mendre roe mise
Tout par dedens et a tel guise
Que mouvement contraire tient
Contre la roe ou el se tient .
Ices roez sans sejourner
Font l'estat du monde tourner .
A ce gieu Fortune s'esbat :
Les uns blandist , les autres bat ,
Car a chascun tour qu'elle fait
Aucuns destruit , aucuns refait ,
A aucuns baille sa couronne ,
Puis la toult et puis la redonne ,
Puis la bonne , puis la mauvaise .
Ainsi depart joie et mesaise ,
Si que nul hom ne puet savoir
Combien mal et bien puisse avoir ,
Car Fortune a tantost venté
De toutez pars sa volenté .
A ses piez seoit Vaine Gloire ,
Qui metoit du tout son memore
En soy cointement atirer
Pour ceus bien faire en soy mirer
Qui des roez montent le mont .
Par son noble atour les semont
A lié si entendre et veoir
Qu'il ne pensent point a cheoir
Selonc le tour que font les roes ,
Quant Fortune y gete les poes .
En cest estat estoit Fortune
Quant Fauvel avec sa commune
A Macrocosme s'arriva .
Fortune y sot , tantost y va ,
Et quant il vit sa majesté ,
Un pou de loing s'est arresté :
S'il ot paour , n'est pas merveille .
Nepourquant moult bien s'appareille
De parler aviseement .
Agenoillié moult humblement ,
Com celi qui bien set sa game ,
Salue Fortune la dame
Et a lors sa besoigne emprise
A parler tout en ceste guise :
« Ma dame , celi hault seigneur
Qui n'a ne pareil ne greigneur
Vous doint longue vie et leece
Et maintienge en vostre hautece .
Le grant desir qu'avoir devoie
De vous veoir m'a mis en voie
Et donné cuer de cy venir ;
Ne m'en pouoie plus tenir .
Tenu fusse a fol et a lent
Se je n'eüsse grant talent
De vous veoir , ma chiere dame ,
A qui je doins et corps et ame .
Faire le doy , car bien savez
Que tel com je suy fait m'avez .
Du tout suy vostre creature ,
Vostre serjant , vostre faiture .
Je ne pourroie raconter
L'estat ou m'avez fait monter :
Dire ne pourroie le nombre
Des honneurs que j'ai souz vostre umbre .
Tous vos biens m'avez sans deserte
Abandonnez , c'est chose aperte ;
Et pour ce a vous suy venus
Moy offrir com vostre tenus ,
Vo serf , vo sergant , vo lige homme ,
Sy vous suppli , dame , si comme
A celle qui est ma souvraine
Qu'il ne vous soit ennui ne paine
De ce que j'ai pris hardement
De vous veoir si faitement ;
Car , ma dame , je considere
Les biens qu'il vous plest a moy fere :
Vous m'avez fait et roy et sire
Et du roiaume et de l'empire ;
N'est prince ne prelat d'eglyse
Qui ne m'onnoure et aime et prise .
N'y a mès ne grant ne petit
Qui n'ait desir et appetit
Que aucun service me face ,
Par quoy il puisse avoir ma grace .
Par vous suy riches et puissant ;
A moy sont tuit obeïssant ;
Au jour d'ui sont tuit apresté
D'encliner a ma majesté .
Honnourez suy com Dieu en terre
Par tous lieux , soit ou pès ou guerre .
Tant m'avez voulu eslever
Qu'il n'est riens qui me puist grever ,
Mès que bien en vo grace soie .
Vous estez ma vie et ma joie :
Espris m'a vostre doulz semblant ,
Si que le cuer m'en va tremblant ,
Car je sent ou cuer l'estencele
D'amours qui m'eschaufe et engele .
De l'amour de vostre valeur
Sent dedens le cuer grant chaleur .
Mès paour de perdre vo grace
Me fait souvent froit comme glace ;
Car vous savez , dame , qu'amours
Vie est qui contraire est a mours ,
Car en soy propose et oppose ,
Plus travaille qu'el ne repose :
Une foiz a grant esperance
De tost avoir sa desirance ,
L'autre foiz se despere toute
Pour ce qu'ell'a de faillir doute .
Trop contraire desputoison
Maine amours toute sa saison :
N'a pas de soy la seigneurie
Cil ne celle qu'amours mestrie .
Et pour ce qu'amours me justise
Ai je ceste parolle emprise ,
Ne ne m'en puis celer ne taire ;
Force d'amour le me fait faire .
Pour ce , dame de deïté ,
Vueilliez avoir de moy pité ,
Car vraie amour si me commande
Que je vostre amour vous demande .
Et amours si m'en asseüre
Pour ce qu'avez mis si grant cure
En moy sur tous faire honneurer
Et essaucier et aourer ,
Ne ja mez ne le feïssiez ,
Certez , se vous ne m'amissiez .
Hé las ! Et comment me tendroie
D'amer vous , qui estez ma joie ?
Et femme est de si douce traime
Qu'el ne puet haïr cil qui l'aime ,
Ains est nature feminine
Douce de soi , tendre et encline
A celi oïr et amer
Qui la vuelt d'amours reclamer ,
Et quant el vuelt d'oïr user
Le priant ne puet refuser .
Pour ce , ma dame , en l'esperance
Du grant bien de vostre plaisance
Vostre amour vous pri et requier ;
Riens plus en cest monde ne quier .
Et que ne cuidez que je vueille
Chose dont honnesté se dueille
Et dont note de vilanie
Parust en chose que je die ,
Pour riens ne le voudroie faire ,
Ma douce dame debonnaire ,
Pour ce vous vueil tout mon cuer dire ,
Mès que ne vous en mouvez d'ire .
Tres douce dame , vous savez
Que grans possessions avez :
Tout avoir , argent et deniers
Ne vient fors que de vos greniers .
Roÿne et dame du monde estez :
A vous sont et hommes et bestez ,
Oyseaux et toutez mortelz chosez
En vostre seigneurie enclosez .
Or vous doit estre moult greveus
Ce que n'avez filz ne neveus
Pour estre hoirs de vostre heritage ,
Et si avez ja grant aage .
Moult a grant temps que fustez nee
Et encor n'estez marïee ;
Et d'autre part je me regarde
Que de voz biens m'avez fait garde ;
Par quoy , s'il vous plaisoit entendre
Qu'a mary me vousissiez prendre ,
Doncques serïez plus seüre
De voz biens et je en greigneur cure .
Car aussi seroie je asseür
Que ne me toudrïez eür ,
Car par vo foy serïez moie
Et je vostre ; lors penseroie
De vous amer , servir et plaire
Plus que ne fait enfant sa mere . »
Lors se test Fauvel et soupire
D'un faux soupir , dont il est sire ,
Et cuide par nuit a la lune
Embireliquoquier Fortune .
Lors quant Fauvel ot fait silence ,
Fortune a respondre commence ;
Moult regarde par grant fierté ,
De parler ne fait pas chierté :
« Fauvel , moult es folz et hardis ,
Et tant par faiz comme par dis .
Cuides tu que tiengne a proesce
Outrecuidante hardiesce ?
Selon la parolle commune :
Les hardis aïde Fortune .
Mès souvent fole hardiesce
Est cas et cause de tristece ,
Et si ai je plus folz hardiz
Aidié que sagez trop tardis ;
Car li sage les cas redoutent ,
Et li folz plus avant se boutent .
Aussi crois tu tous jours durer
Pour toy ainsi aventurer .
Je croy qu'onques mès n'oït on
Parler de tel presomption
Com as emprise et conceüe .
Tu ne m'as pas bien conneüe .
Comment t'est il monté en teste ,
Par le pignon ou par le feste ,
Que je soie dame Maron
Qui prenge Fauvel a baron ?
Ne scez pas bien que je puis faire
Ne de quelz merelez sai traire .
Fauvel , tu ne me connois mie .
Oncques homme de mortel vie
N'ot de moy plaine connoissance ,
N'a plain ne connut ma puissance .
Ne cuide pas que par richece
Soit conneüe ma hautesce .
Richez ne pensent de Fortune
Qu'el puist de .ij. fevez faire une ;
Mès quant homs povre estre couvient ,
De Fortune lors li souvient .
Pour ce me puet l'en par mesaise
Mielx connoistre que par grant aise .
Fauvel , tu es trop deceü
Quant en ton sens as pourveü
Que je femme a marïer soie
Et qu'a toy espouser m'otroie .
Tu ne connois moi ne mon pere
Ne ne seiz dont sui , n'a quoi fere
Je sui en cest monde establie .
Pour ce te vueil une partie
De mon estat faire sentir ,
Car j'en voi trop souvent mentir
Aucuns qui parlent de Fortune
Non sachans s'el est blanche ou brune .
Fauvel , or lesse en pès t'estrille
Et si m'entent , car je sui fille
Du roy qui sans commencement
Regne et vit pardurablement ,
Et si l'apele l'Escripture
Le jaiant de double nature
Qui , puis qu'il ot tout ordené ,
Voult de pure terre estre né ,
Engendré sans seme de pere
Et né , sans fait d'omme , de mere .
C'est le jaiant qui par sa force
Vainqui mort ou fust sans escorche .
De ce jaiant sui engendree ,
De fort pere forte nommee :
Je sui Fortune , et une et forte ,
Mès diversement me transporte ,
Et ma maniere si est double :
As uns sui belle , as autres trouble .
Je sui fille du roy des rois
Qui le monde et tous ses desrois
Me commet , si que je digere
Tout si come il plest a mon pere ;
Car mon pere , bien dire l'ose ,
Sans raison ne fait nulle chose .
Entent , Fauvel , beste desvee :
J'ay une seur un pou aisnee
Laquelle Sapience a nom .
Elle porte le goufanon
En quoy les vertus sont escriptez .
Toutez choses grans et petitez ,
Qui furent , qui sont et qui erent ,
Eu goufanon tres cler aperent ,
Et non seulement leur semblance ,
Mès tout l'estat et leur sustance ,
Chascune par sa propre ydee
Tres clerement enluminee .
Qui en cest goufanon se mire
Tout y puet et veoir et lire .
Par sapience fist le monde
Le roy en qui tout bien habunde .
Ileques prist il la mesure
Du monde et de toute nature ;
En Sapience tout visa ,
Quanqu'il fist et quanqu'empris a .
Sapience est ma seur germaine .
El fist le monde et je le maine
Par l'ordenance de mon pere :
Le cercle du ciel et l'espere
Faiz tous jours sans cesser tourner ,
Avesprer faiz et adjourner ;
Toutez choses de mouvement
Si sont en mon gouvernement .
Sagez seras se tu m'entens :
Le pouoir m'est commis en temps
Par quoy tout mouvement terminent ;
Par moi commencent et definent ,
Et temps n'est fors que la mesure
De tous mouvemens de nature .
Ainsi puez veoir que mon pere
M'a voulu commission fere
Sus toutez chosez qui se meuvent ,
Si que leur mestresse me treuvent ;
Et pour ce est en ma seigneurie
Le monde , qui tous jours tournie .
Le temps ay , par quoy je mesure
Du monde toute l'ambleüre .
Oncques si tost n'amble ne point
Que du temps n'y mete le point ,
Par lequel je tantost compasse
Le present ainsi com il passe ,
Tout soit le present si menuz
Qu'il ne puisse estre retenuz .
Mez ma dite commission
Faudra quant faudra motion ,
Car le monde adonc finera
Tantost que mouvoir cessera .
Mès tant comme le monde dure
Me couvient il avoit la cure
De lui gouverner et conduire :
Pour ce puis je aidier et nuire ,
Selonc le tour que j'é a fere ,
En departant joie et misere .
Et pour ce qu'ainsi me remue ,
Orgueil souvent a terre rue ,
Si qu'as povrez donne esperance
Et grant confort a leur chevance .
Pour ma matiere mielx sommer
Dès ore mès me vueil nommer .
Entent , beste ou tant mal repose :
Fortune si n'est autre chose
Que la providence divine ,
Qui dispose , mesure et termine
Par compas de droite reson
Le monde et toute sa seson .
Entent , beste de mal renom :
J'ai tout au mains quadruble nom .
Mon droit nom si est Providence ,
Qui m'est donné pour ce et en ce
Que j'ai pouoir de loing veoir
Tout si com il doit escheoir .
Tous jours a plain ay pourveü
Mon tour ançois qu'il soit meü ;
Sans negligence et ygnorance
Depent tout de ma pourveance .
Mon segont nom est Destinee ,
Qui Fateest autre foiz nommee ,
Et c'est a dire proprement
Envoïe au mouvement ,
Si que en tant com je m'aplique
A mouvoir ma roe autentique
Et que a ce sui envoiee ,
Bien puis avoir nom Destinee ,
Car je sui souvraine legate ,
Et pour ce aussi ai je nom Fate ,
Car par moy est dite et parlee
L'ordenance de Dieu segree .
Mon tiers nom est Cas d'Aventure ,
Qui vient souvent ou male ou dure
Par cours de causez non seüez ,
Jusqu'a tant qu'il sont avenuez .
Du quart nom sui Fortune dite ,
Car forte sui et sai de luite ,
Si que j'abat dedens mes licez
Richez , povrez , sages et nicez .
Par ce qui est dit t'aprenons
Come Fortune a quatre noms ,
Aussi com s'une damoisele
Getoit d'une haute tourelle
Tout plain de galez et de pommez
Sus pluseurs et fames et hommez ,
Et la damoiselle seüst
Comme le giet cheoir deüst .
En tant comme le giet saroit ,
De Providence nom aroit ;
En tant come elle geteroit ,
Destinee son nom seroit ;
Et quant les uns bleciez seroient
De galez qui sus eulx charroient
Et les autres si recuidroient
Les pommez ne nul mal n'aroient ,
Par nom d'Aventure nouvele
Nommeroient la damoisele ;
Et quant le commun parleroit
De ce que avenu seroit ,
La damoisele grant renom
Avoir pourroit et autre nom ,
Car adoncquez la voix commune
La pourroit apeler Fortune .
Ainsi est il de moy sans faute ,
Car je sui en la tour tres haute ,
Dont je gete tristece et feste
Sus tous : gart bien chascun sa teste ,
Car mes galez sont trop grevans
Et mes pommez trop decevans .
Pour ce que sui espouentable ,
Me donne l'en nom Redoutable ,
Et vraiement c'est bien raison ,
Car je sui en toute seison
A redouter trop durement .
Fort sui et fiere vraiement ,
Si que ce que je vueil grever
Ne puet garir ne relever
Devant que je le pren en cure ;
Et si sui grant outre mesure ,
Car sus les ciex puis avenir
Et en ma main puis tout tenir ,
Et mes piez ataignent a terre .
Dame sui de paix et de guerre .
N'est nul qui de moy parler oie
Qui forment douter ne me doie ,
Car par moy couvient tout fenir ,
Tout quanqu'ou monde puet venir .
Je doins povreté et richece ,
Force , beauté , joie et tristece ;
Je sui dame , je sui roïne ,
Es uns felle , es autres benine ,
Et faiz tantost a tous voisine
La derramee pelerine
Qui tout abat jus : c'est la Mort ,
Qui sans cesser ça et la mort ,
Si que nulz homs en son eür
Ne se doit dormir asseür ,
Ains doit tous jours estre a mesese
Qu'il ne soit tiex que il desplese
A mon pere Diex , qui tout donne ,
Qui tout mal et bien guerredonne ,
Qui orgueil a si en haïne ,
Et li et toute sa racine ,
Qu'il ne puet souffrir longuement
Qu'il ne l'abate horriblement .
Nabugodonosor le roy
En exemplaire te treroy ,
Car jadis fu sy enyvré
Des grans honneurs que li livré
Qu'en son estat tant se fia
Que son creatour oublia
Et fist par son tres fol outrage
Aourer a tous son ymage .
De mon pere ne li souvint ;
Pour ce comparer li couvint ,
Car assez tost je le geté
En si horrible povreté
Qu'avec les bestez ala pestre :
Tout nu .vij. ans li couvint estre .
Et orgueil les angelz jadis
Fist trebuchier de paradis ;
Et par moult d'autres beaux examplez ,
Qui sont a conter lons et amplez ,
Puis assez prouver et de voir
Que nulz homs ne doit concevoir
Orgueil ne maintenir rancune
Pour ce s'il a grasse fortune
D'aucuns biens en sa mortel vie ,
Selonc le tour que je tournie ;
Car tout ce vient de mes roeles ,
Qui tous jours font choses nouvelez ,
En quoi chascun se puet mirer
Pour soy sagement atirer .
Mès c'est bien voir que homme sage
A sus estoillez seignourage ,
Et c'est a dire que science
Passe planetel influence ,
Engendrant disposition
Sus corporel complexion ;
Car il n'est nul , pour voir di ce ,
Que s'il s'encline a aucun vice
Par naturel complexion ,
Selon la constellacion ,
Par quoi il puet avoir tel teche ,
A quoi plus est enclin qu'il peche ,
Oster s'en puet bien et refraindre
S'il veult en raison vivre et maindre .
Aussi oeuvrez de charité
Et oroisons de humilité ,
Quant home et femme les vuelt faire
En bonne foy devant mon pere ,
Font attremper les aventures ,
Qui autrement fussent trop dures .
De Ninivé je le te preuve ,
Une cité de quoi l'en treuve
Que mon pere la voult ferir
Et fere la de tout perir
Pour la cause des grans pechiez
Dont il estoient entechiez .
Et Jonas leur prophetiza ;
Mès le peuple tantost pris a
A crier merci et plourer ,
A vestir haire et Dieu ourer ,
A jeüner , eulx et leurs bestez ,
A couvrir de cendre leurs testez .
Et Diex , qui plains est de pité ,
Quant il vit leur humilité ,
Rapela comme debonnaire
Le mal que il leur pensoit faire .
Et aussi du roy Ezechie ,
A qui Diex dist par Ysaïe
Qu'il se mourroit hastivement ,
Et il se prist lors tendrement
A plourer et a Dieu ourer ,
Et Diex tantost sans demourer
Aloingna au roy Ezechie
De .xv. ans le cours de sa vie .
Pour ce te di a escïent :
Ne sont pas mises pour nïent
En Dieu esperance et prïere ,
Car qui les vuelt droitement fere
Il ne peuent perdre efficace
D'empetrer vers Dieu plaine grace .
Et ainsi sachiez vraiement
Qu'omme qui se vit sagement
Ne chiet pas en tant de perilz
Comme gens de folz esperiz .
Et si ne puet nul si sage estre ,
Soit philosophe ou autre mestre ,
Qui tous les cas puisse eschiver
Qu'en mes roes ay fait river ;
Car souvent maint proudomme et sage
Est a meschief et a damage
Sans sa coupe et sans sa deserte .
La preuve en est assez aperte ,
Et se plus moustrer le couvient ,
De Boëce bien me souvient ,
Qui fu homme de bonne vie
Et mestrez de philosophie .
Tant fu loyal , sage et proudomme
Que les emperieres de Romme
Entre tous sage le creoient
Et amoient et honnouroient ;
Mès par la traïtresse Envie ,
Qui tous les jours se monteplie ,
Boëce fu a mort traï ,
Si que de son estat chaï ,
Et ma roe jus le porta ,
Si que trop s'en desconforta .
Mès la belle philosophie ,
Qu'il amoit , ne le lessa mie ,
Ains le conforta doucement
Et li moustra moult clerement
Ce que je sui et que sai faire
Et pour quoy sui douce et amere ,
Et li dist que pour mon aïr
Ne se doit nul sage esbahir .
Adonc Boëce en sa poverte
Connut se je sui jaune ou verte ;
Car quant les grans honneurs avoit
De moy nouvellez ne savoit ;
Mès quant meschief li ala près ,
Lors me connut et fu après
En sa tribulacion fort ,
Et fist Boëce De Confort
Un livre qui ceulx reconforte
Que ma roe en tristece porte .
Ainsi par l'exemple Boëce
Je t'ai assez declaré ce
Que maint sage et de bon afere
Est moult souvent en grant misere
Et a meschief , damage et perte
Sans sa coupe et sans sa deserte .
Mès nepourquant raison y a ,
Car quant Diex le monde cria
Il voult que ce fust la forneise
Plaine de dolereuse breise ,
En quoi il vouroit esprouver
Ceulx qu'il devoit amis trouver ,
Si que sus ceulx qu'il quiert et aime
Douleurs et meschiez souvent saime ;
Et quant il sont examiné
Et par pacience afiné ,
Lors leur donne par amour fine
La joie qui oncques ne fine ,
Car souffrir est la droite voie
De vaintre et de venir a joie .
Et li mauvaiz quierent leur aise
Tant qu'il sont en ceste fournaise ,
Ne n'ont cure de pacience ,
Et Diex les vuelt paier en ce
Qu'il desirent mielx a avoir ,
Si leur lesse mondain avoir ,
Et puet estre que par ce don
Diex leur vuelt rendre guerredon
D'aucun bien que il peuent faire ,
Car nul n'est de si mal afere
Que aucune foiz ne s'aoevre
A entendre a aucun bon oeuvre ,
Ne nul n'est si bien entechié
Que souvent ne chee en pechié .
Et Diex ne vuelt nul bien perir ,
Et si vuelt tout mal remerir ,
Si qu'aus bons et as mauvaiz paie
A chascun sa propre monnaie .
Et , aussi com j'é dit , je maine
L'espere du ciel plus souvraine ,
Si que par moy sont disposees
Toutez chosez du monde neez ;
Car planetez , soleil et lune ,
Le ciel et estelle chescune
Ont par moy , c'est vraie sentence ,
Grant vertu par leur influence
Sur les chosez de terre bassez ,
Si que les unez si sont lassez ,
Et les autres richez et bellez ,
Selon le tour de mes roelez ,
Avec le regart des planetez ,
De quoi les unez sont doucetez ,
Et les autres aspres et durez ,
Selon leur diverses naturez ,
Qu'il influent diversement ,
En droit ou tort regardement ,
Desus tous les cors terrïens ,
Et les lïent de tiex lïens
Que les uns ja jour bien n'aront ,
Les autres ne sevent par ont
Les biens viennent qui leur apleuvent ;
Les uns perdent , les autres treuvent ,
Selon la planetal puissance ,
En droite ou oblique distance .
Et quant ele est en doulz regart
Sus les mauvaiz , que Diex ne gart ,
Si leur en vient honneur et grace ,
Qui tient en estat leur fallace ,
Et moult souvent , com cil qui gasche ,
Tiex regars si fierent en tasche :
Puis as mauvaiz et puis as sages
Font lors despiz , lors avantages .
Li bons monte , le mauvaiz chiet ,
Puis monte , si come il rechiet ;
Et par einsi fatis touoil
Est de cest monde le reuoil
Limez et le mal hors boutez ,
Si que mon pere est redoutez ,
Car il n'a riens en sa meson
Qu'il n'i ait fait par grant raison .
Et il m'a fait dame du monde ,
Ou moult d'inegauté redonde ;
Car les uns y ont trop d'aaise ,
Et les autres trop de mesaise .
Li uns est folz , l'autre a science ;
En chascun a grant difference ,
Selonc ce qu'il eschiet a taille .
Et quant nature les cors taille ,
Je sui Fortune qui leur baille ,
As uns grain , et as autres paille ,
Pour rendre a chascun ses meritez ,
Selon les causez desus ditez ;
Et pour ce vuelent aucuns dire ,
Pour moy plus clerement descrire ,
Qu'en ma main .ij. couronnes porte ,
Dont j'esleesce et desconforte
Chascun , si com il me puet plaire ;
Mès c'est par figure et mistere ,
Car ce n'est que similitude ,
Pour mielx enfourmer engin rude ,
Qui moy entendre ne saroit
Se gros essamples n'i paroit .
Et ainsi est il des .ij. roez
Qu'on dit que je tourne , si oez
L'entendement et la sentence
Qui sont senefïez en ce .
Les .ij. couronnes dessus ditez ,
Qui par semblant sont ci escriptez ,
Dont l'une semble estre trop gente
Et l'autre laide et hors de vente ,
L'estat du monde senefient ,
En quoi nus sagez ne se fient .
Celle couronne qui pert belle ,
Chascun qui vuelt ne l'a pas tele :
Moult y pert belle perrerie ;
Et celle qui bonne n'est mie ,
De tel couronne est aorné
Cil que ma roe a hault tourné :
Je la doins , et puis la represte ,
Et au tollir sui moult tost preste .
Ceste couronne senefie
Grant estat en mondaine vie ,
Qui est de soy fieble et enferme ,
Si qu'il n'i puet avoir lonc terme .
Ces belles pierres senefient
Les richeces , en quoi se fient
Ceulx qui les ont , qui si les gardent
Qu'en eulx acroistre tous jours ardent .
Moult y ont fichié leur puissance
Et leurs deliz et leur substance ,
Et si ne sont mie les pierres
Precieusez , ançois sont verres ,
Car ellez sont tantost rompuez ,
Et depechïez et fonduez .
Ainsi est il de ces richeces
Et de ces mondaines hauteces ;
Car il semblent estre trop beles ,
Mès de leur nature sont teles
Que il sont tantost despenduez
Ou empirees ou perdues .
Et quant on a tant traveillié
Et tant servi et tant veillié
Que l'en est des biens mondains riche ,
Lors vient la Mort , qui sa dent fiche
Par tout , es gros et es menus ,
Et les rent horriblez et nus .
Beles sont richeces mondaines ,
Mès de trop d'angoissez sont plaines ;
Et les Escriptures divines
Apelent richeces espines ,
Car riches ont trop de meschiez ,
Poignans ens es cuers et es chiez ;
Mès povrez ne le cuident mie
S'il n'ont la richece essaïe .
Richece est par labour aquise ,
Et puis en grant paour possise ,
Et puis lessie a grant tristece .
Moult est le cuer en grant destrece ,
Et moult triste et dolent devient
Quant la mort departir le vient
Des biens mondains ou iert fichiez ;
Aussi tristes en est li chiez .
Tiex aguillons et tiex espinez
Senefient ces crapoudinez
Mucies en ceste couronne ,
Qui si semble estre belle et bonne .
Mès a paine , ce tien de voir ,
Les puet l'en bien apercevoir ,
Pour ce que il sont moult menuez ,
Par dedens closes et cousuez .
L'autre couronne , qui pert male ,
Et orde et vil et lede et sale ,
La grant povreté senefie ,
Qu'ont maint en ceste mortel vie ;
Car povrez gens sont deboutez
Et vil tenus et poy doutez ,
Ne il n'est nul , c'est chose vraie ,
Que se povreté le guerroie ,
Comment qu'il soit de bon lignage
Et ait esté proudoms et sage ,
Puis que povreté le debrise ,
Chascun le het et le desprise .
Tant a povre gent vie amere
Qu'a poy qu'el ne se desespere ,
Si feïst el , ne fust mon pere
Qui reconforte leur misere
Par un espoir qu'il leur envoie
D'avoir après douleur grant joie .
Car s'il vivent en pacience ,
Pour eulx aront bonne sentence :
Quant au grant jugement vendront
Joie pardurable prendront ,
Et si ont tous jours esperance
De venir a meilleur chevance ,
Pour ce que je Fortune grieve
Richez souvent et povrez lieve ;
Et de ce qu'il sont grant couvent
Se reconfortent il souvent
D'un poi de chose , s'on leur donne ,
Moult leur semble grant chose et bonne ,
Et mains qu'aus richez leur couvient ,
Ne ne leur chaut qui va ou vient .
De perdre ne sont mie en doute
Ne de paier la male toute .
Tiex gens qui sont povrez et nuz
De telz confors ainsi menuz
Leur povreté moult entr'oublient ;
Et tiex reconfors senefient
Ices esmeraudeles vertez ,
Dedens la couronne couvertes ,
Qu'a paine nul appercevroit
Se povreté ne l'abevroit .
Aussi dois des roes entendre ,
Dont chascune en a une mendre ,
Et ont contraires mouvemens
Et par divers entendemens .
Celle qui tourne redement
Si senefie vraiement
Aucunez gens qui sont eu monde ,
A qui prosperité habunde
Moult tost et moult soudainement ,
Et ont des biens si largement
Que chascun le tient a mervelle .
Lors vient Envie qui s'esveille
A parler comme ce puet estre
Que tel soit si tost si grant mestre ,
Ou puet estre que Verité ,
Qui se deut quant Iniquité
Est essaucie et avant mise ,
En fait parler en bonne guise
Et plaindre que tiex soit montez
Qui n'a en soi nule bontez
Et qui ne veut ne desert mie
Que la bonne gent bien en die .
Ainsi cil qui est haut montez ,
Soit plain de mal ou de bontez ,
Mainte chose le contrarie
Par verité ou par envie
Ou par grant tristece ou par cure ,
Par maladie ou aventure .
Et ce dit la roe petite ,
Qui contre la grant tous jours lite ;
Car il n'est nul , sachiez sans doute ,
A qui Fortune se doint toute ,
Et s'elle se donnoit entiere ,
Si par est elle si legiere
Que tantost partir s'en vouroit ,
Ne nul tenir ne la pourroit .
Il ne fu oncquez veü nez
Homme qui fust si fortunez
Qu'avecques sa prosperité
N'eüst sa part d'aversité ,
Si comme aucuns qui a deniers
Plains ses coffrez et ses guerniers ,
Mès il est de petis amis ,
Vilain , bastart , ou il a mis
Si cuer et corps en couvoitise
Que chascun le het et desprise ,
Et en acquerre met tel cure
Que son saoul mengier n'endure ,
Ou il acquiert si faitement
Que c'est a son grant dampnement .
Un autre y a qui est gentis ,
Courtoiz , largez et ententis
A honnourer la bonne gent ,
Mès a l'ostel est si egent
Qu'il n'i a si froit come l'astre .
Je ly sui d'un costé marrastre
Et de l'autre part li sui mere .
Ainsi est mellez son affere :
Honnourez est pour sa noblesce ,
Mès povreté dedens le blece ;
Mielx amast estre moine en cloistre
Ou nul nel peüst reconnoistre .
Un autre y a , bel , bien renté ,
Et a femme a sa volenté ,
Mès nul enfant n'en puet avoir
Ne connoist l'oir de son avoir .
Aussi y a aucun , par m'ame ,
Qui beaux enfans et belle fame
A , mès souvent en ot nouvellez
Qui ne li sont bonnez ne bellez .
N'y a prince , roy n'emperiere ,
Tant soit assis haut en chaiere ,
Tant soit noble et de grant puissance ,
A qui tout vienge a sa plaisance ,
Car la petite contreroe
Fait tost noier celi qui noe ;
Et iceste meïsme entente
Puet estre en la grant roe lente ,
Qui senefie cil qui monte
Ou descent a paine et a honte .
Et cesti se gart , je li loe ,
De l'autre mendre contreroe ,
Qui adès ne fait qu'estriver
Pour descloer et desriver
Aucun de la roe deseure ;
C'est le gieu de la chantepleure .
Par ces exemples pues avoir
Entendement de moy savoir .
N'as pas perdue ta geüne ,
Se tu entens bien qu'est Fortune .
Se tu ce que c'est bien savoiez ,
Trop poy d'amour ou monde aroiez ,
Ne n'i querroiez ton eür ,
Car nul estat n'i est seür .
Quel seürté ont richez hommes ,
Qui ont de l'avoir a grans sommes ?
Moult tost leur sont leurs biens ostez :
La Mort leur joint près des costez ,
Si qu'il scevent certainement
Qu'il ne vivront pas longuement .
Et dès ce qu'enfant nest de mere
Il ne fait que mourir et trere
Tantost a la mort de heure en heure ,
Et si tost come il nest il pleure ;
Et pert que Nature li die
Qu'il nest a dure et mortel vie ,
En laquelle haste ses pas .
Il ne fera qu'un brief trespas
En grant labour et en grant paine ,
Dont la fin n'est onquez certaine ,
Si que ceulx ont trop fol desir
Qui mettent leur souvrain plaisir
En temporel richece avoir ,
Et si cuident trop bien avoir ,
Fortunez estre et eüreux ,
Quant il en sont planteüreux ;
Mès je te di pour verité
Que ce n'est pas felicité
De temporel richece avoir ,
Car tu dois entendre et savoir
Que felicité si est plaine
De bien , car c'est bonté souvraine
Qui tout homme fait parfait sire
Qui met paine a tel bien eslire .
Mès richece ne parfait mie
Riches en ceste mortel vie ,
Car de legier richece faut ,
Et si ont riches maint deffaut ,
Comme de santé ou de joie ,
Que ne leur puet donner monnoie .
Et riches en pluseurs païs
Sont pour leur richece haïs ,
Car trop plus sont ceulx qui les donnent
Amez que ceulx qui les reponnent .
Et vraiement Raison repute
Que celi vit en servitute ,
Comme serf et mal fortuné ,
Qui des biens qu'il a aüné
N'ose donner , touchier ne prendre
Ne rien pour son besoing despendre .
En richeces a poy d'eür ,
Fors a cil qui est si meür
Et plain de volenté si bonne
Qu'aux povrez gens foison en donne
Et par pure et vraie pité
En fait euvrez de charité
Et le remanant comme sages
Despent pour soy en bons usages ,
Car autrement nulle richece
N'est fors que meschief et tristece .
Hé , Fauvel , riens plus ne desires
Fors que d'estre eu monde grant sires .
Mès sachiez bien qu'aversité
Vaut mielx que grant prosperité ;
Car prosperité si enyvre
Homme et le fait en deliz vivre
Et le blandist soëf et flate
Tant que li seurvient dame Fate ,
Qui l'a tantost vilment tourné ;
Pour nient s'estoit si aourné .
Ses anemis ne ses amis
Ne connoissoit , mès quant l'a mis
Fortune au bas et jus geté ,
Si qu'il est en grant povreté ,
Lors treuve il ceulx qui l'amoient
Et connoist ceulx qui le haioient ;
Car quant il avoit grant avoir ,
Si bien ne le peüst savoir ;
Et si est verité sans fable
Qu'adversité est prouffitable ,
Car riches vivent en doutance ,
Et povrez en grant esperance
Et croient adès que Fortune
A son tour leur doint grace aucune .
Pour ce en cest monde aventureus
N'est nul qui soit bien eüreus
Fors cil a qui il puet souffire
De tiex biens comme nostre Sire
Li donne en ceste mortel vie ,
Si que Dieu en loe et mercie
Ne plus ne quiert , ains est content ;
Et Diex l'aime , car quant on tent
De jour en jour a plus acquerre ,
L'en vit en douleur et en guerre
Et en mauvaise conscience ;
Car c'est mauvaise diligence
De tant amer le monde amer
Qu'on en laisse Dieu a amer .
Et nul ne puet bien , ce me semble ,
Amer Dieu et le monde ensemble ,
Car il sont de condicions
Contraires ; nepourquant li homs
Qui a richece a grant plenté ,
Mès n'y a pas le cuer enté ,
Ainçois le despent bien et donne
Selon Dieu et largesce bonne ,
Tel povre en esperit riche homme
L'euvangille a eürés nomme .
Fauvel , je t'ai assez leü ,
Ne me chaut s'il t'a despleü .
Par ce qu'ay dit as avantage
De connoistre s'es fol ou sage
Et de savoir queles denrees
Fortune vent , a qui tu bees .
Je sui Fortune , la doutee ,
La tres puissant , la renommee ,
La tres haute , noble et gentille ,
Et sui du tout puissant roy fille ,
En tant com sui par excellence
Proprïeté de son essence ,
Avec ma seur qui tant est belle ,
Que Raison Sapience apele .
Et sommez , c'est bien verité ,
De nature de deïté ,
Si que nous sommez vraiement
Sans fin et sans commencement .
Mès intellectuel regart ,
Non pas roial , se Diex me gart ,
Donne a ma seur soutivement
Une ainsneesce escharsement ,
Ne l'une ne puet sans l'autre estre ;
Assisez sommez a la destre
Du tout puissant roy pardurable ,
Le hault roy du ciel piteable ,
En admirable royauté .
Les angelz de nostre beauté
Et les sains qui ou ciel arrivent
Se merveillent et si s'en vivent ;
Ne peuent assasïez estre
De regarder nous et nostre estre :
Plus nous voient , plus nous remirent ,
Riens que nous veoir ne desirent .
Fauvel , fol es et fol estoiez
Quant tu pensoiez et cuidoiez
Que si com une femme fusse
Et que marïer me deüsse .
Bien estoiez plain de grant rage
Qui pensas si hault mariage .
Bien vousis lever hault t'estrille ,
Qui voulz espouser roial fille .
Tu es malement deceüz ,
Qui a ce t'es si esmeüs .
Se tu bien regardé eüssez
Dont es , dont venis , quel tu fussez ,
Tu n'eüssez ja mès empris
A toy tant essaucier en pris ,
Car tu n'ez fors fiens et ordure ,
Beste de mauvaise nature ,
Qui en toy nourrir toute cure
Mès , et si n'es que pourreture .
Engendrez fus horriblement
Et nourris eu ventre ordement
De la plus vilaine matiere
Que nature peut oncques fere .
Et quant dedens le ventre estoiez ,
Envelopez en ordes toiez ,
Chambre avoiez a grant destrece ;
Nez fus vilment et en tristece ,
Et grant doleur en ot ta mere ,
Et tantost commenças a brere .
C'est nativité moult amere
Qui vient a si tres grant misere .
Or t'a ton orgueil si lïé
Que trestout ce as oublïé .
Fauvel , entent bien sainement ,
Car par toy j'entent proprement
La mauvaistié d'omme et de femme ,
Qui le corps fait dampner et l'ame ,
Et pour le monde decevable
Pert Dieu et tout bien pardurable .
Pense que l'en t'estrille et terde :
Tu n'es que un sac plain de merde ;
Mès orguil si t'a si ravis
Qu'en nul bien ne més ton avis :
Ne te chaut fors de mettre paine
En avoir richece mondaine ,
Ne tu n'en puez estre lassez ,
Et si en as tu plus qu'assez ,
Et moult es eu monde grant mestre
Et faiz chascun avec toy pestre .
Par tout a ta volenté rimez :
Grant temps a que commenças primez
A estre du monde seigneur ,
Mez tu l'es au jour d'ui greigneur ,
Trop plus que ne fus oncques mès .
Tes cousins sont par tout semez ,
Et tes sergans et ta mesnie ,
Et je te seuffre bien tel vie ,
Pour ce que sai le Diex segré ,
Qui par son raisonnable gré
Vuelt que vers la fin de cest monde
Guerres , mal et pechié habunde .
Pour ce que chascun trop se paine
D'avoir excellence mondaine ,
De servir le monde et amer ,
Pour ce y met Diex grant amer ,
Si que ceulx en face sevrer
Qui trop s'en veulent abevrer ,
Par quoy mal et esclandre habunde
Si fort vers la fin de cest monde .
Nepourquant par qui mal vendra
La maudichon de Dieu prendra .
Et aussi te dirai sans pause
Avecques ce une autre clause .
L'auctour de Sex Principes dit
Et Raison pas ne le desdit
Que le monde a nom Macrocosme
Et homme si est Microcosme ,
Et c'est a dire et a entendre
Le monde greigneur et le mendre ,
Dont l'un a l'autre trop ressemble ;
Et c'est en ce , si com me semble ,
Que homme est de quatre qualitez ,
Qui ont entr'eulx adversitez ,
Car l'une a l'autre contrarie ,
N'a que guerre en leur compaignie :
C'est moiste , chaut , sec et froidure .
Chaut et moiste metent leur cure
A garder vie et maintenir ,
Mès le chaut ne se puet tenir
Que sans cesser en toute guise
Ne gast le moiste et amenise ,
Si com l'uile gaste la meche ,
Tant que la lampe devient seche ;
Lors pert la lampe sa lumiere .
Ausi est il en tel maniere
Du chaut naturel qui degaste
Le moiste adès et moult s'en haste .
Le sec aussi le moiste mort ,
Et le froit si n'atent que mort ,
Qui vient plus tost que l'ambleüre .
De ces quatre a formé Nature
Quatre charnex complexions ,
Plaines de grans contentions ,
Dont la premiere est fleumatique ,
Puis sanguine , puis colerique ,
Et la quarte est merancolie .
De ces quatre est humaine vie
Fondee , si comme Nature
Les porpocionne et mesure
Es corps naturelz qui ont amez .
Fleume est aus enfans et aus famez .
Le sanc vient demander sa rente
D'entour .xv. ans jusqu'en tour.xxx.
Et puis après vient dame Cole
Soubz .lx. ans tenir s'escole .
Puis vient tantost Merancolie ,
Qui toute en tristece se lie ,
Par viellesce , qui le joer
Pert , car il sent le terroer .
Et comment que femmes et hommez
Aient pluseurs maulx et grans sommez
Et maint tourment en leur jeunesce ,
Toutes voiez en leur viellesce
Ont il plus par droite raison
De mal et mauvaise saison .
Il deviennent mal gracïeux ,
Roupïeux , roigneux , chacïeux ;
Apostumez et tous et goute
Et maint autre mal les deboute .
Ainsi forment abat tristece
La fin d'omme et femme en viellesce .
Ainsi est il certainement
Du monde tout semblablement ,
Car de quatre elemens contraires
Est fait le monde et ses afaires :
C'est le feu , l'air , l'eve et la terre ,
Entre lesquelz a moult de guerre ,
Car il ont diversez naturez ,
Divers faiz et contraires curez .
Et au premier je te di que
Le monde fut fait flumatique ,
Et les gens qui adonc estoient ,
Pour le fleume , dont moult avoient ,
Estoient trop lours et pesans ,
Endormis , nicez et tesans .
Le monde après sanguin devint ,
Quant David le prophete vint ,
Car adont fu l'engin ouvert
Que le fleume ot devant couvert .
Et lors prist le monde a entendre
Qu'en la Virge char et sanc prendre
Vendroit Diex pour ceulx racheter
Qu'Eve avoit fait pieça mater .
Le monde pot colerique estre
Quant Diex de la Virge vout nestre ,
Et lors fu sec et chaut le monde
Quant cil en qui tout bien abunde
Envoia des cielx la rousee
Qui tant par estoit desiree .
Lors plut la nue de leesce
Qui trempa nostre secheresce .
Mès or est le monde venus
En grant viellesce et devenus
Trestout plain de merancolie ,
Et c'est vers la fin de sa vie .
Merancolie , bien l'os dire ,
Est des complexions la pire :
Elle est de nature terrestre ,
Si qu'elle doit seiche et froide estre ,
Et le monde est froit et sechié ,
Plain de tout mal et de pechié ,
Couveteux , avel et tenant .
En li n'a nul bien maintenant :
Il ne quiert fors qu'aquerre terre ;
Pour ce li sourt meschief et guerre ;
N'a mès en li joie ne feste ,
De toutes pars est en tempeste ;
Et c'est bien raison vraiement ,
Car , se l'Escripture ne ment ,
Les signez perent que près estre
Devon du temps en quoi doit nestre
L'anemi de crestïenté ,
Celi par qui toute plenté
De mal doit ou monde venir
Sur le temps qui devra fenir .
Fauvel , tu es devant venus ,
Les grans galos et les menus ,
Pour appareillier a ton mestre
Les ostiex ou il pourra estre .
Tu es d'Antecrist le courrier ,
Son mesagier et son fourrier .
Bien as son ostel apresté
Et pour l'iver et pour l'esté .
Tu li es trop faitis mesage :
Tu n'ez fait que pour son mesnage
Aler devant appareillier ;
Bien y scés entendre et veillier .
Tu li as tant d'ostels ja quis
Et par tout tant de gens acquis
Qui n'ont foy ne amour ne voir ,
Que je te di sans decevoir
Qu'il est temps que ton mestre viengne .
Tant as peigné de ton beau piegne
Et estrillié de tes estrillez
Qu'il a par tout et filz et filles .
Fauvel , que fussez tu tués ,
Quant a si mal seigneur tu es .
Antecrist si est ton droit sire :
Tu es mauvaiz , et il est pire .
Son garson es et son mesage ,
Et si cuidas par mariage
Espouser Fortune la dame .
Ne sui pas a tel garson fame .
Quant je voudrai , je te ferai
Cheoir , et povre te lairay .
Grant honneur n'ai pas en toi mise
Pour ce que je t'aime ne prise ,
Mès pour la divine ordenance ,
Qui tout fait par juste balance .
Bien est voir qu'un poi regneras
Et ton vouloir granment feras .
Et nepourquant ce dois savoir
Que , maugré qu'en puissez avoir ,
A pluseurs gens de ton lignage
Ferai souvent duel et hontage
Et les ferai vilment descendre ,
Les uns tuer , les autres prendre ,
Les uns aront damage et perte ,
Les autres mourront en poverte .
Maint mal souvent leur feré traire ,
Comment qu'il t'en doie desplere ,
Si que les bons aront grant joie
Quant li mauvaiz iront tel voie .
Nepourquant , beste de fallace ,
Je ne vueil pas qu'aucune grace
De moy au departir n'en portez ,
Puis qu'es entré dedens mes portez .
Vez la Vaine Gloire , la belle ,
La decevante damoiselle ,
Qui les gens soutilment enyvre
Qui veulent en grant estat vivre ,
Et les fait es delis fïer
Pour eulx et leur fin oublïer ,
Et jadis aus .v. folez viergez
Destaint leurs lampez et leurs cierges ,
Car virginité qu'il avoient
Toute a Vaine Gloire ordenoient .
La damoisele Vaine Gloire ,
Qui est brieve et transitoire ,
Donne si doucement a boire
Que l'en en pert toute memoire
De la joie qui tous jours dure .
Moult est de decevant nature
Vaine Gloire , ce m'est avis :
Elle a moult tost les gens ravis
A bouban et outrecuidance ,
Et tout bien , quant elle s'i lance ,
Fait anïenter et perir
Ne ne le seuffre remerir .
Fauvel , ce te sera , par m'ame ,
Trop faitice et trop propre femme ,
Car tu es vain et elle est vaine .
Va , si l'espouse et si l'en maine ,
Car je le vueil et si le loe .
Va , si la pren dessoubz ma roe . »
Lors , quant Fauvel ot ce oÿ ,
Trop durement s'en esjoÿ
Et cuide dont , moult s'en rehaite ,
Qu'a Fortune ait ja sa pès faite .
Droit a Vaine Gloire se lance ,
Le plus beau qu'il pot la fiance ,
Mès ce fu a la main senestre :
Sans bans et sans clerc et sans prestre
A Fauvel sa femme espousee ,
Que Fortune ly a donnee .
Fauvel prent congié et en maine
Vaine Gloire et forment se paine
De lui servir et honnourer .
Tous ses amis sans demourer
A fait a ses noces venir ,
Car trop grant feste vuelt tenir .
Grant joie y ot et grant rigale ,
Toute estoit plaine la grant sale .
Chascun Vaine Gloire regarde ,
Et elle les deçoit et larde
Et les endort en grans delis
De beles chambres et de lis
Et des biens qui fuient come umbre ,
Dont qui plus a plus s'en encombre .
Fauvel et tout son parenté
Eurent de la joie a plenté ;
Et Vaine Gloire ses amis
Avec les gens Fauvel a mis ,
Si qu'ensemble grant feste firent ,
N'onquez puis ne se departirent .
Et Fauvel vit avec sa femme
Et l'ennoura come sa dame ,
Et a tant avec lié geü
Que tant d'enfans a conceü
Que nul n'en pourroit conte rendre ;
Car Fauvel chascun jour engendre
En tous païs Fauveaux nouveaux ,
Qui sont trop pires que louveaux .
Tant est son lignage creü
Qu'onquez si grant ne fut veü :
Bien s'est en cest monde avanciez
Et a partout les siens lanciez .
Mès sus toutez chosez je plain
Le beau jardin de grace plain
Ou Dieu par especïauté
Planta le lis de roiauté
Et y sema par excellence
La france graine et la semence
De la flour de crestïenté ,
Et d'autres flours a grant plenté :
Flour de paix et fleur de justise ,
Fleur de foy et fleur de franchise ,
Flour d'amour et rose espanie
De sens et de chevalerie .
Tel jardin fu a bon jour né
Quant de telz flours fu aourné :
C'est le jardin de douce France .
Hé las ! com c'est grant mescheance
De ce qu'en si tresbeau vergier
S'est venuz Fauvel herbergier .
Ja mès n'ait il ne yex ne dens
Par qui il entra la dedens ,
Car la beste de tout mal plaine
Par le jardin sa fame maine :
Es plus beaux lieux coulent et bolent ,
Les flours abatent et defolent ,
Si qu'il semble , c'est vraie chose ,
Qu'il n'i ait mès ne flour ne rose ,
Ne de foy ne de laiauté .
Hé las ! France , com ta beauté
Va au jour d'ui a grant ruine
Par la mesnie fauveline ,
Qui en tout mal met ses delis .
Hurtee ont si la flour de lis
Fauvel et sa mesnie ensemble
Qu'elle chancele toute et tremble .
Mès le lis de virginité ,
Qui prist en soi la deïté ,
Sauve la fleur de lis de France
Et le jardin tiengne en puissance
Et Fauvel mete en tel prison
Qu'il ne puist faire traïson ,
Si que Diex , le roy de justise ,
Soit honnourez et sainte Eglyse .
Ferrant fina , aussi fera
Fauvel , ja si grant ne sera ,
Car il ne puet pas tous jours vivre .
Ici fine cest second livre ,
Qui fu parfait l'an mil et .iiij.
.ccc. et .x. , sans riens rabatre ,
Trestout droit , si com il me membre ,
Le .vje. jour de decembre .
Ge rues doi .v. boi .v. esse
Le nom et le sournom confesse
De celui qui a fet cest livre .
Diex de cez pechiez le delivre .
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Nous, Guillame de Meirey, cheualier, leutenant de noble home monss, Guillame le Bastard de Poitiers, bailli du contey de Bourgoigne, façons sauoir à touz, que à nous assises qui furent tenues Arbois par nous, commençant le lundy après feste saint Nycholas d’iuers, corrant mil trois cent sexante et onze, estoit journée assignée à Vienet Marchie de Menay, encontre Guillame de Verruelx, jaidix préuost de Menay, sur ce que li dit Guillame li demandoit sexante solz, en nom et à cause d’amende, pour ce qu’il auoit getez son gaige contre Justo Jergon de Menay, qui l’appeloit et aprochoit de paroles et de caux criminez, et ycelluy gaiges li dit Vienet avoit leuez de sa voluntez, senz licence ou auctoritey de justice, laquel chouse il ne pohoit ou deuoit faire; ly dit Vienet respondant que en ce ne en telx caux n’auoit point d’amende, pour ce que li dit gaige n’auoit point esté couuert, et auxi pour ce que ce n’estoit fait en la présence de justice; duquel fait se meirent en droit les dictes parties. Et nous, sur ce [F° lxiii, r°] déliberacion ehue, per le conseil et auis de proudomes et saiges, premier nous informez deligamment de la costume du lieu, auons pronunciez et prononçons par nostre sentence que ou caux et fait dessus dit, ne en telx semblables, n’at ne doit auoir que trois solz d’amende, soit qu’i soit fait en la présence ou en l’absence de justice; et trois solz pour le dit fait auons adiugiez et adiugons au dit Guillame de Verruelx sur le dit Vienet Marchies, et pour tant l’avons assoubz et quictez du dit fait. En tesmoingnaige de véritez nous auons mis nostre seel pendant en ces présentes lettres, faictes et données ès dictes assises, l’an dessus dit. |
Cy gyst frere Jehan de Blaisy docteur en decret abbe de ceste esglise de Saint Saingne en l'an mil CCC IIIIXX XVIII lequel a employe et edification de ceste dite esglise qui trespassa l'an M CCCC XXXIX en may le IIII pries Dieu por luy. |
Sacrosancte Dei eclesie [beatorum] Petri et Pauli Cluniensis, necnon donni Maioli abbatis et ceteris monacis. Ego Archibertus dono vobis de res meas qui sunt sitas in pago Matisconense, in agro Fuciacense, in villa Bulon, pro remedium ani[me] mee, unum canpum; a mane terra Proa, a medio die terra Arlebal et Ugoso, a siro terra, a cersio Sancti Joannis. Infra isto terminio, tale parte vobis dono; et faciunt rectores quiquid facere volueris. Si quis vero contradixerit, auri uncia II conponat, et firma permanead, constipulacione sumnixa. S. Donmelmo, qui consensit. S. Raimbal. S. Ernerius. S. Pascale. S. Constabulus. S. Giroldus. S. Constancius. Data per manu Durannus, sub die mercoris, sesto et X kal. genoaris, annos III regnante Ugono rege. |
Texte établi d’après a. Splendida terrarum lux Heinrich*, gloria regum, / suscipe conscriptum pura quem mente libellum / ultima servorum Bern* fert persona tuorum. / Qui, licet indignus, tibi fidus semper alumnus, / obsequio pronus, devoto corde benignus, / dum viget atque valet, sano dum corpore vivit. / |
«Actum est hoc anno Domini M°. CC°. XXX°. primo.» |
Ego Hugo dux Burgundie, notum esse volo tam futuris quam presentibus quod adversus Stephanum, episcopum Eduensem, de castrorum suorum Thoisiaci et Tullionis firmitatibus querelam habui, nullam movemus querelam de ipsis castris que episcopi Eduensis propria esse, sine ulla calumpnia et contradictione, dignoscuntur. Omnem vero querelam quam de illorum castrorum firmitatibus adversus eum habebam ex toto quittavi ipsasque firmitates supradicto episcopo et successoribus suis imperpetuum paciffice habendas concessi atque laudavi. Hujus rei testes sunt, ex parte episcopi: Arcelinus abbas Raigniaci, Guido archidiaconus Avalonensis, Guido de Verreriis, Regnaudus de Megniaco, Robertus de Clameriaco; ex parte mea: Ansericus de Monte Regali, Ansericus ejus filius, Girardus de Rehunz, Regnaudus de Edua. Hoc idem concesserunt et laudaverunt [Aalis] ducissa uxor mea et Odo filius meus, audientibus hiis, qui subscripti sunt. Actum anno incarnati verbi Mº Cº LXXIIº. |
Anno Domini millesimo ducentesimo trigesimo, in capitulo generali quod celebratur in crastino nativitatis beati Iohannis Baptiste, nos Anselinus decanus et capitulum Eduense, de assensu communi constituimus quod si aliquis canonicus suo concanonico de fructu prebende sue injuriam fecerit, et propter hoc ad querimoniam injuriati dies a capitulo fuerit assignata, prima die sine delatione injuriator ad objecta conquerenti respondebit. Item, constituimus quod nullus canonicus homines ecclesie in causam trahat coram alio judice, quandiu poterit jus suum consequi, quam coram terrariis de quorum balliva homines illi fuerint, vel etiam coram capitulo. Item, constituimus quod camerarius bis in anno computet, videlicet die veneris post Dominicam qua cantatur Ad te levavi, et die veneris ante Nativitatem sancti Iohannis Baptiste, et canonici tantum qui tunc presentes erunt ad compotum, qui scilicet possunt et debent interesse, percipiet unusquisque tres solidos, ita tamen quod illi qui ante compotum a civitate recesserunt et illi qui post compotum advenerunt similiter habebunt quisque tres solidos. Item, innovamus ne canonicus eat ad parvum conventum nisi propter septimanam faciendam quoniam ibi non faceret residentiam nec haberet distributionem; si vero canonicus infirmatur, quandiu morabitur in domo sua percipiet integre distributionem, et postquam exierit domum suam ibit ad quam voluerit de duabus ecclesiis, et si non poterit propter infirmitatem sustinere laborem chori, sedeat in ecclesia ubi sibi placuerit quandiu hora distributionis celebrabitur et habebit distributionem sicuti alii canonici, sin autem nihil habebit. Item, innovamus quod ille qui de cetero capiet baculum anni novi nihil penitus habebit de bursa capituli. Si quis autem contra hec venire presumpserit, donec resipiscat ab omnibus evitabitur et ad nullos actus canoniales recipietur. Iste constitutiones sive innovationes teneantur et vigorem habeant donec capitulum de communi assensu in capitulo generali sancti Iohannis Baptiste aliter voluerit ordinare, et ad hoc confirmandum et testificandum presenti scripto sigillum nostrum fecimus apponi. |
In nomine sancte et individue Trinitatis amen. Ego Ludovicus, Dei gratia Francorum rex. Regie potestatis interest et majestatis ejus incumbit officio ecclesiam sanctam in suis dotibus stabili et inconcusso jure servare eamque solita munificentia donativis amplioribus munerare et ditare. Eapropter ecclesiam sancti Benedicti patris Floriacensis volentes in majus extollere, tum quia eam majorum nostrorum nobilitas privilegiorum magnorum prerogativa liberaliter extulit, tum quia nos Macharius abbas officiosa sedulitate coluit et dilexit, communicamus abbati predicto ejusque posteris abbatibus fratribusque loci pretaxati, partitisque omnibus equa parte redditibus, castellum Molineti cum omnibus appendiciis, emolumentis et proventibus suis, nihil nobis singulariter sine abbatis et ecclesie illius communione vindicantes sive retentantes. Quod nimirum castellum a Roberto, rerum fiscalium commutatione facta dataque pecunia numerosa, sub plurium testimonio comparavimus, et ut ibi abbas non gratia tantum sed jure quoque aliquid possideret, quingentas libras prefato Roberto in hac coemptione persolvit. Erant quippe in Molineto et appendiciis plurima que, ut annosi homines et ecclesie monimenta testabantur, ad jus ejus ab antiquo pertinere videbantur. His itaque de causis facta nobis est et abbati predicto contractus hujus stabilis communio et rerum omnium pari lance equa divisio. Una tantum domus, que Dungio vulgariter dicitur, nostra proprie et singulariter erit, ad cujus custodiam vel reparationem nihil abbas de suo cogetur expendere. Porro si guerra nobis aliqua ex parte insurrexerit, que ibi milites aut clientes ad oppidi custodiam vel tutelam postulet demorari, nihil abbas pro parte sua in eorum procuratione dependet, nec aliud scrivitium ecclesia faciet occasione guerre quam quod solebat facere ante Molineti emptionem; permanebitque castellum inter nos commune et sine certarum partium assignatione nisi ex beneplacito abbatis et capituli fiat. Verum quoniam de appendiciis Molineti facta est mentio, ut breviter et succincte fere omnia complectamur, hec sunt: Curtis Romaneria, Curtis Audoeni, nemus sancti Petri, Mons Breme, Galamandria. Que omnia ut rata sint et in posterum inconcussa permaneant, sigilli mei auctoritate communiri et nominis nostri caractere consignari precepimus. Actum publice Parisiis, anno ab incarnatione Domini M°C°L°VII°, anno vero regni nostri XXVI°, astantibus in palatio nostro quorum nomina subtitulata sunt et signa. Signum comitis Theobaudi, dapiferi nostri. S. Guidonis buticularii. S. Mathei camerarii. S. Mathei constabularii. Data per manum Hugonis (monogramma) cancellarii. |
In nomine sancte et individue Trinitatis Patris et Filii et Spiritus Sancti, amen. Noverint universi et singuli presentes licteras seu presens publicum instrumentum inspecturi, quod cum de anno presenti currente, millesimo quadringentesimo sexagesimo secundo, indicione decima, die vero vicesima mensis Jullii, pontificatus sanctissimi in Christo patris et domini nostri domini Pii divina providencia pape secundi anno quarto, monasterium Sancti Martini extra muros Eduenses, Ordinis Sancti Benedicti, ad Romanam Ecclesiam nullo medio pertinens, per obitum quondam domini Johannis Parvi Johannis, ultimi illius monasterii abbatis, vacaverit et fuerit abbatis solacio destitutum, corpore ipsius abbatis dicta die ecclesiastice tradito sepulture, illiusque exequiis venerabiliter et debite celebratis, venerabiles et religiosi viri frater Johannes du Verne, prior major, ceterique fratres et monachi tunc presentes et capitulum seu conventum facientes de provisione dicti monasterii et electione futuri abbatis diem dare presencium videlicet secundam mensis Augusti anni predicti cum continuacione sequencium dierum, si opus foret, ad eligendum et providendum de futuro abbate, statuerunt et prefixerunt licterasque citatorias ad citandum et vocandum absentes priores a monasterio dependentes aliosque electioni abbatis hujusmodi tam de jure quam de consuetudine interesse debentes decreverunt, ipsosque absentes ad dictam diem citari et evocari fecerunt, prout de hiis constare potest per publica instrumenta manibus notariorum publicorum confecta. Adveniente igitur dicta die secunda mensis Augusti, congregatisque omnibus qui electioni hujusmodi interesse poterant et debebant, decantata devote et solemniter missa Sancti Spiritus in qua omnes dicti conventus fratres qui ipsa die missam non celebraverant receperunt Eucaristie sacramentum, demtis duobus infirmis in suis cellis existentibus et non valentibus dicte misse interesse et uno quem propter certam indisposicionem ex consilio majorum ipsa die non convocaverunt, decantato hymno Veni Creator Spiritus ad sonum campane, ut moris est, aliisque de jure requisitis observatis, capitulum seu locum capitularem dicti monasterii processionaliter et devote ingressi fuerunt: videlicet fratres, etc. Quibus ibidem congregatis vocatisque et acersitis secum pro directore et consiliario venerabili et egregio viro magistro Thoma Laplotte, decano Autissiodorensi, in utroque jure licentiato, nobisque notariis et testibus infrascriptis, propositoque verbo Dei et caritiva monicione facta de modo eligendi per prefatum dominum decanum, supradictus prior major vice, sua et omnium et singulorum de conventu, monuit omnes et singulos excommunicatos, suspensos et interdictos et quoscumque alios, si qui forsitan inter eos essent, qui de jure vel de consuetudine dicto electionis negocio interesse non deberent, quod de dicto capitulo recederent, alios eligere libere permictentes, protestans quod non erat sua nec aliorum intencio tales admictere tanquam jus in electione habentes, quodque talium voces, si qui reperirentur interfuisse, postmodum nulli prestarent suffragium nec offerrent alicui nocimentum, sed prorsus pro non receptis et pro non habitis haberentur. Quibus monicione et protestacione sic factis, prefatus prior major in dicti subprioris et dictus subprior omnesque alii et singuli fratres supradicti in ipsius prioris majoris manibus corporale juramentum prestiterunt de eligendo in abbatem dicti monasterii illum quem quilibet ipsorum crederet ecclesie seu monasterio in spiritualibus et temporalibus utiliorem, nec illi vocem dare quem verissimiliter sciret precio, promissione aut dacione alicujus rei temporalis per se vel alium pro se electionem procurasse. Postea vero propositis per prefatum dominum decanum variis viis et formis per quas ad electionem deveniri posset, videlicet Sancti Spiritus seu communis inspiracionis, compromissi et scrutinii viis aliaque media quam partim ex scrutinio et partim ex compromisso doctores vocant, placuit ipsis fratribus et religiosis omnibus et singulis experiri si per viam communis inspiracionis hujusmodi electionis negocium adimplere possent cum protestacione de recurrendo ad alias si per eam negocium ipsum non adimpleretur. Tunc surrexit frater Franciscus Célérier, supranominatus. Surgens de medio dixit: «In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, ego eligo et nomino in abbatem hujus monasterii fratrem Johannem de Cussigneyo priorem de Bragneyo» suprascriptum; ad cujus vocem quamplurimi ex ipsis fratribus surrexerunt dicentes quilibet «et ego pariter;» sed frater Ferricus de Luziaco, subprior predictus, surgens dixit: «et ego eligo abbatem monasterii Flavigniaci»; et sic interrupta fuit via illa. Postea vero tractantes quam ex aliis viis sequi et tenere vellent, tandem placuit eis viam illam communem que partim ex scrutinio et partim ex compromisso est eligere, nominaveruntque ex eorum unanimi consensu supradictos religiosos fratres Johannem du Verne, priorem majorem, Guillelmum de Corvolio, de Commaigniaco, et Michaelem Musseti, Sancti Augustini, Nivernensis diocesis prioratuum priores, quibus plenam generalem et liberam potestatem dederunt ut ipsi, secreto et sigillatim voluntatibus omnium requisitis et scructatis ac eis in scriptis redactis, illum in quem major et sanior pars dicti conventus consentiret eligere tenerentur. Quiquidem tres compromissarii seu scrutatores potestatem sibi traditam acceptantes et in partem juxta dictum locum capitularem secedentes, vocatisque secum domino decano suprascripto nobisque notariis et testibus, primo ad invicem vota sua scrutati sunt: videlicet Guillelmus de Corvolio et Michael Musseti prefati predictum fratrem Johannem du Verne, priorem majorem, juramentum per ipsum et singulos eorum nuper prestitum ad memoriam reducendo, adjurando eum per Patrem et Filium et Spiritum Sanctum, in anime sue periculum, ut secundum Deum et conscienciam suam in illum dirigeret votum suum quem dicto monasterio magis utilem et magis ydoneum reputaret. Ipse autem taliter adjuratus consensit et votum suum direxit in persona reverendissimi in Christo patris et domini domini Johannis, miseracione divina tituli sancti Stephani in Celio monte sacrosancte Romane Ecclesie presbiteri cardinalis, episcopi Eduensis, dicens in hunc modum: «ego fr. Johannes du Verne, prior major hujus monasterii, consideratis necessitatibus urgentibus quibus monasterium ipsum tam in spiritualibus quam in temporalibus nunc subjicitur et premitur, a quibus comode relevari non potest nisi per magne circonspectionis virum, potentem in spiritualium et temporalium rerum administracione, in judicio anime mee credo reverendissimum dominum cardinalem Eduensem ad hoc esse propiciorem et utiliorem, eumque nomino et postulo humiliter supplicans sanctissimo domino nostro pape quod huic postulacioni mee annuendo hujus monasterii regimen et administracionem in eisdem spiritualibus et temporalibus ipsi reverendissimo domino cardinali quoad vixerit commictere illudque sibi commendare dignetur.» Et subsequenter ipse frater Johannes, prior major, et frater Michael Musseti predicti, fratrem Guillelmum de Corvolio, et deinde ipse frater Guillelmus de Corvolio et prior major dictum fratrem Michaelem Musseti, sigillatim et particulariter ut prefatum priorem majorem in animarum suarum periculum adjurantes scrutati sunt in quem quilibet ipsorum dirigeret votum suum, quorum quilibet sigillatim et particulariter votum suum direxit in prefatum reverendissimum dominum cardinalem, eumque nominavit et postulavit, sanctissimo domino nostro pape supplicando et verba eadem seu similia in effectu proferendo prout dixerat et fecerat predictus prior major. Postea vero absque ullo intervallo prefati tres scructatores et compromissarii ad scrutinum aliorum secrete et sigillatim, nobis semper notariis et testibus presentibus, processerunt, votum cujuslibet per ordinem quo superius descripti sunt scrutati sunt et exquisierunt, scructatisque sigillatim singulis et eorum votis in scriptis redactis, prefati tres compromissarii et scructatores una cum domino decano et nobis notariis ac testibus sepedictis ad cellas fratrum Roberti Guillemere, prioris de Thilio, et Claudii de Voille, sacriste, tunc infirmorum et egrotancium, personaliter accesserunt et cujuslibet eorum vota et sigillatim exquisierunt et in scriptis reddigi fecerunt. Quibus sic peractis, juxta dictum capitulum revertentes in locum in quo se ad partem traxerant pervenerunt, ibique collacionem numeri facientes compererunt decem et novem ex eligentibus, ipsi computatis dictis tribus scructatoribus, in prefatum reverendissimum dominum cardinalem Eduensem ac novem ex reliquis eligentibus in venerabilem et religiosum virum fratrem Johannem de Cussigneyo, priorem de Bragneyo, Eduensis diocesis, predictum Ordinem ipsum expresse professum, presbiterum, de legitimo matrimonio et nobili genere procreatum, in decretis licentiatum, unum autem in religiosum virum fratrem Claudium de Voille, ejusdem monasterii sacristam, vota sua direxisse. Ipsi vero fratres Johannes de Cussigneyo et Claudius de Voille, mox et illico, non ad alia divertendo, ad prefatum reverendissimum dominum cardinalem cum omnibus suis votis accesserunt, ipsum in pastorem, rectorem et administratorem ejusdem monasterii postulando. Quiquidem compromissarii seu scrutatores cum prenominato domino decano ac nobis notariis et testibus dictum locum capitularem intrantes, in quo congregati erant reliqui eligentes, duobus infirmis exceptis, nec inde dicesserant seu ad alia diverterant, premissa omnia ut premictitur acta narrarunt et retulerunt. Prefatus quoque prior major, unus ex scructatoribus predictis, vice sua et suorum in hac parte collegarum seu sociorum, vice eciam tocius dicti conventus, prefatum reverendissimum dominum cardinalem postulavit in abbatem seu administratorem dicti monasterii, prout in quadam cedula quam in suis tenebat manibus et quam alta et intelligibili voce coram omnibus de verbo ad verbum legit plenius continetur; cujusquidem cedule tenor sequitur, in hunc modum. |
1 De visitatoribus et visitandis quaestio habita est in generali Capitulo in eo praecipue quod forma super hoc facta, necessarie ut scripta est, observetur. Auctoritate Capituli generalis districte visitatoribus praecipitur et visitandis quatenus a forma a praedecessoribus nostris posita nullatenus ab aliquo devietur, illud praecipue admonentes ut visitatores, qui forma gregis esse debent, cautius agant, et in victualibus parcius sibi faciant ministrari, nec de facili in infirmitoriis ingrediantur, ne discipulorum animi qui de praesentia eorum aedificari et radicari in pace debuerant, viso pravo pastoris exemplo a propositi sui rigore tepescant. 2 Similiter et de visitandis districte praecipitur quod si in capitulo de suis victualibus coram visitatore aliquam proposuerint quaestionem, eadem die in pane et aqua ieiunent, et coram omnibus verberentur, quia non decet monachos, praepositis necessitatibus corporum, minus intendere necessitatibus animarum. Quae vero circa huiusmodi proponenda sunt, extra capitulum cum reverentia proponantur ; haec in forma visitationis scribantur. 3 Sententia quae anno praeterito lata est de fugitivis qui de rebus monasterii aliquid furto abstulerint, temperatur hoc modo, quod in providentia abbatis sit et fratrum sanioris consilii, moderato tamen rigore Ordinis et meritis personarum. 4 Si data fuerit eleemosyna vel cuilibet aedificio aut emptioni terrarum a donante proprie assignata, sine culpa et transgressione aliqua pro voluntate et consilio abbatis, ad usus magis necessarios transferatur. 5 Domino Jocelino Glasguensi episcopo et domino Jordani cardinali conceditur plenarie officium in obitu suo per universum Ordinem. 6 Canonici et fratres de Marmant scribantur in commemoratione familiarium nostrorum, quae duodecim calendas decembris anniversaliter celebratur. 7 Episcopo Cenomanensi, episcopo Parmensi, abbati de Vecellis et dominae Imperatrici, Gualtero capicerio Carnotensi, conceditur per totum Ordinem sicut uni ex nobis, cum auditus fuerit eorum obitus in generali Capitulo. 8 Pro episcopo Carnotensi, pro pincerna Silvanectensi, et multis aliis pro quibus rogati sumus, iniungitur : una missa de Spiritu Sancto singulis sacerdotibus per totum Ordinem celebranda ; prima collecta *Deus qui corda fidelium*, secunda *Deus qui caritatis dona*. 9 Pro Marchione et domino Richardo et aliis defunctis, pro quibus rogati sumus et omnibus fidelibus defunctis, missa una supra viginti dicatur ab universis sacerdotibus Ordinis. Collecta *Fidelium Deus*. 10 Monachus vel conversus, qui per inquietationem suam licentiam extorserit quocumque ire sine utilitate domus, quod fieri non licet, sicut pridem praeceptum est, a Capitulo generali, ille talis non bibat nisi aquam donec ad propria revertatur. 11 Abstinentia sextae feriae in Quadragesima sic teneatur sicut pridem statutum est, ita sane ut si qua facienda est indulgentia, nec pro festo, nec pro alia occasione plus quam tribus sextis feriis usquam fiat ab aliquo per totam quadragesimam. 12 Si contigerit mulieres abbatiam nostri Ordinis ex consensu intrare, ipse abbas a patre abbate deponatur absque retractatione, et quicumque eas sine conscientia abbatis introduxerit, de domo eiiciatur non reversurus, nisi per generale Capitulum ; et quoquo modo intraverint, excepto dedicationis tempore, quamdiu ibi fuerint, divina in eodem loco non celebrentur. 13 Festum sancti Iuliani Cenomanensis episcopi facient cum duodecim lectionibus omnes abbatiae quae sunt in Cenomanensi episcopatu, et per universum Ordinem commemoratio eius fiat quinto calendas februarii post commemorationem sanctae Agnetis. Collecta *Da quaesumus, omnipotens Deus, ut beati Iuliani confessoris tui atque pontificis veneranda solemnitas*. 14 Septem psalmi qui feria sexta post capitulum dicebantur, et collecta *Ecclesiae tuae* de cetero omittantur ; sed orationes aliae teneantur. 15 Abbas de Sacramoenia quia se Divioni Domino cisterciensi, sicut definitum fuit anno praeterito non praesentavit, ab abbate tamen Scalae-Dei sicut asserit non bene quae nunciabat intelligenter deceptus, duobus sextis feriis ieiunet in pane et aqua. 16 Abbas de Novavalle qui iam multis annis non venit ad Capitulum quadraginta diebus sit extra stallum suum, sex diebus in levi culpa, uno eorum in pane et aqua, et ad sequens Capitulum veniat, omni occasione remota. 17 Domino papae scribatur pro eo quod Gregorius cardinalis tituli Sancti Angeli ab abbatibus Ordinis nostri novas exigit exactiones, et in nostro Ordine prius non auditas. Abbates vero qui dederint ei pecuniam, tribus diebus sint in levi culpa, uno eorum in pane et aqua ; de cetero omnimodis caveatur. 18 Abbas de Vallibus in Ornaus qui sustinuit mulieres in domo sua venire ad oblationem, et earum suscepit oblationes, sex diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua, et quadraginta diebus sit extra stallum suum. Abbas vero de Crista de introductione mulierum per excommunicationem veritatem inquirat, et quos culpabiles in hoc repererit, gravi culpae subiiciat, et sint ultimi per annum. 19 Abbas de Salem, qui in oratorio suo mortuam sepelivit, sex diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua, et quadraginta diebus extra stallum suum, et de cetero nullus contra decretum Ordinis istud facere praesumat. 20 Dominus abbas Cistercii et dominus abbas de Firmitate diligenter inquirant qui fuerint causa turbationis apud Fulleium factae, et quos culpabiles invenerint de domo illa eiiciant non reversuros nisi per generale Capitulum, et in domibus ubi recepti fuerint tribus diebus sint in gravi culpa, et ultimi per annum. 21 Conversus de Pipuelle qui lapides et baculos pugnantibus ministravit, omni sexta feria sit in pane et aqua, donec veniat in domum suam et ibidem tribus diebus sit in gravi culpa et ultimus per annum, nec de cetero equitet cum abbate. 22 Abbas Sancti-Martini, qui pileo usus est, et in villa pro curatione sua nimiam moram fecit, sex diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua, et quadraginta diebus extra stallum suum. 23 Abbatibus Savignei et de Prato committitur ut diligenter inquirant utrum domus de Gamages sufficientes possessiones habeat ad tenendum ibidem ordinate conventum, et quod invenerit sequenti Capitulo renunciet. 24 Abbas de Gimondo, quia sigillum suum litteris alienis minus discrete apposuit, tribus diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua et quadraginta diebus extra stallum suum. 25 Abbas de Cassileio, cuius negligentia accidit, quod domus eius hoc anno non fuit visitata, sex diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua ; et eamdem poenitentiam agant quicumque domos suas non visitaverint, vel aliis non iniunxerint, sive qui iniunctam non fecerint. 26 De monacho de Chiminone revocando committitur abbati Trium Fontium. 27 Monachus de Bonalde, qui cum in extremis ageret, poenitentia ductus, cum promissione et propositio revertendi ad Ordinem se fecit in grangiam deferri, ibique defunctus est, ex indulgentia Capituli in abbatia sepeliatur. 28 Abbates Novi-Castri et de Sturcelbrune, quia mulieres abbatiam violenter ingressas ad oblationem susceperunt, sex diebus sint in levi culpa, uno eorum in pane et aqua, et quadraginta diebus extra stallum suum. 29 De Bisanto quod censualiter haeredibus Gratatis de Pissiaco solvitur, abbatibus Ursicampi et de Valle Sanctae Mariae, quomodo persolvi possit, committitur ordinandum. 30 Abbas de Lucheio, qui sicut testatur ipse, mediante familiari suo pro Marchione fidei iussit, tribus diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua. 31 Abbates qui apud Albam Ripam chorum non ingressi, cum de vigiliis remansissent, post laudes benedictionem acceperunt, uno die ieiunent in pane et aqua. 32 Abbas Boni Fontis qui filiam suam de Perignac iam multis annis non visitavit, tribus diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua. 33 Abbas Fontis Morigniaci qui contra dominum Cistercii nimis proterve locutus est, et sustinuit in grangia vinum ad brocam venumdari et de quibusdam aliis proclamatus est, Claramvallem eat et ibi stet ad arbitrium domini abbatis Claraevallensis. 34 Abbas de Rupibus, qui sustinuit mulieres domum suam ingredi, sex diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua, et quadraginta diebus extra stallum suum. 35 Conversi Regniaci qui in distribuenda avena mensuram et mensuram habent, et amplius dant Claraevallensibus quam aliis fratribus Ordinis, tribus sextis feriis ieiunent in pane et aqua, et dominus Claraevallis ad suggestionem abbatis Regniaci hanc illis poenitentiam iniungat. 36 Abbas Prulliaci quia domino Cistercii in verbis suis minorem reverentiam quam deceret exhibuit, et minus obediens exsistit, pro saecularibus etiam contra formam Ordinis *fideiussit,* sex diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua, et quadraginta diebus extra stallum suum. 37 Abbas Trium Fontium qui patri abbati inobediens fuit, tribus diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua. 38 Scribatur domino Ottoni, comiti Burgundiae super indebitis exactionibus quas a domibus Ordinis nostri nititur extorquere. 39 Scribatur etiam domino Imperatori cum reverentia, et precibus, quatenus fratrem suum super hoc admonere dignetur. Abbates de Villers et de Uterina-Valle hoc mandatum exequantur. Interdicimus vero ex parte Ordinis ut nullus eidem comiti huiusmodi solvendis exactionibus obedire praesumat. 40 Scribatur domino regi Franciae pro quodam monacho Eustachio nomine, egresso de Gardo, qui quamdam grangiam eiusdem loci per se et per alios saeculares manibus violentis occupavit, quatenus ipse fortiter per praepositum Ambianensem tam ab hoc, quam ab aliis malefactoribus regia potestate protegat et defendat. Abbas vero Caroliloci ad dominum regem propter hoc eat, et idipsum infra quindecim dies exequatur. 41 Iniungitur abbati de Eveca quatenus abbatiam de Hilaria in *propria* persona adeat, et per excommunicationis sententiam diligenter inquirat, per quem sive per quos constitit mulieres eamdem intrasse abbatiam in Coena Domini et communicasse, et sexta feria et sequenti sabbato, et in die S. Paschae. Illos autem quos deprehenderit esse culpabiles, gravi culpae subiiciat, et ultimi sint per annum, abbatiam autem ipsam ad formam et statum Ordinis restituat, aut si implere non poterit, destituat. 42 Querela quae vertitur inter abbatem Morimundi et de Crista committitur abbatibus de Caroloco et de Belloloco, de Sancto-Benedicto et de Prato, compositione vel iudicio terminanda. Si qui vero eorum iudicio vel compositioni praesumptuosa temeritate duxerint obviandum, de domo propria penitus expellantur, non nisi per Capitulum generale reversuri. 43 Praecipitur abbatibus qui secum adduxerunt duos garciones vel plures ad Capitulum contra Ordinis instituta, in domo de Firmitate, de Pontigniaco, de Claravalle et de Morimundo, vel in domibus quae infra istas sunt, tribus diebus sint in levi culpa, uno eorum in pane et aqua, et conversi eorum septem sextis feriis ieiunent in pane et aqua. 44 Abbates Boniradii, de Rupibus, de Benedictione-Dei, quoniam ad praesens Capitulum non venerunt, nec miserunt, observent plenius sententiam quae super hoc in Usibus continetur. Abbas de Pontigniaco nuntiet abbatibus Boniradii et de Rupibus. Abbas Trium-Fontium nuntiet abbati de Benedictione-Dei. 45 Iniungitur abbatibus de Bergis et de Carocampo in Frisia, qualiter accedant ad nobilem virum comitem Gueldrensem et inquisita diligentius veritate et devotione eius de abbatia construenda, considerato etiam statu loci quem offerre disponit, sequenti Capitulo renuntient ; ad rem certam quid facto opus sit. 46 Abbates de Locedio, et de Columba, diligenter inquirant de reaedificanda filia Claraevallis, et sequenti Capitulo renuntient. 47 Abbas de Berdona, qui contra generalis Capituli instituta, iura episcopalia Auxitanae ecclesiae in professionibus canonicorum et aliis *quam plurimis* usurpavit, deponitur in instanti et auctoritate Capituli praecipitur ei ut electioni et administrationi iam dictae sedis penitus renuntiet, et usque ad instans festum sancti Andreae Morimundum veniat, conversaturus ibi secundum voluntatem abbatis et Ordinis disciplinam. Quod si in aliquo huic nostro mandato duxerit resistendum, a societate Ordinis eum eiicimus tanquam fugitivum. 48 Abbates de Camberone, de Dunis, de Fonte-Frigido, de Elnis, quoniam ad praesens Capitulum non venerunt, sex diebus sint in levi culpa, uno eorum in pane et aqua, et ad sequens Capitulum sine excusatione alia veniant super hoc veniam petituri, similiter et causam detentionis suae Capitulo plenius intimantes. Abbates de Claromaresco et de Capella nuntient abbatibus de Camberone et de Dunis. 49 Abbas Vallismagnae abbati de Fonte-Frigido ; abbas Grandisylvae nuntiet abbati de Elnis. 50 Committitur abbatibus de Prato et de Fresmunt quominus ad Gardum veniant infra decem dies, et fratrem Guidonem monachum, in quantum poterint, auctoritate Ordinis, moneant et inducant ut infra quindecim dies post admonitionem suam, eat Ursicampum ad consilium et voluntatem domini abbatis de Ursicampo, se de cetero habiturus. Quod si facere contempserit, quamdiu in ipsa abbatia aut in grangiis eius contra praesens mandatum manserit, divina officia in ipsa abbatia auctoritate generalis Capituli prohibeant celebrari. 51 De monacho de Persenia qui cum esset in saeculo et celebraret ut sacerdos, cum tantum esset subdiaconus, praecipitur ut si reverti voluerit, pro tanti sacrilegii perpetratione huiusmodi poenitentiam sustinebit ; 52 De cetero ad sacras ordinationes non promovebitur, omni sexta feria usque ad septem annos in pane et aqua sustinebit, nec ministrabit in subdiaconatus ordine, nisi post peractam septennem poenitentiam, ultimus in eo loco in quo ingressus fuerit permansurus. 53 Abbas de Fiterio qui anno praeterito non venit ad Capitulum, nec misit, nec per litteras excusavit, tribus diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua. De capitulis autem illis quae a patre suo in praesenti Capitulo adversus eum proposita sunt : committitur abbatibus de Berdona et de Vallebona ut accedant ad locum nominatum, et inquisita super eisdem capitulis diligentius veritate prout eis constiterit, abbati de Morimundo renuntient, qui generalis Capituli fultus auctoritate, quod corrigendum invenerit digne corripiat et castiget. 54 Duci Poloniae rescribatur quod petitio sua de non destruenda abbatia de Landes conceditur ei. 55 Abbas de Cicador qui abbatem de Signi de suspicionibus minus caute in generali capitulo accusavit, sex diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua. 56 Abbas de Lucella qui de mapula saepe admonitus et eam abbati de Capella, qui eam ut suam expetit, reddere contradicit, usque ad festum Omnium Sanctorum sine contradictione aliqua vel de ipsa vel de alia aequipollenti eidem abbati satisfaciat ; quia vero nimis proterve coram domino Cistercii in Capitulo super hoc respondit, sex diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua. 57 Abbas de Fonte-Frigido revocet conversum suum ante Nativitatem Domini, quem commodaverat domino Gregorio cardinali, et sequenti Capitulo veniat super hoc veniam petiturus. 58 Abbas de Furnais qui patri abbati inobediens fuit de monacho quem recipere contradixit, tribus diebus sit in levi culpa, uno eorum in pane et aqua, et monachum illum recipiat ; quia vero quosdam monachos et conversos huic facto rebelles audivimus extitisse, iniungitur abbati de Savigniaco ut ad locum ipsum accedat, et super hoc diligentius inquisita veritate et cognita, sicut viderit expedire digne corripiat et castiget. 59 Quaestio quae vertitur inter abbates Longivadi et de Moris super uno calice, committitur abbatibus de Rippatorio et de Albaripa auctoritate Capituli generalis iudicio vel compositione terminanda. 60 De exactionibus illis, quae pro domo Divione inchoata solvuntur, statutum est firmiter observari, ut qui eas adhuc non exsolvit, ipsas de cetero solvere nullatenus compellatur, quia simplicitati Ordinis nostri videtur plurimum contraire, ut Ordo qui hactenus liber extitit, huiusmodi servitutis laqueis innodetur. 61 Dominus abbas Claraevallis et qui ei in hoc consilio astiterunt, tribus diebus sint in levi culpa, uno eorum in pane et aqua. Quia vero iam dictae domui aliquid propria obtulerunt voluntate, huiusmodi oblationes nullatenus recipere prohibemus. 62 Quaestio quae vertitur inter monachos de Cerisi et abbatem de Mortuomari super decimis, committitur abbatibus de Sancto-Andrea et de Briostes auctoritate Capituli terminanda. 63 Monachus de Burnebarch qui dum teneret hominem et inter manus eius ab inimicis suis est occisus, amodo in subdiaconatus ordine nisi de licentia Summi Pontificis non ministret. 64 Abbas de Morimundo qui carrucam habet in quadam villa et omnes alii qui in culpa simili detinentur, tribus diebus sint in levi culpa, et ne amodo istud vel ab ipso vel ab alio praesumatur, firmiter prohibemus. 65 Abbas de Charitate qui novis exactionibus animalia sua sub obtentu novi census centum librarum redemit cuiusdam comitis, et per hoc Ordinem nostrum novae quodammodo videtur subiicere servituti, eat in Bellam vallem, et ibi stet arbitrio domini abbatis Bellaevallis. 66 Querela Miraevallis et de Cumbremara sicut delegatis abbatibus est terminata, sic a Capitulo confirmetur, et instrumenta utriusque partis quibus in eadem querela nitebantur prius, nullam vim habeant, sed in instanti reddantur. 67 De iudicio et sententia generalis Capituli statutum est ut qui abbatiam de Tinterna tenuerit domum de Quinquesodes iure perpetuo possidebit ; ne autem iterum evocetur in litigium res sopita, praecipimus ut instrumenta quae in praesenti sunt et contra hoc facere videntur, reddantur in instanti, et cetera quae modo non apparent nullas vires amodo decrevimus obtinere. 68 Abbas de Valkenreide monachum suum quem Cistercium, aliter quam deceret, cum litteris suis misit, secum omni occasione postposita reducat. 69 De ingressu mulierum in domos nostras teneatur ut olim. 70 Similiter de fugitivis ad Ordinem redeuntibus. *Nota quod P*3*et T*3*huic anno* 1193 *octo statuta inscribunt quae fontes alii et praecipui ad annum* 1196 *ablegant. Ibi ea invenies.* |
(F° ij v°). Notum volumus fieri universis ecclesie filiis tam futuris quam et presentibus inter nos Molismensis cenobii fratres locumque Alpensem super ejusdem loci abbatis ordinatione et subjectione taliter diffinitum fuisse. Cum scilicet fundus ille olim nostre ecclesie collatus et per omnia subditus ut cella fuerit, ipsius loci fratres, Deo inspirante sancti patris nostri Benedicti preceptis arcius inherentes, quorumdam religiosorum consilio animati, ipsius etiam regule auctoritate edocti, abbatem sibi a nobis donari petierunt. In qua peticione suppliciter in nostro capitulo perseverantibus, sic tandem annuimus ut, ejusdem loci abbate obeunte, sicut hic primus, ita omnes ejus successores, a nostro loco expetiti atque collati, suscipientes illius loci curam a nostro abbate ibidem substituantur. Eundem quoque abbatem nostrum, Molismensem scilicet, dum illuc venire contigerit, omnis ei reverentia tam in sede quam in justiciis regulariter tamen peragendis exhibebitur. Si vero, quod absit! inter illos fratres ac suum abbatem discordie malum irrepserit, ad hoc examinandum vel pacificandum noster abbas, non alia quelibet persona, advocabitur. Id quoque statutum est ut frater quilibet loci illius in aliquo scandalizatus ad nos confugerit vel de nostris quispiam ad eos itidem facere pertemptaverit, sine proprii abbatis permissu minime suscipiatur. Quod si forte illi fratres, quod Deus avertat! ab ipsa, quam arripuerunt, districtione ad usus secularium revertentes apostaverint, pristino more nobis ut cella locus ille restituetur. Diffinitum est hoc a domno Roberto Molismensium abbate primo in presentia subscriptorum, domni scilicet Widonis in eodem loco primitus in abbatem constituti, Alberici Molismensis prioris, Ade monachi, Walterii monachi, Liescelini modo, Stephani quoque modo per cujus manum scriptum est. Confirmatum est autem a domno Roberto Lingonensium episcopo, presentibus domno Amalrico decano, Narigaldo archidiacono, Hugone archidiacono. Sed et Wido Genevensis episcopus itidem confirmavit, presentibus Victore decano, Bernardo canonico, Alberto de Lantiaco. Id etiam concesserunt Humbertus comes et Giraldus de Alingia et Gislo miles, a quibus nobis est ille locus attributus. Actum est hoc anno ab incarnatione Domini millesimo XC.VII., indictione IIII., pontificatus domni Urbani secundi pape anno nono. Signum domni Roberti Lingonensis episcopi †. Signum domni Widonis Genevensis episcopi †. |
Hic jacet nobilis vir Erardus de Triangulo dominus Foisiaci hic etiam recluduntur ossa patris sui Anselli et Anselli avi sui quondam dominorum Triangulo. |
Sciant presentes et posteri quod ego Guido, comes Nivernensis, pro Dei amore et animarum patris et fratris mei, et antecessorum meorum remedio, et mee, dedi et concessi in elemosynam monialibus de Crisenone unum bichetum gleni in molendinis suis de Autissiodoro, qui michi exciderat de Stephano Chenau, quem idem Stephanus in prefatis molendinis habebat pro factura lignei operis quam in molendinis adhibebat, et singulis hebdomadis illum capiebat. Hunc bichetum qui michi de homine meo per excasuram excidit, ego Guido, comes, dedi in elemosynam, et quitavi predictis monialibus. Quod ut ratum et inconcussum permaneat in futurum, publico legitimorum hominum testimonio confirmavi, et sigilli mei impressione roboravi. Hujus rei testes sunt: Regnaudus de Marchia; Theobaudus de Gonnossa; Regnaudus Malis; Fainerius de Droia; Petrus de Churcum; Milo, tunc prepositus Autissiodori; Raadus; Robertus, capellanus comitis; Petrus de Sancto-Peregrino, et alii plures. Actum est hoc, Autissiodori, anno Verbi incarnati Mº Cº LXXº IIIº, regnante Ludovico, rege Francorum; Willelmo, episcopo Autissiodori. |
Scamium fecerunt Archimbaldus monachus cum Teodbaldo. In primis donant monachi Clunienses jam dicto viro campum unum in villa Turniaco, et faciat quicquid voluerit. Econtra donat jam dictus Teobaldus partibus Sancti Petri campum unum cum mansione in villa Pruilingius; terminat de tribus partibus terra Sancti Petri, de quarta parte terra Arlemari, et faciant quicquid voluerit. S. Eldinus et Anna. S. Uddricus. S. Maholi. S. Ugonis. S. Ludonus. S. Acmonus. S. Bernardus. S. Gotefredus. S. Teodbaldus. S. Ranoldus. S. Robertus. Actum Cluniaco. Roberto rege renante anno VIII. |
Auctoritas divina unumquemque vigilanter admonet, dum vivitur in hac miserabili peregrinatione, certatim quod debeat ad gaudia sine fine mansuræ (sic) percurrere. Unde si deinter undas hujus pervagantis seculi quo ne quis inoffenso graditur calle a Domino recte eripi, et ad perpetuæ portum tranquillitatis docte querimus prothrai, summopere studendum est nobis ne in illo justæ exagerationis examine judici, ubi ea cunctis quæ quisque dum in carne vixit gessit patebunt, inveniamur infructuosi. Quamobrem notum esse tam presentibus quam absentibus cupimus, quod ego Gundrudis peccatrix, Dei misericordia conpuncta, seculo abrenuncians atque monachicum habitum sumens, dono Deo et sanctis apostolis ejus Petro et Paulo locoque Cluniensi, aliquid juris meæ proprietatis, videlicet unum servum, vocabulo Durannum, cum uxore sua et infantibus, absque alicujus calumpnia. Et ut ista firmior donatio ultronea a me facta permaneat, manu propria subscribo confirmando atque meis heredibus firmandam trado. S. Guntrudis. S. Fredelis, filiæ ipsius. S. Huberti. S. Gunterii archipresbiteri. S. Gislardi. S. Adalelmi. |
Sachent tuit cil qui verront et orront ceste presente lettre que li nobles Jehans de Chalon, sires d’Allay, et Jehans de Jouz, sires de Cologney, ont acordablement et de bone memoire fait eschange perpetuelment et senz nul reclain, en tel meniere que lidiz nobles Jehans de Chalon, sires d’Allay, a quitté et outroié permaignablement adit Jehan, signour de Collogney, Humbert, dit Pelletier, de Dummartin, son home et tout son mex, et Jehannete, la fille Richart, de Chaffoy, et son mex; et lidiz Jehans de Jour, sires de Collogney, a quitté et outroié permagnablement adit noble Jehan de Chalon, signour d’Allay, Escuchar, de Livier, son home, et ses enfant, et tout le mex qu’il ont en la vile et ou terretoire de Livier. Et ont encovent li uns à l’autre à bone foy garantir et appasier ledit eschange, douquel li uns a envesti l’autre, contre toutes genz tanque à loial tenure. En tesmoignaige de laquel chose, lidiz Jehans de Chalon, sires d’Allay, et lidiz Jehans de Jou, sires de Colloney, ont mis lour seaux pendant en ceste lettre, faite et donée en l’an dou miliaire corrant par mil CC quatre vint et six, ou mois d’octembre. |
Ego Aia, in Dei nomine, de Busul pro remissione peccatorum meorum una cum filiis meis, solo Girardo contradicente, dono Domino Deo et sancto Petro ad locum Marciniacum mansum Bernardi de Noil, dato nobis a Widone priore equo uno. Mortuo vero Girardo filio meo qui solus contradixerat, Atto filius meus et caeteri fratres qui a praefato priore sex libras monetae publicae acceperunt et factum confirmantes laudaverunt. Testes sunt Willelmus archipraesbyter de Varennis et Durannus Ruorel. |
Ego Ansellus decanus et terrarius Eduensis, et ego C. officialis curie Eduensis, universis presentes litteras inspecturis notum facimus, quod in nostra presentia constituta Guillermeta relicta Guilleri de Vevra et tutrix liberorum ipsius Guilleri, pro evidenti necessitate sua et sustentatione liberorum quos de dicto Guillero susceperat, et etiam pro acquisitione debitorum in quibus dictus Guillerus ipsam reliquerat plurimum oneratam, domum suam sitam in claustro Eduensi, contiguam domui Hugonis archipresbiteri Eduensis, cum pertinentiis ejusdem domus, quam domum et pertinentias dicti Guillerus et Guillermeta, durante matrimonio inter ipsos, a Dannona relicta Monachi de Visenereu et Guillermo et Stephano filiis ejus acquisierant, auctoritate nostra interveniente, precise vendidit et in perpetuum concessit, tradidit et quitavit prefato Hugoni, archipresbitero, pro sexaginta quinque libris Divion. de quibus confessa est coram nobis graantum suum plenius habuisse, promittens juramento etc. In cujus rei testimonium ad preces dicte Guillermete, ego Ansellus decanus sigillum nostrum proprium, et ego C. officialis supradicti sigillum curie Eduensis presentibus litteris apposuimus. Actum anno gratie Mº CCº XXXº septimo, mense Maio. |
In nomine Dei. Ego Durannus et Rannaldus, Aimo, Arbertus, vendimus monachis Sancti Petri duas perticas et pedes X de prato pro XX denariis; et faciant ipsi monachi quicquid facere voluerint: hoc est in villa Viscurto; et terminatur a mane et a medio die terra Sancti Petri, a sero terra Arlabaldi, a tertio, rivo decurrente. S. Duranni, Rannaldi, Aimonis, Arberti, qui fieri et firmare rogaverunt. S. Grimaldi. S. Duranni. S. Girbaldi. |
Honorius Episcopus servus servorum Dei, dilecto filio Abbati Trenorchiensi salutem apostolicam benedictionem. Cùm à nobis petitur quod justum est honestum tam vigor æquitatis, quàm ordo exigit rationis, ut id per sollicitudinem officii nostri, ad debitum perducatur effectum. Cùm igitur, sicut ex parte tuâ fuit propositum coram nobis, de approbatâ consuetudine habeatur, ut Abbates Priores monasterio Trenorchiensi subjectos, annis singulis convoces ad Capitulum apud idem monasterium celebrandum, cum eis de correctione reformatione Ordinis, secundùm Deum, beati Benedicti regulam salubriter tractaturus. Nos tuis precibus benignum præbentes assensum, id ratum gratum habendo auctoritate apostolicâ præcipimus firmiter observari. Nulli ergo, Datum Tyburæ XVIII. Kalendas Julii, pontificatûs nostri, anno nono. In plumbo, HONORIUS Papa III. |
Ore dist que uns mois aprés le couronnement le roi Artu vint a une grant court que li rois semonst a Carduel en Gales la feme le roi Loth d'Orkanie, serour le roi Artus. Mais quoi que elle fust sa suer n'en savoit elle riens. La dame vint moult richement a court a grant compaignie de dames et de damoisieles et ot avoec li grant plenté de chevaliers. Et amena avoec li .IIII. fiex que elle avoit eut dou roi Loth, qui estoient moult bel enfant et de tel aage que li ainsnés n'avoit que .X. ans seulement, et estoit li aisnés apielés Gavains et li autres Gahariés et li tiers Aggravains et li quars Guerrehés.
Ensi vint la dame a court o tout ses enfans qu'elle avoit moult chiers, et elle estoit de si grant biauté plainne que a paines peust on veïr ne trouver sa pareille de biauté. Si l'a moult houneree li rois pour chou que elle estoit roine couronnee et de haut lignage coume dou roy Uterpandragon. Moult fist li rois Artus grant joie de la dame et moult le festia, et li et ses enfans. Li rois vit la dame de grant biauté plainne, si l'ama moult durement et le fist demourer en sa court .II. mois entiers, et tant qu'en chelui terme il gut a li et engenra en li Mordrec, par cui tant grant mal furent puis fait en la terre de Logres et en tout le monde.
Adont conut li freres carneument sa serour et porta la dame chelui qui puissedi le traist a mort et mist a destruction et a martyre la terre, dont vous porrés oïr viers la fin dou livre. Quant la dame s'en fu ralee en son païs, une moult grant aventure avint au roi Artus en son dormant. Et li fu avis qu'il estoit assis en une kaiiere, si comme il l'avoit commandé, et deseur lui avoit si grant plenté d'oisiaus que il s'esmiervilloit dont il pooient tout estre venu. Et quant il ot veut celle samblance, se li fu avis que d'autre part revenoit avolant uns grans dragons et moult grant plenté de griffons avolant, et aloient parmi le roiaume de Logres et amont et aval. Et partout la ou il aloient argoient canque il encontroient, et apriés iaus ne demoroit chastiaus que tous ne fust ars et destruis, et ensi metoit a gast et a destruction trestout le roiaume de Logres. Et quant il avoit chou fait, il revenoit tantost et assailloit lui et tous chiaus qui avoec lui estoient, si que li serpens ochioit et metoit a mort tous chiaus qui avoec le roi estoient. Et quant il avoit chou fait, il couroit sus au roi trop vilainnement. Et lors commenchoit d'aus deus la bataille trop dure et trop felenesse, si avenoit que li rois tuoit le serpent, mais il remanoit trop durement navrés, si que a morir l'en convenoit.
Li rois ot si grant paour de cest songe qu'il s'en esvilla et fu tant a malaise qu'il ne sot quel conseil il peuust prendre de soi, que onques puis toute la nuit ne puet dormir, ains pensa tous jours a ceste chose. A l'endemain, quant il fu jours, il dist a ses hommes : « Apparilliés vous et montés, car je vaurrai aler cachier. » Et quant il oïrent son commandement, si le firent. Et quant il furent apparillié, li rois monta sour un cheval grant et fort, et fu viestus d'une roube a cacheour, si s'en parti de Carduel a moult grant compaignie de serjans et de chevaliers. Et quant il furent entré en la foriest, il aqueillirent un cierf grant et parcreu, si laissierent les chiens aler aprés. Li rois, qui bien estoit montés, commencha a sivir le chierf devant tous ses compaignons et moult se hasta d'aler aprés, si que il les ot eslongiés en petit d'eure plus de .II. liues englesques, si que il ne les vit ne ne sot quel part il estoient.
Ensi fu li rois eslongiés de ses houmes et keurt aprés son chierf tant com il puet. Et tant le cacha en tel maniere que li chevaus ne le pot plus soustenir, ains chaï mors desous lui. Quant il se senti a pié, si ne sot que faire, car si houme estoient moult loing de lui et dou chierf. Et li chiers en va grant oirre, si que li rois en ot en poi d'eure pierdu la veue. Si s'en vint tout a pié apriés le cierf, car il cuide bien que sa gens i doivent venir tout a tans et que il l'aient pris tout certainnement. Et li rois est lassés et tressuans ne ne puet en avant, ains s'assiet sour une fontainne. Aussi tost comme il s'est assis, il commencha a penser a chou qu'il ot veut la nuit en son dormant. Et en che qu'il pensoit, il escoute et ot uns grans glas de chiens qui faisoient aussi grant noise que se il fuissent .XXX. ou .XL., et venoient viers lui, che li samble. Si cuide que che soient si levrier, si lieve la teste et commenche a regarder cele part dont il les ot venir. Et ne demoura gaires que il vit venir une beste moult grans ki estoit la plus diverse qui onques fust veue de sa figure, qui tant estoit estraingne de cors et de faiture, et non mie tant defors comme dedens son cors.
La beste vint grant oirre a la fontainne et moult avoit grant talent de boivre. Et quant li rois l'ot bien esgardee, si se commencha a saingnier et dist a soi meismes : « Par foi, ore voi jou les gringnors merveilles que jou onques mais veisse, car de si divierse beste coume ceste est n'oï jou onques mais parler. Et se elle est miervilleuse par defors, encore est elle plus miervilleuse par dedens, car je puis oïr et connoistre tout apertement que elle a dedens son cors brakés tout vis qui glatissent. Onques mais ou roiame de Logre ne furent trouvees ne veues teus mierveilles. »
Ensi dist li rois de la beste. Et si tost comme elle ot commenchiet a boire, les biestes qui dedens li estoient et glatissoient s'acoisent et se tinrent coiement. Quant elle ot beu et fu issue de la fontainne, si recommencierent a glatir autressi comme il faisoient devant et fisent autretel noise comme fesissent .XX. braket apriés une beste sauvage. Ensi repaire la beste de la fontainne a grant noise et a grant glatissement. Li rois la regarde toutes voies, si esbahis de la mierveille que il vit que il ne savoit se il dormoit ou se il veilloit. Et ele en ala grant oirre, si que li rois en ot tost pierdue l'oïe et la veue. Et quant il l'ot pierdue, il recommencha a penser plus qu'il n'avoit fait devant. Endementiers qu'il estoit en si grans pensees vint devant li uns chevaliers, et estoit tout a pié et dist : « Os tu, chevaliers qui la penses, di moi chou que je te demanderai. » Li rois lieve la teste et ot le chevalier, si li respont : « Sire chevaliers, que demandés vous ? - Je vous demant, fait li chevaliers, se vous veistes par ichi passer la diverse beste, cele qui a dedens soi les glas des brakés. - Certes, fait li rois, je la vi vraiement, orendroit estoit elle chi. Elle ne puet pas estre eslongie .II. liues. - Ha ! Diex, fait li chevaliers, que tant sui mescheans ! Se ore ne fust mes chevaus mors, ataint l'eusse, si fust ma queste affinee. Ha ! Diex, je l'ai sivie un an entier et plus pour savoir la verité de li !
- Coument ! sire chevaliers, fait li rois, si l'ave si longement sivie ? - Sire, oïl. - Et por coi, biau sire ? Itant vous loeroie jou que vous le me desissiés, s'il vous plaisoit. - Certes, fait li chevaliers, che vous dirai jou bien. Il est voirs, et nous le savons bien, que ceste beste doit morir par un houme de mon parenté, mais il couvient que che soit li mieudres chevaliers qui doive issir dou regne et de nostre lignage. Ore est il ensi que on me tient au milleur chevalier de nostre terre et de toute no contree. Et pour chou que je voloie connoistre se j'estoie li mieudres de nostre lignage, pour chou l'ai jou si longement sivie et alés aprés lui, si ne l'ai mie dit pour vantance de moi, mais pour savoir la verité de moi meesmes. - Ciertes, che dist li rois, assés en avés dit, sire chevaliers. Ore vous en poés aler quant il vous plaira. - A pié, fait li chevaliers, ne m'en irai jou mie, ains attenderai auchune aventure de chevalier ou de serjant qui Diex amaint cha, qui son cheval me voelle douner. »
En che qu'il parloit ensi au roi venoit uns escuiiers cele part montés sour un grant cheval fort et isniel, et aloit le roi querant au plus que il pooit. Quant li rois le vit venir, il li dist : « Descent et me lais monter sour cel cheval, si voel aler apriés une bieste qui de chi s'en vait. - Ha ! sire, fait li chevaliers, vous ne ferés pas tel vilounie que vous sour ma beste vous embatés et que j'ai cachie si lonc tans, mais faites que courtois, donnés moi che cheval, si me remeterai en ma queste, car je n'ai que demorer. Et se je par le defaute de vous la perdoie, la honte en seroit vostre et li damages miens. - Sire chevaliers, fait li rois, vous avés la queste tant longement menee que assés la devés laissier. Ore remanés, et je la maintenrai pour vous et tant que Diex m'en doingne l'ounour, se lui plaist. - Coument ! fait cil, dans mauvais chevaliers, si vous volés embatre seur ma queste a force, qui tant m'a lassé et travillié ? Ciertes, non ferés ! » Et lors traist la ou il voit l'escuiier et le jete jus dou cheval et monte sus ains que li rois i soit venus. Et lors dist au roi : « Dans mauvais chevaliers, or ne vous sai ge gré se je m'en vois apriés ma beste. Ore remanés, et je m'en irai. Et sacés, se je vieng en lieu, je vous guerredounerai moult bien che que vous m'avés fait, que vous me voliés tollir ma queste ! Et de che seulement que vous en si haute queste comme ceste estoit vous voliés entremetre, de che vous tien ge a fol et a chaitif, car certes vous n'estes pas chevaliers qui de si haut affaire se doive entremetre ! - Chevaliers, fait li rois, tu me diras che que il te plaira et je t'escouterai, mais tant saches tu bien que se je te cuidoie trouver hui u demain, fust pres ou loing, je iroie aprés toi et te mousterrai au branc d'achier que je sui, au mien espoir, aussi boins chevaliers comme tu ies et aussi dignes d'une grant queste coume tu ies. - Il ne t'en couverra ja gramment chevauchier, fait li chevaliers, se tu me veuls trouver, car je demeure tout dis en ceste foriest pour siurre ceste beste. - Dont te creanc je, fait li rois, que jamais ne serai aise devant que je sace et que j'aie esprouvé li quels est mieudres chevaliers de nous deus. - Quant tu me vaurras trover, fait li cevaliers, si vien a ceste fontainne. Et saces que se tu m'i veuls metre jour, que tu m'i trouveras, car il n'est nus jours que je n'i viegne. - Ore t'en pues aler, fait li rois, car je ne quier plus savoir de ton affaire. »
Atant s'em parti li chevaliers et s'en vait grant oirre cele part ou sa beste s'en estoit alee. Et li rois vint a l'escuiier, se li dist qu'il s'en aille et li amaint un autre cheval. Et cil s'en revient grant oirre tout a piet la ou il cuida ses compaignons trouver, et li rois remaint illuec touls seus et recommenche a penser aussi comme il faisoit autre fie. Illuec demoura li rois grant piece, tant pensis de ces aventures qu'il avoit la nuit veues et le jour que il ne savoit preu consillier. Et en chou qu'il estoit si pensis, si vint Merlins devant lui en samblance d'un enfant de .XIIII. ans. Il connut bien le roi si tost comme il le vit, si le salue et ne fait mie samblant qu'il seuust qu'il fust rois. Et li rois dreche la teste, se li dist : « Valeton, Diex te beneie ! Qui ies tu ? » Et Merlins respont : « Je sui uns vallés d'estraignes terres, mais moult m'esmerveil que vous pensés issi au chevalier, que ne me samble pas que nus hom qui riens vaille doive penser a chose dont il puet bien trouver conseil. » Li rois regarde l'enfant, si s'esmierveille de chou qu'il parole si sagement. « Enfes, je ne quic pas que nus hom fors Diex me peust consillier de chose que je pense. - Ciertes, fait Merlins, tu ne penses chose que je ne sache, ne ne fesis hui chose que je ne seusse. Sire, que vous estes esbahis pour noient ! Car tu ne veis chose en dormant qui ne viegne a avenir. Ensi plaist il au Creatour dou monde. Et se tu as veut en dormant ta mort, tu ne t'en dois pas esbahir. » Et quant li rois oï Merlin qui ensi parla, si n'est pas mierveille s'il en fu esbahis. Et Merlins dist encore : « Pour chou que tu aies gringnour merveille te deviserai jou que tu songas anuit. - Par mon chief, fait li rois, se tu chou me pues faire, encore le terrai jou a plus grant merveille que je n'ai hui oïes ne veues. - Et je le te dirai, fait Merlins. Lors s'en venras a gringnour pensee que tu ne faisoies devant. »
Lors li raconte son songe tout ensi coume li rois l'ot songiet. Et quant li rois l'a bien entendu, il se sainne de la merveille qu'il en a, si respont erraument : « Tu n'ies pas hom que on doie croire, mais anemis, car par sens d'oume ne porroies tu pas savoir si repostes choses que tu m'as chi devisees. - Por chou se je te devis ces choses, fait Merlins, ne pues tu pas dire par raison que je soie anemis. Mais je te prouveroie a droit que tu ies dyables et anemis Jhesucrist et le plus desloial chevalier de ceste contree, car tu ies rois sacrés et en cele houneur et en cele dignité ou la grasce Jhesucrist seurement t'avoit mis, non par autre. Artus, tu as fait si tres grant desloiauté que tu as geu carnelment a ta serour germainne que tes peres engenra et ta mere porta, si as engenré un fil qui iert teuls coume Diex set bien, car par lui verra moult de grant mal en terre. »
Atant respont li rois, trop honteus de ceste parole, et dist : « Anemis drois, de chou dont tu m'acuses ne pues tu estre certains se tu ne ses vraiement que j'aie serour. Mais che ne pues tu savoir, ne tu ni autres, quant jou meismes ne le sai, ne nuls, che me samble, ne puet estre certains de ceste chose plus comme moi, mais je n'en sai riens. - Par foi, fait Merlins, tu ne dis pas voir. Je sui miex certains de ceste chose que toi, car tu meismes n'en ses riens. Car je sai bien qui fu tes peres et qui fu ta mere et tes serours. Et nonporquant il a grant tans que je ne les vi, et si sai bien que eles sont sainnes et vives. » Lors se reconforte moult li rois de ceste chose. Et nonporquant il ne cuide mie que cil li die verité, car il cuide bien que che soit anemis. Et nonporquant il li dist : « Se tu me pues certefiier de mon pere et de ma mere et de mes serours et me faches connoistre dou quel lignage je sui issus, ja ne savras demander chose que je ne te doingne, pour que je l'aie en ma baillie. - Le me creantes tu comme rois ? fait Merlins. Car bien saces, se tu me mentoies, grignour mal t'en porroit avenir que tu ne cuides. - Je le te creanc, fait li rois, loiaument. - Et je le te dirai, fait Merlins, et t'en ferai certain assés prochainnement.
Je te di, fait Merlins, que tu ies gentiex hom et de si haut lignage coume fiex de roi et de roine, et fu tes peres preudom et boins chevaliers. - Coument ! fait li rois, sui jou dont si gentius hom comme tu dis ? S'il estoit ensi, je ne fineroie jamais ne averoie gramment de repos devant que je avroie mis en ma subjection la gregnour partie dou monde. - Certes, fait Merlins, il ne demourra mie pour chou que tu n'aies assés gentillece. Ore garde que tu en feras, car se tu ies aussi preudom comme tes peres fu, tu ne perderas ja terre, ains en conquerras assés. - Et comment, fait li rois, ot non mes peres ? Che me pues tu bien dire. - Certes, fait Merlins ; il ot a non Uterpandragons et fu sires de toute ceste terre. - En non Dieu, fait li rois, se chis dont tu m'aparoles fu mes peres, je ne puis faillir a estre preudom, car de chelui ai jou tant oï parler que je sai bien que il fu si preudom que il ne peust pas issir de lui malvais oirs, se mierveilles ne fust. Et ciertes se il estoit bien voirs, si le creroient ja moult envis li preudomme de cest païs. - Je lour ferai a savoir si bien, fait Merlins, qu'il en seront tout bien certain anchois que chis mois soit passés, si que il connisteront de voir que tu fus fiex Uterpandragon et la roine Igerne, ta mere. - Mierveilles me dis, fait li rois, k'a painnes t'en querroie jou, se te dirai pour coi. Se je fuisse fiex de chelui qui tu me dis, on ne m'eust pas mis en la main d'un tel vavasour comme chis est qui me norri et si ne fuisse pas si mesconneus comme je sui, car il ne puet pas estre que cil qui me norri ne me conneust et il meismes me dist que il n'estoit pas mes peres et que il ne savoit qui j'estoie. Et tu, qui ies uns estranges, comment puet chou estre que tu en saches miex la verité que cil entour qui j'ai esté tout mon eage ? - Se je ne t'ai dit verité, fait Merlins, de canques tu as chi oï, ne me ren pas chou que tu me dois. Et saches que je ne le te disoie pas pour despit de ti ne pour haine, mais pour chou que je t'aing. Et si t'ai tel parole orendroit dite que jamais ne sera par moi descouverte et saches le vraiement que je le celerai aussi bien coume tu meismes : c'est dou pechié de ta serour a qui tu as geu carneument, ensi comme je t'ai dit. Si ne celerai mie autant pour l'amour de toi ceste chose coume pour l'amour de ton pere, qui moult m'ama et moult fist por moi et je pour lui. - Dis tu ceste chose pour voir ? - Oïl certes, fait Merlins. - En non de Dieu, fait li rois, ore te di je dont que d'ore en avant ne te querrai je mais de chose que tu me dies, car tu n'es mie de l'aage que tu peuusses onques avoir veut mon pere se che fu Uterpandragons, pour coi il ne pot onques riens faire pour toi ne tu pour lui. Et pour chou te requier jou que tu t'en ailles de chi, que aprés ceste menchoinge si aperte que tu me veus faire acroire pour verité ne quier jou plus avoir la compaignie de toi. »
Quant Merlins entent ceste parole, il fait samblant que il soit moult courechiés, si se part erraument dou roi et se met tantost en la foriest la ou il la vit plus empressee. Et lors canga la samblance que il avoit adont et prent la forme d'un viel home et anchiien de l'aage de .IIIIXX. ans, si feble par samblance k'a painnes pooit il aler, et fu viestus d'une grise roube. En tel abit vint devant le roi, si ot samblant de sage homme. Et salue le roi aussi que s'il ne le conneust et li dist : « Diex vous gart, sire chevaliers, et vous doinst vostre pensee bien mener a cief, car il m'est avis que vous n'estes pas bien aise. - Diex le face, sire preudom, fait li rois, car ciertes jou en aroie boin mestier. Et venés vous seoir, s'il vous plaist, avoec moi, tant que mes escuiiers viegne. » Et lors s'assiet Merlins d'encoste lui et commenchent entr'aus deus a parler de maintes choses, si trueve li rois Merlin si sage en toutes les choses qu'il enquiert qu'il s'esmierveille tous. Et lors li dist Merlins : « Quele ochoisons vous faisoit penser si durement quant je vieng chi ? - Sire preudom, fait li rois, onques hom de mon aage ne vit autant de mierveilles en un pau de tans ne n'oï onques que j'ai eut en dormant et en veillant puis ersoir. Et la chose que je tieng a plus grant mierveille si est que uns enfes de petit aage vint orendroit a mi qui me dist teuls paroles que je ne cuidaisse pas que nus hom morteus seuust fors mi seulement. - Sire, fait li preudom, de chou ne vous devés vous pas miervillier, que il n'est nule si celee chose que elle ne soit descouverte. Et se la chose estoit faite desous terre, si en seroit la verités seue deseure terre. » Lors dist Merlins au roi : « Sire, pour Dieu, ne soiiés a malaise ne ne pensés tant, mais dites moi que vous avés, et je vous en consillerai en tel maniere que vous vous terré a assené de toutes les choses dont vous estes en doutance. »
Li rois regarde le viel houme, se li fu avis qu'il estoit moult sages hom et a la chiere de lui et as paroles qu'il entent, si pense qu'il li dira partie de son affaire et partie l'en chelera. Et lors li coumenche a conter son songe tout ensi coume li contes a devisé et li dist la verité de la beste et dou chevalier. Et quant il li ot conté tout chou qu'il li plot, Merlins li respont : « Sire, de cest songe vous aiderai je quanque je porrai sans moi mesfaire. Sachiés que vous tornerés a dolour et a essil par un chevalier qui est engenrés, mais il n'est encore pas nés. Et tous chis roiaumes en sera destruis, et li preudomme et li boin chevalier dou roiame de Logres en seront detrenchiet et ochis, et li païs en remanra orphenins des boins chevaliers que tu i verras a ton tans.
Ensi remanra ceste terre deserte par les oevres de chelui pecheour. - Certes, fait li rois, s'il avint ensi coume vous me dites, trop sera chis damages outrageus et miex vaurroit ore, che m'est avis, et gringnour aumosne seroit que cele chaitive personne et chis chaitis cors qui doit naistre fust destruis si tost comme il naistera que tant de grans maus avenissent par lui. Et puis que vous m'en avés tant dit, il ne puet estre que vous ne saichiés bien quant il naistera et de qui, si vous pri que vous le me dites, car ja si tost ne naistera sour terre que je le ferai ardoir, s'il plaist a Nostre Signour que je sache la verité de sa naissance. - Certes, fait Merlins, ja, se Dieu plaist, la creature Nostre Signour ne rechevra par moi mal, car, comment qu'il soit trechieres viers la fin, tant coume il sera innocent seroit il desloiaus qui l'ochiroit. Et je vous di que je me senc si cargiet de mon pechiet et si coupables a Nostre Signour que ja, se Diex veult, ceste desloiauté ne ferai que enfes, creature noient nuisant, recuevre mort par mon conseil, ne ne m'en requerés pas, que de che ne feroie je nient. - Dont haés vous ceste regne trop mortelment, fait li rois, et si vous mousterrai comment. Vous dites, et je le croi bien, que par un chevalier sera li roiames de Logres desertés et tornés a destruction. En ne vaurroit il dont miex que cil par cui ceste grant dolour venra fust destruis seus que tant de gent morussent par ses oevres ? - Oïl voir, fait Merlins, miex vaurroit sa mors que sa vie. - Dont vous di jou, fait li rois, miex vint que vous le nous dites, de qui il naistera, que vous le nous celés, car par le descouvrir porra estre la terre garandie et par le celer perdue. - Sire, fait Merlins, li descouvrirs vaurroit miex que li celers, qui vaurroit garder au preu de la terre. Mais quel chose que la terre i gaaignast, jou i perderoie trop, car je i perderoie l'ame de moi, dont il m'est ore plus que de tout che païs. Et pour chou le vous celerai jou : je voel miex m'ame sauver que la terre. - Itant me poés vous bien dire, fait li rois, quant il naistera et en quel lieu. » Et Merlins commenche a sorrire et li dist : « Por chou le quides tu trouver, mais non feras, car a Nostre Signeur ne plaist mie. - Ciertes, fait li rois, si ferai. Se je sai l'eure de son naistre et le païs ou il naistera, ja ceste terre ne sera destruite par lui, car je le desavancherai. - Et je le te dirai, fait Merlins, et si i faurras dou tout. Saches qu'il naistera le premier jour de may et ou roiame de Logres. - Est che voirs ? fait li rois. - Oïl, che saces tu, fait Merlins. - Et je m'en tairai atant, fait li rois, que ja plus n'en demanderai. Mais or me redi plus : de tout chou que je te demanderai me dois tu assener.
N'a pas gramment que chi vint une beste la plus divierse dont jou oïsse onques parler, divierse de fachon et estrange, et avoit dedens soi bestes qui glatissoient. Et che me samble songes, car il m'est bien avis que nule creature terriiene puisse metre sa vois fors tant que elle soit ou ventre de sa mere. - Ciertes, fait Merlins, se tu en ies esbahis, je ne m'en esmierveil, que sans faille c'est mierveille a oïr et a veïr. - Or me di, fait li rois, que chou est. - Che est, fait Merlins, une des aventures dou Graal. Si ne t'en puis plus dire, car a mi n'en affiert plus : plus preudom que je ne sui le te dira. - Et qui est il ? fait li rois. - Il n'est encore pas engenrés ne nés, fait Merlins, mais il sera prochainnement engenrés. Et si l'engendra, fait il, li chevaliers que tu veis qui cachoit la beste. » Lors dist li rois a Merlin : « Ses tu que je l'aie veut ? - Je le sai bien, fait il, et des couvenances qui sont entre vous deus sai ge toute la verité. - Or me di, fait li rois, quels chevaliers est il ? - Tu le savras bien, fait Merlins, se tu l'assaies au jouster. Ne ja plus ne te dirai de lui a ceste fie, mais tant te di je de la beste que tu n'en savras ja la verité de l'aventure devant que cil qui de cestui istera le te fera connoistre. Et cil avra non Percheval li Galois pour chou que de Gales sera nés, et sera uns des boins chevaliers dou monde et gracieus viers Nostre Signeur, qu'il gardera sa virginité si seurement et si miervilleusement qu'il istera de sa mere vierges et en la terre enterra vierges. Ceste viertu avra li chevaliers qui de ceste beste te dira l'aventure, et ja n'en seras assenés devant que il le te die.
- En non Dieu, fait li rois, assés me couverra dont attendre, s'il est ensi comme tu me dis. - Ensi sera il, fait Merlins. - Et tu k'en ses ? fait li rois. Es tu dont si certains des choses qui sont a avenir ? - Oïl voir, fait Merlins, ceste grasce m'a Diex otroiie, la soie mierchi. - Puis que tu des choses a avenir ies certains, fait li rois, moult deveroies bien savoir celes qui ont esté faites a ton tans. - Certes, fait Merlins, si sa ge. Pau a on fait des choses en che païs puis que je fui nés qui a retraire fachent que je ne sace tout vraiement. - Dont me savras tu, fait li rois, a dire d'une chose dont je moult desire a savoir. - Je le te dirai, fait Merlins, car je sai bien que tu me veuls demander. - Tu le ses ? fait li rois. Encore ne le t'ai je pas dit ! Comment puet chou estre ? - Tu verras bien, fait Merlins, se je le sai. Ore te tais un peu et si escoute. » Lors li dist : « Tu me veuls demander : qui fu mes peres ? Et tu ne cuides pas que nus le sace puis que tu ne le ses, mais si font aucun. Et si te ferai connoistre que je le sai. Et a cheus de che païs ferai je connoistre qui fu tes peres pour chou qu'il en sont en doutanche. »
Li rois dreche sa main et se saingne de la grant mierveille qu'il a oïe, si dist a Merlin : « Tu me fais miervillier de teus paroles, que tu me dis chou que je pense, ne je ne cuidaisse pas que nus hom fors Diex peust che faire. Pour chou, se il te plaist, sueffre que je te connoisse et me di comment tu as non. Et se il te plaist remanoir en ma compaignie, il n'est riens que tu me requieres que je ne face pour le grant sens dont tu ies garnis. - Rois, fait Merlins, je sui chius qui ne me celerai jamais viers toi. Saches que je sui Merlins, li boins devins dont tu as tantes fois oï parler. »
Ore dist li contes que quant li rois ot ceste parole, il est tant liés que nus hom plus, si tent les bras a Merlin et li dist : « Ha ! Merlins, puis que tu ies cil dont tout li sage dou siecle parolent, je ne te mesquerrai jamais de parole que tu me dies. Pour Dieu, se tu me veuls metre aise, certefie moi de chou dont je sui en si grant doutance ! - Volentiers, fait il. Je te di de voir que li rois Uterpandragon fu tes peres et t'engenra en Ygerne, mais elle n'estoit mie encore roine. » Adont li conte par quel decevanche il jut a li premierement. « Et quant je soi que tu devoies naistre, je te demandai a ton pere en don. Et il dist que volentiers te donroit a moi por chou qu'il savoit bien que je l'amoie de grant amour. » Apriés li conte le vie de lui et l'afaire et comment il le fist norrir dou lait dont Kes devoit estre norris, et tout li conte canques il estoit avenu d'Uterpandragon et d'Ygerne, tout ensi coume li contes l'a ja devisé. Ne messires Robiers de Borron ne veult mie raconter chou qu'il a autre fois dit, car il ne veult mie croistre son livre de teus paroles, ains tint la droite voie et dist :
Quant li rois ot oï toute sa naissance et son estre, il dist a Merlin : « Merlin, tu amas moult mon pere et moult li fus loiaus, et il ne t'amoit mie petit. Tu ses de mon afaire plus que tout cil dou monde. Pour Dieu, consilliés moi comment je porroie celer mon pechié de la feme le roi Loth que jou ai carnelment conneue. Che ne te puis je celer, car je sai bien que tu le ses, ne je ne vaurroie pour riens que li mondes le seust ensi comme il m'est avenu. - Se je t'ensegnoie a celer cel pechié, fait Merlins, si pecheroie mortelment, car tel .III. le sevent, cil qui miex sont de ta chambre, qu'il couverroit primes a morir, ne tresque la ne te consilleroie pas. Mais de che que li peuples sace que tu ies fiex Uterpandragons m'entremeterai je tant que je lour face apertement connoistre. - Je ne demanc plus a toi, fait li rois, car adont m'averoies tu trop servi. »
Endementiers qu'il parloient ensi de ceste chose vinrent cele part li houme le roi qui l'aloient querant par mi la foriest. Et quant il trouverent lor signour, il en furent moult joiant et li disent que il l'avoient trop quis, et amont et aval. Li rois monte maintenant sour un sien cheval et fist monter Merlin sour un autre, si s'en tornerent erraument a Carduel. Et Merlins ala toutes voies consillant au roi et li ensegnoit comment il fera que li homme dou roiaume savront vraiement qu'il fu fiex Uterpandragon. « Et je voel, fait il, que vous mandés entour ceste chité jusques à .III. jornees a tous vos barons qu'il soient de diemenche en .VIII. jours a vostre court, et amaint chascuns avoec soi sa moillier. Et autressi ferés savoir a la roine Ygerne que elle i soit et li mandés que elle amaint avoec soi Morgain sa fille. Et lors quant elle sera venue et li haut baron seront assamblé en vostre sale, je ferai itant a l'aiue de Dieu que je li ferai connoistre que vous estes ses fiex. » Et li rois dist qu'il ne quiert plus. « Si me dites, fait Merlins, que cuidiés vous qui che fust qui parloit ier a vous a la fontainne en samblance de jovenchiel ? - Je n'en savoie que cuidier, fait li rois, mais or pense jou bien que che fustes vous, car j'ai maintes fois oï dire que vous mués vostre samblance en tel couleur que vous volés et vostre forme en tel samblance qu'il vous plaist. Et pour chou ne croi je mie que che fust autres que vous meismes. - Certes, fait Merlins, che fui je vraiement. Et tout ensi que vous en avés esté decheus fu vostre mere decheue par samblance le nuit que vous fustes engenrés, car elle quidoit dou roi Uterpandragon que che fust ses sires qui a li geust. »
Tant ont parlé en tel maniere qu'ils vinrent en la chité, et descendi li rois en sa court et fist Merlin descendre et l'enmena avoecques lui en son palais, si li fist moult grant joie et moult grant feste. Et maintenant tranmist ses briés a tous ses barons qu'i fuissent au jour determiné a sa court a Carduel. Ne n'oublia pas qu'il n'envoiast son propre message a la roine Ygerne que elle ses propres cors i fust, ne n'i envoiast autrui por li, et amenast avoecques li Morgain sa fille.
Ensi furent mandé li un et li autre a la court a Carduel et il s'esmervillierent moult pour coi li rois les mandoit. Si i vinrent li un por chou qu'il le doutoient et li autre por chou qu'il voloient oïr qu'il diroit. Quant la roine Ygerne oï que li rois le mandoit a court, elle ot paour k'il ne li vausist tolir sa terre et dou tout desireter. Si manda le roi Loth et sa fille et tout son autre parenté a venir a court a li, et que se li rois li voloit faire tort par auchune aventure, il li aideroient a tout lour pooir. Merlins manda Urfin qu'il venist a court, et chil i vint si tost que il sot que Merlins i estoit, si en fu moult liés et moult li fist grant joie quant il le vit. Li rois fist venir Auctor a court. Et quant il i fu venus, Merlins prist Auctor et Urfin ensamble et dist à Urfin : « Tu ses bien que Uterpandragon me donna sen premier oir a faire ma volenté. - Voirs est, fait Urfins, je sai bien le jour que il fu nés et qu'il vous fu bailliés. - Et vous, fait il a Autor, savés vous qui vous bailla Artus ? » Et Auctor regarde Merlin, se li respont : « Vous le me baillastes et a chelui jour. » Se li nomme le jour. Et lors sont ambedui ramembrant par le jour et par l'eure. Et pour chou que Merlins lour fait entendant que Artus fu fiex Uterpandragon, si dient que onques mais si grant joie n'avint ou roiame de Logres que li baron feront quant il orront ceste chose, car il le contrehaoient et despisoient por chou que il ne savoient nule chose de son parenté.
Grant fu la joie que li rois fist a Urfin, car Merlins li avoit fait entendant que si haut baron querroient moult Urfin de ceste chose, meesmement pour chou que Urfins avoit esté moult privés de Uterpandragon le roi. Merlins dist a Auctor : « Auctor, garde chelui jour que tu aies en ta compaignie tes voisins qui sevent bien le tans que Artus te fu bailliés. » Et cil dist qu'il avra teuls tiesmoins de ceste chose qui bien en feront a croire. Ensi demoura Merlins avoec le roi dusques au jour qu'il vinrent a court ensi comme il estoit commandé.
A chelui jour ot grant gent a court et grant peuple. Et la roine Ygerne i vint moult richement et a grant compaignie de chevaliers. Et toutes voies avoit elle moult grant paour que li rois ne li vausist tolir sa terre et que elle ne tenist pas si grant païs en sa main comme elle tenoit pour chou que feme estoit. Quant elle fu venue a court, li rois li fist moult biele chiere et moult la rechiut bien entre li et sa compaignie, et commanda a ses serjans qu'il l'ouneraissent et tenissent chiere sur tous chiaus de laiens. Et cil en firent bien son commandement, mais moult s'esmervillierent pour coi c'estoit. Si i ot auchun qui bien savoient l'afaire de lui et de la feme le roi Loth, si qu'il cuidoient vraiement que il fesist a la mere ceste feste pour l'amour de la fille.
En chelui jour que je vous di peussiés veoir ou palais le roi maint boin chevalier viestu et apparilliet biel et richement, et mainte biele damoisiele, et mainte biele dame prisie de biauté. Mais sor toutes celes qui le jour i furent emporta le pris et l'ounour de biauté Morgue, la fille Igerne. Et sans faille elle fu bele damoisiele jusques a celui terme que elle commencha a aprendre des enchantemens et des charroies. Mais puis que li anemis fu dedens li mis et elle fu aspiree et de luxure et de dyable, elle pierdi si otreement sa biauté que trop devint laide, ne puis ne fus nus qui a bele le tenist, s'il ne fu enchantés.
Quant les tables furent mises et il furent assis par laiens, Ulfins vint par devant le roi et dist si haut que tout le porent bien oïr : « Rois Artus, moult m'esmerveil de chou que tu sueffres que dame desloiaus et tele que elle ne deveroit pas tenir terre mengüe a ta table. Et qui vaurroit la chose mener si haut comme la verités mousterroit, il trouveroit tout apertement qu'il a en li murdre et traïson. Et puis que tu te tiens a si vaillant homme que tu sueffres que si desloial mengüe a ta table, certes on ne te doit pas tenir pour roi, mais pour le plus desloial houme dou siecle ! » Li rois fait samblant qu'il soit trop courechiés de ceste parole, si respont erraument : « Ulfins, garde te bien au commenchier que tu ne dies parole que tu ne puisses prouver a vraie, car tu en seroies tenus pour fol et si t'en poroit mal avenir. - Sire, je sai bien que a vostre table mengüe tele qui mengier n'i doit ne ne doit tenir terre - si tient ele de biele et de riche grant partie -, car elle fist a mon tans et au vostre murdre et desloiauté si grant que elle ne pot faire grigneur. Et se elle estoit tele que elle le vausist noiier, je seroie pres dou prouver encontre le milleur chevalier de sa court, s'il en i avoit nul si hardi qui pour li ceste chose desfendre vausist et entrer en camp encontre moi. - Par foi, fait li rois, assés en avés dit. Or couvient que vous dites, voiant tous ces barons, le non de cheli que vous accusés si malement. - Ciertes, fait il, che vous dirai je bien : c'est la roine Ygerne qui la siet, ne elle ne sera ja si hardie que elle l'ost noiier. »
Lors fait li rois moult grant samblant qu'il soit tous esbahis de ceste merveille, si dist a la dame : « Dame, vous oés bien que chis chevaliers dist seur vous. Ore gardés que vous en ferés, que se il pooit prouver devant la court chou que il dist, vous estes cele qui jamais ne terroit plain pié de terre en ma poesté. Et se je meismes le voloie souffrir, si feroie jou ma honte, car ciertes tel dame com il dist ne deveroit pas a mon regart remanoir ou siecle, mais estre condampnee pardurablement ou estre mise dedens terre toute vive. » La roine est toute esbahie de chou que Ulfins li met sus pour chou que elle set bien qu'il connoist grant partie de ses affaires. Et neporquant ele respont tout sans conseil d'autrui : « Sire, s'il avoit tendu son gage de prouver sour moi murdre et desloiauté, je cuic bien que auchuns m'en desfenderoit à l'aiue de Dieu, car certes onques de tel felounie ne m'entremis, che set bien Diex. » Et Ulfins saut maintenant avant et tent son gage en la main le roi et dist si haut que tout le pueent oïr : « Signour baron dou roiaume de Logres, sachiés que ceste querele vous touce autant comme moi. Car veés ichi la roine Ygerne qui conchut dou roi Uterpandragon, dou commenchement qu'i se fu de li acointiés, un hoir. Et quant il fu nés, on sot bien que il fu malles. Mais elle, qui plus baoit au destruisement de cest regne que au preu, ne vaut pas que li malles i remansist, ains l'envoia ne sai ou morir u faire autre fin, a tel eure qu'il ne fu puis a mon ensient nus qui verité seust de cele creature. Rois Artus, en ne fist ceste dame desloiauté de chelui mesmes qui de li estoit issus ? Si passa ses cuers desloiaus et felons toutes manieres d'autres meres, car toute meres aimment lour enfans natureument. Et se elle voloit noiier que elle ceste desloiauté n'euust faite, je seroie pres dou prouver. Mais je ne cuic mie qu'il m'en couviegne a vestir hauberc, car ele set bien que je di verité. »
Li rois fait semblant que il tiegne la chose a moult grant miervelle, si se seigne et regarde la roine et dist : « Ha ! dame, esche voirs que chis hom dist ? Certes, malement avés esploitié, s'il est ensi que il dist. » Et ele est si honteuse que elle ne set que respondre, car elle set maintenant que chis dist verité. Et lors lieve une grant noise et une grant friente en la court, car li povre et li riche, qui de ceste chose orent oï la parole, en commencierent tout a parler, et dient que Ulfins pooit bien voir dire et que la roine estoit bien digne de le mort rechevoir quant elle avoit ensi ouvré. Et li rois les fait acoisier et taire. Et quant la cours est acoisie, li rois dist a la roine : « Dame, respondés a che que cis chevaliers vous met sus. » Et elle est si espoentee, pour chou que elle se sent coupable de che que il dist, que elle tramble toute de paour. Et lors dist une parole en guise de feme qui ait grant doutance : « Ha ! Merlin, maudis soies tu ! En ceste dolour m'as tu mise, car tu euus l'enfant et en fesis ta volenté. » Et lors parole Merlins et dist a la roine : « Dame, pour coi maudiste Merlin ? Il vous valut et aida mainte fie, et a vous et au roy Uter, ne ja ne fust li rois ou point ou il fu, se Merlins ne fust. » Et elle le regarde, si respont : « S'il nous fist bien au commenchement, il le nous vendi bien au daerrain, car le premier enfant que Diex nous ot envoiiet emporta il, si ne sai qu'il en fist. Si moustra bien qu'il estoit estrais dou dyable et d'anemi quant il ne vaut mie tant attendre que li enfes fust crestiiens, ains l'emporta anchois qu'il eust rechut baptesme pour chou que il ne voloit mie que Diex euust part en la creature. - Dame, fait Merlins, je diroie miex verité de ceste chose que vous ne feriés, se je voloie. - Che ne porroit estre, fait elle, car vous ne le porriés miex savoir que je ne fach. - Sire, fait Merlins au roi, vous plairoit il a oïr pour coi Merlins enporta l'enfant ? - L'emporta il dont ? fait li rois. - Oïl, fait Merlins, vraiement le saciés vous. Et si vous conterai, s'i vous plaist, conment che fu, mais que vous faciés jurer a la roine seur sains que elle ne mentira de verité que je li die. » Lors fait maintenant aporter les sains en mi le palais la ou il mengoient. Et la roine se lieve de la table et dist a Merlin : « Je ferai cest serement, mais que vous me dites qui vous estes. » Et elle jure erraument sour sains qu'elle ne le desdira de verité qu'il die, si baise les sains et se relieve. Et li rois le fait asseoir la ou elle estoit devant. Et lors dist a Merlin : « Dites chou que vous avés promis. - Sire, si ferai jou volentiers. » Et lors saut la roine avant et dist a Merlin : « Je voel que vous diiés vostre non anchois que vous diiés autre chose. » Et il se met erraument en sa samblance vraie, en autele comme elle l'avoit autre fois veu. Si respont Merlins : « Dame, se vous ne savés mon non, je le vous dirai, mais je quidai que vous me conneussiés, et vous le deussiés bien faire, car autre fois me veistes vous ja. » Et elle le regarde, si le connoist maintenant. Et lors respont a Merlin : « Ore sa ge bien que vous m'avés occoisonnee de ceste chose. Si avés fait desloiauté, che m'est avis, car che que je fis de mon enfant fis jou par le commandement mon signour le roi, si couvient que vous l'enfant rendés ou vous i morrés, car, par mon chief, on le vous bailla, che sai ge tout vraiement. Et se vous le volés noiier que bailliés ne vous eust esté, je vous en feroie hounir dou cors, que ja pour tous vos enchantemens ne remanroit. »
Lors commenche Merlins a sorrire et dist au roi : « Sire, la dame dist chou qu'elle veult, et je l'escouterai pour chou que haute dame est. Mais encore di je bien, se il vous plaisoit, je diroie chou que jou commenchai a dire, pour quoi Merlins enporta l'enfant. » Et li rois respont : « Je voel avant savoir de vostre bouce se vous estes Merlins, si que mi baron l'oent apertement. » Et il respont : « Je sui vraiement Merlins. » Et tout li autre baron, qui autre fois l'avoient veut et qui adont le reconnurent, escrient a une vois : « Sire, chou est Merlins, vraiement le saciés vous. » Ne il ne cuidoient point que li rois le conneust. Lors les fait taire li rois. Et quant il sont tout acoisié, si dist a Merlin : « Merlin, il couvient que vous respondés a chou que la dame vous demande. - Sire, de quoi ? - De l'enfant, fait il, qui vous fu bailliés. - Pour Dieu, fait la roine, faites, sire, m'ent droit, s'il vous plaist, voiant les barons de vostre regne. » Et li rois dist a Merlin : « Merlin, respondés, qu'il le vous couvient faire. - Sire, fait il, volentiers vous responderai, et sachiés que je ne vous mentirai de chose que je chi vous die.
Voirs fu que li enfes dont nous parlons ichi me fu dounés des lors que il estoit ou ventre sa mere. Et le m'otria ses peres que je l'averoie, ou fust marle u femele. Et quant il fu a naissance, si comme Dieu plot, il m'en tint si bien convenent qu'il m'en saisist. Je avoie le pere moult amé, si en devoit estre miex au fil, et si fu il. Car, si tost comme j'en fui saisis, je le mis en sauve main et en boine garde a tel qui le norrist aussi doucement et plus qu'il ne fist son enfant meismes. Et se chius a qui je le baillai voloit noiier que je ne li eusse baillié, je li feroie connoistre par mi la bouce, ou il vausist ou non. » Lors se torne cele part ou Auctor seoit et li dist : « Auctor, je vous demande chou que je vous baillai, celui enfant dont Uter vous proia tant dou norrir, et sachés que che est cil que on me demande. » Et Auctor respont : « Merlin, sachés pour voir que je en ai fait tant que tout cil dou roiame m'en deveroient savoir boin gré. - Rendés le moi, fait Merlins, aussi comme je le vous baillai. - Aussi fait, dist Auctor, ne le puis je rendre, car n'est pas a moi, ains sui je a lui. Mais je le vous mousterrai grant et parcreu, mais vous le me baillastes petite creature et povre chose. »
Lors se drece en estant et vint au roi et li dist : « Sire, ne vous poise se je touche a vous. » Et li rois dist que non fait il. Et il le prent maintenant par le puing et dist a Merlin : « Merlin, ves chi chou que vous me baillaistes : en ai ge fait bonne garde ? - Se che est il, fait Merlins, tu n'en dois pas estre blasmés, mais encore ne t'en querrai je mie devant chou que te le m'aies maintenant miex fait connoistre. » Et Auctor respont : « Je le prouverai par le tiesmoing de tous mes voisins, qui bien sevent le jour qu'i me fu bailliés et ont puis tout dis esté avoec l'enfant. » Et li voisin que Auctor avoit fait venir a court sallent avant et dient que de che que il dist tiesmoignent il. Et Merlins respont : « Vous ne dites riens entre vous tout, mais tant me dites se vous savés le tans que il fu bailliés. » Et il rescrient tout a une vois : « Nous le savons bien. - Et combien puet avoir, fait Merlins, que il li fu bailliés ? - Il avra prochainnement .XVII. ans », font il. Et li dient le jour ou li .XVII. an devoient estre acompli. Et li chapelains qui baptesme li avoit douné dist a Merlin : « Merlin, il rechiut baptesme de ma main a chelui jour meisme qu'i te vont disant, et il porte mon non, non mie pour moi, mais pour chou que il fu commandé ensi a Auctor, che me dist Auctor meismes. »
Lors dist Merlins as barons qui laiens estoient : « Segneur baron de Logres, me puis je tenir a paiié de che que cil vont tiesmoignant ? » Et il dient : « Merlin, nous vous en tenons bien a paiiet, car on les tient a loiaus gens. - Par foi, fait il, dont ne serai je hui mais encoupés a mon ensiant de chou dont je sui accusés en ceste court. » Lors dist a la roine : « Dame, vous m'avés demandé vostre premier enfant qui donnés me fu de l'acort le roi, et je le vous rent moult autre qu'il ne fu bailliés. » Lors prent Artu par le brach et li dist : « Artu, tes peres te douna a moi en guerredon de tout mon service. De chou que tu fus miens te cui ge, k'encore te porrai je aparler et a droit, mais tant di jou sour m'ame et sour canques je tieng de Dieu que je voel que tout sachent que la roine Ygerne est ta mere et tu ies ses fiex et li rois Uterpandragon t'engenra le premiere nuit qu'il vint a ta mere. Si couvient que tu ailles a li et le requiers comme ta mere et elle ti coume son fil. Et vous, signeur baron dou roiame de Logres, di que plus ne desprisiés vostre signour pour chou que vous ne connissiés son lignage. Je sui Merlins, qui sai les obscures choses et les repostes, che savés vous bien, et pour chou me devés vous croire de chou que je vous dirai. Sachiés que vous devés amer et prisier vostre signour pour chou premierement que vous l'eustes par la grasce Nostre Signour, ne mie par autre ; apriés pour chou qu'il est de son aage li plus sages princes qui soit ou roiame de Logres ; aprés pour chou qu'il est si gentiex hom comme cil qui est engenrés dou roi Uterpandragon. Et pour chou que vous l'avés tenu pour vil dusques chi en vos cuers pour chou que vous ne connissiés dont il estoit estrais vous requier jou que vous des ore mais ne l'aiiés contre cuer, mais com droiturier segnour le tenés et par l'esgart de Nostre Signour et par lingnage. »
A che mot commenche la joie par laiens trop grant et trop miervilleuse, car li rois se lieve de la table et keurt a la roine sa mere la ou il la voit, et l'acole et baise, et elle autressi lui, et pleurent ambedui de joie et de pitié. Et quant li baron voient ceste chose, se il eussent Dieu ne fuissent il pas plus liet. Et dient que Merlins ne mist onques si grant joie ou roiame de Logres com il a orendroit, « et beneois soit Diex qui a ceste fois l'a ceste part amené, car de la connissance et de la gentillece le roi vaurra miex a tout nostre vivant li roiaumes de Logres ». Grant fu la joie de ceste connissanche ou roiaume de la Grant Bretaigne en tous les liex ou li rois Artus estoit sires et dura cele feste .XV. jours tous pleniers.
Un jour que la feste estoit grant et pleniere et li rois fu assis au disner et il ot eut le premier mes avint que uns escuiiers vint tout a cheval en mi le palais, qui estoit par terre. Et aportoit devant soi un chevalier navré morteument, et estoit ferus tout de nouviel d'une lanche par mi le cors, et estoit encore garnis de son hauberc et de ses cauches de fier, mais son hiaume il n'avoit pas en son chief.
Li escuiiers portoit devant soi le chevalier. Et quant il vint a l'entree de la sale, il ne trouva qui li contredesist, et pour chou vint il tout a cheval devant cheus qui mengoient. Et il descendi maintenant et mist son signour a la terre, qui estoit jonchie d'erbe verde. Et lors dist si haut que tout cil de laiens le porent oïr : « Rois Artus, a toi me fait venir li grans besoins que jou ai de t'aide et de ton secours, et se te dirai pour coi. Voirs est que tu ies rois et sires de ceste terre par la grasce de Nostre Signour, et quant tu fus saisis dou roiaume, tu creantas devant le peuple que tu amenderoies a ton pooir tous les mesfais que on feroit en ta terre, fust chevaliers ou autres. Et il est ore ensi avenu c'uns chevaliers, ne sai qui il est, a par son orgueil mon signeur orendroit ochis en cele foriest chi dalés. Ore i parra comme vous vengerés la mort de mon segnour. »
Li rois est moult courechiés de ceste nouviele, si en devint tous pensis ne n'entent pas a chose que li escuiiers die. Et Merlins le commenche a regarder et dist : « Rois, es tu esbahis de ceste noviele ? Onques n'i penses, car trop averoies a faire se tu te voloies courechier toutes les fois que tu verras a court tes nouvieles avenir. Che est la premiere aventure qui est a ta court avenue, si me poise moult que li commenchemens en est teuls, car li signes en est malvais et anieus. Fai ceste metre en escrit et les autres aprés ensi coume elles avenront ou roiaume de Logres, et saces que anchois que tu trespasses de cest siecle en seront tantes avenues que li escris qui en sera fais porra faire un grant livre. Ceste parole t'ai jou dite pour chou que je ne voel pas que tu t'esbahisses de teus aventures, ains voel que tu te maintiengnes vighereusement quant tu les verras avenir. » Et li rois respont qu'il ne vit onques teuls choses avenir en sa terre, et pour chou en a il esté un poi esbahis plus qu'il n'eust se elles fuissent avenues souvent. Lors demande a l'escuiier ou est li chevaliers qui cestui ochist : « Par foit, fait li escuiiers, qui a lui vaurroit aler, il le porroit trouver dedens la foriest, a l'entree en une praerie qui est enclose de brokes, et a un paveillon tendu d'encoste une fontainne. Et est li paveillons li plus riches et li plus cointes que je onques veisse. Et demeure illuec de nuit et de jour a le compaignie de deux escuiiers seulement. Et a fait a un arbre qui est devant son paveillon drechier glaives et escus, et couvient a chascun chevalier qui par illuec trespasse jouster a lui. - Par Dieu, fait li rois, de grant mierveille s'est entremis chis chevaliers et de grant cuer li vint quant il veult assaiier tous les trespassans. Ore couvient que on ait conseil sour ceste chose, car il a commenchié chou dont nus ne s'osa entremetre. Et vous, Merlin, qui savés que on doit faire, je vous pri que vous m'en consilliés. - Ciertes, fait Merlin, si ferai je. Et ceste maniere je vous ensegnerai ore si que elle sera tenue tout vostre vivant, mais apriés ne verra nus si preudom en ceste terre qui maintenir la puisse, car il ne vaurront mie tant. Ore escoutés que je vous dirai. Et vous, signeur chevalier qui chi estes, s'il vous samble que je die bien, si le dites.
Voirs est que chis chevaliers a commenchié ces aventures chevalier encontre autre, et puis qu'il a commenchiet en tel maniere, il couvient que chou qu'il a mesfait soit amendé par un chevalier. - Dont couvient il, fait li rois, que uns chevaliers de ceste cort i voist. - Voirs est », fait Merlins.
A ces paroles sailli avant uns escuiiers qui servoit devant le roi, et avoit non Gifflés, li fiex Dou. Et l'amoit li rois de moult grant amour, car Gifflés estoit biaus et gens et vistes et estoit de l'aage le roi Artu en tel maniere qu'il n'avoit que .III. mois plus que li rois. Il vint devant le roi moult apiers et dist : « Sire, je vous ai servi dusques chi au miex que je peuch, et si vous pri qu'en guerredon de mon serviche me doingniés armes et me faites chevalier, car ciertes je ne quic pas que de la main a plus preudomme de vous peusse a che tans d'orendroit armes porter. Pour chou vous pri jou que vous me faichiés chevalier, biau sire, si irai veoir maintenant qui chis chevaliers est qui ensi a par son orgueil encommenciet a ochirre les chevaliers trespassans. Et se vostre cours n'en est vengie par mon cors, je n'en deverai estre blasmés. - Gifflet, biaus amis, fait li rois, vous estes trop jovenes a emprendre si grant chose coume ceste est vraiement encontre un chevalier esleu. Et certes je sai bien que, s'il ne fust boins chevaliers et de haut affaire, il n'eust ja encommenchiet si grant chose. Pour chou vous loc jou que vous souffrés de cest affaire, car jou i envoierai auchun autre de chaiens ki plus est durs de cest mestier que vous n'estes. - Sire, fait Gifflés, chou est li premiers dons que je vous aie requis puis que vous premiers portastes couronne : se je onques fis chose qui vous pleust, ne m'en escondissiés ! » Et lors se met a genous devant li et li prie tout em plourant. Et li rois li dist : « Je te donrai chou que tu requiers, mais che poise moi, se Diex m'aït, car je t'aing moult, si ne porra estre que je n'en soie dolans s'il t'en meskiet. Ore atten jusques a le matin que je t'adouberai et te donrai armes. Et lors t'en poras aler au chevalier, se li cuers le te loe. » Et cil dist qu'il attendera dont dusques a demain puis que li rois le veult, et moult l'en merchie de chou qu'il li a ottroiié.
Ensi remest cele chose. Li rois fist metre en une chambre de laiens le chevalier au plus aise qu'il pot, mais il ne vesqui que .III. jours aprés, car trop mortelment l'avoit l'autres chevaliers feru. Au soir vint Merlins au roi et li dist : « Vous amés moult Gifflet et vous avés droit, car il vous aimme de tout son cuer et a esté norris avoec vous. Se vous di que se vous ne metés conseil, il ne revenra ja vis de la ou il ira demain, car trop est li chevaliers de la foriest boins chevaliers et de grant proeche. Et savés vous qui il est ? - Nennil, fait li rois. - Ore saciés dont, fait Merlins, que che est li chevaliers a qui vous parlastes avant ier et cil qui avoit si longement maintenue la cache de la miervilleuse beste. Dont il averra que se Gifflet, qui est boins, jovenes hom et tenres, vait a lui, chis, qui est fors chevaliers et durs et anchiiens, l'avra maintenant ochis, se la bataille dure longement. Et se Gifflet ore moroit en che point d'orendroit, che seroit damages trop grant, car se il vit par aage, il sera aussi boins chevaliers u mieudres que chis n'est. Et se vous di une chose que vous verrés encore avenir : il sera li chevaliers dou monde qui plus longement vous tenra compaignie, et apriés chou qu'il vous avera laissiet, ne mie par sa volenté, mais par la vostre, ne sera nus chevaliers qui compaignie vous tiegne puis ne qui vous voie, se ce n'est en songe. Et che sera li grignours dolours que a vo tans aviegne el roiame de Logres. »
A cest mot commencha li rois a penser moult durement, que il aperchoit maintenant que c'estoit de sa mort dont Merlins parloit, si en fu tous escommeus a cele fois. Et Merlins li dist : « Rois, que penses tu ? Ensi estuet que les choses aviegnent comme Nostre Sires les a ordenees. Ne t'esmaie mie, que che que je t'en ai dit n'averra pas en mon vivant. Et se tu muers, aussi fera chascuns. Et certes, se tu savoies comme de honnerable mort tu morras, tu t'en esgoïrois moult, et si feras tu. Et poés bien dire que nos mors sont moult divierses, la moie et la toie. - Pour coi, fait li rois, iche me dites ? - Pour chou, fait il, que tu morras a hounour et jou a honte. Et seras richement ensevelis et je serai tous vis mis en terre, et c'est bien honteuse mort. » Li rois se saingne de la parole qu'il entent, si dist : « Coument ! Merlin, si morras si deshonnereement comme vous me dites ? - Voire, fait Merlins, ne je ne voi chose qui destorner m'en puisse, fors Diex seulement. - Che est merveille, fait li rois, quant par ton grant sens ne te pues destorner de si grant mesaventure comme tu contes a moi. - Ore laissons a parler de ceste chose, fait Merlins, car je n'ai dit chose qui n'aviegne tout ensi coume je l'ai devisé, mais de Gifflet parlons, qui est em peril de mort se nous n'i metons conseil. Voirs est qu'il ne lairoit pour homme nul que il n'alast jouster au chevalier si tost coume il sera adoubés, si averra que li chevaliers, qui est de si grant force, le portera a terre de la premiere jouste. Et puis s'i vint a la mellee des brans, illuec avera Gifflés del tout perdu, car chis est li mieudres fereres d'espee qui soit en tout che païs. Ore gardons que on en porra faire. - Certes, je ne sai, fait li rois. - Et je le vous dirai, fait Merlins. Il est voirs que vous le ferés chevalier. Et quant il avera recheu de vostre main l'ordre de chevalerie, il ne vous osera par droit escondire le premier don que vous li demanderés. Et savés vous que vous li querrés ? Que si tost qu'il avera jousté au chevalier, qu'il s'en revenra, ou s'i li avint bien de la jouste ou s'il l'en mesavient. Et par ceste requeste porra il estre garandis de mort. » Et li rois dist que cis consaus est boins et loiaus.
A l'endemain fist Gifflet li rois Artus chevalier, et il estoit grans et biaus d'aage et legiers durement. Et si tost comme li rois li ot donné l'ordre de chevalerie, se li dist, voiant tous chiaus de la place : « Gifflet, je vous ai fait chevalier, vous ne me poés escondire le premier don que je vous demanderai. - Sire, che est voirs ; demandés, car je sui pres dou donner a vous a mon pooir. » Et li rois li dist : « Je voel que si tost que vous averés jousté au chevalier, ou bien vous en kiece ou mal, que vous vous en repairiés sans plus faire, soit a pié ou a cheval. » Et cil dist : « Sire, puis qu'il vous plaist, si ferai jou a men pooir. » Lors fait venir ses armes et dist qu'il ne demorra plus qu'il n'aille veoir le chevalier. Et quant il est tous armés, il monte seur sen cheval et prent un escu et a son col le met, et on li aporte une moult boine glaive et fort, et il se part maintenant de court en tel maniere qu'il ne veult avoec soi mener serjant ne escuiier. Et li rois remest en son palais moult pensis, car il amoit Gifflet de grant amour. Les tables furent mises et s'assirent tout par laiens. Et en che que li rois mengoit, es vous par laiens entrer .XII. hommes qui tout estoient vestu de blanc samit. Et estoient tout li houme viel et anchiien et tout blanc de kenissure, et portoit chascuns en sa main un rain d'olive par senefiance d'amour. Quant il vinrent devant le roi, il s'arresturent et le saluerent tout, et il lour rendi lour salut comme cil qui assés savoit. Et l'un d'eus prist la parole sour lui et dist :
« Rois Artus, che te mande il empereres de Roume a qui tout li signeur terriien doivent obeir que tu envoies a Roume tes treus que tes roiames doit. Ne li tauc mie sa rente plus longement que elle li a esté tolue, car grant mal en venroit a toi premierement et puis a tes houmes, et la terre en seroit destruite. Or garde bien que tu oevres sagement a ceste fois, car tu ne pues ore garir de mort se tu nel fais ! » Quant il ont dite lour parole en tel maniere, li rois respont : « Signeur, je ne tieng onques de Roume nule chose, ne ja ne quier que j'en tiegne. Et chou que je tieng, je le tieng de Dieu seulement, qui en ceste poesté et en ceste grasce me mist, au destruisement de m'ame se je n'i faich chou que je doi et au sauvement se je i tieng le peule comme peres le doit tenir. A chelui dont, signour, qui en ceste hautece me mist sui je tenus que je li rende treu de toutes les hounours qui en sa baillie m'avenront, mais a nul autre je ne sui tenus, car nus autres ne me mist en possession. Pour coi je voel bien que vous dites a vostre empereour qu'il ne fu mie sages quant il tel parole me manda, que je sui chius qui riens ne li renderoie ne riens ne terroie de lui, ains vous di bien que s'il estoit demain entrés en ma terre pour occoison de guerroiier, il ne reverroit jamais a Roume, se Diex ne me nuisoit trop durement. Et gardés que vous ne soiiés jamais si hardi que vous en ma terre entrés pour teuls paroles anonchier, que mal vous en porroit venir de vos cors. Et saichiés que se vous ne fuissiés message, je vous fesisse honnir, ne ja n'en eussiés autre chose, fait li rois. - Ore vous desfions nous dont de par le pooir de Roume et de par toutes les terres qui sougites sont a lui, si vous disons bien que vous ne fesistes onques chose dont si grant mal vous doive avenir. - Alés vous ent, fait li rois, car bien avés fait vos message. »
Atant se departent cil de devant le roi et vinrent en la court, si montent. Et li rois remest entre ses gens et commencha a parler de l'emperour et dist qu'il n'estoit bien sages quant il li avoit mandé qu'il li envoiast treuu, car che ne feroit il a nul homme terriien. Mais or laisse li contes a parler dou roi et de sa compaignie et retorne a Gifflet.
Ore dist li contes que quant Gifflés se fu partis de la court, il chevaucha tout ensi armés comme il estoit grant oirre, et tant qu'il vint a la forest. Si se torna cele part ou il cuida le chevalier trouver plus legierement. Tant a alé en tel maniere qu'il vint en la praerie ou li chevaliers s'estoit logiés, et vint a la fontainne, et le paveillon si biel et si cointe vit comme on li avoit devisé. Et a l'entree dou paveillon estoit atachiés uns chevaus grans et fors plus noirs que meure, et devant a un petit arbrissiel pendoit uns escus au chevalier. Quant il voit chou, il point son cheval cele part et s'adrece viers l'escu et le porte a terre. Et li chevaliers saut maintenant fors dou pavillon et dist a Gifflet la ou il le voit : « Ha ! sire chevaliers, vous n'avés mie fait que courtois qui mon escu avés abatu. A moi vous deussiés prendre, se je vous eusse mesfait, et non pas a l'escu ki riens ne vous demandoit ! » Et Gifflet respont qu'il l'a fait ou despit de lui : « Or l'amende, se tu as le pooir ! - Or me dites par cortoisie, fait li chevaliers, a qui vous estes. » Et Gifflet dist qu'il est au roi Artu. « Voire ? fait il. Or me dites, par la foi que vous li devés, chou que je vous demanderai. Combien a que vous fustes chevaliers ? - Certes, fait Gifflés, vous m'avés tant conjuré que je ne vous mentiroie pas. Je vous di loiaument que je rechiu au jour d'ui l'ordre de chevalerie de la main le roi Artus meismes. - Voire, fait cil, si estes si nouviaus chevaliers et avés si grant chose entrepris comme de combatre encontre moi, qui sui uns des plus renommés chevaliers de ma terre ? Or vous en ralés arriere, que Nostre Sires vous face preudomme ! Et ciertes si serés vous, se Dieu plaist, que hautement avés encommenchié de cevalerie. - Comment dont ! chevaliers, fait Gifflet, si volés que je m'en aille sans jouster a vous ? Che ne porroit estre. - Si ferés, fait li chevaliers, car je ne jousteroie a vous ore, que se je vous blechoie, je ne seroie jamais liés. Car j'ai esperance que vous serés encore preudom et boins chevaliers a l'aide de Dieu. - Tout che ne vous vaut riens, fait Gifflet. Il couvient que vous montés et prendés vostre escu et vo glave, si jousterons ensamble. Et se vous chou me refusés, vous me ferés faire une chose qui a honte me sera tornee, car je sui a cheval, si vous ferrai la u vous estes a pié. »
Quant li chevaliers ot ceste parole, il respont tout en souriant : « Certes, sire chevaliers, se Dieu plaist, vous ne commencherés ja a faire vilounie pour defaute de moi. » Lors vint a son cheval, si monte et prent son escu et sa glave, et lors dist a Gifflet : « Sire chevaliers, encore vous loeroie jou ceste chose anchois que pis vous en venist. » Et Gifflés dist que ja Diex ne li aït se il ensi le laisse. Et li chevaliers respont qu'il ne l'en priera huimais, si broche le ceval des esperons et s'adrece a Gifflet, et il refait tout autretel. Si s'entrevinrent tant comme il porent des destriers traire et s'entrefierent les gringneurs cols qu'i se porent entredouner. Gifflés fait sa glave voler en escars. Et li chevaliers, qui a droit le prist comme cil qui bien en estoit acoustumés, le fiert si durement qu'il li perche l'escu et l'aubierc, se li met par mi le costé senestre le fer de la glave a tout grant partie del fust, se que li fers parut de l'autre part. Et de tant li avint il bien que la plaie ne fu mie morteus. Il l'empaint bien coume cil qui estoit de grant forche, si le porta tout enviers a la terre, et au parcheoir brisa la glaive, si que chis remest a la terre tous enferrés. Et li chevaliers fait outre son poindre et revint arriere. Et quant il vit chelui qui a terre gisoit, qui n'avoit pooir de soi relever, il descent erraument et cuide bien qu'il l'ait mort, si en est trop courechiés et le plaint trop durement, et dist que c'est damages, que se il vesquist longuement il ne peuust faillir a estre boins chevaliers, car il estoit trop hardis. Lors li deslace le hiaume et li oste et li abat la ventaille pour le vent recueillir. Et quant cil a esté grant pieche en tel maniere, il revint en son pooir, si se dreche aussi vighereusement que se il fust tous sains ; et vint a son cheval, que li chevaliers avoit retenu, si monte assés bien comme de chevalier qui moult estoit navrés durement. Et prent son escu, et il ot remis son hiaume, et lors dist au chevalier : « Certes, sire chevaliers, je ne puis dire que vous ne soiiés preudom et boins chevaliers : assés savés miex ferir de la lanche que je ne cuidoie. Mais, se Diex me consaut, se je eusse plus congiet de faire enviers vous que de lanche, ja pour chou que je sui navrés ne remansist que je ne vous essaaisse a l'espee. » Et cil respont : « Certes, sire jovenes chevaliers, vous avés assés cuer pour commenchier une grant chose. Nostre Sires vous doinst le pooir de vous eslever, car ensi seriés vous uns des boins chevaliers dou monde. » Il ne respont a riens que li chevaliers li die. Ensi en vait grant oirre, si navrés que uns autres hom, s'il ne fust de trop grant cuer, ne se peust tenir en sele pour riens dou monde.
Ensi chevauce tant que a la court vint a eure de vespres, et il estoit encore tous enferrés, et il en vint en la sale tout a cheval. Et quant li rois le vit venir sanglent si coume il estoit, il li dist trop courechiés : « Ha ! Gifflet, or vous vausist miex que vous fuissiés remés ! Je vous disoie bien que vous n'aviés duree au chevalier. Que vous en samble il ? - Sire, se Dieu m'aït, c'est li mieudres chevaliers que je veisse piecha et li plus courtois que je onques trouvaisse. Car il jousta moult a envis a moi pour chou qu'il me veoit si jovene houme, et au daerrain il m'euust ochis s'i li pleust, mais il ne vaut, ains me rendi mon cheval et me dist que trop li pesoit de chou que il m'ot navré. - Par Diu, fait li rois, vaillans est li chevaliers et bien est gracieus et de chevalerie et de cortoisie. Pleust ore a Dieu que je le resamblaisse ! » Lors sont mandé li mire, si font desarmer Giflet et le desfererent, et dient au roi qu'il n'a garde de morir, car il le cuident bien garir assés prochainnement. Mais or en laisse li contes a parler de lui et dist que li rois Artus pensa moult au chevalier la nuit. Et se il peust aler a lui si couvertement que si homme ne le seussent, volontiers le fesist. Ensi fu li rois pensis cele nuit, si dormi peu et pensa moult. Et un peu devant chou qu'il deuust ajorner, il apiela un sien cambrelenc qui moult estoit ses privés, se li dist : « Va, si me porcache orendroit mes armes et mon cheval et canqu'il affiert a chevalier, et fai ceste chose si couvertement que nus ne le sace ne mais tu seulement. - Ha ! sire, fait il, k'en volés vous faire ? - Ne te caille, fait li rois, ne t'esmaie, car je revenrai, se Dieu plaist, a eure de prime. »
Chis n'ose refuser le coumandement de son signour, si keurt et appareille vistement canques ses sires li ot commandé. Et quant il vint en la cambre, si trueve que li rois estoit vestus et cauchiés. « Sire, fait il, tout che que vous me commandastes est apparillié. - Che me plaist moult », fait li rois, si prent ses armes maintenant. Et quant il est tous armés, si fait son cheval mener fors de la chité par un jardin qui d'encoste sa chambre estoit. Quant li rois fu hors des murs, il monte en son cheval et prent son escu et sa glaive. Et lors dist a son cambrelenc : « Je voel que tu remaingne seur cest arbre, et m'aten tant que je reviegne, car se tu aloies laiens, mi houme t'acoisonneroient pour moi quant il ne me trouveroient. » Et cil dist : « Sire, vous dites voir. Et pour chou remanrai je et vous attenderai tant que Diex vous ramaint. »
Atant se part li rois de son cambrelenc tout ensi armés com il estoit et cevauche le petit pas del cheval tant comme a la foriest vint. Et lors fu li jours grans et biaus et clers. En che qu'il fu mis en la foriest, il encontre Merlin qui s'en afuioit canques il pooit pour .III. vilains, leur cuingnies a leur cols dont il li voloient coper la teste. Et quant li rois voit Merlin et il le connoist, si en fu moult esbahis. Si vint au vilain qui de plus pres le venoit ataignant et dist : « Fui, vilains, ne le touce pas, car je te tuerai maintenant ! » Et quant cil voit le chevalier armé qui le manace, il tourne en fuies et se fiert en la forest la ou il se cuide plus tost garandir, et aussi font li autre, qui n'avoient pas petit de paour dou chevalier armé. Et li rois vint a Merlin et li dist : « Merlin, vous estiés pres de mort, se Diex ne m'eust a che point amené seur vous. - Ne vous esmaiiés dont, rois, fait Merlins, car vous estes plus pres de la mort que je n'estoie se on ne met conseil en vostre affaire. - Et vous que savés ? fait li rois. - Je le sai bien, fait Merlins. Dont n'estes vous cha venus pour combatre au chevalier dou paveillon ? - Oïl voir, fait li rois. - Ore sacés de voir, fait Merlins, que vous n'i averés ja duree, et si vous dirai pour coi. Il est durs chevaliers et fors et aüsés del mestier et preus et hardis, et vous estes jovenes et tenres, ne n'estes pas en si grant force de la moitiet que vous serés encore tresqu'a .V. ans, ne ne l'avés aüsé. Si n'avés armeure qui riens vaille ne espee tele comme elle vous afferroit, et il a les millours armeures, a mon ensient, qui soient en che païs. Et avoec chou il a une espee qui bien affiert a tel chevalier comme il est, car ele est par couvent la meillour que chevaliers qui soit en che païs ait en sa baillie. Ore esgardés que vous estes bien garnis encontre lui ! Je ne voi chose qui vous doive orendroit valoir fors boin cuer et le hardement dont vous estes plains. Dont je vous pri que vous retornés, car trop seroit grans duels et damages se vous, qui devés venir a tres grant hounour et a tres grignour chose que vous ne sariés cuidier, perissiés en tele maniere. - Merlin, vous ne me poriés dire chose par coi je retornaisse devant che que j'aie le chevalier essaiié a l'espee et a la lanche. - Et puis que mon conseil ne volés croire, fait Merlins, ore vous en couviegne bien, car je ne m'en entremeterai huimais ! »
Lors dist li rois a Merlin : « Merlin, pour coi vous cachoient ore li vilain ? » Et Merlins commenche a sorrire et puis si dist : « Il me cachoient pour une parole que je leur dis et si estoit verités. » Et li rois demande quels ele fu. « Che vous dirai je bien, fait Merlin.
Voirs est que quant j'aloie ore par ceste forest ainsi seul comme vous veés, aventure me mena sour ces vilains qui caupoient .II. kaisnes et se hastoient moult durement de les metre par terre. Et je lor dis : “ Pour coi vous hastés vous si de ceste besoigne ? - Pour chou qu'il nous est besoing, respondent il. - Voire a maleure, fis jou, si vous est grant besoing que vous venés a vostre honte. Certes, c'est grant folie, car bien sachés que vous de tant les verrés plus tost abatus, de tant recheverés vous plus tost mort. Car li dui de vous seront pendu a ces kaisnes meismes, et li tiers sera ochis d'une de vos cuingnies. ” Quant il oïrent chou que je disoie, si en furent moult tormenté de la parole et me coururent sus, les cuingnies en leurs mains, pour moi occhirre. Il m'eussent mal fait, s'il eussent loisir eut. - Ore me dites, Merlin, est il voirs qu'il leur avenra ensi coume vous l'avés dit ? - Certes oïl, fait Merlins, que si tost comme il seront la venu, il s'entremelleront ja ensamble pour un cheval qu'il achateront entre voies, car chascuns le vaurra avoir a sa part pour chou que li marchiés lour semblera boins. Et pour chou montera entr'aus trois la mellee, si ochirront li dui qui frere sont le tierc, qui est lour cousins germains. Et maintenant verra sur le fait meismes la justice de la ville, qui les fera saisir et pendre as chaisnes meismes que il averont aporté dou bos pour chou que si pres seront trouvet li fust. » Et li rois commenche a sorrire de ceste chose et dist que ceste aventure que Merlins set ne set il mie de par Dieu, mais de par le mal esperit. « Or ne parlés plus, fait Merlins, de mon savoir. Je cuic qu'il vous vaurra encore miex que toute vostre poesté. »
Tant ont alé parlant en tel maniere qu'il vinrent en la praerie ou li chevaliers s'estoit logiés. Et quant li rois se regarda, il ne vit Merlin ne loing ne pres, si prist a sorrire et dist que moult a afaire qui le dyable veult garder. Il cuidoit bien que Merlins fust encore d'encoste lui, et ore l'a si dou tout perdu qu'il n'en set ne vent ne voie. Quant li rois vint dalés la fontainne, si trouva le chevalier tout armé fors d'escu et de glave, qui se seoit en une kaiiere a l'entree dou paveillon. Li rois li dist sans saluer : « Sire chevaliers, qui vous commanda a garder le trespas de ceste forest en tel maniere qu'il n'est chevaliers estraingnes ne privés qui trespasse par mi la foriest le chemin qu'il ne couviegne jouster a vous ? - Sire chevaliers, fait il, jou meesmes em pris le congié sur moi sans auctorité et sans grasce d'autrui. - Vous estes trop mesfais, fait li rois, en tant quant vous a tout le mains n'en presistes congiet au signeur de la terre. Et je vous commanc de par lui que vous ostés vostre pavillon de chi, et ne soiiés jamais si hardis que vous vous entremetés de tel chose faire. » Et il respont qu'il n'en laira riens pour lui ne pour autrui devant chou que aventure ait amené chevalier qui par armes le puisse conquerre. « Par mon chief, fait li rois, ore est cil venus qui par armes vous conquerra, ou je serai en ceste place honnis et recreans. Et pour chou voel jou que vous vous gardés de moi, car je vous desfi, et montés isnielement sour vostre cheval, u autrement vous feroie jou toute vilounie la ou vous en estes ensi tout a piet ! »
Li chevaliers respont qu'il a oï maint orgilleus parler dont il prisoit moult petit l'orgueil, et si fait il de cestui, et bien le cuide metre en mesure en peu de terme. Lors vint a son cheval, si monte et prent son escu et sa glaive et demande au roi Artus s'il veut jouster. Et il respont qu'il n'est venus ceste part pour autre chose. Si s'entreslongent erramment plus que uns arpens ne dure et s'entrevienent grant oirre les glaives abaissies, si s'entrefierent si durement que les glaives volent en pieces et s'entrehurtent des cors et des visages si que il en sont estourdi et estonné. Mais ne cheï ne li uns ne li autres a cele fie, ains s'em passent outre ambedui mal arreé et tout desconreé. Et quant il furent mis ou repairier, il rois met la main a l'espee et vaut courre sus au chevalier. Mais li chevaliers dist : « Ha ! sire chevaliers, s'il vous plaist, si ne commenchons mie encore la mellee des brans, mais je vous dirai que nous ferons, et si sera grant cortoisie. Nous avons lanches a grant plenté, fortes et boines, et recommenchons entre moi et vous a jouster tant que li uns de nous d'eus chiece. Aprés quant li uns de nous sera cheus, lors porrons nous, s'il vous bien plaist, commenchier le caple. » Et li rois dist que che veult il bien. Et maintenant aporte li chevaliers .II. glaives, si en baille l'une au roi et l'autre retient, et lors rencommenche a jouster a lui, et laisse courre li uns a l'autre, et refont voler leur glaives en escars, mais nus d'eus ne versa a terre. Et lors dist li chevaliers al roi : « Si m'aït Diex, sire chevaliers, je ne sai qui vous iestes, car vous estes li mieudres jousteres que je onques trouvaisse. Si n'en soiiés mie orgilleus, que je ne le di mie pour amour que j'aie a vous, mais pour le bien que jou i voi. »
Li rois ne respont a riens que li chevaliers li die. Et cil li redist : « Je vous pri que vous joustés encore la tierche lance. » Et li rois li dist que il ne l'en faudra ja tant com il puist son cors tenir en sele. Et cil li raporte erramment une autre lanche et il la prent. Nonporquant si se doloit il moult des .II. joustes qu'il avoit faites, car trop estoit li chevaliers de grant force. Lors laissent courre moult aïreement li uns viers l'autre, et si poise moult a chascun de chou qu'il n'a son compaignon abatu. Si s'entrevienent si angoisseusement qu'il samble bien a la friente des chevaus que la terre doive fondre devant eus. Et quant il s'entraprochent, si s'entrefierent si durement qu'il metent les fers des glaives par mi les escus, mais li hauberc sont si fort ambedui qu'il ne se pueent entamer. Il vinrent de grant force, si font les glaives voler em pieces et au parhurter qu'il firent des cors et des escus vole a terre li rois, son cheval sour sen cors. Et li autres chevaliers fait outre son poindre et revient assés tost. Et li rois fu ja relevés de terre, mais de son cheval il n'ot point, car il se fu ferus en la forest. Et quant li chevaliers voit le roi a piet, il li dist : « Sire chevaliers, vous savés bien comment il est et connissiés bien que jou ai le meillour de la bataille, car vous estes a piet et je sui a cheval. Mais par mi chou que vous estes li mieudres jousteres que je onques trouvaisse vous quiterai je de ceste bataille, s'il vous plaisoit, car je en nulle maniere ne vaurroie qu'il vous avenist honte en lieu u je fuisse. » Et li rois dist que ja, se Dieu plaist, pour chou se il li est ore mesavenu au jouster, ne laira il sa bataille, ains le siurra dusques a la fin, et qui Diex en donra l'ounour, si la prengne. Quant li chevaliers oï ceste parole, si respont : « Comment ! se vous volés combatre a moi qui sui a cheval et vous estes a pié ? Si veés vous bien que j'en ai le milleur ! - Comment que vous en soiiés au desus, fait li rois, ma bataille ne lairai je mie, car je n'averoie jamais hounour en chou que je sui encore sains et haitiés. »
Quant li chevaliers voit que autrement ne puet estre, il se pourpensa lors d'une proueche ki adonques n'avoit esté faite ou roiame de Logres, et puis la firent ensi maint preudomme. Li rois tint l'escu en cantel et l'espee en la main, et s'adreche viers celui qui a cheval estoit. Et quant cil le voit venir, il se traist un poi arriere et dist au roi : « Sire chevalier, souffrés vous ! Ja, se Diu plaist, ne me combaterai a vous tant comme je soie a cheval et vous a pié, car certes se je vous conqueroie en tel maniere je n'i avroie ja hounour. » Lors descent erraument et atache son cheval a l'entree de son paveillon. Et lors embrace l'escu et trait l'espee et dist au roi : « Sire chevaliers, ore averai jou gringnour hounour de combatre a vous que je n'eusse a cheval. Mais encore vous loeroie jou endroit de bien que vous laissiés ceste bataille ester. » Et li rois dist que che ne feroit il en nule maniere. Et lors laisse li chevaliers courre et li donne grant cop sour sen escu, si qu'il en abat un cantel. Et li rois n'est mie lens, ains li donne par mi le hiaume si grant cop que il puet amener de haut, si que li chevaliers est tous cargiés dou cop soustenir. Mais il estoit fors et hardis et aüsés de tel mestier et savoit de l'escremie, si tient le roi si court a l'espee trenchant que anchois que chis premiers assaus remansist ot li rois .II. plaies ou cors dont uns autres hom se tenist a mort ferus de la menour. Si ot ja moult pierdu dou sanc, car l'espee au chevalier estoit de moult grant bonté. Et li rois toutes voies, qui de grant cuer et de grant hardement estoit garnis, s'esforce toutes voies et endure que cil giete seur lui menu et souvent, mais il n'ot pas esté si lent qu'il n'ait au chevalier trait dou sanc par pluiseurs parties, car il li ot fait plaies assés, petites et grans.
Tant dure la bataille en tel maniere que li uns et li autres est assés travilliés. Et che avoit au roi moult aidié que il estoit moult plus legiers et plus vistes que li autres chevaliers n'estoit, comme cil qui encore n'avoit barbe ne grennon, ains iert jovenes enfes. Et se il fust aussi bien armés et d'espee et de toutes choses comme li autres chevaliers estoit, mesires Robiers de Berron, qui cest conte mist en escrit, dist tout apertement que li rois peust bien avoir au loing le plus biel de la bataille, a chou qu'il n'eust mie tant perdu de sanc comme il avoit. Et chou estoit une chose qui auques l'avoit alenti et tolut grant partie de sa force et de son pooir.
Aprés le premier assaut, quant il se furent un poi reposé, rapiela li chevaliers le roi a la bataille. Et cil l'assaut vighereusement, mais moult le fesist encore plus tost se pour le sanc ne fust dont il avoit perdu foison. Si avint a chelui cop que li rois haucha l'espee pour ferir le chevalier, et li chevaliers refist tout autretel pour ferir au roi, se il peust. Et ensi que les espees vinrent l'une contre l'autre et li achier s'entrecontrerent couvint que li piour brissast et faussast. Et pour chou que l'espee au chevalier estoit la millour et la plus dure en copa il l'espee le roi tout outre par mi par devant le heus, si que li brans l'en cheï a terre et le heudure en remest au roi en sa main.
Quant li rois voit qu'il a s'espee perdue, il n'est pas bien asseur a chou que il se sent navret et travillié et connoist son anemi a tres boin chevalier, si ne set que faire, car ore se voit il em peril de perdre la vie et toute l'ounour terriiene, ne si n'ot onques mais si grant doutance comme il a orendroit. Et quant li chevaliers le vit sans espee, il se pensa qu'il le metera jusques a paour de mort pour savoir s'il en porroit traire parole de couardise, car de tant set il bien qu'il est drois hardis. Lors commencha a gieter sor lui plus et plus, et li depecha son hiaume et son escu et son hauberc. Et li rois se cuevre toutes voies de tant d'escu comme il avoit et endure et sueffre le force dou chevalier. Et il avoit tant apris de l'escremie que peu avient que li chevaliers le fiere se sour son escu non. Si s'esmierveille moult li chevaliers comment li rois puet tant soustenir, car che set il bien qu'il a trop perdu de sanc, se li pesera trop s'i le mainne a mort, car moult l'a trouvé boin chevalier et preu et le prise sour tous chiaus qu'il encontrast onques. Lors dist au roi pour essaiier qu'il dira : « Sire chevaliers, vous savés bien comment il est. Vous estes alés, se vous ne vous tenés a outré et a vaincu de ceste bataille. Et bien sachiés, se vous ne vous metés del tout en ma merchi, vous n'averés ja raenchon que je ne vous caupe le chief ! - Certes, dans chevaliers, fait li rois, vous estes fols de ce requerre. Ja, se Dieu plaist, pour paour de mort ne dirai parole qui a honte me peust torner, car certes je douc plus honte que je ne faich le mort. - Che n'a mestier, fait li chevaliers. A dire vous convient autre chose, ou vous estes a la mort venus. - Quant la mort verra, fait li rois, a rechevoir le me couverra. Mais je ne cuich mie que la mors me soit encore si prochainne comme vous le dites. » Et lors jete l'escu a terre et tant comme il tenoit de l'espee en sa main, et court au chevalier et l'embrace par mi les flans et le lieve haut de terre un pié ou plus, et puis le rue a fine force desous lui, si qu'il le tient entre lui et la terre. Et cil cheï si durement qu'il en fu tous estounés. Et li rois ahert son hiaume si fort qu'il en derront les las et li esrache dou chief, ou cil voelle u non, et le gete en voiies. Et se il euust adont euut de quoi le chevaliers damagier, finee fust la bataille. Mais il avoit les mains toutes vuides, se ne li pot mesfaire rien se petit non.
Quant li chevaliers voit qu'il est ensi au desous et que chis l'a mis desous lui et li a tolut son hiaume, il n'est pas bien asseur, car se li rois puet tant faire que il tiegne a ses mains l'espee, qui assés estoit pres de lui et qui estoit cheue des mains au chevalier au cheoir qu'il fist a terre, il connoist bien qu'il a l'estour perdu. Et pour chou s'esforce pour paour de mort et prent le roi de toute sa force as deus bras, si l'estraint encontre son pis si durement qu'il li fu avis qu'il doive d'angoisse morir, si pert le pooir et la force, tant l'estraint chis durement. Et quant li chevaliers voit le roi laskier, il vint desus et met le roi desous, et se traist viers l'espee et tant fait qu'i la prent. Et si tost qu'il la tint, il est si dolans de la painne et dou travail qu'il a souffert et de la paour qu'il ot euue que il en oublie toute deboinaireté et s'appareille dou roi cauper la teste. En çou qu'il li voloit cauper les las dou hiaume, Merlins, qui pres d'illuec estoit et avoit tout dis regardé la bataille, quant il voit le roi em peril de mort, il li est avis que il porroit bien trop attendre, car s'il demeure un peu il n'i verra jamais a tans.
Lors vint cele part si grant oirre comme il puet et trueve que li chevaliers avoit ja au roi osté le hiaume fors de la teste. Et quant il voit cele chose, il a paour et trait au chevalier : « A ! chevalier, ne le touchiés ne plus ne li faites de mal, car tu feroies le roiame de Logres orfenin de boin signour ! - Comment ! fait li chevaliers, esche dont li rois Artus ? - Oïl certes », fait Merlins. Et cil fu courechiés, si dist que ja pour chou ne laira qu'il ne l'ochie, si dreche l'espee pour ferir. Et quant Merlins voit chou, si gete son enchantement si qu'il fait endormir le chevalier desus le cors Artus. Et Merlins dreche sus le roi et dist : « Ore pues tu veoir que miex te vaut mes sens que ta proueche, et che te di je hui matin qu'il averroit. » Li rois se dreche erraument et trueve le chevalier qui dormoit et qui ne se remuoit de riens, si quide bien qu'il soit mors et que Merlins l'ait ochis par un enchantement. Si dist erraument a Merlin : « Ha ! Merlin, mal as fait, qui cest chevalier as mort ! Jamais chis damages n'iert recouvrés, car chou estoit a mon ensient li mieudres chevaliers dou monde. Si vausisse miex, se Diex me consaut, avoir pierdu le milleur chastiel que j'aie que tu l'eusses ensi ochis ! - Comment ! fait Merlins, quides tu dont qu'il soit mors ? - Il le me samble, fait li rois. - Ore saches, fait Merlins, qu'il est tous vis et qu'il ne s'esveillera ja devant che qu'il me plaira. - A poi, fait li rois, que je n'ai esté hounis par m'espee qui me failli. - Ne le vous disoie je bien, fait Merlins, qu'elle ne vous averoit ja duree ? Et sacés que je ne sai en che païs c'une boine espee, et cele est en un lach ou fees habitent. Se celle poés avoir, elle vous durroit tres qu'a la fin. - Ha ! biaus amis Merlins, fait li rois, porriés vous faire que je l'eusse ? - Je vous merrai bien, fait Merlins, de chi la ou elle est, mais pour moi ne la porriés vous avoir, car je n'i ai pooir. Et neporquant je sai bien que vous l'averés, et en tel maniere que vous vous en esmervillerés trop.
Ore en alons entre moi et vous chiés un hermite, si vous i reposerés anuit mais. Et demain, quant on sera pris garde de vos plaies et elles seront affaities, lors nous em partirons ensamble et irons cele part ou je t'ai dit que l'espee est, s'il est ensi que adont puissons chevaucier, mais je me douc que vous ne soiis navrés si durement qu'il vous nuise a errer. » Et li rois respont qu'il n'a plaie qui a chevauchier li toille. Lors monte li rois sur le cheval au chevalier a qui il s'estoit combatus, si s'en vait avoec Merlin. Et il le mainne en un hermitage en une montaigne, et estoit li hermites moult preudom et de sainte vie, et avoit esté mierveilles boins chevaliers au siecle, et savoit assés de plaies garir.
Quant li rois fu laiens descendus, on le desarme et li preudom prist garde de ses plaies. Si dist au roi qu'il n'euust doutance, car il gariroit assés legierement a chou qu'il n'avoit nule plaie qui moult fust perilleuse. Chelui jour demoura laiens li rois et Merlins avoec lui, et l'endemain, que onques ne s'en murent. Lors s'em partirent et alerent tant qu'il vinrent a la mer auques pres. Merlins torna a diestre viers une montaigne et tant ala qu'il vint a un lach. Et il dist au roi : « Rois, que te samble de ceste iaue ? - Merlin, fait li rois, elle me samble parfonde durement et si est en tel maniere que nus nom ne s'i meteroit qui ne fust peris. - Certes, fait Merlins, vous dites voir. Nus n'i enterroit sans le congiet as fees qui ne fust mors erramment. Et bien sachiés que en cest lach est la boine espee que je vous di. - En cest lach ? fait li rois. Et comment le porra on avoir ? - Che verrés vous, fait Merlins, assés prochainnement, se Dieu plaist. » Endementiers qu'il parloient en tel maniere, il regarderent en mi le lach et voient une espee apparoir par desus l'iaue en une main et en un brac qui apparoit tresque au keute, et estoit viestus li bras d'un samit blanc et tenoit la mains l'espee toute hors de l'iaue. « Or poés veoir, fait Merlins, l'espee dont je vous ai conté, cele que vous emporterés. - Ha ! Diex, fait li rois, comment la porriens nous avoir ? Car en cel lach ne se porroit nus hom metere qui peris ne fust. - Diex vous envoiera auchun conseil, fait Merlins. Or attendons encore un poi. » Ensi qu'il tenoient parole de l'espee, atant voient une damoisiele qui venoit par deviers la mer. Et estoit si escaufee qu'il sambloit bien que elle fust venue moult grant oirre, et chevauchoit un palefroi noir petit, ne mie grant.
Quant elle vint priés du lac, si salue le roi et Merlin, et il li rendent son salut, et elle lour dist : « Je sai bien que vous attendés tant que vous aiiés cele espee en aucune maniere. Mais c'est folie de beer a l'avoir, car ja sans faille ne l'averés se par moi n'est. - Ciertes, damoisiele, fait Merlins, je le sai bien que on ne le puet avoir se par vous n'est, car se nus fors vous le deust avoir, je le seusse bien. Mais vous avés si cest lac enchanté que aprés chou ne vaurroit nus enchantemens. Et pour chou vous vaurroie jou priier en guerredon que vous l'alissiés querre et le bailliés a mon signeur le roi, car che savons nous bien qu'il n'est pas orendroit ou monde en qui ele fust miex emploiie comme en lui. - Che sai ge bien, fait elle, et pour chou me sui jou si hastee de chevauchier que je fuisse a tans a vostre venue. Si vous di que s'il me creantoit que il me donroit le premier don que je li requerroie, je iroie querre l'espee et li donroie. » Et li rois li creante qu'il li donra, se che est dons que il puisse douner. « Ge ne vous demanc, fait elle, plus. » Si se met erraument en l'iaue et passe par desus tout a pié sec en tel maniere que ses piés ne autre chose de li ne fu mouillet, si vint a l'espee et le prent. Et la main qui la soustenoit se reboute en l'iaue, que plus ne parut a cele fie. Et la damoisiele revint au roi et li dist : « Sire, veschi l'espee. Et sachiés vraiement que je ne cuic pas qu'il ait .II. aussi bonnes en tout le monde. Et certes se je cuidaisse que elle ne fust bien emploiie en vous, vous ne l'eussiés pas, car il i a plus rice tresor que vous ne cuidiés. »
Li rois prent l'espee et moult en merchie la damoisiele. Et elle li dist : « Sire, je m'en vois de chi, car moult ai a faire aillors. Ore vous souviegne bien que vous me devés un guerredon, car je le vous demanderai par aventure plus tost que vous ne cuidiés. » Et il li respont que il li doit voirement : demander le viegne quant il li plaira, car il s'en aquitera a son pooir. Et elle s'em part maintenant, et Merlins le commande moult a Dieu et moult le merchie de ceste bonté. Et li rois regarde l'espee et voit que li fuerres estoit a merveilles riches, si le prise moult. Puis traist fors l'espee, si la regarde et la voit si boine et si biele a son avis qu'il ne cuide mie qu'il ait si boine ne si biele en tout le monde. Et Merlins dist au roi : « Sire, que vous samble de ceste espee ? - Je la prise tant, fait li rois, k'il n'a el monde chastiel pour coi je le dounaisse, ne je ne cuic pas que nule armeure puisse contre li durer, par coi preudom le tenist en sa main. - Or me dites : le quel prisiés vous miex, ou le fuerre ou l'espee ? - Je prise miex, fait li rois, l'espee que le fuerre, s'il en i avoit teuls .C.. Et non pourquant chis est li plus biaus et li plus riches que je onques veisse ne je ne cuic pas que el monde ait nul si biel. - Certes, sire, fait Merlins, or sai je bien que vous estes povrement connissans de la bonté que la damoisiele vous a faite. Saichiés vraiement que li fuerres vaut miex que teuls .C. espees ne font, car il est d'un cuir qui a tel viertu que ja hom qui sour lui le porte ne perdera sanc ne ne rechevra ja plaie mortel, pour qu'il soit armés a raison. »
Ensi dist Merlins dou fuerre de l'espee, et il disoit voir, mais comment che peuust ne le devise pas li contes orendroit, ains atent ceste chose a conter dusques a cele eure que l'estoire le devise comment Morgue sa seur li embla pour baillier a son ami qui au roi Artu se devoit combatre. Et pour chou que cele li embla eust li rois esté ochis se ne fust la porveance de Merlin. Et tres qu'a chelui point atent li contes a deviser coument che pooit estre que li fuerres fust teuls.
Quant li rois entendi que Merlins looit tant le fuerre, il li dist : « Merlin, esche verité que tu me dis ? - Tu nel savras ja apertement, fait Merlins, devant que tu l'averas perdu. - Coument ! Merlin, le perderai je dont ? - Il te sera emblés, fait Merlins. Atant m'en lai le demander, que je n'en diroie plus. » Atant s'em partirent ambedui dou lac. Si emporta li rois l'espee et la chainst entour lui, si fu moult liés de chou que aventure li avoit envoiié si riche chose. Tant ala en tel maniere entre lui et Merlin qu'il vinrent la ou il s'estoit devant combatus au chevalier. Si troverent le paveillon aussi biel et aussi riche comme il l'avoient autre fois veu, mais dou chevalier ne trouverent il point.
Li rois demande a Merlin : « Savés vous que chis chevaliers est devenus ? - Oïl, fait Merlins, je le vous dirai. Il avint orendroit que aventure amena ceste part un chevalier de vostre court que on apiele Heglan, et est de la chité de Camaloth. Quant il s'entrevirent, il s'entrecoururent sus, et tant dura la mellee que Heglan torna en fuies comme cil qui plus ne puet durer et avoit paour de morir. Et ensi commencha la cache viers Carduel qui encore dure, et je vous di que nous l'enconterrons la ou il le sieut vers la chité. - Je vous di dont, fait li rois, qu'il ne puet faillir a la mellee de la moie part, car s'il ne trouvoit auchun qui le mesist au desous, jamais chevaliers ne passeroit par devant son paveillon qui s'en alast quites de la bataile. - Ciertes, fait Merlins, ja par mon conseil ne l'asaurrés a ceste fois, que vous n'i averiés nule hounour, a chou que vous estes fres et auques reposés et il est lassés et travilliés. » Et li rois dist dont laira il la bataille a ceste fois. Lors demande a Merlin : « Merlin, dites moi comment che puet estre que la damoisiele aloit par deseure l'iaue a pié sec. » Et Merlins commencha a rire et dist : « Sire, il n'estoit pas ensi comme vous veistes, mais je vous dirai comment il est dou lac, car je le sai bien.
Voirs est qu'il i a un lac grant et miervilleusement parfont. Et en mi lieu de cel lac a une roche ou il a maisons bieles et riches et palais grans et miervilleus, mais il sont si tout entour clos d'encantement que nus qui par dehors soit nel puet veoir, s'il n'est de laiens. Et la ou vous veistes que la damoisiele se mist n'avoit il point d'iaue, ains est uns pons de fust que chascuns ne puet pas aperchevoir. Et par illuec endroit passent cil qui laiens vont, car il voient le pont, che que autre gent ne voient mie. - En non Dieu, fait li rois, ensi quide jou bien qu'il soit, car autrement ne fust elle mie passee si tost. »
Ensi vont parlant tant que il aprochierent la chité. Et lors encontrerent li rois et Merlins le chevalier del paveillon. Il ne li disent riens ne autressi ne fist a eus, ains passent outre, si s'en entra li rois en la chité. Mais onques ne veistes si grant joie coume cil de la chité li firent quant il le virent, car il avoient euut trop grant paour de lui. Chelui soir que li rois fu revenus li requist li rois Uriiens Morgain sa serour a feme. Et il li douna moult volentiers, car il ne le peust mie miex marier en houme de sa terre. Et avoec chou li douna il grant partie de son regne, et li douna un chastiel que on apieloit Taruc, et seoit chis chastiaus sour mer, mais tant estoit fors que nus plus.
Li rois Uriiens de Garlot fist nueces grans et miervilleuses et moult fu liés de chou qu'il estoit si hautement mariés. Et la premiere nuit qu'il gieut avoec Morgain engenra il Yvain, li fiex au roi Uriien. Li rois s'em parti des noches et vint a Carlion. Et la u il se seoit un jour a sa table vint uns chevaliers devant lui et moult cointement vestus et moult richement acesmés, et dist au roi la ou il le vit entre ses houmes : « Rois Artus, che te mande li rois Rions, li sires de Norgales, qu'il a conquis tresqu'a .XI. rois qui tout sont en son service. Et en ramembrance de ceste victoire a il pris de chascun des rois la barbe et en a fait orler un sien mantiel. Mais pour chou qu'il te prise plus que nul qu'il ait conquis te mande il que, se tu ne veuls perdre ta terre, vien a lui et se li fai houmage et la rechoif de li. Et a cest commandement li envoie ta barbe : il le fera metre es ataches de son mantiel. Et ensi le fais qu'i le te mande, u autrement tu ne pues faillir qu'il ne te toille ta terre, car encontre son pooir ne poroies tu durer. »
Li rois Artus se rist dou commandement. Et quant li messages ot parlé, si dist li rois : « Biaus amis, il ne me samble mie que je soie chis a qui li rois Rions t'envoia, car je n'euch onques barbe, trop sui encore jovenes. Et se je encore bien l'avoie ne l'aroit il pas : miex ameroie avoir perdu le cief ! Et de tant comme il m'en a mandé le tien ge au plus fol roi dont jou oïsse onques parler. Se li di que se il entre en ma terre por moi forfaire d'auchune chose, il n'avera pooir dou revenir, s'avera eut chose qui li anuiera. Itant li di de par moi. » Et cil dist que cest message li fera il bien, si s'en torne de devant le roi et s'en revait sa voie. Et quant il s'en est partis, li rois en parole assés et dist qu'il n'oï onques mais parler de si fol mandement ne de si orgilleus corne chis li mande. Et apriés demande a cheus qui entour lui estoient : « A il nul de vous qui connoisse le roi Rion ? - Sire, fait uns chevaliers qui avoit non Narran, piech'a que je le connuch. Sachiés qu'il est uns des biaus chevaliers dou monde, et de toutes les guerres qu'il emprent il ne commenche nule dont il ne viegne bien a chief a s'ounour. Et pour chou me douc je moult qu'il ne vous meche au desous ains la fin de la guerre. » Et li rois dist, quoi qu'il l'en doie avenir, il vaurroit ja que il fust venus pour guerroiier.
Assés parlerent de ces choses. Et li rois dist un jour a Merlin : « Merlin, par tans aprochera li termes que vous desistes que chis naisteroit par cui oevres chis resnes torneroit a destruction. Or sachés que ja enfant ne naistera el roiame en chelui mois que jou ne face prendre et metre en une tour ou en deus ou en trois, se tant en couvient, et illuec les ferai norrir tant que j'aie eu conseil de chou que vous m'avés dit. - Rois, fait Merlins, pour nient vous en travilliés. Et saciés que vous ne le trouverés pas, ains averra ensi comme je vous ai dit, car ensi le couvient estre. » Et li rois dist que tout ensi le terra il que il l'a beé a faire.
Ensi attendi li rois desque pres del terme que dis avoit esté. Et lors fait cerkier par tout le roiame de Logres que tout li enfant dou roiame de Logres li fuissent aporté. Cil del païs ne cuidaissent mie legierement que li rois en vausist faire tel mierveille comme il fist, se li envoia chascuns son enfant. Et tant l'en aporterent, ains que li jours venist que li enfes Mordrés fust nés, qu'il en fist bien metre en une tour plus de .VC. et .L., et li ainsnés n'avoit pas d'aage plus de .III. semainnes.
Ensi fisent li povre et li rice, que si tost que leur enfant estoient né, maintenant qu'il avoient crestiienté, il les faisoient aporter au roi, et il coumandoit tantost que on les estoiast en ses tours. Li rois Loth, qui connissoit que sa feme estoit grosse et toute preste de couchier, demanda maintes fois au roi qu'il parvoloit faire de tous ces enfans qu'il faisoit ensi assambler, et il li celoit toutes voies, que riens ne li voloit dire. Quant il sot que sa feme estoit delivree et vit que li enfes estoit nés, il le fist baptisier et ot non en baptesme Mordrec. Il dist a la roine sa feme : « Dame, je voel envoiier vostre fil au roi vostre frere, car ensi i envoient tout. - Je le voel bien, fait la dame, puis qu'il vous plaist. »
Lors fist li rois metre l'enfant en un berchuel qui moult estoit biaus et riches. Et en che que la mere metoit l'enfant dedens le berchuel, il avint que il se hurta el chief desus, si qu'il ot une grant plaie en mi le front qui puis i parut tous les jours de sa vie. Li rois fu moult courechiés de la plaie et aussi furent tout li autre. Et pour chou ne remest il pas que il ne le mesissent u berchuel. Apriés le misent en une nef a grant compaignie de dames et de chevaliers, et dist li rois qu'il s'en iront ensi par mer et conduiront l'enfant jusques au roi son oncle. « Et quant vous serés la, se li dites que je li envoie son neveu. » Et cil dient que cel message feront il bien, se Diex les laissoit venir a droit port.
En tel maniere se partirent de la chité d'Orkanie li homme le roi Loth. Et li vens se feri ou voile de leur nef, si les eut en poi d'eure si eslongiés dou port que il ne virent terre de nule part. Ensi coururent chelui jour et la nuit autressi, mais l'endemain leur changa li tans, car uns orés commencha si grans en la mer que tout cil de la nef commenchierent a crier : « Ha ! Jhesucris, ne nous laissiés chi perir ! Aiiés pitié de nous et de ceste petite creature fil de roi ! » Ensi crioient li uns et li autre et reclamoient sains et saintes et faisoient veus et afflictions. Et la mers fu si esmeue et li vens engroissiés que la nes vint hurtant a une roche, si fu erramment esquassee en plus de .X. pieces. Et furent tout cil de la nef peri, fors seulement l'enfant qui el berchuel se gisoit. Si avint que li berchues aloit flotant sour la rive aprés chou que li autre estoient tout noiié. Et lors vint cele part uns peschieres qui aloit querans poissons et estoit en un petit vaissiel. Et quant il trouva le bierchuel et l'enfant en rive, il en fu a merveilles liés et si prist et l'un et l'autre et mist tout dedens son vaissiel. Mais quant il vit que li enfes estoit si richement atornés comme chis qui tous estoit mis en dras de soie et en autres vesteures, il pensa bien errant qu'il estoit estrais de haute gent, si en fu plus liés que devant. Il se mist erramment a terre et prist le bierchuel a tout l'enfant et le mist a son col et s'en retorna grant oirre viers la ville, et ala par une destornee a son ostel en tel maniere que il n'i parut, si moustra a sa feme qui laiens estoit chou que Diex lour avoit envoiié. « Certes, fait la dame, moult a chi biele aventure et Diex l'a fait pour nostre garison, car de la riquece de cest bierchuel nous porrons vivre bien et cortoisement .XX. ans, si quide que ceste chose nous ait Diex faite pour nous envoiier secours.
- Dame, fait li preudom, chis enfes est de haut lingnage, che poons nous bien connoistre. Il couverra qu'il soit norris au miex que on porra, car se Diex dounoit que cil dont il est estrais le peussent reconnoistre, il nous en seroit de miex et bien nous en feroient. - Il puet bien estre, fait elle, et il ne puet estre que il ne soit reconneus ains lonc terme. Et encore loeroie je miex que nous le portissons ensi comme nous l'avons trouvé au segnour de ceste terre que nous le tenissons, car se il pooit savoir par nule aventure que nous l'eussons trouvé et ne li eussiens porté tout maintenant, il nous feroit destruire et nous et nostre lignage. » Et li sires dist que chou est li mieudres consaus et li plus sains que elle a douné. « Ore en alons dont, fait il, entre moi et vous, si ferons au signeur le present de cest enfant. » Et elle s'i acorde bien.
Ensi prisent Mordrec et s'en partirent de l'ostel et s'en alerent droit au chastiel qui tout le païs justichoit. Et troverent laiens le signeur, qui estoit apielés Nabur li Derrés, et avoit un petit fil de l'eage de .V. semainnes qui estoit apielés Sagremor : puis fu il compains de la Table Reonde, et fu chevaliers miervelles bons, et ot non en son droit non Sagremor li Derrés, si comme li contes le devisera cha avant apertement. Moult fu Nabur liés de l'enfant que cil li aporterent, car bien pensoit qu'il estoit estrais de boine gent et de haute et de poissant au biel apparillement qu'il avoit entour lui. Il douna au peskiere de son prosent tel guerredon que cil s'en tient bien apaiiet. Et li sires fist retenir l'enfant et metre avoec Sagremor son fil, si les fist ensi norrir ensamble. Et dist que se Diex les amendoit tant qu'il venissent en l'eage de estre chevalier, il les feroit faire chevaliers ensamble.
Ensi eschapa Mordrec de peril et tout li autre furent noiié, car ensi aloit l'aventure. Li dus Nabur le fist garir de la plaie qu'il avoit en mi le front. Et trouva en un escrit qui el bierchuel estoit que on l'apieloit Mordrec, mais il ne trouva plus en l'escrit de sa naissance et de son lignage. Ensi trouva Mordrec secours et aide apriés le peril de la mer. Mais or laisse li contes a parler atant et retourne au roi Artus.
Li rois Artus, che dist li contes, ot fait assambler en ses tours les enfans qui en son païs naissoient, si comme je vous ai devisé. Et quant li termes dont Merlins avoit parlé fu passés, li rois pensa qu'il feroit tous les enfans occhirre, car il cuidoit vraiement que chis i fust dont si grant mal devoient venir et qu'il fust en cele compaignie. Un soir qu'il se dormoit en son lit li fu avis que devant lui venoit uns hom si grans que onques n'avoit veu plus grant, et le portoient .IIII. bestes, mais li rois ne pot onques connoistre quelles elles estoient.
Li hom disoit au roi : « Rois, pour coi appareilles tu si grant mal a faire, qui volés destruire teuls creatures saintes et innocentes qui sont encore pures et netes de la vileté dou monde ? Encore venist miex au Creatour dou chiel et de la terre qu'il ne t'eust pas douné la grasce qu'il t'a otroiie. Il t'avoit establi a estre pastour de ces gens et tu ies devenus desloiaus et anemis. Quel chose te pueent ore avoir mesfait ces creatures que tu veus metre a destruction ? Ciertes, se tu le fais, li Haus Maistres qui te mist en ceste poesté ou tu ies prendera si grant vengance de toi qu'il en sera a tous jours mais parlet ! »
Li rois regardoit le preudomme, si estoit tous esbahis de che qu'il li disoit. Si commencha a penser en ceste chose. Et le preudom li redist : « Je te dirai que tu feras, si t'en deveras bien tenir a vengié. Fais les tous metre en une nef en la mer, et soit la nes sans maistre, et soit li voiles tendus. Et puis fais la nef espoindre en la mer, et puis aille de quel part que li vens le merra. Et adont se il pueent eschaper de tel peril, bien mousterra Jhesucris qu'il les aimme et qu'il ne veult pas la destruction des enfans. Et ceste chose te doit bien souffire se tu n'ies li plus desloiaus rois qui onques fust en terre. » Li rois disoit au preudomme : « Ciertes, miervilleuse venjanche m'avés ensegnie. Ja autrement ne l'esploiterai fors ensi comme vous l'avés dit. - Che n'est pas venjance que tu feras, car il ne mesfirent onques riens ne a toi ne a autrui, mais chou est pour ta volenté acomplir et pour chou que tu cuides par ceste chose destorner la destruction del roiame de Logres. Mais non feras, car elle averra tout ensi comme li fiex a l'anemi le t'a devisé. »
Atant s'esveilla li rois et li fu bien avis que encore estoit devant lui li preudom qui a lui avoit parlé. Et quant il vit que che est songes, il se commande a Nostre Signeur et fait signe de la crois en son vis. Et dist que tout ensi comme il a songié des enfans le fera il. Cel jour fist apparillier une nef assés grant, mais onques ne le sorent a cele fie cil meismes qui l'apparilloient por quoi il le faisoit faire. Au soir, si tost comme il fu anuitié, si fist li rois prendre tous les enfants, qui estoient par conte .VIIC. et .XII., et les fist metre dedens la nef. Et quant il furent dedens mis, li rois fist tendre le voile de la nef, et li vens, qui estoit levés, se feri maintenant dedens le voile, si que la nef fu en peu d'eure empainte en la haute mer.
Ensi furent li enfant mis en aventure de morir. Mais a Nostre Signour ne plot mie qu'il fuissent ensi perillié, qu'il veoit les creatures qui n'avoient pas deservi a perir en tel maniere. Et mist tel conseil par sa misericorde que la nef arriva a un chastiel que on apieloit Amalvi. Et estoit li chastiaus et biaus et bien seans, et en estoit sires uns rois qui avoit esté paiiens lonc tans, mais il estoit de nouviel crestiiens et moult amoit Nostre Signeur et doutoit Et avoit eut de fame siue un fil tout de nouviel, si apieloit on l'enfant Canor, mais puis fu ses nons cangiés en la court le roi Artus. Et pour chou qu'il n'estoit mie biaus chevaliers, mais noirs et harlés a la samblance de son pere, et estoit si preus et si hardis que nus plus, ore l'apielerent il par tout le Lait Hardi. Et de lui parole li contes moult de fies la ou il se traist de la queste dou Graal et devant.
Quant la nef fu venue a la rive dou chastiel que je vous di, il avint que li rois Orians fu issus fors de laiens, et avoit avoec soi grant compaignie de chevaliers et fu venus par aventure juer seur le port. Et quant il vit la nef qui fu arrivee, il dist a cheus qui avoec lui estoient : « Alons veoir cele nef por savoir qu'il a dedens, car il me samble qu'elle viegne de loing. » Lors vont cele part grant aleure pour chou que il voient que au roi plaist. Et quant il sont venu a la nef et entré dedens et il truevent si grant plenté d'enfans comme il i avoit, si se saingnent de la merveille qu'il en ont. Et li rois dist a ses compaignons : « Dieu merchi, dont puet estre que cil enfant pueent venir ne qui en puet tant assambler ne metre ensamble ? Car je ne cuidaisse pas qu'il en eust autant en tout le monde. - Par mon chief, sire, fait uns viex chevaliers au roi, je vous dirai que c'est, que ja ne vous en mentirai. Voirs est que aventure me mena avant ier ou roiaume de Logres, et tant que je vieng en la court le roi Artus. Illuec sans faille, ains que je m'en partesisse, vi ge que li rois Artus faisoit assambler tous les enfants dou roiaume de Logres ensi comme il naissoient, et les metoit on es tours le roi, mais nus ne pooit savoir pour coi li rois le faisoit. Ore cuide jou bien et croi qu'il soit verités que li baron dou roiame les aient mis ensi en mer pour auchun mal par aventure qui lour en devoit avenir. Il ne porent pas souffrir qu'il en morussent devant eus, et pour chou les firent metre en mer el conduit de Nostre Signour et el gardement de Fortune. Et che puet chascuns veoir que, se li baron amaissent autant lour vies comme lour mort, il n'eussent mie laissiet aler le vaissiel sans gouvreneur. »
A che mot respondi li rois : « Je croi que vous me dites voir de canques vous me dites et bien me samble verité. Or gardons que nous en porrons faire des enfans, car puis que Diex les nous a envoiiés, je vaurroie qu'il fuissent mis en lieu ou peu de gent les i seussent. Car puis que li rois les fist metre en aventure de mort, je sai bien que se li rois pooit savoir que je les eusse, il ne m'en savroit ja gré, ains m'en harroit par aventure, ne se haine je ne vauroie en nule maniere, car maus en porroit venir a moi et a ma terre.
- Sire, fait li viex chevaliers, je vous dirai que vous en porrés faire. Metés en ceste nef gent qui sacent de mer, et puis envoiiés ces enfans en auchuns de ces repaires en auchune isle de mer. Et certes on les porra la si coiement tenir que li rois Artus n'en orra ja parler. » Ensi comme il le devisa le fist li rois faire, si les fist metre en un sien repaire et mist norriches avoec iaus tant comme il lour couvint. Apriés il fist faire un chastiel boin et fort. Et quant il fu fais, li rois l'apiela pour l'amour d'eus le Chastiel as Genres. Mais or laisse li contes d'aus et retorne au roi Artus.
Ore dist li contes que quant li baron dou roiame de Logres sorent chou que li rois avoit fait de leur enfans, il en furent tant dolant que nus plus. Il vinrent a Merlin por chou qu'il savoient qu'il estoit si bien dou roi et li disent : « Merlin, que porrons nous faire de ceste desloiauté que chis rois a faite ? Onques nus rois ne fist si grant. - Ha ! biau signeur, pour Dieu, fait Merlins, ne vous aïrés si durement, car ceste chose a il fait pour le commun pourfit dou roiame de Logres. Car bien sachiés vraiement k'en che mois ou nous sommes maintenant est nés en che païs uns enfes par quels oevres et par quel pourcach li roiames de Logres doit estre si essilliés c'apriés lui ne remanra preudomme qui ne rechoive mort en une bataille campel. Et ensi doit chis païs remanoir orfenins et desnués et de boin roi et de bons chevaliers. Et sachiés que ceste chose n'est mie fable, ains est aussi verités comme vous veés que je parole a vous. Et pour chou que li rois vausist volentiers que ceste dolours fust destourbee ne que elle n'avenist ja a son tans, ne de lui ne de vous, a il fait des enfans chou qu'il en a fait. »
Quant li baron oïrent ceste parole, il dient a Merlin : « Nous dites vous voir qu'il l'a fait pour cele entencion ? - Oïl, se Dieux m'aït, fait Merlins. Et encore vous di jou plus de vos enfans. Saichiés vraiement qu'il sont tout sain et tout haitiet et eschapé de peril de mort, car a Nostre Signeur ne plaisoit mie qu'il morussent, et anchois que viegne .X. ans en verrés vous les plus sains et haitiés. » Quant il entendent que Merlins lour dist ensi, il en sont moult plus aise qu'il n'estoient devant, si se restrainsent de leur ire et de leur maltalent, car il creoient outreement Merlin de canques il lour disoit. Si clamerent le roi quite de canques il en ot fait et disent que jamais ne l'en savront mal gré. Ensi acorda Merlins le roi a ses barons, si em peust grant mal estre avenu ou païs se Merlins n'i eust mise ceste acorde.
Un jour seoit li rois a son disner et ot ja eut tous ses mes. Et en chou qu'il parloient laiens par le palais, atant voient un chevalier entrer en la sale, et fu tous armés a cheval, mais il estoit teuls atornés que li sans li saloit par les costés en plus de trois liex, et ses chevaus estoit teuls atornés dou courre qu'il avoit fait qu'il chaï desous lui en mi le palais si tost comme il fu entrés. Et li chevaliers, qui estoit assés vistes et legiers, sailli sus et dist au roi : « Sire, nouvieles vous aporc assés anieuses et mauvaises. Li rois Rions est entrés en vostre terre a si grant gent que ainc grignour ne veistes, si vait vostre terre ardant et devastant et ochiant vos hommes la ou il les puet trouver. Et a ja pris de vos chastiaus ne sai quans. Si vous n'i metés autre conseil, vous arés toute vostre terre perdue dedens brief terme. »
Li rois, qui escoute ceste nouviele, respont au chevalier : « U laissas tu le roi Rion ? Garde que tu me dies voir ! - Sire, je le laissai a un vostre chastiel que on apiele Tarabel, ou il avoit le chastiel assis a si grant plenté de gent que une fine merveille. - Ore assiece, fait li rois, que je le ferai lever a sa honte, se Diex plaist, assés prochainnement ! » Lors commande a chiaus de laiens qu'il desarment le chevalier et le mainnent es chambres et se prengent garde de lui, et cil le font ensi comme on lour ot commandé. Et li rois commande erraument a faire les briés et les envoie amont et aval a ses barons et lour commande qu'il viegnent erramment a Camaloth sans nul autre delay. Et quant li baron oient que li rois les mandoit a si grant besoing, il s'appareillent au plus tost qu'il porent et hastent de venir a la chité, si em peussiés veoir assambler dedens .III. moys plus de .IIIIm. chevaliers, dont li plus couart quident estre preu et hardi.
Ensi ot li rois mandé ses houmes et il furent venu assés esforchiement. Et le jour qu'il doit monter vint laiens une damoisiele riche et de grant biauté plainne, et estoit a la dame apielee la Dame de l'isle d'Avalon. Si dist au roi : « A toi m'envoie, rois, ma dame de l'isle d'Avalon pour chou que je soie aidie et secourue en ta court d'une chose qui moult me grieve et dont je ne cuic jamais estre delivre, se en ta court je ne sui delivree. » Lors oste de son col un mantiel dont elle estoit affublee et lors dist au roi : « Rois, veschi une espee que jou ai chainte entour moi, si comme tu pues veoir. Mais saches que je n'en puis mie faire si ma volenté que je la puisse traire del fuerre ne desçaindre d'entour moi, car che n'est mie chose qui soit a feme otriee ne a chevalier, s'i n'est li mieudres chevaliers de cest païs et li plus loiaus sans trecherie et sans voisdie et sans traïson. Mais qui teus sera, si porra desnoer les regnes de l'espee et aporter avoec soi l'espee et delivrer moi de che dont je sui malement encombree, car tant que je l'eusse tout dis ensi avoec moi ne porroie jou jamais avoir ne bien ne repos. »
Quant li rois entent chou que la damoisiele disoit, il respont : « Certes, damoisiele, vous me faites moult esmiervillier, car il ne me samble mie que chascuns ne peust bien oster d'entour vous cele espee que vous avés chainte. - Or sachiés, fait elle, sire, qu'il n'est pas ensi coume vous cuidiés, car nus ne la porroit deschaindre s'il n'est teus comme je vous ai devisé. - Par foi, fait li rois, dont s'i doit bien chascuns essaiier, cil qui sont chevalier, car grant hounour i conquerra chis qui la porra deschaindre. Car por chou mener a chief monsterra il qu'i soit li mieudres chevaliers de son païs et qu'il soit si bien entechiés comme vous avés dit. Et pour chou que je sui sires de ceste terre et de tous chiaus qui chaiens sont l'assaierai je tout premiers, non mie por chou que je cuic estre le millour chevalier de cest païs, mais pour douner essample as autres qu'i l'assaient. » Lors se lieve li rois Artus de la ou il se seoit et vait a la damoisiele et prent les regnes de l'espee, si les cuide desnoer, mais de che ne puet estre, qu'il cuidoit que che fuissent unes renges comme as autres espees. La damoisiele li dist : « Ha ! rois, n'i metés mie si grant forche, car force n'i vaut riens ! Cil qui merra ceste aventure a fin n'i metra mie si grant painne. » Lors s'en va li rois aseoir et dist a cheus qui avoec lui estoient : « Ceste aventure n'est pas moie. Ore l'essaiiés entre vous, et qui Diex en donra l'ounour, si la prengne ! » Et lors i assaient tout li baron li un apriés les autres, mais onques n'i ot nul qui les regnes en peust desnoer. Ensi i assaiierent tout cil de laiens, ne mais uns povres chevaliers qui estoit nés de Norhomberlande. Chis avoit esté desiretés de par le roi de Norhomberlande pour un parent le roi qu'il avoit ochis, et l'avoit mis em prison plus de demi an, si en iert de nouviel issus. Et por chou estoit il si povres qu'il n'avoit se petit non. Mais s'il estoit povres d'avoir, il estoit riches de cuer et de hardement et de proueche, qu'en tout le roiame de Logres n'avoit pas a chelui tans millour chevalier. Et pour chou que povres sambloit l'en faisoit on honte entre les gens autres ne nule parole n'estoit de lui ne nus ne s'en prendoit garde, car on ne tient mie bien grant conte de povre gent entre riches.
Quant tout cil dou palais, povre et riche, orent assaiié l'espee fors que cil seulement, li rois, qui bien cuidoit que tout i fuissent venu, si dist a la damoisiele : « Dame, il vous convient aillours aler se vous volés estre delivree, car chaiens, che m'est avis, ne trouverés vous nul qui vous en delivre. Che me poise chierement, car se cil de mon ostel peussent ceste chose mener a fin, je i eusse hounour grant. - Ha ! Diex, fait elle, si m'en irai je donques si desconsillie de ceste court ou il a tant de preudommes et de boins chevaliers ? Ciertes, or ne sa ge mais ou aler quant j'ai chi failli, car j'avoie ja esté en la court le roi Rion, ou je ne poc trouver autre conseil que je faich ichi orendroit. - Damoisiele, fait li rois, nous ne vous poons douner autre conseil orendroit, puis qu'a Nostre Signeur ne plaist. - Ha ! Diex, fait elle, si m'est ore avis qu'i me converra des ore mais souffrir ceste painne, cest martyre et ceste dolour, et si ne l'avoie je pas deservi ! »
Lors commencha la damoisiele a plorer moult durement, si dist qu'elle s'en ira et commande le roi a Dieu et toute sa compaignie. Et quant li povres chevaliers voit qu'elle ne demourra plus et qu'elle s'en vait dou tout, si saut outre li chevaliers. Et estoit moult dolans de chou que nus ne li avoit commandé qu'il s'assaiast a l'espee si comme on avoit fait as autres, si huce la damoisiele et li dist oiant tous chiaus de laiens : « Ha ! damoisiele, par courtoisie attendés tant que je aie eu l'espee assaiie aussi comme li autre ont fait ! » Et elle le voit de si povre affaire par samblance qu'elle ne se puet celer qu'elle ne die : « Certes, sires chevaliers, je croi que vous l'assaierés pour noient, car je ne querroie pas a essient que vous fuissiés li mieudres chevaliers de ceste sale, ou il en a orendroit tant de boins. » Et il est tous honteus, si respont par courouch : « Damoisiele, ne m'aiiés en despit pour ma povreté : je fui ja plus riches. Encore n'a il nul chaiens a qui je veaisse mon escu. » Lors prent les regnes de l'espee et met les mains as neus et les desnoue erraument et tire l'espee a lui. Et lors dist a la damoisiele : « Or vous en poés aler toute delivree quant il vous plaira, mais l'espee me remanra, car il m'est avis que je l'ai gaaignie. » Lors la trait dou fuerre, si la commence a regarder et la voit si biele et si boine par samblant qu'il n'en vit onques nule qu'il prisast autretant. Et lors le remet ou fuerre, et la damoisiele li dist erramment : « Sire chevaliers, vous m'avés delivree et si i avés moult grant hounour conquis, car il est prouvee chose et aperte par ceste oevre que vous estes li mieudres chevaliers de chaiens. Mais pour chou se vous m'avés delivree ne fu il pas el couvenant que l'espee vous remansist, si vous pri que vous le me rendés, ensi comme il avoir doit courtoisie en vous selonc la prouece qui i est. » Et li chevaliers dist que l'espee ne li rendera il pas, s'il en devoit estre tenus a vilains de tous chiaus de la court. « Et je vous di, fait elle, que se vous l'emportés, qu'il vous en mal averra, car bien sachiés que li hom que vous primes en ochirrés sera li hom ou monde que vous plus amés. » Et il dist que l'espee emportera il, se il meismes en devoit estre ochis. « Voire ? fait elle. Ore ensi soit, puis qu'il vous plaist ! Et bien sachiés que vous ne l'averés mie .II. mois eue que vous vous en repentirés. Mais je vous dirai encore une autre mierveille, et saciés que elle averra tout ensi comme je le vous conte orendroit : anchois que chis ans soit passés vous combaterés vous a un chevalier qui vous occira de l'espee et vous lui. Et pour chou que je ne voloie pas que ceste mesaventure avenist a si boin chevalier comme vous estes l'en voloie jou porter, car, se Diex me consaut, tant comme elle fust ensi que chevaliers ne la portast n'en eussiés garde que vous morussiés d'armes. Ore le portés, se il vous plaist, que bien sachiés que vous emportés vostre mort avoecques vous. » Et cil li dist que se la mors i devoit estre, si l'emporteroit il, car trop li samble l'espee boine et biele. Lors dist a un sien escuiier qui devant lui estoit : « Va, si m'aporte mes armes et amainne mon cheval, que je sui cil qui plus ne demourra a ceste court, car il m'ont bien monstré a cest ostel que povretés fait tenir mains preudoumes vil. »
Li escuiiers se part de laiens pour faire le commandement de son signour. Et li rois, qui ot veu ceste chose, trop estoit honteus de la parole qu'il ot oï dire au chevalier. Si vient a lui et li dist : « Ha ! sire chevaliers, pour Dieu ne vous poist de chou que j'ai esté vilains viers vous ! Je sui tous pres que je le vous amenc a vostre volenté et a vostre esgart. Mais certes je ne vous connissoie, si n'en doi pas estre blasmés, car il a tant de preudommes chaiens que je ne sai au quel je doive courre. Or remanés chaiens, sire chevaliers, je vous em pri, et je vous creanc que jamais tant comme je vive ne vous faurrai a compaignie, car ja chose ne me sarés demander que je ne le vous dongne a mon pooir pour chou que vous remaingniés de ma maisnie. » Et li chevaliers respont k'il ne remanroit a ceste fois en nule maniere pour priere c'on l'en fesist ne pour don que on li seust donner. Et li rois dist de ceste chose est il moult dolans, car il ne vit piecha mais chevalier en sa court dont il amast autant la compaignie coume il fesist de lui.
Moult parloient tout cil de laiens del chevalier qui a amené a fin l'aventure ou tout li autre avoient failli, si dient li auquant qu'il savoit d'enchantement et qu'il l'a plus fait par chou que par la prouece de lui. Endementiers qu'il parloient par laiens de ces choses, atant es vous une damoisiele tout a cheval qui laiens entra, et tout ensi comme elle estoit montee vint devant le roi et li dist : « Rois, tu me dois un guerredon : acuite t'ent voiant tous ces preudommes de chaiens. » Et li rois regarde la damoisiele et connoist que che est cele qui l'espee li douna, si respont : « Certes, damoisiele, un don vous doi jou voirement, si m'en aquiterai a mon pooir. Mais se il vous plaisoit, dites moi une chose que je vous obliai a demander. - Et que esche ? fait elle. - C'est li nons de l'espee que vous me dounastes. - Or saiciés, fait elle, que l'espee est apielee par son droit non Escalibor. - Ore demandés, fait il, chou qu'il vous plaira, car je le vous donrai, se je le puis faire. - Je vous demanc, fait elle, la teste de la damoisiele qui cele espee aporta chaiens ou dou chevalier qui l'a. Et savés vous, fait elle, pour coi je demanc si miervilleus don ? Sachiés que chis chevaliers ochist un mien frere preudomme et boin chevalier et ceste damoisiele fist mon pere occhire. Pour chou si vaurroie volentiers estre vengie ou de l'un u de l'autre. »
Quant li rois entent ceste demande, il se traist arriere tous esbahis et dist : « Damoisiele, pour Dieu vous pri que vous me demandés une autre chose, car certes de cel don m'aquiteroie jou moult mauvaisement viers vous. Car certes il n'est nus qui a mauvaistié ne a felenie ne le me peuust atorner, se je faisoie ochirre auchun de ces .II. qui riens ne m'ont mesfait. » Et quant li chevaliers entent que la damoisiele demande son chief, il vient viers la damoisiele et li dist : « Ha ! damoisiele, moult vous ai longement quis : plus a de .III. ans que je ne vous finai de querre. Vous estes cele qui arsistes de venin mon frere. Et pour chou que je vous haoie si mortelment ne ne vous pooie trouver ochis jou vostre frere. Mais puis qu'il est ensi avenu que je vous ai chi trouvee, jamais ailleurs ne vous querrai. »
Lors traist l'espee du fuerre. Quant la damoisiele le voit venir, elle s'en vaut aler fors de la sale pour eschaper des mains de chelui. Et il li dist : « Cestui mestier vous ren ge : ou lieu que vous demandastes ma teste au roi li donrai jou la vostre ! » Lors fait un saut tresqu'a la damoisiele et la fiert de l'espee si durement qu'il li fait la teste voler a terre. Et lors prent le chief et vient au roi et li dist : « Sire, or saichiés que veés chi le chief de la plus desloial demisiele qui onques entrast en vostre court, et encore vous en avenist mains max se elle repairast longement en vostre court. Si vous di bien que onques si grant joie n'avint en nule terre que on fera en la terre de Norhomberlande, si tost c'om savra la mort de li. »
Quant li rois voit ceste aventure, si est trop courechiés. Si respont au chevalier : « Certes, dans chevaliers, vous avés fait la graignour vilounie que je onques veisse faire a tel chevalier que je cuidoie que vous fuissiés, ne je ne cuidaisse pas que nus chevaliers, fust estranges u privés, fust si hardis qu'il me fesist si grant honte comme vous avés fait. Car certes graignour honte ne me peust nus faire que d'occhirre damoisiele devant moi qui estoit en mon conduit et que je devoie garandir, car puis que elle estoit en mon ostel ne deust elle avoir garde ne doute de nului, tant l'euust mesfait, ains le deuust mes osteus garandir encontre tous tant comme elle fust dedens. Tes estoit la maniere et la coustume de mon ostel, que vous avés enfrainte et depechie premierement par vostre orgueil. Si vous di bien que se vous estiés mes freres, si vous repentirés vous de che fait. Ore wuidiés ma court vistement et alés fors. Et bien sachiés que je n'en serai gramment liés devant chou que chis grans orguels soit vengiés. »
Quant li chevaliers entent que li rois est si courrechiés de ceste chose, il s'aperchoit adont qu'il ot fait trop grant mesprison et trop grant fourfait de la damoisiele ochirre voiant le roi meismes. Lors s'agenoulle devant le roi et li dist : « Ha ! sire, pour Dieu merchi ! Je reconnois bien que je sui trop durement mesfais. Pour Dieu, pardounés le moi, s'il vous plaist ! » Et li rois dist qu'il n'a talent qu'il li pardoinst. « Non, sire ? Ore faites tant de courtoisie a tout le mains, pour chou que a vostre court sui venus, que je aie trives de vous et de vos hommes. - Ciertes, fait li rois, non averés, ains leur pri et requier qu'il facent tant que ceste honte soit vengie, car aussi perdent il comme jou faich. Car quant vous ne pour moi ne pour eus n'en laissastes riens, si poons bien dire que petit nous prisastes, quant pour l'ounour de nous ne pour doutance n'en laissastes vous vostre felounie a faire. Et alés de chi, que vous n'en troverés en moi autre chose a ceste fie ! »
Quant li chevaliers entent qu'il n'i prendra plus ne porra mierchi trouver de son mesfait, il se lieve de devant le roi et se part de sa court et s'en vient a son ostel, et toutes voies emporte avoec lui le cief de la damoisiele. Et quant il est a son ostel venus, il trueve son escuiier et li dist : « Veschi le cief de la damoisiele que j'avoie si longement quise. - Et ou le trouvaste vous ? » fait cil. Et il li conte erramment comment elle s'estoit venue devant le roi et comment elle avoit demandé son chief, et il li dist outreement tout chou qui estoit avenu et le response le roi et le departement de la court. Lors commencha li varlés a plourer trop durement et dist a son signour : « Ha ! sire, mal avés esploitié, quant vous avés par vostre fourfait le compaignie de la court et l'acointance del roi perdue pour ceste damoisiele ! Mal fust elle onques nee ! - Ore ne t'esmaie, fait il, que se j'ai par mon forfait fait que j'ai perdu la compaignie dou roi, je ferai prochainnement, se Dieu plaist, qu'il sera apaisiés a moi, se nus frans chevaliers se puet apaisier pour prouece qui en houme peust estre. - Et qu'en baés vous a faire ? fait li escuiiers. - Je bee, fait li chevaliers, que li aporte la teste dou plus mortel anemi et de chelui que il redoute plus orendroit, ou que je li envoie tout vif en sa prison. - Et qui est cil ? fait li escuiiers. - Che est, fait il, li rois Rions, li plus poissans hom que je saiche orendroit el monde fors seulement le roi Artus. Et tout soit il ore moult poissans, si le cuic je amener a l'aide de Dieu a la merchi le roi Artus. Et che sera une chose pour coi je deveroie bien trouver pais enviers le roi Artus, se jamais la devoie trover. - Ore vous en doinst Diex pooir, fait li varlés, car certes je desir moult que il aviegne si coume vous l'avés dit. - Je te dirai voirement, fait li chevaliers, que tu feras. Tu te partiras de moi et t'en iras ou roiame de Norhomberlande et emporteras avoec toi la teste de la damoisiele, et la le presenteras a mes amis la ou tu ses qu'il sont. Et lor porras dire que ensi m'en sui vengiés de cele qui mon frere ochist et en tel lieu qu'il avoit plenté des millours chevaliers del monde. » Chil dist que tout cel message fera il bien, mais il demande comment il le porra trouver au revenir. « Je cuic, fait il, que tu me troveras en la court le roi Artus, car ains que tu reviegnes avrai jou, se Diu plaist, faite ma pais viers le roi. »
Lors prent ses armes, si monte en son cheval et chaint l'espee qu'il ot de la damoisiele dejouste cele k'il portoit devant, si qu'il en ot .II. a son costé. Et prent un escu et une glaive gros et fort et se part de la ville et s'adrece cele part ou il cuidoit que li rois Rions fust a tout son ost, et li escuiiers s'en revait d'autre part au commandement dou chevalier. E lui chevaler s'en vait ensi a tut les .II. espees. E pur les .II. espeies qu'il porta puis tant com il vesqut perdi il son primer non, car home le pelloit devant Baalin le Sauvage, e uns seons freres, qui n'estoit mie mains bons chevalers de lui, apelloit home Baalan le Sauvage. E de celui Baalan issi puis Dodineus li Sauvage, qui puis fu compainz de la Table Reonde e renomés de grant fait e de grant pruesce. Mais cil Baalin perdi puis son non, si par les .II. espees qu'il porta qu'il ne fu puis nomez Baalin, ainz l'apelerent tut communement le Chevaler as .II. Espees, e fu puis par tut conus par cel non. E s'il eust puis longement vescu, il fust puis renomez sor tuz ceus qui armes porterent el reaume de Logres. Mais a Nostre Seignur ne plout mie qu'il durast grantment, e il meismes fu auques achaison, car il emprist a mener a chef si grant chose pur ceo qu'il trovast sa pais envers le roi, ne ne sout aventure ne long ne pres dont il oït parler ou il n'alast pur lui ensaier. Si fist tant en cel primer an qu'il en serra parlé a tuz jors mais. E pur ceo qu'il ne refusoit nul qu'il encontrast morut il quant il trova son frere a qui il se combati, e cele mort fu commune a l'un e a l'autre par mesconissaunce, dont ceo fu damages trop dolorus, car il estoient ambdui si bon chevaler qu'en tut le reaume de Logres n'avoit .II. ausi bons escuz. Mais ore laist li contes a parler de eus e retorne au roi Arthur.
Ore dit li contes que quant li chevalers fu partiz del palais a tut les .II. espees, li rois remest mult pensifs, car mult lui poisoit de l'outrage que il avoit fait en sa court mesmes. Il demanda a ceus que en sa court estoient : « Que pourra home fere de cel chevaler que ensi a enfrainte la custume de ma court e de mon ostel ? Jeo ne quidoie pas que nul fust si outrequidiez qu'il osast faire si grant outrage voiant moi e voiant tanz des prodomes com il a çaeinz. Ore i mettez conseille, car jeo ne voudroie mie que nuls, tant fust haus home ne bien de moi, s'acustomast a faire si grant desraison com cist a faite. » Lors saut avant un chevaler d'Irland que home tenoit a mult preu, e il quide sanz faille a estre un des meillors chevalers. E si estoit il sanz faille, e neporquant il n'estoit mie si tres bons chevalers com il quidoit. Il avoit eu mult grant envie de cestui qui avoit l'aventure de l'espee mise a fin e il i avoit failli. Si li estoit avis que ceo estoit par aucun barat, car ne poet mie croire que chevaler eust plus de pruesce en lui qu'il n'avoit en sai. Il dit au roi : « Sire, s'il vus plaisoit, jeo vus vengerai, e vus e cest court, de la grant honte que il a faite en tele manere que jeo ferai conoistre au chevaler le outrage qu'il a fait, si jeo ne quidoie que vus m'en seussez maugré. - Ja maugré, fait li rois, ne vus en saveraie ne home de çaienz, ainz vus ottroie bien que vus ensi en faciez tant que la court en ait honur, car jeo ne voil pas que li autre se acustument. » E li chevaler l'en mercie mult e s'em part de laeinz, puis vient a son ostel. Si demande ses armes, puis fait enceler son cheval. E quant il est armez au meuz qu'il puet, il monte en son cheval, puis prent son escu e son glaive e s'en vait grant oire aprés Baalin. Mais ore laist lui contes a parler de lui e retorne au roi Arthu e a la damoisele que l'espee avoit aportee.
Li contes dit que aprés ceo que li chevalers d'Irland se fu partis de court pur aler aprés Baalin, li rois fist prendre la pucele occis e porter le cors en une des chaumbres de laienz pur faire totes les droitures que home faisoit adonc a tuz cristiens. Mais de lui se taist ore li contes et dit : A celui point entra laeinz Merlins. E quant il voit la damoisele que l'espee avoit aportee, il dist a la damoisele : « Pur quoi venistes vus çaeinz ? Maloit soit qui vus i envoia e maudit soiez vus quant vus i venistes, car de vostre venue ne fist onques la court fors que empirer ! » Lors s'en torne devers le roi e lui dist : « Rois Arthus, ore sachez verraiement que ceste damoisele est la plus desleal que piece a mais entrast en vostre court et si te mousterrai comment il est. Voirs est que elle a un frere moult boin chevalier, preu et hardi, assés plus jovene que elle n'est. Et ceste damoisiele, si comme je le sai bien, a amé un chevalier, le plus desloial et le plus felon qui soit ou roiaume de Logres. Ore avint puis que li chevaliers qui freres estoit a cele damoisiele encontra par aventure chelui que elle amoit. Il s'entrecoururent sus et tant se combatirent ensamble que li freres ochist l'ami a la damoisiele, dont elle ot si grant duel que elle dist que jamais ne seroit aise devant que elle avroit pourcachiet la mort de son frere. Elle estoit moult bien de la Dame de l'isle d'Avalon, se li pria tant qu'elle le vengast de son frere qui son ami li avoit ochis que elle dist que elle l'en feroit aide. Et maintenant le chainst de l'espee que elle aporta en ceste court et dist a li : “ Il couvient que chis qui ceste espee deschaindra soit li mieudres chevaliers de sa contree et li plus loiaus et sans toute trecherie. Or le quier tant que tu le truises. Et saches que chius qui t'en delivrera metera ton frere a mort par force de chevalerie, et ensi t'en vengera il de chou dont tu ies plus courechie. ”
Ensi rechiut ceste desloiaus demisiele l'espee pour chou que ses freres en recheust mort, et si fera il, car il en sera ochis assés prochainement. Et si n'averra de ceste espee mie seul mal a son frere, ains en morront cil dui que je connois vraiement qui sont li millor chevalier dou roiaume de Logres. Ore esgardés com grant dolour averra par l'esmeute de li ! Certes il me samble et si est voirs que elle euust miex deservi mort que cele qui orendroit morut ichi. - En non Diu, Merlin, fait li rois, vous dites voir, car il me samble qu'elle morut par trop grant desraison. » Et quant la damoisiele entent que li rois s'acorde a Merlin, elle ne demeure plus en la court, ains s'en vait grant oirre fors de laiens. Et li rois dist a Merlin :
« Merlin, que porra on faire del chevalier qui tant a ma court desprisie que pour moi ne pour tous chiaus qui i estoient ne laissa qu'il n'ochesist la damoisiele voiant nous tous ? - Ha ! sire, fait Merlins, ne parlés ja de sa mort ! Certes c'est damages qu'il ne doit durer longuement, car a merveilles est preudom et boins chevaliers. Et sachiés que ces .X. ans ne morra nus chevaliers en vostre court de cui vous plaingniés autant sa mort comme de cestui quant vous savrés qu'il sera deviés. Pour chou vous pri jou pour Dieu, sire, que vous cestui mesfait li pardoingniés, que bien saiciés qu'il est teuls hom a cui on doit bien pardonner un grant mesfait. Et certes, se vous le connissiés aussi bien com je le connois, vous vous en repentiriés seulement de chou que vous li avés dit. Et a vous, signeur baron, qui li savés mal gré de che mesfait, je vous pri que vous n'aiiés plus enviers lui male volenté, car bien saichiés que il amendera hautement cestui mesfait a la court ains brief terme et bien mousterra qu'il devoit miex avoir l'espee que nus qui ore soit en vie. - Ha ! Merlin, fait li rois, il me samble que vous le connissiés bien : pour Dieu, dites moi qui il est ! - Je vous, fait Merlins, di qu'il a a non Balaain li Sauvages et est, che sai ge bien, li millours chevaliers dou monde, par coi je le plaing, car sa mors verra anchois qu'il ne fust mestiers au roiaume de Logres. »
Quant li baron entendent che que Merlins dist, il se refraingnent tout del maltalent qu'il avoient devant au chevalier et prient chascuns pour lui et dient que Nostre Sires le conduie, en quel lieu qu'il voise. Et li rois meismes n'en est mie si maltalentis comme il estoit devant, car il creoit Merlin de canques il disoit, qu'i vaurroit ore qu'il n'eust mie parlet au chevalier si felenessement comme il parla. « Ha ! rois, fait Merlins, chou est a tart que tu soies de li percheus ! Sachiés qu'il ne te fera jamais courtoisie ne compaignie se petit non : che est damages ! » Et ensi parole li uns et li autres del chevalier. Et li rois dist a Merlin : « Merlin, que me dites vous dou roi Rion ? Me porra il nuire de noient ? - Chevauche, rois, asseur, fait Merlins, que Nostre Sires te fera assés gringnour hounour que tu ne cuides, ne il ne t'a pas mis en la hauteche ou tu ies pour si tost faire tresbuchier. Pour chou ne t'esmaiier, car il te secourra en tous liex, se che n'est par vo defaute. » Ensi parole Merlins au roi et le chastie del chevalier. Et li rois li respont qu'il se repent moult de chou qu'il li a dit. Mais a tant laisse ore li contes a parler d'eus et retorne au chevalier d'Irlande ensi comme il est partis de son ostel.
Ore dist li contes que quant li chevaliers se fu partis de son hostiel ensi armés comme il estoit, il chevaucha et issi fors de la ville et trouva les esclos dou chevalier qui devant lui s'en aloit. Et neporquant il ne les connissoit mie tres biel, mais aventure le mist en chelui meisme chemin ou il aloit. Tant chevaucha en tel maniere le grant aleure qu'il ataint au pié d'une montaigne le chevalier qu'il aloit querant. Il li crie de si loins com il cuide qu'il le puist oïr : « Dans chevaliers, tornés cha cestui escu u je vous ferrai par derriere, si arois gringnour honte ! »
A ches paroles se regarde Balaain et connoist que jouster le couvient erramment. Se li a dit si haut que chis le puet bien entendre : « Chevaliers, anchois que tu joustes a moi, di moi a cui tu ies. » Et cil respont : « Je sui au roi Artus, qui cha m'envoia pour ton damage. Je te desfi, et te garde de moi, car a jouster te couvient ! » Et cil respont : « Certes che poise moi que tu ies a lui, car se je t'ochi, or serai je plus coupables a lui que je n'estoie devant et si meterai en tel maniere mesfait seur mesfait. » Lors li adrece le cheval et joint l'escu encontre son pis et baisse la glaive. Et cil vint de si grant oirre comme il pooit del cheval traire, se li perce l'escu et brise li la glaive en mi le pis, mais de la sele ne le remue. Et li chevaliers le fiert si durement qu'il li perce l'escu et li ront les mailles dou hauberc et li met parmi le cors la glave, si que li fers a tout grant partie del fust apparut de l'autre part. Il vint de grant forche, si l'empaint a terre par desus la crupe dou cheval. Et au retraire qu'il fait de la glaive s'estent cil, qui sent la destrece de la mort. Et cil fait outre son poindre et retorne maintenant et traist l'espee, car il ne cuidoit pas encore que li chevaliers fust mors. Et quant il est venus seur lui et il a un peu demouré, il voit tout entour lui la terre qui estoit toute couverte de son sanc. Et lors s'aperchiut il bien qu'il est mors, si l'em poise tres durement pour chou que de la maison le roi Artus estoit. Il commenche a penser que il porra faire, car volentiers li fesist auchune hounour, se il peust. Et en chou qu'il pensoit en tel maniere, atant es vous une damoisiele qui venoit cele part si grant oirre coume elle puet chevaucier. Et quant elle fu venue tresque la ou li chevaliers gisoit, elle descent erramment, car elle ne cuidoit encore mie qu'il fust mors. Mais quant elle le connoist et aperçoit, elle commenche a faire un duel si grant que cil qui la regarde dist bien qu'il ne vit onques autretel. Cele se pasme et repasme. Et quant elle est a chief de pieche revenue de pasmison et elle a pooir de parler, elle dist a Balaain : « Ha ! sire, deus cuers avés ochis en un et deus cors en un, et .II. ames ferés perdre pour une ! » Lors prent l'espee au chevalier et le traist dou fuerre et dist : « Amis, aprés vous me convient aler, car il me samble bien que j'aie trop demouré de la mort. Se elle fust aussi douce coume ceste me samble, onques gens ne morussent si a aise coume nous fesissons ! » Lors se fiert de l'espee par mi le pis si durement qu'elle se met la pointe par mi le cuer. Et lors se tient pres dou chevalier, ne onques Balaain, qui l'espee li voloit oster des mains quant il vit que elle se voloit occhirre, ne se puet si haster que elle ne s'en fust ferue anchois.
Quant il voit ceste aventure, il ne set que dire, car il est si durement esbahis qu'il ne set s'il dort ou s'il veille. Car il ne vit onques ou siecle chose dont il s'esmervillast autant coume il fait de ceste. Si dist que loiaument amoit la damoisiele et que il ne cuidoit pas que en cuer de feme peust entrer amour si vraie. Endementiers qu'il regardoit a ceste chose, que il pensoit que il porroit faire de l'un et de l'autre, car illuec ne les baoit il pas a laissier, il regarde viers la foriest et en voit issir Balaan son frere armé de toutes armeures, ne n'amenoit avoec soi en sa compaignie fors que un seul escuiier. Quant il le voit venir, il li vait a l'encontre et li crie que bien soit il venus. Cil, qui l'entent, le connissoit por les armes qu'il avoit autre fois veues. Si tost comme il le reconnoist, il gieta son hyaume fors de sa teste, et lors le veissiés plourer de joie et de pitié, et li dist : « Ha ! frere, je ne vous cuidai jamais veoir. Par quel aventure estes vous delivrés de la dolereuse prison ou vous estiés ? » Et il respont que la fille le roi meismes l'en delivra, et se elle ne fust, encore i demourast il. « Mais quel aventure, fait il, vous amenoit cha ? - Certes, Balaain, on me dist au Chastiel de .IIII. Perrieres que vous estiés delivrés et que on vous avoit veut a la court le roi Artus. Et pour chou venoie je cha si grant oirre, que je vous i cuidoie trouver. Or me dites se vous i avés esté. » Il dist que il en vint tout orendroit. « Et pour coi vous em partistes vous ? » Et il li conte tout maintenant tout chou qu'il a veu et de le court et de l'espee et de la damoisiele qu'il ochist, pour coi il s'est si tost partis de court, car autrement il demourast gramment avoec la compaignie des autres preudommes. Et puis encore que il s'en departi li est il si mescheut qu'il a cest chevalier ochis, che poise li moult durement. « Et de ceste damoisiele, fait il, comment est elle morte ? » Et il li conte erraument. Lors li respont Balaan que loialment amoit la damoisiele, et pour la loiauté qui estoit en li ne faudra il jamais a damoisiele qui d'aide le requiere. « Et de ces cors, frere Balaain, qu'en porrons nous faire ? » Et il li dist que il n'i set metre conseil, se Diex li aït.
Ensi comme il estoient en ceste parole, atant es vous un nain qui de la chité estoit issus, et venoit si grant oirre comme il pooit del cheval traire. Et quant il est venus dessus les cors et il les reconnoist, il commenche a faire trop grant duel et detirer ses chaviaus et debatre ses paumes ensamble. Et quant il a cel duel assés mené, il demande as .II. chevaliers : « Dites moi li quels de vous deus occhist cest homme. » Et Balaain respont : « Por coi le demandes tu ? - Pour che, fait il, que je le voel savoir. - Et je te di, fait il, que je l'ochis, mais che fu sour moi desfendant ne onques ne m'en fu biel, se Diex m'aït, ains m'en pesa et poise encore. - Et de ceste damoisiele, fait li nains, me redites la verité, puis que vous del chevalier le m'avés dite. » Et il li conte erramment tout chou que il en avoit veu et comment la damoisiele meismes s'ochist pour l'amour del chevalier. Certes, fait li nains, se elle le fist, che n'est mie grant merveille, car li chevaliers estoit uns des vaillans chevaliers del monde et estoit fiex de roi. Et bien saichiés que en chou que vous l'avés ochis avés vostre mort pourcachie, car il est de si boine gent estrais et de si vaillant chevalier que nus fors Diex ne vous porroit garandir que vous n'en morussiés si tost comme la verités en sera racontee de sa mort a son parenté, car il vous querront anchois par tout le monde qu'il ne vous trouvaissent. - Or ne sai, fait li chevaliers, qu'il en averra, mais il m'en poise, non mie pour doutance que j'aie de ses parens, mais pour l'amour le roi Artus qui chevaliers il estoit. »
Endemetiers que li dui chevalier parloient ensi au nain issi fors de la forest li rois Mars, qui puis ot a feme Yseut la blonde, si comme chis contes meismes devisera apertement pour chou que conter i convint pour une aventure dont li Graaus parole. Li rois Mars avoit adont esté couronnés nouvielement ne n'avoit pas d'aage plus de .XVII. ans, et aloit au roi Artus pour lui aidier de sa guerre, car toute sa terre estoit sougite au roiame de Logres. Quant il fu venus la ou li dui cors gisoient a la terre et il en sot la verité ensi comme li dui frere li conterent, il dist qu'il n'avoit onques mais oï parler de damoisiele que si loiaument amast : pour l'amour et pour la loiauté de li fera il hounour a l'un et a l'autre.
Lors commanda que toute sa maisnie descendist, et il le firent erramment. Et il dist : « Je voel querre par cest païs une tombe la plus biele et la plus riche que on porroit trover, et le fach'on cha aporter au plus tost que on porra, car bien saciés que je sui cil qui jamais ne me remuerai de ceste place devant qu'il soient enterré ensamble en cel lieu meisme ou il rechurent mort. » Quant cil oïrent ceste parole, il commenchierent a querre par le païs et jus et sus, et tant qu'il trouverent en une eglise une tele comme li rois demandoit. Il la firent aporter la ou li rois estoit, qui avoit ja fait tendre son pavillon en la place comme cil qui ne se voloit pas remuer devant chou qu'il euust fait chou qu'il baoit a faire. Quant il vit que la tombe fu aportee, il fist metre les cors en terre assés richement et la tombe dessus. Et fist entaillier au pié de la tombe desus lettres qui disoient : « Chi gist Lançor, fius au roi d'Irlande, et dalés li gist Lione s'amie, qui pour le duel de li s'ochist si tost coume ele le vit mort. » Li rois fist metre au gros chief de la tombe une crois de fust biele et riche, car assés i avoit or et argent et pierres de diverses manieres. Et en chou qu'il se voloit partir, il avint que Merlins vint cele part en samblance d'un fort vilain et commencha a escrire au cief de la tombe lettres d'or qui disoient : « En ceste place assambleront a bataille li dui plus loial amant que a lour tans soient. Et sera cele bataille la plus miervilleuse qui devant eus ait esté ne qui aprés cele soit sans mort d'oume. » Et quant il a che fait et il a bien regardé le brief, il commencha a escrire en mi lieu de la tombe et escrit deus nons, et estoit li uns des nons Lanscelot dou Lac et li autres Tristrans. Et quant il a che fait, li rois, qui regarde l'euvre, s'esmerveille trop de chou que uns vilains si rudes puet che faire, se li demande qui il est. « Rois, fait Merlins, che ne te dirai je pas, mais tu le savras encore a icel jour que Tristrans li loiaus sera pris avoec s'amie, et dont te dira on teuls nouvieles de moi qui te desplairont. »
Lors dist a Balaain : « Sire chevaliers, occoisons de grant dolour, pour coi souffris que ceste damoisiele s'ochist ? - Je ne me poc, fait cil, si haster que ele ne se fust ochise ains que je li peusse oster l'espee de la main. - Tu ne seras mie si lens, fait Merlins, comme tu fus chi quant tu ferras le Dolereus Cop par coi .III. roiame en seront a povreté et en essil .XXII. ans. Et saces que onques si dolereus ne si lais ne fu fais par un homme ne n'iert comme chis cops sera, car toutes dolours et toutes miseres en averront. Si m'est avis que nous avons recouvré en toi Evain nostre mere, car tout aussi coume par ses oevres avint la grant dolour et la grant misere que nous tout comparons et es painnes sommes de jour en jour, aussi seront cil de trois roiames en povreté et en escil par le cop que tu ferras. Et tout aussi comme il avoit desfens a mengier le dolereus fruit, et ensi a il desfens del Haut Maistre meismes de che faire que tu feras. Si n'averra mie ceste dolour pour chou que tu ne soies li mieudres chevaliers qui orendroit soit el monde, mais por chou que tu trespasseras le commandement que nus ne doit trespasser et mehaingneras le plus preudomme viers Nostre Signeur qui orendroit soit el monde. Et se tu savoies comme ceste dolours sera grans et comme elle sera chierement comparee, tu diroies que uns seuls hom ne fist onques si grant dolour en terre comme tu i meteras, si sera encore tele eure que tu vaurroies miex estre mors que tu eusses cel cop feru. » Lors demande li chevaliers qui il est qui ensi devise de lui les choses qui sont a avenir. Et Merlins respont : « Tu nel savras pas ore a ceste fois, mais qui que je soie, il t'averra. » Et Balaains respont : « Ja Diex ne le voelle que tu dies voir de ceste chose. Et se je cuidoie que si dolereuse chose avenist par moi comme tu devises, je m'ochiroie anchois que ne t'en fesisse menteour, et j'aroie droit de che faire, car miex vaurroit ma mors que ma vie. »
Apriés chou qu'il ot parlet ne demoura plus Merlins, ains s'en ala d'autre part si soudainement que li rois Mars ne li autre qui la estoient ne sorent que il fu devenus, n'il n'ot mie gramment alé quant il encontra Blaise. Il li vient a l'encontre et li fait joie grant et miervilleuse et il li dist : « Blaise, bien soiiés vous venus. Ore m'aquiterai jou de chou que je vous ai pramis en Norhomberlande, car j'ai assés pensé comment vous peussiés mener vo livre a fin. Alés vous ent en Camalahot et illuec m'atendés. Et quant je revenrai de la honte le roi Rion et de veoir le mescheant chevalier comment il se provera en ceste grant bataille, lors revenrai jou devers vous. » Lors li demande Blaises quant il cuide revenir. « Dedens un mois, fait il, m'avras tu. Et ses tu ou tu me trouveras ? Dedens Camalaoth meismes. » Et Biaises se part maintenant de Merlin, si que li uns s'en va d'une part et li autres d'autre. Mais ore laisse li contes a parler de Merlin et de Biaise et retorne a Balaain et a son frere.
Ore dist li contes que quant che vint au departir, que li dui frere tornerent d'une part pour aler a l'ost le roi Rion et li rois Mars torna viers la chité, li rois demande au chevalier son non. Et Balaans, qui ne veult pas que ses freres soit conneus, dist au roi : « Sire, bien le poés savoir. Les .II. espees qu'il porte sont senefiance de son non. Si saichiés que quant vous orrés parler du Chevalier as .II. Espees, che iert de lui. » Et li rois respont que bien doit avoir cestui non, puis que il porte les .II. espees.
Atant se partirent li un des autres et li doi chevalier s'en alerent droit vers l'ost le roi Rion. Si n'orent pas gramment alé quant il aconsivirent Merlin qui s'en aloit le chemin a pié, mais en autre samblance estoit qu'il n'estoit adont quant il parla a eus a l'autre fois. Il s'arresta a eus et lour dist : « Ou alés vous ? - A toi qu'en affiert ? fait Balain. Que nous porroit il valoir se nous le te disons ? - Il vous porroit bien, fait Merlins, tant valoir que se vous voliés et osiés entreprendre chou que je vous diroie, onques a .II. chevaliers n'avint autant d'ounour coume il vous averroit ains demain le jour, que vous porriés en ceste nuit venir a chief de chou que vous alés querant et conquerre si grant hounour qu'il en seroit parlet a tous jours mais. » Et Balaain li demanda pour lui essaiier : « Et que ses tu que nous alons querant ? - Je sai, fait il, que vous alés querant le damage au roi Rion de tous vos pooirs. Mais canques vous pensés a faire ne vous vaurra autant comme chou que je vous ensegnerai, se vous avés hardement dou faire. Et saichiés que vous le porrés legierement mener a chief par la proueche de vous deus, se cuers ne vous faut. »
Quant il oïrent ceste parole, il s'en esbahissent tout, se li respondent : « Ore nous ensegne comment nous porrons conquerre si grant hounour comme tu nous dis. Et se nous voions qu'il puist avenir, nous le ferons tout ensi comme tu le nous ensegneras. - Et je vous ferai, fait il, entendre chou que je vous di.
Ore saiciés que li rois Rions, qui chi pres est herbegiés a tout son ost, a pris un parlement de venir anuit gesir avoec la feme le duc des Vaus. Si saichiés qu'il s'en partira de son ost pour venir au chastiel ou la dame demeure. Si tost comme il sera anuitié verra, en sa compaignie .XL. chevaliers, dont li un seront armé et li autre desarmé. Et par mi celle terre verra il armés d'unes armes vermeilles et montés seur le gringneur cheval de toute sa compaignie : a ches ensegnes le porrés vous connoistre. Ceste chose vous ai je descouverte pour chou que, se vous avés cuer et hardement d'entreprendre a desconfire le roi, je vous connois ambedeus a si preudommes que je sai bien que vous en averés le pooir, se cuer ne vous faillent. Ne onques mais n'avint si grant hounour a .II. chevaliers coume il vous averra, car bien sachiés que vous retenrés le roi tout pris en tel maniere que vous l'em porrés enmener en la prison le roi Artus ou en autre lieu, s'il vous plaist. »
Quant il entendent ceste parole, il en sont assés plus liet que devant, si dient a Merlin : « Comment te querrons nous de cette chose ? Car se nous savons que che puet estre verités, nous ne lairiesmes por tout che roiame que nous ne li fuissiemes a l'encontre. - Je vous dirai, fait Merlins, que je vous ferai. Je m'en irai avoec vous dusques a tant que je vous avrai mis en la voie par ou li rois verra. Por chou que vous soiiés plus asseur de moi que de ma parole, je demourrai avoec vous tant que je vous aie moustré le roi et sa compaignie. » Et il dient que en tel maniere iront il avoec lui, car se il les voloit dechevoir ne metre en nul peril, che seroit cil qui tout au commencement s'en repentiroit, car il en morroit tous premiers. « N'aiiés doutance, fait Merlins, car, se Diex me consaut, ja par moi ne vous verra maus ne a chevalier qui au roi Artus voelle aidier, car sans faille che est li hom el monde que je vaurroie orendroit plus son essaucement. »
Quant il entendent che que Merlins lour ot dit, il respondent : « Puis que chou veuls faire que tu avoecques nous verras, et nous ferons a no pooir chou que tu nous amounestes. Mais s'il ensi est que li rois n'i viegne et que tu nous dies menchoigne de ta parole, saces que nous t'ochirrons. - Je voel, fait il, que vous m'ochiés se li rois n'i vient. Mais se vous perdés par vos mauvaistés a lui prendre, je ne voel mie que mal m'en aviegne. - Ore alons dont ensamble », font il. Si acueillent maintenant leur chemin, tant que il vinrent en une montaigne, li dui a cheval et li tiers a pié. Et se il li pleust, li uns des .II. freres l'euust mis sour son cheval, mais il ne vaut, ains dist que il iroit a piet a cele fie.
Ensi acueillirent lor chemin tant qu'il vinrent en une grant montaigne et la ou il avoit grant plenté d'arbres. Et Merlins les mainne desous les arbres et lor dist : « Ichi remanrés et demourrés tant que li rois viegne ceste voie. Et aaisiés ces chevaus et vous meismes, se vous le poés faire. » Et il descendent erraument, si ostent a lour chevaus lour frains et les laissent paistre. Si s'aaisent de tant coume il puent, mais che fu poi, car il n'orent la nuit ne a boire ne a mengier.
Ensi attendirent desous les arbres tant que la nuis fu venue. Et Merlins estoit avoec iaus toutes voies et parloit a eus de mainte chose pour iaus reconforter. Et maintes fois li demanderent qui il estoit. Et Merlins leur disoit : « Uns hom sui, teuls comme vous poés veoir. A vous k'en apartient del demander, mais que je vous face veoir chou que je vous ai pramis ? » Et il li dient que il ne li demandent plus. Et Balaain dist toutes voies a Merlin : « Il ne me samble pas que vous soiiés preudom, quant vous ne vous osés noumer. - Quels que je soie, fait Merlins, je vous di qu'il sera plus parlé de mon sens apriés ma mort qu'il ne sera de vostre prouece apriés la vostre mort, et si estes vous uns des boins chevaliers dou monde et des hardis. »
Ensi parloient entre eus trois ensamble de moult de choses. Et quant la lune fu levee biele et clere, Merlins dist as .II. freres : « Apparilliés vous, car li rois aproce. » En chou qu'il disoit cele parole, il voient par devant eus passer seur un grant destrier un escuiier tout seul qui s'en aloit si grant oirre comme il pooit dou cheval traire. Et li Chevaliers as .II. Espees demande a Merlin : « Ses tu qui chis est qui chi s'en va si grant oirre ? - Oïl, fait Merlins, c'est li messages le roi qui s'en vait devant pour dire a la feme le duc que li rois i vient. Ore vous apparilliés, car il ne demourra mie gramment. Et pour Dieu, se vous onques fustes boins chevaliers, si le moustrés a ceste fie, car certes vous poés ichi conquerre hounour qui jamais ne vous faurra. Et se cuers vous faut que couardise se puisse embatre en vous, saichiés que nule riens ne vous porroit garandir que vous ne fuissiés ochis et detrenchiés, car cil qui avoec le roi vienent ne sont mie si niche que il n'aient tost aconneu se vous estes preudomme u non.
Iceste chose vous di jou, biau signour, pour chou que vous poés a che point d'ore metre pais ou roiame de Logres et vengier le roi Artus de l'homme dou siecle qui plus le puet nuire. Et je vous di que se ore failliés que le roi ne retingniés, jamais ne verrés en si bon point. - Ore ne vous esmaiiés, font il, car, se Dieu plaist, nous en verrons bien a cief. » Lors montent en leur chevaus et prendent lour escus et lour glaives. Et il estoient en l'ombre des arbres, si que cil ki par le chemin trespassoient nes peussent pas veoir a ensient.
Quant il orent un poi esté en tel maniere qu'il estoient remonté et garni de lour escus et de lour armes et de lour glaives, si oient friente de chevaus venir qui ja avoient monté le tertre et paroient el plain de la montaigne. Et li plains duroit bien .VIII. liues englesques de lé et tant de lonc, et avoit en cel plain une forest et biele et grant qui pourprendoit le plus de la montaigne. Ensi attendent un petit aprés chou qu'il orent veut venir les premiers qui au roi tenoient compaignie. Et il venoient petit et petit, car li chemins par les tertres estoit estrois pour aler a la montaigne, que il n'i pooit aler fors que uns seus chevaliers. Quant il apparut en la montaigne jusques a .X. compaignons le roi, si se voloient laissier courre, car moult estoient desirant d'assambler a eus. Et Merlins lour dist : « Attendés encore un peu tant que li rois soit venus en la montaigne, et lors le porrons sousprendre a essient, car cil qui avoec lui verront seront si esbahi de legier. » Et il dient : « Pour Dieu, ne nous faites mie trop atendre longuement ! - Ne vous entremetés ja, fait Merlins, car je vous en dirai moult miex le point que vous meesmes nel connisterés. » Et cil se tinrent tout coi aprés ceste parole.
A cief de pieces, quant il porent bien estre en la montaigne tresqu'a .XXII. chevaliers, si dist Merlins as .II. freres : « Vous souvient il de chou que je vous dis hui matin et comment vous porriés le roi connoistre ? Ore le poés connoistre apertement. Ore i parra que vous ferés, car hui mais les avés vous entre vous ! » A cest mot n'i atent plus li Chevaliers a .II. Espees et laisse courre cele part ou il voit le roi si grant oirre comme il puet del cheval traire, et li crie de loing : « Garde toi, rois ! » Et le fiert si durement qu'il li perche le hauberc, car escu n'avoit il point, et li met par mi le costé destre le fer de la glaive, qu'il apert de l'autre part ; mais il ne le prist mie si parfont que la plaie fust morteuls. Il l'empaint bien de chou qu'il vint si roidement a si grant oirre, si le porte si durement a terre que li rois est tous esquassés au cheoir et se pasme de la grant angoisse qu'il sent et cuide morir en la plache. Et Balaan, qui voit son frere em peril, relaisse courre as autres la u il voit la gringnour presse. Et avint qu'il encontra premierement le neveu le roi. Il le fiert si durement de toute sa force qu'il li met par mi le cors le fier de sa glaive, si l'empaint a terre qu'il n'a pooir de soi relever, car la mors l'avoit ja souspris. Et quant chascuns des freres ot fait son cop, il metent les mains as espees et commenchent a departir grans caus et d'une part et d'autre, et abatent chevaliers et font trebuchier des chevaus. Et tout li autre sont si esbahi des mierveilles qu'il voient que cil font qu'il cuident bien qu'il soient plus de cent. Si lour est avis qu'il ne porront durer, a chou qu'il voient lour compaignons cheoir des chevaus menut et souvent. Et quant li autre, qui apriés le roi venoient et montoient encor la montaigne, voient la meslee commenchie et de lor compaignons les uns fuir et les autres agesir mors et navrés, il cuident bien qu'il soient agaitiet de toute l'ost le roi Artu, si tornerent erramment en fuies. Et ne voient comment il se puissent eschaper, si se laissent cheoir aval la montaigne, car ensi cuident il bien fuir et eschaper. Mais la valee estoit si roste et si haute qu'il laissent la doutouse mort et emprendent la certainne, car nus qui aval se laisse cheoir ne la puet eskiver qu'il ne muire erraument.
Ensi furent torné a desconfiture la maisnie le roi Rion, si en ot tant ochis des .XL. chevaliers que il n'en remest en vie que .XII. et le rois seulement. Et cil estoient tel atorné et des plaies et des blecheures que on lour avoit fait que il n'i ot chelui qui eust pooir de soi relever, et gisoient aussi comme mort. Et quant li dui frere virent qu'il avoient si outreement desconfi lour anemis, il vienent au roi pour veoir s'il estoit encore mors. Se li deslacent le hiaume et li ostent de son chief et li abatent sa coife de fer pour recueillir le vent et pour reprendre s'alainne. Quant il ot esté une pieche en tel maniere et il fu auques reposés, il giete un souspir aussi comme uns hom qui vint de pasmisons et oevre les iex. Et il dient : « Tu ies mors sans merchi trouver se tu ne fianches prison ! » Et il lievent les espees et font samblant qu'il li voellent le chief trenchier. Et quant il voit les espees nues que cil traient sour lui, il a doutance de morir, si lour dist errament : « Ha ! franc chevalier, ne m'ochiés mie ! Vous poés plus gaaignier en ma vie que en ma mort, car de ma mort ne vous puet il nul preu venir, mais de ma vie si fait, ne il n'est riens que je ne fache pour ma vie sauver. - Dont nous fianchiés, font il, que vous ferés chou que nous vous commanderons. » Et il lour fiance. Et il l'asseurent adont et dient que il n'a garde d'eus, car plus ne li feront mal. Si revienent as autres qui n'estoient pas encore mie moult navré, si dient qu'il estoient mort s'il ne leur fianchent a tenir prison la ou il commanderont. Et cil, qui orent paour de mort, le fianchent, et lors les asseurent li dui frere et dient que ja plus ne les adeseront.
Endementiers qu'il parloient de ceste chose, si vint a eus Merlins et dist as .II. freres : « Je voel un poi parler a vous ; tornés cha. » Et il i vont. Et il lour dist : « Il vous est moult bien avenu de ceste aventure. Nostre Sires vous a fait moult grant honnour quant vous si haut houme comme li rois est avés pris par vostre vasselage. Ore vous dirai que vous ferés, se vous volés acquerre l'amour et l'acordance dou roi Artus. Si mouvés orendroit de chi et conduisiés avoec vous jusques au chastiel de Tarabel ces prisons. Et li chastiaus n'est mie loing, si vous est si bien avenu que vous trouverés le roi Artu. Et je vous di que il i vient anuit gesir a tout grant plenté de son ost. Et je vous di qu'il atent a demain la bataille dou roi Rion a moult tres grant doutance, car on li a bien dit qu'il i a trop gringnour gent par deviers l'ost le roi Rion que il n'ait par deviers son ost. Et pour chou n'est il pas orendroit asseur, ains atent la bataille a moult grant doutanche, ne il n'a en sa compaignie homme si hardi qui n'ait doute pour les nouvieles c'on lour a aportees del grant peuple qu'il a. Et pour chou que li os est ore en si grant esmai vous di je bien que vous ne porriés faire chose pour le roi Artus ne li aporter nouvieles que autant li plaisent comme cestes feront, meismement en cestui point d'orendroit. - Ore nous dites, font il, se nous i trouverons tout pour voir le roi Artus la ou vous le nous ensegniés. - Oïl, fait il, et se vous vous hastés bien, vous trouverés qu'il ne sera pas encore couchiés quant vous verrés la. - Ha ! Diex, font il, et tant nous seroit bien avenut se nous le poons trouver et parler a lui ains qu'il fust ajornés ! - Se vous i estes aussi tost comme je serai, vous i verrés ains l'eure que je vous ai devisee. » Et cil dient que bien verront il dont a tans, car il i cuident estre aussi tost comme il i sera. « Or venés dont tost, car je i serai prochainnement », fait Merlins. Si se part d'eus. Et cil vienent au roi et a ses compaignons et lour dient : « Nous vous coumandons sour vos fianches que vous vous partés orendroit de chi et ailliés au chastiel de Tarabel sans repos nul, et illuec vous renderés au roi Artus de par nous deus. » Et lors respont Balaan : « Je ne voel mie de par nous deus, mais de par le Chevalier as .II. Espees. » Et li rois Rions dist : « Je vous di sour ma fiance que je ne porroie en nule maniere chevaucier que je ne fuisse mors d'angousse anchois que je venisse tresqu'au chastiel. Or metés conseil sour ceste chose. » Et il font erramment une biere chevaucherece et metent le roi dedens, puis descendent de la montaigne. Et quant il sont venut au plain, si se hastent de tost aler assés plus qu'il ne lour fust mestiers, car moult estoient tuit navré. Ne onques ne se targierent d'aler pour le roi, car li dui frere les hastoient, si errerent en tel maniere a grant dolour tant que il sont au chastiel venu. Et quant il vinrent a l'entree, li doi frere remesent dehors et disent a chelui qui la porte gardoit : « Biaus amis, vois tu ches prisonniers que nous amenons au roi Artus ? Mainne les devant le roi et gardes que tu n'en perdes nul. Et nous te disons certainnement que li rois n'ot piecha mais si grant joie comme il avra de ceste aventure si tost comme il connistera qui sont li prisonnier. » Il dist qu'il soient tout asseur que il rendera les prisons au roi. Et Merlins, qui s'estoit ja avanchiés, fu venus au roi et trouva qu'il n'estoit pas encore endormi, ains parloit en sa cambre au roi Marc et a quatre autres barons ; et prendoit conseil de sa guerre, ne il ne l'en savoient preu consillier, car trop redoutoient a assambler au roi Rion pour les nouvieles qu'il avoient oïes de son peuple. Et lors vient avant Merlins et dist au roi : « Rois, nouvieles t'aporc et bieles et boines a toi et a tous chiaus de cest regne, et les plus riches nouvieles qui piecha mais avenissent en tout cest roiame. Saches que li plus poissans anemis que tu aies est pris et vient a ta mierchi a estre prisons par la plus biele aventure dont tu oïsses onques parler. »
Li rois lieve la teste et voit que c'est Merlins qui ceste nouviele li raconte. Il demande : « Di moi, Merlin, qui chis anemis est. - Che est, fait il, li rois Rions, qui est pris et vient cha, si que tu le verras ja en ta sale. » Et li rois en est tous esbahis de ceste nouviele, car il ne puet mie croire que che soit voirs. Si dist : « Puet che dont estre voirs, Merlin, que che soit avenu ensi comme tu le m'as contet ? - Oïl voir, fait Merlins, et le verras apertement anchois que on peuust avoir chevaucié une liue englesque. Ore vien ors en cele sale entre toi et tes barons, si te contien si biel et si hautement et a si grant hounour, et tout cil qui avoec toi seront se tiennent bien cointement, si que li rois Rions en soit tous esbahis quant il verra en ta presence. » Et quant li rois entent que ceste chose est avenue si a ciertes comme Merlins li conte, il en devient tous esbahis et dist : « Ha ! Diex, beneois soiiés vous quant vous si grant hounour me faites sans ma deserte ! »
Lors est moult liés et moult joious, et mande par mi les osteus dou chastiel a tout ses hommes que il viegnent a lui. Et il vienent erramment si grant plenté que toute la sale en fu raemplie. Et lors ne demoura gaires aprés ceste chose que laiens entrerent li .XII. chevalier le roi Rion qui le roi aportoient en la biere chevauceresse. Et quant il entrerent laiens, il commenchierent a faire le grignour duel dou monde et misent la biere en mi la sale tout em plorant. Et quant li rois Rions se vit entre ses barons et sot que devant lui estoit li rois Artus, il se drecha en son estant ensi coume il pooit, car moult estoit navrés durement, et demanda li quels estoit li rois Artus. Et cil de laiens li ensaignierent. Et il en vait erramment cele part et s'agenoulle devant lui et li dist : « Rois Artus, a toi m'envoie en ta prison li Chevaliers a .II. Espees, qui par le gringnour mierveille que je onques veisse m'a pris a l'aide d'un seul homme. Et si avoie avoec moi chevaliers .XL. armés, si a tous mes hommes mors entre li et son compaignon, fors ces que vous ichi veés. Et moi meismes euust il ochis sans repos querre se je ne li eusse acreanté comme rois que je me meteroie outreement en vostre prison. Ore m'en aquite de chou que li creantai, car je me met del tout en vostre manaide. Si porrés ore faire de moi canques il vous plaira, ou de l'ocirre ou del laissier vivre. » Li rois respont que cel prison ne refuse il mie. Et lors vienent li autre avant et font autretel comme li rois avoit fait, et il les rechoit, moult joious de ceste aventure que Diex li avoit envoiie. Et li rois li dist : « Sire, pour Dieu, se vous ne baés a ma mort, faites moi metre en tel lieu ou je puisse reposer, la ou on prendera garde de moi. Et je vous di que il le convient, car je sui si durement navrés que autrement ne porroie jou durer gramment sans morir, a chou que jou ai gramment de mon sanc perdu puis que je fui primes navrés. » Et li rois commande erramment que on prenge lui et ses compaignons et les meche es chambres de laiens, et leur amaint on les mirres qui de lour plaies se prengent garde. Tout ensi comme li rois le commanda le firent cil de son ostel, car il enmenerent le roi et ses compaignons es chambres de laiens. Et lors dist li rois a Merlin : « Ses tu qui li chevaliers est qui tant de bonté m'a faite qu'il a envoiié en ma prison si riche houme comme li rois estoit ? - Sire, fait Merlins, je le connois bien et, s'il vous plaist, je le vous dirai. - Et moult me targe, fait li rois, que je le sache et moult le desir. - Ore saichiés, fait Merlins, que che est li chevaliers qui, en vostre court et voiant vous meismes, fist si grant outrage coume d'ochirre la damoisiele, dont vous vous courchastes si a lui que vous le congiastes de vostre court. - Che me poise, fait li rois, que je le congiai. Or m'en repenc, car bien a il amendé le mesfait de la damoisiele. Ore vauroie, se il li plaisoit, que il revenist a court. Et se je li avoie dit chose qui li despleust, je li amenderoie tout a sa volenté, car certes il a plus fait pour moi que chevaliers morteus peust faire, ensi que je cuidoie. - Rois, fait Merlins, or laissiés ceste parole a tant, assés l'avés dit. Vous ne l'averés em piece mais en vostre compaignie, non par aventure jamais, mais pensés a une autre chose dont il vous est orendroit mestiers. - Ore dites, fait li rois, car je n'en ferai nient se par vo conseil non. - Je vous demanc, fait Merlins, se vous vous devés assambler as houmes le roi Rion. - Coument dont ! fait li rois, ne se deveront il dont tenir en pais, puis qu'il savront lour signour en ma prison ? - Rois, fait Merlins, che saichiés vous de voir que il ne porroient en nulle maniere croire que che fust verités que vous l'eussiés ensi en vostre prison. Et d'autre part s'il le savoient bien, si a li rois un frere, riche roi et poissant, que on apiele Nero. Ensi vous di que chis les fera assembler a vous et a vo gent, comment qu'il leur en doive avenir. Et pour che vous devés metre conseil en vos affaires et garnir vous si bien encontre vos anemis qu'il ne vous puissent sousprendre mauvaisement. » Et li rois respont : « Merlin, je ne ferai nule riens faire se par vostre conseil non. Ore nous dites chose qui nous puisse valoir, car nous volons user dou tout a vostre conseil.
- Ici vous voel acointier, fait Merlins, d'une chose que vous cuideriés bien a envis se je le vous disoie, et chou est chou qui vous puet tollir vos terres. » Et il dist : « Nous volons user dou tout a vostre conseil. - Je vous di que vous averés a faire demain a tel gent qui moult font a redouter : premierement a la compaignie le roi Rion, qui ne sont mie si poi de gent k'il ne soient plus que ne soient vostre homme. En cheus sans faille n'a mie trop grant peril a eus atendre, car il avront assés petit hardement si tost comme il savront comment il lour est avenu del roi Rion, et pour chou qu'il seront si durement desconforté de lui porront il legierement estre desconfi, et si seront il sans faille. Mais encore soit il ensi que vous en viegniés au deseure a vostre volenté vous di je que vous averés a faire a chelui qui ne porra gaires mains nuire dou roi Rion. Et savés vous qui c'est ? C'est li rois Loth d'Orkanie vostre serorges, qui est li mieudres chevaliers que vous sachiés en vostre roiame, de cheus meesmement qui portent couronne. Et il est mal de vous et vous het moult mortelment. Et savés vous pour coi ? Vous savés bien quel felonnie vous fesistes des enfans que vous mandastes par vostre terre que on vous aportast. Et che fu ou tans que vous faisiés les enfans prendre que vostre serour, la feme le roi Loth, ot un enfant. Il le misent en mer pour vous envoiier. Et quelque chose qu'il avenist de l'enfant, fust mors ou vis, il cuide vraiement que on le vous ait aporté et que vous l'aiiés mis en mer aussi comme les autres. Dont il ont enviers vous acueilli si tres grant haine, et tout aussi vostre serours comme li rois, que il ont fait assambler tous les preudommes et les boins chevaliers dou roiame d'Orkanie et les ont fait venir jusques a Camalahot aussi comme che fust pour vostre aide, mais che n'est mie voirs, ains est del tout pour vostre nuisement. Dont nous verrons avenir demain, quant nous verrons a bataille encontre le frere le roi Rion, qu'i vous verra entre lui et sa compaignie quant li autre vous seront au devant : che sera tout a une eure. Ore gardés que vous porrés faire de ceste aventure, car je ne vous ai dit chose qui ne vous aviegne tout ensi comme je le vous ai dit, se Diex me conseut. »
Quant li rois entent ceste aventure, il n'est mie peu esbahis, car li rois Loth estoit li hom de sa terre que il redoutoit plus. Si dist a Merlin : « Je ne sai que dire, puis que li rois Loth me veult mal, car che est cil de ma terre en qui je me fiaisse plus au grant besoing et pour cui je fesisse plus. Et je le devoie faire, che m'estoit avis. - Il est tout ensi, fait Merlins, que vous en savrés demain la verité. - Ore me dites, fait li rois, que on porra faire, que se il me vienent au derrier et mi anemi me sont au devant, ensi porra estre li roiames de Logres en aventure de perdre toute hounour. - Je vous dirai, fait Merlins, que vous ferés. Vous averés conseil de ceste chose tel comme je vous dirai. Li rois Loth est moult preudom et boins chevaliers, et moult le doit on redouter pour trop de choses. Mandés li premierement amistié et li faites a savoir que il ne laisse en nule maniere que il ne sekeure le roiame de Logres si comme il le doit faire et que il li prenge pitié de la couronne, que li hounours del roiame ne dechiee par le defaute de lui. Et li faites savoir que vous volés que il conduie vostre premiere bataille et que il face porter vostre confanon, et qu'il aït a maintenir l'ounour dou regne ensi comme loiaus hom se doit aler et aidier a maintenir l'ounour de son signour ; et se vous li avés mesfait en riens dou siecle, vous li amenderés a sa semonse si hautement comme li baron dou roiame de Logres le savront deviser. Et tout chou li mandés orendroit, et puis s'orrons chou que il nous remandera, si avrons conseil. - Et ou cuidiés, fait li rois, qu'il soit trouvés ? - Il est, fait Merlins, pres de chi a .II. lieues englesques a tout son ost, ne n'atent tant seulement fors tant que vous soiiés assamblés as hommes le roi Rion, et lors vous cuide il legierement desconfire. Ore vous hastés de lui mander chou que je vous ai dit, car vous n'avés que demourer, a chou que li rois aprochera tost. »
Lors apiele li rois .II. de ses chevaliers et lour dist qu'il aillent au roi Loth au ferir des esperons, et lour carge son message au miex qu'il le set faire. Et cil se partent erramment de court et tant font qu'a l'ost le roi Loth vienent, et vont droit a son destre tref et le saluent de par le roi Artus. Et puis li content le message tout ensi comme il lour avoit esté cargié et que il ne le laissaissent mie a lour ensient. Quant li rois Loth che entent que li rois Artus mande, il ne se refresne point de son maltalent, ains respont as messages : « Dites vostre signour que a m'aide a il failli et a tous les biens que je li porroie faire, se li mousterrai au plus tost que je porrai que je ne li doi pas aidier, mais nuire a men pooir de tant comme je li porrai. - Comment ! sire, font li message, sera il dont ensi ? - Oïl, fait il, en tel maniere que je ferai mon pooir de lui tollir terre et d'oster le couroune del chief, car il l'a bien deservi, ne homme si desloial comme il est ne deust porter couronne au mien esgart, puis qu'il fist si tres grant desloiauté comme d'ochirre les enfans de son regne. Et se li baron dou roiame fuissent si preudomme comme il deussent estre, il ne l'eussent ja puis tenu a signour, ains l'eussent ochis et destruit, si comme on doit faire roi desloial et mauvais. Et alés vous ent de chi et bien li dites qu'il ne trouvera ja pais en moi devant que jou aie vengiet men fil, la petite creature que il deust amer tant comme sa char meismes, et il le destruist et mist a mort sans deserte, par coi je le destruirai, se Diex le me veult souffrir. Et itant li dites que je li manc. » Et cil dient ke cest message feront il, mais moult lour poise qu'il n'ont en lui trouvé millour conseil.
Atant se partent li message et montent, et vont tant que au roi Artus vienent, se li content tout chou que il orent trouvé ou roi Loth. Et li rois en est moult dolans et moult en est plus esmaiiés qu'il ne seut. Et Merlins li dist : « Rois, ne te desconforte, car Nostre Sires te secourra. Et bien sachiés qu'il ne te mist pas en si haute segnorie pour oster t'en si delivrement, se tu trop ne li mesfais. Ore chevauce tout asseur et ordene tes gens au miex que tu savras, et je te di que Nostre Sires te fera hui le grignour hounour qui piecha mais avenist a roi pecheour. Et je voel que tu te rendes confés de toutes les choses dont tu te sens coupables vers Nostre Signour, et je te di que che est une chose qui moult te pourfitera et moult te porra aidier. »
Tout ensi comme Merlins le consilla au roi, tout ensi le fist il. Et si tost comme il fu ajorné, il ordena ses hommes et vit qu'il avoit bien mil chevaliers, sans les serjans a piet et a cheval. Et establi errant .X. batailles et demanda a ses houmes s'il iroit avant ou il atenderoit en cele place ses anemis. Et il li loent que il les attende illuec, si ne seront pas lour cheval lasset ne travillet de courre par mi la plainne. Ensi ot li rois Artus ses batailles ordenees et se fu arrestés en mi liu d'une plainne pour attendre ses anemis ensi comme il verroient. Si ot moult amounesté ses hommes de bien faire, si que l'ounour dou roiame de Logres ne fust le jour perie par defaute d'eus. Et cil li respondirent qu'il volloient tout miex morir en place meismes qu'il n'eussent l'ounour de la bataille. Mais or laisse li contes a parler de lui et de sa compaignie et retorne a conter des .II. freres qui le roi Rion avoient amené au roi Artus.
Ore dist li contes que quant li dui frere orent baillié lour prisons en la main dou portier, il se partirent de Tarabel et chevaucent viers une hermitage qui pres d'illuec estoit a une liue englesque. Li Chevaliers a .II. Espees estoit moult acointes de l'ermite, si l'apiela tant que il le connut, et ouvri erramment son huis, et le rechiut en son ostel entre lui et son frere a moult tres biele chiere, et les aaisa de canques il pot et lour douna a mengier pain et eve, car autre chose n'avoit il en sa maison. La nuit jurent laiens li dui frere et aaisierent lour cors et lour chevaus de chou qu'il trouverent en l'ostel, si dormirent jusques a l'endemain. Au matin, quant solaus fu levés, il se leverent et se firent armer a lour escuiiers. Et lors vient laiens uns vallés qui estoit parens a l'ermite, qui lour dist : « Nouvielles vous sai a dire mervilleuses. En che jour d'ui sera chi pres la gringnour bataille qui onques fust ou roiaume de Logres, car li rois Artus et li houme le roi Rion assambleront orendroit en bataille campel en une plainne cha devant. - Ses le tu bien ? font li chevalier. - Oïl, fait il, car j'ai veut les banieres drechier au vent. - Ore en soit, font il, Nostre Sires en l'aide dou roi Artus, car certes che seroit damages trop dolereus s'il en estoit mis au desous. » Lors se traient a une part et prendent conseil entr'aus deus qu'il porroient faire, et Balaans dist : « Sire, comment vous plaist il que nous alons a ceste bataille ? - Je voel que nous alons a ceste bataille cele part. Et quant nous verrons que li frere au roi Rion sera meus en ceste bataille, lors nous adrecerons a lui. Et s'il nous avenoit si bien, ou par le volenté de Nostre Signour ou par autre chose, que nous le peussons sousprendre entre ses houmes, je ne cuic pas qu'il escapast legierement dusques qu'il averoit fait envers nous auchun plait a nostre volenté. Et se Diex nous faisoit si boins eureus que nous le peussons prendre et metre es mains le roi Artus, je cuic que encore troveroie je bien ma pais envers lui et avroie s'acointance et s'amour aussi que jou avoie avant que je ochesisse la damoisiele. » Et il s'acordent bien a ceste chose. Si viennent a l'ermite et prendent congiet a lui et s'em partent erramment, et s'en vont cele part ou il sevent que la bataille devoit estre. Si n'orent gaires alé quant il voient toute la campaigne couverte de chevaliers armés et voient d'une part et d'autre les ensegnes drechies au vent et les banieres bieles et riches de diverses coulours. Et Nero, li freres au roi Rion, savoit ja bien nouvieles de son frere qui estoit pris, mais il l'avoit si bien celé de ciaus de l'ost que il n'en i avoit encore nul qui en seust la verité, ne mais uns siens cousins germains qui li avoit conté. Et au matin, quant li haut baron de l'ost demanderent ou li rois estoit, lour respondi il : « Chevauciés asseur, car entre moi et lui conduirons la premiere bataille ou la daerrainne. Or ne vous esmaiiés, car ja caup ne ferrés sans sa compaignie. »
En tel maniere ot Nero ses batailles ordenees, et en fist .X. aussi comme li rois Artus avoit fait, mais moult avoit plus de gent par deviers lui que par deviers le roi Artus. Et quant il les ot ordenees au miex qu'il pot, il envoia avant les .III. premieres. Si peussiés veoir, a l'assambler des .II. os, lanches brisier et chevaliers cheoir et chevaus courre tous estraiiers et loing et pres, qu'il n'estoit nus qui les retenist, car trop avoit chascuns a entendre a autre chose. Mais cil qui par deviers le roi Artus estoient n'avoient pas tant de gent, si souffrirent moult et endurerent au commenchement. Et s'il ne fuissent si preudomme et si boin chevalier comme il estoient, legierement peussent estre desconfi. Mais il estoient viste et legier et de boin aage et jovene homme tout li plus et abandonné de mort rechevoir ains qu'il perdissent houneur en la bataille, et ceste chose lour fist tant endurer chelui jour que assés en i avoit de mors et de mehaigniés. Quant les lanches furent brisies, il misent d'une part et d'autre les mains as espees, si coumenchierent les meslees si morteus et si perilleuses que en peu d'eure peust on veoir la place toute couverte de chevaliers mors et de mehaigniés. Mais toutes voies par esfors gaaignierent li houme le roi Artus la place si que la desconfiture torna sour les hommes le roi Rion, si k'a force lour couvient les dos torner as .III. premieres batailles et se ferirent sour les autres compaignons ki les venoient secourre de tout lour pooir. Et avoit en cele compaignie .III. batailles toutes ordenees, fervestues et bien armees.
A cel encontre ot porté a terre grant plenté des houmes le rois Artus et assés en i ot de navrés et de malmenés, car trop estoient peu de gent encontre cheus qui sour eus estoient venu. Si i peussent tost rechevoir mort en tel maniere que ja n'en eschapast piés que tuit ne fuissent detrenchié, mais li rois Artus lour envoia .III. batailles pour eus secourre, bien ordenees et apparellies. Lors se tinrent auques bien, et nonpourquant trop avoit plus de gent deviers le roi Rion que par deviers le roi Artus. En tel maniere assamblerent d'ambes .II. pars toutes les batailles, car quant li un avoient le pis, si estoient errant secorut de leur compaignons. Et quant li doi frere virent que li rois Artus se fu mis en la bataille, il dient que trop ont attendu a lour anemis grever et que trop longuement les ont laissiet ester. Lors s'adrechent viers la daerrainne bataille, cele meismes ou Nero estoit, et se tornent la ou il voient la gringnour presse. Si encontrerent en leur venir .II. chevaliers que on tenoit a moult preudommes. Il lor metent les glaives parmi les cors, car li escu ne li hauberc ne les porent garandir contre les fers, si les portent des chevaus a terre teuls atornés qu'il n'ont de mire mestier, car il estoient ambedui navré a mort, et au parcheoir qu'il font brisent ambedeus les glaives. Il metent les mains as espees et commenchent a departir as uns et as autres grans caus, si abatent chevaliers et ochient, et esrachent hyaumes de testes et escus de cols, et font ambedui si grant mierveilles d'armes, voiant leur anemis, que nus nes voit qui n'en soit esbahis. Et se auchuns me demandoit de la quele espee c'estoit que Balaains se combatoit, je responderoie que che estoit de la soie et ne mie de l'espee qui fu a la damoisiele. Car de cele espee ne se combati il onques devant le jour que il fu mis ou camp contre Balaam son frere, si qu'il ocist par mesconnissance son frere de cele espee, et ses freres le rochist de cele meismes, si comme Robers de Borron le contera ja avant a la seconde partie de son livre.
Grant fu chelui jour la bataille en la plainne de Tharabel, si le fist moult bien li rois Artus ichelui jour et moult en ochist et mehaigna, et bien moustra a ses anemis la bonté de s'espee Escalibor. Si achaterent chierement chou que elle trenchoit si bien, car il en ochist de sa main de la propre espee, ains que la bataille fust finee, plus de .XX. chevaliers et en mehaigna plus de .XL.. Et Kes li seneschaus le refist moult bien endroit soi, et tant fist icelle jornee qu'il acueilli los et pris qui li dura lonc tans aprés. Et autressi le refist bien Hervil de Rivel, qui a chelui tans estoit assés jovenes chevaliers. Mais nul bien fait que il fesist chelui jour, ne il ne autres, ne fu tant loés comme che fu que fist li Chevaliers a .II. Espees, car cil faisoit unes chevaleries si apertes, en quel lieu que il venoit, que tuit le regardoient a merveilles, ne il ne disoient pas que il fust chevaliers morteus, mais auchuns monstres ou auchuns anemis que mesaventure avoit la amené. Et li rois Artus meismes, quant il l'ot bien esgardé et il vit les merveilles que il faisoit, il dist que che n'estoit pas chevaliers coume autres, mais hom nés sour terre pour destruction de gent. Et ceste parole dist il a Gifflet, qui puis fu en maint lieu retraite.
Ensi fu la bataille mellee et commenchie d'une part et d'autre. Et Merlins s'en fu alés au roi Loth et trouva qu'il apparilloit ses hommes tant comme il pooit pour aler seur le roi Artus. Et lors li dist Merlins : « He ! rois Loth, tu as esté dusques chi moult loiaus hom viers ton signour naturel. Ore ies ensi comme cil qui se recroit de boines oevres faire viers sa fin. Tu as esté dusques chi loiaus. Ore, quant tu t'aproces de ta mort, si veuls devenir desloiaus et moustrer tout apertement ta desloiauté au peuple. Ore regarde : comment peusses tu faire si grant desloiauté coume de lui faillir au besoing quant il se combat pour toi et pour son peuple et met son cors en aventure por toi et pour tous les autres oster de la subjection as estranges princes ? Et tu sour cest peril li appareilles encore un autre ! Car la ou il met son cors por toi desfendre de tes anemis, tu t'apareilles de lui occhirre a ton pooir. Ore garde se chou est desloiautés et felonnie ! - Merlin, fait li rois, se je le hac, che n'est pas mierveille, car il a fait tout de nouviel la gringnor desloiauté que rois fesist onques, si en a adamagié tous les haus hommes de cest regne, et moi meismes en a il apovroiié d'un hoir meismes que Diex m'avoit envoiié. Si ne regarda onques a chou qu'il estoit mes fiex, qui estoie li plus haus hom de son regne et se estoie si ses amis que je avoie sa serour a feme, et a chou que mes enfes estoit ses niés. Or regarde se la felounie fu par se desloiauté !
- Or me dites, fait Merlins, quides tu dont qu'il ait ton enfant ochis ? - Oïl, fait li rois, je le sai tout certainnement. Il le mist en la mer avoec les autres, par coi je ne l'amerai jamais ne ne quier qu'il ait amour ne concorde nule entre moi et lui, mais guerre a tous les jours de ma vie. - Rois, fait Merlins, tu as tort. Tu ne deusses mie dire chose ou il n'eust verité. Saches que Mordrec est vis. Et se tu voloies laissier ceste emprise que tu as orendroit faite, je te creanc que je le te mousterroie tout sain et tout vis dedens .II. mois. - Je n'en querroie nullui, fait li rois, pour parole que on m'en seust dire devant que je le veisse. - Et k'en veuls tu faire ? fait Merlins. - Je ne m'en partirai ja, fait li rois, se par bataille non. Et illuec m'en vengerai, se la mors ne m'en destorne. - Et je te di, fait Merlins, se tu en aventure de la bataille te mes, que tu en seras hounis, car tu en remanras recreans et i seras pris et ti homme li pluiseur ochis. Si me deusses bien croire de chou que te dic, car tu n'oïs onques dire que je fuisse menchoigniers de parole que je affremaisse pour verité. Si t'en repentiras se tu ne fais chou que je te lo. » Et cil dist qu'il ne lairoit pour homme qu'il ne s'en mesist en aventure de querre venjanche. - Ore t'en conviengne bien, fait Merlins, car certes tu t'en repentiras tele eure que ne le porras amender. Et chis repentirs verra trop a tart, si sera damages grans. »
Endementiers que Merlins parloit ensi au roi, il avoit pluiseurs barons en la place, dont chascuns disoit au roi : « Ha ! sire, pour Dieu, faites chou que Merlins vous loe ! Ja ciertes de son conseil ne verra maus a vous ne a autre. » Et li rois dist toutes voies que ja n'en fera riens. Et Merlins, qui bien savoit que a cele eure se combatoit li rois Artus et, s'il avenist que li rois Loth li courut sus a cele fois, que damages en peust avenir grans, si tenoit toutes voies le roi en sa parole et le faisoit a lui entendre et le destourboit d'aler avant au plus que il pooit, ne il ne querroit que li rois euust plus de respit fors tant seulement que il eust vaincu les hommes au roi Rion. Et pour chou fist Merlins demeurer le roi Loth dusques a eure de tierce et le tient en tel maniere qu'il ne chevaucha pas de loing plus de .IIII. arpens de terre. Et tout chou fist il par enchantement tant que il peust veoir que la bataille devoit avenir. Il secourut tant le roi Artus toutes voies, qu'il aimme miex et voloit miex que li rois Artus fust sains et haitiés et li rois Loth fust ochis. Et il savoit bien que li uns d'aus deus i morroit, se la bataille feroit ensamble.
Apriés eure de tierce tout droit avint que uns messages vint devant le roi Loth et li dist : « Sire, nouvieles vous aporch assés mervilleuses. Li rois Artus a vaincu les hommes le roi Rion. Mais onques ne veistes si grant bataille ne si pesant comme ceste a esté, car trop en i a de mors et d'une part et d'autre. Mais fait avant li rois amener tant de prisons qu'il sont plus de .Vc., tous rices hommes a mon ensient. » Quant li rois entent ceste aventure, il en devint tous esbahis et regarde tout entour lui pour savoir se il veist Merlin, car il li voloit coper la teste pour chou qu'il estoit ore bien apercheus que Merlins l'avoit enchanté et fait atargier tout de gré. Et lors dist a ses hommes : « Merlins m'a mort. Se je eusse des hui matin chevauchié a esfors, je eusse le roi desconfit et gaaignié ma querele. Or en sui plus loing que je ne fui onques mais ne jamais tant comme je vive n'avrai le roi en aussi boin point comme jou avoie hui matin. Or ne sai jou que faire. Car se je m'en vois a lui, il me fera prendre com son anemi pour chou que je ne vauc faire chou que il me requist ; et se je m'en vois en ma terre, il assamblera ses houmes et venra a ost sour mi, et ensi destruira moi et ma terre, que ja n'en avra merchi autrement que je eusse de lui, se je en venisse au dessus. Ensi ne sai je prendre conseil. Je ne voi ma sauveté de nule part. » Et lors li respont uns siens chevaliers qui estoit ses cousins germains : « Sire, vous ne troverés ja merchi viers le roi, se vous ne la desraisniés au branc d'achier. Assemblés seurement a lui, car Nostre Sires vous donra l'ounour de la bataille. - Allons dont, fait li rois ; jamais ne m'en quier aler se par la bataille non. » Lors demanda li rois au message : « A bien grant gent li rois Artus avoec lui ? - Certes nenil, fait li vallés, et sont presque tuit navré et alassé li plus fres de ceste bataille qu'il ont hui vaincue.
- Or alons dont, fait li rois, et gardés que vous le faites si miervilleusement k'en vostre venir n'en remaingne nus en sele ! » Et cil dient qu'il en sont prest puis que au roi plaist vraiement. Lors n'i ot plus demouré, ains ordenerent maintenant lour batailles et s'en vont tout lour chemin tout droit viers l'ost le roi Artus. Et Merlins fu ja revenus au roi et le trouva navré en plus de .VII. liex de plaies petites et grans, et vit que si houme le desarmoient pour chou qu'il alast plus aise, car il ne cuident pas que il le convenist plus combatre ichelui jour. Et lors dist Merlins au roi : « Ha ! rois, pren ton hauberc ne te desarme pas, car tu as plus a faire que tu ne cuides. Veschi le roi Loth d'Orkanie entre lui et tous ses barons qui vienent a ost sour toi, si en poés ja veoir les ensaignes lassus en cele montaigne et les confanons drechiés qui cha vienent grant aleure encontre toi. - Ha ! Diex, fait li rois, tant a chi grant pestilence ! Ceste painne m'envoiiés vous pour mon pechié. Ore cuide que li preudomme comparront chou que je me sui meffais viers vous ! » Et quant li baron entendent cele parole, il n'i a cel qui toute pitié n'en ait en son cuer. Si respondent : « Rois, ne t'esmaie mie, mais chevauce tout asseur, que Nostre Sires te conduira et te metera au dessus de tes anemis en tel maniere que tu averas victoire la ou il averont toute deshounour. »
Lors parla uns chevaliers de la compaignie le roi, et che estoit cil qui tant longement ot cachié la diverse beste, chis meismes qui puis engenra Percheval, si comme chis contes le devisera apertement. Et il l'avoit si bien fait en la bataille ichelui jour que nus n'estoit prisiés a bien faire fors que il et li Chevaliers a .II. Espees seulement et ses freres. « Sire, fait il au roi, onques de chou ne vous esmaiiés, que bien sachiés que vous vainterés. » Et li rois respont : « Sire chevaliers, la vostre merchi de chou que vous m'avés si durement aidié. Ore saichiés bien que toute ma fiance est en Dieu et en vous et es autres preudommes. Et certes s'il estoient par devise tout autel chevalier coume vous estes, je sai de voir qu'il averont courte duree. Et je vous pri que vous me dites qui vous estes, car je ne vous connois pas as armeures que vous portés. - Je nel vous celerai mie, fait il. Je sui li chevaliers a qui vous veistes siure la diverse beste. Et par la bonté que je savoie en vous vous sui ge venus aidier, ne mie por chou que je regne tiegne de vous, che savés vous bien. - Certes, fait li rois, vous en terrés quant il vous plaira, que vous en estes bien dignes. » Quant il orent lour batailles ordenees, il s'en vont droit viers les hommes le roi Loth. Si peussiés veoir a l'encontrer des .II. batailles assés gringnour abatic de chevaliers et plus grant mortalité de gent que il n'avoient huimais eues, car il estoient boin chevalier et d'une part et d'autre, et s'entrecontrerent si morteument que vous en peussiés veoir au premier abatic teuls .C. jesir a terre dont les armes estoient parties des cors.
Cele bataille sans faille, qui tant fu crueus et felenesse, commencha a eure de tierce et dura dusques a eure de viespres. Et se li rois Loth ne fust si tres bon chevaliers comme il estoit, si houme eussent esté plus tost desconfi que il ne furent. Mais il tous seus soustenoit si le fais de la bataille par deviers soi que tout cil qui l'esgardoient se sainnoient a mierveilles que il puet endurer la moitié de chou que il souffroit. Il enprendoit si toutes les proueches et tous les caus a faire, voiant tous cheus qui atendre l'osoient, qu'il n'i avoit si hardi par devers le roi, pour qu'il l'eust bien regardé, qui devant ses cox n'eust toute paour. Et quant li rois vit ceste merveille et il ot bien reconneu le roi Loth, il dist : « Ha ! Diex, quel damage quant si preudom coume cis est se mesfait si durement ! Car par la proueche que je voi en li m'est il bien avis qu'il soit bien dignes d'avoir tout le mont en sa baillie. » Li rois l'ot, qui ne baoit a autre chose fors qu'il peust le roi Artus ochirre. Il laisse courre toute l'espee traite comme cil qui ne baoit fors a sa mort. Et quant li rois Artus le voit venir, il ne fu pas si bien apparilliés de lui rechevoir, si traist son frain arriere et jete encontre le cop son escu. Et cil, qui ot son cop entesé, failli a ataindre le roi, si aconsiut le cheval droit par devant l'archon. Et l'espee fu boine et trenchans, li cox vint de haut et li rois fu de vertu plains, si fiert le cheval si durement qu'il le trenche tout par mi les espaules, si que li chevaus chiet mors a la terre et li rois si tresbuce par desus le col. Et lors cuide bien li Chevaliers a la Diverse Beste que li rois fust mors, si en est moult dolans et dist que chis damages est trop grans, car cil dou roiame de Logres ne recouverront a roi si preudomme comme chis estoit, « se le vengerai, se je onques puis ».
Lors laisse courre au roi Loth l'espee traite. Et quant cil le voit venir, il ne le refuse pas, ains l'attent tout outreement et sans escu, car li siens li estoit cheus erraument en la place. Et cil le fiert si durement que li hyaumes ne la coife de fer nel garandist qu'il nel pourfende tout jusques ens espaulles. Il estort son cop, si fait voler le roi Loth a terre. Et quant cil d'Orkanie voient chelui caup, il devienent si esbahi qu'il ne sevent quel conseil il doivent prendre, quant cil est mors en qui il avoient tant de fiance de vaintre la bataille, se jamais fust vaincue. Et quant li homme le roi Artus voient celui mort qui tout le jour les avoit plus damagiés et empiriés que la moitiet de ses compaignons n'avoient, si se rasseurent moult plus que il ne firent huimais. Si courent sour chiaus d'Orkanie et il les ochient et abatent et mehaignent le plus qu'il porent. Et cil sont si espoentet qu'il ne pueent longuement souffrir, ains tornerent les dos et wuident vistement la place et s'en fuirent si grant oirre comme il pueent des chevaus traire, coume cil qui ne beent fors qu'a lour cors garandir, car il voient bien que la desconfiture est dou tout tornee sour eus. Et cil les encauchent ki morteument les heent, si les detrenchent et ochient si espessement que li chemin en remainnent couvert par la ou il trespassent. Ensi furent desconfit cil d'Orkanie. Si rechiurent chelui jour tel honte qui lor fu reprochie longuement et tout dis lour fu mise la traïsons devant qu'il avoient fait en camp comme desloial et comme traïtour et mauvais de lour lige signour. Et il furent desconfi et li rois Pellinor ochist le roi Loth d'Orkanie. Et tout si fil, quant il vinrent a chevalerie haute, vaurent vengier la honte de lour pere et de tout lour parenté, dont Gavains, li aisnés fis, ochist puis Pellinor et Lamorat et Driant. Et Agloval ochist il en la queste del Saint Graal, si comme messires Robiers de Borron le devisera apertement en son livre. Mais se Percheval li gentius chevaliers, qui freres estoit Agloval, seuust la mort Agloval a chelui point que elle avint, il eust Agloval vengiet sans faille, a che qu'il amoit Agloval plus que nus freres amast autre.
Quant la bataille fu vaincue si outreement que de tous chiaus d'Orkanie n'i ot un remés qui ne fust u mors ou pris, li rois fist prendre ses chevaliers qui mort estoient et fist metre les cors tous ensamble en une roche qui moult estoit parfonde, et dessus fist faire une eglyse ou on priast pour les ames de chiaus qui laiens estoient enterré. Des autres cors ne fist on mie si grant feste, fors k'en terre furent mis et par bos et par plaingnes. En la bataille le roi Rion fu si avenu que tout chil .XII. roi furent occhis. Li rois fist prendre les cors et les fist metre ensamble en l'eglise Saint Estevene de Camalaoth, et fist escrire dessus chascun son non. Mais dou roi Loth, pour chou que moult l'avoit amé, fist il assés gringnour feste, car il le fist metre en une tombe moult biele et moult riche. Et fist pour hounour de lui en cel lieu meismes une eglise estorer qui puis fu de haut pris et sera tant comme li siecles duerra. Et fu cele eglise apielee l'iglise de Saint Jehan.
La roine sa feme et tout si quatre fil, qui moult estoient biel enfant, vinrent a l'enterrer, si i ot moult grant duel et des uns et des autres, car moult amoient le roi Loth. Li rois Uriiens i vint et Morgue sa feme, si enchainte que elle estoit toute preste d'avoir enfant. Elle estoit moult malicieuse durement et moult savoit de tintin et de male pensee. Et quant li rois fu enterrés, Gavains ses aisnés fiex, qui moult estoit biaus enfes durement et n'avoit encore d'aage que .XI. ans, en fist duel si mervilleus que tout cil qui le voient en avoient pitiet grant. Et quant il ot faite la plainte de son pere tele que nus home de son aage ne pot faire plus biel, il dist une parole qui bien fu entendue et ne fu pas oubliee, et fu la parole tele : « Haa ! sire, tant m'a adamagiet dolereusement li rois Pellinor qui vous a occhis et tant a nostre lignage abaissiet et apovri par la vostre mort ! Et li roiames de Logres meismes certes en sera plus apovris qu'il ne fust de la mort a .VII. millours rois qui i soient ! Ja Diex ne place, sire, que je face chevalerie qui soit loee dusques que j'en aie prise tele venjance que on en doit prendre, c'est ochirre roi pour roi ! » Et Gavains avoit ja bien apris que li rois Pellinor li avoit son pere ochis. De ceste parole s'esmervillierent moult cil qui l'oïrent, car moult estoit haute, meesmement de tel enfant comme Gavains estoit a cel terme. Si disent li auquant qui l'entendirent : « Haute parole a chis enfes dite. Encore vengera il son pere. » Et il le fist tout ensi comme il le dist, car puissedi occhist il le roi Pellinor et .II. de ses enfans.
Li roi Artus, qui moult estoit liés de si biele aventure que Nostre Sires li avoit envoiie, dist que as octaves feroit il faire la feste de ceste victoire. Lors fist faire .XII. rois de metal seurargentés et dorés richement, et avoit chascuns en son chief une couroune d'or, et avoit chascuns escrit son non en son pis devant. Et avoec chou fist faire un roi en samblance dou roi Loth, au plus samblant que on le pot faire. Apriés ces rois fist faire un autre roi plus .X. tans riche que tuit li autre n'estoient, et fu fais en samblance dou roi Artus. Et quant toutes ces ymages furent parfaites, li .XIII. furent fait en tel maniere que chascuns tenoit en sa main un candeler, mais li autres, cil qui estoit fais en la samblance dou roi Artus, tenoit en sa main une espee toute nue en samblance qu'il manechast les gens. Quant toute cele oevre fu acomplie, li rois fist metre les ymages en la maistre forterece de la tour en haut dessus les creniaus si que tout cil de la chité les veoient apertement, et tint chascuns des rois un gros chierge alumé. Et en mi liu des .XIII. estoit l'image le roi Artus assés plus haut qu'il n'estoient tuit, et tenoit s'espee en sa main et faisoit samblant qu'il manechast cheus qui entour lui estoient. Et cil toutes voies li estoient enclin aussi coume il li criaissent merchi d'auchun mesfait.
Quant ceste chose fu ensi faite coume je vous devise, lors commencha la feste dedens Camalaoth, ki dura .VIII. jours tous pleniers. Et le premier jour que elle fu commenchie, quant li rois Artus regardoit les chierges, il dist a Merlin qui dejouste lui estoit : « Merlin, il me samble que chi eust trop biele chose ce cist chierge peussent tout dis durer en tel maniere que il n'estainsissent point de nuit et de jour ne por vent ne pour plueve que il fesist. - Ciertes, fait Merlins, je les vous ferai assés plus durer que vous n'oseriés cuidier. » Lors fait maintenant son enchantement, et puis dist au roi : « Rois, sacés que cist chierge n'estainderont devant que l'ame me departira du cors. En chelui jour qu'il estainderont averront .II. merveilles en ceste terre, car je serai livrés a mort par engin de feme et si fera li Chevaliers a .II. Espees le Dolereus Caup encontre le desfence Nostre Signour, pour coi les aventures dou Saint Graal averront, especiaument ou roiaume de Logres. Et lors commencheront les dolours et les tempestes par toute la Grant Bretaigne, et averront si souvent que tout cil qui les verront avenir en seront tout esbahi, et duerront sans doutance .XXII. ans.
- Merlins, fait li rois, par ceste parole que vous m'avés devisee porroie je bien connoistre le jour que vous trespasserés, soit pres ou loing. - Voirs est que ensi porrés vous savoir, fait Merlins, le jour que les aventures commencheront, car adont estainderont cist chierge et sera espandue une grant obscurtés ens en mi lieu dou jour tout par mi ceste terre, si qu'il ne verront goute entour eure de miedi. Et a cele eure meismes averra que vous chacerés et serés descendus dalés une fontainne pour la beste ochirre, et lors vous sousvendra l'oscurtés si que vous ne sarés que vo beste sera devenue. Si vous di que a chelui terme ne serés vous sans grant doute et sans grant paour. » Li rois s'esmiervilla de cest afaire, si dist a Merlin : « Merlin, vous me poés bien dire quant ch'averra. - ja nel savrés par moi, fait Merlins, ne vous ne autres. » Et li rois l'en laisse a tant ester, mais il li demande d'autre part : « Dites moi que li rois Pellinor est devenus et li dui frere qui si bien se prouverent en la bataille. Ge les fis querre et loing et pres ne ne porent estre trouvé. Et il ont tant fait pour moi que je ne serai jamais aise devant que je lour aie guerredonné a mon pooir. - Je vous di, fait Merlins, que les .II. freres ne verrés vous mie si tost coume vous cuidiés. Et quant vous les verrés ne vous en sera il point bel, car il vous feront tout anui par mesconnissanche. »
Assés parlerent celui jour de maintes choses, et tant que Merlins dist au roi : « Rois Artus, je ne serai mie gramment avoec vous, mais une chose vous dirai jou dont vous me querrés se vous estes sages. Le fuerre de vostre espee gardés bien, que je vous di bien que vous ne trouverés jamais si mervilleus se vous le perdés, ne en nule main ne le metés se vous ne vous i fiés trop durement, car se li fuerres estoit reconneus, vous nel bailleriés jamais. Et bien peuustes avant ier veoir que li fuerres vous valut, car vous eustes en la bataille pluiseurs plaies ne pour chou ne perdistes vous gaires de sanc. - Je le garderai, fait li rois, a men pooir. » Chelui jour fist li rois Rions houmage au roi Artus et rechiut sa terre de lui, et li rois Artus establi rois par trestous les roiames qui estoient desous lui. Assés parlerent li un et li autre des chierges qui ensi ardoient. Et quant Morgain sot que Merlins avoit che fait par enchantement, elle s'apensa que elle s'acointeroit de lui et aprenderoit tant de son sens que elle porroit faire par tout ou elle vaurroit partie de sa volenté.
Lors s'acointa de Merlin et li pria que il li apresist de che qu'il savoit par couvent que elle feroit pour lui canques il li oseroit requerre. Et quant il le voit de si grant biauté, il l'enama moult durement et li dist : « Dame, pour coi le vous celeroie je ? Vous ne me vaurrés chose requerre que je ne fesisse a mon pooir. - Sire, grans merchis, fait elle, che verrai je bien, que ore vous requier jou que vous m'aprendés tant d'enchantement qu'il n'ait feme en ceste terre qui plus en sace de moi. » Et il dist que che li aprenderoit il bien. Se li aprist tant en poi de terme, a chou que elle estoit soutive et engingnouse et curiouse d'aprendre, que elle sot grant partie de chou que elle desirroit, et moult li plot la scienche d'ingromanchie et l'art. Quant vint au terme de l'enfanter, elle ot un enfant marle que on apiela en baptesme Yvain, et se fu puis chevaliers renoumés de grant proueche et de grant force. Quant elle ot tant apris d'art d'ingromanchie comme il li plot, elle cacha d'entour lui Merlin pour chou que elle s'aperchut bien que il l'amoit de fole amour, et li dist que elle le feroit hounir s'i repairoit plus entour li. Il en ot duel moult grant, mais mal ne veult faire pour chou que moult amoit le roi Artus, si s'en fui d'entour li au plus tost qu'il pot.
El roiame avoit un chevalier moult biel homme et preu de son cors durement que elle amoit de fine amour et il li autressi. Tant ala l'uns entour l'autre qu'il la connut carnelment, si plot tant a la dame son affaire que elle l'ama sour tous hommes. Et il repairoit dou tout en l'ostel le roi et li rois se creoit plus en lui que en riens dou siecle. Et pour la fiance qu'il avoit en lui li bailloit il a garder l'espee et li disoit toutes voies : « Pour Dieu, gardés le moi et le fuerre tenés encore plus chier que autre chose, car che est li garnemens ou siecle que je miex aim et que je doi plus chier tenir. » Quant elle oï ceste chose, elle s'en esmervilla moult que che pooit estre, si le dist au chevalier que elle amoit. Et quant il l'oï, il li respondi : « Ore vous pri jou, se vous m'amastes, que vous saichiés pour coi il a le fuerre si chier, car sans raison n'est che mie. - Je le vous savrai, fait elle, prochainnement a dire, se je puis. »
Un jour le demanda au roi. Et il se croit moult en li, se li conta erramment pour coi il avoit si chier le fuerre. « Par foi, fait elle, ore m'en avés tant dit que jamais hom ne l'avra entre mains, se vous seulement n'estes. Ore le garderai moult plus chierement que je ne fesisse devant. » Au soir revient ses amis et elle li conta erramment tout chou que li rois li avoit dit. « Par foi, fait cil, puis qu'il a si grant vertu, je le voel avoir. - Je le voel bien, fait elle, mais vous attenderés tant que j'aie fait contrefaire un fuerre qui samlables soit a cestui et de fachon et de samblance, car se je le vous dounoie ore et li rois le demandoit aprés et je ne li peusse moustrer ou chelui ou autretel, il me destruiroit erramment. - Ore vous en hastés dont, fait il, car jamais ne serai aise devant chou que je l'aie. »
Lors manda Morgain un houme a venir devant lui qui s'entremetoit de teuls oevres, que un autretel li en fesist. Et cil le regarda, si dist que si feroit il bien, mais qu'il eust toutes voies devant lui l'essamplaire. Morgain le mist dedens une des chambres de laiens pour chou que li fuerres ne fust perdus. Et cil ouvra la dedens tant que un autretel en ot fait, et furent ambedui si samlamble qu'il n'avoit mie .III. hommes el monde qui connussent l'un de l'autre. Quant li ouvriers ot che fait et Morgue vit que tout estoit fait tresbien a point, elle ot paour que cil ne la descouvrist en auchun lieu et que li rois ne l'ochesist, s'il en pooit savoir la verité. Si fist tantost coper la teste a chelui et le cors fist gieter en mer. Lors manda a son ami qu'il venist parler a lui, et il si fist. Et en che qu'il estoit en sa chambre et il regardent les fuerres l'un delés l'autre, il avint que li rois Artus entra en la sale, qui venoit de cachier. Il furent esbahi et orent doute que se li rois les trouvast ensi seul, qu'il le tornast a mal, si s'en fuirent l'uns d'une part et l'autres d'autre es chambres de laiens et laissierent les fuerres en un lit, l'un dessus l'autre, et l'espee dessus un tapic. Li huis de la chambre fu clos, si que nus n'entra laiens. Et li rois entra en sa cambre et trouva Morgain qui a lui fu venue devant. Quant elle ot grant piece demouré avoec lui, elle revint la dont elle estoit partie devant. Et lors regarde les fuerres, si ne connut l'un de l'autre, car trop estoient sanlable, si en fu toute esbahie. Lors li avint, ensi coume a Diu plot, que elle prist le boin fuerre et mist dedens l'espee, mais elle le cuida faire autrement. Lors bailla a son ami meismes tout en cel jour l'autre fuerre et li dist : « Ore avés chou que par bontés ne porroit pas estre esligié legierement. Je vous en ravest. » Et chis prent le fuerre, qui bien cuida estre paiiés, si l'emporte avoec lui. Cele semainne meismes il avint que il se combati a un chevalier qui ses anemis estoit et l'encontra en une forest. Et fu ensi que cele chose ou il se fioit plus ne li aida riens ne riens ne li valut, ains fu si navrés en cele bataille et tant i perdi del sanc k'il en deut estre mors. Mais toutes vois s'en eschapa ensi comme il pot et vint a son ostel si navrés et si malmenés que a painnes se pooit il tenir en sele. Il fu moult dolans de ceste aventure, car il cuida bien que elle l'eust decheu tout de son gré, si pensa qu'il s'en vengeroit, se il onques pooit. Mais il ne veoit pas comment il le peust faire, s'il ne le disoit le roi Artus. Lors s'apensa coument il le porroit descouvrir en tel maniere qu'il n'en savroit ja mal gré a nului fors a Morgain.
Un jour ala li rois chacier en une forest grande et parfonde. Et avint que li chevaliers le sivoit plus pres que nus des autres et fu chose que li rois perdi toute sa compaignie fors cel chevalier. Et quant il out tant cachié comme li plot, il s'en tourna entre lui et le chevalier. Et lors commenchierent il a parler de moult de chose, et tant que li chevaliers li dist : « Sire, je vous diroie une chose se je cuidoie que mal ne m'en avenist. Et sachiés que je le vous dirai pour vostre preu et pour vostre pourfit. - Dites, fait li rois, que ja mal ne vous en averra, mais tout bien, se je voi que mes preus i soit. - Sire, fait li chevaliers, je vous pri merchi d'une chose que je avoie apparillie a faire a vostre nuisement et si vous dirai que c'est. Voirs est que Morgue vostre serour vous het et si ne sai por coi c'est, mais cele haine par est si grans que elle pourcache vostre mort toutes voies en toutes les manieres que elle puet. Pour coi elle me manda avant ier a venir devant li et me fist jurer sour sains que je feroie outreement che que elle me requerroit. Et quant je och fait che serement, elle me dist : “ Je voel que tu me venges du roi Artus mon frere qui m'a occis mon neveu et mon serorge et voel que tu m'en venges en tel maniere que tu l'ochies sans delai. ” Et je li respondi : “ Dame, che ne porroie je faire que je ne morusse. - De che, fait elle, n'as tu garde, car je te baillerai tel garnement que tant comme tu le porteras sour toi tu ne perderas goute de sanc ne ne recheveras plaies morteus. ” Lors me bailla le fuerre d'une espee et dist : “ Je le te doing. Chis te vaurra tant comme je t'ai devisé. Et saches que se tu me venges de mon frere ensi comme je le t'ai conté, tant te ferai faire riche homme a tous les jours de ta vie. ” Sire, ensi me dist vostre serour. Mais pour chou que jou sui vostre hom liges ne ne doi vostre mal pourcachier por chose qu'il aviegne, che vous reconnois jou et vous pri que vous vous gardés de li, que bien saichiés que elle ne het autant riens comme vous. »
Quant li rois entent ceste parole, si se saingne de la mierveille que il en a et demande le fuerre au chevalier : « Ore me bailliés le fuerre, et sachés que je me vengerai moult bien de ceste desloiauté. » Et cil li baille erramment, qui bien cuide avoir fait sa besoigne. Et li rois s'en retorne droitement au chastiel, ou il avoit laissiet Morgain. Mais Merlins, qui par ses agais et par son enchantement savoit canques li rois avoit dit au chevalier, quant il vit que li rois venoit si aïrés au chastiel, il sot de voir qu'il ochirroit erramment Morgain se elle ne s'estoit erramment destornee. Il amoit moult Morgain, tout fust il ensi que elle l'en eust cachié d'entour li. Si vint a li grant oirre et li dist : « Vous estes morte et hounie ! » Et lors li conte tout erramment del roi et del chevalier. Et quant elle entent que la chose va ensi, elle a trop grant paour que li rois ne la fache destruire. Si crie merchi a Merlin et s'agenoulle devant li et li dist : « Ha ! Merlin, aiiés merchi de moi ! Aidiés moi a cest besoing, car autrement seroie jou hounie. Et certes tu ses bien que je onques ne dis au chevalier che dont il m'a au roi accuset. - Comment vous en porroie jou aidier ? fait Merlins. - Je le te dirai bien, fait elle. Vous remanrés ichi, et je monterai seur men palefroi et m'en isterai de cest chastiel et ferai samblant que je m'en voelle dou tout aler. Et quant li rois verra et il demandera de moi, vous li ferés entendant que on m'enbla le fuerre de l'espee, et pour la doute ai je si grant paour que je n'osai demourer chaiens, pour la doutance que je avoie de mon frere. Et se vous faites bien cest message, ma pais sera faite vers mon frere et li chevaliers iert honnis. » Et Merlins dist que tout chou fera il bien pour l'amour de li. Et elle fait erramment enseler un sien palefroi et repont laiens le fuerre que elle gardoit pour chou que li rois ne le trouvast. Et maintenant se parti dou chastiel toute seule sans compaignie.
Apriés chou ne demoura gaires que li rois revint del bois et ot trouvé sa compaignie. Et quant il i fu venus, il demanda erramment ou Morgue sa serour estoit. Et Merlins saut avant et dist au roi : « Sire, malement vait ; elle s'en est fuie de vostre ostel et s'en vait en son roiame. - Et pour coi s'en vait elle ? fait li rois. - Sire, pour chou que on li embla par ne sai quel mesaventure le fuerre d'une espee que vous li aviés baillié a garder, et li aviés dit que elle le vous gardast chierement sour toutes choses. Or l'a perdu par auchun desloial chevalier qui estoit entour lui, si redoute tant vostre corouch que elle ne vous osa attendre, ains s'en est alee. »
Quant li rois entent ceste nouviele, si chiet erramment en un nouviel penser et cuide bien adont que li chevaliers ait emblé le fuerre et qu'il li ait dit ces paroles pour auchune haine de Morgain. Lors est moult coureciés et regarda trop ireement le chevalier et li dist : « Ha ! sire chevaliers, a poi que vous ne m'avés fait faire la gregnour desmesure que rois fesist piecha, car se jou eusse a che point d'orendroit ma serour trouvee, je l'eusse ochise par vos paroles ! Mais je connois ore bien que vous estes menchoingniers de tout chou que vous me fesistes entendant. » Lors traist l'espee et li dist : « Veschi vostre loiier de vostre faus message ! » Et le fiert si grant caup qu'il li fait le chief voler plus d'une lanche loing del bu. Et lors dist a Merlin : « Quel part cuidiés vous que ma serours soit trouvee ? » Et il li ensegne. Et li rois envoie aprés li au ferir des esperons. Si la trouverent cil qui l'alerent querre en une abbeie de nonnains et l'amenerent au roi. Et quant il la vit, il li rendi le fuerre et li dist : « Ore le gardés miex une autre fois, car aventure le m'a rendu. Et se je vous euusse chi trouvee, vous l'eussiés chier comparee. » Et encore cuidoit li rois que celui fuerre que il tenoit fust cil qui avoec l'espee li avoit esté donnés. Ensi fist Morgue par son engien pais vers son frere, qui mort elle pourcachoit a son pooir. Li rois ne s'en aperchiut pas qu'elle baast a nul mal et pour chou la tint il entour soi.
Li rois Uriiens repaira moult a la court le roi Artus pour l'amour de sa feme, qui tout dis i estoit et de jour et de nuit. Et pour chou que elle estoit si soutive en moult de choses l'amoit moult li rois Artus. Mais puis le haï il trop mortelment, si comme chis contes le devise, et a droit, que elle le dut faire occhirre. Li rois Uriiens avoit un sien neveu qui moult estoit biaus enfes et fiers, et estoit si sages de son eage que tuit s'en esmervilloient, ne nul enfant qui fu a chelui tans ou roiame de Logres ne tenoit on a si gracieus, car il estoit et biaus et preus et sages. Li enfes estoit de l'eage de .XVII. ans, tout pres de rechevoir l'ounour de chevalerie. Et li rois Uriiens n'amoit riens ou siecle autant comme il faisoit lui, et l'apieloient tout communaument Baudemagus. Il repairoit trop volentiers avoec le fil le roi Loth c'on apieloit Gavain et avoec Gahariet son frere, ne il n'amoit nule compaignie autant comme il amoit la compagnie d'aus. II, ne il n'estoit aisnés de Gavain que .VI. ans.
Un jour orent li enfant laiens servi par mi le palais, et avoit ja li rois mengiet, et il s'aloient par laiens esbanoiant tout troi. Et estoit Baudemagus en mi lieu et tenoit son brach destre sour Gavain et son seniestre sour Gaharié, et trespasserent en tel maniere tout .III. par devant Merlin. Et il les prist a regarder et commencha a aïrer de maltalent et de courouch, si dist maintenant si haut que li pluiseur de laiens le porent bien oïr : « Ha ! Baudemagus, a ta destre est par cui tu periras, si est damages, car en cest païs ne morra en ton vivant ne a ton tans plus sages prinches de toi. » Ceste parole oïrent li pluiseur et si ne l'entendirent pas tres bien, car des choses qui estoient a avenir ne savoient il riens. Et li rois Artus li demanda qu'il li desist encore que che est qu'il a dit, mais il ne li veult pas dire. Et cil qui l'avoient oie le disent au roi tout ensi comme il l'avoient oï dire. Li rois le fist erramment metre en escrit et si ne savoit il pas que chou estoit a dire. Mais puis entendi il bien ceste prophesie, car il le sot vraiement que mesires Gavains ochist puis Baudemagus.
Assés parlerent par laiens de Baudemagus li un et li autre a cele fois, et tant que li peres Saigremor, qui dalés le roi Uriien estoit et estoit venus a court a chelui jour, cil meismes qui faisoit Mordrec norrir avoec son fil, dist au roi Uriien : « Sire, moult vous devés esgoïr de si bonne norreture comme vous avés fait en Baudemagus, car certes je ne sai ore en tout cest païs nul damoisiel qui tant fache a prisier comme il fait. Et pleust ore a Dieu que je eusse un autretel hoir comme il est, car certes je le tenroie moult chier. - En non Diu, fait li rois Uriiens, je l'ainc tant que je ne cuic mie que, se che estoit mes fiex, que je l'amaisse plus. Si l'aim plus pour le bien que je voi en lui que je ne faich pour chou qu'il m'apartiegne. » A ces paroles sailli avant Merlins et dist au pere Sagremor : « Li rois Uriiens se puet plus esgoïr de sa norreture que vous ne faites de la vostre, et esgoïra, car il verra sa norreture venir a bien et vous verrés que la vostre vous fera morir ains vos jours d'une glaive agüe et trenchant. Et li uns de ces .II. qui ore sont assamblé occhirra l'autre. Si pues bien dire que vous avés mis le leu avoec l'aigniel. Tout ensi s'esjoïra li uns en la mort de l'autre. Et chelui jour averra que la bataille morteus sera faite en la plaingne de Salesbieres, quant li haute chevalerie del roiame de Logre sera tournee a mort et a destruction. »
A ceste parole s'esmervillierent li un et li autre, si la disent erramment au roi. Et li rois respondi : « Che sont des prophesies Merlin. Mettés ceste en escrit avoec les autres. » Et cil si firent a cui il l'ot commandé. Lors dist li rois a Merlin : « Merlin, tant me dites se ches choses que vous dites oiant moi averront a mon tans. - Oïl voir, fait Merlins, je ne di obscure parole dont vous n'en connissiés bien la verité ains que vous trespassés de cest siecle. » Et li rois dist que che veult il moult bien.
A l'endemain entour eure de miedi que li rois ot fait tendre ses pavillons dehors le chastiel en une praerie, et fu ses tres desus ens ou chemin entre petis arbrissiaus, li rois se sentoit un poi pesant, si se coucha en son pavillon, et ot commandé que tout se partesissent d'illuec entour fors que ses cambrelens. Il commencha a penser a une chose qui moult li desplaisoit, et en cel penser estoit tant dolans que nus plus, et pour chou ne pooit il cheoir en repos. Endementiers qu'il estoit en cel penser, il escoute et ot venir tout le chemin le friente d'un cheval qui assés venoit grant oirre, et hennissoit li chevaus et faisoit la plus fort friente del monde. Li rois saut sus de son lit pour veoir quel chose c'estoit, et saut fors de son pavillon et trueve que tuit si cambrelenc se dormoient. Et il voit que deviers le chastiel de Meliot venoit uns chevaliers armés de toutes armes, et faisoit le gringneur duel del monde, et disoit en son langage : « Ha ! Diex, ou desservi jou qu'il me convenist a faire si grant mal ne si grant dolour ? Ne je ne voi que le puisse acomplir. Ja n'estoie jou pas acoustumés de faire si grans desloiautés ! » Et quant il a ceste parole dite, il recommence son duel aussi grant ou gringnour comme il faisoit devant. Et quant il vint devant le roi, li rois li dist : « Ha ! sire chevaliers, je vous pri par courtoisie que vous me dites pour coi vous faites cel duel si grant. » Et li chevaliers respont : « Sire, je ne vous dirai nule chose, car vous n'estes mie poissans de l'amender. » Si s'en vait outre sans plus dire. Et quant li rois voit qu'il n'en savra plus, il est trop dolans, si dist a soi meismes : « Ha ! sire Dix, tant m'en poise que je ne sai pour coi chis chevaliers est si a malaise ! » Et li chevaliers s'en vait toutes voies son droit chemin viers une montaigne, et li rois le regarde tant coume il puet et dist : « Ha ! Diex, tant me poise que je ne sai le secré de cel chevalier ! » Et en che qu'i le regardoit ne demeure mie gramment qu'il voit venir au travers del chemin le Chevalier a .II. Espees, le chevalier ou monde que il looit plus a chelui tans de pris d'armes, et venoit droit a lui. Et quant il voit le roi, il li vait a l'encontre et li dist : « Sire, je sui apparilliés por vous faire canques je porroie en cest siecle. - Vous le m'avés bien moustré, fait li rois, n'a pas lonc tans. Mais encore vous prie jou que vous fachiés pour moi une chose qui ne vous grevera pas gramment, au mien cuidier. » Et cil dist que se elle li devoit bien grever, si l'essaiera il puis qu'il l'en requiert. « Je vous pri, fait li rois, que vous ailliés apriés un chevalier qui par chi s'en vait. » Se li moustre la voie par ou li chevaliers s'en aloit. « Et faites tant par amours ou par autre chose que il viegne tresqu'a moi. Et saichiés que je ne le voel pas por son mal, mais je vaudroie ore savoir, se il li plaisoit, pour coi il en aloit ore par chi si grant duel faisant. - Sire, fait li Chevaliers a .II. Espees, grant mierchis quant il vous plaist que vous le me commandés. Jou irai volentiers et le vous amerrai, se Dieu plaist. »
Lors monte sour son cheval et s'en part dou roi et s'en vait moult grant oirre apriés le chevalier. Si n'a pas gramment chevauchié qu'il le vit devant lui aler, et avoit unes blanches couvertures et a lui et a son cheval. Et li Chevaliers a .II. Espees se haste tant de chevauchier qu'il l'ataint au piet d'une montaigne. Et dejouste lui avoit une damoisiele qui li disoit : « Pour coi faites vous duel ? Se vous nel fesissiés, si le fesist uns autres. » Et il respondoit : « Je vausisse miex estre mors passé a .X. ans qu'il me convenist a siurre ceste aventure. » Et toutes voies menoit son duel. Et lors vint a lui li Chevaliers a .II. Espees et li dist : « Sire, Diex vous conduie ! » Et li autres li respont que Diex le beneie. « Biaus sire dous, fait cil a .II. espees, je vous vaurroie priier pour Dieu et pour chevalerie que vous retornissiés un poi tant que vous eussiés parlé au roi Artus qui vous demande. » Et il li respont : « Sire, ne vous poist, je vous di que je ne porroie retorner a ceste fois en nule maniere. Et pour Dieu, nel tenés a orgueil, car certes, se je le peusse faire, je le fesisse volentiers. - Ha ! fait cil a .II. espees, sire, pour Dieu, nel dites pas a certes ! Se vous ne tournés arriere, vous m'avrés mort et malbailli, car j'ai creanté au roi que je vous amerrai en auchune maniere. » Et cil dist qu'il n'en retornera pas, car il ne porroit. « Et bien saichiés, fait il, que se je retornoie, qu'il m'en meskerroit. - Se vous ne retornés, fait li autres, vous me ferés faire une vilonnie, car je m'en prenderai a vous a bataille pleniere. Si m'en poise, se Diex or m'aït, pour chou que preudomme me resamblés. - Coument ! fait li autres chevaliers, si me couverra combatre a vous se je ne retorne ? Par foi, je n'oï onques parler de si grant desraison. - En non Dieu, fait cil as. .II. espees, il vous en couvient venir. Si m'en poise, se Diex m'aït, mais a faire le me couvient, car je creantai au roi que je feroie mon pooir de vous ramener. - Par foi, fait li autres, je sai bien, se je m'en vois avoec vous, qu'il me meskerra en auchune maniere, qu'il me couverra a laissier ceste queste ou je sui entrés. Et quant je l'avrai laissie, qui sera cil qui le prendera ? - je le prendrai, fait cil as .II. espees, ne jamais ne la laira dusques a la mort tant que je l'aie achievee. - Se vous le me volés fiancier, fait li chevaliers, je m'en retourneroie. » Et il li fianche. « Ore m'en retornerai je, fait li chevaliers, mais bien saichiés que je voel que vous me prendés en vostre conduit, si que li blasmes en soit seur vous meismes, car creanté vous le m'avés. » Et cil respont que che veult il bien.
Atant retorne li chevaliers et dist a chelui a .II. espees : « Alés devant, car je vous siurrai. » Et cil se metent el chemin, si oirrent tant en tel maniere qu'il aprochent le paveillon. Et quant il sont pres k'a une archie, li chevaliers qui derriere venoit s'escrie : « Ha ! sire chevaliers qui les .II. espees portés, mors sui ! Mal m'a fait chou que je me fiai trop en vostre conduit. Se je sui ochis avoec vous, si en iert la honte vostre et li damages miens. » A che mot se regarde li Chevaliers as .II. Espees et voit que chis estoit cheus del cheval a la terre. Et il retorne maintenant et descent. Et quant il est venus a lui, il trueve qu'il est ferus par mi le cors d'une glaive si durement que li fiers li passe tout outre par mi le cors. Lors est tant dolans que nus plus, si dist : « Ha ! Diex, honnis sui quant chis preudom est ensi mors en men conduit ! » Et li chevaliers li dist a moult grant painne : « Sire chevaliers, mors sui. Li blasmes en doit estre vostres. Ore vous couvient entrer en la queste que j'avoie encommenchie et mener a fin selonc vostre pooir. Montés seur mon cheval, qui miex vaut que li vostres, et alés apriés la damoisiele que vous veistes en ma compaignie. Cele vous merra la u vous devés aler et vous mousterra en brief terme chelui qui m'a ochis. Ore i parra comment vous me vengerés ! » Et si tost comme il a ceste parole dite, il s'estent maintenant, et lors li part l'ame dou cors.
Li rois Artus fu la venus anchois que li chevaliers fust mors et oï grant partie des paroles qu'il avoit dites. Et chil a .II. espees li dist : « Sire, je sui honnis, quant si preudom comme chis estoit est mors en mon conduit ! - Certes, fait li rois, je ne vi onques si grant merveille comme ceste est, car je le vi ferir et si ne vi mie chelui qui le feri. » Lors prent li chevaliers la glaive dont il estoit ferus et li traist fors del cors, puis dist au roi : « Sire, je m'en vois de chi, si vous commanc a Dieu, que je sui cil qui jamais n'enterra en vostre court devant que j'aie cest chevalier vengié et mené a fin la queste que il avoit encommenchie. » Et lors vint au cheval le chevalier et monte, et prent son escu et s'en part des pavillons, si s'en vait apriés la damoisiele. Et li rois remest au chevalier encoste lui, et estoit si esbahis qu'il ne set qu'il doie dire. Entrues que il se regardoit vinrent illuec si cambrelenc et li disent : « Sire, qui a cest chevalier occhis ? - Ne sai, fait il, se Diex m'aït. » A ces paroles qu'il disoient vint Merlins entr'eus, qui dist : « Rois, ne vous esbahissiés pas de ceste aventure, car encore en verras tu de plus mervilleuses, mais fai faire une tombe biele et riche, et metés dedens le cors del chevalier, et faites dessus la tombe escrire : “ Chi gist li Chevaliers Mesconneus. ” Et saches que a che jour que tu savras le non de lui avra si grant joie en ta court que devant ni aprés n'i avra autre qui soit aussi grans, et devant l'eure nel savras. » Li rois le fist ensi coume Merlins li ot dit.
Or laisse li contes a parler dou roi et de Merlin et parole del Chevalier as .II. Espees, et pour conter comment il vient de la queste a chief, et comment il fist le cop par coi les aventures avinrent el roiame de Logres qui durerent .XXII. ans, et comment il ochist son frere par mesaventure et ses freres lui. Et sacent tuit cil qui l'estoire monsigneur de Borron vauront oïr comme il devise son livre en .III. parties, l'une partie aussi grant comme l'autre, la premiere aussi grande comme la seconde et la seconde aussi grant coume la tierche. Et la premiere partie fenist il au commenchement de ceste queste, et la seconde el commenchement dou Graal, et la tierche fenist il apriés la mort de Lanscelot, a chelui point meisme qu'il devise de la mort le roi March. Et ceste chose amentoit en la fin dou premier livre pour chou que, se l'estoire dou Graal estoit corrompue par auchuns translatours qui aprés lui venissent, tout li sage houme qui meteroient lour entente a oïr et a escouter porroient par ceste parole savoir se elle lour seroit baillie entiere ou corrompue et connisteroient bien combien il i faurroit. Puis qu'il a ore ensi devisé l'assenement de son livre, il retorne a sa matiere en tel maniere.
Ore dist li contes que quant li Chevaliers as .II. Espees se fu partis del roi Artus, il chevauce dolans et pensis et larmoiant cele part ou il avoit laissié la damoisiele. Et quant elle le voit venir, elle dist : « Ha ! sires chevaliers, tant avés mal esploitié qui avés laissiet ochirre en vostre conduit le millour chevalier que je seusse ou monde ! Certes, mauvais change avons fait de lui a vous ne ja preus ne biens ne vous en averra. Car tout ensi comme j'estoie asseur qu'il achieveroit chou qu'il avoit encommenchié, aussi sai je vraiement que vous n'averés ja pooir ne valour de mener le a fin, ains i morrés coume chevaliers recreans et mauvais. Si m'est avis, et a droit, que moult fust miex que la mors vous euust pris et lui laissiet que il fust ensi avenu comme il est. »
Li chevaliers est si dolans que il ne set qu'il doie dire. Ensi s'en vait la damoisiele d'une part et li chevaliers d'autre. Il torne viers la foriest et elle viers le chastiel, tout ensi comme il l'avoient devisé. Et quant il est venus a l'entree de la forest, il encontre un chevalier tout desarmé fors de s'espee qui venoit de chachier et n'avoit en sa compaignie que .II. levriers qui venoient apriés lui. Il s'entresaluerent quant il vinrent l'un pres de l'autre. Et quant li desarmés vit chelui a .II. espees qui mainne si grant duel, il s'arreste et devient tous esbahis, et dist que moult sera malvais se il ne set l'ochoison de che duel. Si retorne erramment a li et li dist : « Ha ! sire chevaliers, je vous pri, pour Dieu et par courtoisie, que vous me dites dont chis duels vous vient, qu'il ne me samble pas que vous doiiés tel duel faire se il n'i euust moult grant ochoison. - Occhoison, fait cil a .II. espees, i a si grant que je sui honnis a tous jours, ne ja tant comme je vive ne porrai tant esploitier que je conquiere ja si grant hounour comme est la honte qui m'est avenue, et pour chou demainne jou tel duel. - Ha ! frans hom, fait li autres, puis que ceste honte est si grans que l'ounour ne s'i porroit comparer, or vous pri jou, par courtoisie et par franchise, que vous me dites quele ceste honte fu et comment il vous avint. Et je vous creanc loiaument coume chevaliers que je des or en avant vous serai compains de la honte, en tel maniere que je ne vous guerpirai en nule aventure qui aviegne, se mors ne m'en dessoivre ou de vostre bonne volenté ne soit, dusques tant que ceste honte soit vengie. Et certes miex en vaurroie je morir que vengance n'en soit prise. »
Li Chevaliers as .II. Espees est tous esbahis de chou que chis autres li offre, a che qu'il cuide bien qu'il ne fesist onques chose pour lui pour coi il doie emprendre pour lui si grant chose, ne ceste chose ne li descouverroit il mie volentiers pour la grant mesqueanche qui i est. Si respont si dolans comme il estoit : « Ha ! sire chevaliers, si faite chose certes je ne vous diroie en nule maniere. - Si ferés, je vous em prie, pour l'amour de la riens que vous plus amés el monde. - Et je vous di, fait il, pour l'amour de la riens ou monde que je plus ainc, que je nel vous dirai pas a ceste fois. Ne vous n'estes mie si courtois comme je cuidoie, qui me requerés outre ma volenté a dire la verité de mon estre. » Lors est trop dolans li autres chevaliers et si courechiés qu'il cuide bien dou sens issir. Si respont : « Ciertes, vous le me dirés, se je puis, et miex voudroie jou morir que je nel seusse. » Lors jete la main et aiert chelui au frain et li dist : « Vous estes pris, par Sainte Crois. Vous ne m'eschaperés, se je puis, devant que vous m'arés dit chou que je vous requier. » Et lors laisse chis a .II. espees son duel et commenche a sorrire et dist : « Par foi, or veschi le plus fol chevalier que je onques trouvaisse, qui me cuide si de legier avoir pris. » Et cil le tient toutes voies au fraing et dist que pris est il. Et il respont que de ceste prison se metera il fors quant il li plaira. Si met le main a l'espee et dist pour espoenter le chevalier, non mie pour talent qu'il en eust : « Sire chevaliers, se vous n'ostés vostre main, vous vous en repentirés, car je vous en mehaignerai. Si me ferés faire vilounie, a chou que vous estes desarmés et je sui armés. » Quant li autres entent ceste parole, si traist arriere sa main et dist : « Que esche, chevaliers mauvais ? Que Diex vous doinst assés gringnour honte que vous n'avés encore ! Me volés vous dont ferir tout ensi desarmé comme je sui ? - Se je vous feroie, fait chis as .II. espees, che ne seroit mie trop grant mierveille, que vous estes li plus enuieus chevaliers et li plus vilains que je trovaisse mais, qui a forche volés savoir l'estre des gens. » Et il respont : « Je ne fui onques si desirans de chose comme je sui de cesti. Et puis que vous ne volés riens dire par vo deboinaireté, je cuic que vous le me dirés par force. - Ne sai que ferai, fait li Chevaliers a .II. Espees, mais a force nel vous dirai je mie, je cuic. » Lors s'en vait li chevaliers desarmés tout le grant chemin par la forest tant que a son rechet vient, a une tour et fort et haut qui seoit en une marescherie, et trueve sa maisnie qui l'atendoit. Il demande a eus ses armes et on li aporte, et l'arment si vistement que il poent, ne il ne sont onques si hardi qu'il li enquierent ou il veult aler. Et quant il l'ont armé tout a sa volenté, il monte sour son cheval, l'escut au col et la lanche el puing. Et il voloient aler aprés lui, mais il lour desfent moult bien, si s'en part en tel maniere de laiens tous seuls et chevauche tant k'en la forest se met et trueve les esclos. Si point tant aprés le Chevalier a .II. Espees qu'il le vous ataint el fons d'une valee. Et si tost comme il le vit, si s'escrie : « Or le saverai jou, dans chevaliers, de chou que je vous ai toute jour priiet. Ore estes vous a la mellee venus ! - Comment ! fait cil as .II. espees, si me couverra meller a vous ou vous dirai outre mon gré chou que je ne vaurroie a nul homme descouvrir ? - Certes, fait li autres chevaliers, a chou estes vous venus. Prendés lequel que vous vaudrés, car sans nul ne vous en poés partir. - Et je vous di, fait il, que chou que vous me demandés ne descouverrai jou a ceste fie ne a vous ne a autre. - Dont n'i a il plus, fait li autres, mais que vous vous gardés de moi, car a la mellee estes vous venus. » Et il dist que la mellee veult il miex que il li die outre son gré che que il li demande. Apriés ceste parole n'i ot plus de retenue, mais que il s'entreslongierent. Et il furent bien armé et biel, et orent glaives boines et fors, si laisse courre li uns a l'autre et s'entrefierent si qu'il metent es escus les fers des lanches, mais li hauberc sunt si fort et si tenant qu'il n'en pueent maille fausser. Li Chevaliers a .II. Espees porte l'autre chevalier a terre si durement que a poi qu'i n'a les bras brisiés au cheoir que il fist. Et neporquant il estoit moult preus et moult legiers, si se relieve erramment et met le main a l'espee et moustre bien samblant qu'il voelle a la meslee venir.
Quant li autres voit ceste chose, il li demande : « Comment ! en volés vous plus ? - Oïl, fait cil. Ensi ne vous en irés vous mie, se je puis, anchois savrai la verité de chou que je vous demanch. - Voire, fait cil as .II. espees, se vous volés metre en aventure de mort pour savoir che, la ou vous ne porriés riens gaaignier, car quant vous le saverés, se n'i gaaignerés vous riens ? Par foi, onques mais je n'oï si faite derverie ! » Et cil dist toutes voies que miex vaurroit il morir qu'il nel seuust. Lors commenche cil as. II espees a sourrire et se saingne de la merveille qu'il a. Et dist maintenant a chelui : « Ore montés, sire chevaliers, sour vostre cheval et chevauciés avoec moi, et je vous conterai ma honte. Car miex voel jou que vous le saciés que je me meche en aventure de vous occhirre, ne vous de moi, car je croi bien que vous soiiés preudom et bons chevaliers. » Et cil l'en mierchie moult de ceste deboinaireté qu'il li fait, si monte erramment et reprent sa lance qui encore estoit toute entiere, et s'acheminent tantost par mi la foriest. Et chis a .II. espees li commenche tantost a conter l'aventure dou chevalier que il avoit fait retorner viers le pavillon par la priiere del roi Artus, et l'avoit empris a conduire sauvement dusques au roi et fu en cel conduit occhis. Se li conte toute la maniere et par quel aventure che fu. « Et de che que il fu occhis en mon conduit et par tel mesqueanche ai jou si grant duel que jamais tant comme je vive n'avrai joie dedens mon cuer devant que je l'aie vengiet de chelui qui l'ochist, se il puet estre en nule maniere que vengance en soit prise. Si n'en lairai por painne ne pour travail qui m'en doie avenir.
Or vous ai conté dont li duels me vient que je faich et pour coi. Et saichiés bien que li chevaliers ne puet estre vengiés fors dou tronchon meismes dont il fu ferus. - Et coument le vengerés vous, fait li autres, quant vous ne l'avés ? - Je l'avrai bien, fait il, tout a point, car une damoisiele l'emporte qui en ceste queste me fera compaignie. - Et ou est elle, fait li chevaliers, quant elle n'est chi avoec vous ? - Elle s'en departi orendroit de moi a l'entree de ceste forest, fait cil as .II. espees, et me sera demain a rencontre a une crois qui est en mi lieu de ceste forest. - Or me dites, fait li autres chevaliers, che que je vous demanderai. Comment cuidiés vous trouver chelui qui ceste honte vous fist, quant vous nel peustes mie connoistre a cele eure qu'il estoit devant vous ? Car se il ne fust ou devant vous ou pres de vous, il ne l'eust pas occhis. - Ne sai, fait cil as .II. espees, coument il sera trouvés, mais j'ai si emprise a ceste fois la queste que jamais nel laisserai jour de ma vie dusques a tant que je l'avrai mené a fin, ou a m'ounour u a ma honte. - Ore vous en conseut Nostre Sires, fait li autres chevaliers, car certes moult a chi grant emprise et greveuse. Et pour chou que vous m'en avés conté la verité devieng jou orendroit compains de la queste et fai un veu a Nostre Signeur et a toute boine chevalerie que jamais tant comme je viverai ne lairai dusqu'a tant que elle sera menee a fin ou par moi ou par autre. Et je vous pri par deboinaireté et par courtoisie que vous m'i acompaigniés. » Et cil dist que il l'ottroie bien, puis que il a ensi emprise la queste tout a certes. Si fianchent li uns a l'autre erramment qu'il s'entreporteront loial compaignie tant comme il demouerront ensamble.
Atant acuellent lour chemin li dui chevalier. Si n'orent pas gramment erré qu'il encontrerent Merlin, qui bien savoit canques il avoient dit et se fu desghisés en tel maniere qu'il estoit vestus d'une roube d'un conviers toute blanche. Et la ou il voit les .II. chevaliers, si les salue et lour dist : « Ceste compaignie que vous avés si durement affremee ne duerra mie si longuement que vous cuidiés, car assés tost sera departie. - Et que savés vous ? fait cil as. .II. espees. - Itant vous en di je ore, fait Merlins, ne plus n'en savrés par moi a ceste fie. Mais d'une autre chose que vous moult desirés a savoir vous ferai jou orendroit certains. Sachiés vraiement que chis que vous alés querant, chis meismes qui ochist le chevalier en vostre conduit devant les paveillons, est apielés Gallan et est freres Pellohan. - Par foi, fait cil as .II. espees, Pellohan connois jou bien, mais chelui Gallan ne connu ge onques. Et neporquant, puis que je en sai le non, il ne puet estre que je ne le truise, se jamais pour querre houme puet estre trouvés. - Je vous loc, fait Merlins, en droit conseil que vous retornés et que vous laissiés ceste queste. Car certes, se vous a chief le menés, vous ferrés un caup dont si grans duels averra el roiame de Logres et si grans maleurtés que onques gringnor dolour n'avint ne gringnour pestilence par le cop de l'espee qui fut n'a gaires fais entre le roi Lambor et le roi Urlan qu'i averra par le cop de la Lanche Vencheresse. Ne de chelui mesfait n'avras tu pooir de l'amender, ne tu ne hom qui ore soit, ains en sera chis roiames tornés a dolour et a destruction, et avoec che maint autre. Et durra chis essiex jusques a tant qu'il verra avant qui metra a fin les aventures de la Grant Bretaigne. Et tu meismes, qui feras si grant dolour avenir, se tu vais cele part ou tu bees aler, en morras a grant dolour. - Certes, fait chis as .II. espees, se je en devoie ore morir plus vilment que onques hom ne morust, si siurrai jou ceste queste de tout mon pooir et la merrai a fin, ou soit ma mors ou soit ma vie. Et se toutes les maleurtés dou monde en devoient venir, si ne lairoie je pas que je ne vengaisse chelui qui fu occhis en mon conduit. - Ore, fait Merlins, tu le vengeras, mais saces que tu t'en repentiras tant apriés que tu vaurroies miex estre mors que vis. » Atant se partent li chevalier de Merlin et se tienent lour voie par mi le grant chemin de la forest aussi comme il avoient fait devant. Et Merlins les sivoit toutes voies coume cil qui voloit veoir coument il lour avenroit.
Tant ont alé en tel maniere qu'il vinrent pres d'un ermitage. Devant cel hermitage avoit une chimentiere, et par mi cel chimentiere estoit la voie et li chemins as trespassans. Quant il se furent el chimentiere entré, li Chevaliers as .II. Espees aloit devant et estoit moult durement pensis des paroles que Merlins li avoit dites, ne il ne s'estoit pas apercheus que che fust Merlins. Et ses compains aloit derriere moult grant joie faisant. Quant il furent en mi lieu del chimentiere, li chevaliers qui derriere venoit giete un plaint trop grant aussi comme d'auchun homme moult dolereusement navré, et dist si haut comme chis qui devant estoit l'entendi bien : « Ha ! sire compains, mors sui ! Mort m'a chou que je sui tant demourés en vostre compaignie ! » Li Chevaliers as .II. Espees est tous esbahis de ceste parole, si se regarde tous effreés et voit le chevalier qui fu cheus de son cheval et gisoit a terre aussi comme s'il fust mors. Il retorne erramment. Et quant il est a lui venus, il descent et trueve que li chevaliers estoit si ferus d'une glaive par mi le cors aussi comme li autres avoit esté, aussi felenessement ou plus. Et encore estoit li glaives tous entiers. Et il li deslace erramment le hiaume et li abat la ventaille, et trueve qu'il estoit ja mors et que l'ame li estoit partie del cors. Il regarde tout entour lui et ne voit riens de mere nee qui li peust avoir douné cel cop. Et quant il vit bien que il ne savra mie ore qui a che fait, il en est trop dolans, si dist : « Ha ! Diex, tant puis avoir grant duel quant je ne puis veoir chelui qui ceste honte et ceste grant vergoigne m'a faite et ore et autre fie ! » Et lors recommence son duel aussi grant comme a l'autre fie. Et dist qu'il est li plus chetis et li plus mescheans chevaliers de tous cheus qui onques portaissent armes, car ore voit il apertement que Fortune li est plus contraire et plus anemie que a nul autre houme.
Endementiers que il se dementoit ensi vint illuec uns hermites moult preudom, ki manoit en cel hermitage. Quant il vit si grant duel faire au chevalier, il le commencha a chastiier et a blasmer moult durement, et dist que che n'est pas meintenemens de preudoume ne n'apartient pas meesmement a chevalier de faire duel pour chose qu'il li avenist, se n'estoit seulement pour repentance de ses pechiés. « Pour tele chose doit on plourer, ne mie pour autre. - Sire, fait li chevaliers, se je pleure et faic duel plus que nus autres, che n'est mie grant merveille, car je me voi plus mescheant et plus maleureus que nul autre. » Et lors li conte chou qui li estoit avenu, et de l'autre chevalier et de cestui. « Encore, sire, fait il, me fust grans assouagemens se je peusse chelui veoir qui si soudainnement les occhist, mais che ne puet estre, che me samble, car il est aussi comme fantosme. Et che est la chose dont j'ai gringnour duel. - Je vous di, fait li preudom, qu'il n'i a chevalier errant fors qu'il regarde les aventures ensi comme elles averront, soient bieles, soient laides. Mais de ces .II. sans faille qui si soudainnement vous sont avenues, je m'en esmerveil moult durement. Et neporquant vous ne me samblés pas houme qui si se deuust dolouser d'aventure qui li aviegne, mais reconforter soi et prendre cuer a soi meismes, car certes il ne me samble pas hom de grant cuer qui pour aventure qui li doie avenir se desconforte. »
Tant dist li preudom au Chevalier as .II. Espees qu'il le rassoage moult et plus le reconforte que il ne faisoit devant. Et li preudom le fait entrer en son hermitage et desarmer. Et puis vint au chevalier qui gisoit mors en mi le chimentiere, se li traist del cors la glaive. Et quant li preudom ot fait au cors tel droiture comme on faisoit a chelui tans a cors de chevalier crestiien comme droiture de sainte Eglyse, il misent le cors en terre tout ensi armé comme il estoit, car a chelui tans, quant on enteroit un chevalier, on le metoit en terre tout armé od ses armes d'encoste lui.
Quant il orent le chevalier enterré, il misent deseure lui une pierre grosse en lieu de tombe et le laissent en tel maniere. Toute jour demoura li Chevaliers a .II. Espees avoec l'ermite, qui moult lui dist de boines paroles et moult l'amounesta de bien faire. A l'endemain, si tost coume solaus fu levés et li preudom ot chanté messe, li chevaliers s'arma et monta en son cheval, et ala veoir la ou ses compains gisoit, qu'il ne puet encore oublier. Et quant il fu la venus entre lui et le preudomme, il commenchierent a regarder la pierre dont la plache estoit couverte, si trouverent au chief de la pierre lettres entaillies. Li chevaliers demande au preudomme : « Sire, que vous est avis de ceste chose ? Il ne me samble mie que de toutes ces lettres qui chi sont entaillies n'en i ot ersoir nulle. - Par Dieu, fait li preudom, non avoit il. Ore saichiés que chou est une aventure mervilleuse. Mais ore regardons que elles voelent dire, car je ne croi mie que elles soient sans grant senefiance. » Lors commenche li preudom a lire les lettres et trueve que elles disoient tout apertement : « En cest chimentiere vengera Gavains le roi Loth son pere, car il trenchera le chief au roi Pellinor es premiers .X. ans qu'il avra recheu l'ordre de chevalerie. » Cestes paroles disoient les lettres en tel maniere comme je vous devis. Et quant cil as .II. espees les a bien entendues, il dist : « Ha ! Diex, quel damage s'il avient ensi comme ces lettres dient qu'il en averra ! Sire, fait il a l'ermite, savés vous del roi Pellinor ? - Nenil voir, fait li preudom. - Sire, ore sachiés dont que che est ore li mieudres chevaliers que je sache el monde et li plus preudom, pour coi on doit moult maldire Fortune quant ensi li est jugiet a morir et par tel enfant qui ja a mon ensiant ne vaudra la moitiet que chis chevaliers vaut orendroit. Et certes, se je ne fuisse en ceste queste ou je sui entrés, je le destornaisse de ceste mort, se je peusse, car miex vausisse jou ochirre Gavain en tel point comme il est orendroit qu'il ochesist chelui preudomme, dont il sera assés gringnour damages que de Gavain ne seroit. »
Endemetiers qu'il parloient entr'aus .II. de ceste chose voient un escuiier qui vient viers eus grant aleure et les salue erramment de par Merlin. Et lour dist : « Merlins vous mande qu'il fist anuit ces lettres, ne ne soiiés pas esbahi de chou que elles dient, car il averra tout ensi comme vous poés veoir escrit. - Certes, fait cil as .II. espees, c'est damages. Moult perdist on mains en la mort de Gavain que en la mort le roi Pellinor. - Non fesist, fait li escuiiers. Merlins me commanda que je vous desisse qu'il avra millour chevalier en Gavain, quant il verra en son droit aage, qu'il n'a el roi Pellinor. Et pour chou ne devés vous mie plus plaindre la mort de l'un que de l'autre. » Ceste parole dist li escuiiers et maintenant s'en ala grant oirre, que plus ne demoura avoec iaus. Et li Chevaliers as .II. Espees, si tost coume il ot perdu la veue de l'escuiier, si dist au preudoume qui avoec lui estoit : « Sire, je ne puis plus chi demorer, a Dieu vous commanch. Et pour Dieu, souviegne vous de moi en priieres et en orisons. » Et li preudom li dist qu'il ne l'oubliera pas, si remaint el chimentiere. Et li chevaliers se remet en la forest et chevauche cele part ou il cuide la damoisiele trouver. Et quant il est venus dusques a la crois, il trueve cele, qui ja estoit descendue de son cheval pour soi reposer et seoit devant la crois et attendoit la venue del chevalier. Il s'entre saluent si tost comme il voient l'un l'autre et elle li dist : « Sire chevaliers, moult avés plus demouré que vous ne deussiés. Avés vous riens trouvé qui destourbé vous ait ? - Damoisiele, fait il, oïl. Puis que je me departi de vous m'avint une aventure dont je sui moult dolans et moult courechiés, pour coi je sui auques delaiiés. » Se li conte erramment la verité del chevalier qu'il avoit accueilli en sa compaignie, que on a d'encoste lui ochis si soudainnement qu'il ne peut onques savoir qui che avoit fait. Et quant elle ot ceste aventure, elle commence a souspirer et dist : « Ha ! lasse, par tel maniere fu li miens amis occhis, li plus courtois et li mieudres chevaliers que je seusse el monde ! - Damoisiele, fait li chevaliers, ensi vait. A prendre couvient les aventures tout ensi comme eles avienent ou siecle. - Ces aventures, fait elle, sont plus hounies et plus mesaventureuses que autres, dont li preudomme muerent par tel mesqueanche. - Montés, fait il, car nous n'avons que demourer. » Elle monte erramment, si s'en vont toute la forest et chevauchent en tel maniere jusques a eure de vespres. A eure de viespres lour avint que il vinrent en un chastiel qui seoit en une valee et estoit moult biaus et moult bien seans de toutes choses et clos de murs et de fossés tout environ. Et li chevaliers aloit devant et la damoisiele aprés, loing l'un de l'autre. Et si tost comme il se fu mis el chastiel, cil d'amont laissent avaler une porte couliche, si que li chevaliers fu dedens et la damoisiele dehors. Quant il se vit enclos et il set bien que la damoisiele est remese la fors, il ne set que il puist faire, car retorner ne puet il ne cele venir avant.
Endementiers que il regardoit que il porroit faire, il escoute et ot que la damoisiele qui dehors fu remese commencha a crier : « Ha ! Chevalier a .II. Espees qui cha dehors m'as laissiet, secour moi et aide, ou je sui a la mort venue, car chi est la damoisiele ou siecle qui plus me het, qui me veut faire le chief cauper et sans deserte ! Et se tu demeures gramment, tu ne verras jamais a tans que je ne soie anchois ochise. » Quant il entent la damoisiele, il est tant a malaise que nus plus, car de laiens ne puet il issir en nule maniere s'il ne saut des murs aval, et se elle rechoit mort en sa compaignie, il n'avra jamais hounour. Lors descent de son cheval et vient a l'uis de la tour et le trueve ouviert et se met maintenant dedens et s'en vait a piet tout contremont grant oirre. Et quant il est venus lassus, il trueve jusques a .XII. serjans qui gardoient la tour, mais il estoient a chelui point tout desarmé. Et il met maintenant le main a l'espee et les escrie et dist qu'il sont tout a la mort venu se il ne li oevrent la porte. Et quant cil le voient fervestu et venir viers eus l'espee traite, il ont grant doutance de lui. Si ne l'attendent mie, a chou que il estoient desarmé, ains s'en fuient l'un cha et l'autre la, et il vient a la fenestre de la tour pour veoir la defors et pour veoir por coi la damoisiele crie. Et quant il a sa teste mise fors, il voit la damoisiele et .II. chevaliers. Si disoient li dui chevalier a cele qui avoec li estoit venue : « Se vous ne faites chou que nous vous requerons, vous n'en poés eschaper sans mort, car nous vous coperons orendroit le chief. Et sachiés que chou que nous vous requerons est la coustume del chastiel, ne nule damoisiele n'i vient que on ne li fache. » Et cele, qui se voit si tenir courte et qui a paour de mort, demande que che est qu'il li requierent. « Nous vous le dirons, font il, quant vous le nous avrés fianché que vous le ferés. Et sachiés que che n'est mie vostre honte. » Et cele lour fiance erramment, qui ne cuide secours avoir de nule part. Et li Chevaliers a .II. Espees, qui voit que cil la tienent si courte, est tant a malaise que nus plus, car il ne puet a li venir en nule maniere se il ne saut de la tour aval, a chou que il ne puet la porte ouvrir ne pau ne grant.
Lors dist a soi meismes que miex veult il morir, se a morir vient, que la damoisiele muire par defaute de lui. Si se saingne et se commande a Nostre Signeur et saut erramment de la tour aval. Et li avint si bien que il ne se quaissa de riens, et puis monte tout contremont le fossé. Et quant il vient pres de la damoisiele, il met le main a l'espee et dist a cheus qui avoec lui estoient que mal le baillierent. Et cil, qui orent veut le saut qu'il avoit fait, sont tuit esbahi de la merveille qu'il en orent, si laissent la damoisiele et se traient ensus pour la doutance qu'il ont de celui as .II. espees. Et il vient a la damoisiele et le prent par la main et li dist : « Ma damoisiele, pour coi aliés vous ore si criant ? - Sire, fait elle, pour chou que il me voloient ochire se jou ne lour fianchaisse a tenir la coustume dou chastiel. Si me tinrent si courte que je lour fianchai par tel maniere que ma honte n'i seroit. - Che me poise, fait il, que il orent onques vostre foi, car je douc que il ne vous en apielent. Mais je ne sai que je puisse faire de cheval, car j'ai laiens le mien laissié. »
Ensi coume il parloit de ceste chose a la damoisiele, il regarde et voit ouvrir la porte qui orendroit avoit esté serree, et en issent bien jusques a .X. chevaliers tous armés. Si amenoient le cheval et le rendirent erramment au chevalier. Et li dient : « Tenés, sire chevaliers, que del vostre ne volons nous riens retenir. » Et il est moult liés de ceste chose, se le prent. Et il redient maintenant a la damoisiele : « Damoisiele, acuitiés vostre fianche, et vous le devés faire, car autrement seriés vous desloiaus et parjure. - Certes, fait cele, je en sui preste, se c'est chose que je le puisse faire. » Maintenant vint entr'aus une autre damoisielle, et aportoit entre ses mains une escuiiele d'argent assés grant par raison. Et la ou cele vit la damoisiele, se li dist : « Damoisiele, vous nous devés ceste escuiiele emplir de vostre sanc. Teuls est la coustume de cest chastiel, autrement ne passe nulle damoisielle qui chaiens viegne. Et se che ne faites, on vous en porra prouver a desloiaus et a parjure. Et se vous le faites deboinairement, on le vous tenra a grant cortoisie. Et se vous ne le faites de vostre boin gré, si le ferés vous malgré vous, car sans che faire ne porroit issir nulle damoisiele de chaiens qui soit estrange. » Quant la damoisiele entent che que cele li demande, elle en devient toute esbahie, si ne set que dire fors que elle respont atant : « Je savroie volentiers, ains que je me mesisse en aventure de mort, pour quel besoing vous demandés si grant fuison de mon sanc, car se preus en peust venir, je nel refuseroie pas. Mais se il n'en devoit venir bien ne mal, je ne m'en mesaiseroie en nule maniere, a che que je voi tout apertement ma mort, che m'est avis. » Et la damoisiele li respont : « Je vous dirai que che est. Lors le ferés plus hardiement, si comme je cuic.
Voirs est que la dame de cheens a nouvielement euue une maladie si laide et si vilainne comme est de liepre, et en est si durement sousprise que onques dame ne veistes plus villainnement malade comme elle en est. Assés nous sommes travilliet et pené a chou que elle recheust garison, s'il peuust estre, mais a Nostre Signeur ne pleust encore mie. Moult nous en consillames et loing et pres, ne onques ne trovames qui conseil nous en donnast fors que un seul homme viel et anchiien qui nous dist : “ Je vous dirai comment elle garira, se vous le volés faire. ” Et nous li desimes que nous le ferions, ja si greveuse chose ne seroit. Et il nous redist adont : “ Se vous volés tant faire que vous d'une pucielle vierge en volenté et en oevre, fille de roi et de roine, puissiés avoir plainne escuiele de sanc et oindre vostre dame, sa maladie si faudra maintenant et sera toute garie. ” Ensi nous ensegna li preudom a trouver la garison de la dame. Et nous jurasmes erramment que jamais damoisiele ne passeroit ne ne verroit par chi qui de ceste coustume ne s'aquitast, par coi il couvient par droit que vous le fachiés aussi comme les autres ont fait qui devant vous i ont esté. »
La damoisiele respont maintenant : « Certes, fait elle, moult a chi desavenant coustume et vilainne. Mais puis que les autres damoisieles trespassans la tienent, je la tendrai, se je en devoie morir en ceste place. Et je cuic miex que je en muire que je en garisse, car il n'a damoisiele si fort el monde, se elle perdoit tant de son sanc comme ceste escuiiele porroit tenir, que miex n'en deust morir que eschaper. » Et li Chevaliers a .II. Espees saut erramment avant et parole si haut que tuit le pueent bien oïr et entendre : « Damoisiele, je vous desfenc que che ne fachiés mie, car bien saichiés que vous n'en porriés eschaper sans mort se vous le faisiés. Et se vous moriés ore par tel maniere, qui me conduiroit en ceste queste que je ai emprise, que je ne puis mener a chief sans vostre assenement ? - Li cuers me dist, fait elle, que je n'en morrai mie, et pour chou le faich jou plus asseur. » Et il en est moult courechiés, mais il ne li ose destorner.
Chil mainnent la damoisiele ou chastiel et le chevalier aussi. Et quant il sont venu en la maistre tour de laiens, il desarment le chevalier. Et neporquant ne voloit il mie demorer laiens, quant la damoisiele li pria que il remansist la nuit mais pour veoir quel fin elle feroit. Il dist que il remanroit la nuit, et ne mie fors pour chou qu'il estoit a malaise de li. Maitenant vinrent laiens jusques a .VI. damoisieles et li deslacent ses bras et dient que elles prenderont tant de sanc comme lour couverra. Et elles li font erramment saillir le sanc d'ambes deux pars et em prendent tant comme elles voelent. Et la damoisiele se pasme pour la fuison del sanc que elle ot laissié. Et il li estance erramment, et l'emporterent en une des chambres de laiens pour soi reposer. La nuit fu moult a malaise li Chevaliers as .II. Espees pour la damoisiele et moult avoit grant paour que elle ne morust, car il ne voit pas comment il peust sa queste mener a chief, a chou que il ne savoit quel part il devoit querre chelui qui le chevalier avoit ochis devant les pavillons. Et il en avoit ja tant apris que il savoit bien que che est uns chevaliers qui avoit pooir de soi celer en tel maniere que nus ne le veist ja tant qu'il errast, s'il ne li pleust, mais tant qu'il fust a sejour ne le pooit il mie faire.
Moult pensa li chevaliers toute nuit a la damoisiele, car moult avoit grant paour de sa mort. Et a l'endemain si tost comme il fu ajorné, anchois que il oïst messe ne que il presist ses armes, il vint en la chambre ou elle se gisoit droit a son lit et le salua et li demanda comment il li estoit ne coument elle se sentoit. Et elle li rendi son salu et li dist que elle ne sentoit nul mal, Dieu mierchi, et que elle chevaucheroit maintenant. « Mais de la dame de chaiens coument vait ? Elle est garie ? - Certes, fait il, nennil, onques n'en amenda. - Ja Diex, fait elle, ne place que elle en ament ne que elle en garisse de sa maladie, mais male mort le prenge prochainnement ! Et che seroit certes grant joie, que onques mais pour maladie de feme ne fu acoustumee si mauvaise coustume ne si desloiail coume ceste de chaiens est, car certes, par le mien ensient, encore en morront mil damoisieles qui ne l'averont mie desservi. - Damoisiele, fait li chevaliers, atornés vous, car nous n'avons chi que sejourner, mais apparilliés vous, si monterons. - Je vaurroie, fait elle, estre hors de chaiens, que onques ne vi chastiel qui tant m'anuiast. » Atant s'en vait li chevaliers armer. Et cil de laiens li disent : « Sire, n'orrés vous mie chaiens messe ains que vous en ailliés ? - Nennil, fait il, car li estres de chaiens m'anuie tant qu'il me poise quant je onques i entrai. » Lors monte li chevaliers et la damoisiele, qui ja estoit aprestee, mais moult estoit maigre et paile del sanc que elle avoit pierdue. Quant sont monté, si s'en partent del chastiel et commandent as maufés tous cheus qui i remainnent, et issent fors et si s'en vont.
Ensi fourni la damoisiele la coustume del chastiel et en eschapa, que elle n'en morut mie. Si l'en avint miex que as autres qui apriés li vinrent, car onques puis n'en i vint nulle qui n'en morust. Et dura puis cele dolereuse coustume moult lonc tans, que onques la dame del chastiel n'en morut ne n'en gari dusques a tant que la vaillans damoisiele, la serour Percheval le Galois, i vint, qui acompli l'aventure dou chastiel. Car de son sanc fu la dame de laiens garie si tost coume elle en fu ointe, si coume li contes le devise en la grant queste dou Graal. Mais ore en laisse li contes a parler, car bien en savrai deviser la verité quant lieus en sera.
Ore dist li contes que li Chevaliers a .II. Espees chevauche entre lui et la damoisiele tout le jour entier et l'endemain aussi et le tierc jour et le quart sans aventure trouver qui face a ramentevoir en conte. Ensi chevauchierent entre eus deus de jour en jour tant que moult orent eslongié la chité de Camalaoth, et li langages lour commencha si durement a changier qu'il n'entendirent mais se moult petit non.
Un soir furent herbegiet a l'entree d'un bois chiés un vavasour moult preudomme, qui lour fist la plus biele chiere et la gringnour feste qu'il pot. Quant la table fu mise et il furent par laiens assis, li chevaliers escoute et ot en une des chambres de laiens la vois d'un houme qui moult se plaignoit angoisseusement, et dura cele plainte tant comme il sirent au mengier. Si en demandast moult volentiers nouvieles que che peust estre, mais il n'osoit son oste metre em paroles tant comme il fuissent au mengier seant. Apriés mengier, quant les tables furent levees, li chevaliers dist a son hoste : « Biaus hostes, se je ne vous cuidoie courechier, je vous demanderoie une chose que je moult desire a savoir. - Dites, fait li preudom, et je le vous dirai, se chou est chose que je sache. - Je vous demande, fait il, que vous me dites que chou est qui se plaint en une des chambres de chaiens. - Certes, biaus ostes, fait li preudom, che vous dirai je moult volentiers. Saichiés que chou est uns miens fiex qui moult est angoisseus et destrois d'une plaie qui li fu faite nouvielement, et li fu si soudainnement faite que il ne vit pas chelui qui le fist, et si estoit entour eure de miedi. Et quant il fu navrés, il n'avoit entour lui ne murs ne arbres qui la veue lui peust tollir de celui qui che fist. Et pour chou, che m'est il avis que che fu auques comme enchantemens. » A ceste parole respont li Chevaliers a .II. Espees et dist : « Ostes, je vous di que che n'est pas enchantemens, ains est uns chevaliers qui a tel pooir que nus ne le voit tant comme il voelle, pour qu'il chevauche. Et sachiés, ostes, que se il a vostre fil feru en tel maniere coume vous me dites, encore me fist il pis, car il m'ochist en mon conduit un chevalier, dont je sui tant dolans que il ne me pesast mie plus de moi se il m'eust navré a mort. » Et lors li conte del chevalier qu'il avoit fait retorner viers le pavillon pour l'amour le roi Artus, si l'ochist en son conduit, et de l'autre qu'il avoit acuelli avant ier compains de la queste, qui refu occhis derriere lui par autel maniere. Et lors se commenche li ostes a seingnier de la mierveille qu'il en a. « Biaus ostes, fait cil as .II. espees, savés vous comment chis chevaliers a a non ? - Nennil, sire, fait li ostes, car onques parler n'en oï. - Or sachiés dont, biaus ostes, qu'il a non Garlan et est freres Pellehan, le roi de Listinois. » Et li ostes se saingne et dist : « Par mon chief, je vous croi bien de chou que vous me dites. Chelui Gar-lan connois jou bien ne il n'a pas un an que il me dist une parole, pour coi je sui bien ramembrans qu'il navra mon fil ensi comme il est navrés. Car il avint que nous fumes entre moi et lui venu a un tornoiement et fu chose que je l'abati .II. fois chelui jour, voiant tous chiaus de la place. Et quant il, qui estoit trop plus riches hom que je n'estoie, vit que il ne se porroit vengier de moi, il me dist que il me courcheroit del millour ami que je averoie ains que li ans fust passés. Si m'a bien couvenant tenu, che m'est avis, car il a mon fil navré a mort, l'oume el monde que je plus amoie. - Ha ! Diex, fait cil as .II. espees, coument le porroie jou trouver ? Il n'a houme el siecle que je si volentiers veisse coume lui ! - Certes, fait li ostes, je vous ensegnerai comment vous le porrés trouver et vir apertement, se vous volés faire chou que je vous deviserai. » Et cil respont que ja pour painne ne remanra qu'il ne le fache.
« Ore vous dirai comment vous en esploiterés, fait li ostes. Voirs est que li rois Pellehans de Listinois tenra grant court et efforchie de diemenche en .VIII. jours au Chastiel del Pallés Perilleus. Et a cele feste doit servir chis Garlans et servira, je sai de voir, si seront illuecques tuit li preudomme de maint roiame. Et se vous a chelui jour poés laiens entrer, sachiés que vous le trouverés. » Et quant cil a .II. espees entent ceste nouviele, si en est assés plus liés qu'il n'estoit devant. Si respont : « Biaus ostes, beneois soit Diex qui ceste part m'amena. Or sai bien, a ceste parole que vous m'avés ore dite et ensegnie, merrai jou ma queste a fin, se jamais i doit estre menee. » Et lors redist la damoisiele a son hoste : « Biaus ostes, cuidiés vous que vostres fius puist garir ? - Certes, fait il, je n'en sai que dire, car trop est durement navrés. Et nepourquant uns viex hom qui chaiens se herbega l'autre semainne me dist que mes fiex torneroit a garison, mais che ne seroit devant chou que sa plaie fust ointe del sanc au chevalier qui l'avoit navré. Je li demandai que chou li avoit ensegniet, et il me dist : “ Merlins li sages devineres me commanda que je le vous desisse que il ne porroit autrement garir. ” Atant parole li Chevaliers a .II. Espees et dist : « Biaus ostes, s'il est ensi que vostres fius doive garir par le sanc de chelui, sachiés que il en garira, se vous me volés siurre, ou autres de chaiens. S'il avient ensi que je chelui puisse trouver, onques sans d'oume si largement ne fu espandus coume chis sera en quelconques lieu que je le puisse trouver, se je en devoie morir en la place. - Et je vous creanch, fait li ostes, que je vous siurrai dusques la, car il n'est riens que je desire autant que je feroie la santé de mon fil, et encore vous pramec jou que je vous i merrai la droite voie. » Et il l'en mierchie moult.
Cele nuit fu moult a aise li Chevaliers a .II. Espees et moult bien herbegiés, et fu moult liés de ces nouvieles qu'il avoit laiens aprises. Au matin, si tost comme il fu ajorné, il se leva et oï messe laiens meismes, ou il avoit une petite chapiele. Apriés s'arma et monta et se mist au chemin entre li et la damoisiele et son oste. Ensi chevauchierent ensamble toute la semainne et l'autre apriés sans aventure trouver dont on doie faire conte, et tant qu'il vinrent ensamble droit au castiel ou li rois Pellehans tenoit sa court, et entrerent tout troi laiens a eure de prime. La feste estoit par tel maniere establie que nus chevaliers ne puet en la court entrer se il n'amainne avoec li sa serour ou s'amie, et se il i venist autrement, il n'i peust entrer en nulle maniere. Li Chevaliers a .II. Espees entre lui et sa damoisiele entrerent dedens, et li ostes remest defors pour chou que il n'avoit avoec lui damoisiele nule, si l'em pesa ore moult. Et si tost coume il fu laiens entrés, il trouva si grant compaignie de chevaliers comme se tout cil dou roiame de Logres i fuissent assamblé. Et maintenant que cil de l'ostel l'i virent armé, il li coururent a l'encontre et le firent descendre et le mirent en une des chambres de laiens et sa damoisiele avoec lui. Si le desarmerent erramment et li aporterent reube nueve a viestir tele qui li fu couvegnable, car assés en i avoit laiens. Il le menerent ens ou palais seoir avoec les autres chevaliers, mais onques s'espee ne li porent tollir qu'il ne la chainsist, et dist que teuls estoit la coustume de son païs que nus chevaliers ne mangoit en estrange liu, et meesmement en si haut lieu coume en court de roi, qu'il n'eust s'espee chainte, et se il ne li voloient souffrir a faire la coustume de son païs, il s'en iroit avant la dont il estoit venus. Et pour chou li souffrirent il.
Moult fu grans la chevalerie que li rois Pellehans ot laiens assamblé. Et quant che vint a eure de disner que les tables furent mises, chascuns s'assist, ne mais cil qui devoient servir. Et fu en tel maniere la feste establie que chascuns chevaliers ot dejouste li s'amie assise. Et lors commenchierent a servir laiens moult biel et moult richement. Li Chevaliers a .II. Espees commencha a demander a un chevalier qui dalés lui seoit a seniestre : « Dites moi li quels est Garlan, li freres au roi Pellehan. » Et il li moustre et dist : « Veés le la, cel grant, cel rous chevalier a cele sore chaveleure, le plus mervilleus chevalier dou siecle. - De coi est il mervilleus ? », fait chis a .II. espees aussi comme il n'en seust mie, et che demandoit il pour chou que il en seust miex la verité. « Quant che est chose, fait li autres chevaliers, qu'il est armés, nus ne le puet veoir tant corne il se veult celer. - Par foi, fait il, mierveilles me dites ; che ne porroie je mie croire que che fust voirs. - Si est vraiement, fait li autres chevaliers.
- Ore me dites, fait cil a .II. espees, se il vous mesfaisoit tant que il euust mort desservie, comment vous en vengeriés vous, quant vous l'averiés pierdu si tost coume il seroit armés ? - Par foit, fait cil, se il m'avoit mesfait, je le prenderoie la u je le trouveroie, fust armés u désarmés. - Vous ne le poés trouver armé, ensi coume vous meesmes me dites. - Et je desarmé le prenderoie, fait cil. - Voire ? Mais se vous estes armés et il desarmés et vous metés main seur lui, tous li mondes vous tenra a honni et a recreant. - En auchune maniere, fait cil, s'en couvenroit a vengier. Si vous en ai dit cho que jou en feroie, ne autrement ne le porroit nus faire. »
Lors commenche li Chevaliers a .II. Espees a penser. Et quant il a grant pieche pensé, il regarde chelui qui le chevalier ochist en son conduit, si est tant a malaise que nus plus. Car se cis li eschape a ceste fois, il ne le cuide jamais veoir ; et se il l'ochist en chelui point devant le roi Pellehan et devant toute l'assamblee, il ne voit mie comment il peust de laiens eschaper qu'il n'i soit ochis et decaupés, s'il avoit la proueche a .VI. les millours chevaliers dou monde. De ceste chose ne set il que consillier ne quel conseil il doive prendre, car se il l'ochist en cest point, il n'en puet eschaper sans mort, et se il li eschape, il n'i cuide jamais recouvrer.
Ches. .II. choses le metent en grans pensees et en si grant destrece qu'il ne boit ne ne mengüe, ains pense toutes voies. Si dura chis pensers tant que tuit li mes furent venu seur la table, si s'en peust bien a celui point lever ensi comme il s'i estoit assis, qu'il n'i avoit ne beut ne mengiet. De ceste chose se fu moult bien gardé Gallans li Rous, qui aloit servant par les tables et bien ot veu que chis n'i ot beu ne mengié, si le tient a moult grant vieuté, car il cuida bien que chil le laissast par despit. Lors s'acoste de lui et hauche le paume et li doune grant cop en la fache, qu'elle en devint toute vermeille, et puis li dist : « Drechiés vostre teste, sire chevaliers, et mengiés aussi comme li autre, que li seneschaus le vous mande ! Et dehait ait qui vous aprist a seoir a table de preudoume quant vous n'i faites que penser ! » Quant li Chevaliers a .II. Espees voit que cil l'a ensi feru, il est tant dolans que il en pert tout sens et toute mesure. Si respont : « Gallan, che n'est mie le premier duel que tu m'as fait. » Et cil respont : « Si t'en venge quant tu porras ! - Si ferai je, fait cil a .II. Espees, assés plus tost que tu n'oseroies cuidier ! » II met le main a l'espee et dist : « Garlan, veschi le chevalier que tu as fait venir aprés toi de la court le roi Artus a grant painne et a grant travail, ne jamais preudomme ne ferras a table de roi ne n'ochirras chevalier en traïson ! » Et maintenant le fiert de l'espee par mi la teste si durement qu'il le fent tout jusques en la poitrine, si l'abat a terre. Et lors s'escrie : « Hostes, or poés prendre del sanc Garlan a la garison de vostre fil. » Lors redist a la damoisiele : « Damoisiele, bailliés moi le tronchon de quoi li chevaliers fu ferus devant les pavillons. » Et elle li bailla coume chele qui l'avoit mis dejouste li. Et il le prent et saut fors de la table, et en fiert Garlan, qui a terre gisoit mors, si durement qu'il li tresperce les .II. costés. Et lors dist si haut que tuit le porent bien oïr : « Ore ne m'en chaut que on face de moi, car j'a bien ma queste achievee ! »
A cest mot lieve grant la noise par la court. Li un et li autre s'escrient : « Prendés le ! prendés le ! » Et li rois meesmes, qui tous estoit dervés de son frere que on li a devant lui ochis, s'escrie : « Prendés le moi, mais gardés que vous ne l'ochiés ! » Et cil a .II. espees respont : « Sires rois, ne commandés pas que on me prenge, mais vous meesmes i venés, et vous le devés bien faire, che m'est avis, que on vous tient a un des millours chevaliers del monde. » Li rois sans failles estoit moult boins chevaliers et moult preudom vers Dieu, ne on ne savoit a chelui tans en toute la Grant Bretaigne nul prinche qui autant fust amés de Nostre Signour. Il fu esmeus d'ire et de maltalent et pour la mort de son frere et pour les paroles del chevalier, si dist que vraiement le vengera il, s'il puet.
Lors saut de la table et dist a tous les autres : « Gardés que nus de vous ne soit si hardis qu'il mete main en lui, car je tous seuls en cuide bien venir a chief. » Lors court a une grant perche de fust qui estoit en mi la sale et le prent et le lieve contremont, si keurt sus a chelui qui tenoit l'espee traite, ne mie cele dont il ot la damoisiele delivree a cort, mais une autre. Et quant li Chevaliers a .II. Espees le voit venir, il ne le refuse pas, ains dreche l'espee. Et li rois le sousprent a une traverse, si fiert en l'espee si durement qu'il le brise par devant le heus, si que li brans en chiet a terre et li poins li remaint en la main. Quant cis as .II. espeez voit cest aventour, il n'est pas petite esbahis, si saute erraument en un chambre, car il i quid trover armeure acun. Mais quant il est venus, il n'i troeve ne ce ne quoi, e lors est il plus esbaïs que devant, car il voit que lui rois le sueut touz voiez le fust levé. E il saut encor en un autre chambre qui estoit encore plus long, mais il n'i troeve nient plus qu'en l'autre, fors tant qu'il voit bien que lez chambrez sont lez plus belez du monde e lez plus richez que onque mais vaïst. E il regarde, si voit l'uis overte de la tierce chambre qui estoit encore plus loing, si s'adresche cele part por entrer dedenz, car il i quid totez voiez trover aucune armoure dont il se peust defender vers celui qui de prez l'enchace. E quant il veut entré dedenz, il out une vois qui li crie : « Mar i entrez, car tu n'es mie dignez d'entrer en si haut lieu ! » Il entent bien la voice, mais pur ceo ne laisse il pas sa voie, ainz se fiert en la chamber e troeve que ele est si bele e si riche qu'il ne quidast mie qu'en toute le monde eust sa paraille de biauté. La chamber estoit quarré e grans a mervaille e soef flerant ainsi cum se toutez lez espicez du monde i fussent aporteez. En un lieu de la chamber avoit un tabel d'argent mult grante e haute par raison, e seoit sor .III. pilerez d'argent. E desus la tabel, droit en mi lieu, avoit un orçuel d'argent e d'or, e dedenz cele orçuel estoit une lance drescie, la point desoz e le haut desuz. E qui regardast mult la lanche, il merveillaist coment ele tenist droite, car ele n'estoit apoié ne d'un part ne d'autre.
Lui Chevaler as .II. Espeez legarde le lanche, mais il ne la conoist pas trez bien, si s'adresse cele parte e ot un auter voiz qui li escrie mult haute : « Ne la touchié, pechierez ! » Mais il ne laisse onques por ceste parole qu'il ne preigne la lance as .II. mains e fiert le roie Pelleham, qui ja estoit deriere lui, si durement qu'il li trenche ambdeuz lez quissez. E il chiet a tere, qu'il se sent navrez trop durement. E lui chevalers retrait a lui la lanche e la remette ariere en l'orchuel ou il l'avoit prise. E si tost cum ele i refu, ele se tint ausi droit cum ele faisoit devant. Quant il out ceo fait, si s'en turne grant erre vers le palais, qu'i lui sambel qu'il soit mult bien vengiez. Mais ains qu'il fust venus commencha touz li palais a tramblere, e ausi fierent toutez lez chambres de laienz, e toute li mure crossoint ausi durment con se il deuissent maintenant verser e depeschier. E tout cil qui el palaice se seoint estoient si esbaï de cest mervaille qu'il n'i avoit si preu qui s'i peust tenir en estant, ainz comenchierent a caoir lui un ça e lui autrez la ausi cum c'il fussent toute morte. E avoient tutez lez oex cloz, car il ne gardoient l'eure qu'il fondissent tout en abisme. E por ceo qu'il veoient que li palais crolloit e trambloit si durement cum s'il deust erranment verser quidoient il ben que la finz del monde fust venue e qu'il deussent maintenant morir. E lors vint entr'ex une voiz ausi grosse que un bosine, qui dist apertment : « Ore comenchent les aventurez e lez mervaillez du roialme aventurus, qui ne remanderont devant que chierement serra achaté che que la Seintim Lanche ont atouchez lez mains ordes e cunchies e ont navré le plus prodhome dez princez. Si en prendra li Haus Maistrez sa venjanche sor cheus qui ne l'ont pas deservi. »
E cest vois fu oïs par tuit le chastel, si en furent si esponté tuite cil del palaice qu'il s'en pasmerent trestuit. E dist le verrai estoire qu'il jurent en paumeison .II. nuis e .II. jours. E de chele grant paour en morut ele palais plus de .C. ; dez autrez, qui ele chastel estoient e non pas ele palais, en morust assez de paour. E lui auter furent mahaigné e quassé, car plusurs dez maisonz de la ville caïrent e grant partie dez murez versa au croille que lui chasteax fist, si out par laeinz de chevalers e de villains assez bleschiez. E de tiex i out qui n'orent nul mal, mais saunz faile onques n'i ote si hardi en tuit la vile qui es .II. primiers jors osast entrere el palais. Ne encore ne feussent il pas entré si ne fust Merlins qui vint el chastel por veoir la grant dolour qui i estoit avenu e de povrez e de richez, car il savoit bien que sanz grant mervaile avenir ne serrot pas fais le cols de la Lanche Vengeresse. Quant il vint el chastell, si lez trova si malades e si disconfortez que li pieres ne puet aidier au fil ne le fiex au pier. E de ceus qui estoint li plus saine n'i ot nul si hardi qui osast entriere el palais, car bien quidoient chascun que tout cil qui i furent fussent mort. E quant Merlins fu venus, il lor demanda que cil de la forteresche fasoient, e il s'escrient a un voiz : « Sir, nus ne savoms riens ne n'i osoms aler, car par le palais quidons nus bien que cest dolor nus soit avenu. - Ha ! fait il, vous estez la plus mauvais gent e la plus coarde que jeo onques mes vaïs, qui n'osez la sus aler por veoir cornent li rois Pellehans, vostre liegez sirez, le fait, ou s'il est mors ou s'il est vifs. Venez ent aprés moi e jeo irrai devant, si veroms coment il li esta. - Alez, font il, e nous vous sivroms. »
Lors vint Merlins a la port de la palaice e enter dedenz e troeve a l'entré le porter e .II. sarganz qui gisoient mort, cum cil qui estoient tuit dequassé de un pan dez quarraux de la tor qui estoit sor eax queoit. « Chez .III., fait Merlins, poez vouz prendre e metter lez en tiere, car il n'avront jammais mestier de mire a che q'il sont devié plus a de un jore. » E om les prent. Et Merlins s'en revait avant e troeve en la court bien .CC. que chevalers que sarganz qui tout gisoient a tiere, lui un mors de paour e li autre ou de piere ou de fust qui sor eus estoient queu. E lui auter gisoient non mie mort, mais il estoient encore ausi cum en paumeison, car il quidoient bien que tuit dis veut durrer la mervaille qu'il avoient veu. Cheuz qui estoient en vie fist Merlins redrescher e lez reconforta mult e lor dist : « Levez vouz, car vous n'avés mes garde. La tempest est fallie dont la granz poors vouz vient. » E cil respondent : « Sir, ditez vouz voire ? - Oïl, fait il, soiez vouz tout asseure. » Lors se dreschirent cil qui dreschier s'en porrent e lui autre, qui n'avoient tant de poire qu'il s'adressaschent, furent portee en la vile por garir e por repasser. Et Merlins s'en vait el grant palais. E quant il fu venuz amount, il trove en mi la sale gisant plus de .VIIc. que chevalers que damoisels que esquierz, si en i avoit plusurs mors, ne li plus fors n'avoit tant de pooir qu'il se puet dreschier en seant, ainz estoient ainsi cum tuit mort. E Merlins lor dit si haut qu'il le puent bien entender : « Levez sus, vouz qui gisez e estez en vie. La tormente est remesse qui vus a mis en cest torment. »
Quant cil orent cest parole, il se dreschent en lor seant e oevrent lor oex ausi cum gent qui veignent de songe e demandent : « Ha ! Diex, est encore failli le tempeste ? - Oïl, fait Merlins, dresciez vouz touz e soiez asseure. » Lors se dreschent cil qui faire le porrent. Cheus qui faire ne le purrent, si lez enportent lez uns ça e lez autrez la. E Merlins s'en vait toutez voiez avant de chambre en chambre, e tant qu'il vint pres de la chamber ou la Sainte Lanche estoit e li Sainz Vasseax que ome apeloit Grale. E il s'agenoile erraument e dist a cheus qui dejoste lui estoient : « A ! Diex, tant fist fole hardement li chaitifs pechierz male aventuruz qui de sez mainz ordeez e vilainz, cunchiees de vileté e de l'ort venim de luxure, atoucha si haut fust e si prechieus cum jeo voie la et en mehaigna si prodhom cum li roiz Pellehans estoit ! Ha ! Diex, tant sera chier vendus cil grante utragez e cil granz forfais, e tant l'acateront chier cil qui ne l'avoient pas deservi, e tant en sofferont encore painez e travax lui prodhome e lui bon chevaler del roialme de Logrez, e tantez mervaillez e tantez aventurez perilleusez en avendront encore por cest dolerouz colp qui a esté fais ! »
Einsi dist Merlins mult en plorant e del quer e dez oex. E quant il out fait sez priers e sez oreisonz devant l'uis de la chamber telez cum il lez savoit, il se dresche en son estant e demande a ceus qui environ lui estoient : « A il en vostre companie nul provoire ? - Oïl, font il, un moine blanc. » E Merlins l'apele et lui dit : « Sir, si vouz avez lez armez Jhesu Crist, si vus en armez. - Jeo nes ai pas, fait il, mais jeo sai bien qu'elez sont en une chambre de chains, car jeo meismez lez i mis le jore qui le grant dolor avint en cest chastelle. - Sir, fait Merlins, alez lez prendre e vouz en revestez, si entrez laeinz en cele chamber, car auterment n'i doit nus entrere por le saintisme lieu s'il ne porte lez enseignez Jhesu Crist. » Li prodhomes pense bien que Merlins le dist voirz, si fait che qu'i lui loe. E quant il est touz aparaillez ausi cum c'il vausist messe chanter, Merlins le dist : « Sir, ore poez bien entrere asseure, car bien estes armez pur entrere en un saintisme lieu. Entrés laeinz, si m'ostrez le chevaler que vus i troverez e le roi Pelleham, e si lez mettez defors, si que nus lez en puissoms porter la ou nus vaudroms. » E cil le fait tut einsi que Merlins li loe. Si en oste le chevaler, qui encore gisoit en pasmisons, si le baille a Merlin. Et Merlins l'apiele par son droit non et li dist : « Balaain, oevre les iex. » Et il dist : « Ha ! Diex, ou sui je ? - Tu es encore, fait Merlins, chiés le roi Pellehan, ou tu as tant fait que tous li siecles ki te connistera t'en harra des ore mais et portera male voellanche. » Li chevaliers ne respont a riens que Merlins li die, car bien se sent coupable de chou que il li met sus, mais il li demande comment il s'en porra de laiens aler, car bien a sa queste achievee, si comme il dist. Et Merlins dist : « Sievés moi, et je vous conduirai tant que vous soiiés hors de cest chastiel, car se cil de cest chastiel vous connissoient et il savoient del mal qu'il ont souffert que che euust esté pour vous, nus hom ne vous garandiroit qu'il ne vous detrenchaissent tout ains que vous fuissiés venus as portes. - Et de la damoisiele qui avoec moi vint chaiens, fait li chevaliers, savés vous nulle nouviele ? - Oïl voir, fait Merlins, vous la poés veoir morte en mi che palais. Tant a ele gaaigniet en che que elle vous compaignie a fait que vous l'avés morte. »
Li chevaliers est moult dolans de ces nouvieles que Merlins li dist, car il voit bien que tout est verités canques il li conte. Si dist a Merlins qu'il le maint hors de laiens, car il n'i a mais que demourer, puis que la damoisiele est morte. « Certes, fait Merlins, ja ne le me desissiés vous, si le feroie je, car je ne vaurroie pas encore que vous morussiés. » Lors se drece li chevaliers de la terre ou il se gisoit encore, et Merlins l'enmainne fors dou palais. Et quant il vinrent en mi la court, assés i trouverent de malades et d'enfers et de mors. Et Merlins dist au chevalier : « Tout cest damage as tu fait chaiens. Ore garde comment tu as esploitié ! - Ore est ensi, fait li chevaliers. Puis qu'il est fait, il ne puet mais remanoir. - Voirs est, fait Merlins. » Ensi s'en vont tout contreval la ville et tant qu'il vinrent es portes et passent outre. Li chevaliers estoit garnis d'escut et de lanche et de toutes ses armeures, qu'il n'avoit riens laissiet fors que s'espee qu'il avoit perdue, si comme li contes l'a ja devisé. Merlins li dist : « Vous avés pierdu vostre cheval. - Voirs est, fait li chevaliers, je ne sai qu'il est devenus. Or me couverra aler a piet, che m'est avis. - Non ferés, fait Merlins, se je puis. Ore m'atendés chi, et je revenrai maintenant. » Lors s'en vint Merlins au chastiel et tant fait qu'il trueve cheval bon et fort, si le mainne au chevalier, car il ne trueve homme qui contredit i mete, si le baille au chevalier et cil i monte. Et Merlins li dist : « Savés vous pour coi je vous faich ceste bonté ? Saichiés que che n'est mie pour vous, ains est pour l'amour le roi Artus, quels chevaliers vous estes, che sai je bien. » Et li chevaliers respont : « Vous m'avés fait bonté grant, si vaurroie bien, s'il vous plaisoit, savoir qui vous estes. - Je le vous dirai, fait Merlins. Je sui Merlins li devineres, cil dont tant de gent parolent. Ne sai se vous onques en oïstes parler. » Et lors s'umelie moult li chevaliers et dist : « Merlin, je ne vous connissoie pas ; non font cil qui plus sont acointe de vous. Par aventure je ne vous verrai jamais et par aventure si ferai. Mais ou vous voie je u non, sachiés que je sui vostres chevaliers en quelconques lieu que je soie. Et je le doi bien estre, car vous m'avés plus valut que hom ne fist onques mais. - Je sai bien, fait Merlins, que vous feriés pour moi, se je vous en requeroie. Alés a Dieu : que Diex vous conduie et vous gart de mesqueance en quelconques lieu que vous vingniés ! »
Atant se part li uns de l'autre, et Merlins s'en entre ou chastiel. Et li chevaliers, ensi comme il s'en aloit par jouste la ville, trouva dalés les murs son hoste mort d'un creniel de mur qui est cheus sor lui. Et lors est il moult dolans, car adont connoist il miex son mesfait qu'il ne faisoit devant. Quant il a la grant pieche regardé, il se remet en son chemin. Et ensi comme il chevauchoit par la terre, il trouva les arbres a travers et les blés destruis et toutes les choses si degastees comme se effoudres fust courus en chascun lieu, et sans faille courue i estoit elle en plusieurs liex, ne mie par tout. Il trouvoit par mi les viles la moitiet des gens mort et des bourgois et des chevaliers, et par mi les chans trouvoit il les labourans mors. Que vous diroie jou ? Il trova si dou tout destruit le roiame de Listinois qu'il fu puis de tous apielés li roiames de Terre Gastee et li roiames de Terre Forainne pour chou que si estraigne et si agastie estoit devenue trestoute la terre. Et si qu'il passoit par mi les villes, fuissent boines ou maises, cil qui le veoient li disoient tuit : « Ha ! chevaliers, tu nous as mis a povreté et a essil, dont nous n'isterons jamais a nos espoirs. Diex te maint en tel lieu ou tu soies decaupés de males armes ! Car tu nous as fait tant de mal que tous li mondes nel porroit amender, ne nous ne nous vengerons pas de toi, mais Diex nous en vengera, qui est si souvrains vengieres qu'il t'envoiera en aventure mesaventureuse, dont nous serons tout lié et tout joiant quant nous le saverons ! »
Ensi disoient li grant et li petit par toutes les viles ou il venoit, si qu'il en avoit si grant duel et tant en estoit courechiés qu'il vausist bien que fouldres del chiel descendist seur lui qui le foudriast, car il connissoit bien qu'il lour avoit tant de mal fait qu'il ne veoit pas que nus fors Diex ne le porroit jamais metre en aussi boin point comme il avoit devant esté. Ensi chevaucha .V. jornees entieres qu'il ne trouva onques terre qui ne fust gastee et tornee a duel et a destruction. Il gisoit chascun soir par ces hermitages qu'il trouvoit es forés anchiienes et parfondes. Et chascuns hermites qui en son ostel le rechevoit si li savoit bien a dire : « Sire, nous ne vous herbegerons en nulle maniere se pour Dieu non et pour hounour de chevalerie, car vous nous avés mis sans chou que nous ne l'aviens pas desservi a povreté et a essil, dont nous n'isterons mie par vous. » Et quant li preudomme disoient tel chose au chevalier, il ne lour savoit que respondre, car il connissoit bien que il li disoient verité, si estoit tant dolans que nus plus. Ensi chevaucha a grans jornees, car moult desirroit qu'i euust trespassee cele terre ou il avoit che ouvré. Et quant Diu plot que il en fu fors et il revint au biel païs, il se reconforta assés plus qu'il n'avoit fait devant. Si chevaucha en tel maniere .VIII. jours si coume sa voie le menoit sans aventure trouver qui a conter fache.
Au nuevisme jour li avint que aventure l'amena en une forest grant et parfonde, et se mist dedens, et chevaucha par mi tout une sente, tous seuls sans compaignie. Si erra en tel maniere des le matin jusques a eure de miedi. A cele eure li avint qu'il vint en une grant valee devant une tour et trouva illuc un grant cheval atachié a un arbre. Et il s'arreste pour veoir qui li chevaus est, car il pense bien qu'il ne soit mie sans signour, si commenche a regarder tout entour lui. Et en che que il se regardoit, il voit au piet de la tour un chevalier grant de cors et bien tailliet de tous membres, si biel houme de toutes choses que de plus biel ne vous quier jou parler. Si estoit a la terre assis sour l'erbe vert et pensoit si durement que nus ne puet estre plus pensis.
Li chevaliers a .II. Espees regarde chelui qui si durement pense, si s'esmerveille que che peut estre. Ensi demoura longuement en tel penser. A chief de pieche giete li chevaliers un grant souspir, et apriés le souspir dist : « Tant me demeure ma joie ! » Et lors s'apense cil a .II. espees que se cil chevaliers est longement en cel penser, a che qu'il est seus, se che ne venoit qu'il atent, il se porroit trop malement metre, a che que anemis se met volentiers en gent qui sont sans compaignie. Lors se traist avant et dist au chevalier moult souef : « Diex vous saut, sire chevalier, et vous envoie joie, car il me semble que vous en averiés bien mestier ! » Et cil s'esperist erramment, mais il est tant courechiés de chou que cil l'a osté de son penser que nus ne porroit estre plus dolans. Si respont par moult grant ire : « Fuiiés de chi, sire vassaus ! Vous m'avés mort, qui mon penser m'avés tolut. Je ne cuic que g'i soie jamais si doucement comme jou i estoie orendroit. Maleoite soit l'eure que vous cha venistes ! » Lors recommenche a penser aussi durement comme il avoit fait devant. Et quant li Chevaliers a .II. Espees voit chou, si se trait arriere, et li poise moult de chou que il parla a lui, car trop li a fait anui, che set il bien. Et quant il s'est retrais arriere, il s'arreste, car il vaurra veoir, s'il puet, a quoi il venra de cest penser u il demeure si fermement.
Ensi attendi illuec li chevaliers jusques a eure de nonne pour veoir se chis isteroit de son penser, mais onques chis ne remua, ains pensa toutes voies. Entour eure de nonne jeta un souspir moult grant, assés gringnour qu'il n'avoit fait autre fois, et dist : « Hé ! dame, vous m'avés mort, qui tant targiés ! Se vous plus demourés, vous ne me verrés jamais se mort non ! » Si se taist maintenant, que plus ne dist. Et lors connoist bien chis a .II. espees que chou est pour dame ou pour damoisiele que li chevaliers pense si durement, si l'em poise moult. Et pour itant, si comme il dist, il ne s'en departira d'illuec de tout le jor, ains attendera jusques a la nuit pour veoir se cele venroit pour coi chis chevaliers est ensi en grant painne.
Apriés eure de viespres, quant li solaus tornoit ja a declin, dist li chevaliers : « Ha ! dame, morir me feront vos fais et vo couvenant ! Ne puis ore plus atendre ! » Lors traist l'espee du fuerre et dist : « Dame, vous me cargastes ma mort quant vous ceste espee me carchastes, car j'en morrai orendroit, a chou que je ne porroie plus endurer ceste grant dolour u je sui pour vous et nuit et jor ! » Quant chis a .II. espees voit ceste chose, il se dreche de desous un arbre ou il s'estoit grant pieche assis, qu'il voit bien k'il n'a que demourer, car il connoist que chis s'occirra maintenant se li espee ne li est ostee des mains. Lors saut avant et ahert chelui par le poing dont il tenoit l'espee, se li dist : « Ha ! sire chevaliers, pour Dieu, aiiés merchi de vous meesmes ! Qu'esche que vous volés faire ? Volés vous destruire vostre cors et perdre vostre arme ? » Et cil se regarde adont, si est tant dolans de che qu'il n'a ja fait chou qu'il pensoit qu'il vaurroit bien estre mors. Se li dist maintenant : « Se vous ne me laissiés m'espee de vostre bonne volenté, je l'avrai malgré vostre, si en occhirrai vous premierement et moi aprés, et lors sera graindres li damages qu'il ne seroit de moi seul. Pour chou vous pri jou que vous le me laissiés. - Je la vous lairai par couvenant, fait cil as .II. espees, que vous me dirés, anchois que vous plus en faichiés, qui vous estes et qui est cele qui vous tant amés. Et je vous creanc comme chevaliers, se vous tant me volés descouvrir de vostre estre comme je vous requier, que je ne dormirai jamais devant chou que je vous avrai reviestu de cele por qui vous estes si a malaise, se on le puet avoir pour painne et pour travail que on i puisse metre. Et saichiés que je ne fis onques chose si volentiers ne de boine volenté comme je ferai ceste por vous metre aise, car je ne trouvai onques chevalier si a malaise comme je vous ai trouvé. »
Quant cil entent ceste parole, il se refraint moult de son maltalent et dist : « Qui estes vous qui si grant chose m'offrés ? Je vous pri que vous ne me celés mie vostre non ne vostre estre, car teuls poés estre que je lairai ma fole emprise pour l'amour de vous et teuls poés vous estre que je n'en lairoie riens. Car miex vaurroie morir hastivement que vivre longement et languir en si grant dolour que jou ai commenchiet a souffrir, car il n'est nulle dolours qui a ceste se prenge. - Certes, fait chis a .II. espees, je ne vous celerai riens de che que vous m'avés demandé. Jou ai non en baptesme Balaain, mais maintenant m'ont apielé nouvielement le Chevalier a .II. Espees. » Et quant il ot ceste nouviele, il lieve maintenant sa main et dist : « Tenés, sire, l'espee : je vous en ravest. Je n'en ferai huimais chose dont vous vous doiiés courechier, car je vous connois a si boin chevalier que je sai bien que vous me terés chou que vous m'avés pramis, se la prouece d'un seul houme i puet avoir mestier. Et sachis que je vous connois moult miex que vous ne cuidiés : vous estes cil qui delivrastes a la court le roi Artus la damoisiele de l'espee que elle portoit, dont nus de laiens ne la pot delivrer ne mais que vous. » Et il dist que che est il voirement. « Mais ore vous pri jou que vous me dites vostre estre. - Je le vous dirai, fait cil, volentiers, par les couvenanches qui sont entre moi et vous. - Des couvenanches, fait cil as .II. espees, ne vous esmaiiés onques, car je m'en aquiterai, se Diu plaist, en tel maniere que vous en serés liés et joians. » Et lors li commenche a conter li chevaliers :
« Mesire Balaain, fait il, je sui uns chevaliers nés de cest païs et estrais de vavasours et de basse gent. Mais par ma prouece, Dieu merchi, ai je tant fait, puis que je fui chevaliers, que assés ai conquis grans terres et grans fiés, et trois biaus chastiaus et riches a il pres de chi que jou ai conquestés sour le duc de Harniel, qui marcist a ma terre par deviers Sorelois. Tant ai je fait que assés sui doutés en cest païs et en autre. Et par ma proueche ai je tant fait que la fille au duc dont je vous di, la plus biele damoisiele que on sace en nulle terre, m'a douné s'amour et m'en a si asseuré que je m'en tieng a riche et a boin euré. Que vous diroie je ? Je n'aim riens terriiene fors li, ne elle autre que moi, et sai bien que je ne porroie vivre sans li, car se elle voloit, je morroie maintenant, et se il li plaisoit, je viveroie. Ensi sui je del tout en la mierchi la biele, que je ne vic se par li non. Or a quart jour que je estoie en un chastiel pres d'un recet ou elle sejornoit avoec son pere, et la ou je attendoie mon message que je li avoie envoiiet pour savoir que elle me manderoit m'envoia elle une soie roube et une damoisiele, qui la roube me fist viestir et m'atorna dou tout coume une dame. Si m'enmena en tel maniere, voiant les dames et voiant les chevaliers de laiens, jusques en la cambre la damoisiele, et illuecques sejornai jou .II. jours. Et quant je m'en parti, liés et joians de ma boine aventure, elle me creanta que elle s'en partiroit en repost de son pere et seroit a cel jour d'ui a eure de miedi devant ceste tour, et lors s'en venroit dou tout avoec moi en tel maniere que je la prenderoie a feme si tost coume nous seriens en auchuns de nos chastiaus.
Ensi le me creanta ma damoisiele, m'amie, la riens el monde que je plus aim, si m'en est avis que elle m'a malvaisement couvent tenu, car je l'ai attendu tant comme je dui et plus ne elle n'est pas encore venue. Et che est la chose qui si met mon cuer en grant angoisse et en destroite pensee que je n'avrai jamais joie devant que je sace l'ochoison de sa demouree, car je sai vraiement que elle fust venue cha, se elle peust et se ses peres ne l'eust retenue, que autre ochoison ne peust elle pas avoir. Ore vous en ai conté la verité de mon estre et pour coi jou estoie si pensis. Or vous pri que vous tenés moi couvent et que vous faichiés que j'en soie en saisine, se vous onques le poés faire. - Certes, fait cil a .II. espees, volentiers i meterai toute la painne que je porroie metre et pour vous metre a aise et pour la damoisiele, puis qu'il est ensi que elle vous aimme. Mais il couverra que vous me menés jusques au recet ou elle est, car je porroie tost forvoiier, a chou que je ne sai quel part chou est. - Et vous avés bien dit, fait li autres. Je sui pres de vous conduire jusques la. Sire, il n'i a pas plus de .VI. liues englesques. Nous i serons assés tost. Ore montons et nous hastons d'aler, car il sera ja tost nuis. » Lors montent ambedui et s'en vont au traviers de la forest ensi comme li chevaliers s'achemine, qui bien savoit la voie. Si parlerent entr'eus deus de maintes aventures pour chou que la voie lour griet mains. Tant ont alé en tel maniere qu'il vinrent fors de la forest. La lune luisoit auques clere, qui lour moustra la voie apertement. Et quant il orent la forest eslongie entour une liue, il descendirent en une grant valee et virent devant eus une fortereche qui estoit close de fossés parfons sans eve et de peus et de haie. Lors descendent ambedui et atachent lour chevaus a .II. arbres, car il ne voloient mie que li cheval fuissent oï. Et cil a .II. espees demande a son compaignon : « Remanrés vous ? - Sire, nenil, ains m'en irai avoec vous et vous conduirai a la haie, en tel liu, se je puis a mon ensient, ou vous porrés aler jusques a la chambre ma damoisiele. - Je ne demanc, fait il, plus. » Lors s'en vont ambedui ensamble et avirounent la haie, et tant coume il vinrent au fust qui estoit par dessus le fossé. Et par cel fust aloit on auchune fois ou gardin a la damoisiele, mais il i couvenoit metre cloie ou fust dejouste, car li fus estoit si estrois que trop i avoit perilleus passage se il n'i euust autre aide, a che que li fossés estoit par desous si parfons que nus ne pot dedens cheoir qui ne brissast ou gambe ou quisse, car il n'i avoit point d'eve.
Quant il furent venu au fust, li Chevaliers a .II. Espees demande a son compaignon : « Esche chi li passages ? - Sire, oïl, il n'i a nul autre, qui par mi le maistre porte ne veut passer. - Par foit, fait il, chis est assés anieus. Et nonporquant pour cestui ne remanra il pas, se Diu plaist, que je ne passe outre. Mais or me dites u vous cuidiés que je truisse vostre amie. - Sire, fait il, tout le premier huis que vous trouverés a destre est li huis de sa chambre. - Et a quoi le connisterai jou, fait il, se je vien ou ele soit ? - A che, fait il, la poés connoistre que chou est la plus blonde riens que je onques veisse, ne jamais si blonde ne verrés ne si crespe. - Assés m'en avés dit, fait il. Chi a si boines ensegnes que bien le deverai connoistre, se je la voi. - Je me douc moult de cest passage, fait li autres. - Onques ne vous esmaiiés, fait il, que bien i passerai, se Dieu plaist. »
Lors met son escu a son col et lanche son glaive ou gardin, puis se met desus le fust en chevauchant, car autrement n'i peust il en nule maniere. Et est si armés qu'il n'i faut riens, si s'en vait tout outre. Et quant il est venus a terre, il dist a son compaignon : « Attendés moi illuecques, car je vous aporterai par tans, se je puis, nouvieles de che que vous demandés. - Alés a Dieu, fait cil, que moult me tarde que je vous voie revenir. » Lors s'en vait cil as .II. espees par mi le jardin, qui moult estoit biaus et grans, et la lune luisoit biele et clere, qui li moustroit apertement la voie. Si a tant alé en tel maniere qu'il vint a l'uis de la chambre que cil li avoit dit, et lors fu il moult liés, car il cuidoit bien que li huis fust ouviers por chou que la froidure des herbes se ferist dedens la chambre. Maintenant se met dedens et vait au plus bielement qu'il pot pour les armes qui ne sounaissent. Et on veoit laiens moult cler, car il i avoit .II. chierges alumés qui rendoient moult grant clarté. Et il regarde sus et jus par la chambre qui estoit large, tant qu'il voit lés une arke un lit moult riche et moult biel. Il s'en vait cele part droit, car il i cuide vraiement trover la damoisiele dormant. Et quant il est au lit venus, il n'i trueve ne li ne autre. Et il regarde amont et aval, tant qu'il trueve as piés dou lit la roube de la damoisiele et la roube d'un houme, che ne set il qui il est, ou chevaliers ou escuiiers. Lors est il tous esbahis, car il pense bien erraument que avoec la damoisiele ait jeu auchun chevalier. Et dist a soi meismes : « Certes, or sai jou bien ou il sont. Il sont alé gésir en cest praiel por avoir le roisant plus a delivre qu'il n'avoient chi, et pour chou trouvai jou l'uis de ceste chambre ouviert. Ha ! feme, moult est honnis qui en toi se fie ! Ha ! chevaliers qui avés hui esté si destrois et si angoisseus por l'amour de li, moult l'amés ore de plus vraie amour que elle ne fait vous ! Certes, se je puis, jamais ne serés pour li en si grant destrece comme je vous ai hui veut, car je vous mousterrai ains qu'il soit jours sa desloiauté et sa traïson. »
Atant se part li chevaliers, moult dolans et moult irés, et entre el jardin, et vait tant cha et la par laiens qu'il trueve dessous un pumier la damoisiele gisant sour une kieute pointe de samit moult vermeil. Et la tenoit uns chevaliers entre ses .II. bras moult estroitement embrachie, et avoient mis a lour cheveus moult grant plenté d'erbe qui lour valoit autant comme fesist uns orilliers, et dormoient ambedui si fermement comme se il n'eussent dormi en un mois entier. Li chevaliers regarde au rai de la lune la damoisiele, si la voit moult biele. Aprés regarde le chevalier qui si la tenoit embrachie, si le voit moult lait et moult hideus. « Ha ! Diex, fait il, comme chi a desavenant assamblee ! Tant me torne a grant mierveille que ceste damoisiele, qui tant est biele, laisse cest chevalier que j'ai hui trouvé, qui tant est biaus chevaliers et avenans et preus au mien ensient, et a pris cestui, qui tant est lais qu'il ne seroit pas dignes d'entrer en lieu ou mes compains fust. Ha ! Diex, tant a ore bien choisi comme femme ! Et ja Diex ne m'aït se je nel faich veoir apertement a chelui qui tant a hui esté a malaise, si verra comme grant folie che puet estre de metre trop son cuer en feme ! » Lors se part d'illuec et les laisse dormant ensamble, et s'en vait tant qu'il vint au fust par ou il estoit passés, et apiele son compaignon et li dist : « Passés cha et nel laissiés en nule maniere, car je vous mousterrai merveilles ! » Et quant il ot ceste parole, il est assés plus angoisseus qu'il n'estoit devant, si vient au fust et se saingne et passe outre. Et quant il est venus a son compaignon, il li demande : « Que me mousterrés vous ? - Che verrés vous bien, fait il, mais venés apriés moi et alés tout souef pour vostre amie que elle ne s'esveille. » Lors s'en vont par mi le gardin tant qu'il vinrent la ou cil se dormoient. Et cil a .II. espees moustre au chevalier s'amie : « Ves chi cele que vous amés si vraiement. Ore poés veoir se vous estiés saiges, qui vous voliés ochirre pour chou que elle vous atarjoit. Ore saichiés qu'i li estoit plus de chelui qui la tient si estroitement embrachie qu'il n'estoit de vous, et si n'est il si biaus ne si avenans comme vous estes ! »
Quant li chevaliers voit ceste chose, si est tant dolans qu'il cuide bien del sens issir. Si dist : « Ha ! las, que est chou que je voi ? » Et lors chiet tous envers a la terre et li sans li saut par mi le nes et par mi la bouche, si gist grant pieche em pasmisons. Et lors est cil as .II. espees moult dolans de che que il li a moustré cest example, car il aperchoit ore bien qu'il en est pasmés de duel. Quant li chevaliers revint de pasmisons, si dist a chelui as .II. espees : « Ha ! sire, vous m'avés mort, qui avés si apertement moustré mon grant duel ! Certes, se vous fuissiés desarmés, tous li mons ne vous fust garans que je ne vous ochesisse en guerredon de ces nouvieles ! Et vous l'euussiés bien deservi, que vous avés fait la gringnour vilounie que nus chevaliers fesist onques. Et Diex vous doinst user le remanant de vostre vie aussi a aise comme je ferai des ore mais en avant, si savrés comment il est a homme qui aimme bien par amours ! »
Lors traist l'espee et mainne son cop en haut et de loing, se fiert si durement cheus qui se dormoient qu'il caupe le chief et a l'un et a l'autre en tel maniere que onques puis ne parlerent mot. Et quant il a che fait, il en est un poi plus aise qu'il n'estoit devant. Mais aprés, quant il s'aperchoit et connoist qu'il a s'amie occhise, la riens ou monde que il plus amoit, il s'en repent trop durement et dist : « Ha ! las, que ai jou fait, qui ai mon cuer et ma dame mis a mort, cele par cui je vivoie et dont tout mi bien et toutes mes joies venoient ? Ha ! las, fist onques nus lerres si grant desloiauté ne si grant trahison comme ceste est ? Certes nennil ! » Lors se commenche a dolouser et a maldire et a faire le gringnour duel del monde. Et ses compains le reconforte au plus qu'il puet, mais il li dist que confors n'i a mestier, car jamais tant comme il vive ne se reconfortera ne n'avra joie. Et lors est cil a .II. espees tant dolans que il ne vausist avoir pensé en nulle maniere qu'il eust moustré au chevalier s'amie en tel point coume elle avoit esté.
Quant li chevaliers se fu grant pieche dolousés et plains et il ot son duel demené dusques viers le jour et il en ot tant fait que che ne fu se merveille non, il dist a chelui a .II. espees : « Sire, or poés veoir que vous avés gaaigniet en moustrer moi mon grant duel. » Lors prent s'espee par le poing et se fiert de si tres grant forche par mi la coraille qu'il en fait la pointe paroir par mi le dos de l'autre part. Et lors chiet arriere et giete un plain trop dolereus, et il se commenche a estendre de l'angoisse qu'il sent, et li oel li tornent en la teste, et maintenant part l'ame del cors. Et quant li Chevaliers a .II. Espees voit ceste aventure, il dist que che est la gringnour merveille que il veist onques mais avenir puis que la damoisiele s'ochist pour son ami. Lors est si esbahis de ceste chose qu'il ne set qu'il doie faire ne dire, car se il remaint illuec et il i est trouvés, on cuidera tout vraiement qu'il les ait ochis, a che que il est armés et li autre sont desarmé. Si levera li cris seur lui et tuit s'i assambleront, si ne porra estre qu'il n'en soit courechiés en auchune maniere. Lors les laisse ensi comme il estoient et vient au fust et passe outre et se saingne maintes fies de chou qu'il a veut. Si se blasme moult et honnist et dist, se ses pourcas ne fust, ja ceste malaventure ne fust avenue ne ces gens ne fuissent torné a tel mort comme il sont. « Et certes, fait il, ceste male aventure est plus avenue par male meskeanche que par autre chose, car sans faille je sui li plus mescheans chevaliers qui soit, si est bien esprouvé et chi et aillours. » Ensi se tormente de chou qu'il a veut avenir, et si doloreus et si coureciés comme il estoit vint a son cheval, si monte. Et lors primes estoit il ajourné et chantoient a la matinee li oiselet menu et aloient d'arbre en arbre, lor joie et lour deport menant, ensi comme on le puet veoir souventes fois. Quant il est montés, et il se met a la voie et chevauce ensi comme aventure le mainne, car sans faille il ne savoit pas ou il aloit. Quant il fu issus de la valee, il encontre un escuiier qui s'en aloit son droit chemin viers la fortereche dont il venoit. Il l'arreste, se li demande s'il vait la. « Sire, fait il, oïl. Mais pour coi le demandés vous ? - Pour chou, fait il, que tu i trouveras merveilles quant tu i seras venus, ne nus fors Diex n'en savoit riens, ne mais jou qui les ai veues. Et por chou que je voel que cil de laiens en sachent la pure verité le te conterai je, et puis lour diras ensi coume je le t'ai devisé. » Lors li devise del chevalier et de la damoisiele comment il furent premierement occhis et comment li autres chevaliers se rochist aprés, quant il se fu apercheus qu'il avoit s'amie ochise. Et quant li escuiiers ot ceste aventure, il se saingne plus de .XX. fois et dist que de si grant merveille n'oï onques parler en son vivant. « Et ses tu, dist li chevaliers, pour coi je t'ai ensi conté ceste aventure ? Pour che que je voel que elle soit mise en escrit, car aprés nos mors, quant elle sera amentieue a nos hoirs, elle sera moult volentiers escoutee et oïe, car trop est mervilleuse. »
Ore dist li contes que atant se part l'uns de l'autre, si s'en vait li escuiiers la ou cil gisoient mort et trueve que cil de laiens avoient ja le duel commenchié ne ne savoient comment chou estoit avenu, ains en aloient parlant assés diversement. Et lors saut li escuiiers avant et lour devise toute la verité comment l'aventure estoit avenue et dist que uns chevaliers qui l'avoit veut a ses iex li avoit conté. Ensi avint cele aventure, dont grant parole fu puissedi tenue par mi le païs. Et li Chevaliers a .II. Espees, qui l'avoit devisee a l'escuiier, chevauche toutes voies par mi le païs, une eure avant et autre arriere, ensi comme aventure le portoit. Un jour entour eure de prime li avint qu'il s'aprocha d'un chastiel qui seoit en une montaigne. Et estoit li chastiaus par deviers destre clos de mer et d'autre part d'une ewe douce, forte et rade, si seoit li chastiaus si bien de toutes choses k'en tout le païs n'avoit plus biel ne plus gent.
Quant il vint a demie liue priés dou chastiel, il trova une grant chimentiere ou il avoit tombes pluisours vielles et nueves. Au chief del chimentiere par deviers le chastiel avoit une crois toute nueve. En cele crois avoit lettres qui disoient : « Os tu, chevaliers errans qui vas querant aventures, je te deffenc que tu n'ailles de chi pres dou chastiel. Et saches que elles ne sont mie legieres a un chevalier. » Quant il a leues les lettres, il entent moult bien que elles dient, a che que il estoit bien lettrés. Et lors commenche a regarder le chastiel, se li samble moult biel. Et maintenant dist a soi meismes que ja Diex ne li aït s'il retorne devant qu'il ait veu le chastiel par dedens. « Et certes, fait il, a couart et a malvais me deveroit on tenir se je retornoie pour parole que je voie escrite. » Lors se met outre la crois et s'en vait grant oirre viers le chastiel. Et lors n'a gaires alé quant il encontre un vavasour viel et anchiien, tout mellé de chainnes, qui li dist si tost comme il vint pres de lui : « Sire chevaliers, vous avés passé les bonnes ; il n'i a mais riens del retorner. - Encore, fait il, irai jou outre. Lors si serai plus loing del retour, quant vous en alés esmaiant ains que jou en aie volenté. » Ensi dist li prodom, ne onques n'en laissa cil son chemin, ains s'en ala toutes voies outre. Et quant che fu chose qu'il vint pres dou chastiel a .III. archies, lors escoute et ot en la maistre fortereche de laiens un cor souner a grant alainne, aussi comme che fust de prise de cierf ou de porc sauvage. Et quant il l'entent, il commenche a sourrire et dist a soi meismes : « Qu'esche ? Me tienent il a pris, qui cornent de prise ? » Et quant il a dite ceste parole, il voit issir fors dou chastiel par mi la maistre porte bien .C. damoisieles et plus, qui viennent karolant et dansant et chantant et faisant la gringnour joie del siecle encontre le chevalier estrange. Et quant il s'aproche d'elles, elles s'escrient toutes a une vois : « Bien viegne li bons chevaliers qui de son jouster fera hui renvoisier toutes les dames et les damoisieles de cest chastiel ! » Et il lour rent lour salu et les beneist toutes ensamble, et elles li vont entour faisant la gringnour joie del siecle. Et il est si esbahis de la joie que elles li font qu'il ne set qu'il doie dire. Et elles le vont toutes voies convoiant et dansant et ballant aprés lui et devant. Et quant il est venus pres dou pont, il voit issir de laiens bien dusques a .XX. chevaliers viestus et apparilliés moult richement seur grans destriers, et le salue chascuns et li dist : « Sire, bien viegniés ! » Et il les encline tous. Et li seneschaus dou chastiel s'acoste a lui et le conduist par mi la porte. Et li chevaliers li demande : « Sire chevaliers, je vous pri que vous me dites pour coi ches damoisieles me font si grant joie et tel feste. - Sire, pour la joie que elles ont de chou que elles vous verront ja jouster au chevalier de la tour de l'isle. - Voire ? fait il. Et elles, que sevent que je voelle jouster ? - Sire, se vous ne volés jouster, si le vous couvient il faire, car teuls est la coustume de cest chastiel que nus estranges chevaliers n'i vient que il ne couviegne jouster au signeur de cele tour. » Et lors li moustre la tour, qui seoit en mi lieu de l'isle. Et cel ille estoit trop biaus et trop cointes, et la tour trop bien seant qui estoit fremee en mi lieu. Et cil a .II. espees dist au senescal : « Onques cortoise gent n'establirent ceste coustume, que elle est assés et mauvaise et vilainne. Car quant uns chevaliers errans vient de lontainnes terres lassés et travilliés de grans jornees, quidiés vous qu'il soit si aaisiés de combatre maintenant com sera li chevaliers de la tour qui ne fera fors que reposer ? Certes, se li errans estoit li mieudres chevaliers dou monde, quant il se combat en tel point, si ne m'esmervilleroie jou mie s'il estoit outrés. Iceste chose ne di je mie, che sachiés vous, pour moi, car je ne sui ne si lassés ne si travilliés, ains me plaist bien autant li combatres comme feroit li reposers, mais je le di pour la coustume, qui est la plus malvaise et la plus vilainne que je veisse piecha mais en lieu ou je venisse. - Sire, fait li seneschaus, ensi l'establirent nostre ancisseur, si ne remanra pas a no tans, si coume je cuic. »
Ensi vont par mi le chastiel parlant, avoec les damoisieles qui encore faisoient aussi grant joie comme elles avoient fait au commenchement, tant que il vinrent a la riviere et trouverent la nef toute apparillie u li chevaliers devoit entrer. « Sire, fait li seneschaus, vostre escus ne me samble mie moult boins. Se il vous plaisoit, je vous feroie autre aporter qui millours seroit. » Et il respont che veut il bien, si tent son escu a un varlet. Et cil le prent, si s'en vait od tout grant oirre el chastiel. Et maintenant l'en raporte un autre et li dist : « Tenés, sire, cestui, qui me samble qui vaille miex que li vostres ne faisoit. » Et il le prent et met a son col et entre en la nef od tout son destrier, si armés qu'il ne li faut riens. Et li marronnier sont apparillié, qui commenchent a nagier pour mener la nef outre. Et lors saut avant une puciele et dist au chevalier, qui ja se partoit de la rive : « Sire chevaliers, chou est tout de la mesqueance que vous avés vostre escu cangié : se vous l'eussiés a votre col, vous n'i morussiés hui, ains vous reconneust vostre amis et vous lui. Mais ceste mesqueance vous envoie Diex pour le fait que vous fesistes chiés le roi Pellehan en lieu de venganche, si n'est mie la venganche si grans comme li fais le requesist, che vous mande Merlins par moi. »
Quant il entent ceste parole, il est moult effraés, a che que il connoist partie de chou que celle li dist. Et che l'espoente encore plus que Merlins li mande que chou est venjanche del meffait que il fist chiés le roi Pellehan, si vaudroit avoir dounet le monde, s'il estoit tous siens, par si qu'il ne fust onques entrés ou chastiel, car orendroit li fait compaignie paours, qui onques mais ne pot en son cuer entrer. Et neporquant ce le rasseure moult qu'il se sent sain et delivre et fort et legier et preu as armes, si pense bien que miex veult il metre tout por tout et morir, se a morir couvient, que il fesist chose qui a couardise venist. Et d'autre part li redoune grant confort che que on li dist que il n'a garde fors d'un seul chevalier, et il se sent a si preu et a si manier d'armes qu'il ne cuide pas qu'il ait un seul chevalier el monde qui dusques a outranche le peust mener ne dusques a mort qu'il ne refust aussi mal atornés ou pis qu'il ne seroit.
En tel penser demoura tant que la nef arriva en l'isle, et pensoit encore moult durement a che que la damoisiele li avoit dit. Et li marounier metent le cheval fors de la nef et dirent au chevalier : « Sire chevaliers, que pensés vous ? Li pensers ne vous i vaurroit riens. Par mi la bataille vous en couvient aler. » Et il se dreche erramment et dist que pour la bataille ne pensoit il mie, si s'en passe par mi la nef et se saingne a l'issir fors. Lors garde a ses armes qu'il n'i faille riens et restraint son cheval au miex qu'il puet. Puis prent son escu et sa lanche, si monte et regarde viers le chastiel et voit les murs et les crenniaus tous vestus de dames et de damoisieles, qui estoient montees pour la bataille veoir. Et il les maudist toutes et tous ichiaus qui le chastiel maintienent et tous cheus qui ceste coustume establirent et qui la maintienent, car che est la plus mauvaise et la plus desloial dont il onques mais oïst parler. « Et se Damediex me consaut, fait il, s'il plaisoit a Damedieu que je de ceste bataille eschapaisse vis, je feroie encore destruire le chastiel et tous chiaus qui i habitent, car elle ne fu onques acoustumee de vaillant gent. »
Chi endroit dist li contes que ensi parloit li chevaliers a soi meismes. Se li tarde moult qu'il soit a la bataille venus, puis que par el n'en puet passer. Et ne demoura gaires qu'il voit issir de la tour un chevalier moult cointement armé d'unes armes vermelles, et ses escus fu vermaus et sa lanche et toutes ses armeures, mais ses chevaus estoit plus blans que nege. Si issi de laiens tout le petit pas montés, si bien apparilliés qu'il ne li faloit riens que chevaliers deuust avoir. Et quant il voit chelui a .II. espees, il tourne la teste de son cheval et se joint sour son escu trop biel et trop avenanment. Et quant cil a .II. espees le voit, il li souvient maintenant de son frere, qui plus biel et plus cointement s'apparilloit au jouster que nus autres ne seust faire. Ensi li dist ses cuers vraies nouvieles de son frere maintenant, si tost coume il le vit. Et il estoit bien voirs disans ses cuers, car sans failles chou estoit ses freres, si s'entre fuissent conneut erramment, se ne fuissent les armes qu'il avoient changies.
En tel maniere s'entrevinrent li ami carnel et li frere germain comme annemi mortel, en guise de bestes forsenees, si grant oirre comme il pueent des chevaus traire, les lanches baissies, et s'entrefierent si durement qu'il font les escus perchier et troer as fers des glaives, mais li hauberc sont si fort et si tenant qu'il n'en pueent maille fausser. Il furent ambedui de si grant forche, si font les glaives voler em pieches. Apriés se hurtent des cors et des escus si durement qu'il s'entreportent a la terre tout enviers, si estonné et si dequassé qu'il n'i a chelui qui ait pooir de soi relever de la terre d'une grant pieche, ains gisent tout coi aussi coume s'il fuissent mort. A chief de pieche tous premiers releva cil de la tour, car assés estoit mains dequassés au cheoir que ses freres ne fust. Si met le main a l'espee comme cil qui estoit vistes et legiers et s'appareille de son frere assaillir. Et quant li autres le voit venir, il n'est pas asseur, si s'esforce pour paour de mort et se drece plus vistement que uns autres ne fesist qui ensi fust quassés. Si met le main a l'espee et giete l'escu seur sa teste. Et ses freres, qui jeta de haut, li douna si grant cop qu'il li abat un grand cantel de l'escu par desous, et li caus descent aval, si trenche del pan del hauber .Vc. des mailles. Et cil a .II. espees ne le respargne de riens, ains li donne par mi le hyaume tout a descouviert si grant caup que li hyaumes n'est si durs qu'il ne face l'espee dedens entrer plus d'un doit en parfont, si que chis devient tous estourdis de la carge del caup.
Ensi commenchierent li dui frere la bataille entr'eus deus grant et miervilleuse, si s'entrecoururent sus souvent et menu. Et il furent ambedui plain de grant proueche et de grant orguel, et se sentoit chascuns dedens soi si grant bonté de chevalerie que li uns ne prisoit riens l'autre. Et neporquant il s'entredoutoient tant que che estoit une merveille, qu'il s'entretrouvoient de si grant forche as cos douner et rechevoir que li uns connissoit bien de l'autre qu'il n'estoit pas aprentis de cel mestier. Et pour chou n'i avoit nul d'eus qui se desroiast de caus geter, ains se gaitoit chascuns et se couvroit au miex qu'il savoit, ne ne getoient mie si souvent comme il peuussent. Et neporquant se li Chevaliers as .II. Espees se sentist aussi sain comme il estoit au coumenchement, il ne redoutast de riens son compaignon. Mais il se sentoit blechié et quassé del dur cheoir qu'il ot pris au commenchement, et pour chou se gardoit plus et cachoit tant que che venist viers la fin. Et ses freres, qui estoit plus jovenes de lui et plus grans et plus reposés, giete sour lui grans cols et pesans et moult le haste de grant maniere. Et cil ne l'espargne de riens, ains li redonne souvent de l'espee trenchant si grans cols que cil est tous anuiiés del recevoir. Si dure tant li premiers assaus, ains qu'il fachent nul samblant del reposer pour reprendre lour alainnes, qu'il n'i a chelui a cui il ne pere bien de lour mestier. Car li hyaume sont quassé et malmis et li cercle rompu, et li escu sont estroé et depechié et escantelé et par dessus et par desous, et li hauberc sont desmaillié et dessevré et desrous en chantex, et li cors des vassaus sont malmis et empirié et navré si durement que li sans lour keurt par pluiseurs liex. Et ja sont a che mené as espees trenchans que li plus sains a teuls .VII. plaies ou cors dont uns autres hom en cuideroit bien morir. Et la place ou il se combatoient estoit toute couverte que de sanc, que des mailles de lour haubers, que des pieces et des chantiaus des escus. Et neporquant par mi la grant haine qui entr'eus deus estoit les estuet il reposer ou il voelent ou non, car maugret eus lor couvient il lour alainnes reprendre. Et pour chou se traist li uns ensus de l'autre et metent lour escus devant eus et s'apoient dessus. Et n'i a nul d'eus qui parole die, ains regarde li uns l'autre et s'esmiervellent ambedui, cil de la tour de chou qu'il a trouvé si boin chevalier, car il ne cuidast pas k'en tout le roiame de Logres euust chevalier qui si longement se peust tenir em bataille comme chis a fait ; ne li autres ne cuidast pas que cil de la tour eust enduré che qu'il a fait : as cols que il a hui gietés cuidast il bien avoir occhis le gringnour gaiant del monde. Et pour chou prise li uns l'autre tant qu'il ne se porent plus entreprisier.
Quant il se sont tant entreprisié et reposé qu'il porent auques avoir lour alainnes reprises, li Chevaliers a .II. Espees prent tout premiers son escu et s'espee et li autres fait autretel, si recommencent l'assaut si mortel et si perilleus que nus ne les veist qui pitié n'en euust, pour qu'il seust comment il estoient boin chevalier. Et se il s'estoient devant navré et empirié, encore se menerent il pis a celle fie. Car a che que li hauberc sont ja desmailliet et desrompu et li escu si apetechié qu'il ne valoient gaires se petit non, il s'entreferoient a descouvert sour les chars nues, mais che n'estoit pas durement, qu'il ne pooient a che qu'il avoient ja tout perdu lor pooirs et lour effors. Et se il fuissent d'aussi grant force adonques comme il avoient esté au commenchement, la bataille fust tost finee a chou qu'il estoient aussi comme desarmé. Mais il n'avoient orendroit tant de pooir que il s'entreblechaissent gramment, car il avoient si dou tout perdue la forche et le pooir que a painnes se pueent il soustenir ne tenir lor escus et lour espees. Ne che n'estoit pas grans merveilles, car il s'estoient entre mené as espees trenchans, ferant une eure cha et l'autre la, qu'il n'avoit chelui qui n'euust .IIII. plaies morteus que ou chief que ou cors. Et che fu la chose qui plus tost lour fist laissier la bataille.
Tant dura la mellee des .II. freres en tel maniere comme je vous devis qu'il ne porent plus souffrir en nule guise. Et li premiers qui se retraist de la bataille, che fu cil de la tour. Et la ou il se retraioit teuls atornés qu'il ne se pot plus soustenir ne tenir s'espee, il dist a son frere : « Ha ! sire chevalier, vous m'avés mort, mais che ne poés vous pas dire que vous m'aiiés vaincu. » Et cil a .II. espees respont : « Sire chevaliers, tout autretel vous redi je : vous m'avés mort sans recouvrier, mais vaincu ne m'avés vous mie. Si est che damages de vostre mort, car certes vous estes li mieudres chevaliers que je onques encontraisse. Si en ai moult encontrés que j'ai outrés et vaincus, mais seur tous vous en doing jou le los et le pris, car vous estes li plus merveilleus. Mais vous poés bien dire que mal veistes cest los que je vous fais, car vous en estes mors. Et je repuis bien dire que mar vous vic, car vostre prouece m'a mort. Mais pour Dieu, ains que je soie a ma fin venus, me dites, se il vous plaist, vostre non, si que je sache qui m'a mort. - Certes, fait il, volentiers le vous dirai. Saichiés que jou ai a non Balaans et sui freres au millour chevalier que on sache orendroit el monde, c'est li Chevaliers a .II. Espees. Chis sera assés dolans de ma mort quant il le savera. »
Quant chis entent que c'est ses freres qui devant lui est, il est tant dolans qu'il se pasme de l'angoisse qu'il a au cuer e chiet tous enviers arrieres. Et li autres qui le regarde cuide qu'il soit mors, si se traine dusques a lui, car il n'avoit pas tant de poissanche que il i alast en estant. Se li deslace le hiaume et li oste de la teste et li abat la ventaille, si trueve qu'il avoit .III. plaies ou chief si grans et si parfondes que mires n'i eust mestier, car trop estoient morteus. Il le regarde assés longement, mais onques ne le pot reconnoistre, car il avoit le viaire taint de sanc et de suour et les iex clos et enflés et la bouce plainne de limon et d'escume toute ensanglentee. Et quant il revint de pasmisons, il dist : « Ha ! biau frere, quele mesaventure chi a ! Je sui cil as .II. espees dont vous parlés, qui vous a occhis, et la mesqueanche i est si grans que vous me ravés mort. Maleoit soit la coustume de cest chastiel et tout cil qui l'acoustumerent, car il nous estuet morir devant nos jours ! » Et quant li autres entent que chou est ses freres, il a duel trop grant, si respont : « Sire, puis que je vous ai mort par mesconnissance, nus ne m'en doit blasmer ne vous aussi, car sans faille miex ne me poiiés vous connoistre que je vous. Mais sans faille che poons nous bien dire que onques si grant mesqueanche n'avint a .II. freres coume il nous est avenu. Et nepourquant grant confort nous doit estre chou que nous sommes entre trové a la mort, car tout aussi comme nos cors issirent d'un vaissiel, aussi reseront il en un vaissiel mis, en cest liu meismes ou nous sommes orendroit, si que apriés nos mors nous verront veoir li preudomme et li boin chevalier qui plainderont nos mesqueanches pour la boine chevalerie et pour les biaus fais qu'il orront conter de nous. » Et lors commenchierent ambedui a plourer moult tenrement et dient ensamble : « Ha ! Diex, pour coi avés vous souffert que si grant mesqueanche et si grans mesaventure nous avenist ? »
Endementiers qu'il plaingnoient ensi lour mort et leur mesaventure vint entr'eus une dame de bel aage qui estoit dame et dou chastiel et de la tour et dou païs tout environs. Si manoit cele dame en l'isle dedens la tour si assiduelment que elle ne se remuast ja d'illuec ne n'avoit en sa compaignie que .VI. serjans et .VI. damoisieles, qui tous tans la servoient, et un chevalier tant seulement. Et l'i avoit enserré en tel maniere uns chevaliers au commenchement, qui se doutoit de li. Et quant il l'i ot enserré, elle li demanda : « Sire, pour coi m'avés vous ichi mise ? - Por chou, fait il, que je voel estre asseur que nus ne viegne a vous fors moi. - Vous doutés dont vous, fait elle, de moi ? - Oïl, fist il. - Encore me douc je de vous plus, fist la dame. - Et je ferai, dist il, canques vous me commanderés, et lors ne vous en douterés plus. - Fiancié le moi, fait elle. » Et il li fiance erramment. « Or sui je, fist elle, asseur, car vous m'avés fianchié que jamais a mon vivant ne vous remuerés de ceste tour, ains me ferés compaignie et de nuit et de jour. » Et cil, qui souspris estoit de li, dist que che voloit il bien. Ensi remest li chevaliers en la tour avoec la dame. Et quant il i ot demouré demi an, se li anuia moult de che qu'il avoit les armes entrelaissies dont il se soloit entremetre. Lors fist venir devant li chiaus dou chastiel et lor fist jurer sour sains que jamais chevaliers errans ne trespasseroit parmi le chastiel qu'il ne fesissent passer en l'isle pour combatre a lui. Et s'il trouvoit auchun qui d'armes le peust conquerre et outrer, il voloit bien qu'il l'ochesist et qu'a chelui remansist la dame. Et veult que la chose fust a chou menee que jamais de l'isle n'issi chevaliers se mors non. Et le fist ensi jurer a tous chiaus de la ville que ensi le maintenroient apriés sa mort.
Quant la dame vint devant les chevaliers et elle les vit si deplaiiés et navrés, elle fu moult espoentee. Et Balaans li dist : « Ha ! dame, pour Dieu, dounés moi un don qui ne vous sera de riens grief ! » Et elle li doune moult volentiers et il l'en merchie moult, et puis li dist : « Dame, vous m'avés donné que en ceste pieche de terre ou nous gisons orendroit ferés vous metre nos cors bel et hounerablement aprés chou que nous serons devié, en tel maniere que li uns sera avoec l'autre en une sepulture. Et savés vous, dame, pour coi je le vous requier que nous soions en un vaissiel mis ? Pour chou que nous issimes d'un vaissiel, che fu dou ventre nostre mere, car bien sachiés qu'il est or mes freres germains et je sui li siens. »
Quant la dame entent ceste parole, elle en est or moult dolante, car elle voit bien qu'il estoient ambedui moult boin chevalier, si li otroie moult volentiers et pleure de pitiet qu'elle en a. Lors apiele sa maisnie qui estoient a la porte de la tour et cil i vinrent erraument. Et elle lour dist qu'il desarment les chevaliers et les portent en la tour et lour fachent toute l'aise qu'il porront. Et il les desarment tantost. Et quant cil a .II. espees fu desarmés, il dist a la dame basset : « Dame, onques ne me faites remuer de chi, mais mandés moi tost le chapelain et aport avoec soi mon Sauveur, car je me muir. » Et li autres freres requiert tout autretel. Et la dame apiele les maronniers qui estoient a l'autre rive et lour dist qu'il aillent querre le prouvoire, si fera la droiture a ces .II. chevaliers qui se muerent. Et cil font errament tout chou que la dame lour commande, si passent le prouvoire en l'isle tout garni de chou que li chevalier demandent. Et quant il orent lour droiture tele que chevalier crestiien doivent avoir et il orent crié merchi a lour Sauveour de lour pechiés et de lour mesfais, il disent a la dame : « Dame, pensés si de nous ensi comme vous nous avés creanté, que nous soions enterré en ceste place meismes. » Et elle lour respont tout em plorant chis couvenans lor sera bien tenus.
Apriés ceste chose perdirent li dui frere la parole, qu'il ne fu nus puis qui lour oïst mot sonner. Si durerent en vie tant qu'il fu eure de viespres, et lors trespasserent, li plus jovenes avant et li ainnés apriés. Tout cil del chastiel se firent passer en l'isle pour veoir ceste merveille. Et quant il sorent qu'il estoient frere, si disent que moult avoit chi grant dolour quant cil doi preudomme s'estoient entrochis. Il prisent une lame la plus riche que il porent trouver ou païs et misent dedens et l'un et l'autre en cele place meismes ou il avoient esté mort et firent escrire le non dou plus jovene dessus la lame droit as piés, mais de l'autre ne savoient il que faire, car il ne savoient pas son non. Et en che qu'i le demandoient li uns a l'autre ne nus n'en savoit assener son compaignon, vint Merlins entr'eus, qui lour dist : « Laissiés ester ceste chose, car a vous n'en affiert plus. Vous en avés bien fait chou que a vous en apartient. »
Or il se traient arriere por veoir que cil feroit qui parloit si faitement. Et il ala droit a la lame ou li doi frere estoient mis et commenche a entaillier au chief dedens la pierre meismes lettres qui disoient : « Chi gist Balaain, li Chevaliers a .II. Espees, qui fist de la Lanche Venceresse le Cop Dolereus par coi li roiames de Listinois est tornés a dolour et a essil. » Quant Merlins ot che fait, il demoura en l'isle .II. mois et plus et fist illuec enchantemens assés diviers. Et dalés la tombe estora un lit si estrange que nus n'i puet puis dormir qu'il n'i perdist le sens et le memoire en tel maniere qu'il ne li souvenist ja de chose qu'il eust devant fait tant comme il demourast en l'ille. Et dura chis enchantemens dusques tant que Lanscelos, li fius le roi Ban de Benoïc, i vint. Et lors fu li enchantemens de cel lit deffais, ne mie par Lanscelot, mais par un anelet que il portoit, qui descouvroit tous enchantemens. Et cel anelet li avoit douné la Damoisiele del Lac, si coume la grant hystore de Lanscelot le devise, cele meisme ystoire qui doit estre departie de mon livre, ne mie pour chou qu'il n'i apartiegne et que elle n'en soit traite, mais pour chou qu'il convient que les .III. parties de mon livre soient ingaus, l'une aussi grant coume l'autre. Et se je ajoustaisse cele grant ystore, la moienne partie de mon livre fust au tresble plus grant que les autres deus. Pour chou me couvient il laissier celle grant ystoire qui devise les oevres de Lanscelot et la naissance, et voel deviser les .IX. lignies de Nasciens tout ensi coume il apartient a la haute escriture del Saint Graal, ne n'i conterai ja chose que je ne doie, ains dirai mains assés que je ne truis escrit en l'ystoire dou latin. Et je prie a monsigneur Helye, qui a esté mes compains a armes et en joveneche et en viellece, que il pour l'amour de moi et pour moi un poi allegier de cele grant painne prenge a translater, ensi comme je le deviserai, une petite branke qui apartient a mon livre, et sera celle branke apielee li Contes del Brait, miervilleusement delitable a oïr et a raconter. Ne je ne l'en sevraisse ja se je ne doutaisse que li livres fust trop grans, mais pour chou l'en departirai jou et li envoierai. Et je le connois a si sage et a si soutil que je sai bien qu'il l'avera tost translaté, s'i veult metre un poi de painne, et je li pri qu'il l'i meche. Mais or laisserai atant la priiere, car se Dieu plaist et lui, il le fera ensi que je li requier, et revenrai a conter partie de che que Merlins fist en l'isle.
Quant Merlins ot fait le lit et les autres merveilles que je ne vous puis pas ichi deviser, car bien vous seront ramenteues el conte quant tans et liex en sera, il prist l'espee que Balaains avoit aporté et en osta le poing et maintenant en i mist un autre. Et quant il l'i ot mis, il dist a un chevalier qui devant lui estoit : « Ore essaiiés se vous porriés empoingnier cest poing. » Et cil i essaie, si i faut d'assés et Merlins en commencha a rire. Et cil li demande de coi il rist. « Je ris, fait Merlins, de che que vous le cuidiés empuingnier. - Pour coi ? fait cil. Fust che tele merveille se je l'empoingnaisse ? - Oïl voir, fait Merlins, car il n'a orendroit chevalier el monde qui empuignier le peust. - Et venra jamais, fait li chevaliers, en cest lisle homme qui empoingnier le peust ? - Oïl, fait Merlins, un seul, et cil avera a non Lanscelot et emportera de chi ceste espee et en ochirra le chevalier del siecle qu'il avra plus amé. » Aprés escrit lettres el poing qui disoient : « De ceste espee morra Gavains. » Et ces lettres qu'il escrit adont trouva puis Gahariés, li freres Gavain. Et quant il les vit et reconnut, il torna tout a fable et cuida que che fust menchongne. Mais puis en ochist Lanscelos Gavain apriés la mort Gahariet, si comme la vraie ystoire le devise vers la fin de nostre livre.
En tel maniere fist Merlins en cel lisle grant partie de cel enchantement, si que maint chevalier qui puis vinrent qui le voloient outrer par forche et par proueche s'en tinrent a honni et a decheu. Et quant Merlins i ot fait grant partie de ses voloirs, il s'em parti et laissa l'isle en tel maniere. Et encore fist il plus, car il i fist un pont de fer qui n'avoit mie demi piet de lé et tenoit de l'une rive jusques a l'autre. Et dist que par chou porroit on connoistre les hardis chevaliers, car nus, s'il n'iert trop hardis, n'avra ja cuer de passer outre par dessus cest pont. Au cief del pont par deviers le chastiel, la ou li passages commenchoit, fist il metre un perron de marbre. Dedens cel perron embati il une espee par enchantement et delés l'espee mist le fuerre en tel maniere qu'il vous fust avis qu'il ne tenist a riens et que on le peuust avoir trop legierement, mais non peuust. Apriés fist el poing de l'espee lettres mervilleuses qui disoient : « Chis qui premiers essaiera ceste espee oster de chi premiers en sera navrés. » Et tout ensi coume il dist avint il un poi apriés chou que Galaas li tres boins chevaliers fu venus a la court le roi Artus, car Gavains essaia tout premiers par le los de son oncle et tous premiers en fu navrés, si comme l'estore le devisera apertement. Aprés escrit el perron mesmes unes autres lettres qui disoient : « Ja ceste espee ne sera de chi ostee fors par la main le millour chevalier del monde ne ja nus ne s'en haatisse d'oster la s'il ne se sent au millour chevalier de tous, car il li meskerroit. » Lors empaint le perron et le met en l'iaue. Et fist tant illuec de ses enchantemens que li perrons ala puis flotant par dessus l'iaue moult longement et fu veus en maint païs, et ala tant de liex en liex lonc tans qu'il vint puis a Camalaoth et arriva au port de la chité le premier jour que Galaas vint a court.
Quant il ot che fait et encore assés d'autres mierveilles que je ne vous puis mie chi raconter, car il n'est ne liex ne tans, il s'en parti et dist a cheus dou chastiel qu'il voloit que cest ille soit apielee l'Isle Merlin. Et disent cil que si seroit elle. Se ne fu onques nus puis si hardis qui ne l'apielast ou l'Isle Merlin ou l'Isle des Merveilles. Et quant il ot che fait, il s'em parti et erra tant qu'il vint a Carduel, ou li rois Artus sejournoit a grant compaignie de gent. Et trouva que li rois Artus avoit nouvielement fait Baudemagus chevalier, et en faisoient tout cil de la court moult grant joie et moult grant feste, car c'estoit li plus amés jovenes hom et li plus prisiés et de sens et de cortoisie qu'on seust en toute le court.
Quant Merlins fu venus a court, assés trouva qui joie li fist, car tout amoient moult sa venue. Li rois dist : « Merlin, que ferai jou ? Mi baron me voelent chascun jour blasmer et vont blasmant et honnissent de chou que je ne prenc feme. Que m'en loés vous ? Car sans vostre conseil n'en feroie jou mie, ains en voel dou tout ouvrer par vostre conseil et en vostre los, aussi comme mes peres. - Sire, fait Merlins, il ont droit se il le vous loent, car il est bien raisons que vous aiiés des ore mais feme. Mais ore me dites se vous en savés nulle qui vous plaise plus que autre, car si poissans hom comme vous estes doit bien avoir feme a son plaisir. - Oïl, fait li rois, jou en sai une qui moult me plaist et cele aim je. Et se je n'ai cele, je n'avrai ja feme. - En non Diu, fait Merlins, puis que vous l'amés, se vous ne l'avés, dont ne puet onques riens Merlins. Ore me dites dont qui est elle et je irai pour li querre, mais vous me baillerés compaignie. - Che est, fait il, Gennevre, la fille le roi Leodegan de Carmelide, cil qui tient en son ostel la Table Reonde, que vous estorastes entre vous et mon pere, le roi Uterpandragon. Et celle Gennevre est orendroit la plus vaillans damoisiele et la plus biele et la plus loee de toutes celles que je sace es isles de mer. Et pour chou la voel jou avoir. Et se je ne l'ai, je n'avrai jamais feme.
- Certes, fait Merlins, de la biauté a la damoisiele dites vous voir, car chou est la plus biele que je sache orendroit ou monde. Et se vous ne l'amissiés, encore vous fesisse je prendre une autre que je vous loaisse miex, car si tres grans biautés coume elle a puet bien nuire auchune fois. Et non pourquant un jour sera encore que sa biautés vous aidera tant que vous en recheverés terre a tel point que vous la cuiderés del tout avoir perdue. » Et che dist il por Gaalehot, qui devint ses hom liges et li rendi sa terre la ou il l'avoit toute gaaingnie, et tout che fist il pour l'amour de Lanscelot. Li rois n'entendi pas cele parole que Merlins li dist adont, car trop estoit obscure, si avint elle puis tout ensi que Merlins li devisa, si comme l'ystoire le conte qui de l'estore dou Saint Graal en parole et est devisee. Et Merlins redist au roi : « Sire, puis que Gennevre vous plaist si durement, il ne faut fors que vous me bailliés compaignie, se l'irai querre en Carmelide. » Et li rois dist qu'il li baillera si grant comme il li osera ne savra deviser, si eslit cent des chevaliers de son ostel et escuiiers et vallés a grant plenté li baille. Et Merlins muet erramment od toute sa compaignie et tant vait que par mer que par terre qu'il vint au roi Leodegan. Se li requiert sa fille a oes le roi Artus a moillier, si en fera roine del roiaume de Logres et de maint autre païs.
Li rois Leodegans fu moult liés de ceste nouviele, si respondi erraument a Merlin, ne encore nel connissoit il mie : « Diex fache hounour au roi Artus, car il me fait si grant hounour que je ne l'en osaisse mie requerre. Il puet prendre ma fille et de moi et de mon roiaume faire toute sa volenté, car certes je n'och onques si grant joie de chose que je veisse que jou ai de ceste nouviele. Ma terre li donroie jou, se il voloit, mais je sai bien qu'il n'en a nul mestier, car, Dieu mierchi, il en a assés d'autre. Mais che que je miex aimme li envoierai jou, chou est ma Table Reonde. Mais elle n'i est mie toute, ains s'en faut .L. chevaliers, qui puis sont mort que li rois Uterpandragons trepassa de cest siecle. Et jou en eusse ja mis .L. que jou avoie esleu, mais uns preudom hermites me dist que je ne m'en entremesisse ja de metre les .L.. “ Pour coi ? fis je. - Pour chou, fist il, que elle cherra prochainnement en la main d'un tel preudomme qui miex le maintenra que vous ne ferés. Et chis i asserra .L. des plus preudommes, que vous ne troverés en vostre païs. ” Ceste parole me dist li preudom et pour chou laissai jou en tel maniere la table qu'il n'i a orendroit que .C. chevaliers de .C. et .L. qu'il en i doit avoir par conte. - Certes, fait Merlins, c'est voirs. Tant en i doit il avoir, si i seront assés tost mis, se Diu plaist. Car elle venra ore en tel main qui la maintenra en gringnour pooir et en gringnour force que elle ne fu onques, et en si haut afaire le metera et en si grant renoumee anchois k'il muire que apriés lui ne verra si hardis qui l'ost emprendre a maintenir. - Diex li doinst si maintenir, fait li rois Leodegans, qu'il i ait preu et hounour ! »
Lors furent mandé tout li .C. chevalier qui estoient compaignon de la Table Reonde. Et quant il furent venu, li rois lour dist : « Signour, vostre compaignie est entour moi descreue de .L. chevaliers, che me poise ne je n'en sui mie de si grant affaire ne de si grant pooir que je en i osaisse metre nul. Mais pour chou que je vous aim tous autant que se vous i fuissiés tout et g'eusse chascun engenré de ma char et voel que vostre hounours croisse et ament des ore en avant vous envoierai jou a tel houme qui bien vous porra maintenir. Et je sai bien qu'i le fera volentiers et qu'il vous amera autant comme li peres aimme le fil. Et il a tant de preudommes en son ostel et tant en i repaire en sa court qu'il porra aisiement trouver .L. preudommes esleus chevaliers qu'i metera en vostre compaignie, si que li drois nombres de la Table Reonde, qui doit estre de .C. et .L. chevaliers, sera parfais en son ostel, que je nel porroie mie parfaire en tout cest païs. - Sire, font cil, qui est chis qui vous tant loés et qui est si poissans ? - Che est, fait il, li rois Artus. » Et il tendent tuit lour mains vers le chiel et dient : « Ha ! Diex, beneois soies tu, quant tu tel pere nous as pourveut a avoir ! Chis nous sera voirement boins peres et nous maintenra comme ses fiex. Ciertes, nous ne prions Dieu fors qu'il nous mesist entre ses mains. - Ore i venrois orendroit, se Diu plaist. Diex li doinst forche et pooir qu'il vous puist maintenir a hounour de lui et de vous ! »
Trois jours sejorna laiens Merlins, lui et sa compaignie. Quant che vint au departir, li rois ploura moult plus pour les compaignons de la Table Reonde qu'il ne fist pour sa fille, si les baisa chascuns par soi et sa fille apriés. Et s'il i ot nul biel jouiel ne nule biele envoiseure, sachiés qu'il les envoia au roi Artus. Atant se departirent del roi li message qui la damoisiele enmenoient et orent en lour compaignie ichiaus de la Table Reonde. Si errerent tant qu'il vinrent ou roiaume de Logres et oïrent dire que li rois sejornoit a Londres. Il chevauchierent cele part. Et quant il furent auques pres, Merlins manda au roi qu'il venoit o tele compaignie : bien se gardast qu'il venist encontre liement et a grant feste. Et quant li rois oï parler que li compaignie de la Table Reonde venoit a sa court pour demourer avoec lui, il en fu tous liés, car il ne desirroit riens del siecle autant com che qu'il les eust en sa compaignie. Lors issi de Londres a tout grant gent et ala encontre, si les rechiut tous a moult grant hounour et si grant joie lour fist et si grant feste k'il se tenoient a boin euré de che qu'il estoient cele part venu. Li appareus des noches fu fais et li termes mis et li jours nommés que elles seroient. Et Merlins dist au roi : « Rois, eslis de toute ta terre les .L. millours chevaliers que tu i savras. Et se tu ses auchun povre chevalier preudomme de cors et de vasselage, ne laisse mie pour sa povreté que tu ne l'i mettes. Et se auchuns qui soit bien gentius et de haut lingnage i veult estre et il ne soit tres boins chevaliers, garde que tu ne sueffres ja qu'il i soit, car uns seuls, puis que il ne seroit de si grant chevalerie, houniroit et abaisseroit toute chevalerie de la compaignie. - Merlins, fait li rois, vous connissiés miex chascun que je ne fais, et les boins chevaliers et les mauvais. Vous meismes eslisiés cheus que vous cuideriés qui miex en soient digne. - Ore soit, fait Merlins. Et puis que vous dou tout vous en metés sour moi de cest affaire, je l'achieverai en tel maniere que ja n'en devrai estre blasmés. Et je les avrai tost esleus si qu'il seront mis en lour sieges le jour que vous ferés vos nueches : en tel maniere sera la feste doublee de vos nueches et de che que la haute table sera enterine. »
Lors manda li rois par son roiame tous les preudommes qui de li tenoient terres qu'il venissent au jour nommet en la terre de Camalaoth a la feste de sa feme. Et cil i vinrent au plus esforchiement qu'il porent. Et quant il i furent venu, li rois dist a Merlin : « Pensés de la Table Reonde. - Si ferai je », fait Merlins. Et lors commencha par laiens a eslire les chevaliers, cheus que il connissoit a plus preudommes. Et quant il en ot esleu jusques a .XLVIII., il les mist a une part et lour dist : « Des ore mais convient il que vous vous entramés et vous tenés chiers comme freres, car pour l'amour et pour la douchour de cele table ou vous serés assis vous naistera es cuers une si grant joie et une si grant amistiés que vous en lairés vos femes et vos enfans pour estre l'un avoec l'autre et pour user ensamble vos joveneches. Et nonpourquant ja vostre table ne sera a mon tans dou tout parfaite ne assoumee devant que a cest lieu se venra asseoir li boins chevaliers, li mieudres des boins, chis qui metera a fin les perilleuses aventures del roiame de Logres la u tout li autre faurront. » Et lors vint as .C. et .L. sieges de fust que li rois Artus avoit fait faire tous nouviaus, si vint au siege d'en mi lieu et le moustra au roi Artus et a tous les autres qui laiens estoient, chevaliers et dames, et lour dist : « Veschi le Siege Perilleus : aiiés le bien en memoire apriés ma mort que je ensi l'ai apielé. » Li rois demande a Merlin : « Merlin, pour coi l'avés vous apielé perilleus ? - Sire, por chou qu'il i a si grant peril que ja chevaliers ne s'i asserra qu'il n'i muire ou qu'il n'i soit mehaigniés jusques a tant que li tres boins chevaliers venra qui metera a fin les tresmiervilleuses aventures dou roiaume de Logres. Cil s'i asserra et reposera, mais che ne sera mie lonc tans. - Et coument avra il non ? dist li rois. - Che ne vous descouverrai je pas, car vous n'i gaaignieriés riens se vous orendroit le saviés, mais tant vous di je bien que chius de qui il istera n'a pas encore .II. ans d'aage. - Dont ne sera che a piece, che dist li rois, que chis chevaliers viegne qui doit cesti siege acomplir. - Voirs est, che dist Merlins. Je endroit de moi me tenisse a boin euré se je peusse chelui jour veoir que che sera acompli, car en cest païs avra adont joie si grant que devant ni aprés n'avera autretel. Et entre chelui jour et l'autre ou tu orras novieles de ton grant duel avra grant terme. Mais aprés chelui que je te devis ne viveras tu mie longement, car li grans dragons que tu veis en ton songe te metera en destruisement. - Ore m'avés bien paiiet, Merlin, fait li rois, qui en ma grant joie me ramentevés mon grant duel ! - Je le fais, che dist Merlins, pour chou que se en toutes tes grans joies te souvenoit de cele dolereuse jornee, tu en seroies plus humelians vers ton Creatour qui en ceste hauteche te mist ou tu ies et plus t'en douteroies, si em pecheroies mains que tu ne feras. »
Ensi dist Merlins au roi. Et quant il ot esleus les .XLVIII. chevaliers, il apiela les autres .C. et lour dist : « Veschi vos freres que je vous ai esleus. Et Nostre Sires meche pais et concorde entre vous aussi comme il fist entre ses apostles. » Et lors les fist tous entrebaisier. Et apiela les evesques et les archevesques del païs et lour dist : « Il couvient que vous poursingniés et benissiés ces sieges ou cil preudoume serront, et il en est bien drois, que maint chevalier de haute vie et de glorieuse et a Dieu et au siecle s'i asserra encore. Pour chou est il bien drois que vous le lieu benissiés, et Nostre Sires par sa grasce et par sa douchour, s'i li plaist, le saintefiera. » Lors fist les chevaliers asseoir cascun en son lieu et fist metre par devant eus la Table Reonde. Et li archevesques de Cantorbile fist sour eus maintenant la beneichon, et li autre clergiés firent orisons et priiere a Nostre Signour que il des ore en avant les tenist en boine pais et en boine concorde aussi coume frere germain pueent estre et doivent.
Quant li clergié orent che fait, Merlins fist drechier les chevaliers et dist : « Il couvient que vous faciés houmage au roi Artus qui est vostre compains de ceste table. Et quant vous li avrés fait hommage, il vous jurra sour sains que il des ore en avant vous maintenra a si grant hounour coume il porra tout son eage. » Et il respondent que de che faire sont il tout prest. Si se drechierent erramment et s'en alerent viers le roi por lui faire houmage. Et en che qu'il avoient lour sieges vuidiés, Merlins regarde cha et la et trueve en chascun siege le non de chelui qui assis i estoit. Et disoient les lettres : « Chi doit seoir cil et chi endroit doit seoir chis autres. » Et ensi estoit singniés chascuns sieges, ne mais chis d'en mi lieu et li darrainniers : en ces deus n'avoit encore nului assis. Et quant Merlins vit les lettres, il dist as barons qui laiens estoient : « Par foi, signour, merveilles poés chi veoir bien apertes, que a Nostre Signour plaist que ensi soient assis chil preudoume comme nous les avons ordenés, car il i a en chascun siege envoiiet le non tout escrit de celui qui i doit seoir. Beneoite soit l'ore que ceste oevre fu commenchie, car de cest signe ne puet venir se tres grant bien non ! »
Quant cil del palais oïrent ceste nouviele, il coururent cha et la par les sieges pour veoir se chou estoit voirs. Et quant il aperchiurent ce, il disent : « A Nostre Signeur plaist ceste compaignie et grans biens en avenra. Beneois soit par cui conseil ele commencha, car tous li roiaumes de Logres en sera cremus et redoutés tant comme li vaurront estre a un acort ! » Ceste chose tinrent a grant merveille tout li sage houme et disent que se che ne fust chose qui a Nostre Signeur pleust, ja tel merveille ne fust avenue. Et li compaignon de la Table Reonde vinrent maintenant devant le roi et li firent hommage. Et il les rechiut comme ses houmes de par sa terre et coume ses hommes de par la Table Reonde. Et il en estoit compains ensi comme li autre, car Merlins l'i avoit mis pour la bonté de chevalerie qu'il sentoit en lui et l'avoit assis droit au commenchement de la table.
Quant ceste chose fu ensi faite, Gavains, qui estoit biaus damoisiaus, vint au roi son oncle et li dist : « Sire, je vous requier pour Dieu que vous me doingniés un don. » Et il li otroie, se che est chose que il puisse avoir. « Sire, grans merchis, fait Gavains, ore m'avés moult servi a gré. Et savés vous de quoi ? De chou que vous me ferés chevalier au jor de vostre grant joie, au jour que vous espouserés le vaillant Geneuvre. » Et li rois dist que che li plaisoit bien puis que il le veult.
Chelui soir veilla Gavains a la maistre eglyse de Saint Estevene de Camalaoth et avoec lui jusques a .X. autres damoisiaus que li rois devoit tous faire chevaliers pour l'amour de Gavain son neveu. A l'endemain, si tost coume li rois fu levés et li baron commenchierent a assambler el palais, atant es vous venir sour un maigre et las ronchin trotant un vilain qui amenoit un sien fil, jovene enfant de l'aage de .XV. ans, sour une povre jument. Il vint el palais, tout ensi montés coume il estoit, entre lui et son fil, et se mist entre les barons et ne trouva houme qui la porte li contredist. Et il coumencha a demander li quels est li rois Artus. Et uns vallés saut avant et li moustre. Et cius s'en vait dusques pres de lui, tout ensi montés coume il estoit, et ses fius aussi, et cil salue le roi et dist oiant tous cheus de la court :
« Rois Artus, a vous m'envoie la boine renommee qui keurt de toi et pres et loing, car tout dient communaument que nus ne vient si desconsilliés a toi que tu nel conseilles ne nus n'est si hardis de toi demander auchun don que tu ne soies aussi hardis dou donner, pour coi tu soies poissans d'avoir chou que on te demande. Et pour ceste nouviele que on m'en a dite sui je venus a toi, que tu me doingnes un don tel que je le te demanderai. Et saches que chis dons ne te puet riens nuire. » Li rois regarde le vilain qui si sagement parole, si s'esmiervelle que il veult requerre. Et li vilains li dist toutes voies : « Rois, me donras tu ce por coi je sui cha venus ? - Certes oïl, dist li rois, pour coi je soie poissans dou douner. » Et cil si saut errant de son ronchin et li vait baisier le pié, et autressi fist ses fiex, et l'en merchient ambedui. Lors dist li vilains au roi : « Sire, savés vous que vous m'avés douné ? Vous m'avés douné que vous ferés hui en cest jour mon fil chevalier que vous veés ichi et li chaindrés l'espee au costé anchois que a Gavain vostre neveu. » Et li rois li otroie tout sourriant et dist : « Je le te doing, mais je te pri que tu me dies qui t'a douné cest conseil, car il me samble que tu ne deusses pas baer a si haute chose coume est chevalerie ne tes fiex ne s'en deust ja entremetre. - Certes, fait li preudom, aussi me fait il, mais mes fiex qui chi est m'en parole, voelle ou non. Car a ma volenté ne baast il pas a si grant chose comme est ceste, ains fust hom labourans coume sont si frere et vesquist de son travail aussi coume font si autre parent. Mais il onques pour chose que je li desisse ne s'i veut consentir ne acorder fors a estre chevaliers. » Li rois dist que ceste chose tient il a grant merveille. Et puis redemande au vilain : « Di moi ton estre et quans enfans tu as. » Et cil respont : « Sire, je le vous dirai. Saichiés que je sui uns laborans de terre et main ma charue, et en labourant et en cultivant ma terre aquier jou le vivre et le soustenement de mes enfans. - Et quans enfans as tu ? dist li rois. - Jou en ai .XIII.. Li .XII. labeurent pour lour vivre et se tienent a ma maniere, mais icil ne s'i veult acorder en nule guise, ains dist qu'il ne sera se chevaliers non. Ne sai dont chis corages li puet venir. » Et lors commenchent tout a rire li baron dou palais qui ceste parole entendirent. Et li rois, qui moult estoit sages, ne tient mie ceste chose a gas, si dist au varlet : « Biaus amis, veuls tu estre chevaliers ? » Et cil respont : « Sire, il n'a riens el monde que je desire autant comme estre chevaliers de vostre main et estre compains de la Table Reonde. - Or te fache Diex preudomme, dist li rois, que tu bees a gringnour chose que ti autre frere ne font. Certes tu ne me requiers chose que je ne te fache. Et je cuic que se gentillece ne te venist d'auchune partie, ja tes cuers ne te traisist a si haute chose comme a chevalerie. Ore doinst Diex que il soit bien emploiié, car il n'i avra hui chevalier chaiens fait devant que tu le soies. » Et li vallés l'en merchie moult.
A ches paroles vint laiens Gavains et si compaignon. Et quant li rois les vit, si les apiela moult biel et lour dist : « Venés avant et aportés reubes et dras et armes et espees. » Et lour fist tous vestir reubes, et le vallet avant et Gavain et les autres aprés. Et au tans de lors estoit coustume en la Grant Bretaigne que quant on faisoit chevalier nouviel, on le viestoit tout de blanc samit, et puis le hauberc desus, et li metoit on l'espee en la main. Et en tel maniere aloit il oïr le messe, en quelconques lieu que il fust. Et quant il l'avoit oiie et il s'en devoit venir, adont li chaignoit cil l'espee qui chevalier le devoit faire. En tel maniere coume lors estoit coustume furent atorné li nouviel chevalier. Et adont estoit li jors que li rois Artus devoit espouser sa feme et li chevalier de la Table Reonde se devoient entrefiancier que il ne faurroient li un as autres, ains s'entreporteront loial compaignie tant coume il viveront. Li rois fu apparilliés et la roine aussi et tout li nouviel chevalier et li autre, si alerent en tel maniere a la maistre eglyse a tel joie et a tel feste que je ne vous savroie tenir parole de gringnour. A cele feste ot rois et dus et contes tant que che ne fu se merveille non. Et fu chelui jour la roine Gennevre sacree avoec le roi Artus en la chité de Camalaoth et porterent ambedui couroune. Et a chelui tans estoit la roine Gennevre la plus biele damoisiele que on seust en tout le monde. Et quant la messe fu chantee et il furent issu del moustier et venu ou palais, li rois demande au vilain : « Comment as tu non ? - Sire, j'ai a non Arés li vachiers. - Et tes fiex, comment a non ? - Sire, il a a non Tor. - Ore avra a non, dist li rois, Tor, li fiex a Arés. » Si le dist a tel eure que puis ne li chaï chis nons. Et lors prent l'espee que chis portoit et li donne la colee. Et sachent tout cil qui ceste ystoire escoutent que li premiers hom qui donna colee a chevalier nouviel, che fu li rois Artus. Quant il ot au vallet dounee la colee, il li chainst l'espee au costé et dist : « Nostre Sires te fache preudomme, car je le vaurroie moult, se Diex m'aïe. » Et lors saut avant Merlins et dist : « Sire, preudom sera il et boins chevaliers, et il le deveroit estre par lignage, car certes il est fiex de si haut homme coume de roi, qui est uns des boins chevaliers del monde. » Et lors dist au vilain : « Vilains, moult ies chaitis, qui cuides que che soit tes fiex. Certes il ne l'est pas, et se il le fust, il n'entendist pas a gentillece, nient plus que si autre frere font, ains fust drois vilains aussi coume sa nature l'i aportast. Mais se tu ne veuls dire au roi qui il est fiex, je li dirai, car je sai aussi bien coume la chose avint coume tu le ses. » Et quant li vilains ot que Merlins parole si hardiement, il en devint tous esbahis, si ne set que dire. Et Merlins li dist toutes voies : « Ou tu diras quels fiex il est u je le dirai, car je sai vraiement que tes fiex n'est il mie, et tu meismes le ses bien. » Et lors parole Tor, li fius a Arés, et dist a Merlin : « Biaus sire, se je sui ses fiex ou je ne le sui, a vous k'en tient ? Se je le sui, je le voel bien, et se je ne le sui, por coi faites vous honte a ma mere ? - Biaus sire, fait Merlins, elle ne puet pas avoir moult grant honte en che que je li met sus, car cil dont je tieng la parole est rois sacrés, et avoec cele gentillece est il uns des boins chevaliers qui piecha portast armes en cest païs. - Qui que il soit, fait li nouviaus chevaliers, je vausisse bien, s'il vous pleust, que vous vous en tenissiés de parler a ceste fois. - Et je si ferai », fait Merlins.
Atant fist li rois de Gavain son neveu chevalier, car il li chainst l'espee au costé et a tous les autres compaignons aussi. Et quant il les ot tous fais chevaliers, lors commencha maintenant par laiens la joie et la feste. Et dirent auchun de Gavain pour chou que biel et apiert le veoient : « Cil vengera encore son pere, se il vit longuement, de chelui qui l'ochist. » Chelui jour furent assis a la Table Reonde cil qui compaignon i estoient et furent tout li lieu empli ne mais deus, li Sieges Perilleus et li daerrains sieges. Car il commenchierent a servir as tables et li rois demanda a Merlin : « Merlin, encore n'avés vous mie tout fait, che me samble, que chis daerrains liex est viex et atent son signour. - Or ne vous esmaiiés, fait Merlins. Quant il plaira a Nostre Signour, il sera emplis, mais je ne le lais ore mie a emplir pour chou qu'il n'ait chaiens assés de boins chevaliers, mais pour chou qu'il doit definer ensi qu'il commenche. Il commenche par roi et par roi doit definer. Vous estes rois et boins chevaliers et seés el coumenchement ens ou premier lieu, et je meterai el daerrain aussi boin chevalier ou millour comme vous, et ensi coumenchera par haute personne et finera par haute, et ensi le doit faire si haus liex coume est cil de la Table Reonde. » En tel maniere souffrirent chelui jour de chelui lieu, et firent si grant joie et si grant feste en la chité de Camalaoth que tout li povre homme et li riche n'entendoient fors a faire joie et feste.
A l'endemain, un poi devant la grant messe, vint a la court tous montés li rois Pellinor, et descendi, et ala en une des chambres de laiens, puis revint el palais viestus moult biel et moult richement. Et la ou il vit le roi Artus, il s'en vait agenoillier devant lui et li dist : « Rois Artus, je sui cha venus pour veoir ta feste, ta joie et ta grant hounour. Et saches que je te pris et lo sour tous les rois que je sache orendroit el monde. Et certes, se tu ne fesisses a prisier et a loer, et Nostre Sires ne te mesist en la grant hounour u il t'a mis, mais il savoit bien que tu trespasseroies tous tes pers et de valour et de courtoisie. Et pour chou que je connois vraiement que tu seras li plus vaillans des rois crestiiens qui a ton vivant soient sui je venus a ta court pour toi faire hounour. Et ses tu de quoi ? De che que je te ferai hommage et devenrai orendroit tes hom voiant tous tes barons pour chou que tu t'en fies des ore en avant en moi et soie tes privés. » Et maintenant li tent le penne de son mantiel. Et saut avant Merlins et dist au roi Artus : « Ha ! sire, rechevés le et mierchiiés le de ceste grant hounour que il vous fait, car certes il ne le fesist mie se il ne li pleust, et saciés que il est aussi gentius hom comme vous estes et rois comme vous. » Et li rois le rechoit maintenant et se dreche encontre lui et l'assiet dalés soi et le merchie moult de ceste chose. Et lors parole Merlins si haut que tout cil dou palais le porent entendre : « Signour compaignon de la Table Reonde, or soiiés liet et joiant et bien saichiés que en cest jour d'ui sera vostre table toute enterine, ne mais dou Siege Perilleus. » Et il en beneissent tout Damedieu, ne il ne savoient encore pas qui Merlins i vaurroit metre, car assés avot rois ou palais, si ne savoient dou quel il voloit dire.
Ore dist li contes que a heure de disner, quant les tables furent mises, Merlins vint au roi Pellinor et li dist : « Venés apriés moi. » Et cil se dreche erraument et vint apriés Merlin. Et Merlins le mainne droit au siege de la Table Reonde et li dist : « Asseés vous ichi, car li lius est vostres. Et saichiés que je ne le fac mie pour chou que j'aie a vous gringnour amour k'a nul autre, mais pour chou que je vous tieng et connois a boin chevalier et a loial. » Et lors le fait asseoir ou siege. Et quant li rois Artus voit ceste chose, il dist a Merlin : « Certes, Merlin, voirement seroit il faus qui sour vous se vaurroit entremetre de ceste chose, car nus ne le peust faire si sagement ne si bien comme vous. Et ja Diex ne m'aït s'il a ore homme chaiens si bien digne de seoir en che lieu comme chis en estoit. » Et a ceste parole s'acordent tout cil del palais fors Gavain. Cil voirement, si tost comme il connut le roi Pellinor et on li ramentevoit chou qu'il avoit son pere ochis, il dist a Gahariet son frere : « Ha ! biau frere, tant poons avoir grant duel, quant nous veons chaiens estre a si grant hounour et a si grant hauteche chelui ki de ses mains ochist nostre pere le roi Loth ! - Biau frere, fait Gahariés, que volés vous que jou en fache ? Je sui encore vostre escuiier, si ne doi pas main metre a chevalier por chose qui aviegne. Et nepourquant, se vous le me loés, jou sui pres que jou l'aille orendroit occhirre voiant tous chiaus de laiens. Et jou en sui tout aaisiés, car j'ai une espee qui avant ier me fu aportee de nostre païs, la plus trenchans et la millours que je veisse piecha. Et certes je l'en avrai ja moult tost occhis, se vous vous i acordés, car il n'est riens ou monde que je hac si morteument que je faich le cors de lui. - Non ferés, biau frere, fait Gavains. Ensi ne le ferés vous mie, car se vous en lui metiés main tant comme vous estes escuiiers, vous n'averiés deservi a prendre hounour de chevalerie. Mais a moi qui sui chevaliers en laissiés prendre la venjanche, et je vous di que je la prenderai si haute coume fiex de roi doit faire de chelui qui son pere occhist. - Et comment le baés vous a faire, biau frere ? fait Gahariés. - Je bee, fait il, tant a attendre qu'il soit partis de ceste court. Et quant il s'en partira, jou ira apriés et le siurrai une jornee ou deus. Et si tost comme je le trouverai seul, qu'il n'i avra fors moi et lui, et s'il est armés, je l'asaurrai ; et s'il est desarmés, se li ferai jou prendre armes. Et je me sench si sain et si legier et si preu de mon cors que je ne porroie ja cuidier qu'il euust duree viers moi. Et se il plaisoit a Dieu que je venisse au dessus, je ne lairoie pour tout l'or de cest siecle que je ne li trenchaisse le chief aussi comme il fist a mon pere, si comme on me dist. » Et Gahariés dist : « Je ne lairoie en nule maniere que je ne l'ochesisse orendroit, se vous ne me creantés que vous n'irés pas sans moi en cest affaire, si que je peusse la bataille veoir de vous deus. » Et il li creante coume freres, et lors laissent ceste parole atant.
Moult fu grans la joie que li baron dou roiame de Logres firent en la chitet de Camalaoth. Li grans palais ou li rois tenoit ses nueces estoit en tel maniere assis qu'il seoit el chief de la chité par deviers le grant forest, pres d'un bois a .II. archies, et tout entour a la reonde estoit il enclos de gardins grans et miervilleus, aussi haus et aussi espés comme che fust une forés. Et en che que li rois se seoit au disner et il avoient par laiens pres que mengié, Merlins dist : « Signeur baron qui chaiens estes, ore ne vous mouvés pour chose que vous veés, et je vous di que vous verrés ja avenir chaiens .III. des mervilleuses aventures que onques veissiés. Et pour chou qu'il n'en avra nulle chaiens achievee doins jou le don a .III. chevaliers des chevaliers de chaiens qui les achieveront. Si avera Gavains le premiere a mener a chief, Tor li fius a Arés avra la seconde, li rois Pellinor avra la tierche. Et saichiés que chascuns endroit soi vendra bien a chief de la soie. » De ceste parole s'esmiervillierent moult tuit cil de la sale. Et en che qu'il parloient entr'eus, il voient venir parmi le gardin un chierf les grans saus et un braket apriés, et aprés venoit une damoisiele a tout .XXX. muetes de chiens, si les avoit tous descouplés et les aloit huant et esmovant apriés le chierf. Li chiers estoit tous blans et li brakés autresi tous blans, mais tout li autre chien estoient noir. Mais de la damoisiele vous puis jou bien dire que c'estoit une des plus bieles damoisieles qui onques fust entree en la court le roi Artus. Et elle estoit viestue d'une roube verde assés courte et avoit pendu a son col un cor d'ivoire, et tenoit un arc en sa main et une saiete, et estoit trop bien apparillie en guise de veneresse. Et elle venoit aussi grant oirre coume elle pooit traire de son palefroi ou elle seoit, si grant noise faisant que che n'estoit se mierveilles non. Quant li chiers aprocha de la court, il se feri dedens et nel laissa pour houme nul, et li brakés aprés. Et li chiers se feri outre et se remet en la grant sale ou li chevalier estoient assis as tables. Et lors li saut li brakés et aert le cierf par derriere en la quisse et le tient si fort qu'il enporte la pieche. Et quant li chiers se sent navrés, il se lanche outre par dessus une table. Et lors saut avant uns chevaliers qui laiens mengoit, si prent le braket et vint a son cheval qui estoit en mi la court et monte sus, et s'en vait a tout le braket si grant oirre coume se tous li mons le cachast, et vait disant a soi meismes que bien a faite la besoigne pour coi il vint a court. Et quant la damoisiele, qui derriere venoit, en vit son braket porter, elle dist a chelui qui l'enportoit : « Sire chevaliers, miex le vous venist laissier que porter l'ent, car vous le renderés maugré vostre ! » Et il ne li respont onques, ains s'en vait toutes voies. Et la damoisiele en entre ens ou palais entre les chevaliers, ki tout estoient esbahi dou chierf qui s'en estoit par mi eus passés, et tout li braket s'en aloient aprés lui et s'en estoient saillis par mi tables et par mi chevaliers, si qu'il s'estoient ja mis el gardin par de l'autre part del palais et ravoient coumenchié lour cache. Et quant elle ne trueve ne le chierf ne les brakés, elle s'arrestut aussi coume toute esbahie et jete jus son arch et ses saietes et demande li ques est li rois, et on li moustre. Et elle descent maintenant et vint devant lui et li dist : « Ha ! rois Artus, je me plaing trop malement et de vous et de vostre ostel ! Car jou i ai premierement perdu mon braket que je n'amoie pas petit et sui destourbee de siurre et les brakés et le chierf que je cache, que jou eusse pris en poi de tans, et ore en sui si eslongie que je ne sai quel part il est tornés. Tout cest damage, rois Artus, m'est avenus par vostre ostel, pour coi je me plaing a vous meismes. Ore i parra coument vous le me restorrés ! »
Lors saut avant Merlins et dist : « Damoisiele, or vous souffrés atant, car assés en avez dit, et je vous di que ja ne perderés chaiens chose qui bien ne vous soit rendue. - Or muevent dont, fait la damoisiele, auchuns des chevaliers de chaiens qui aillent aprés le braket et apriés le chierf, car il n'ont que demourer, che m'est avis, s'i les voelent ataindre ! - Ha ! damoisiele, che dist Merlins, ore ne hastés les chevaliers si durement, que nulle haste n'i vaurroit riens. Car des ore mais avra en cest ostel tel coustume que pour aventure qui aviegne, se peril mortel n'i devoit avenir, ne se remuera chevaliers qui a table se sieche devant qu'il ait mengiet. Mais quant les tables seront ostees, lors porra li chevaliers ensiurre s'aventure, cil a qui elle sera jugie. Et je pri que li rois qui chi est en tiegne ceste coustume tant coume il vivra. » Et li rois li creante voiant tous ses barons k'i la tendra. Lors dist Merlins a Gavain : « L'aventure dou chierf est vostre, mais que vous aiiés mengié. Prendés vos armes et montés sour vostre cheval et sivés le chierf tant que vous l'aiiés pris, si en aportés chaiens la teste. Et gardés que nus des brakés ne vous faille quant vous verrés en ceste court, se il ne muerent en la cache, car autrement ne seroit pas l'aventure menee a chief. » Et li respont qu'il ne seroit jamais aise devant k'il se soit a la voie mis. Et Merlins redist a Tor : « Tor, prendés les armes si tost que les tables seront ostees et alés aprés le chevalier qui le braket emporte. Et gardés que vous ne finés jamais devant que vous aiiés le chevalier et le braket pris, ou mort ou vis. » Et cil dist que de cel commandement faire est il tout pres. Et lors dient li autre preudoume : « Ha ! Merlins, c'est pechiés quant vous ces .II. enfans metés si tost en aventure de morir ! - Signeur, fait Merlins, onques ne vous en esmaiiés. Je les connois moult miex que vous ne faites. Saiciés que chascuns venra bien a chief de s'aventure a l'aide de Dieu. »
En che qu'il parloient laiens de ceste chose, es vous un chevalier armé de toutes armeures, et fu montés sur un grant cheval blanc, et entra en tel maniere en mi le palais. Et la ou il voit la damoisiele, si se torne cele part tout ensi montés coume il estoit et la prent par les .II. bras et la monte sour le col de son cheval. Si se desfendoit elle au plus que elle pooit. Et quant cil l'ot monté en tel maniere, il se retorne viers l'uis de la sale et s'en issi fors, et puis s'en vait si grant aleure comme il puet traire del destrier. Et cele, qui s'en voit porter en tel guise, crie toutes voies : « Ha ! rois Artus, je sui morte et honnie par l'asseuranche que je avoie en toi et en ton ostel se tu ne fais tant que je soie ostee des mains de cel chevalier ! »
Ensi s'en vait li chevaliers qui la damoisiele enporte, et cele vait toutes voies criant au roi Artus qu'i la sekeure. Et lors dist Merlins as barons de la court : « O biel signour, ne vous est bien avenu chou que je vous avoie pramis de .III. aventures que je vous dis que chaiens avenroient hui en cest jour ? » Et il dient : « Merlin, qu'en dirons nous ? Vous en estes aussi voir disant coume vous estes de vos autres paroles. » Et Merlins dist maintenant au roi Pellinor : « Rois, qu'en dirés vous ? Iceste daarrainne aventure est vostre a achiever. Montés quant il vous plaira et alés apriés le chevalier et ramenés la damoisiele, et si le faites que vous i aiiés hounour. » Et il le mierchie moult de cest don et dist que il se metera a la voie au plus tost que il porra.
En tel maniere coume vous avés oï et chi et en autre liu commenchierent a venir les aventures en la court le roi Artus. Quant les tables furent ostees, Gavains vait prendre congiet a son oncle et a ses freres, et il li dounent tout em plourant, mais que Gahariés prie a son frere que il le laist aler avoec lui, si le servira comme escuiier, et il li otroie moult volentiers. Et Tor demande ses armes et on li aporte. Et quant il est armés, il demande congié a chelui que il tenoit a son pere et au roi et a tous chiaus de laiens. Et li rois Pellinor refait tout autretel. Si se partent en tel maniere tout troi de la court. Tor s'en vait la droite voie au chevalier qui le braket emporte, et Pellinor a chelui qui la damoisiele enmainne, et Gavains en va apriés le chierf la droite voie qu'il set. Mais ore en laisse li contes a parler de Pellinor et de Tor, et coumenche a parler de Gavain et des aventures ki li avinrent en sa queste.
Ore dist li contes que quant Gavains se fu partis de son oncle, il chevaucha grant oirre apriés le chierf entre lui et Gahariet son frere, qui li portoit son escu et sa lanche. Quant il furent issu de Camalaoth, il chevauchierent par deviers la forest viers un chastiel que on apieloit Anbe. Et quant il se furent mis dedens, il n'orent pas gramment chevauchié qu'il trouverent en une praerie .II. chevaliers qui se combatoient li uns a l'autre. Et tant avoit ja duré la mellee qu'il avoient ansdeus lour chevaus occhis et s'estoient entrenavré si durement k'il avoient moult pierdu de sanc. Et che n'estoit pas grant merveille, car il n'i avoit chelui qui n'euust .III. plaies u .IIII., grans et parfondes. Quant Gavains voit la bataille, il s'arreste pour savoir quel occhoison de haine i puet avoir entr'eus. Si les salue et lour dist : « Ha ! signour, je vous pri par hounour et par courtoisie que vous me dites pour coi vous avés entre vous .II. coumenchié la bataille. » Et il s'arrestent maintenant, et parole li uns d'eus et dist : « Par foi, che vous dirons nous bien. Il est voirs que nous soumes .II. frere, et chis que vous chi veés, qui est plus jovenes de moi bien .II. ans, dist qu'il est mieudres chevaliers de moi et qu'i doit miex entrer en une grant queste que je ne doi. Et je li contredis, si coumencha entre nous .II. par tel maniere la mellee qui encore n'est pas finee, ne ne sera devant que on porra apertement connoistre le millour. - Et pour quel queste, fait Gavains, mut ore celle grant guerre et ceste grant discorde entre vous deus ? - Che vous dirai jou bien, fait li chevaliers. Nous venions orendroit entre moi et lui d'un mien chastiel qui est pres de chi et aliens a Camalaoth pour veoir la feste del roi et de la roine. Et en che que nous trespassiens d'un chemin a autre, il avint chose que nous encontrasmes un chierf tout blanc qui .XXX. muetes de chiens cachoient, ne n'i avoit nului, ne chevalier ne veneor ne sergant nul aprés, ne houme qui de la cache s'entremesist fors les chiens. Quant nous veismes ceste chose, nous desimes entre nous que chou estoit des aventures qui estoient coumenchies a avenir en la Grant Bretaigne. Et je, qui estoie li aisnés, requis a mon frere qu'il m'otriast que je peusse siurre cele cache sans compaignie d'autrui. Et li dist que il ne m'otrieroit pas, mais il l'averoit, qui estoit assés mieudres chevaliers de moi. Et je dis que non estoit, et il dist qu'il le mousterroit bien se il le couvenoit a fait re. Si monterent tant entre moi et lui en tel maniere les paroles qu'il mist la main a l'espee et m'assailli, et dist que par tans seroit veus ki miex devrait entrer en une grant queste. Et quant je vic chou, je dis que je m'en desfenderoie, et il dist que che li plaisoit moult bien, si m'assailli erraument. Si a par tel maniere duré la mellee dusques a che point d'orendroit. Et avons tant de sanc perdu ambedui que la cache sera quite de nous quant nous nous partirons de chi, car nous avons gringnour mestier de reposer que de cachier. »
Quant Gavains entent ceste parole, il dist : « Par foi, signeur chevalier, ore n'oï jou onques mais parler de si fole gent coume vous estes, qui pour droit nient vous estes entrochis. Ore vous vaurroie jou requerre pour Dieu que vous me dounissiés un don qui tornera a vostre preu et a vostre hounour. » Et il li dounent erramment et il les en mierchie moult, et puis lour dist : « Vous m'avés fianchié et douné que li uns fianchera endroit de l'autre que jamais tant comme vous viverés guerre ne mellee n'avera entre vous deus, ains i avera boine pais et boine concorde des ore en avant, si coume doit estre entre deus freres. » Et il gietent maintenant a terre lour espees et lour escus et ostent lour hyaumes de lour testes et commenchent ambedui a plorer. Et dient li uns a l'autre : « Par foi, biau frere, a poi que je ne vous ai ochis et vous moi : li anemis a esté entre nous. » Si s'entrefianchent erramment chou qu'il avoient creantet, et puis dient a Gavain : « Sire, pour Dieu, dites nous qui vous estes. - Je ne le vous dirai pas, fait il, maintenant, mais se vous alés a la court le roi Artus et vous dites que chil a chi esté a cui Merlins douna la premiere aventure a avenir, on vous savra bien a dire men non, ne autrement ne le poés vous onques savoir a ceste fois. Mais, pour Dieu, itant me dites quel part vous veistes le blanc cherf aler, car pour cele aventure faire me sui je partis de court. » Et il li dient : « Sire, il s'en ala cele part. » Et il li moustrent la voie. Et il les commande a Dieu, si se part d'eus tout maintenant et chevauche par mi le forest tout le jour dusques pres d'eure de viespres, et puis vint en une valee parfonde ou il avoit une ewe assés lee, mais n'estoit pas parfonde. Il vint a l'eve pour passer outre, mais il n'i trueve ne pont ne planche. Et nepourquant, si tost comme il aperchoit qu'il n'i avoit nul peril et que l'iaue n'estoit mie parfonde, il se met dedens. Et maintenant voit de l'autre part de la rive un chevalier qui li crie : « Dans chevaliers, en ceste yaue ne vous metés ja se vous ne volés a moi jouster, car je gart le port que nus n'i puet autrement passer. »
Quant Gavains voit le chevalier qui li desfent le passage canques il puet, il n'en est pas gramment esmaiiés a chou que il le voit seul, si s'en vait toutes voies outre. Et quant cil le voit aprocier de la rive, si li laisse courre trestous ensi armés comme il estoit. Et Gavains se haste au plus tost qu'il puet d'issir fors pour chou que li chevaliers ne l'abache en l'iaue. Si n'en estoit encore pas tres bien fors quant li chevaliers le fiert si durement qu'il fait sa glaive voler em pieches, mais autre mal ne li fist. Et Gavains, qui se fu lanchiés dehors l'eve, le fiert si durement qu'il l'abat dou cheval a terre. Mais cil n'i fu mie longement, ains resaut sus et met le main a l'espee et dist que, pour chou se il l'a abatu, ne l'a il pas vaincu. « Coment ! fait Gavains, ne m'en puis je encore aler quites, se il me plaist ? - Nennil, fait cil, par droit, tant coume je voelle la mellee, et je la demanc, pour coi on vous tenroit a mauvais et a recreant se vous seur che vous en aliés. - Certes, fait Gavains, tu dis voir, ne je ne m'en quier jamais partir tant que li uns de nous deus soit mis a outrance. » Lors giete jus sa glaive, qui encore estoit toute entiere, et met le main a l'espee et veult courre sus a chelui, tous ensi montés coume il estoit. Et cil saut maintenant au glaive. Et quant il le tient, il dist a Gavain : « Ou vous descenderés a pié ou vous ferés occhirre vostre cheval, si serés lors dou tout avilenis ! - Certes, fait Gavains, tu dis bien et voir et tu m'as orendroit apris une cortoisie que je tenrai tout mon aage, car jamais tant coume je seroie a cheval n'envaïrai chevalier qui a piet soit. » Et lors descent maintenant et traist l'espee et giete l'escu sour sa teste et s'adreche viers le chevalier et li dist : « Tu me fais mal, tu me destourbes de ma queste siurre, et tu t'en repentiras, se Dieu plaist et je puis ! » Et lors amainne un caup de haut et le fiert de toute sa forche si durement que li hyaumes ne li escus ne le garandist qu'il nel pourfende jusques es dens. Et chius si chiet a la terre, qui estoit durement ferus. Teuls fu li premiers caus que Gavains fist, li fius le roi Loth d'Orkanie, apriés chou qu'il ot recheut l'ounour de chevalerie. Et quant Gahariés ses freres, ki avoec lui estoit, vit le caup, si s'en esgoï moult et dist : « Biaus freres, hautement avés coumenchié a ferir d'espee. Se vous tout dis en feriés si bien, encore seroit nostre pere vengiés de chelui qui l'ochist. » Et Gavains respont qu'il n'avra jamais joie devant qu'il l'ait vengiet. Lors vint a son cheval, si monte. Et quant il est montés, il dist a Gahariet : « Or ne sai jou quel part je doi siurre ma queste. - Je vous en trouverai moult tost la trache », dist li enfes. Et lors vait un poi avant et trueve les pas dou chierf et des chiens, et il les moustre a son frere et dist : « Par chi s'en vait li chiers et tout orendroit : je ne sai quel part il a demouré. Ore aprés ! » Et il se metent orendroit el train et s'en vont grant oirre aprés et se remetent en la forest espesse. Li jour estoient lonc coume en esté et li solaus chaus et ardans comme le jour de la Magdalainne. Si n'ot mie Gavains gramment alet entre lui et sen frere quant il oïrent les brakés qui glatissoient apriés le chierf et estoient assés pres d'eus. « Sire, dist Gahariés, or aprés, que nous soumes revenu a nostre trache ! » Et il fiert maintenant cheval des esperons et s'en vait aprés si grant oirre coume il puet. Et Gahariés ses freres le siut toutes voies, qu'il ne le laissera ne a piet ne a cheval.
Tant ont alé en tel maniere qu'il virent devant eus le chierf et les chiens, qui estoient si lassé que li pluiseur avoient laissié le courre et ja estoient recreu. Et nepourquant il n'en i avoit nul qui encore n'alast aprés. Et Gavains, qui les vint ataignant, les commenche a crier et a huer aprés le chierf. Et lors commenche li grans sons et la noise. Et li chiers se remet es saus au plus qu'il puet et commenche a fuir coume cil qui n'est pas asseur. Tant a li cierf fui et li chien cachié et Gavains feri des esperons entre lui et Gahariet qu'il issirent del bois par deviers destre. Et lors voient devant eus en une plaigne une forterece moult bien seant, close de murs et de fossés. Li chiers s'adrece celle part canques il onques puet et li chien aprés. Et li chiers, qui trueve la porte ouverte, se met dedens et s'adrece viers la sale et entre laiens. Et li chien saillent demanois, qui le cachoient si durement k'il l'orent tantost pris et l'abatirent en mi la sale. Et il i avoit ja tant de chiens venus k'il orent tantost le chierf mort et occhis. Et quant il l'orent mort, il le laissierent devant eus gesir et se couchierent tout entour, aussi coume pour lui garder.
Endementiers que il estoient en mi la sale en tel maniere issi d'une des chambres de laiens un chevalier tout armé, fors de son escu et de sa glaive. Et quant il trouva le chierf mort et les chiens tout entour, il commencha a faire trop grant duel : « Ha ! Diex, tant ai malvaisement gardé chou dont ma dame m'a ore tant priiet ! » Et lors traist l'espee et coumencha les brakés cachier fors de laiens et a occhirre cheus que il puet ataindre. Ensi coume il les aloit cachant, atant es vous Gavain venu entre lui et son frere. Et quant il vit le chevalier qui les brakés aloit occhiant, si li escrie : « Ha ! chevaliers malvais et recreans, ne touche les brakés ! Que Diex te doinst malaventure ! » Ne il ne cuidoit encore que il en i euust nul occis. Et cil dist a lui que ja por lui ne laira a cachier ne a ochire, car il li ont fait duel et courous et occhis dedens son ostel meesmes la beste el monde que il plus amoit. « Il ont fait chou que il deurent, fait Gavains, mais vous ne faites mie chou que vous devés, ains faites coume vilains chevaliers et mauvais que vous estes ! - Voire ? fait li chevaliers. Si estes vous teuls, qui ore me dites vilounie avoec le courous que jou ai et honte en mon ostel ! Par mon chief, il sera amendés, se je puis. Certes, ore vous asseure jou que pour pooir que vous aiiés n'enporterés vous le chierf de chaiens, ains i remanra et vous avoec, et tout vostre braket i morront. - Ne sai, fait Gavains, que vous ferés. De vos manaches m'est il peu ! » Si se met en la sale tout a cheval et descent et s'en vait droit au chierf et li cope le chief, et dist que cestui enportera il a court, qui qu'en poist. Et en che qu'il disoit ceste parole, il regarde par laiens et trueve .II. brakés occhis. Il en est trop courechiés et dist que il seront vengié, se il onques puet. Et lors voit issir d'une chambre le chevalier a cui il avoit premiers parlé, et fu apparilliés de toutes armes, mais tant en faloit que a cheval n'estoit il mie. Et la ou il voit Gavain qui regardoit les brakés qui estoient ochis, il li escrie : « Dans chevaliers, je vous deffi ! Et gardés vous de moi, que je ne fui onques mais autant dolans de venue de chevalier coume je sui de la vostre ! - Ne je ne poi, fait Gavains, onques autant haïr chevalier coume je faich vous pour mes brakés que vous avés ochis ! » Lors laisse li uns courre a l'autre l'espee traite et s'entredounent si grans caus comme il pueent amener des bras, si se detrenchent les escus et par desous et par dessus et se depechent les hiaumes et malmainent. Mais longement ne puet durer la mellee, car trop estoit Gavains plus vistes et plus legiers que li chevaliers n'estoit et trop dounoit plus pesans caus et plus souvent. Si mainne tant le chevalier que il ne puet plus endurer ne souffrir, ains li couvient a guenchir et a trestourner encontre l'espee. Et Gavains, qui moult le het, le siut toutes voies quel part qu'il aut et le tient si court qu'il li fait le sanc saillir de toutes pars a l'espee trenchant. Et cil, ki bien voit qu'il est en aventure et en peril de mort se il ne crie merchi, a che que il voit bien que en la fin ne porroit il durer, si est tant dolans que il vaurroit bien estre mors, par ensi que il ne li convenist a dire chose qui contre s'ounour fust. Et Gavains, qui moult le het durement, le mainne toutes voies ferant une eure avant et l'autre arriere. Si l'a tant mené que chis ne le puet ja plus endurer, car trop a ja pierdu dou sanc et est teuls atornés que a painnes se puet il soustenir ne tenir en estant, et la place estoit toute ensanglentee par ou il aloit, car assés avoit plaies et grans et parfondes.
Tant souffri li chevaliers que il ne pot en avant, ains chaï a terre tous adens. Et Gavains li saut sour le cors et l'ahiert par le hiaume si fort qu'il en derront les las, si gete le hiaume en sus de lui et li abat la ventaille por lui cauper le chief. Et quant cil se voit en si grant aventure et il set que sa teste est desarmee, il a paour de morir. Et pour la doutance crie il mierchi et dist : « Ha ! frans chevaliers, je te crie mierchi ! Ne m'ochi mie, car je me tieng a outré. Et se tu des ore en avant metoies main a moi, tu feroies trop grant vilenie, car chevaliers qui crie mierchi il doit mierchi trouver, s'il n'est repris de murdre ou de traïson. - Je n'avrai ja de toi merchi, fait Gavains, car tu m'as trop courechié de mes brakés que tu m'as ochis. - Se je ne truis en toi merchi, fait li chevaliers, puis que je le te demanch, on te devera tenir au plus desloial et au plus felon chevalier que onques portast armes. - Che n'a mestier, che dist Gavains. Ja pour chose que tu me dies n'escaperas, ains i morras orendroit. - Voire ? fait cil. Ore m'ochi dont, car ja plus ne t'en prierai, puis que merchi ne puis trouver. » Et il hauce maintenant l'espee por lui cauper le chief. Atant es vous une damoisiele qui estoit amie au chevalier. Et quant elle vit que Gavains tenoit son ami en tel maniere et qu'il li voloit cauper le chief, elle pense que miex veult elle morir que elle ne reskeue son ami de mort, si se lanche erramment devant le caup et se laisse cheoir sour son ami. Et Gavains, qui avoit ja si avanchié son caup qu'il ne le puet mais retenir, ataint la damoisiele par mi le col, si la fiert si durement au trenchant de l'espee qu'il li fait le chief voler par mi le palais. Et quant Gahariés voit chou, il s'escrie : « Ha ! frere, que esche que vous avés fait, qui ceste damoisiele avés occhise ! Certes ja chevaliers ne deust tel vilonnie faire pour courous ne por haine qu'il euust a homme né ! »
Quant li chevaliers qui desous estoit voit ke sa damoisiele estoit morte pour lui rescourre, il dist a Gavain : « Ha ! mauvais chevaliers recreans, ore avés vous bien moustré vostre nicheté, ki ceste damoisiele avés occhise por nient ! Certes ore ne m'en caut il se je sui occhis fors pour chou que je morrai par le main dou plus mauvais chevalier re creant et dou plus failli que jou onques veisse ! » Quant Gavains voit qu'il a a la damoisiele caupé le chief par tel mesqueance, il est trop dolans. Si se relieve de sus le chevalier et puis li dist : « Je ne t'ochirrai pas, puis que tu tiens a outré, mais il couvient que tu me fianches a aler a la court le roi Artus et illuec te meteras en la prison me dame la roine Geneuvre de par chelui qui ot l'aventure dou chierf en don. Et pour chou que on sache l'ochoison de nostre bataille couvient il que tu emportes od toi les .II. levriers que tu occhesis, l'un seur le col de ton cheval et l'autre derriere. Et voel que tu montes orendroit et te hastes de chevauchier tant que tu soies demain a court ains que li rois soit alés au moustier. - Ha ! sire chevaliers, saches que je n'ai mestier de chevauchier, car trop sui lassés et travilliés et trop ai pierdu del sanc, si cuic que il me couverroit remanoir entre voies. - Il couvient, fait Gavains, que tu le faces et que tu ensi le me fianches. » Et cil li fianche erramment, puis que il voit que autrement ne puet estre. Puis vint sour le cors de la damoisiele et commenche dessus a faire trop grant duel. Et quant il a son duel mené grant pieche, il monte seur un grant cheval que uns vallés li amena, et puis prent les .II. brakés et en met un devant et l'autre derriere en tel maniere que il ne puissent cheoir, puis se parti de laiens trop dolans et trop courechiés.
Et Gahariés, qui estoit encore devant le cors de la damoisiele et la regardoit, demande a son frere : « Que ferons nous ? Il est tart : remanrons nous chaiens ou nous en irons aillours ? - Nous demourrons hui mais, fait Gavains, et demain, quant il ajornera, nous nous partirons de chaiens et en irons a court, car il me samble que j'ai bien ma queste achievee, Dieu mierchi. - Ore demorrons, biau frere, fait Gahariés, puis qu'il vous plaist, mais moult me poise de ceste damoisiele que vous avés occhise par mesaventure. » Et il dist que autant l'en poise il ou plus. « Mais moult m'esmierveille, fait il, qu'en ceste fortereche, qui tant est biele et riche, n'a gringnour plenté de gent que nous n'i avons encore trouvé. - Il sont, fait Gahariés, en auchun des destrois de chaiens, car sans grant gent ne fu onques si riches herbagages com chis est. - Bien puet estre », che dist Gavains. Endementiers qu'il parloient ensi ensamble et Gahariés voloit desarmer son frere, il escoutent et oient laiens en la maistre fortereche un cor souner si hautement que on le puet bien oïr de toutes pars de demie liue loing. « Ja mar me querrés, biau frere, fait Gahariés, se vous n'estes venus a la mellee, ou pour le chierf que vous avés occhis ou por la damoisiele. Ore vous apparilliés de desfendre, car je cuic que li besoins est venus. » Et si tost coume il a ceste parole dite, il voient entrer par mi l'uis d'une des cambres dou palais .IIII. chevaliers tous armés, qui crient : « Ha ! Ha ! chevaliers felons et desloiaus, ciertes mal occhesistes la damoisiele : vous en morrés, et vous l'avés bien deservi ! Or vous gardés de nous, que vous n'en poés eschaper sans mort ! »
Quant il les voit sour lui venir, il n'est mie trop asseur, a che qu'il estoit assés las et travilliés et cil sont quatre, fres et reposé, et il est tous seus. Et neporquant il n'est pas esbahis, car moult estoit preus. Et pour chou qu'il ne le peussent damagier par derriere se traist il viers un mur et giete son escut sour sa teste et traist l'espee. E cil li courrurent sus tout .IIII. et l'assaillent de toutes les pars que il pueent a lui venir. Mais il se desfent si bien et se cuevre si sagement que che n'est se mierveille non. Et cil, qui morteument le heent, le tienent au plus court qu'il pueent et li donnent si grans cols sour son escu et sour son hiaume que che n'est se mierveille non. Et neporquant il se peuust bien desfendre une grant pieche encontre cheus, se ne fust uns archiers qui issi d'une des chambres de laiens et vint a la mellee son arch entesé, une saiete mise en la corde. Et la ou il voit Gavain qui faisoit son pooir de soi desfendre encontre cheus qui l'assailloient, il l'avise et trait a lui et le fiert si durement que li haubers nel garandist qu'il ne li meche par mi le brac destre le fer de la saiete od tout le fust. Et de tant li avint il bien qu'il ne le prist pas en l'os, mais de tant li meschei que li saiete estoit envenimee, dont il souffri puis ce di assés painne et dolours anchois qu'il en fust bien garis. Et si tost comme il se senti ferus, il gieta un cri et un plaing moult dolereus et moult angoisseus et dist : « Mors sui ! » Et lors est si dolereus dou brach que il ne le puet en haut drechier ne s'espee tenir, ains li chiet a terre. Et quant Gahariés voit chou, il prent une glaive et keurt a chelui qui ensi son frere avoit feru et le fiert de le glaive si durement qu'il li met par mi le cors, que li fers en pert de l'autre part et chiet a la terre, qu'il estoit a mort ferus. Et li autre chevalier avoient ja mis Gavain a terre et li ostoient le hyaume de la teste et li voloient cauper le chief, quant une damoisiele vint avant qui coumencha a crier : « Ne l'ochiés mie, mais em prison le metés dusques a tant que nous saichons qui il est, car teuls puet il estre que tous li ors dou monde ne le garandiroit que je ne le fesisse a duel morir. »
Ore dist li contes que quant li chevalier entendent chou que la dame lour a dit, il remetent lour espees en sauf et desarment monsigneur Gavain et li ostent la saiete del brach, et puis le metent en prison en une des chambres desous terre, qui estoit dalés le gardin, et Gahariet avoec lui. Et toute la nuit demourerent laiens li dui frere en tel maniere qu'il ne burent ne ne mangierent, ne Gavains n'en avoit nul talent, car trop se sentoit malades et dehaitiés. Onques ne dormi la nuit ne ne se fina de plaindre de le grant angoisse qu'il sentoit. Et quant li jours fu venus, que on pot veoir en la chambre ou il estoit, si regarda son brach et le vit enflé, qu'i estoit assés plus gros que la cuisse d'un homme. Et lors ot il moult grant paour, si le moustre a Gahariet et li dist : « Biau frere, je muir de dolour et d'angoisse. Ore poés savoir que cele saiete dont je fui ferus estoit envenimee. Et saichiés, se je n'ai prochainnement secours, je ne puis sans mort eschaper. » Et lors coumenche Gahariés a plourer moult durement, car il voit bien que ses freres est em peril de mort. Si li dist : « Biau frere, vous euustes mauvais conseil qui demourastes chaiens apriés chou que vous euustes vostre bataille finee. - Ore est ensi, fait il. Se Diex veult que je muire, je morrai, mais ja pour si pau faire de chevalerie comme j'a fait ne quesisse chevaliers estre. »
Endementiers que li dui frere parloient ensi, es vous la dame de laiens qui s'en vient a une feniestre dont on pooit bien parler a eus. Et quant elle entent qu'il se vont ensi dementant, il l'en prent moult grant pitié, a chou que elle voit que c'estoient jovene enfant et de petit aage, et si prise de chevalerie chelui qui chevaliers estoit sour tous chiaus que elle veist piecha mais. Et lors parole a cheus par mi la feniestre et lour dist : « Signour, vous estes mi prison et bien savés que vous m'avés tant fait que, se je voloie garder au mes fait, je vous feroie destruire par raison. Mais se vous avés esté fol et vilain de moi mesfaire en ma maison et trop outrageusement, je vous serai plus courtoise, car je vous osterai de ma prison et deliverrai, se vous me volés fianchier que vous ferés chou que je vous dirai. Et saiciés que je ne vous dirai chose ou on puisse veoir vostre honte ne riens que vous ne puissiés faire a ensient. »
Quant Gavains entent la dame qui parole si deboinairement, il li respont : « Dame, vous me samblés moult courtoise, et pour chou me meterai jou en aventure de faire vostre volenté, comment qu'il m'en doie avenir. - Certes, fait elle, ja maus ne vous en avenra. - Dont le vous fiancherai je », fait il. Si vient avant et tent sa main et celle em prent la fianche. Et quant Gahariés vient avant pour faire autel comme ses freres avoit fait, la dame li demande : « Estes vous chevaliers ? » Et il respont : « Dame, nennil. - Dont ne prenderai jou mie vostre fianche, fait elle, car je feroie vilounie, puis que vous n'estes fors escuiiers. » Lors fait l'uis de la chambre ouvrir, et cil issent fors et vienent deviers la dame. Et elle commenche moult durement a regarder Gavain, et puis li demande quans ans il puet avoir. Et il dist qu'il en a .XVIII.. « Certes, fait elle, assés estes jovenes. Et combien que vous en aiiés, se vous poés vivre par aage, je croi que vous serés uns des boins chevaliers dou monde. Mais ore me dites qui vous estes. » Et il dist que li rois Loth d'Orkanie fu ses peres. « Ha ! fait elle, vous estes niés le roi Artus et chis est vostre freres. - Dame, oïl voir. - Certes, fait elle, ore connois je tant de vous que je sai vraiement que vous ne poés faillir a estre preudoume, se vous vivés longement. Mais pour chou que vous avés trop mespris de ma damoisiele occhirre, car nus si gentius hom coume vous estes ne le deveroit faire, ore voel jou que vous faichiés en lieu d'amende chou que je vous deviserai, et si le vous commanch seur vostre fianche. - Dites, dame, fait il, je le ferai, ou soit m'ounours ou soit ma honte. » Et elle commande maintenant a chiaus de laiens qu'il li aportent ses armes, et il si font. Et elle le fait maintenant bien armer et biel et monter sour son cheval, et li fait baillier la teste del chierf por chou que elle veult bien que cil de la court sachent qu'il ait sa queste afinee. Et il l'a bailliet a Gahariet son frere. Et lors li demande la dame son non, et il li dist qu'il a a non Gavains. « Gavain, fait elle, il couvient que vous le cors de ceste damoisiele que vous avés occhise portés devant vous seur le col de vostre cheval dusques a la court. » Et il dist que che fera il, puis que elle le veult. Si le prent et le met devant lui. Et elle fait prendre la teste de la damoisiele et li fait par les treches liier entour le col. Et il sueffre volentiers canques il li font pour sa foi aquitier.
Quant il sont ensi apparilliet, la dame dist a Gavain : « Gavain, vous en irés ensi coume vous estes en tel maniere en la maison et en la court vostre oncle. Et quant vous i serés venus, vous meterés jus che que vous portés et manderés toutes les damoisieles des chambres la roine. Et quant elles seront venues, vous lour conterés tout en apert coument vous l'avés occhise et la cruauté que vous fesistes del chevalier quant vous le teniés desous vous que il vous crioit mierchi et vous nel daingniés escoter. Et chou que elles vous encarcheront pour amende de cest mesfait, je vous coumanch seur vostre foi que vous le fachiés. - Dame, dist il, si ferai jou, je le vous creanc comme chevaliers. » Lors dist a Gahariet : « Biau frere, comment porrons nous mener nos brakés a court ? Car se nous venions sans eus, nous n'averiemes pas nostre queste afinee. - Je vous baillerai, fait la dame, tant de mes vallés qu'i les merront bien. Et saichiés qu'il n'en i a nul a dire, ne mais cheus qui furent ochis, que li chevaliers emporte a court. » Et lors fait prendre les brakés et metre en laisses .II. et .II.. Et si tost com Gahariés tient les .II. premiers, il dist a la dame : « Dame, onques n'envoiiés serjant avoec nous, car j'enmenrai ces .II. et li autre les siurront volentiers, che sai ge bien. - Ore remaingnent, fait ele, puis que il vous plaist, car jou i envoiaisse deboinairement. »
Atant s'em part Gavains de la dame et se remet en sa voie entre lui et son frere. Si chevauchent tant en tel maniere qu'il sont venut a Camalaoth, ne onques ne descendirent devant qu'il vinrent devant le palais. Mais lors saut jus Gahariés de son cheval et met a terre l'escu son frere et le hyaume et la teste del cherf. Et li autre coururent a Gavain pour lui delivrer de la damoisiele qu'il portoit, si la metent jus et li avoec, et li ostent le chief qu'il avoit pendut a son col par les treches et puis le desarment. Et quant il voient le brach destre qu'il avoit si durement enflet, Merlins saut avant et dist : « Signour, ne soiiés a malaise de riens que vous voiiés : se Gavains est navrés, il garira bien. Je vous di qu'il l'a moult miex fait que vous ne cuidiés, car il a bien sa queste achievee. Et saichiés que ceste aventure poés vous bien tenir a une des aventures del Saint Graal, si en verrés des ore souvent avenir de plus crueus et de plus felonnes que ceste n'est. » Lors dist au roi : « Sire, faites avant venir ma dame la roine Gennevre et toutes les damoisieles, si orront qui envoia cha Gavain et pour coi il aporte ensi ceste damoisiele, car sans raison n'est che mie. » Et li rois mande maintenant la roine, et elle i vient a tout grant plenté de dames et de damoisieles. Et quant elles furent assises entre les chevaliers, Merlins parla et dist si haut que tout cil del palais le porent bien oïr :
« Rois Artus aventureus, ki fus concheus par miervelles et fus norris par aventure tel que chis qui te norrissoit ne savoit qui tu estoies, et quant tu venis jovenes enfes entre tes houmes liges qui ne te connissoient, Nostre Sires te connut bien et t'esleva par sa grasce dessus eus tous et t'en fist signeur ensi coume tu le devoies estre, et ensi fus engenrés par aventure et par aventure rechus tu ta couronne, car ensi plaisoit a Nostre Signeur, et saiches que tantes aventures et si mervilleuses ne te sont pas avenues pour noient, ains sont senefiances et commenchement de chou qui devoit avenir en ton ostel et en ta subjection et en maint autre lieu. Et pour chou di jou que tu dois estre apielés rois aventureus et tes roiames li roiaumes aventureus. Et saches que tout aussi que aventure te douna la couroune, aussi le te taurra elle. Toutes ces paroles que t'ai dites ne set nus hom morteus aussi bien comme je les sai, mais ore te dirai pour coi je le t'ai dit. Voirs est que je t'ai parlet des aventures qui avenront et chi et aillours, mais en quelque lieu que tu soies, en ton ostel en venra le reclaim. Et se meteront en painne et en travail li chevalier de ta court pour cerkier les aventures, et maint autre chevalier, a cui il meskerra souvent. Et assés i soufferront par maintes fois hontes et laidures et vilonnies, et seront souvent outré d'armes, car toute jour lour avenra, quant il seront lassé et travillié et il se deveront reposer, qu'il les estevera combatre as chevaliers qui seront frois et reposet, et pour chou seront il souvent outré. Mais pour chou que il ne porroit pas estre que en ces aventures siurre ne se mesissent auchun chevalier qui ne seront pas moult prisiet d'armes et il couvient, che ses tu bien, counoistre les bons des mauvais et hounerer chascun selonc chou qu'il est, pour chou te loc jou que, si tost que chevaliers se metera en queste des armes, que on li fache jurer, si tost coume il s'en partira de court, qu'il dira voir au revenir de toutes les choses qui li seront avenues et qu'il avra trouvé en sa queste, ou soit s'ounour ou soit sa honte. Et pour chou porra on connoistre le proueche de chascun, car je sai bien qu'il ne se parjurront en nulle maniere. - En non Dieu, fait li rois, Merlin, vous m'avés bien ensegniet, et je vous creanc que ceste coustume sera tenue en mon ostel tant comme je vivrai. - Encore vous di jou plus, fait Merlins : se li chevaliers ne jure au mouvoir de sa queste, si le faites jurer au revenir. - Si ferai je », che dist li rois.
Lors se retorne Merlins viers Gavain et li dist : « Gavain, je voel que vous nous jurés sour sains que vous nous dirés voir de toutes les choses qui vous sont avenues puis que vous vous partesistes de la court. » Et il le jure certainnement. « Ore dites », fait Merlins. Et il commenche a conter maintenant tout ensi comme li contes a devisé, qu'il ne laissa riens ne pour honte qu'il euust ne pour cruauté que on i peuust entendre. Et quant il a tout conté, Merlins respont : « Certes, Gavain, vous n'i avés de riens menti. Biaus fu li commenchemens de vostre chevalerie, se vous n'i eussiés folement ouvré de .II. choses. Et la dame qui cha vous envoia n'estoit pas fole, mais sage et courtoise. Et je pri ma dame qui chi est, la roine, premierement, et les dames ki avoec li sont que elles vous en doinsent tel penitanche de la dame que vous avés occhise que vous la tiegniés et que vous en soiiés tenus pour cortois de tenir le. Et je pri mon signeur le roi Artus qui chi est qu'il lour prie et qu'il lour commant. » Et li rois les em prie erraument pour chou qu'il voit que a Merlin plaist. Et la roine le commande a ses dames et a ses damoisieles que elles enjoingnent comme roi. Et celes vont a conseil pour ceste chose et revienent erraument, non mie que elles s'en entremesissent ja se pour la volenté dou roi et de Merlin ne fust.
Quant elles sont revenues de conseil, l'une d'elles parole oiant tous chiaus de laiens et dist a Gavain : « Por chou que en la damoisiele mesistes main si cruelment que vous l'ochesistes esgardons nous que vous orendroit jurés sor sains que jamais tant que vous viverés ne meterés main en damoisiele pour chose que elle vous die ne fache se vous ne veés peril de mort. Et encore volons nous que se damoisele vous requiert aide ne secours, que vous li aidiés, ne ja ne soit de si estrange lieu ne si mesconneue, se che n'est encontre vostre hounour. » Et il le jure erramment. Si le tient bien tout son vivant, car onques puis damoisiele ne le requist a cui il fausist d'aisdier, si estraigne ne fu ne de si lontaigne terre. Et pour chou qu'il aida puis tout dis si volentiers et de si boin cuer as damoisieles fu il apielés par tout en la court et aillours li Chevaliers as Damoisieles, ne chil nons ne li chaï tant coume il pot armes porter.
Quant il ot tel serement fait voiant le roi et ses barons, Merlins li dist si haut que tout li baron de la table le porent bien entendre et tout cil qui laiens estoient : « Gavains, je vous dirai ja une chose dont vous deveriés estre moult plus seur et moult plus deboinaires viers tous cheus dont vous venrés au dessus. Je vous asseur, se vous vivés longement, que vous serés uns des bons chevaliers dou monde et uns des plus renommés, ne ja ne trouverés chevalier fors un seul qui vous puisse d'armes outrer, et cele bataille dont je vous parole ne sera mie a mon tans. Et neporquant se vous en ceste parole vous fiés del tout en tel maniere que vous pour la seurté vous embatissiés folement, vous porriés bien morir ains vos jours, car che n'est mie doute que chascuns ne puist bien sa mort haster, se il li plaist. Mais pour la vilounie que vous fesistes del chevalier dont vous estiés au dessus ne n'en voliés avoir mierchi quant il la requeroit couvient il que vous jurés sour sains que jamais de chevalier ne verrés au dessus dont vous n'aiiés mierchi, se il la vous requiert, ja tant ne vous avra mesfait. Et saichiés que se vous che faites, on le vous tenra a courtoisie et a deboinaireté et a gentilleche et plus en serés prisiés en tous liex. » Et il s'agenoille erraument et jure ceste chose a tenir tout son vivant. « Sire rois, fait Merlins, or dirai que vous ferés. Saichiés que je ne serai pas des ore en avant gramment au siecle, et ne mie ou tans u je miex vausisse estre pour veoir les miervilleuses aventures qui avenrront espessement. Et pour chou que vous ne troverés pas gramment qui vous conseille se la grasce dou Saint Esperit nel fait voel jou que vous des or en avant fachiés metre en escrit toutes les aventures dont on contera en vostre court la verité pour chou que aprés nos mors sachent nostre hoir, li povre et li riche, les mierveilles qui averront au tans le roi aventureus. Et aiiés chaiens .L. clers qui ne fachent autre mestier fors que metre en escrit les aventures de la court ensi coume elles averront as estranges et as privés. » Et li rois li otrie et dist que tout ensi sera il fait. Mais ore laisse li contes a parler del roi et de Merlin et de toute celle compaignie pour conter de Tor, le fil a Arés, et de che que il li avint en sa queste.
Ore dist li contes que quant Tor, li fius a Arés, se fu partis de la court, il chevaucha grant oirre pour savoir se il peuust aconsiurre chelui qui le braket enporte. Et quant il se fu mis dedens la forest, il n'ot mie chevauchié une grant liue englesque qu'il vit lés le chemin a diestre en un pré deus pavillons tendus, et a chascun des pavillons droit a l'entree avoit un escu tout fres et une lanche. Il regarde les pavillons et les escus, mais il ne torne onques vers aus, ains s'en vait tout son droit chemin pour chou qu'il voit tout apertement devant li les esclos del chevalier qu'il vait sivant. Et quant il a trespassés les pavillons une arbalestree, il voit un nain qui li vint au devant o tout un grant baston et fiert le cheval en mi le front si durement qu'il le fait reculer plus d'une lanche, et a poi qu'il ne chaï a terre. Et li chevaliers s'esmerveille pour coi il le fait, si dist tous courechiés : « Ha ! nains, que te demande mes chevaus ? Laisse moi aler, que Diex te doinst malaventure ! - Fui ! fait li nains, chaitis chevaliers, faillis et recreans, vous en cuidiés vous aler que vous ne jousterés a nul des chevaliers de ces pavillons ? - Ha ! nain, che dist Tor, je n'ai mestier de sejorner, ains m'en couvient aler grant oirre apriés un chevalier que un braket emporte. - Je sai bien, fait li nains, qui il est, car je le vi n'a pas gramment, mais certes vous n'irois devant che que nous sachons comment vous savés ferir de lanche. Et veés la en ces .II. pavillons .II. nouviaus chevaliers qui pour veoir comment cil de la court le roi Artus sevent jouster sont cha venu. Ore tournés viers eus pour une jouste, si verrés s'il vous en faurront. Et certes, se vous che refusés, il ne me samble pas que vous soiiés chevaliers qui en queste se doie metre. »
Quant il entent ceste parole, si respont, car il ne l'ose refuser : « Nains, puis qu'il sont venu pour jouster, il n'i faurront pas par devers moi. Et neporquant jou euusse gringnour mestier d'aler ma voie que de laissier, car je ne sai quel part je trouverrai chou que je vois querant. - Ne t'esmaie pas, fait li nains : preudom ne puet perdre par delai et tu porras ja chi auques esprouver se tu vaurras nient. » Et quant il a che dit, il prent un cor qui a son col pendoit et le sonne, et ne demeure gaires que des pavillons issi uns chevaliers tous montés, le hiaume lachiet, l'escu au col, la lanche el puing, et crie a Tor qu'il se garde de lui, se li adreche la teste dou cheval. Et cil, qui le voit venir, ne le refuse pas, ains refait tout autretel ensi que nature de lignage li ensegnoit, ne mie pour chou qu'il cuidast estre estrais fors de vilains. Si s'adreche viers le chevalier et li doune si grant caup en mi le pis qu'il le porte del cheval a terre et l'abat si durement k'a poi qu'il n'ot les bras brisiés au cheoir qu'il fist. Et il s'en passe outre, que onques plus ne le regarde, et vient au cheval, si l'ahiert au frain et dist au nain : « Tien, nains, cest cheval : c'est li commencemens de chevalerie que j'ai commenciet. » Et si tost coume il ot dit ceste parole, il voit issir de l'autre pavillon un autre chevalier tout aus si prest de jouster coume li autres estoit, ne ne dit mot fors qu'il laisse courre a Tor. Et cil ne le refuse pas, ains li retourne le cheval. Et cil le fiert si durement qu'il li brise le lanche en mi le pis, mais autre mal ne li fait. Et Tor, qui le prist auques bas, le fiert de le glaive si durement qu'il li perche l'escu et le hauberc et li met par mi le costé seniestre le fer de la glaive, mais che ne fist il pas en tel lieu qu'il n'en peust bien garir. Il l'empaint bien, comme cil qui estoit assés fors, si le porte del cheval a terre, et au parcheoir que il fist brise li glaives, si que li fers en remest a chelui ou costé seniestre.
Quant il les voit ansdeus a terre, il met le main a l'espee, car il bee que il les peuust ansdeus mener a outranche. Si keurt sus au premier, qui ja estoit relevés, et li doune par mi le hyaume si grant cop qu'il l'estourdist tout et le fait flatir a terre d'ambesdeus les paumes. Aprés li vait par dessus le cors tout a cheval si que tout le debrise, et cil se pasme de l'angoisse qu'il sent. Et Tor descent, qui a tant ne s'en vaurra mie tenir se il ne crie merchi. Et quant il est descendus et il a son cheval atachié a un arbre, il keurt a chelui qu'il avoit defoulet, se li esrache le hyaume de la teste et le giete en voies et li crie qu'il l'ochirra s'il ne se tient a outré. Et cil, qui fu revenus de pasmisons et se vit em peril de mort, si crie merchi, car il voit bien que autrement ne porroit il eschaper. « Ore fiance, fait Tor, a tenir prison la u je t'envoierai. » Et cil li fianche. Et il le laist maintenant et court a l'autre, qui tous estoit debrisiés del dur cheoir qu'il ot fait, et li doune de s'espee par mi le hyaume a .II. puins si grant caup que il li fait les iex estinceler en la teste et l'estourdist tout, si que chius chiet as dens sour l'erbe vert ne n'a pooir de soi relever. Et il l'ahiert erramment au hyaume et tire fort et ne li puet esrachier dou chief, car moult estoient boin li lach. Et quant il vit chou, il li trenche a l'espee les las et li oste del chief. Et quant cil voit sa teste nue fors de sa coife de fer, il a paour de morir, si crie mierchi, coume cil ki se voit au desous. Et Tor li dist : « Tu n'avras ja mierchi se tu ne fiances a tenir prison la ou je t'envoierai. » Et cil li fiance, qui bien voit qu'il n'en puet autrement eschaper. Et il le laisse maintenant et dist a lui et a son compaignon : « Signeur, vous estes mi prison. - Verités est, font il. - Ore vous commanc je, fait Tor, seur vos fiances que vous en alés droit a Camalaoth. Et quant vous serés venut a la court, rendés vous a mon signeur le roi Artus de par Tor, le fil a Arés, et vous metés en sa prison. » Et li dient que che feront il bien, puis que faire lour couvient.
Lors monte Tor et prent son escu et demande une glaive au nain, et cil li baille boine et forte, qui estoit el pavillon. Et quant il a commandé a Dieu les .II. chevaliers et il s'en voloit partir, li nains dist : « Ha ! frans chevaliers, par la foi que tu dois a toute chevalerie, je te pri que tu me doinnes un don par si que tu i averas plus preu que damage. - Nains, fait il, je le te doing, car chou est la premiere requeste que on me fesist puissedi que je fui chevaliers. Or di chou qui te plaira. - Je te pri, fait li nains, que tu me laisses aler avoec toi et en ta compaignie en lieu d'escuiier, et je te creanc que je te vaurrai plus en ceste voie et plus te servirai que ne feroit li mieudres escuiiers de toute la court le roi Artus. Et ses tu pour coi je m'en vois avoec toi ? Pour chou que je ne voel plus demourer avoec ces .II. faillis. Certes, je n'averoie ja houneur d'aus servir. - Et je l'otroi a toi, fait Tor. Ore en vien dont, puis qu'il te plaist. » Et il monte maintenant sour le cheval que Tor li avoit douné et dist : « Sire, ore en poés aler, car je vous siurrai, quelque voie que vous ailliés. » Et il se remet maintenant en son chemin, moult joians de ceste boine aventure que Diex li a douné au commenchement de sa chevalerie. Et quant il sont un poi eslongié des pavillons, il dist au nain : « Tu veis le chevaliers ? - Sire, voirs est. - Et ses tu qui il est ? - Sire, oïl bien. Sire, il a non Abelin, uns des boins chevaliers de ceste terre, mais tant i a qu'il est uns des plus orgilleus hom que je onques veisse. Et saichiés que il emporte le braket moult grant joie faisant. - Et il ne fu mie cortois del prendre, fait Tor, et se je le puis trouver, je cuic qu'il le rendera. - Je vous merrai, fait li nains, tout droit ou il repaire, et cuic que nous l'i trouverons. - Nains, dist Tor, or en alons dont, car moult me tarde que je soie la venus ou je puisse le braket trouver. »
Ensi parlant vont tant chevauchant tout un chemin de traviers une forest qu'il vinrent en une praerie ou il avoit tendus pluisours pavillons, et estoient li pavillon biel et riche. A chascun des pavillons pendoit uns escus et tout estoient vermel fors uns seuls, qui estoit aussi blans comme nois, et chis blans estoit li plus riches. Lors dist li nains au chevalier : « Sire, en cel pavillon ou chis blans escus pent trouverés vous vostre braket et le chevalier avoec, si coume je cuic. Et saichiés qu'il est sires de tous cheus qui en ces pavillons repairent. » Et cil dist qu'il ne demande plus fors que il tenist le braket ou le chevalier. Lors descent, car il ne puet pas dedens le pavillon entrer a cheval, et baille son cheval au nain et sa glaive, et s'en vait cele part ou il cuida trouver chou que il vait querant. Et quant il vint laiens, il trueve en un moult riche lit une damoisele dormant toute seule sans compaignie, ne mais dou braket que cis aloit querant, et l'avoit la damoisiele couciet en son devant et dormoit li uns et li autres. Quant li chevaliers voit le braket, si va viers lui, et li brakés saut jus del lit et commence a glatir si fort pour chou que il ne connissoit pas le chevalier. Et la damoisiele s'esveille erraument pour la noise que cil faisoit. Et quant elle voit le chevalier, elle n'est pas aise, car il est armés, ains saut sus toute effree et s'en fuit hors del pavillon et se fiert en un autre. Et il connoist bien que chis brakés qui estoit devant lui estoit chil qu'il aloit querant. Si le prent erraument et s'en vait hors del pavillon od tout le braket et le baille au nain et li dist : « Veschi le braket pour coi je parti de court. Ore le viegne querre qui vaurra, car je ne le renderai pas tant coume je le puisse desfendre devant que je soie a court ! » Et cil le prent et il monte tout erraument. Et ensi qu'il s'en voloit aler, une damoisiele saut hors del pavillon, qui li dist : « Ha ! sire chevaliers, n'enportés pas nostre braket, car vous feriés vilonnie ! Et saichiés que vous vous en porriés repentir assés tost, car li chevaliers a cui il est ne lairoit en nulle maniere que il n'alast aprés vous et que il ne le presist en vostre conduit, se il le veoit, et si feroit il a la table le roi Artus. - Damoisiele, fait Tor, li brakés fu pris par outrage et par tort en la court le roi Artus, si l'ai sivi jusques a chi par son commandement. Ore l'ai trouvé, si l'emporterai par droit et par raison. Se auchun chevalier em poise qui cha l'a aporté, si viegne apriés moi pour le rescorre ! - Coument ! fait elle, si le nous taurrés en tel maniere, a nous qui soumes damoisieles et la ou il n'a nulle desfense ? - Je nel vous taul mie, fait il, mais jou l'ai pris coume la moie chose la ou je le trouvai. - Ore alés, fait la damoisiele, puis qu'il vous plaist. Mais je ne cuic mie que vous l'emporterés jusques a Camalaoth sans contredit. - Jou l'en aporterai, fait il, quoi qu'il en aviegne dou rescourre. » Si retorne maintenant entre li et le nain et s'en vait la plus droite voie qu'il sot viers Camalaoth.
Li jours estoit ja auques trespassés et la nuis estoit venue si noire et si obscure que anchois qu'il fust alés demie liue fu il si anuitié k'il ne savoit tenir ne voie ne sentier. Et il demande au nain quel part il porra torner pour herbegier, « que il est hui mais si tart que nous ne porriens hui mais venir aisiement a Camalaoth. - Certes, sire, fait li nains, je ne sai pas u nous puissons hui mais herbegier se nous n'alions chiés un hermite chi pres en une forest. Et je sai bien son ostel, si vous i merrai orendroit, se il vous plaist. - Va dont, fait il, avant, et jou irai aprés, car moult me tarde que g'i soie. »
Lors s'en va li nains avant ensi comme il set et li chevaliers aprés, si vont tant qu'il sont venu a l'ermitage, qui seoit en moult estrange lieu, en une valee grant et parfonde, toute plainne de ronses. Et anchois qu'il fuissent la venut estoit ja la lune levee biele et clere, si qu'il virent l'ermitage tout apertement et virent que c'estoit une maisons assés petite et assés povre couverte de chaume. Li nains, qui autre fois i avoit esté, vint droit a l'uis et commenche a hurter et a apieler, et tant que li preudom vint a une fenestrele et l'ouvri et regarda dehors qui chou estoit. Et quant il voit le chevalier armé, il sot bien qu'il estoit la venus pour ostel avoir, si vint maintenant a l'huis et l'ouvri, et lor dist que bien fuissent il venu. Lors descent li nains et li chevaliers aussi et entrent dedens l'ermitage, si se desarme tout premierement. Et li nains pense des chevaus ensi comme il puet, si lour donne de l'erbe, que autre vitaille ne trouvast il illuec entour. Cele nuit menga li chevaliers pain et eve, tel viande coume li preudom avoit, et se gut sour l'erbe verde et dormi moult bien, car assés estoit plus las que il ne soloit. Et a l'endemain, si tost comme il fu jours, il ala oïr le serviche de Nostre Signeur tel comme il preudom le chanta. Quant il ot oïe messe, il prist ses armes et monta sour son cheval et prist congiet au preudoume, et moult le commanda a Dieu et moult li requist que il proiast pour lui. Et li preudom li proumist que si feroit il.
Atant se parti Tor de l'ermite et se remist en son chemin pour aler droit a Camalaoth. Mais il n'ot pas chevauchié demie lieue englesque quant il ot aprés lui venir une friente aussi comme de chevaus. Et il s'arreste pour regarder que che estoit et attent, car il vaurra veoir ki ceste friente fait. Et maintenant voit venir un chevalier aprés lui aussi grant aleure coume se la mors le cachast, et venoit tous seus bien armés, si qu'il ne li faloit riens qui a armeure apartenist. « Ha ! sire, fait li nains, ore n'en poés vous aler sans bataille. Savés vous qui chis est ? - Oïl bien, fait il. C'est cil meismes que je queroie, qui prist ier le braket en la court le roi Artus. » Lors prent sen escu et sa glaive que li nains portoit et s'adreche viers le chevalier tout en mi le chemin. Et cil li crie canques il puet : « Ha ! mauvais chevaliers, certes mal tolistes as damoisieles le braket, car vous le renderés a vostre honte ! » Chis ne li respont onques mot a chose que il li die, ains li adreche la teste del cheval. Il vinrent de loing et furent bien monté, si s'entrefierent es grans aleures si durement que ambedeus les glaves volerent em pieces. Il s'entrehurtent des cors et des visages, si qu'il s'entrabatent a la terre tout enviers et n'i a chelui qui n'ait tout le hiaume pourrous. Mais il furent viste et legier et de grant force, si ressaillirent sus au plus tost qu'il porent et metent le main as espees et s'appareillent d'assaillir l'uns l'autre. Si veissiés as premiers caus escus depechier et troer, et hiaumes empirer et malmetre, et haubers desrompre et desmaillier, car il estoient ambedui de grant proueche et de grant forche et viste durement. Si taste li uns l'autre si de pres qu'il se malmetent des chars et entament aprés les caus des espees, si que il en font le sanc saillir de toutes pars.
Ensi dura la mellee cruele et felenesse des devant eure de prime jusques a eure de tierche. Et lors furent ambedui mat et alenti, car li plus sains avoit assés perdu del sanc del cors. Mais trop estoit a chelui plus grief que a son compaignon, car s'espee si n'estoit pas moult boine et l'espee Tor estoit de moult grant bonté, et chou estoit une chose qui moult li valut le jour et qui moult fist a son compaignon mal. Un poi devant eure de tierce commencha moult a lasser le chevalier, car trop avoit pierdu del sanc, si ne pot mie si grans caus douner ne si souvent comme il faisoit devant. Et Tor aperchut bien adont qu'il lassoit, se li commencha a douner grandesimes cols de s'espee trenchant si qu'il li fait le sanc saillir en plus de .X. pars. Et cil sueffre toutes voies et endure, k'il ne le puet amender a sa volenté, si se cuevre au miex qu'il puet et qu'il set. Et Tor le mainne cha et la, l'une eure avant et l'autre arriere, cele part u il veult. Et quant il voit que chil est si au desous qu'il ne puet mais en avant, il li dist : « Chevaliers, tu vois bien que tu ies a la mort, se je voel, car tu n'as mais pooir de toi desfendre. Mais pour chou qu'il m'est avis que tu es boins chevaliers te ferai je une bonté que tu ne fesisses pas a moi, si coume je cuic, se tu fuisses si au dessus de moi comme je sui de toi. - Ore dites, fait li chevaliers, que tel bonté porra che bien estre que je ne t'en mierchierai ja. - Se tu te veus, fait Tor, tenir a outré de ceste bataille et fianchier prison la ou je t'envoierai sauve ta vie, je te clamerai quite de ceste bataille et t'en porras aler atant, mais que li brakés me remanra. » Et cil le regarde de travers, si respont : « Mal dehait ait qui le fera tant qu'il ait la vie el cors, car aprés chou que je mesmes reconnisteroie ma recreandise n'avroie jou jamais hounour ! Et certes miex vaurroie jou morir .C. fois, se .C. fois pooie morir, que une seule fois dire u faire chose qui tornast a recreandise ! - Comment ! fait Tor, si volés vous miex morir que faire chou que je vous requier ? - Oïl, fait li chevaliers. - Par foi, fait il, dont estes vous a la mort venus. » Se li rekeurt sus maintenant et le fiert par mi le hyaume si grans caus de l'espee qu'il le fait voler a la terre tout estordi. Et lors li saut seur le cors, si le tire si fort par le hyaume qu'il li esrache de la teste, et li doune del poing de l'espee si grant caup qu'il li enbat en la teste les mailles de la coife de fer. Et il li crie qu'il se tiegne a outré ou il l'ochirra. Et cil respont a painnes et dist : « A outré ne me terrai je pas pour pooir que tu aies. Ore fai de moi chou qu'il te plaist, car ja pour paour de morir ne ferai ne ne dirai chose qui a honte me tourt. » Et cil dist que che n'a mestier : toutes voies dira il ou il li caupera le chief. Lors li doune par mi le chief dou poing de l'espee si grant caup que il li fait la sanc raiier tout contreval la fache, ne onques pour chou ne vaut chius dire chose qu'il li requesist.
Endementiers qu'il le tenoit en tel maniere, es vous venant grant oirre une damoisiele monté seur un blanc petit palefroi, et acourroit cele part au plus tost que elle pooit. Et quant elle fu la venue et elle vit que Tor tenoit ensi le chevalier desous lui, elle se laisse cheoir de son palefroi et s'agenoille devant Tor et li dist : « Ha ! frans chevaliers, par la foi que tu dois a toute chevalerie, doune moi un don. Et certes tu es li premiers chevaliers que je requesisse onques mais. - Autel di ge, damoisiele, fait il. Sachiés que vous estes la premiere damoisiele qui onques mais me requesist. Et pour chou ne vous escondiroie je en nulle guise, se li dons est teus que je le puisse avoir ne pour painne ne pour travail. - Grans mierchis, fait elle, biau sire. Ore sachiés que vous m'avés douné la teste de cel chevalier que vous tenés desous vous. - Comment ! fait il, volés vous dont que je li trenche ? - Oïl, fait elle, autre chose ne vous demande jou. - Che me poise, fait il, car il estoit bons chevaliers. - Ne vous caille, fait elle, de sa chevalerie, que chou estoit li plus desloiaus chevaliers qui fust en la Grant Bretaigne. » Et quant li chevaliers entent ceste parole, il crie a Tor : « Ha ! frans chevaliers, por Dieu, ne la croi mie ! Ne m'ochi pas pour ses paroles, que bien sachiés que chou la plus desloial riens est que tu onques veisses. Mais laisse moi atant, que je me tieng a outré et te fianche a tenir prison la ou tu commanderas. - Ha ! sire chevaliers, c'est a tart, che dist Tor, car jou en ai le don douné a la damoisiele. Se li terrai, car autrement me porroit elle apieler de desloiauté. » Et quant cil l'entent, il tent ses mains a la damoisiele et crie mierchi et dist : « Ha ! france damoisiele, pour Dieu, aiiés merchi de moi ne ne me faites pas occhirre, car en ma mort ne porriés vous riens gaaingnier ! Mais en ma vie gaaingnerés vous un tel chevalier que je sui, car jamais tant coume je viverai ne servirai se vous non ne ne ferai chose qui contre vostre volenté soit. - Ha ! pour Dieu, damoisiele, che dist Tor, se chis chevaliers ne vous a tant mesfait qu'il ait la mort deservie, aiiés ent mierchi, si ferés courtoisie grant. - Ja Diex n'ait merchi de m'arme se je en ai merchi, car il m'ochist mon frere et voiant mes iex, ne onques ne m'en vaut escouter la u ge li crioie mierchi tout en plorant. Ore en faites chou que vous avés en couvent, s'il vous plaist. » Et il dist que si fera il, puis qu'il n'i puet autre fin trouver, si se dreche maintenant. Et quant li autres se sent alegié, il s'en cuide fuir, mais cil ne le laisse, si le fiert de l'espee trencant par mi le col si durement qu'il li fait la teste voler plus d'une toise loing del bu, et li cors chiet a terre. Et la damoisiele keurt cele part u elle voit la teste, si la prent et en fait moult grant joie et moult en mierchie le chevalier, et dist que encore sera bien ceste bontés guerredounee se elle vient en liu que elle guerredouner le puist.
Lors dist li chevaliers au nain : « Je me senc las et travillié et ai assés pierdu del sanc. Se je me seusse hui mais u reposer, je me reposeroie volentiers tant que je fuisse estanchiés, car mes plaies sainnent moult durement. - Par foi, sire, fait la damoisiele, il vous est trop bien avenu. Chi pres en ceste forest, a .II. archies pres, a un mien rechet biel et riche ou vous vous porrés reposer et aaisier anuit et demain et encore plus, s'il vous plaist. Et certes il me sera moult bel de vostre venue, car moult vaurra miex li osteus de la venue a si preudomme et a si boin chevalier comme vous estes. - Ore montons dont et si en alons. Je i vaurroie ja estre, car assés me senc travilliet. » Lors montent et elle s'en vait devant et aquieut une sentele au travers de la forest. Si n'ont gaires alé quant il voient dalés un vivier le rechet, qui estoit biaus assés et riches et fors. Elle vient a la porte et apiele, et uns varlés saut avant qui oevre un guichet. « Oevre, fait elle, la porte, si lai ens cel chevalier que j'amainne pour herbergier. » Et il oevre la porte et cil entrent dedens. Si ne veistes onques gringnour joie faire a estrange chevalier que cil de laiens li firent quant il virent la teste que la damoisele aportoit. Si li disoient tout a une vois : « Ha ! sire, beneoite soit l'eure que vous fustes onques chevaliers et que vous ceste part venistes ! Car vous nous avés mis en pais et en joie a toute nostre vie, quant vous nous avés mort nostre mortel anemi, l'oume del monde qui pis nous faisoit et qui ne nous laissoit avoir un jour de repos ne de bien. »
Celle nuit fu Tor servis de tous les biens que cil de laiens porent avoir, et il en avoient assés, car moult estoient aaisié de toutes choses. A l'endemain, quant il ot messe oïe a une capiele qui laiens estoit, il prist ses armes et monta et prist congiet a la dame de laiens et a tous les autres. Et il le commanderent moult a Dieu et moult li priierent que se aventure l'amenoit jamais cele part qu'il ne laissast en nulle guise qu'il ne venist laiens herbegier, car li osteus estoit tous apparilliés de faire ses volentés. Et il les en mierchie moult, la dame avant et les autres aprés. Si s'en parti de laiens et se remist en sa voie aussi comme il avoit fait devant. Tant erra en tel maniere qu'il vint a Camalaoth et trouva Gavain, qui estoit ja venus des le jor devant, mais li rois Pellinor n'estoit encore venus. Et quant cil de laiens virent Tor revenir, il li firent grant joie, car ja avoient oï nouvieles de lui par les .II. chevaliers des pavillons qu'il avoit envoiiet a court.
Li rois le rechiut moult liement et li demanda de la queste coument il en avoit akievé. « Sire, fait il, ves la chi. » Si li moustre le braket que li chevaliers en avoit porté pour qui il s'estoit partis de court. « Et dou chevalier, fait il, queles nouvieles ? Le trouvastes vous ? - Sire, oïl. » Et li rois fait maintenant aporter les sains et li fait jurer sour sains qu'il dira voir de toutes les choses qui avenues li sont en ceste queste, qu'il nel laira ne pour honte ne pour hounour. Et cil li jure. Et maintenant commencha a conter oiant tous les compaignons de la Table Reonde tout chou qui avenu li estoit, ensi coume li contes l'a ja devisé. Et quant il ot tout conté, li clerc furent apparilliet, qui maintenant le misent en escrit, et par chelui escrit et par autres en savons nous la verité. « Ha ! Diex, che dist li rois Artus, or ne nous faut il fors le roi Pellinor. - Ore ne vous esmaiiés, fait Merlins, vous le verrés chaiens ains que la nuis viegne. Mais ore me dites, fait Merlins, que vous samble il de vostre chevalier que vous cuidiés qu'il fust fius dou vakiet ? - Ja certes, che dist li rois, se il fust fius dou vakier, ne l'euust il si bien fait a cest commenchement, car fius de vakier et de vilain ne porroit pas avoir si haute commenchaille. - Ore saichiés, fait il, que nature de lignage et fine gentillece l'a si duit et apris en poi de terme coume vous veés. - Merlins, fait li rois, vous le connissiés miex que il meismes ne se connoist. - Certes, voirs est, che dist Merlins, car il ne set pas qui est ses peres et je le sai bien. - Et qui est ses peres ? che dist li rois. Che me poés vous bien dire, se il vous plaist. » E Merlins li conseille en l'oreille tout bielement : « Quant vous verrés le roi Pellinor dejouste lui, vous porrés bien dire que li uns est peres de l'autre, car bien saichiés que li rois Pellinor l'engenra en la feme d'un vakier et ot le pucelage de li, et ensi fu engenrés Tor. Mais pour chou que li vilains ot a feme la damoisiele cele semainne meismes que elle fu despucelee cuida il vraiement que Tor fust ses fiex, mais non est, car il avint tout ensi comme je vous ai conté. » Et li rois commenche a rire et dist : « Certes, je croi bien que che soit voirs, mais ore me dites se la damoisiele estoit gentius feme. - Nennil voir, dist Merlins, ains estoit une pastorele que li rois trouva en une praerie ses bestes gardant. Mais ele ert de si grant biauté plainne qu'il em prist au roi envie, si geut a li et engenra adont Tor. » Et li rois se saingne et dist : « Par Dieu, chi ot biele aventure ne je ne serai jamais liés devant que je les aie tous trois assamblés devant moi, le roi Pellinor et Tor et sa mere, si que je les fache tous trois certains de ceste chose. - Ore la mandés dont, che dist Merlins, car le roi Pellinor averés encore anuit a court. - Mais vous, che dist li rois, le mandés, que bien savés ou elle est. » Et il prent un message et envoie la dame querre la ou il le savoit que elle manoit. Mais ore s'en taist li contes et s'en retourne au roi Pellinor.
Ore dist li contes que quant li rois Pellinor se fu partis de court pour aler aprés le chevalier qui emportoit la damoisiele, il chevauche grant oirre par mi la chité, car moult li anuioit qu'il avoit tant demouré. Et quant il fu hors des murs et il vient pres de la forest, il encontre un varlet seur un ronchin maigre et las. Et il li demande s'il encontra un chevalier qui emportoit une damoisiele. « Oïl voir, dist li varlés, je l'encontrai voirement. Il puet estre bien moult loing, mais tant vous di je que je ne vic onques si grant duel faire a damoisiele coume elle fait pour chou qu'il l'emporte. - Et quel chemin s'en vait il ? che dist li rois. - Sire, il s'en vait tout droit viers Braait tot le grant chemin. » Atant s'en part li rois si tost coume il a le varlet commandé a Dieu et se met en la forest tout droit viers le chemin que chis s'en vait et tous les esclos qu'il s'en estoit alés, si se haste de chevauchier tant qu'il puet. Et quant il ot alé entour deus liues englesques, il trueve une damoisiele de moult grant biauté qui se seoit dalés une fontainne et tenoit devant soi un sien amic navré dont elle faisoit moult grant duel et moult plouroit tenrement. Li rois le salue et s'en passe outre coume chis qui n'a talent de demorer. Et quant celle le voit, elle li crie : « Ha ! frans chevaliers, pour Dieu retorne et me fai un peu de serviche qui moult peu te coustera ! » Cil entent bien la damoisiele, mais il ne vaut retorner, car trop a a faire, che li est avis. Et quant elle voit qu'il ne retournera pas, elle commenche assés gringnour duel que elle ne faisoit devant. Si dist o larmes et pleurs si haut que li rois l'entent bien : « Ha ! chevaliers mauvais et orgilleus, Diex te doinst que tu aies aussi grant mestier d'aide que ge ai orendroit et que tu soies aussi esgarés coume je sui esgaree, et proiier puisse tu par besoing ne n'aies grignour aide ne gringnour secours que j'ai de toi ! » Et quant elle a ceste parole dite, elle chiet arriere pasmee. Ne cil onques pour chou ne retorne, car trop li tarde qu'il ait ataint le chevalier qui la damoisiele emporte. Et quant elle revint de pasmisons et elle ne voit nullui fors que son ami qui ja estoit mors d'une grant plaie qu'il avoit par mi le pis, elle se claimme maleuree et chaitive, la plus dolante d'autres damoisieles, et dist que, puis que ses amis est mors par defaute d'aide ne elle ne puet avoir secours ne de Dieu ne d'omme, elle ne puet plus vivre des ore mais. Si prent l'espee son ami et s'en fiert si durement par mi le pis que la pointe en pert de l'autre part. Et lors chiet arriere toute envierse coume cele qui estoit a mort livree, si s'estent de la grant angoisse que elle sent. Et li rois, qui a ceste chose ne pense mie ne ne prent garde, chevauche toutes voies grant oirre dusques aprés eure de viespres, et lors encontre un vilain qui menoit busche. Li rois li demande : « Vilains, encontras tu un chevalier qui une damoisiele emporte ? - Par foi, fait li vilains, biau sire, je vic ce chevalier et cele damoisele que vous demandés : il l'enportoit voirement. Mais il li avint en une valee cha devant, ensi coume il trespassoit par devant .II. pavillons que on avoit fait tendre, que uns chevaliers tous armés sailli hors d'un des pavillons, qui dist que la damoisiele n'enmerroit il mie, car elle estoit sa cousine germainne, si s'en combateroit anchois a lui que il l'enportast si quitement. Et cil mist erraument jus celle qu'il portoit et dist que la bataille voloit il bien, mais que cele fust mise en tel garde que cil l'euust qui viers son compaignon le porroit desraisnier. Et cil le mist tantost en un pavillon en la garde de .II. escuiiers, si commenchierent la bataille maintenant, qui encore dure ne ne sera pas finee, a mon ensient, quant vous i venrois, se vous vous hastés un poi de chevauchier. »
Quant cil entent ceste nouviele, il en est moult liés, si s'en part dou vilain et fiert le cheval des esperons comme cil qui ja n'i cuide venir a tans. Si n'a pas gramment alé quant il trueve les pavillons tout ensi comme cil li avoit devisé. Et la damoisiele qu'il aloit querant se seoit sour l'erbe verde toute esplouree avoec les damoisieles et avoec les escuiiers. Li chevalier se combatoient encore et s'estoient ja tel atorné qu'il n'i avoit chelui qui n'euust pluisours plaies petites et grans, et tant avoient ja perdu del sanc que li plus fors n'i atendoit se la mort non, car moult estoient ambedui de grant proueche et de grant cuer. Li rois ne regarde onques a la bataille, car moult l'en est peu, car autant li est s'il muerent que s'il vivent. Mais la ou il voit la damoisiele, il s'en vait a li et li dist : « Damoisiele, vous en fustes a tort menee de la court et je vous i remenrai a droit, car pour chou m'envoia cha li rois Artus, en cui ostel vous fustes prise. » Et lors le veult prendre par les bras, quant li escuiier saillirent sus et disent : « Ha ! biau sire, tel vilounie ne ferés vous ja que vous ceste damoisiele qui est en nostre garde nous taulliés, mais faites le bien. Ves la .II. chevaliers qui le nous baillierent a garder : faites que il nous delivrent et nous le vous baillerons. - Je ne demanc, fait il, plus, car, s'il vous poise, je ne le prenderai de vous mie, pour coi je la puisse avoir autrement. »
Lors s'en vait viers les chevaliers tout ensi montés coume il estoit et lour dist : « Signeur chevalier, arrestés vous tant que jou aie un poi parlet a vous. » Et cil s'arrestent maintenant et metent lour escus devant eus. Et il lour dist : « Biau signeur, ceste damoisiele fu prise a tort en la court nostre signeur le roi Artus et je sui cha venus aprés, si l'enmenrai a droit la ou elle fu prise. » Et il respondent ambedui que de li mener est il noient. « Ore me dites dont, fait il a l'un, pour quele raison le volés vous avoir. - Je la voel, fait cil, avoir pour chou que elle est ma cousine germainne, si l'enmerrai a ses amis et a ses parens qui moult le desirent a veoir coume celle qu'i ne virent grant tans a passé. - Et vous, fait il a l'autre, pour coi le demandés vous ? - Pour chou, fait il, que je l'ai conquesté par ma valour et par ma proueche, car je l'alai prendre voiant le roi Artus et voiant toute sa compaignie et tant ai fait que dusques cha l'en ai amené. Et pour chou la deveroie jou avoir, che m'est avis, miex que uns autres. - Ore vous, che dist li rois, en poés tenir a fol pour chou que pour li avés encommenchiet bataille, car vous ne l'averés point, tous asseur en soiiés vous, ains l'enmerrai a la court le roi Artus u elle fu prise. - Voire, font li autre dui, se vous poés. Mais non porrés, car anchois clamerons nous li uns de nous l'autre quite et laisserons ceste bataille et nous combaterons a vous. - La bataille, fait li rois, ne vous puis je veer ne ne doi tant que je serai avoec vous, mais la damoisiele enmerrai jou coi que vous me dites. - Voi re ? font il. Che verrons nous bien ! » Et lors s'entreclaimment quite de la bataille qui avoit estee entr'ex et fianchent l'un a l'autre qu'i s'en entraideront dusques a la mort. Et quant li rois voit qu'il s'appareillent de lui assaillir, il lour dist : « Comment ! avés vous plus talent de bataille ? - Che verrés vous bien », font il. Se li coururent sus les espees traites, et li uns laisse aler l'espee et fiert le cheval ou costé seniestre, si l'ochist et li chevaus chiet mors. Et li rois, qui estoit de grant legierté, saut de l'autre part et dist a chelui : « Trop avés fait grant mauvaistié de mon cheval ochirre ! » Lors est moult iriés, si hauce l'espee et fiert chelui si durement qu'il le fent tous jusques es dens, et chil chiet mors en mi le pré. Et c'estoit cil qui la damoisiele avoit prise a la court. Et quant li autres voit chelui caup, il n'est pas asseur, a che qu'il se voit seul et se sent las et travilliet et navré durement. Si se traist ensus de lui, se li dist : « Sire chevaliers, jou ai par ma folie mespris enviers vous de ceste bataille, car je sai bien que vous n'estes mie cha venus pour la honte ma cousine, mais por s'ounour et pour vengier le de chelui qui a forche l'enmenoit. Je la vous lais, car je ne cuideroie pas gramment gaaignier en ceste mellee, mais je vous pri que vous la gardés si chierement coume fille de roi et de roine doit estre gardee, car bien sachiés que ele est fille de roi et de roine et estraite de moult haut lignage. Mais tant li plaist la cacherie des forés et tant s'i delite que elle ne vaut onques avoir ne ami ne baron, ains s'en gabe quant on en parole a li. - Saichiés, fait li rois, que elle ne trouvera je en ma compaignie houme ne feme ki mal li fache tant coume je le puisse garder. Et grans merchis de ma bataille, quant vous m'en quitiés. Mais d'un cheval, s'il vous plaist, couvenra il que vous me consilliés. » Et cil dist que il li donra aussi boin coume li siens estoit. « Mais il couvient, fait il, que vous remanés huimais avoec moi, car il est tart. Car se vous vous partiés ore de chi, vous ne trouveriés huimais ou herbegier. » Et il li otroie pour chou qu'il set bien que cil li dist voir.
Cele nuit gut li rois es pavillons en la compaignie del chevalier. Et a l'endemain, si tost coume il fu jours, il se leva, car moult li tardoit qu'il fust mis au chemin. Et quant il se fu viestus et apparilliés et il ot pris ses armes, li chevaliers li amainne un cheval boin et bel et dist : « Sire, montés sour cestui. Certes, se je millour eusse, millour le vous dounaisse. » Et il monta tantost et le mierchie moult de cest don, et puis fait la damoisiele monter, si se partent en tel maniere des pavillons. Et li chevaliers les convoia grant pieche et puis retourna. Et li rois, qui se fu mis en la voie, chevauce entre lui et la damoisiele tout le chemin qu'il estoient venu devant. Et quant il orent erré jusques a prime, il avint que aventure les amena en une valee parfonde moult anieuse a chevauchier, car elle estoit toute plainne de pierres et de roches. Et li chevaus a la damoisiele, qui ne se set mie tres bien garder, tresbuche dessus une roche. Et celle chiet a terre si felenessement seur le brach seniestre que elle cuida bien avoir l'espaulle desliuee, si a si grant angoisse que elle se pasme. Et quant elle revint de pasmisons, elle s'escrie : « Ha ! sire chevaliers, morte sui ! » Et il cuide que elle die voir, si giete son escu et sa lanche en voies et saut a terre et vint a li et la trueve toute pasmee. Et il la prent entre ses bras et s'assiet a la terre et le met en son devant, si la voit muer coulour plus de .VII. fois en un peu d'eure de la grant paour que elle avoit euue.
Quant elle revint de pasmisons, il li demande : « Damoisiele, comment vous sentés vous ? » Et elle respont toute tramblant : « Sire, j'ai euut la gringnour paour que je onques mais euusse, car je cuidai bien avoir brisiet ou le brach ou l'espaule, mais non ai, Dieu merchi. - Coument vous sentés vous ore ? fait il. - Je me senc miex, fait elle. Et neporquant je ne porroie pas maintenant chevauchier devant que je fuisse assés reposee, car trop ai esté a malaise. - De che ne me chaut, fait il, car se nous ne mouvons devant eure de viespres, si serions nous de jour a Camalaoth. » Lors la prent entre ses bras et la porte desous un arbre pour reposer. Et quant il l'a mise jus, il li dist : « Essaiiés, ma damoisiele, se vous porriés dormir, car je croi que che vous vaurroit. - Si ferai jou, fait elle, mais moult me duel encore dou cheoir que j'ai fait. » Et il esracha de l'erbe a ses mains et le met desous son chief por chou que elle se dormist plus aise. Et il meismes oste s'espee et son hyaume et son hauberc et remaint en pur cors, et puis se prent des chevaus garde et lour oste les frains et les seles et les laist paistre. Et quant il a che fait, il se couche dalés la damoisiele et s'endort a tel eure que il ne s'esveille de tout le jour, ains dormi et reposa dusques a la nuit, et aussi fist la damoisele.
Quant la nuis fu venue et li tans commencha a refroidier, il s'esveillierent ambedui et virent k'il avoient tant dormi qu'il estoit nuis obscure et noire. « Ha ! damoisiele, che dist li rois, nous nous soumes oublié. Nous avons chi trop dormi. Que ferons nous ? - Sire, fait elle, a remanoir nous couvient dusques au jour, car se nous en voloions ore aler de chi, nous ne savriemes ore tenir ne voie ne sentier, ains retornerions par aventure quant nous cuideriemes aler avant. - Ore remanons dont, fait il, puis que vous le loés. Mais moult m'esmerveil comment nous avons tant dormi. - Che nous a fait tant dormir, fait la damoisiele, que nous estoions lassé et travillié. - Et coument vous sentés vous del cheoir que vous fesistes hui au matin et estes vous point allegie ? - Oïl, Dieu mierchi, fait elle. Je ne senc orendroit mal ne dolour. » Et il dist qu'il en est moult liés.
Endementiers qu'il parloient ensi, il oient chevaus venir par mi le bois tout le chemin par devant eus. « Ore vous taisiés, che dist li rois a la damoisiele, car chi vienent gent dont nous orrons auchunes nouvieles. - Si ferai je », fait elle. Et si tost coume il orent ceste parole dite, il voient deus chevaliers armés, dont li uns vient de Camalaoth et li autres i aloit, et s'entrecontrerent devant eus. Li chevalier s'entreconnurent si tost coume il venoient pres l'un de l'autre, si s'arresterent pour parler ensamble et dist cil qui a Camalaoth aloit : « Ques nouvieles aportés vous ? - Je n'aporch, fait il, nules nouvieles qui me plaisent, car li rois Artus est si poissans d'amis et de chevaliers et a si avoec soi les cuers de ses hommes et est si larges de douner et si despendans et si gracieus que se tout li roi des isles de mer venoient seur lui a ost, il ne les douteroit pas une keneule. Et pour chou m'en revois jou a mon signeur grant oirre et li dirai qu'il laist ester cele fole emprise qu'il avoit commenchie, car il n'a mie ne le pooir ne la gent qu'il peuust le roi Artus desireter ne cachier de terre, car plus li porroit nuire li rois Artus que il ne feroit lui. Teuls sont les nouvieles que je porte a mon signour del roi Artus. Et vous, ou alés ? - Je vois, fait il, la dont vous venés, en l'ostel le roi Artus. Et je cuic que ceste guerre sera finee anchois que je reviegne mais. - Et comment porra chou estre ? che dist li autres. - Che vous dirai bien, fait il. Je porte chi plainne fiole de venin si miervilleus qu'il n'a houme ou monde, s'il en goustoit ne tant ne quant, que maintenant ne morust. Et il a laiens un chevalier qui moult est bien del roi Artus et ses acointes, qui a creanté a mon signeur que il donra au roi a boire cest venin si tost coume je li avrai porté. Et je li porte ore, si verrai que che sera. - Ore vous gardés bien, fait li autres chevaliers, que vous ne soiiés percheus, car puis que che vient a traïson faire, il couvient que on le face si sagement et si couvertement que nus ne la puist aperchevoir fors cil qui en voelent ouvrer. - Ne vous espoentés, fait cil, car nous en ouverrons si sagement que nus n'en savra ja riens devant que il sera fait. Et se Dieu plaist, vous en orrés par tans teuls nouvieles dont nostre païs sera joians. - Ne sai, fait il, comment il vous en avenra, mais se j'estoie ausi coume vous estes je ne m'en entremeteroie ja plus, car je vous di vraiement qu'il ne puet estre que vous n'en soiiés apercheus et que vous n'en soiiés honnis. Et pour chou vous loeroie je miex le retorner que aler avant. » Et cil dist que il ne retournera ja, car bien cuide faire legierement chou qu'il a empris. « Ore vous commanch jou dont a Dieu, fait li autres chevaliers, puis que vous ne volés croire mon conseil, que je n'en devrai mie estre blasmés se il vous en meschiet. » Chis qui vient de Camalaoth s'en vait tout le grant chemin par mi le forest espesse, et li autres s'en tourne viers Camalaoth et tout un droit sentier, comme cil qui bien savoit les adrechemens de la forest. Et quant il se sont auques eslongiet de la ou il avoient parlet ensamble, li rois, qui bien avoit entendu toutes les paroles, dist a la damoisiele : « Damoisiele, avés vous entendut ces messagiers ? - Oïl bien, fait elle. Sachiés que Nostre Sires nous fist chi endormir pour oïr ches nouvieles et pour garnir le roi Artu, car il ne li plaist mie qu'il muiere encore par si grant desloiauté. - Si m'aït Diex, fait li rois, moult est ceste aventure biele et moult me plaist que j'ai ceste chose oïe en tel maniere, car, se Dieu plaist, j'en garnirai si bien le roi Artu que cil ne li porront nuire par si faite traïson. - Mais ore n'i a point de delaiier, fait elle, mais si tost mouvoir comme on verra le jour, si comme on soit a court devant eure de disner, car je sai vraiement que chis desloiaus chevaliers venra adont faire cest cop se il en voit son point. » Et li rois pense un poi et puis respont : « II ne nous en couvient onques estre en esmai, car Merlins li sages prophetes est a court, qui ne soufferroit en nule maniere que li rois fust ensi traïs, car il aimme le roi de trop grant amour. - Comment ! dist la damoisiele, est Merlins li sages a court ? - Oïl, che dist li rois. - Dont n'a, fait elle, li rois Artus garde de ceste traïson, car Merlins set canques on fait et dedens et dehors, et pour chou croi je vraiement que nous trouverons chelui destruit quant nous verrons a court. - Je le cuic bien », che dist li rois. Si en laissent atant la parole et s'endorment jusques a l'endemain que li jours apparut. Et lors s'esveillent et li chevaliers saut sus et prent ses armes. Et quant il est tous apparilliés, il pense des chevaus et met les seles et les frains, et puis fait monter la damoisiele et prent son escu et sa lanche et monte et se remet en son chemin lui et la damoisele.
Tant ont erré en tel maniere qu'il vinrent pres de la fontainne ou il avoit oï la damoisele qui li crioit qu'il retornast pour aler a li. Et quant il est venus la meismes, il trueve le chevalier mort et la damoisele mengie de bestes sauvages fors que la teste seulement. Et encore estoient illuec li os : tant en i avoit de remanant. Quant il voit ceste chose, il en est trop courechiés, si dist : « Ha ! Diex, ceste damoisele est morte par defaute de m'aide ! Se je fuisse retournés quant elle m'apiela et je li euusse secourut a cest besoing, elle ne fust pas devouree de bestes, si que elle est morte par moi et li chevaliers aussi. »
Lors commenche li rois a faire trop grant duel et est tant dolans que il vaurroit bien estre mors, et se claimme chaitif et dolant, li plus malleureus de tous autres chevaliers. Et la damoisele, qui che voit, en est moult courechie, car elle prisoit moult le roi de sens et de courtoisie et de chevalerie seur tous autres chevaliers que elle euust onques veus. Et il faisoit bien a prisier, car a chelui tans n'avoit el monde millour chevalier de lui. Et cele, qui li voit cel duel mener et a cui il em poise trop, li dist : « Ha ! sire, que esche ore que vous faites ? Certes, ore ne vic jou onques houme de si povre cuer coume vous estes, qui plourés pour mort de damoisele ! Ostés ! Che ne vous apartient pas ! Certes, ja preudom n'en orra parler qui a mauvais ne vous en tiegne ! » Et il respont trop dolans : « Certes, damoisele, se je fach duel, che n'est mie grant merveille, car je connois tout apertement que ceste chose est avenue par mon pechiet. - Et de quoi ? fait elle. Se vous vous en deviés ore occhirre, si en est il ensi avenu. Pour chou se vous devés penser que en mener duel ne poés vous aquerre se honte non. - Je sai bien, fait il, que nus preus ne m'en porroit avenir, mais je ne m'en puis tenir que je dolans n'en soie pour chou que je m'en sench coupables. Mais ore m'en consilliés que jou en porrai faire. - Vous enporterés, fait elle, la teste de la damoisele a la court pour moustrer apertement ceste mierveille. Et cel chevalier porterés en cel hermitage, ou il sera en terre mis. » Et lors li moustre un hermitage qui estoit pres d'eus en une haute roche. Et il dist que cest conseil est li mieudres que il voie en ceste chose. Si baille la teste de la damoisele a pendre a son archon devant et prent le chevalier occhis et le met devant soi et l'enporte dusques a l'ermitage, et trueve le preudoume, qui encore n'avoit mie tout son service chanté. Li chevaliers descent a l'uis d'une petite chapiele qui laiens estoit et porte dedens le chevalier mort et conte au preudomme tout ensi coume il l'a trouvé occhis, mais il ne set par quel mesaventure il morut : or li fache tel droiture comme on li doit faire. Li preudom dist qu'il li chantera messe et puis le metera en terre dedens sa chapiele meismes et il ne li puet faire gringnour hounour. « Sire, che dist li rois, vous en dites assés. »
Tout ensi coume li preudon l'ot devisé le fist il, car il enfoui en la chapiele le chevalier. Et quant il li ot fait toute l'ounour qu'il li pot faire, li rois s'em parti et moult le merchia de ceste chose. Et maintenant se remist en chemin entre lui et la damoisele, et chevauchierent le petite ambleure tout souef, parlant de che qu'il voloient, tant qu'il vinrent a Camalaoth droit a eure de viespres.
Quant cil de la court virent le roi revenir sain et haitié et amenoit la damoisele aprés pour qui il estoit alés, il en furent liet et joious et le rechiurent moult hounerablement. Li rois Artus li ala a l'encontre, car moult amoit et lui et sa compaignie. Et quant il l'orent desarmé, il prent la damoisele par le puing et dist au roi : « Sire, veschi ma queste. L'ai je bien menee a chief ? - Certes, oïl, che dist li rois, la Dieu merchi. Je n'oï onques parler de gent a cui il avenist si bien coume a vous .III. compaignons, qui de chaiens meustes ensamble, car il n'i a chelui, Dieu merchi, qui ne soit revenus assés sains et assés haitiés et qui n'ait menee sa queste a chief et a sa volenté. »
Lors furent li saint aporté et jura li rois autel serement comme li autre avoient fait. Et quant li rois ot juré, li rois Artus li commanda qu'il contast tout chou qu'il li estoit avenu en ceste queste. Et il dist que si feroit il sans mentir de riens. Si commencha maintenant a conter tout chou qu'il li estoit avenu, ensi coume li contes l'a ja devisé. Et quant il ot tout conté, qu'il n'en avoit riens laissiet dont il li souvenist, il moustra la teste de la damoisele, cele qui tant l'avoit apielé quant il trespassoit par dalés la fontainne, mais il s'en aloit a tel besoing qu'il n'ot loisir de retourner, et quant il revint, il trouva le chevalier mort et la damoisele devouree de bestes, qu'il n'i avoit remés d'entier fors la teste et les os. « Si en sui, fait il, si dolans que aventure ne m'avint piecha mais dont il me pesast autant coume il fait de ceste, car il me samble qu'il sont ambedui mort par tel mesqueance et que che soit avenu par defaute de moi. - Certes, che dist li rois, vous en faites trop a blasmer, car je croi vraiement que se vous fuissiés retornés a chelui point que elle vous apieloit si doucement coume vous meismes racontés, elle n'en fust encore pas morte, anchois euust en vous conseil trové de che pour coi elle vous apieloit. » Lors saut avant Merlins et dist au roi Pellinor : « Sire, savés vous qui la damoisiele fu ? - Certes, che dist li rois, nennil, et se esce une chose que je desiraisse moult a savoir, s'estre peuust. » Et Merlins comencha penser. Et quant il parole, il dist tous pensis : « Certes, sire, c'est damages que vous estes si mescheans en auchunes choses, car, se Dieu me consaut, je ne sai en tout l'ostel le roi si preudoume coume vous estes ne la ou li rois Artus trouvast au besoing si grant loiauté coume il feroit en vous. Mais certes je ne di mie que che soit par vos oevres que vous soiiés si mescheans, ains le voit on tout dis par coustume que Nostre Sires envoie plus tost as preudommes et as vassaus corous et anuis en cest monde qu'il ne fait as mauvais. Et chou est la chose qui plus vous doit reconforter seur ceste mesqueanche. - Certes, Merlin, che dist li rois Artus, vous dites voir : cis consaus est boins et loiaus, car toute jour le voit on avenir coume vous le devisés. - Sire Merlin, chou dist li rois Pellinor, vous ki savés les choses, ja ne seront si obscures, dites moi chou que je vous demanderai. Et certes, se vous m'en certifiiés, moult avrés mis men cuer plus a aise qu'il n'est. - Je sai bien, fait Merlins, que vous me volés demander. Souffrés vous, et je le vous dirai, mais che sera si obscurement que vous ne l'entenderés pas a ceste fois, et neporquant en brief terme l'entenderés vous. Ore m'escoutés. Vous me volés demander qui ceste damoisele fu dont vous avés aportee la teste a court, et je le vous dirai, non pas tout ensi que vous entendés son non ne le non de son pere, mais je vous en dirai une tele parole que assés le porrés counoistre se vous estes sages.
Vous souvient, ore a .II. ans, que vous estiés a Montor, une vostre chité, et teniés court riche et miervilleuse, et avoit a cele court venut moult de chevalerie et de pres et de loing ? - Bien m'en souvient, che dist li rois, que je ne fui onques nulle fois si joians comme je fui a celui jour. - Bien puet estre, che dist Merlins. Or vous dirai pour coi je vous ai che dit. Quant vous estiés a vostre dos viestu de vos dras roiaus, vostre couroune en vostre chief, et vous aviés euut tous vos mes, lors devant vous vient un fol qui vous dist : “ Rois, oste cele couroune de ton chief, car elle ne te siet pas bien. Et se tu ne l'ostes, li fiex del roi ochis le t'ostera, et ensi la perdras. Et se tu la pers, che ne sera grant mierveille, car par ta mauvaisté et par ta negligense en lairas tu ta char devourer a lions chelui an mesmes que tu seras mis en autrui subjection. ” Ensi te dist li fols la senefiance de ta mort et chou que tu seras mis en autrui subjection. Et ne savoit il qu'il disoit, fors chou qu'i li venoit a la bouche. - Certes, che dist li rois, toutes ces paroles que vous avés racontees me dist li fols et tout en autel maniere que vous les avés dites, si i connois je partie de verité. Car de che que il me dist que je seroie en autrui subjection me dist il voir, car je m'en sui nouvielement mis en la garde mon signeur le roi Artus et en sa compaignie qui chi est. Mais que j'aie laissiet ma char devourer a lions ne sai ge nient que che soit voirs encore. - Se tu ne le ses ore, fait Merlins, tu le savras encore, car il ne te dist parole qui ne soit avenue ou qui n'aviegne. Et se il t'amentut que li fiex del roi occhis t'osteroit la couroune, il te menti se tu nel vois avenir. Et certes, quant il avenra, che sera damages grans a tout le roiame de Logres. - Encore ne m'avés vous pas dit qui fu la damoisiele de coi je vous ai tant demandé. - Je le vous ai dit tant coume je puis, che dist Merlins, si nel vous voel ore plus descouvrir, car vous le savrés bien tout a tans. Et bien saichiés que vous n'euustes onques si grant duel que vous avrés chelui jour que vous en savrés la nouviele. Mais encore vous diroie jou une autre chose, se je ne vous cuidoie moult courecier. » Et li rois, qui moult est desirans de savoir, si prie pour Dieu que il li die. « Et bien sachés, Merlin, fait il, vous ne me porriés dire chose dont je me courechasse, car je sai bien que vous ne me diriés nulle chose por men mal. - Certes, chou est voirs, fait Merlins, et je vous dirai dont chou que vous me requerés. Oïstes vous chou que la damoisiele dist quant vous l'eustes trespassee ? “ Ha ! chevaliers mauvais et orgilleus, Diex vous doinst tant vivre que tu aies aussi grant mestier d'aide coume j'ai orendroit et que tu soies aussi esgarés coume je sui esgaree, et proiier puisses tu par besoigne ne n'aies gringnour aide ne gringnour secours que j'ai de toi ! ” Tout chou dist la damoisiele. - Certes, voirs est, che dist li rois. - Ore saichiés, fait Merlins, que elle estoit aussi boine puciele et aussi boine vierge que Nostre Sires a oï sa proiiere, car tout che que elle dist t'avenra, car tu morras par defaute d'aide ausi coume elle fist. Et lors t'avenra une parole qui te fu dite le premier jour que tu portas couroune, et si te dirai quele et je le sai bien qu'il t'en souvenra. Quant ti archevesque et ti evesque t'orent courounet et tu euus la messe oïe, tu alas devant l'autel et te mesis a genous et commenchas a priier od larmes et o plours Nostre Signour que il par sa douce pitié te desfendesist toute ta vie que tu ne morusses par mesqueanche. Lors vient une vois qui te dist, et che fu sans faille devins respons : “ Rois Pellinor, tout aussi coume faudras a ta char te faurra ta chars, et che sera pour coi tu morras plus tost. ”
- Certes, Merlin, che dist li rois, ceste parole me fu voirement dite a chelui jour que vous devisés et tout en autel maniere, si en ai esté moult pensis toutes les fois qu'il m'en souvenoit, car onques ne poi entendre que chou estoit a dire. Et pour chou vaurroie jou priier pour Dieu que vous, qui le savés, le me desissiés. - Che ne vous dirai je mie, fait Merlins, car je ne vous descouverroie en nulle maniere les choses que li Haus Maistres a establies a sa volenté. Et bien sachiés que nus hom vivans ne le vous savroit a dire fors moi seulement, et pour chou ne le savrés vous pas devant le jour que vous trespasserés. Mais lors sans faille en serés vous si certains coume je sui orendroit. - Ore soit, che dist li rois, et de ma vie et de ma mort a la volenté de chelui qui me fist, car se cil veult, je perirai, et s'il li plaist, j'eschaperai sains et haitiés de tous periex. » Et lors li commenchent a larmiier li oel. Et Merlins li dist : « II n'i a point de desconfort. Nus ne puet destorner que la volentés Nostre Signeur n'aviegne. - Ore laissons atant ester cele chose, che dist li rois Artus, mais parlons d'autre, ne ne soions mie si courechiet de la mort, car par celle voie couvenra il passer, et viex et jovenes. Ja nus n'en eschapera. »
Lors dist Merlins au roi : « Sire, s'il vous plaist, faites avant venir la mere Tor, si connisteroit ja chou que je vous ai dit. » Et il le commande et cele vient avant. Et li rois le prent par la main et le mainne en une des chambres et fait venir avoec lui Merlin et le roi Pellinor et Tor et .XII. des plus haus barons de laiens. Et quant il sont assamblé, Merlins parole a la dame et li dist : « Dame ves chi le roi Artus qui vostre sires liges est, qui vous requiert que vous li fachiés counoistre le pere de cel chevalier. » Se li moustre Tor. Et cele respont : « Son pere puet il bien counoistre comme pour povre loial laborant sour terre. Et si cuic qu'il l'ait ja veut auchune fois, car il meismes le prousenta a ceste fois au roi Artu mon signour qui chi est pour chou qu'il le fesist chevalier. - Dame, che dist Merlins, nous ne vous demandons mie de chelui qui le norri, mais de chelui qui l'engenra, car che savons nous bien de voir qu'il ne nasqui onques de vilain, mais de gentil houme que je counois moult miex que vous ne faite. Et sai bien le jour et l'eure et le tans qu'il fu engenrés et qui l'engendra, et sui pres que je le die orendroit a mon signeur le roi et a ses houmes s'i le coumande, se il est ensi que vous nel voelliés dire. » Lors est moult la dame esbahie, si rougist de la honte que elle a de chou qu'il li met sus. Et quant elle parole, elle dist : « Coument avés vous non, biau sire, qui si vous vantés de savoir la verité de mon estre ? - Dame, fait il, jou ai a non Merlins. De tant coume vous me verrés plus, de tant me counisterés vous mains. - Certes, fait elle, bien vous en croi, car dyables a bien pooir de soi moustrer en tantes formes et en tantes manieres que il n'a si sage houme ou monde que il ne decheust auchune fois. Et je sai bien, si coume maintes gens dient, que vous fustes fiex dou dyable, pour coi il ne seroit pas grant merveille se je vous mescounissoie la u je vous verroie, car li anemis se choile tout dis et respont au plus qu'il puet. » Et lors commenchent a rire tout cil qui la estoient et batent lour paumes et dient a Merlin : « Que dites vous de ceste dame ? - Je n'en puis, fait il, riens dire se bien non, car elle est preudefeme et si puet bien dire voir de chou que elle a dit. Mais se elle ne veult encore recounoistre verité de chou que je li demanc, je le vous conterai oiant li. » Et la dame respont atant, moult courechie : « Merlin, or voi je bien que vous n'estes mie dou tout de la maniere as autres dyables. Che savons nous que li autres dyables vaurroient tous jours que li pechi de chascun fuissent repost et celé, si que il n'en issist ja de la bouce au pecheour, se che n'estoit par gap et par eschar, et vous volés que jou descuevre le mien. Si le descoverrai, mais sachiés que ja Diex ne vous en savra gret, car vous ne le faites mie pour l'amour de lui ne pour moi amender, fors pour moustrer vostre savoir. » Et lors dient li baron : « Ne vous samble ceste dame moult sage ? - Se ele ne fust, fait Merlins, si boine comme elle est, je ne li souffrisse pas a dire chou que elle dist. » Et lors dist la dame au roi : « Sire, certes je ne vous en mentirai pas, ains le vous dirai, puis k'a dire le me couvient. Saichiés que Tor mes fiex n'est pas fiex de mon baron, ains l'engenra uns chevaliers cele semainne que je fui espousee meismes, si gut a moi, u je vausisse ou non, che set bien Diex. Onques puis ne soi qui li chevaliers estoit ne n'oï de lui nulles nouvieles. Et sachiés que il m'eut puciele ne je n'avoie pas d'aage .XV. ans quant il engenra Tor. »
Lors parole li rois et dist : « Dame, a chou que vous me dites ne samble il pas que vous sachiés li quels est peres Tor. - Certes, sire, fait elle, non sai jou. » Et lors commenche Merlins a rire et dist : « Dame, et qui le vous monsterroit, le connisteriés vous ? - Nennil, fait elle, si coume jou cuic, car je ne le vic onques fors une fois et si a grant tans que che fu. » Et Merlins dist : « Saichiés qu'il est entre nous. » Si prent le roi Pellinor par la main et dist : « Veschi le chevalier. » Et elle a honte de ceste parole, si commenche a rougir et li rois aussi. Et Merlins dist : « Onques ne doutés qu'il ne soit ensi. Et je vous dirai, fait il au roi, si bonnes ensegnes que vous en porrés estre tous certains. Vous la trouvastes dalés un buisson et avoit avoec li un levrier et un mastin. Et vous en aviés fait aler tous vos houmes por un hermite, a cui vous aviés parlé de confession, a .III. archies d'un chastiel que on apieloit Amint. Et quant vous le veistes si biel enfant comme elle estoit, vous descendistes et li baillastes vostre cheval a tenir tant comme vous fustes desarmés, et geustes .II. fois a li la meismes, la ou elle faisoit trop grant duel. Et quant vous en eustes fait vos volentés, vous li desistes : “ Je cuic que tu me remains grosse ”, et presistes vos armes. Et quant vous fustes armés et montés, vous l'en vausistes porter avoec vous, mais elle ne vaut, ains s'en torna fuiant si coume elle pooit et vous maudissoit moult durement. Quant vous veistes qu'elle ne venroit pas avoec vous, si presistes son levrier, qui tous estoit blans, et l'emportastes et desistes que vous le garderiés pour l'amour de li. Ensi vous en avint. Ore savés vous bien se di voir. - Certes, che dist li rois, vous n'i avés de riens menti, car il avint tout ensi comme vous le dites. » Lors dist Merlins a la dame : « Dame, vous est il avis que je die voir ? - Sire, fait elle, se vous ne dites voir, cil mentiroient qui vous tiesmoignent a voir disant de toutes choses. - Et reconnissiés vous encore de riens cest houme ? - Oïl, fait elle, je le reconnois a cele plaie qu'il a en la joe senestre, car adont en estoit il garis et tout de nouviel. - Et cuidiés vous que che soit cil qui engenra Tor vostre fil ? - Oïl, fait elle, c'est li, que je le sai tout vraiement. »
Lors dist Merlins a Tor : « Tor, or poés veoir et connoistre que vous n'estes pas fiex de vilain, mais fiex de roi. Certes, se vous fuissiés d'estrassion de vilain, ja ne vous presist talent de chevalerie mener. Mais il ne puet estre que gentillece ne se moustre, ja ne sera si enserree. » Lors dist au roi Pellinor : « Sire, ore avés autant gaaignié coume perdu, car vous avés gaaignié et recouvré l'un pour l'autre. » Et li rois li prie qu'il li face miex a entendre. « Je ne vous en dirai ore plus, fait Merlins, car vous le savrés tout a tans, ne vous ne gaaignieriés riens se je le vous disoie orendroit. Mais tant vous di je bien que chis est vostres fiex et que vous l'engenrastes, et vous le devés bien amer et chier tenir, car bien sachiés qu'il vous retraira bien de chevalerie, car se il vit longement, en cest ostel n'averoit gaires millour chevalier de lui. »
Lors commencha la goie entre les barons, car li rois court a Tor et Tor a lui, si baise li peres le fil et li fius le pere. Et Tor dist qu'il se tient a boin euré de chou que li rois Pellinor est ses peres. Et li rois dist qu'il se tient a riche de chou que Tor est ses fiex, car il a tant de bien veut en lui a cest commenchement qu'il set bien qu'il ne faurra pas a estre preudomme, se Dieu plaist et s'il puet vivre par aage. Et quant la dame voit que la chose est a chou avenue, elle prent congiet au roi Artus et puis baise son fil et li dist : « Biaus fius, vous avés esté norris en povreté : se Nostre Sires vous aimme tant qu'il vous mette en la boine euurté et en la hautece, pour chou ne l'oubliés vous pas, car bien sachiés qu'il vous oublieroit. Car tout ensi que il est poissans de vous soushaucier, aussi est il poissans de vous abaissier et de metre a nient : en ceste chose vous devés vous regarder et prendre essample. Ne il ne vous bailla que une ame a garder : se vous cele li rendés, dont vous tenra il a preudomme et a vrai chevalier. Et se vous la metés en autrui garde et en la saisine de l'anemi, certes miex vous venroit que vous fuissiés laboreres de terre et povres aussi coume sont vo autre frere. » Tor li respont : « Dame, jou en penserai bien, se Dieu plaist. » Et cele s'en part de court, si fu convoiie de maint preudoume. Et se li rois Pellinor fist puis bien, li contes s'en taist et moult a autres choses que a parler de lui.
Quant elle fu de court partie, la joie fu par la court grans. Et li rois demande a la Damoisele Caceresse, si tost coume il li ot rendu ses levriers et son braket et la teste del chierf : « Damoisele, que dites vous ? Nous soumes nous bien acquitiet a vous ? - Certes, sire, fait ele, oïl. Ce ne quidaisse pas que vous le peussiés aussi bien faire. Et puis qu'il ne me faut riens des choses que jou avoie quant jou entrai en vostre court, je prenderai congiet a vous, car je m'en irai en mon païs au plus tost que je porrai. - Damoisele, che dist li rois, ains sejornerés chaiens, s'il vous plaist, et serés avoec les dames et les damoiseles ma dame la roine. Et je vous di que vous i serés servie et houneree autant ou plus comme la plus haute dame de chaiens. Et vous le devés bien estre, se Diex me consaut. - Voire, sire, se Diex m'aït, fait Merlins, se vous le saviés aussi bien coume je le fais. » Et lors li conseille : « Saichiés que elle est trop vaillans et trop sage et de si haut lingnage coume celle qui est fille de roi et de roine. Se vous li faites honnour, tous li mondes vous en devera savoir boin gret. » Et li rois dist que de li hounerer est il tous pres et sera tant comme elle demourra a court. Lors prie la roine que elle le tiegne avoec li et li port hounour et la tiegne chiere seur toutes les damoiseles de laiens. Et la roine dist que che fera elle volentiers, si la prie tant que celle li otroie que elle demourra avoec li une pieche de tans. La roine li demande coument ele ot non en baptesme et celle li dist que elle a non Niviene et est fille d'un haut houme de la Petite Bretaigne, mais elle ne dist pas que elle fust fille de roi. Et sachent vraiement tout cil qui le conte monsigneur Robert de Borron escoutent que ceste damoisiele fu cele qui puis fu apielee la Damoisiele dou Lac, cele qui norrist grant tans en son ostel Lanscelot dou Lac, ensi comme la grant ystoire de Lanscelot le devise. Mais ceste ystoire del Saint Graal n'en parole par gramment, anchois tient une autre voie et dist :
Ore dist li contes que a l'endemain que li rois ot fait la damoisele remanoir a court, il traist Merlin a conseil et dist : « Merlin, je vous pri que vous me dites qui fu cele damoisiele dont li rois Pellinor aporta la teste a court. - Sire, fait il, je le vous dirai, car je sai bien que ceste chose sera celee par vous. - Voirs est, che dist li rois. Onques n'aiiés garde que elle soit descouverte par parole qui de moi viegne. - Ore sachiés, fait Merlins, que cele damoisele estoit sa fille et venoit a court pour parler a lui. Et chis chevaliers ki estoit avoec li estoit ses cousins germains et estoit meus de son païs pour li conduire en ceste court. Et pour chou li di jou qu'il avoit autant gaaignié coume pierdu, car il avoit recouvré fil pour fille, che savoie je bien. » Et li rois se saingne de la mierveille et dist que chou a esté droite mesqueanche. « Mais or me dites, Merlin, s'il vous plaist, que che fu a dire “ aussi comme tu faurras a ta char te faurra ta chars, et che sera la chose pour coi tu morras plus tost ” ? - Se je vous disoie, fait Merlins, chou que je sai, maint mal en porroient bien avenir, car vous estes jovenes hom et envoisiés, si ne savriés pas si bien celer auchune chose coume il couverroit a faire. - Certes, ce dist li rois, ja chose que vous me dites ne descouverra por coi je cuic qu'il vous desplaise. - Non, fait Merlin, tant coume je soie entour vous. Mais quant je m'en serai partis et vous ne m'en verrés, vous ne connisterés quel ami vous averés perdu en moi. Vous m'averés moult tost oublié. Mais aprés sera uns tans que vous vaurriés bien avoir donné la moitié de vostre roiame que je fuisse dejouste vous. - Bien puet estre, che dist li rois. Che sai bien, quant vous morrés, jamais si sage houme ne morra el roiame de Logres ne qui tant a valut ; mais de che ne puet nus eschaper. Mais ore me redites chou que je vous demanc. - Volentiers, fait Merlins. Je le vous dirai seur chou que vous averés acreanté que jamais par vous ne sera descouviert devant que che soit avenu. - Che vous creanc jou », fait li rois. Et Merlins li dist : « La parole si fu : “ Aussi comme tu faudras a ta char te faurra ta chars. ” A sa char a il ja failli et sa chars li faurra. Si sera un jour, ains eure de .XII. ans, qu'il sera entrés en une queste et enconterra en une forest que je bien sai le fil del roi ochis. Et sera a chelui point navrés de moult de plaies, si que li fiex del roi occhis le trouvera si mat et si travilliet que il le metera dusques a outranche et le laissera en la plache aussi coume pour demi mort aprés cele bataille, et gerra en pasmissons de nonne jusques a eure de viespres. Quant il avra tant geu en pamisons coume je vous devise, il overra les iex adont et verra vers lui venir .II. chevaliers armés et dont li uns sera Kex li seneschaus, li autres Tor. Kex s'en fuira, Tor l'encauchera. Et quant li rois Pellinor verra son fil, il li criera : “ Tor, biaus fiex, ne va avant, mais vien cha, car j'ai besoing de toi. ” Tor l'orra bien et entendera, mais il ne cuidera pas que che soit ses peres, ains cuidera que chis le gabe et escarnisse. Si s'en ira outre, que onques nel regardera, et li rois remanra, qu'il n'avra pooir de soi remuer. Au soir, quant il sera auques anuitié, revenra cele part li fiex del roi occhis, ensi coume mesqueance sourt as preudoumes. Et quant il connistera le roi Pellinor, il li caupera maintenant la teste, que ja n'en avra mierchi. Ore vous ai devisé la mort Pellinor, qui avenra tout ensi coume je vous ai devisé. - Certes, che dist li rois, che sera damages. Et se je pooie, je la destorneroie, sauf chou que je n'en parlaisse n'a cestui n'a cest autre. - Vous nel porriés destorner, che dist Merlins, ne plus que vous peuustes destorner que li enfes ne venist a norreture et a sauvement par cui chis païs vendra a destruction. - Coument ! fait li rois, n'est il mie mors ? - Nennil voir, fait Merlins, anchois le fait norrir uns de vos barons avoec un sien fil et le garde moult chierement, et sont li dui enfant auques d'un aage. Et encore vous di autre chose : saichiés que li enfes dont je vous parole occhirra encore chelui meisme enfant avoecques cui il est norris. Ore esgardés quel norreture ! » Et li rois se saingne et dist : « Maldite soit l'eure que il fu engenrés, car en toutes manieres fera il mal ! Mais des autres enfans, che dist li rois, qui furent mis en la mer, qu'en dites vous ? - Je vous di, fait Merlins, que il sont tout sain et haitiet ne n'en i ot nul peri, ains les trouva uns riches hom qui tous les mist en une soie tour, et les fait norrir avoecques un sien fil au plus richement qu'il puet. - Et li malfés et li dolereus enfes est avoec eus ? dist li rois. - Nennil certes, che dist Merlins, ains est moult loing. »
Assés parlerent chelui soir de maintes choses entre Merlin et le roi, et puis s'alerent couchier, Merlins en une chambre et li rois avoec la roine. Blaises demouroit encore a Camalaoth. Et si tost que Merlins estoit avoec lui, il li disoit les aventures qui avenoient ou roiaume de Logres et grant partie des choses qui sont a avenir, si que cil ot son livre bien ordené et auques mené a fin anchois que Merlins se partesist de la Grant Bertaigne. Merlins repairoit moult volentiers avoec la Damoisele Cacheresse, celle qui Nivene estoit apielee. Et tant i repaira une fois et autre qu'il l'ama de trop grant amour pour chou que ele estoit de trop grant biauté, ne n'avoit pas d'aage plus de .XV. ans. La damoisele estoit moult sage de son aage, si s'aperchut bien que cil l'amoit. Si en fu moult espoentee, car elle avoit paour que cil ne la honnesist par son enchantement ou que cil ne geust a li en son dormant. Mais cil n'en avoit talent, car il ne fesist en nulle maniere chose dont il cuidast que elle se deust courechier.
Ore dist li contes que en tel maniere demoura la damoisiele a court bien .IIII. mois. Merlins le venoit veoir chascun jour comme cele qu'il amoit moult. Et quant elle le vit souspris de li, elle li dist : « Je ne vous amerai jai se vous ne me fianchiés que vous m'aprenderés des enchantemens que vous savés tout che que je vous demanderai. » Et il commence adont a rire et respont : « Il n'est riens que je ne vous apresisse pour que je le seusse, car je n'aim riens fors vous ne ne porroie amer. - Puis que vous m'amés tant, fait elle, je voel que vous me fianciés de vostre main nue que vous ne ferés riens par enchantemens ne par autre chose dont vous cuidiés que je me doie courechier. » Et il li fianche tout erraument.
Ensi s'acointa la damoisele de Merlin, non pas en tel maniere qu'il euust de riens a faire a li, mais il atendoit et esperoit qu'il la conneust carneument et de sa volenté et qu'il euust son pucelage, car che savoit il bien que elle estoit encore pucelle. Si li coumencha a aprendre d'ingromanchie et d'enchantement tant que elle en sot assés. Dedens celui terme avint que li rois de Norhomberlande, un roiame qui marcissoit a la Petite Bretaigne, envoiast au roi Artu unes lettres. Et disoient ces lettres :
« Rois Artus, je vous salue comme mon ami et vous pri par cortoisie et par amours que vous Nievenne ma fille, qui est remese en vostre court si comme on le m'a conté, m'envoiiés en mon païs par mes messages que je vous envoie. Et sachiés que je vous sai moult grant gré de l'ounour que vous li avés fait en vostre ostel. » Quant li rois ot veu ces lettres, il fist devant li venir la damoisele et li dist : « Damoisele, vostre peres a cha envoiiet pour vous messages. K'en ferés vous ? En vaurrés vous aler ou remanoir ? - Sire, fait elle, je m'en irai, puis qu'il m'envoie querre. - Certes, fait il, vous dites que sage et que vaillant. Et se vous di vraiement, se je ne seusse la volenté le roi vostre pere, je vausisse miex que vous remansissiés que vous en alissiés. Certes, moult me plaisoit vostre compaignie. - Sire, fait elle, de chou sui je moult lie et sachiés que, se je vausisse demorer hors de l'ostel mon pere, il n'i a hostel el monde ou je remansisse si volentiers coume je fesisse en cestui, car certes assés i a raison pour coi on le doit miex loer que nul autre. Mais puis k'a mon signeur mon pere plaist que je m'en raille en mon païs, je ne lairoie en nulle maniere que je n'i alaisse, au mains pour sa volenté acomplir. - Che est vostre miex, che dist li rois, et certes je vous en aim miex et prise. »
Ensi couvint que la damoisele se departesist de court pour aler en son païs. Si vous di que a la roine et as autres damoisieles en pesa trop, car moult s'estoit laiens faite amer et as uns et as autres. Chelui soir vint laiens Merlins a li et li dist : « O ! damoisele, vous vous en volés aler ? - Voirs est, Merlin, fait elle. Et vous, que ferés ? Ne vous en venrés vous mie avoec moi ? » Et che disoit elle pour chou que elle ne cuidast en nulle maniere que il i deust venir. « Certes, fait il, ma damoisele, et sans moi ne vous en irés pas, ains vous tenrai compaignie dessi en vostre païs. Et quant je serai la venus, s'il vous siet, je i demouerrai ; et s'il ne vous plaist, je m'en revenrai, car rien qui vous pleust je ne refuseroie a faire. » Quant elle oï qu'il venroit avoec li, elle en fu trop dolante, car elle ne haoit riens autant coume lui. Mais samblant n'en osa faire, ains fist chiere que moult li fust biel et moult l'en mierchia de ceste compaignie que il li avoit offert a tenir.
Au matin, si tost coume la damoisiele avoit oï messe, elle monta, car les seles estoient ja mises et elle avoit des le soir devant congiet pris au roi et a la roine. Et Merlins ne fist onques samblant a homme de la court qu'il s'en vausist aler, car il savoit bien ke li rois ne li donroit pas volentiers congiet s'i li demandoit. Quant il s'en furent parti de Camalaoth, il chevaucierent tant par lour jornees que a la mer vinrent, et entrerent en une nef et passerent outre. Et quant il furent arrivé en la Petite Bretaigne sain et haitié, si monterent et chevaucierent par mi la terre le roi Ban de Benoïc. Et s'il n'eussent eut Merlin avoec eus, il eussent euut toute paour, car la guerre estoit adont si grande entre le roi Ban et le roi Claudas de la Deserte que nus n'i osoit aler asseur. Chelui soir tourna la damoisele pour herbegier en un chastiel le roi Ban qui seoit en une roche haute et mervilleuse, et estoit li chastiaus uns des plus fors qui fust en toute la terre, et l'apieloit on Trebe. Li rois Ban n'estoit point adonques el chastiel, ains iert pres d'illuec, ou il maintenoit la guerre encontre le roi Claudas. Mais la roine sa feme i estoit, que on apieloit Helaine, et c'estoit la plus bele dame que on seust en toute la Petite Bretaigne et la plus preudefeme que on seuust et a Dieu et au siecle. Ne n'avoient entre li et le roi son signour de tous enfans mais un seul, qui n'avoit pas encore un an d'aage, mais de tel petit d'aage estoit il la plus bele creature del monde. Et l'apieloient laiens par cierté Lanscelot, mais il avoit non en baptesme Galaas.
La roine Elainne, si tost comme elle connut la damoisele de Norhomberlande, elle li fist joie et feste mervilleuse. Ne ne cuidiés pas, entre vous qui oés ces contes, que chis Norhomberlande dont je parole soit li roiames de Norhomberlande qui estoit entre le roiaume de Logres et chelui de Gorre : che seroit folie a cuidier, car chis Norhomberlande estoit en la Petite Bretaigne et li autres Norhomberlande en la Grant. Moult fist la roine Helainne grant joie et grant feste, ensi coume je vous conte, de la damoisele. Et quant on ot mengié, la roine fist aporter avant son fil pour chou que la damoisele le veist. Et quant il fu venus avant et elle l'ot assés regardé, elle dist : « Certes, bele creature, se tu pues tant vivre que tu viegnes en l'eage de .XX. ans, tu seras li nonpers de tous les biaus. » De ceste parole se rist Merlins, et aussi firent tout cil qui l'oïrent. Et Merlins conseille a la damoisele : « Il vivra plus de .L. ans, mais en nul tans ne fera il tant a loer de biauté comme de chevalerie. Vous ne porriés pas cuidier que devant lui ne aprés lui fust autels chevaliers coume il sera. » Et elle respont que beneois soit Diex quant il li a laissiet veoir creature si bele, si le baise plus de cent fois. Et celes qui le norrissoient le prendent et l'emportent es chambres. Et la roine dist a la damoisele : « Certes, damoisele, moult euussons grant mestier que mes fiex fust plus grans qu'il n'est, car nous avons chascun jour guerre grant et pleniere contre un nostre voisin qui nous a moult mal fait et empirié toutes les fois qu'il onques puet. - Dame, che dist la damoisele, comment a non chis chevaliers vostres voisins ? - Il a non, fait ele, Claudas de la Deserte, li plus desloiaus hom qui soit el monde, Nostre Sires m'en doinst encore tel venganche que mes cuers en soit liés, car je ne peuch onques homme aussi haïr coume je le hec. - Dame, che dist Merlins, encore le harrés vous plus. Et neporquant vous verrés celle heure, ains que Lanscelos muire, que Claudas n'avra plain piet de terre en cest païs, ains s'em partira a povre maisnie, vaincus en camp et recreant, et avra tout perdu et s'en fuira povrement en autrui terre. - Ha ! Diex, che dist la roine, se je chelui jour veoie, je ne querroie plus de boine euurté ou siecle, car il n'est riens que je tant hec coume je faich lui. Et se je le hec, che n'est pas mierveille, car il m'a mise en povreté. - Ore ne vous desconfortés, dame, che dist Merlins, car bien sachiés que je ne vous ai dite chose que vous ne voiiés avenir. - Diex le doinst, fait elle, car adont seroie jou moult lie. » Ensi dist Merlins de Claudas, et puis avint il tout ensi coume il l'ot devisé. La dame n'enquist onques qui il estoit, car elle ne cuidast jamais que Merlins venist cele part. A l'endemain, si tost coume la damoisele ot oïe messe, elle monta et se parti de Trebe. Et chevaucha tant entre lui et sa compaignie que elle vint en un bois petit, mais il estoit li plus biaus de son grant et li plus envoisiés qui fust en Franche ne en Bretaigne. Et apieloit on cel bois Bois en Val pour chou que en valee estoit la gringnour partie de cel bos.
Quant il furent en cel bois, Merlins dist a la damoisele : « Damoisele, vous volés veoir le Lac Dyane dont vous avés tantes fois oï parler ? - Oïl voir, fait elle, moult me plaist que je le voie. Riens ne porroit estre de Dyane qui ne me pleuust et que je ne veisse volentiers, car elle ama toute sa vie le deduit del bois autant que je faic ou plus. - Ore en alons, fait il, car je le vous mousterrai. » Lors s'en vont toute la valee tant qu'il truevent un lac bien grant et bien parfont. « Ves chi, che dist Merlins, le Lac de Dyane. » Et lors s'en vont outre, tant qu'il vinrent a un perron. Dalés le perron avoit une tombe de marbre. « Damoisiele, che dist Merlins, veés vous ceste tombe ? - Oïl, fait elle, je la voi bien. - Or saichiés, fait il, que chaiens gist Faunus, li amis Dyane, qu'il ama de trop grant amour, et elle li fu si vilainne que elle le fist mourir par la plus grant desloiauté del monde. Tel guerredon ot il de chou qu'il l'amoit loiaument. - Voire, che dist la damoisele, Merlin, si ochist Dyane son ami ? - Voire, fait il, sans nulle faille. - Ore me contés, fait elle, coument che fu, car je le voel savoir. - Volentiers, fait Merlins, le vous dirai.
Dyane, che savés vous bien, regna ou tans Vergille grant pieche devant chou que Jhesucrist descendist en terre pour sauver pecheours et ama seur toutes choses le deduit de bois. Et quant elle ot alé et cachié par toutes les forés de Franche et de Bretaigne, elle ne trouva nul bois qui autant li pleuust comme chis faisoit. Si i arresta et fist dessus cel lac son manoir, si que elle aloit de jour cachier par mi cel bois et la nuit revenoit a cel lac. En tel maniere fu lonc tans en cest païs, que elle ne servoit fors de cachier et de prendre bestes, et tant que li fius d'un roi qui tenoit tout cest païs en sa main la vit et l'ama pour la biauté qu'il vit en li et pour chou que elle estoit si preus et si viste et tant legiere que nus hom ne peuust tant souffrir travail de cachier comme elle pooit. Il n'estoit pas encore chevaliers, mais damoisiaus moult biaus et moult apers, si la pria tant qu'elle li otria s'amour en tel maniere que il ne repaierroit a son pere ne nulle compaignie ne tenroit fors la sivue. Il li creanta et remest en tel maniere avoec li. Et elle, pour l'amour de lui et por chou que cis liex li plaisoit, fist seur chest lac un manoir moult biel et moult riche. Ensi fu Faunus aussi coume perdus, car il laissa son pere et ses amis et toutes autres compaignies pour l'amour de Dyane. Et quant il ot demouré en tel maniere bien .II. ans avoec Dyane, elle se racointa d'un autre chevalier que elle trouva cachant aussi coume il avoit fait Faunus, si enama chelui chevalier, que on apieloit Felix, tant que che n'estoit se merveille non. Chis Felix estoit estrais de bas lignage et de povre gent, mais par sa proueche avoit esté chevaliers. Si connissoit bien que Faunus estoit amis Dyane et savoit bien que se Faunus le pooit trouver, qu'il le houniroit dou cors ou feroit destruire.
Lors dist a Dyane : “ Vous m'amés, che me dites vous. - Voirs est, che dist Dyane, plus que houme que je onques veisse. - De chou, fait il, ne me puet nus biens venir, car se je vous amoie bien, si n'avroie jou le hardement de venir a vous, car je sai bien que se Faunus le pooit savoir, il en feroit destruire et moi et tout mon parenté. - De che, fait elle, n'avés vous garde. Onques pour chou ne laissiés a venir. - Par foi, fait il, si ferai. Ou vous vous en deliverrés dou tout ou je ne repaierrai ja entour vous. - Je ne m'en porroie, fait elle, delivrer tant coume il fust sains et haitiés, car il m'aimme de si grant amour qu'il ne se porroit de moi souffrir en nulle maniere. - Par foi, fait il, a delivrer vous en couvient en auchune guise. ”
Dyane amoit Felix de si grant amour que elle vausist bien morir par si qu'elle en eust ses volentés. Si se pensa que elle feroit Faunus morir en auchune maniere, ou par puison ou par autre chose. Ceste tombe que vous veés ichi i estoit adont aussi coume ele est ore, et estoit plainne d'iaue acoustumeement, et par dessus avoit une lame. En cest païs avoit adont un anemi, un enchanteur que on apieloit Demophon, qui l'eve de la tombe avoit si atornee que tuit li navré qui s'i baignoient garissoient, et c'estoit par engien et par forche d'anemi.
Apriés ceste chose avint un jour que Faunus vint navrés del bois d'une plaie que une sauvage beste li avoit faite. Et Dyane, qui ne se pensoit fors a mal et a dolour, si tost comme elle oï dire qu'il venoit navrés, elle fist oster l'iaue de la tombe pour chou qu'il n'i peust trouver garison. Quant il fu venus et il trouva que l'iaue fu ostee pour coi li navré prendoient garison, il en fu moult espoentés. Si dist a Dyane : “ Que ferai jou ? Je sui navrés moult durement. - De chou, fait elle, ne vous esmaiiés, car je vous garirai bien. Despoilliés vous tous nus et entrés dedens la tombe et vous couchiés, et nous meterons la lame dessus vous. Et quant vous serés la dedens, nous vous lancherons herbes par mi le pertruis qui est en la lame, et sont les herbes de si grant forche que maintenant serés garis que vous avrés la calour enduree. ” Chieus, qui ne cuidast en nule maniere que ele beast a lui trahir, dist qu'il feroit canques elle li commanderoit. Si entra dedens la tombe tous nus et la lame fu tost mise sour lui, qui estoit si pesans que il n'en peuust jamais issir se on ne l'en levast.
Quant il se fu mis dedens en tel maniere, Dyane, qui baoit a lui hounir del tout, ot apparilliet plonc boullant, si en lancha dedens la tombe a grant plenté, si que chis fu mors erraument, car maintenant li ot ars li plons toute la coraille. Quant ele l'ot fait en tel maniere morir, ele vint a Felix et li dist : “ Je me suis delivree de chelui qui vous tant doutiés. ” Et li conta coument elle fist. Et quant elle li ot conté, il dist : “ Certes, tous li mondes vous deveroit haïr, ne nus ne vous deveroit amer, ne non ferai je. ” Lors traist l'espee et prist Dyane par les treches et li caupa le chief, et puis jetta el lac le cors et le chief. Et pour chou que li cors Dyane fu chi gietés et que elle i repairoit si volentiers apiela on cest lac et apielera tant coume li siecles duerra le Lac de Dyane. Ore vous ai moustré coument Dyane ochist son ami et comment chis lac fu apielés li Lac de Dyane. - Certes, Merlin, dist la damoisele, vous le m'avés vraiement bien conté. Mais or me dites que devinrent les maisons que elle avoit chi faites. - Li peres Faunus, dist Merlins, les destruit toutes si tost qu'il sot que Faunus i ot esté mors et depecha tous les edefiemens Dyane. - Il fist mal, fait la damoisele, car trop estoient li manoir edefié en biel lieu et en cointe. Et ja Diex ne m'aït se li lieus ne me plaist tant et embelist que jamais ne m'en partirai devant que je aie fait un estage aussi biel et aussi riche coume il onques fu fais, se on l'i puet faire, ou je remanrai des ore mais toute ma vie. Et je vous pri, fait elle, Merlin, seur l'amour que vous avés a moi, que vous vous en entremetés. » Et il dist qu'il s'en entremetera volentiers puis que il l'em prie.
Ensi emprist Merlins a faire le manoir dalés le Lac Dyane. Et la damoisele dist a cheus qui avoec li estoient : « Signeur, se vous volés avoec moi remanoir du tout, che me plaist moult, car ausi ne porroie jou estre en ceste forest seule. Et je le vous faic a savoir, fait elle, pour chou que bien saichiés que je ne m'en quier jamais remuer de chi, ains i serai toute ma vie a chou que jou ira des ore mais cachier, et apriés le travail m'en irai reposer a mon manoir un jour ou deus ou tant que je vaurrai. » Chil a qui elle dist ceste parole estoient gentil houme et si parent prochain, si respondirent : « Puis que il vous miex plaist a remanoir ichi k'aler a nostre signeur vostre pere, nous remanrons a vous, car sans vous n'oseriemes nous pas aler en nostre païs. » Et elle dist que elle est moult lie de leur remanoir. « Et je vous, fait elle, di que jou ai or et argent que Merlins n'a donné, tant que vous porrés despendre en toute vostre vie. - Damoisele, se vous n'aviés que despendre, si vous pourcacheriemes nous bien a nos pooirs, car nous le devons faire. » Lors ala querre Merlins par tout le païs machons et carpentiers et fist faire dalés le perron maisons et sales si bieles et si riches que en toute la Petite Bretaigne ne peuust on trouver si biel manoir ne a roi ne a prinche.
Quant cele oevre fu acomplie et li machon et li carpentier s'en furent parti, si dist Merlins a la damoisele : « Ore ne te vaut riens chis manoirs se je nel te faich si celé que nus nel voie fors cil qui dedens i manront. » Lors coumencha a faire son enchantement et clost si mervilleusement les maisons de toutes pars que il n'i paroit se euve non. Et se vous fuissiés par dehors, ja tant n'i seussiés regarder que vous i veissiés fors le lac. Quant il ot fait ceste maistrie, il le moustra a la damoisele et li dist : « Est bien vostre maisons fremee ? Ja nus ne verra avant qu'i la voie ne ne sera si pres qu'il la perchoive, s'il n'est de l'ostel meismes. Et se auchuns de vostre maisnie ou par envie ou par haine la voelle faire savoir a autre gent, il cherra maintenant ou lac et sera peris. - Par Dieu, Merlin, che dist la damoisiele, onques de si cointe couvreture n'oï parler. » Ensi fu Merlins avoec la damoisele remés et i demoura nuit et jour, si l'amoit de si grant amour qu'il n'amoit riens el monde autant. Et pour la grant amour qu'il avoit a li ne li osoit il requerre que elle fesist pour lui, car il ne l'osoit courechier. Et il pensoit toutes voies que il i averroit en auchune maniere, si qu'il en feroit outreement ses volentés. Il avoit ja tant apris d'enchantemens a la damoisiele et d'ingromanchie que elle seule en savoit plus que tous li siecles fors seulement Merlins, ne nus ne seuust penser biele envoiseure ne biel geu qu'elle ne feist par enchantement. Ne il n'estoit riens el monde que elle haïst si mortelment que elle faisoit Merlin pour chou que elle savoit bien que il baoit a son pucelage. Et se elle osast emprendre a lui occhirre ou par puison ou par autre chose, elle l'empresist hardiement. Mais elle n'osoit, que elle avoit paour que il ne s'en apercheust, a che que il estoit plus sages que autres. Et neporquant elle l'avoit ja si enchanté par che meismes que elle avoit de lui apris que elle pooit dire canques elle voloit avant que ja en seust riens.
Un jour aloit Merlins par laiens et tant qu'il trova un chevalier dormant en mi la sale qui estoit parens a la damoisiele de laiens. Et elle estoit adont illuec et Merlins dist maintenant : « Ha ! Diex, coume est ore chis chevaliers plus a aise que li rois Artus ne fust tele eure a hui estet ! - Coument li a il hui esté ? fait la damoisiele. Dites le moi. - Il a hui en cest jour, dist Merlins, euut si grant paour de mort qu'il n'en quida ja escaper. Ne non fust il, se ne fust li hardemens Keu le seneschal, qui a .II. caus occhist .II. rois. Et pour chou fu li rois Artus delivrés et furent vaincu si anemi. - Par foi, fait la damoisele, c'est mal fait que vous le laissiés cheoir en tel peril, anchois fuissiés a sa court tous jours entour lui ne ja ne vous departissiés del païs. - Certes, che dist Merlins, je laisse a estre en la Grant Bretaigne pour .II. choses : l'une si est pour l'amour de vous, car je vous aimme tant que je n'i porroie pas sans vous demourer ; l'autre raison si est que je me tieng hors pour chou que mes sors me dist que ja n'i serai si tost venus que on me fera morir ou par puison ou par autre chose. - Coument ! fait elle, et ne vous en poés vous garder ? - Nennil, fait il, car je sui ja si enchantés que je ne sai ki ceste mort m'apareille. - Vous soliés, fait elle, savoir si grant partie des choses a avenir et si estes ore a che menés que vous en avés perdu la scienche ? - Encore, fait il, en sai jou grant partie de celles qui n'apartienent a ma vie ne a ma mort. Mais des moies choses sui je si contrebatus par enchantemens que je n'i sai metre conseil, car les enchantemens qui sont fait ne puis je desfaire se je ne voel m'arme perdre. Mais certes miex vaurroie je que mes cors fust tornés a honte par auchune traïson que l'ame de moi fust perdue ! »
De ceste nouviele fu la damoisele moult lie, car elle ne baoit a nule chose autant coume elle faisoit a la mort Merlin, ne il ne pooit riens savoir de chou que elle disoit ne faisoit, car elle s'estoit trop bien garnie encontre lui par ingremanchie. Ne demoura pas gramment aprés ceste oevre que Merlins seoit un jour a sa table et dalés lui estoit la damoisele. Et il li dist adont : « Ha ! Damoisele del Lac, se vous amiés de riens le roi Artu et vous saviés orendroit que on li appareille, vous ne seriez pas trop a aise ! - Sire, fait elle, bien puet estre. Mais ore vous pri je que vous me diiez que on li appareille. - Morgain, fait il, sa serour ou il moult se fie, li a orendroit soustrait Escalibor, sa boine espee, od tout le fuerre, et li a bailliet une contrefaite a cele par samblance, que riens ne vaut. Et il se doit demain combatre encontre un autre chevalier cors a cors, si est en ceste maniere en peril de mort, car s'espee li faurra au besoing, et chis sera garnis de la millour espee que chevaliers porte orendroit et d'un tel fuerre que ja hom ki le port sour li ne perdera goute de sanc. - Par foi, dist la damoisele, moult est chis meschiés grans et perilleus. Ore vaurroie je que nous fuissons entre moi et vous la ou la bataille doit estre, car certes se li rois Artus i est hounis, che sera li gringnours damages qui puist avenir a nostre tans. - Il i sera, che dist Merlins, mors et hounis se Nostre Sires n'en pense, et che sera pour un pechié que je sai bien qu'il fist puis que Nostre Sires l'ot mis en cele hautece ou il est. » Et elle li demande que che fu. « Che ne vous doi je pas, fait il, descouvrir, car che n'apartient pas a moi ne a vous. A chelui en apartient qui des grans pechiés prent venganche a sa volenté. - Vous dites voir, fait ele, et che estoit outrages que je vous requeroie. Mais ore me dites : porriés vous en nule maniere destorner ceste bataille et tant respiter que on peuust de chi aler en la Grant Bretaigne ? - Certes, fait il, oïl bien. - Et en quantes jornees, fait elle, porriens nous venir de chi ou la bataille doit estre ? - En .XII. jours, fait il. - Or vous pri je dont, fait elle, que vous la respitiés et que nous mouvons le matin et chevauchons sans reposer tant que nous soions la venu. S'il adont plaisoit a Dieu que nous i venissons anchois que la bataille ferist, je ne croi pas que li rois Artus i perdist puis une kenele.
- Certes, Dame del Lac, che dist Merlins, il n'est riens que je fesisse plus volentiers que ceste chose et que aler en la Grant Bretaigne, se je ne me doutaisse a morir par traïson. - Onques, fait elle, n'aiiés doutanche. Saichiés que je vous garderai aussi que je garderoie mon cors, car je vous aim plus que houme qui soit ou monde. Et je a raison, car vous m'avés apris canques je sai ne je n'arai ja bien se par vous non. - Damoisele, fait il, dont vous plaist il que jou aille avoec vous en la Grant Bretaigne ? - Oïl voir, fait elle, et vous en pri. - Et jou irai, fait il, puis qu'il vous plaist, et si cui ge faire folie. » Lors atira la damoisele qui remanroit en son ostel et qui iroit avoec li.
Au main, si tost coume li jours apparut, mut Merlins et la damoisele et .II. chevaliers avoec eus et .IIII. varlés. Et li chevalier estoient cousin a la damoisele et savoient de voir que elle ne haoit riens autant comme elle faisoit Merlin. Quant il vinrent a la mer, il se misent en une nef et orent boin vent, si passerent outre assés tost, si qu'il arriverent en la Grant Bretaigne. Et quant il furent issu de la nef et montés seur leur chevaus, Merlins dist : « Tornés vous ent viers le roiame de Gorre, car illuec poons nous trouver chou que nous alons querant. » Et uns chevaliers respont erraument : « Se nous alons viers Gorre, il couverra passer par mi la Forest Perilleuse. - Vous dites voir, che dist Merlins, par la est nostre droite voie. » Et il s'adrechent au plus qu'il pueent viers le païs qu'il lour ensegne.
Chelui jour chevauchierent em pais qu'il ne troverent chose que on doie ramentevoir en conte. A l'endemain furent parti d'un chastiel riche et fort et bien seant et chevauchierent jusques a eure de tierche. Et lors vinrent en un plain biel et grant, ou il n'avoit de tous arbres fors .II. ourmes qui a merveilles estoient grant et parcreu. Cil dui ourme estoient en mi lieu del chemin et avoit une crois entredeus, et dalés la crois avoit bien tombes .C. et plus. Dalés la crois avoit .II. chaiieres si bieles et si riches que se uns empereres i deuust seoir, et avoit par chascune un arc volu d'ivoire pour chou que la plueve n'i peust nuire. Et dedens chascune des chaiieres seoit uns hom tenans une harpe en sa main, a quoi il se deduisoit quant lui plaisoit. Et avoec chou avoient il tant d'autres estrumens comme s'il ne servissent d'autre mestier.
Or dist li contes que quant Merlins s'aproche d'eus, il s'arreste et dist a cheus qui avoec lui venoient : « Veés vous ces .II. houmes ki la se sieent en ces chaiieres et tienent ces harpes en lour mains ? - Sire, oïl, nous les veons bien. - Et savés vous de quoi il servent ? - Nennil, sire, se vous ne le nous dites. - Et je le vous dirai, fait il, se n'oïstes piecha gringnour merveille que ceste vous samblera. Saichiés que la vois et li sons de ces harpes a si grant forche que nus hom ne nulle feme ne les puet oïr, fors cil seulement qui les sounent, qui ne soient enchanté si miervilleusement qu'il em pierdent maintenant le pooir de tous leur membres, si qu'il chieent aussi comme mort et gisent a terre tant comme li harpeur voelent. Et de cest enchantement sont ja maint mal avenu. Et quant aucuns preudom passoit par chi, se il menast avoec li s'amie ou sa moillier, pour que elle fust biele, li enchanteour gisoient a li voiant chelui qui l'enmenoit, et puis occhioient chelui, qui qu'il fust, pour qu'il emparlast. De cel mestier ont lonc tans servi cil dui enchanteour, si en ont mort maint preudoume et mainte damoisiele biele et boine hounie. Mais se je onques soc riens d'enchantement, jamais preudom ne sera pas eus dolans ne damoisiele courechie. » Lors estoupe ses oreilles au miex qu'il puet pour chou qu'il n'oïst le son des harpes, et fait aussi coume uns serpens qui repaire en Egypte que on apiele aspis, qui estoupe de sa keue l'une de ses oreilles et l'autre en terre boute pour chou qu'elle n'oie le conjurement de l'enchanteor.
Tout autressi fist Merlins quant il aprocha des enchanteurs, car il se doutoit qu'il ne l'enchantaissent, si l'en avint si bien que lour enchantemens ne li puet riens nuire. Mais a la damoisiele et a tous cheus qui avoec li venoient fist il si grant mal qu'il n'en i ot nul qui se peuust tenir en sele, ains cheoient tout a la terre aussi coume mort et jurent en pasmisons. Et quant Merlins vit sa damoisele si atournee, il n'en fu pas petit courechiés, si dist : « Certes, amie, je vous vengerai si bien qu'il en sera parlé a tous jours mais. Et pour vous i gaaigneront tant tout cil qui aprés vous passeront par ichi que, se il estoient bien enchanté quant il i verront, si en seront tout delivre si tost coume il toucheront a l'un de ces .II. arbres. »
Lors fait ses conjuremens teuls coume il set qu'i pooient valoir a tels choses et s'en vient grant oirre viers les enchanteours. Et cil furent tel atourné, erraument que Merlins aprocha d'eus, qu'il orent perdu lour sens et lour memoire et tout le pooir de lour membres, si que uns enfes les peuust illuec occhirre s'il seuust et il euust tant de forche. Ne il ne pooient riens faire fors seoir et regarder Merlin, et a chascun estoit ja cheue la harpe.
Chi endroit dist li contes que quant Merlins les vit tels atornés, il lour dist : « Ha ! malvaise escommuniie gent, par mon chief, qui vous en euust autant piecha fait, il euust fait aumosne, car assés avés fait de dolour et de desloiauté puis que vous en cest païs venistes ! Mais ore faurra vostre iniquités et vostre felonnie. » Lors revient a la damoisiele et a cheus qui avoec li estoient, si fait tant qu'il les deschante si qu'il revienent en lour pooir et en lour forche aussi coume il estoient devant. Et il lour demande : « Comment vous a il esté ? - Sire, font il, nous avons euut toutes les dolours et toutes les paours que cuers d'oume porroit penser, car nous veismes tout apertement les prinches et les menistres d'infier, qui nous avoient liiés si estrois tous les membres que nous n'avions pooir de riens faire, ains cuidions bien estre mort en cors et en arme. - Or ne vous esmaiiés, fait cil : quant cist m'eschaperont, jamais cors de crestiien ne sera travilliés par eus. »
Lors fait faire .II. grans fosses en terre, l'une dalés l'un des arbres et l'autre dalés l'autre. Et quant elles furent faites, il prist l'un des enchanteours tout ensi comme il se seoit en sa chaiiere et le mist dedens une des fosses. Et quant il ot che fait del premier, il refist tout autretel de l'autre. Quant il les ot mis en tel maniere chascun en sa fosse, il prist erraument grant plenté de souffre et l'aluma et puis le gieta es fosses, si que en poi d'eure furent mort li enchanteour, car la calours del souffre les ot tost estains et la puours, qui estoit grans. Lors demanda Merlins a cheus qui entour lui estoient : « Que vous est il avis de ceste venganche ? Est elle assés grans selonc le fourfait ? - Certes oïl, che dient il tout, ne jamais, sire Merlin, n'en orra nus preudom parler qui ne vous en beneisse. Car vous avés fait trop grant aumosne, qui ceste voie avés delivree de ces .II. anemis, car assés fesissent encore mal, se il vesquissent longement. - Certes, che dist Merlins, encore ne m'en tien ge pas a bien paiiet se ceste venganche n'est si apparant que cil qui apriés moi verront la voient grant tans aprés ma mort. »
Lors vait il meismes prendre .IIII. des lames qui estoient dessus les tombes des preudommes que li enchanteour avoient fait morir, si en met deus dessus chascune des fosses, si k'il en avoit un entredeus entre chascune par quoi on pooit bien veoir le feu qui dedens la fosse estoit. Et quant il a che fait, il le moustre a la damoisele et a cheus de sa compaignie, et puis lour dist : « Cuidiés vous que chis feus puist longement durer ? - Sire, font il, nous ne savons, mais vous, qui le savés, le nous dites, s'il vous plaist. - Et je le vous dirai, fait il, pour chou que vous en saichiés la mierveille. Je vous dic que il durra sans estaindre tant coume li rois Artus regnera, et che ne sera mie poi de tans. Et le jour meesmes que il trespassera de cest siecle estaindera chis feus, ne devant lors ne faurra. Et encore avera chi gringnour mierveille, car li cors des enchanteours se terront aussi entier coume il sont orendroit, qu'il n'arderont ne ne pourriront tant coume li rois Artus duerra, ains seront tous jors aussi entier comme il sont ore ; ne les chaiieres meismes ne porront ardoir ne empirier devant que li rois Artus deviera. Et je le faic aussi pour chou que li preudomme qui aprés ma mort regneront, quant il verront ceste mierveille, me soient tiesmoing que j'ai esté li plus sages de nigromanchie de tous cheus qui onques fuissent ou roiame de Logres. Et certes, se je cuidaisse longement vivre, je ne m'en entremesisse ja de tel chose, car assés moustraisse de mon sens a mon vivant. Mais je sai bien que a morir me couvient prochainnement, et pour chou ai je fait si grant miervelle que je voel que elle soit aprés ma mort tiesmoing et demoustranche de men grant savoir. » Et il respondent adont : « Certes, sire, bien mousterra apertement que vous soiiés li plus sages des sages, car de si grant mierveille n'oï on onques parler. » Atant se partent d'illuec et acuellent au plus droit leur voie viers la Foriest Perilleuse. Mais atant laisse ore li contes a parler d'eus et retorne au roi Artus et a sa compaignie.
Ore dist li contes que aprés chou que Merlins se fu partis de court sejourna li rois Artus a Camalaoth .V. jours entiers a grant joie et a grant feste. Aprés s'en parti et ala sejourner a Carduel, une ville biele et riche et bien assise chité. Un jour qu'il estoit entre ses barons li vinrent nouvieles que li rois de Danemarche et chis d'Irlande, qui estoient frere, et li rois del Val et li rois de Sorelois et li rois de l'Isle Lontaigne estoient arrivé en sa terre a si grant gent que che n'estoit se miervelles non, ardant les viles et metant en fu et en flambe, et avoient ja pris de ses chastiaus .III. ou .IIII. par deviers Sorelois. Quant li rois oï ces nouvieles, il en fu moult courechiés, si dist que mar i estoient venu en sa terre et qu'il n'avroit jamais repos devant qu'il lour fust a l'encontre.
Lors manda tous cheus qui de lui tenoient terre qu'il venissent aprés lui tout droit viers le roiame de Norgales, car cele part cuidoit il bien trouver ses anemis. Quant ot ensi mandé par ses lettres et cha et la, il s'em parti erramment de Carduel a tant de gent coume il avoit. Et li baron qui avoec lui estoient li disent : « Sire, vous deussiés encore sejorner et attendre tant que vostre baron fuissent venu, cheus que vous avés envoiiet querre, car certes, se a si peu de gent aliemes veoir nos anemis et nous assamblons a eus, vous n'i avriés ja duree, a chou qu'il ont trop plus grant plenté de gent. » Li rois respondi a cheus qui ces paroles li orent dites : « Coument ! fait il, signour, volés vous que je aille chi sejornant et demourant et mi anemi iront ma terre reubant et preant et prendant mes hommes ? Certes mauvaisement garderoie le peuple que Diex m'a mis entre les mains se je n'en ostoie les roubeours et les felons. Saichiés vraiement que je ne serai jamais aise devant que je lour soie a l'encontre. Et certes, se jou avoie la moitié de gent mains que je n'ai, si assemblerai jou a eus se je les truis, car autrement ne mousterroie jou pas que je deusse estre sires se jou ne les ostoie de toutes autres subjections fors de la moie. »
Teuls paroles dist li rois Artus a cheus qui li looient qu'il remansist encore. Il amoit la roine tant qu'il ne s'en pooit consirrer, si dist : « Dame, apparilliés vous et prendés de vos pucieles que vous miex amés, car il vous couvenra chevauchier et venir aprés moi en cest ost. - Sire, fait elle, a vo volentet en soit. Toute serai aprestee demain au jour. » Et il dist que ensi le couvient il. A l'endemain se parti li rois de Carduel atout tel gent comme il avoit et chevaucha tout droit vers le roiame de Norgales, car cele part savoit il bien qu'il trouveroit ses anemis. Et tout ensi comme il aloit par sa terre croissoit il chascun jour de gent et de compaignie, car si houme se hastoient au plus qu'il pooient pour venir a tans a la bataille. Quant il aprocha dou roiame de Norgales et si anemi oïrent qu'il venoit, si prisent conseil qu'il porroient faire, car moult doutoient a assambler a lui a plain camp pour chou qu'il le savoient aspre de cors et hardi et connissoient que si houme estoient plus duit d'armes et plus manier que nul autre gent. Et uns chevaliers qui estoit freres a l'un des .V. rois dist : « Je vous ensegnerai coument vous porrés legierement desconfire le roi Artus en tel maniere que ja n'i perderés gramment de vostre gent, et si porrés ceste chose avoir faite demain dedens eure de prime. » Et il respondent : « Se che nous poés ensegnier, onques si boins consaus ne fu dounés. Ore nous dites coument che porra estre. - Volentiers, fait il. Il est voirs que li rois Artus est logiés pres de chi seur l'Ombre a l'entree d'une forest que on apiele Marsale. Et illuec bee il a sejorner hui et demain por atendre le roi Pellinor, qui li doit amener moult grant gent de son païs. Il ne cuide pas ore que nous sachons nulle riens de sa venue. Pour chou seroit il bien que nous montissons sempres, si tost coume il sera anuitié, et menissiens la moitié de nos houmes avoec nous et la moitié remansist, si chevaucissons toute nuit par mi la forest. Et certes, se nous alions un peu tost, nous serions bien a l'ajorner a l'ost le roi Artus. Et se nous adont nous poiiens metre en l'ost le roi Artus et sousprendre les desarmés, nous les avrions desconfis tout maintenant. Chou est mes consaus : ore i parra que entre vous en dirés. - Par Dieu, ce dient tout li autre, cis consaus est bons ne il ne nous dist chose que nous n'en puissons bien faire, se nous sommes sage. »
A cest conseil s'acordent tuit, si devisent entr'eus li quel remanroient et coumandent a cheus qui s'en doivent aler qu'il s'appareillent et qu'il pensent de lour chevaus, car il mouvront a l'anuitier. Quant il orent mengiet par l'ost, li .V. roi monterent et firent a lour escuiiers porter lour armes et enmenerent avoec eus de leur ost cheus ou il se fioient plus. En tel maniere chevaucierent la nuit que il onques ne se reposerent, ains s'en alerent tout le grant chemin de la forest. Et quant il fu auques ajorné, il issirent de la forest et virent adont devant eus l'ost le roi Artus et les gens qui estoient logiet dessus l'Ombre en tres et en pavillons. Et li rois s'estoit ja levés et la roine aussi et s'estoient vestu, et Gavains et Kex li senescaus et Gifflés, li fiex Don : cil troi estoient ja venu au pavillon le roi tout desarmé et voloient oïr messe. Et en che que li rois disoit : « Il seroit bien tans que nous presissons nos armes », li cris lieve par mi l'ost grans et miervilleus, et crioient d'une part et d'autre : « Trahi ! trahi ! » Car ja furent entr'eus feru li .V. roi a toute lor gent, si les commenchierent a occhirre et a detrenchier a chou que il les trouvoient desarmés, coume cil qui de che ne se prendoient garde.
Quant li rois Artus ot le cri, il saut sus tous effreés et demande ses armes. Et on li aporte et il s'arma au plus tost que il onques pot, car il voit bien que li besoins en est venus. Et li autre compaignon keurent a lour armes. Et anchois que il fuissent bien armé vint entr'eus uns chevaliers tous navrés qui dist au roi : « Ha ! sire, montés isnielement entre vous et ma dame la roine et vous metés a sauveté, car se vous demourés ichi poi ne grant, vous serés tost occhis et decaupés, ne vous n'i avés nul pooir, car tout vostre houme sont ja mort ! Et se vous aviés passé cele iaue, vous n'avriés garde, car vous avrés secours hui ou demain dou roi Pellinor. » Li rois dist a la roine : « Dame, montés vistement et vous en alés grant oirre dusques a cele yaue et vous metés a sauveté. Et je vous convoiera jusques la, car quel chose qu'il aviegne de nous, je ne vaurroie en nule maniere que vous chaïssiés en lour mains. »
Lors monte la roine a moult grant paour et s'en ist hors des pavellons et s'adreche viers le Hombre au plus tost qu'il puet, et li rois la convoie tous armés, et Gavains et Kex li senescaus et Gifflet. Et fu chascuns si armés qu'il ne li failloit riens. Quant il vinrent au Hombre, il le trouverent moult parfont et moult orgilleus. Et quant li rois voit chou, il est trop corechiés, si dist a la roine : « Dame, que ferons nous de vous ? Se vous vous metés en ceste eve, vous estes perie, et se vous remanés, vostre anemi vous prenderont et vous occhiront. Je n'i voi de nule part vostre sauvement. - Ja Diex ne m'aït, sire, fait la roine, puis que sui a ce venue, se mi anemi m'ont ja en mon vivant ! Je voel miex morir en l'iaue, se a morir couvient, que je ne fache entre leur mains. » Endementiers que la roine parloit ensi, Kex dist au roi : « Ves chi les .V. rois, sire, venir, qui tout icest affaire vous ont esmeu. Je les connois bien a lour armes. Que ferons nous ? - Li retorners, che dist Gifflet, seroit folie, car il ont sieute trop grant, mais metons nous outre et passons la roine. Et quant nous serons par dela, se il vienent aprés nous, nous les porrons legierement occhirre anchois qu'il aient l'iaue passee. - Je ne sai, fait Kex, que vous ferés, mais je vous di que je ne passerai hui eve devant que jou aie jousté a roi. - Mesires Kex, che dist Gavains, se nous joustons a eus che sera a meschief, car il sont .V. et nous ne soumes que .IIII.. - Ne vous caille, che dist Kex, ne ne vous esmaiiés. Je tous seus en occhirrai bien deus, et chascun de vous en occhie le sien ! - Dehait ait il, che dist li rois, en qui il remanra qu'i ne joustera ! »
Lors laisse courre Kex tout avant a chelui des rois qu'il encontra premier, si le fiert si durement que li haubers nel garandist qu'il ne li meche parmi le cors fer et fust. Il l'empaint bien, si l'en porte del cheval a terre, et cil chiet sans mot dire, car la mors l'avoit ja souspris. Et Gavains, qui venoit aprés, laisse courre a l'autre roi et le fiert si durement que li haubers nel garandist et li perche l'escu et li met par mi le cors le fer de la glaive a tout le fust, si le porte del cheval a terre navré a mort. Et Gifflet refiert tout autretel l'un des rois. Et li rois Artus rabat le quart et li met parmi le cors sa glaive, qu'il l'abat mort a la terre. Et Kex, qui ot fait son premier cop, quant il vit sa glaive brisie, il met la main a l'espee, qui boine estoit et bien trenchant, si fiert le quint roi si durement qu'il li fait le chief voler a tout le hyaume plus d'une lanche ensus del bu et li cors chiet a terre. Et quant li troi autre compaignon voient cest cop, il dient a Kex : « Bien nous avés couvent tenu de chou que vous nous pramesistes, car vous avés occhis .II. des rois aussi coume chascuns de nous a fait le sien. Ore seroit il bien tans de passer l'iaue, car veés chi toute l'ost de nos anemis qui chi vient. » Et quant il regardent viers Hombre, il voient que la roine l'avoit ja passé et estoit de l'autre part de l'iaue. Et il se voelent ferir dedens et la roine lour crie : « N'entrés mie par illuec, mais par dela ! » Si lour moustre le gué. Et il se metent ens et passent outre. Et li autre de l'ost qui aprés venoient se metent en l'iaue ne ne quisent mie le gué, si la truevent si parfonde que tout cil qui se mirent dedens i furent noiiet, et estoient bien .CC. ou plus.
Quant li rois les vit ensi noiier et perir, il demande a la roine : « Dame, qui vous ensegna le gué quant vous le trouvastes si bien ? - Ensi, fait elle, m'en cheï que je le trouvai maintenant. - Dame, fait il, ore a cis gués recouvré non que il n'avoit mie devant, que bien sachiés des ore mais que il sera apielés li Gués la Roine. » Et tout ensi coume li rois dist avint il, car des ore en avant fu cis gués apielés li Gués la Roine. Quant li chevalier de l'autre ost trouverent lour signours mors, il s'arresterent sour eus et commenchierent a faire le gringnour duel et le gringnour plourison que vous onques oïssiés. Et fu verités que il se desarmerent tout quant il cuidierent bien estre asseur. Et quant li houme le roi Artu, dont il i avoit grant partie eschapé et s'en estoient fui viers le bois l'un armé et l'autre desarmé, oïrent que cil faisoient si grant duel et qu'il s'estoient arrestet seur la riviere, il connurent erraument que il i avoit mort auchun signour de l'ost. Et apriés chou ne demoura gaires que entr'eus vint uns chevaliers del roiame de Logres tous navrés, qui lour dist : « Signeur, nouvieles vous aporch lies et grascieuses : tout li .V. roi qui ceste ost avoient assamblee sont occis et chil qui cest duel ont commenchié sont desarmé por le duel qu'il en ont et quident bien estre tout asseur. Se ore voliés gaaignier honnour et los a tous jors mais, vous iriés orendroit seur eus tout ensi armés comme vous estes, et je vous di que il sont si mat et si esbahi qu'il ne se porront desfendre ne n'averont ja pooir encontre vous, et ensi les porrés vous occhirre et detrenchier tout maintenant aussi comme bestes mues. » Quant il entendent ceste nouviele, il en sont moult liet et moult joiant. Si prendent lour armes et lour chevaus cil qui les avoient, et cil qui armes n'avoient remanoient. Et quant il furent apparilliet, il laissent courre lour chevaus viers lour anemis, si les commenchent a abatre et a occhirre et a detrenchier, a chou qu'il les trouverent a piet et desarmés.
Li cris lieve seur eus et la huee assés gringnour que elle n'avoit hui esté, car cil tornent en fuies canques il pueent, car il se veoient occhirre et detrenchier de toutes pars. Et li homme le roi Artus les enchauchent, ki les abatent et esbouelent. Et quant li rois Artus voit que si houme ont mis cheus a desconfiture, il dist a cheus qui avoec lui estoient : « Ore a eus ! Nostre houme sont recouvré ! » Si se metent erramment en l'iaue et passent outre. Et quant il sont la venu, il truevent lour anemis qui ja estoient desconfi et la gringnour partie en estoit ja morte, car cil dou roiame de Logres n'avoient baé fors a eus occhirre. Et pour chou avoient il ja tant fait qu'il avoient le camp gaaignié ains que li rois i venist, si qu'il n'en i a nul qui de riens contrestast en plache. Quant il virent le roi Artus, il li vienent a l'encontre et li dient a hautes vois : « Rois Artus, aoure Dieu et gracie de l'ounour qu'il nous a faite. Nous avons, la soie merchi, vaincu nos anemis et si mors et si detrenchiés qu'il n'en i a pas remés la quarte part. » Et quant il ot ceste nouviele, il descent et oste son hyaume et tent ses mains viers le ciel et dist : « Peres des chiex, beneois soies tu que ensi me mes au dessus de mes anemis, ne mie par ma proueche ne par ma valour, mais par t'aide et par ton secours. » Lors fist garder li rois aval la campaigne combien il puet avoir pierdu de ses houmes, si trouverent cil qui de querre s'entremisent qu'il en i avoit mors plus de .Vc., que chevaliers que serjans, de cheus qui au roi se tenoient. Endementiers qu'il les aloient cerchant et pres et loing, et viers les pavillons et viers la forest, vint uns messagiers au roi Artus, qui li dist : « Li rois Pellinor vous salue et vous mande qu'il est pres de chi a .III. lieues et vous vient secourre atout ses gens. - Bien soit il venus, che dist li rois. Ore li poés dire que nous avons vaincu nos anemis, la Dieu mierchi, par la plus biele aventure que onques avenist a crestiiens. » Et li devise en quel maniere. Et li messages retorne maintenant au roi Pellinor, la ou il l'avoit laissié, et li conte les nouvieles que il avoit aprises dou roi en l'ost. Et chis en est moult liés et dist que Diex a bien ouvré a ceste fois.
Ensi furent desconfi cil d'Irlande et li autre roi de lontaingnes terres qui seur le roi Artus estoient venut en agait. Et quant celle bataille fu ensi vaincue comme je vous ai devisé, uns messages s'em parti et vint as autres qui estoient remés de l'autre part de la forest, qui attendoient que on les venist querre pour venir a la bataille. Quant li messages fu a eus venus, il lour dist : « Montés vistement et en alés deviers la mer pour entrer es nes. - Que esche ? font il. Quels nouvieles aportes tu ? - Je les vous aporc, fait il, si mauvaises que je ne porroie pieurs aporter. Li .V. roi sont occhis et nostre gent detrenchie si miervilleusement qu'il n'en i a un seul remés de tous cheus qui ersoir se departirent de chi. Ore pensés de vous garandir tant comme vous en avés loisir, car se il vous truevent ichi par nisune aventure, ja piés n'en eschapera que vous ne soiiés tout ochis et detrenchié, car il ont trop grant peule avoec eus. Et pour chou vous vien ge cha conter ceste nouviele, car je ne vous vaurroie pas tant de mal qu'il vous trouvaissent ichi. »
Quant ceste nouviele fu entr'eus espandue et il sorent que li lour estoient mort et qu'il n'en estoit nus retornés, il dient entr'eus : « Il n'i a fors de l'aler, car nous serons houni se il nous truevent ichi. » Lors s'en retornerent qui ains ains viers la mer et damagent le païs tout par tout la ou il vont et au plus qu'il pueent. Et quant il vienent a la mer, il truevent lour nes toutes prestes qu'il i avoient laissies et les maronniers avoec, si se metent maintenant dedens et se font eslongier de la rive au plus tost qu'il pueent, car moult redoutoient le païs ou il avoient tant pierdu de lor amis.
Ensi ouvra Nostre Sires por cheus dou roiame de Logres : la ou il avoient dou tout perdu et s'estoient aussi coume au desous, les mist au dessus de lour anemis. Li rois fist faire en cele plache meismes ou cele bataille avoit estet une abbeie biele et riche en l'ounour de Nostre Dame. Et quant il l'ot faite et garnie de freres, il l'apiela d'un non qui puis ne li chaï et la nouma la Biele Aventure. Apriés se parti li rois de cel païs et vint a Camalaoth pour segourner, car che estoit de toutes ses chités cele qui plus li plaisoit a sejourner. Morgue estoit toutes voies a court avoec la roine Geneuvre. Et Yvains ses fiex estoit ja chevaliers nouviaus, mais il n'amoit point Morgain sa mere pour chou qu'il veoit que elle n'amoit point le roi Uriien ne ne prisoit. Et il estoit verités que elle ne haoit autant riens del monde, et le roi Artus n'en amoit elle riens, ains amoit un chevalier qui estoit apielés Achalons, et estoit chis chevaliers nés de Gaule, que on apiele ore Franche. Et li chevaliers l'amoit de si grant amour que deus gens ne se peussent pas amer plus ardamment qu'il s'entramoient.
Quant li rois fu venus a Camalaoth, il vit que des compaignons de la Table Reonde failloient .VIII. qui avoient esté occhis en la bataille et il s'en consilla au roi Pellinor qu'il en feroit. « Sire, fait il, il n'i a autre conseil que encontre des .VIII. qui ont esté occhis que vous en i metés .VIII. autres en lour liex des plus preudommes qui chaiens sont. Et je vous di que vous en porrés trouver d'aussi boins chevaliers ou de millours que cil n'estoient. - Vous les connissiés miex, che dist li rois Artus, que je ne fais, car vous ne finés d'errer. Pour chou vous pri jou que vous me nommés chiaus qui miex i soient souffissant, et le vous coumant sour le serement que vous estes tenus a moi. - Et je les vous ensegnerai, che dist li rois, en tel maniere que je n'en deverai estre blasmés, et puis les i metés se il vous samble que je die bien. Et des .VIII. que je vous nommerai sont li .IIII. tout anchiien et li autre quatre nouviel chevalier.
Des quatre nouviaus chevaliers sera Gavains vostre niés tous li premiers. Et sachiés qu'il en est si bien dignes que je ne sai nul millour jovenchiel qu'il est en ceste court ne en autre. Li autres aprés a non Gifflet, li fiex Don : chis est boins jovenchiaus et nouviaus chevaliers et preus as armes et sera boins chevaliers se il vit longement. Li tiers a non Kex li seneschaus : chis est assés boins chevaliers, mais il n'est mie de la bonté as autres. Et neporquant, se il ne faisoit jamais chevalerie, si a il bien deservi le siege de la Table Reonde par le caup qu'il fist des .II. rois, car onques mais jovenchiaus ne commencha si haute emprise coume il fist a ceste fois. » Et li rois Artus dist que voirement a il bien deservi le siege par chelui caup, se il jamais n'en faisoit plus. « Pour le quart des jovenchiaus, che dist li rois Pellinor, vous envoierai jou .II. preudoumes, si prenderés le quel que vous vaurrés. Li uns en est Bandemagus, bons chevaliers et biaus et de jovene aage. Li autres est Tor mes fiex : chelui ne vous loerai jou ja pour chou que mes fiex est, mais assés sevent cil de laiens se chevalerie fu bien emploiie en lui. Ore i metés chelui de ces .II. qui miex vous plaira, car certes li uns et li autres i seroit bien souffissans. » Et li rois Artus dist qu'il i metera Tor, car il li est avis qu'il a millour commencement que n'a Bandemagus. Et li rois Pellinor respont : « Certes, se jou i metoie le plus preu a mon ensient, jou i meteroie Tor, car il en est miex dignes de chevalerie. » Et li rois s'i acorde bien et puis redist : « Ore noumés les autres quatre. - Je les vous nommerai, fait il. Li premiers est li rois Uriiens et li autres li rois Lach, li tiers Herviex de Rivel et li quars a a non Galligars li Rous. Cil sont bien digne de la Table Reonde, car il sont preudoume et boin chevalier et auques d'aage. » Et li rois Artus s'i acorde bien. A l'endemain furent cil mis en la Table Reonde. Et si tost coume il durent asseoir, on trouva lour non escris, mais ensi i tournoit Aventure et Fortune, qui maistresse estoit de cele table, et li non de cheus qui devant i avoient esté estoient ja effacié et osté, si qu'il n'en i apparoit mais nus.
Quant Bandemagus vit que Tor, qui estoit plus jovenes de lui, estoit assis avoec les preudommes qui estoient de proueche sour tous autres renommés, il se coumencha a blasmer et a hounir et a pourvillir et dire a soi meismes : « Ha ! Bandemagus biaus et malvais, jouvente perdue et gastee et santé et vertu mal assise et mal emploiie, membres fors et bien fais et pour noient, pour quoi montas tu en si haut degré coume est chevalerie pour estre huiseus et pour faire noient et pour devenir mauvais ? Certes encore te venist il miex estre escuiiers huiseus que chevaliers fais pour noient, car tu t'ies ore si hounis que jamais tant coume tu vives n'averas hounour, en che que on connoist ore miex que tu ne siex mie tes pers ne de bonté ne de proueche ! Car se tu les euusses atains et aconsivis, tu fuisses assis el renc des preudoumes qui ont renommee et d'ounour et de valour seur tous autres. »
Ensi dist Bandemagus de soi meismes et fu moult pensis chelui jour. A l'endemain, si tost coume il fu ajourné et il ot oï messe, il apiele son escuiier et li dist : « Je m'en vois fors de ceste chité pour un poi moi esbatre par mi ceste forest, et tu prens mes armes et monte seur men destrier et les me portes si coiement que nus ne t'aperchoive. - Sire, fait il, u volés vous aler, qui demandés vos armes ? - Ne t'en caille, fait il, mais soiies asseur, que je revenrai maintenant. - Alés dont, fait li escuiiers, que je serai la aussi tost comme vous serés mesmes. » Lors s'en vait Bandemagus par mi le maistre rue, et tant qu'il vient fors de la chité et vient droit a la forest. Si s'enbusche entre les arbres, que auchuns de la court qui par illuec trespassast ne le couneust par aventure. Si n'a pas illuecques gramment demouré quant il voit issir de la chité son escuiier, qui ses armes li aportoit et son cheval li amenoit. Et il vient encontre lui por chou que il ne le trouvast jamais la ou il estoit repus. Et li vallés descent maintenant et arme son signour. Et quant il l'a bien armé et biel, il s'agenoulle devant lui et li dist tout em plourant : « Sire, pour Dieu, dounés moi un don. - Et je le te doing, fait il. Qu'est chou ? - Sire, moult de merchis de chou que vous m'avés otroiié que vous m'enmenrés avoec vous en ceste voie. Et je le fais pour chou que je ne voel mie que vous aliés sans compaignie, et d'autre part je sai bien que vous n'avés talent de retorner en piece mais a court. Pour chou si seroit mal et peril se vous aliés sans escuiier. - Ore en vien dont, che dist Bandemagus, puis qu'il te plaist que tu i viegnes. » Et li vallés saut avant sour son ronchin et mainne le destrier en destre. Et Bandemagus monte seur son palefroi tous armés fors de son escu et de son glaive que li vallés li porte, si se metent maintenant en la forest en tel maniere. Et quant il ont un poi chevauchié, il truevent a un chemin forchié une crois qui estoit faite de nouviel. Si tost que Bandemagus voit la crois, il descent et s'agenoille devant. Et quant il a une grant pieche esté a genous et il ot dites ses priieres et ses orisons tels comme il les savoit, il jura seur la crois, oiant le varlet, que jamais en la court le roi Artus ne retournera devant qu'il ait conquis em bataille cors a cors auchun des compaignons de la Table Reonde et qu'il ait tant fait d'armes et pres et loing que on die communaument qu'il soit bien dignes de si haut siege comme li sieges de la Table Reonde. Et quant il a fait tel serement, il se dreche en estant et monte en son cheval. Et li vallés em pleure moult tenrement et li dist tout em plourant : « Ha ! sire, or voi je bien que vous n'avés pas empris a gas ceste voie et que vous ne baés pas a revenir a pieche mais. Pour coi avés vous courecié le roi Uriien vostre oncle ? Certes il vous aimme de si boine amour qu'il morra de duel quant vous serés de lui partis, car il ne cuidera mie que vous aiiés jamais pooir de revenir, et ensi li sera avis qu'il vous ait dou tout pierdut. - De che ne t'en caille, che dist Bandemagus. Je vaurroie miex que jamais n'entraisse en la court que je ne fesisse, ains que je reviegne mais, tant que on parlera de ma proueche et pres et loing, si que boines nouvieles en verront a mon oncle. - Diex le vous doinst, sire », fait li vallés.
Atant se met Bandemagus a la voie entre lui et son escuiier. Mais de chose ne d'aventure qui li avenist en toute la voie ne parole mes livres, car messires Helyes, mes compains, a empris sa matiere a recorder chi et a translater en conte celle partie pour un poi alegier de ma painne, si n'est mie ceste partie dessevree de mon livre pour chou que elle n'en soit, mais pour chou que mes livres en soit mieudres et ma painne un poi allegie. Et sachent tout cil qui l'ystoire dou Saint Graal voelent oïr et escouter qu'il n'avront ja le livre entirement s'il n'ont par dallés les grans contes de ceste branke qui est apielee la branke del Brait, qui est la plus bele branke et la plus delitable a escouter qui soit en tout le livre. Car sans faille au tans le roi Artus ne repaira nus rois a court si sages ne si deboinaires ne si courtois coume fu Bandemagus puis qu'il fu courounés del roiame de Gorre. Et devant chou qu'il venist a terre tenir fist il tant d'armes, si com on trueve en la vraie ystoire, que bien en doivent tout boin houme oïr le conte. Et si feront il, che sai ge bien, car messires Helyes en a commenchié l'ystoire a translater, et si di ge malement l'ystoire, mais la branke, car chou est droitement une des brankes del Graal, sans quoi on ne porroit pas bien entendre la moiiene partie de mon livre ne la tierche partie. Mais ore en laisserons a parler, car mes livres n'a mestier d'amasser paroles wiseuses, et retornerons au roi Artus.
Ore dist li contes que moult furent courechié cil de l'ostel le roi Artus quant il sorent que Bandemagus s'en estoit partis, car il pensoient bien qu'il ne revenroit a pieches a court. Au roi meismes ne fu point de biel, car il l'amoit moult et prisoit et avoit ja dit auchunes fois a privé que Bandemagus seroit uns des plus sages houmes dou roiame de Logres, s'il pooit vivre par aage. Et quant il sot qu'il s'en estoit ensi alés, il pensa maintenant l'occoison. Dont il dist au roi Pellinor si tost coume il le vit : « Nous avons perdu Bandemagus pour chou que vous ne li dounastes le siege de la Table Reonde. - Che me poise, dist Pellinor. Je vausisse miex que Tor fust remés et Bandemagus fust assis, car certes il en estoit bien dignes et miex souffissans que teus .XX. connois jou. » Teuls paroles dist li rois de Bandemagus, car il le prisoit moult comme jovene houme. Et au tierch jour aprés, au lundi matin, vint a aler en la forest de Camalaoth pour courre as bestes et ot semons ses veneours pour aler avoec lui. Et quant il furent en la forest venu, il trouverent une compaignie de cers, si en partirent le plus fort et le plus isniel a lour ensient et enmurent lour chiens apriés lui. Si commenchierent en tel maniere la cache grant et pleniere. Li rois Artus estoit moult bien montés et li rois Uriiens aussi et estoit dejouste lui, et avoec eus estoit Accalon de Gaule, li amis Morgain. Cil troi commenchent la cache devant tous les autres, et il estoient si tres bien monté qu'il laissierent tous lour compaignons derriere eus. Li ciers estoit et fors et legiers, si ne s'arresta ne cha ne la, ains court toute sa plainne voie par mi la forest, et tant qu'il ot plus alé de .X. liues englesques sans reposer. Et a chelui point furent si estanchié tuit li cheval de la cache qu'il n'en i ot nul, ne si povre ne si riche, qui ne fust a pié, fors li rois Artus et li rois Uriiens et Accalon. Cil .III. sans faille mainnent la cache dusques a eure de nonne. Mais alors lour estuet demourer, car tuit lour cheval estoient mort sous eus. Quant li rois Artus fu a terre, il regarda par derriere lui s'il veist nul de ses houmes, mais il n'i vit fors le roi Uriien et Acchalon, qui ensi estoient a pié comme il estoit. « Signeur, fait il, que ferons nous ? Il me samble que nous soions venut au remanoir. - Non sommes, sire, che dist li rois Uriiens. Alons avant, que nous trouverons ja si tost une iaue grant et parfonde et portant navie, ou nous trouverons, che sai je bien, le chierf noiiet. Car a chou que li chiers a grant caut et grant soif, il buvera ja tant que li cuers li partira, et ensi le couvenra a remanoir mort en la rive. - Or me dites, che dist li rois, cuidiés vous que nos gens soient pres de nous ? - Nennil, sire, che dist Accalon, ains en sont moult loing, che saciés vous, car il n'estoient pas si bien monté coume nous estoions. Si sai bien que lour cheval sont piecha estancié, et pour chou ne vous aront il piecha ataint, ne huimais par aventure, et vous veés que la nuis aproche ja durement. - Ne puet chaloir, che dist li rois, se la nuis nous sousprent. Nous irons gesir a un mien chastiel qui est pres de chi a .II. liues. » Et il en laissent atant la parole, si vont toutes voies tout ensi a piet coume il estoient, et tant que anchois que la nuis lour fust seurvenue vinrent il a l'eve dont cil lour avoit parlet et trouverent le chierf gisant a la rive, qui tant avoit beu qu'il ne se puet remuer. Et uns brakés estoit dejouste lui et se tenoit a sa gorge si fierement qu'i ne li puet estordre, ne de tous les autres chiens n'i avoit il plus, car tout estoient recreu et estancié.
Li rois vint au chierf, si l'ochist et corne prise pour chou que si homme l'oient et viegnent a lui. Et cil s'en estoient si loing qu'il ne pueent oïr la vois dou cor. Et entrues que cil depechoient le chierf, li rois regarde contremont la riviere et voit venir aval l'iaue une nef couverte d'un drap de soie aussi vermeil coume une escrelate. Et estoit la nef si couverte de toutes pars qu'il n'i paroit riens del fust fors che que emprés l'eve estoit et les navirons qui nageoient moult hastivement, dont il i avoit .XII.. Et estoit la nef grant par raison. Li rois le moustre a ses compaignons et lour dist : « Ves chi une nef, mais ne sai dont elle vient. Mais elle se haste moult durement. Je cuic bien que nous orrons auchunes nouvieles : Diex le doinst que nous les oions boines et joiouses ! ».
En che qu'il disoient cele parole, la nef arriva tout devant eus, si que li coins devant feri el sablon. Et quant li rois voit que elle est venue a rive, il vint au bort pour regarder qu'il a dedens. Mais il trueve a l'entree un drap de soie tout vermeil, qui laiens estoit mis pour chou que on n'i veist se on ne fust dedens. Il apiele ses compaignons et lour dist : « Venés cha, si enterrons ens et verrons qu'il i a, car je ne voel mie sans vous veoir. » Et il laissent canqu'il faisoient, si vienent a la nef et entrent dedens. Et quant il i sont, il la prisent plus que devant assés, car il la veoient si biele et si cointe et si paree de dras de soie qu'il ne virent onques si biel lieu ne si envoisié que cil lour samble.
En che qu'il regardoient la nef, il voient dusques .XII. damoisieles qui issirent d'une chambre qui en la nef estoit, qui vinrent avant et s'agenoillierent devant le roi Artus et li disent : « Sire, bien soiiés vous venus. Certes, ore ne querrons nous plus de la bonneurté du monde ne de la richece, puis que nous vous avons chi trové. Car che savons nous bien que huimais ne vous partirés vous de chi, ains remanrés en ceste nef avoec nous, car il est ja si tart que si vous partiés orendroit de chi, vous ne porriés huimais venir a herbegage de nulle heure. Et sachés que nous vous servirons si bien et si richement que on feroit en lieu du monde la ou on vous desire plus a tenir. Nous vous prions, par la foi que vous devés tous les chevaliers dou monde, que vous le nous otroiiés. » Et il leur otroie pour chou qu'il voit bien qu'elles l'em prient si douchement. Et elles li coururent maintenant oster cele roube qu'il avoit vestue et li aportent une autre, et aussi font au roi Uriien et a l'autre chevalier. Lors commenchent a aporter chierges et tortis et a metre par mi la nef amont et aval, si qu'il vous samblast, se vous fuissiés laiens, que toute la nef fust esprise, si avoit il grant clarté en la nef. Et che faisoient elles pour chou que la nuis venoit noire et oscure.
Quant li rois se fu un poi reposés et il ot auques sis dedens la nes, deus damoisieles vienent a lui et li aportent a laver et puis a ses .II. compaignons. Et lors les mainnent en une des chambres de laiens ou la table estoit mise, si font le roi Artu asseoir et les .II. autres aprés. Et maintenant aportent a mengier si plenierement que li rois s'esmiervilla tous dont che pooit venir et ou che fu apresté a tel heure. Que vous diroie je ? Il furent laiens si bien servi de canques on pooit penser qu'il s'en tenoit, li rois, a esbahis, et aussi faisoient li autre dui, et disoient que ceste trop grant largueche lour sambloit faire outrage. Quant il orent mengié par loisir et tant comme il lour plot et il orent tant villié et en parler et en envoisure qu'il fu tans de couchier, les damoiseles prisent le roi et le couchierent en une chambre qui estoit en mi lieu de la nef. Et saciés que il ot aussi riche lit et aussi biel coume s'il fust en la chité de Camalaoth, dont il s'esmervilla moult. Et se il fu richement couchiés, aussi furent li autre dui compaignon. Si lour avint k'il furent endormi tout troi moult tost pour chou qu'il avoient esté le jour lasset et travilliet, si en dormirent miex toute la nuit et plus fermement.
Au matin, quant il s'esveillierent, il n'i ot chelui qui moult ne fust esbahis et trespensés, car il se trouverent en si diviers liex qu'a poi qu'il ne cuidoient pas d'aus meesmes que che fuissent il. Li rois Uriiens se trouva a Camalaoth couchié entre les bras Morgain sa feme. Li rois Artus se trouva en une chambre oscure et noire dallés un palais. Et la ou il se trouva avoit il bien dusques a .XX. chevaliers qui tout estoient mis en boins aniaus de fer et se plaingnoient si durement que se il fuissent tout au lit de la mort. Accalon se trouva en un praiel plain d'erbes et d'envoiseures si pres d'une fontainne qu'il n'i avoit pas un piet entre lui et le fontainne. Et venoit la fontainne par un tuiel d'argent auques grosset et cheoit en une grant pierre de marbre, si que cele iaue aloit par un conduit en une tour haute et miervilleuse qui dejouste le praiel estoit. Quant Achalon s'esveilla et il se trouva dalés la fontainne viestus de cele roebe meesmes que les damoiseles li avoient baillies le soir devant, il se commencha a saingnier de la mierveille qu'il en a et dist : « Sainte Marie, que esche que je voi chi ? Ersoir me couchai en la nef pres de mon signour, et ore m'en sui sevrés et trouvés dalés ceste fontainne tous vestus et tous apparilliés de la roube que elles me dounerent. He ! Diex, ou puet estre mes sires alés et li rois Uriiens ? Que sont il devenu ? Et je meismes ou sié ge ? Ha ! Diex, je sui trahis et enchantés et mes sires ausisi ! Trahi nous ont les damoisieles qui en lour nes nous requeillirent et que si grant joie et si grant feste nous firent ersoir. Ha ! Diex, trahis nous a et decheus la bele chiere et les douces paroles que elles nous disoient. Si m'en poise plus pour mon signour qu'il ne fait pour moi, car de moi n'est il mie si grans damages coume il sera de lui et je sai bien que aussi est il trahis coume je sui. »
Ensi se plaignoit a soi meismes Accalon, et regarde le fontainne et le vregiet qui auques estoit grans, et il maudist et le vregiet et la fontainne et les damoiseles et la tour et canques il voit ou monde. « Et certes, fait il, biaus sire Diex, se vous ouvriés a ma volenté, vous confunderiés toutes les femes del monde si que par elles ne seroit preudom trahis ne travilliés. Et je cuic, se vous les aviés confondues si que li siecles en fust delivrés, jamais n'avroit traïson ou monde ne desloiauté. » Lors est tant courechiés et tant dolans qu'il ne set qu'il doie dire ne faire. Si dist que jamais ne fera ne bien ne hounour a damoisele, ains les honnira de tout son pooir, car onques preudomme ne furent si vilainnement trahi coume il ont esté par celés ou il se fioient. « Et je croi, fait il, que che fu fantosmes ou dyables qui nous apparut quant nous cuidames que fust nes, et je cuic que che furent des menistres del dyable qui si nous servirent hautement, car toutes les damoisieles dou monde ne nous seussent servir si bien coume nous fumes servi. »
Ensi parloit Accalon, tant courechiés que nus plus. Et lors voit venir viers lui un nain petit et gros, et ot les chaviaus noirs et la bouche grant et le nes petit et chamus. Et quant Accalon le vit, il dist : « Voirement m'ont chi aporté anemi : veés ent chi un qui cha vient. » Et li nains, si tost comme il fu pres de lui, le salue et dist : « Mesires Accalon, bien soiiés vous venus. Ma dame la roine Morgue vous salue et vous mande que demain a eure de tierche vous couverra combatre encontre le chevalier dont elle vous dist nouvieles a la daerrainne fois quant elle parla a vous priveement. Et pour chou que vous m'en creés, ves en chi boines enseignes. » Et lors li baille Escalibor, la boine espee le roi Artus, atout le fuerre.
Quant il voit l'espee, il la connoist moult bien, et lors est trop plus aise que il n'estoit devant por les nouvieles qu'il oit de celi que il amoit tant. Si acole le nain et l'embrache et dist : « Nains, bien soies tu venus. Quant veis tu la roine Morgain ? - Sire, fait il, il n'i a mie gramment. - Nains, or me di, se Diex t'aït, sui je pres de Camalaoth ? - Oïl, fait il, vous en estes a .II. jornees. - Et comment vien ge cha ? Le ses tu ? - Nennil voir, che dist li nains, fors que che sont des aventures de Bretaigne ou des enchantemens de ceste terre. » Et cil respont qu'il cuide bien que chou ait esté enchantement, « car d'aventure si miervilleuse comme ceste fu n'oï onques parler ne pres ne loing. Mais or me di : ses tu que chil est a cui je me doi combatre ? - Nennil certes, che dist li nains, fors que c'est uns chevaliers de ceste terre qui maint chi dalés en un sien chastiel, et nous a chis chastiaus tous dis esté contraires dusques chi. Mais d'ore en avant, se Dieu plaist, puis que vous avrés ceste bataille outree, n'averont il jamais hardement de dire parole qui nous desplaise ne de retenir riens de nos droitures. - A quant, che dist Accalon, doit estre la bataille ? - Au jour de demain, fait li nains, aprés eure de prime, en une praerie qui est cha devant. - Je vaurroie ja estre ou camp, che dist Accalon, puis que par combatre me couvient passer. »
En che qu'il disoit ceste parole, il voit issir de la tour chevaliers et dames et damoisieles, qui vienent viers lui et le saluent et li font joie grant et feste mervilleuse, et le mainnent amont en la tour et li dient : « Sire, vous soiiés li bien venus. Moult estions desirant de vostre venue, si vous avons tant desiré, Dieu mierchi, que nous vous avons. Et beneois soit Diex qui ceste part vous amena, car de vostre venue amenderons nous tant, si que nous cuidons, que nostre anemi nous tenront pais qui dusques chi nous ont male guerre menee et qui de nostre droiture nous faisoient tort a fine forche. »
Ensi est bien avenu a Accalon, comment qu'i li soit en avant, car il est venus entre gent qui li font joie et feste grant et l'ouneurent de canques il pueent. Mais au roi Artus n'est pas ensi avenu, car il est en une cambre noire et parfonde et avoec lui grant plenté de gent dont il n'en counoist nul. Mais tant voit il bien et ot qu'il se plaingnent et dementent si dolereusement et dient : « Ha ! Mors, pour coi ne te hastes tu de venir ceste part ? Si ostaisses de misere et de dolour ces chaitis, ces maleureus qui chi languissent ! » Quant li rois Artus entent ces paroles, il est si esbahis qu'il ne set qu'il doie dire, car il aperchoit maintenant k'il a esté trahis. Si demande a cheus qui plus pres de lui estoient : « Que avés vous ? Pour coi vous plaingniés vous si durement ? » Et il le regardent, si li dient : « Comment ! anemi de Dieu, comme est chou que vous demandés ? N'estes vous chaiens em prison et si ne savés mie la dolour que nous souffrons et de nuit et de jour ? - De ceste dolour, fait il, ne sai ge riens, car je ne l'ai pas encore assaiie, que je n'i ai encore tant demouré. - Et quant i venistes vous dont ? » font il. Et il lour dist que il n'en set nient, ne comment il i vient ne quel part il est ne en quel païs. « Et neporquant, fait il, je ne cuic pas gramment estre loing de Camalaoth, car je m'en parti hier matin pour aler cachier en la forest. » Et lors lour conte tout ensi coume il li estoit avenu, et de la nef et des damoiseles qui l'avoient recueilli en lour nef et si biel et si richement servi « que je ne cuidaisse jamais que elles baaissent a trahison. Mais je sai ore bien que elles m'ont trahi et enchanté, quant elles m'ont enserré en autrui prison. »
Quant li autre oient ceste aventure, si lour commenche li duels et dient : « Certes, sire, trop ot chi outrageuse traïson et desloial. Maudites et confundues soient celes qui ensi vous ont mené, car se elles vous eussent ore mis en un autre lieu u vostre mors ne fust mie si preste comme elle est chi, che fust uns grans reconfors. - Par foi, fait il, dont esche la grignours desloiautés dont jou oïsse onques parler, quant elles m'ont amené a ma mort, et si ne l'avoie mie deservi ! Mais or me dites ou nous soumes et pour coi vous fustes emprisonné et comment che vait que vous n'en poés issir. - Che vous dirons nous bien, font il, mais que vous nous dites vostre non. - Mon non, fait il, ne poés vous savoir, mais je vous di que je sui de la court le roi Artus et assés privés de lui. Mais ore me contés che que je vous requier. » Et li uns respont adont : « Volentiers le vous dirai.
Voirs est que nous sommes a .II. jornees de Camalaoth par deviers la terre au duc de la More. Et somes chaiens en un rechet moult biel et moult cointe et en une tour forte et grande, et apiele on ceste tour la tour de l'Agait. Si en est sires uns chevaliers que on apiele Domas, le plus cruel et le plus felon qui soit en tout cest païs. Et si n'est mie bons chevaliers, mais il est traïtres et fait sousprendre as chevaliers qu'il a chaiens de sa maisnie les chevaliers trespassans qui vont querant les aventures ; et tantost comme il les a pris, il les fait metre en sa prison. Ore il est ensi qu'il a un sien frere qui maint pres de chi a une liue et est uns des millours chevaliers que on sace en ceste terre. Chascuns de ces .II. freres a son rechet et sa terre devisee l'une de l'autre, mais par dessus che ont il chi un manoir moult biel et moult riche, a l'entree de ceste forest. Et pour cel manoir monta entr'aus deus une grant discorde, car li sires de chaiens, pour chou qu'il estoit plus riches et avoit plus grant maisnie que li autres, le voloit avoir et disoit que lour peres li avoit douné a sa vie. Li autres, pour chou que il se sentoit a millour chevalier que chis de chaiens n'estoit, dist que il ne l'averoit se il ne le conqueroit encontre lui au branc d'acier ou se il ne metoit autre pour lui qui contre lui le desraisnast. Li autres de chaiens, quant il oï ceste parole, dist qu'il trouveroit bien qui pour lui entreroit en camp, mais che ne seroit mie si tost par aventure. Li autres dist que che voloit il bien. Si fiancha maintenant l'uns a l'autre que de quel eure que li yretages seroit desraisniés, ja li autres n'i clameroit puis riens.
De ceste chose s'acorderent ambedui devant maint des preudoumes de ceste terre et s'en revinrent erraument a leur manoirs. La fu li uns si courechiés viers l'autre que maintenant commenchierent la guerre qui onques puis ne failli. Cil de chaiens, pour chou qu'il ne se sentoit pas a si preudoume des armes coume ses freres estoit, coumencha a requerre les boins chevaliers de ceste terre que il pour lui entraissent en camp encontre son frere, mais onques n'en trouva nul qui che vausist faire. Lors se consilla a un sien cousin qu'il en feroit et chis dist a lui : “ De che vous consillerai je bien. Par cha devant passent toute jour chevaliers de la court le roi Artus et d'autre liu. Cil sont preudomme et apris d'armes plus que autre gent, car autrement n'oseroient il pas emprendre che qu'il emprendent chascun jour. Si tost coume il passeront mais par chi, si les faites retenir et metre em prison. Et je vous dic que anchois que vous en aiiés laiens .XX. en vostre prison trouverés vous auchun qui volentiers emprendera ceste bataille encontre vostre frere. ” Tout ensi comme cil li ensegna le fist li sires de chaiens, car maintenant si tost commanda a cheus de l'ostel que des lors en avant ne passast par chi devant chevaliers errans que il ne presissent. Et je, qui vous conte ceste parole, vous di que je fui li premiers pris, et cist aprés, et maint autre qui ont esté mort en ceste prison. Ne onques nus n'en i vint qui la bataille osast emprendre, car il voelent miex ichi morir que issir et faire desloiauté, car desloiautés fust se il s'armaissent encontre l'autre frere pour tollir lui sen droit yretage. Et nepourquant il fu puis tele eure, quant nous veions que nous moriens de fains et de mesaise, que nous eussons volentiers la bataille emprise. Mais il ne nous veult hors metre pour chou qu'il connut que nous estiens affoibli de la prison et appetichié de nos forches.
Ore vous ai conté la verité de l'estre de chaiens et pour coi nous nous plaingnons si durement comme vous oés. » Et li rois lour respont atant : « Se la prisons vous desconforte, je ne m'en esmierveil pas, car a moi anuie elle ja tant de che seulement que la voi qu'il m'est avis que jou i aie esté un an entier. Et je ne sai comment il sera de mon issir ou de mon remanoir, mais tant vous di je bien que se on me metoit a kois ou de combatre ou de remaindre, je me combatroie anchois a grant meskiés encontre le millour qui soit que je ne remandroie ichi. Et vous fustes tout malvais, quant on le vous offri, que vous ne vous mesistes en l'aventure de Nostre Signour, car certes miex vausisse jou morir vistement que demourer longuement chi. »
Ensi dist li rois Artus, moult dolans de chou que il se voit si entrepris et en autrui dangier, dont il n'istera mie a sa volenté, che savoit il bien, se il ne faisoit fin a cheus de laiens tel coume il lour plairoit. Assés parlerent entr'eus de maintes choses et il lour conta sans faille toute s'aventure et comment il avoit esté decheus. « Si ne me poise mie, fait il, tant de moi comme il me poise de mes compaignons, car j'ai paour qu'il ne soient pis herbegié que je ne sui ou aussi mal, et c'est damages, qu'i ne l'avoient pas deservi. » Et il demandent qui estoient si compaignon, et il lour nomme, et il dient que dou roi Uriien est chou damages, car trop estoit preudom et loiaus, mais de l'autre chevalier ne connissoient il mie. En teuls paroles demoura laiens li rois Artus dusques a eure de prime. Et lors vint laiens parler une damoisiele par une fenestre et dist : « Signour, comment vous est ? » Et il respondent : « Mauvaisement nous vait, car ceste prisons nous ochist. » Et elle fait samblant que elle ne connoisse pas le roi Artus, mais elle le connissoit moult bien, comme cele qui estoit une des damoisieles Morgain. Si li dist : « Et vous, sire chevaliers, quant venistes vous chaiens ? » Et il la connoist maintenant, se li dist : « Ne sai, certes, damoisele. Mais vous, quant i venistes ? - Ge, biau sire ? fait elle. Que esche que vous me demandés ? Je ne m'en departi onques ne onques ne fui en autre liu, ains ai tous jours chi demouré comme celle qui est fille au signeur de chaiens. » Et il cuide tantost qu'il ne l'ait pas bien conneue, si respont : « Nel tenés pas a mal, damoisiele, si je le vous demande. Certes, je cuidai que je vous euusse auchune fois veut en la court le roi Artus, damoisele : pour chou parole jou si seurement a vous. - Moi, sire, fait elle, n'i veistes vous onques, car je n'i fui onques. Mais savés vous que je vous voel dire ? Saichiés que vous n'avés mie chascun servi a son gré, car se vous eussiés chascun fait a son gré, vous ne fuissiés mie chi. Se vous di que chis qui chaiens vous mist ne vous amoit mie de trop grant amour, ne il ne se puet miex vengier de vous comme de vous metre en ceste prison, car certes vous estes venus a vostre mort. - A ma mort ? che dist li rois. Esche voirs ? - Oïl, fait elle, sans faille, car jamais n'isterés de chaiens se vous ne creantés a faire la volenté au signeur de chaiens. - Et quels seroit, fait il, sa volentés ? - Che vous dirai je bien, fait elle. Se vous aviés cuer et hardement que vous encontre un chevalier de cest païs empresissiés a desraisnier em bataille campel sa querele, se vous pooiiés outrer d'armes son anemi, vous vous deliverriés de ceste prison, et vous et tous cheus qui i sont. Et certes, se vous ne faisiés plus de chevalerie en tout vostre aage, si seriés vous tenus a preudomme et a boin chevalier. »
Quant li rois Artus entent ceste nouviele, il respont erramment : « Ore me dites, damoisiele, se il estoit ensi que ceste bataille empresisse et je l'avoie outree, comment seroie jou asseur que je delivraisse moi et mes compaignons ? - Vous en serés, fait elle, si asseur que li sires de chaiens le vous jurra. - Et je ne demanc, fait il, miex, ne mais que il me fache cestui serement, car de la bataille emprendre contre le cors d'un seul chevalier sui je tous pres. » Et cele s'en vait maintenant et ne demeure gaires que elle revient et amaine le signeur de la tour od tout grant compaignie de gent. Et li sires coumande que on fache venir hors de la prison le chevalier qui de la bataille s'est offers. Et il le vont querre et le font avant venir errant.
Quant li rois vint hors, il estoit courechiés, si fu vermaus a desmesure. Et fu grans et corsus et jovenes durement et sains et haitiés, si fu si biaus de toutes choses et si bien tailliés de tous membres que tout cil de laiens qui le veoient disent que che seroit damages se teus hom moroit em prison. Et quant li sires de laiens le voit venir et il l'ot bien regardé, il dist a soi meismes que se chis hom ne pooit donter un houme, il ne kerroit jamais chose qu'il veist. Si se dreche encontre lui et li dist : « Bien viegniés, sire chevaliers. » Et li rois, qui ne veult pas que on le connoisse, s'umelie moult vers lui et s'assiet a ses piés. Et cil, qui ne le connoist mie, li sueffre et li dist : « Sire chevaliers, j'ai chi pres un mien anemi qui moult me nuist et me grieve. Et pour le tort qu'il me fait ai je empris enviers lui une bataille, chevalier encontre autre, et on me fait entendant que vous volés entrer en la bataille se je vous quic de la prison et vos compaignons aprés l'outrance de la bataille, se je vous en faich seur. » Et il li dist qu'il en est vraiement pres. « Et comment, dist li sires, vous en tenrés vous asseur ? - Jurés, fait il, sour sains que aprés la bataille nous quiterés tous, et je m'en tenrai a tant. » Et li sires le fait tantost tel coume il l'a devisé. Et li rois dist : « Or poés metre hors de prison chiaus qui chaiens sont, car voir je sui pres d'entrer en la bataille toutes les eures quant il vous plaira. » Et cil commande que il soient tout mis hors pour l'amour del preudome qui a la bataille emprise. Et on les met hors maintenant et les amainne on en la sale, mas et affoiblis de la male prison qu'il avoient euue. Lors dist li sires de laiens au roi Artus : « Biau sire, a demain est vostre bataille enterinee. Pour Dieu, pensés i de garder vostre hounour et la moie ! » Et li rois respont : « J'en penserai plus pour moi que je ne ferai pour vous, puis que jou i serai, car autrement seroie jou honnis. » Et li hostes, de tant que il le regarde plus, de tant est il plus asseur, car il ne vit onques mais, ce li est avis, nul jovene houme qui miex li semblast vistes et preus coume chis fait, et chou est une chose qui moult le reconforte. Mais ore laisse li contes a parler de lui et dou roi pour conter de Morgain par quelle maniere elle avoit si pourcachié que ses amis se combateroit encontre son frere et pour coi et a quoi elle en baoit a venir.
Morgue, che dist li contes, haoit le roi Artus son frere seur tous houmes, non mie pour chou qu'il li euust de riens mesfait, mais pour chou qu'il est us et coustume que les desloiaus gens et les mauvaises heent tout dis les preudoumes et ont vers eus rancune qui tous jours dure. Morgue sans faille haoit le roi Artus por chou que elle le veoit plus vaillant et plus gracieus que tuit li autre del lignage n'estoient. Et se elle le haoit bien, aussi haoit elle le roi Uriien son signour si morteument que, se elle le peust avoir occhis en tel maniere que gent ne le seuussent, elle l'euust piecha mort. Mais cele haine n'estoit pas si grans comme estoit l'amours que elle avoit a Accalon. Chelui amoit elle si desveement que elle en baoit a occhirre et son signour et son frere, si que elle en cuidoit bien faire roi, que par anemi que par enchantement que par priiere de haus houmes de la Grant Bretaigne. Ore avoit elle apris que entre ces freres avoit une discorde ne ne pooit estre abaissie se par force de bataille non. Et elle estoit moult acointe des .II. freres. Et pour cele acointance que elle i avoit estoit Domas venus a li et li avoit dit : « Dame, je ne puis trouver qui pour moi fache la bataille, et vous m'en porriés bien aidier, se il vous plaisoit. Pour Dieu, metés i auchun conseil. - Ore ne vous esmaiiés, fait elle. Je vous en meterai un tel entre vos mains et en vostre prison meesmes qui sera tenus a un des millours chevaliers de la Table Reonde. » Cel Domas contrehaoit elle un poi et baoit que elle li fesist toute sa querele perdre, se li avoit bailliet le roi Artus pour chou que elle ne cuidoit mie qu'il fust si preus as armes coume il estoit.
Tout aussi comme Domas estoit venus a Morgain i vint li autres freres, tous navrés d'une plaie que uns chevaliers li avoit faite ne n'en pooit garir a sa volenté, et se complaignoit a li aussi que ses freres avoit fait. « Ne vous esmaiiés, fait Morgain. Je vous meterai prochainnement en vostre ostel tel chevalier qui bien fera vostre besoigne et a vostre preu et a vostre hounour, mais gardés que vous n'en parlés a vostre frere. » Et cil dist qu'il vaurroit miex estre ferus d'une glaive par mi la cuisse k'il en parlast. Morgue amoit miex cestui frere que elle ne faisoit l'autre. Et pour chou li bailla elle Accalon, car elle cuidoit qu'il fust miudre chevaliers et plus preus d'armes que n'estoit li rois Artus. Si avoit fait ceste chose si couvertement que Accalon ne savoit encontre cui il se devoit combatre, fors que encontre un chevalier. Mais tant savoit il bien que il seroit garnis en la bataille de la boine espee le roi Artus, et c'estoit la chose qui plus grant seurté li dounoit que la boine espee, avoec chou qu'il estoit assés boins chevaliers et preus d'armes. Et pour le roi Artus dechevoir de toutes chose, Morgue fist faire une espee a la samblance d'Escalibor, qui si bien le ressambloit qu'a painnes peuust on connoistre l'une de l'autre. Et celle avoit elle baillie a une soie damoisiele pour chou que elle le baillast au roi Artus au jour de la bataille. Mais Escalibor la boine espee avoit elle sans faille envoiie a son ami par un nain, dont il eust en la bataille houni le roi Artus pour chou que sa mauvaise espee li avoit del tout failli, se ne fust la Damoisiele del Lac, si coume li contes le devisera apertement. Et par ceste bataille se baoit Morgue a vengier de Domas que elle contrehaoit et de son frere, mais chou estoit trop crueument, car elle avoit fait fianchier Accalon qu'il ne s'en partiroit dou camp dusques il averoit copé le chief dou chevalier qui encontre lui se combateroit.
Ensi avoit Morgue establi et pourcachié la mort de son frere au miex que elle pooit. Et avoit si cel fait atourné que elle n'atendoit fors que on li aportast en repost le chief de son frere. Et avoit dit a .II. demoiseles, celles qui de par li i estoient alees : « Je vous di que je ferai roine celle de vous deus qui le chief de mon frere m'aportera. » Mais ore laisse li contes a parler de Morgain et dou roi Artus et retourne a Merlin.
Ore dist li contes que quant Merlins se fu partis des enchanteurs qu'il avoit mors et hounis, si coume nostre livres l'a ja devisé, il chevaucha entre lui et sa compaignie tant comme li jours dura. Et se herbega cele nuit chiés un vavasseur moult preudomme, qui li fist toute l'ounour et toute la feste qu'il pot, et a lui et a sa compaignie. Et Merlins amoit tant la Damoisele del Lac qu'il en moroit, ne il ne li osoit requerre que elle fesist pour lui por chou qu'il savoit bien que elle estoit encore pucelle. Et neporquant il ne baoit pas gramment avoec li estre qu'il ne la conneust carneument et qu'il n'en fesist tout chou que hom fait de feme. Il li avoit apris des enchantemens tant que elle ne savoit gaires mains de lui. Elle connisspit bien que il ne baoit fors a son pucelage, si l'en haoit trop mortelment et pourcachoit de canques elle pooit sa mort. Et elle l'avoit, si que je vous ai dit autre fois, si atorné par ses enchantemens qu'il ne pooit riens savoir de canques elle faisoit. Et elle avoit ja descouviert a un sien cousin chevalier qui avoec li aloit que elle feroit morir Merlin si tost que elle en verroit son point, ne elle n'atenderoit plus, « car je ne porroie avoir cuer de lui amer, se il me faisoit dame de toutes les riqueches qui sont desous le throsne, pour chou que je connois qu'il fu fiex d'anemi et que il n'est pas coume autre homme. »
Ensi dist de Merlin la Damoisiele del Lac par maintes fois, car elle le contrehaoit trop pour chou qu'il estoit fiex dou dyable. Un jour avint qu'il chevauchoient par mi la Forest Perilleuse, et lors anuita en une valee moult parfonde qui toute estoit plainne de pierres et de roches et loing de ville et de chastiel et de toute gent. La nuis fu si obscure et noire qu'il ne pooient en avant aler, ains les estuet illuec remanoir. Il avoient esche, si prisent de la plus seche busche. Si la lumerent et firent or grant feu et mengierent viande qu'il avoient aportee d'un chastiel ou il orent le jour esté. Quant il orent le soir soupé, Merlins dist a la damoisele : « Damoisele, chi pres entre ces roches vous porroie jou moustrer la plus biele petite chambre que je sache, et fu toute faite a chisel, et en sont li huis de fier si fort que qui seroit dedens, je cuic que jamais n'en isteroit. - Mervelles me faites entendant, che dist la damoisele, qui me dites que entre ches roches a chambre bele et cointe, et je cuic que onques riens n'i repairast fors dyables et bestes sauvages. - Si fist voir, che dist Merlins. N'a encore pas .C. ans qu'il avoit en cest païs un roi que on apieloit Assen, moult preudomme et boin chevalier, et avoit un fil, moult preu et moult vaillant chevalier. Il avoit a non Anasten. Il amoit la fille d'un povre chevalier de si grant amour que morteus hom ne pooit plus feme amer.
Quant li rois Assen sot que ses fiex amoit si bassement et en si povre lieu, il l'en blasma moult et moult l'en chastia. Mais onques pour chou n'en ama chis mains la damoisele, ains repaira toutes voies entour li. Quant li rois vit qu'il ne lairoit riens pour sa priiere, il l'en menacha et li dist : “ Se tu ne laisse briement sa compaignie, je te destruirai. ” Et il dist : “ Je nel lairai ja, ains l'amerai toute ma vie. - Voire ? che dist li rois. Or saches que je t'en destruirai et li devant toi. ” Quant li chevaliers entent ceste nouviele, il fist la damoisele destorner et reponre, que ses peres ne la trouvast. Et pensa qu'il querroit un lieu estrange et loing de toute gent, ou nus ne repaireoit, et la enmerroit la damoisele, si que il useroient illuec le remanant de leur vies. Il avoit moult de fois cachiet en ceste forest, si qu'il savoit bien ceste valee. Si vint maintenant cha et amena cheus de ses compaignons que il plus amoit et cheus qui de chambre faire et de maisons savoient auchune chose. Si fist maintenant faire dedens la roche naïve a chisel chambre et sale belle. Et quant il l'ot faite a la maniere et a la guise qu'il voloit, si riche qu'a painnes le porroit on croire se on ne la veoit, il ala maintenant a s'amie, la ou il l'avoit mis. Il l'aporta cha et garni la roche de tout chou qu'il quidoit qu'il convenist. Si i demoura puis tout son aage et fu a grant joie et a grant leeche avoec s'amie tant que il vesqui. Et fu voirs qu'il morurent tout en un jour et furent mis en terre ensamble en la chambre meesmes. Et encore i sont li cors, qui ne pourriront pas a mon vivant pour chou que embaussemé furent. »
Quant la damoisele entent ceste nouviele, elle en est moult lie et moult joieuse. Si pense maintenant que la metera elle Merlin, se elle onques puet. Et se enchantemens ne forche de parole pueent aidier a feme, elle en cuide bien venir a chief. Et lors dist a Merlin : « Certes, Merlin, moult s'entramerent loiaument cil dui amant dont vous m'avés ichi parlé, car il laissierent toute gent et le siecle pour mener ensamble lour goie et lour feste. » Et Merlins li conseille adont : « Aussi ai je fait, dame, que jou ai laissiet pour vostre compaignie le roi Artus et tous les haus houmes dou roiame de Logres dont jou estoie sires, ne ne m'a esté nul miex de vous siurre. » Et elle respont maintenant : « Merlin, se vous peussiés faire au premier saut toute vostre volenté, vous vous tenissiés a riche et a boin euré par aventure. Certes, aussi feroie jou, se je pooie la moie faire. - Certes, dame, che dist Merlins, il n'a el monde si griés chose, se vous volés que elle soit faite, que je ne fache. Et je vous pri que vous me dites que chou est que vous ne poés faire. - Jou nel vous dirai pas ore, fait elle, que vous le savrés assés a tans. Mais cele chambre dont vous m'avés parlé que cil dui amant fisent voel jou veoir, se nous i reposerons anuit mais entre moi et vous, car certes jou en aim miex le lieu pour la loial amour k'il maintinrent. »
Lors est Mellins moult liés et dist que la chambre verra elle puis que veoir le veult, car aussi en sont il moult pres. Si fait prendre tortis a .II. varlés et s'en vait toute une petite sentele qui tornoit hors del chemin. Si n'a gaires alé qu'il vint dessus une grant roche, et lors trouverent un huis de fier assés estroit, et il l'euvre et entre dedens et li autre aprés. Et quant il sont la dedens, il truevent une chambre toute painte a or musique, ouvree si richement comme se li mieudres ouvriers de tout le monde i euust estudiiet .XX. ans. « Certes, chou dist la damoisele, chi a moult riche lieu et biel, et bien pert que chis liex fu fais por grant joliveté et envoisie gent. - Encore n'est che mie la chambre ou il gisoient, che dist Merlins. Ichi mengoient il souvente fois, mais la ou il gisoient vous menrai jou. » Lors vait un pau avant et trueve un huis de fer, si l'uevre et entre dedens et fait venir la candeille. Et quant il est laiens, il dist a cheus qui aprés lui venoient : « Or poés veoir la chambre as deus amans et le lieu ou li cors en sont. » Et cil entrent maintenant ens et commenchent a regarder amont et aval. Et quant il ont bien regardé la chambre et les oevres qui laiens estoient, il dient que onques sous le throsne n'ot aussi bele maison comme est ceste. « Certes, fait Merlins, elle est biele et cil furent biel qui ensi la firent faire. » Et lors moustre a la demoisele une tombe moult biele et moult riche qui estoit ou chief de la cambre et estoit couverte d'un vermeil samit ouvret a or et as bestes moult cointement. « Damoisele, che dist Merlins, desous ceste lame sont li cors des .II. amans dont je vous ai toute nuit parlé. » Et elle souslieve maintenant le drap et voit la lame qui estoit dessus la tombe. Et quant elle l'a bien regardé, elle connoist que elle estoit de marbre vermeil. « Certes, Merlin, che dist la damoisele, moult a chi biel lieu et riche. Moult samble bien qu'il fust estorés et compassés por envoisie gent et pour jolie et pour mener geus et festes et deduis. - Si fu il voir, che dist Merlins. Se vous saviés a con grant painne il i fu fais et par quel estuide, toute vous en esmervilleriés. - Et porroit, fait elle, estre ceste lame levee par main d'houme ? - Nennil, dist Merlins, et si la leverai jou bien. Et nepourquant les cors ne vous loeroie jou pas a veoir, car nul cors qui tant ont geut en terre comme cist ont fait ne seroient biel a veoir, mais lait et orible. - Toutes voies, fait elle, voel jou que la lame soit levee. - Volentiers », fait il. Si la prent erraument par le plus gros chief et le lieve contremont. Et si estoit elle si pesans que .X. houme eussent euut assés a remuer le, pour coi on doit croire que plus li valut illuec ses sens que sa forche, et si faisoit il en chascune chose vraiement.
Quant il ot la lame levee, il la coucha a terre par dejouste le sarcu. Et la damoisele regarde illuec et voit que li dui cors estoient ensevelit en un blanc samit, mais elle n'en puet veoir ne les membres ne les figures fors que les cors tout ensi ensevelis coume il estoient. Et quant elle voit que elle n'en verra plus, elle dist a Merlin : « Merlin, vous m'avés tant conté de ces .II. gens que se je fuisse Diex une eure de jour, je vous di que je mesisse lour ames ensamble en la joie qui tous jours mais lour durast. Et certes je m'en delite tant en ramembrer lor oevres et lour vie que pour l'amour d'eus ne me remuerai jou anuit de chaiens, ains i demouerrai toute nuit. - Et je avoec vous, che dist Merlins, pour vous faire compaignie. »
Ensi dist la damoisele que elle le feroit. Et elle si fist voirement, car elle commanda que on fesist laiens son lit, et cil le firent a cui il fu commandé, et elle se coucha erraument et aussi fist Merlins, mais che fu en un autre lit. Cele nuit fu Merlins moult pesans ne ne fu pas si liés ne si joius coume il seut. Et maintenant qu'il fu couchiés, il s'endormi coume chis qui estoit ja tous enchantés, et avoit ja perdu tout le sens et toute la memoire dont il avoit devant esté garnis. Et la damoisele, qui bien savoit ceste chose, se lieve de son lit et vient la ou il se dormoit, si le commenche a enchanter encore plus qu'il n'estoit devant. Et quant elle l'a ensi atourné que se on li caupast la teste n'euust il pooir de soi remuer, elle oevre maintenant l'uis de la chambre et apiele toute sa maisnie, et les fait avant venir, et les mainne au lit Merlin ou il se gisoit, et le commenche a torner che dessus desous et chou devant derriere aussi comme une mote de terre, ne cil onques ne s'en remue nient plus que se l'ame li fust partie del cors. Et elle dist erraument a cheus qui devant li estoient : « Ore dites, signour, est chis bien enchantés qui les autres soloit enchanter ? » Et il se saingnent de la mierveille qu'il en ont et dient que il ne cuidaissent pas que tous li siecles le peuust ensi atorner. « Or me dites, fait elle, que on en doit faire. Il vient avoec moi et me sivi non mie pour m'ounour, mais pour moi despire et pour moi despuceler. Et je vaurroie miex qu'il fust pendus qu'il a moi adesast en tel maniere, car il fu fiex de dyable et d'anemi, ne fil de dyable ne porroie jou amer pour riens del monde. Pour coi il couvient que je prenge conseil comment je me deliverra de lui, car se je ne faic orendroit que j'en soie delivre a tous jours, je n'en serai jamais en aussi boin point coume je sui orendroit. - Dame, che dist uns vallés, que alés vous querant ne devisant toute jour ? Je sui pres que je vous en delivre tout maintenant. - Coument m'en deliverroies tu ? fait elle. - Je l'ochirra, fait il. Qu'en feroie jou autre chose ? - Ja Diex ne m'aït, fait elle, se ja rechoit mort devant moi, que je ne porroie pas avoir le cuer que je le veisse occhirre. Mais je m'en vengerai assés miex que tu ne devises. »
Lors le fait prendre par les piés et par la teste et jeter en la fosse ou li dui amant gisoient tout enviers. Aprés fait metre la lame dessus. Et quant il l'ont mis a quel que painne, elle commenche a faire ses conjuremens. Si joint si et seele la lame au sarcu et par conjuremens et par force de paroles qu'il ne fu puis nus qui la peust remuer ne ouvrir ne veoir Merlin ne mort ne vif devant que elle meismes i vint par la priiere de Tristran, si coume la droite ystoire de Tristran le devise ; et la branke meesmes del Brait en parole, mais che n'est mie gramment. Ne il ne fu puis nus qui Merlin oïst parler, se ne fu Bandemagus, qui i vint .IIII. jours aprés chou que Merlins i avoit esté mis. Et a chelui point vivoit encore Merlins, qui parla a lui la ou Bandemagus s'assaioit a la lame lever, car il voloit savoir qui c'estoit qui en la lame se plaingnoit si durement. Et lors li dist Merlins : « Bandemagus, ne te travaille a ceste lame lever, car tu ne hom ne la levera devant que celle meismes la lieve qui chi m'a enserré, ne nule forche ne nul engien n'i averoit mestier, car je sui si fort enserrés et par paroles et par conjuremens que nus ne m'en porroit oster fors cele meesmes qui m'i mist. »
De ceste aventure que je vous devise chi ne parole pas chis livres pour chou que li contes del Brait le devise apertement. Et saichiés que li brais dont maistre Helies fait son livre fu li daerrains brais que Merlins gieta en la fosse ou il estoit del grant duel qu'il ot quant il aperchut toutes voies que il estoit livrés a mort par engien de feme et que sens de feme a le sien sens contrebatu. Et del brait dont je vous parole fu la vois oïe par tout le roiaume de Logres si grans et si lons coume il estoit, et en avinrent moult de mierveilles, si coume li branke le devise mot a mot. Mais en cest livre n'en parlerons nous pas pour chou qu'il le devise la, ains vous conterai chou qui nous apartient.
Quant la damoisele ot mis Merlin dedens la fosse si coume je l'ai devisé, elle vient a l'uis de la chambre et le frema au miex que elle sot. Mais d'enchantement ne fist elle riens, ains geut la nuit ou bouge de la maison entre lui et sa maisnie. Au matin, quant li jours apparut, elle s'en parti de laiens et frema l'uis aprés li, mais non pas en tel maniere que cil nel puissent bien ouvrir qui aventure i aporteroit. Quant elle fu montee entre li et sa maisnie, elle s'en parti de la roche et s'en ala cele part droit la u elle cuidoit que la bataille deuust estre, et tant fist que au jour i vint. Mais d'aventure qui dedens le terme i avenist ne parole pas li contes, fors tant que a la bataille l'amainne. Si s'en taist ore atant li contes et s'en retourne au roi Artus pour deviser comment il vient a chief de sa bataille et coument il sot que Morgue sa serour li avoit cel agait basti.
Ore dist li contes que quant Domas ot fait au roi Artus tel serement coume il li avoit requis et li rois li ot creanté que il feroit pour lui la bataille, il manda maintenant son frere qu'il avoit trouvé chevalier qui pour lui enterroit en camp a desraisnier sa querele. Et cil respondi que che li estoit biel, car autressi avoit il le sien chevalier tout aprestet. Ensi fu la bataille acreantee d'une part et d'autre par si que elle seroit a l'endemain sans faillir. Et chelui jour que elle fu ensi acreantee vint laiens une des damoiseles Morgain et apiela le roi Artus a conseil et li dist : « Sire, ma dame la roine Morgain vostre serour vous salue et vous envoie ceste espee pour chou que vous soiiés asseur de vaintre ceste bataille. » Et il regarde l'espee, se li est avis que pour la faiture del fuerre et de l'espee que che soit Escalibor, mais non estoit, ains ert une autre qui estoit contrefaite a Escalibor si miervilleusement que, se vous les veissiés ensamble, vous ne peuussiés pas les counoistre l'une de l'autre. Quant il la tient, il en mierchie moult la damoisele de cest present que elle li a fait et sa serour de chou que elle li a envoiiet.
A l'endemain, anchois que li solaus levast, prist li rois ses armes et ala oïr le serviche Nostre Signour tous armés, fors de hyaume et d'escu et de lanche. Et quant il ot messe oïe, il revint a son oste et li dist : « Biaus ostes, mouverons nous de chaiens droit ? - Ne vous hastés si, fait li ostes. On vous verra querre quant li chevaliers sera venus a qui vous vous devés combatre. » Et il dist que il ne se haste mie fors pour chou que il se deliverroit volentiers de chou qu'a delivrer le couvient. Et li hostes dist qu'il s'en deliverra bien, se Dieu plaist. Ensi atent laiens tous armés li rois Artus dusques a eure de prime. Et lors vint laiens sour un grant ronchin uns escuiiers, qui dist a Domas : « Sire, on vous attent en la praerie et li chevaliers qui a vous se doit combatre est ja venus, tous apparelliés et d'assaillir et de desfendre. - Il s'est moult hastés, che dist Domas, mais se a Dieu plaist et a cel signour, il sera encore enqui moult remis arriere de che qu'il pense. »
Lors monte li rois Artus seur un palefroi que on li bailla et li sires de laiens li fist amener son destrier en destre dusques en la plache ou la bataille devoit estre. Et quant il sont venu la ou on les attendoit, li dui frere se traisent ensus del camp por deviser lour couvenanches voiant les preudoumes del païs, dont il i avoit assés en la plache. Et quant il se sont acordé a une chose et deviset que chiex terra la terre a qui Diex en donra l'ounour de la bataille, il metent erramment les chevaliers el camp et prie chascun le sien de bien faire, et maintenant se retraient arriere. Et cil qui durent le camp garder entrent en la place, et furent .XII. des plus preudoumes del païs.
Quant li dui chevalier se virent ensamble parti des autres, l'uns d'une part et l'autre d'autre, il laissent courre les chevaus tout maintenant et s'entrefierent en lour encontre des grans aleures des destriers si durement que li escu ne li hauberc, qu'il tenoient a boins, ne les garandissent qu'il ne se metent es chars nues les fers des glaives. Mais de chou lour avint il bien que a chelui caup n'en i ot nule plaie mortel. Il s'entrepaingnent de toutes lour forches, si font les glaives voler en pieces. Aprés s'entrehurtent des cors et des visages si durement qu'il chaïrent a la terre tout enviers, si gisent a la terre grandesime pieche tout debrisié et tout dequassé del dur cheoir qu'il orent pris. Mais moult fu li rois Artus mains blechiés que ses compains n'estoit, si resaut sus assés tost et vistement. Et cil refait tout autretel, qui n'estoit pas bien asseur, si met la main a Escalibor la boine espee. Mais anchois se fu desferrés del fier del glaive que li rois li ot mis el costé seniestre. Et li rois ot fait tout autretel de soi meismes, car aussi l'avoit Accalon navré el costé seniestre, mais che n'estoit pas en parfont.
Ensi orent li compaignon encommenchiet la mellee par mesconnissance li uns encontre l'autre, car se il s'entreconneussent, il n'i eussent ja caup feru pour pooir qu'il en euussent ne pour mal gré qu'en euussent chil qui ens el camp les avoient mis. Il s'entrecoururent sus les espees traites et s'entredounerent par mi les hyaumes et par mi les escus si grans caus comme il pueent amener des bras. Si s'entredepechent les hyaumes et empirent, a chou que li chevalier sont de grant force, et se font voler des escus grandesimes cantiaus et par desus et par desous, et les haubers font il desrompre et desmaillier et sour les bras et sour les hanques, si qu'il se font plaies grans et parfondes aprés les caus des espees. Et se li rois Artus ne fust de si grant forche et de si grant cuer coume il estoit, il fust piecha menés a outranche, a chou k'il avoit plus pierdu de sanc et plus avoit plaies que ses compains n'avoit, car l'espee que chis avoit estoit de trop grant bonté et cele que li rois portoit ne valoit se trop petit non. Mais li grans cuers que li rois avoit et chou qu'il doutoit qu'il ne perdist toute hounour terriene et la hauteche ou Nostre Sires si l'avoit mis le tient en vigour. Et comment qu'il soit a son compaignon qu'il n'ait encore pierdu goute de sanc par la force et par la vertu du fuerre de l'espee, toutes voies est il si las et si travilliés des caus douner et rechevoir qu'a force l'estuet reposer pour reprendre s'alainne. Et li rois refait tout autretel. Et il estoit si caus que encore ne se prendoit garde dou sanc qu'il avoit pierdut. Quant il se fu un poi reposés, il regarda par aventure a ses piés et vit l'erbe ensanglentee environ lui del sanc qui de ses plaies issoit. Et quant il voit chou, il devient tous esbahis et s'aperchoit maintenant qu'il est de s'espee dessaisis, trahis et decheus et qu'elle li a estet changie, si est tant dolans qu'il ne set qu'il doie dire ne faire.
Et Accalon, qui estoit plus sains assés que li rois n'estoit coume cil qui encore n'avoit pierdu goute de sanc, si tost coume il se fu auques reposés il li dist : « Sire chevaliers, je vous semoing de vostre bataille. Gardés vous huimais de moi ! » Et li rois ne li respont riens, ains li saut au devant, l'espee drechie contremont, et amainne un caup si haut et si grant de forche coume il avoit et fiert Accalon si durement qu'il le fait tout embronchier contreval. Et se l'espee fust d'aussi grant bonté coume estoit Escalibor, il l'euust tout porfendu jusques ou nasal, a chou que li caus fu grans et ferus de tres grant aïr. Et li chevaliers recuevre vertu et se trait un poi arriere et hauche Escalibor et en redoune au roi amont el hyaume un si grant caup que li rois s'en tient a cargié dou retenir. Lors recoumenche entr'eus deus la mellee grant et perilleuse. Mais trop estoit li jus malvaisement partis, car li rois avoit ja tant laissiet de sanc qu'il en estoit moult alentis et moult mains vertueus, et li chevaliers n'en avoit encore riens perdu, si en estoit moult plus legiers et moult plus fors. Et s'avoit moult de fianche en l'espee que il tenoit, car bien avoit sa bonté esprouvee, et li rois estoit moult esmaiiés pour chou qu'il ne l'avoit. Ensi se combatirent entre le roi et le chevalier en moult divierse guise, car li uns est moult asseur pour chou qu'il se voit garni de la boine espee et del riche fuerre et se sent encore assés sain et assés legier. Li rois est en grant doutanche pour chou que il se sent navré et plaiié et a assés perdu del sanc et connoist qu'il a si mauvaise espee qu'il ne garde l'eure que il le brise entre ses puins : c'est la chose qui plus le fait esmaiier et qui en gringnour doute le met que la mauvaisté que il espere en l'espee. Et neporquant il ne moustre mie samblant k'il soit esmaiiés de chose qu'il voie, ains court sus a son anemi menu et souvent et le requiert par tantes fois que cil s'en esmiervelle tous ou chis puet prendre ceste proeche, car che voit il apertement que il a ja tant pierdu del sanc que li plus fors hom del monde en deust estre alentis et plus aperechis que chis n'est, et pour chou le prise il en son cuer de chevalerie sor tous les chevaliers que il onques veist et le redoute outre chou que il ne douta onques houme, se ne fust chou dont il estoit garnis, qui asseur le faisoit estre.
Tant dura entr'eus .II. la mellee en tel maniere comme je vous devis qu'il sont ambedui moult las et moult travilliet. Et par tantes fois se sont ja entraisailli l'un contre l'autre que tout cil qui la bataille regardoient dient comunaument que onques tel bataille ne fu ne el païs ne en la terre n'entrerent mais deus aussi boins chevaliers comme chist sont. Et volentiers i mesissent cil del païs pais se che peuust estre, car il dient que trop sera grans damages et grans duels se nus de ces .II. preudoumes i muert. Mais li dui frere ne se pueent acorder en nulle guise a che que la bataille remaingne, car chascuns cuide avoir par deviers soi le millour chevalier et le plus predoume. Et pour chou ne puet par deviers aus la pais estre faite en nule maniere, car trop estoient orgilleus et d'une part et d'autre.
Ore dist li contes que aprés eure de miedi, quant li rois fu un poi reposés et li chevaliers l'ot apielé a la mellee, li rois li laisse courre et li doune par mi le hyaume si grant caup comme il puet amener de haut. Li rois fu de grant forche et li hyaumes fu durs comme chis qui estoit de boin achier et l'espee fu tenre et povre, si avint que elle brisa a chelui caup par devant le heut si que li brans en chei sour l'erbe et li poins l'en remest en la main. Quant li rois voit ceste aventure, il n'est pas aise, puis qu'il ot perdu chou dont il se deuust desfendre, a chou qu'il connoist que ses chevaliers est boins et esleus, si n'ot onques mais en lieu ou il fust si grant doutanche d'avoir toute honte comme il a orendroit. Et nepourquant il ne fait mie samblant que riens li en soit ne onques ne la regarda, ains se cuevre de tant coume il avoit d'escu et attent le chevalier tout a cop tout ensi coume s'il ne li deust mal faire. Et quant Accalon voit que cil a s'espee perdue et qu'il s'appareille toutes voies de lui desfendre ne que il onques ne fait mauvaise chiere pour ceste aventure, il le prise en son cuer seur tous les chevaliers que il onques veist et dist a soi meismes : « Par foi, ou chis chevaliers est li plus fols dou monde ou il est li plus hardis et li plus preudom que je onques veisse, car il est aussi coume del tout a le desconfiture et si ne s'en esmaie de riens. » Lors li dist pour essaiier qu'il en porra traire : « Sire chevaliers, vous veés bien coument il est. Je nel di mie pour chou que je ne vous aie hui trouvé le millour chevalier que je onques trouvaisse, mais je le dic pour chou que je vous voi a si grant meschief que vous meismes savés bien que vous ne porrés longuement durer encontre moi, a chou que vous n'avés mais dont vous peuussiés desfendre. Pour chou vous loeroie jou en bonne foi, ains que pis vous en avenist, que vous vous tenissiés a outré de ceste bataille. Car certes, se vous vous laissiés occhirre, che sera damages trop grans, car trop estes boins chevaliers. Si le vous di, se Diex me gart, plus por vostre preu que pour autre chose. Et certes, se vous vous en volés tenir a outré, je porchacherai si vostre pais que vous n'i averés garde de morir, ains finerons a vostre honnour et a la moie. »
Quant il rois entent ceste requeste, il en est trop dolans, si respont au chevalier : « Certes, sire chevaliers, a m'ounour ne porriés ma pais pourcachier puis que je me seroie tenus a outré. Et moult seroie malvais et recreans se je faisoie vostre requeste, a chou que je sui encore aussi fors et aussi delivres coume jou estoie quant jou entrai en ceste bataille. Et pour chou ne vous terroie jou pas a sage se vous plus me requeriés de ma honte, car certes je vaurroie miex morir cent fois, se cent fois pooie morir, que je desisse une seule parole que on tenist a recreandise. Ne n'i baés onques que je me tiegne a outré tant coume jou la vie aie el cors. - Ore soiiés dont asseur, dist li chevaliers, que vous estes venus a vostre mort. - Encore n'i sui je mie, fait li rois, ne ne serai hui si pres comme vous cuidiés pour pooir que vous aiiés. » Aprés ceste parole n'i atent plus li chevaliers, ains keurt au roi l'espee el poing. Et li rois nel refuse onques, ains giete l'escu encontre pour rechevoir le cop, et cil i fiert si durement k'il en abat a terre canques il en ataint. Et lors commenche a mener le roi a l'espee trenchant si malement qu'il li fait le sanc saillir de toutes pars, si que tout cil qui le jour avoient veut ceste proueche dou roi et voient chou que il endure orendroit en ont pitié grant et dient que maldite soit l'eure que ceste bataille fu emprise, qu'il en morra devant eus le millour chevalier et le plus preudomme a lour ensient qui onques portast armes ou païs.
Ensi dura la bataille grant pieche aprés que li rois ot perdu s'espee. Et quant vint un poi devant nonne et li rois ot tant enduré comme il puet et qu'il ot tant pierdu de sanc que uns autres hom en fust piecha mors, lors commencha il un poi a alentir et a guencir encontre les caus que chius li gietoit. Mais toutes voies a la parfin il fust mors sans recouvrier, a chou qu'il se laissast anchois occhirre qu'il criast mierchi, se ne fust la Damoisele dou Lac qui fu la por aidier le roi se elle veist que Merlins n'i fust. Et quant elle fu venue entre cheus qui la bataille regardoient, elle connut bien le roi par chou que elle vit que s'espee li estoit faillie, et Merlins meismes li ot bien devisé quels armes il porteroit en la bataille. Quant elle vit que li rois estoit en si grant peril, elle en fu moult espoentee et bien quida qu'il fust navrés a mort. Si giete son enchantement et tient si court Accalon que la ou il avoit s'espee drechie contremont pour ferir le roi Artus a plain caup n'ot il pooir de s'espee amener aval, ains li chaï de la main sour l'erbe et tainte et vermeille del sanc le roi Artus. Et quant li rois voit l'espee a la terre, il sailli moult vistement cele part et le prent et le lieve contremont et la regarde, et maintenant connoist que c'est Escalibor s'espee. Si est tant liés et tant dolans que nus ne poroit estre plus : liés de chou qu'il a s'espee recouvree, car ore set il de voir qu'il venra bien a chief de sa bataille, et dolans de sa serour qui si mauvaisement l'a trahi, car ore counoist il bien que tout cest agait li a elle pourcachié et que elle le cuidoit en ceste bataille faire morir. Et maintenant qu'il tient l'espee, il regarde le fuerre que cil avoit, si le connoist tantost. Et lors s'en vait a lui grant pas, se li esrace et le giete en voies tant comme il puet. Et lors redetint la damoisele son enchantement, si que Accalon fu tantost en la vertu ou il avoit devant esté. Mais quant il connut qu'il avoit s'espee perdue et le fuerre ou il tant se fioit, il n'estoit riens adont qui le peust reconforter, car il vit erraument qu'il commencha a saingnier de toutes les plaies que li rois li avoit hui faites, et si ne saingnoit il mie devant. Et li rois li dist maintenant : « Dans chevaliers, ore estes vous alés. Certes vous estes venus a vostre mort, chou que vous me desistes hui auchune fois. Ja ne vous garandira la desloiaus qui de ceste espee vous saisi. Vous n'euustes pas trop grant painne a conquerre ! » Et li court sus et le mainne si malement en poi d'eure que cil a tant del sanc pierdu et tantes plaies petites et grans qu'il ne se puet tenir en estant s'a grant painne non. Et quant li rois voit qu'il l'a mené aussi coume a outrance et que cil ne se puet mais aidier, si l'ahiert au hyaume et le tire viers soi si durement qu'il l'abat a terre tout enviers. Et li trence maintenant les las del bon hyaume et le giete en voies si loing coume il puet voiant tous chiaus qui veoir le voelent. Puis li donne grandesimes caus del poing de l'espee par mi le chief, si qu'il li fait le sanc saillir par mi les mailles del hauberc, et li dist que il l'ochirra se il ne se tient pour outré. Et quant cil se voit en si tres grant peril, il li dist : « Occirre me poés vous, s'il vous plaist, sire chevalier, car vous en estes bien au dessus, che m'est avis. Mais l'outranche que vous me requerés n'orrés vous ja, se Dieu plaist : miex voel que vous m'ochiés ! » Et lors s'apensa li rois Artus qu'il savra qui il est anchois que il l'ochie, car il pense qu'il est de son ostel. Et lors li dist : « Sire chevaliers, je vous pri que vous me dites qui vous estes anchois que je plus atouche a vous. » Et cil respont erramment : « Je sui de la court le roi Artus et ai non Accalon. » Et li rois est maintenant tous esbahis, car il set bien que che est il qui avoec lui fu enchantés dedens la nef. Et lors li demande : « Je vous pri que vous me dites qui vous douna ceste espee. » Et lors giete chius un souspir quant il ot ceste demande et puis dist : « Sire, mal la presisse je, l'espee, car la seurtés de li m'a ja fait morir ! - Bien puet estre, che dist li rois, mais toutes voies, s'il vous plaist, me dirés vous qui le vous douna. - Je le vous dirai, fait il, que je vous ne le celerai plus, car je voi que je sui venus a ma mort. Et encore fust il ensi que ja ne m'ochesissiés ne porroie jou pas des ore en avant vivre, car j'ai trop del sanc pierdu, si vous dirai ceste chose pour moi alegier de mon pechié et pour chou que vous me creanterés que vous au roi Artus le conterés tout ensi que je le vous ferai orendroit a savoir. » Et li rois li creante. Et Accalon li dist erraument : « Ore saciés de voir que la roine Morgue le me douna pour chou que je en deusse occhirre le roi Artus son frere, car bien saichiés qu'il n'i a riens ou monde que elle hee si morteument que elle fait le roi Artus. - Et pour coi, che dist li rois, le vous donna elle plus tost k'a un autre ? Li proumesiste vous que vous le roi Artus occhirriés ? - Nennil certes, che dist Accalon. De lui occhirre ne m'entremeteroie jou en nule maniere, se je moult bien le pooie faire. Mais elle le me donna il i a plus d'un an passet et le gardoit bien souvent, si me fist cest don pour chou que elle m'amoit par amours tant comme pooit feme amer houme. Et pour la grant amour que ele avoit a moi pourcachast elle volentiers la mort de son frere, se elle en euust le loisir, et me fesist courouner dou roiame de Logres, se elle peuust en nule guise. Mais elle ne le fera jamais, car je sui venus a ma mort.
Or vous ai dit qui je sui et qui me douna l'espee. Ore vous pri jou que vous me dites qui vous estes. Ne le celés mie, par la riens que vous plus amés el monde. - Par mon chief, che dist li rois, vous m'en avés tant conjuré que je vous en dirai la verité. Saichiés que je sui chis Artus dont vous parlés, qui avant ier se coucha en la nef avoec vous la ou les damoiseles nous enchanterent. » Et quant chis entent ceste parole, il dist : « Ha ! biaus dous sires, vous soiiés li bien venus. Pour Dieu, pardounés moi chou que je me sui a vous combatus. Jou vous creanc sour Dieu et sour m'ame que se je cuidaisse que che fuissiés vous, ja combatus ne m'i fuisse, car dont fuisse jou li plus desloiaus dou monde se je a ensient me combatisse a vous. - Certes, Accalon, che dist li rois, je le vous pardoing, car je connois bien par vos paroles que vous ne me counissiés pas. Et pour chou n'en doi jou blasmer fors ma serour la desloiaus, qui pourcachoit ma mort de tout son pooir, et ne l'avoie point deservi. Mais, se Diex me laisse venir a Camalaot sain et haitiet, j'en prenderai la venganche si grande que onques de feme desloiaus ne fu si grande prise, si que apriés ma mort en parleront cil dou roiame de Logres. »
Lors se dreche li rois et apiela chiaus qui le camp gardoient. Et quant il sont venu a lui, il lour dist : « Faites pais entre vous tele comme il vous plaira, car de ceste bataille ne ferons nous plus entre moi et cel chevalier. Car nous nous connissons et estions si ami que, se nous le seuussons au commenchement aussi que nous faisons orendroit, li uns n'eust mis main a l'autre dusques au sanc traire por la moitiet dou monde gaaingnier. » Et Accalon se dreche en son estant et lour dist si haut coume il puet : « Caitive gent, que avés vous fait ? Certes, on vous destruira tous et a droit, car a poi que vous n'avés pierdu par vostre maleurté le plus preudomme et le plus vaillant qui soit ou monde, chou est li rois Artus que vous veés chi devant vous, que vous mesistes em bataille campel encontre moi aussi comme che fust un povre chevalier errans. Bien vous deveroit on tous destruire et hounir des cors, car a poi que vous n'avés occhis vostre signour lige ! »
Quant il oent ceste parole, il sont aussi esbahi comme se la mors les euust tous ferus, si ne sevent que respondre. Et nonporquant il se sont repourpensé et vienent devant le roi Artus et s'agenoillent et li dient : « Ha ! sire, pour Dieu mierchi ! Nous ne vous connissons. Por Dieu, pardounés le nous ! - Je le vous pardoing, fait il, mais que vous me celez en tele maniere que cil autre ne sachent qui je soie devant chou que je soie venus a Camalaot. - Sire, font il, sachiés que vous serés bien celés, puis que il vous plaist. » Lors le mainnent as .II. freres qui ceste bataille avoient pourcachie et lour dient : « Entreclamés vous quite de ceste bataille, car ceste bataille ne puet plus estre ferue. Et de tant que elle a feru quidons nous que tous chis païs soit destruis et gastés et cil honni et mort ki i mainnent, car chis qui ceste bataille a deraisnie fera destruire vous et vos hoirs, se Diex ne vous aide. » Quant li dui frere oïrent ceste parole, il en devinrent tout esbahi, si demandent : « Qui sont cil qui ceste bataille ont faite ? - Vous le savrés, font il, plus tost que mestiers ne vous seroit, mais otroiiés vistement la pais d'une part et d'autre. » Et cil l'otrient, qui ont toute pavour de ceste nouviele, et s'entrebaisent et vienent maintenant au roi et a Acalon. Si les amainnent, si comme au roi plot, a une abeie de nonnains qui assés estoit pres d'illuec. Si couchent le roi et regardent ses plaies et les aaisent de canques il pueent et de canques il demande. Aussi font il a Acalon, mais onques ne s'en sorent tant entremetre que li chevaliers ne fust mors dedens le quart jour, car trop avoit perdu del sanc et si estoient ses plaies trop grans et trop parfondes. Li rois demoura laiens une semainne toute entiere, et lors se trova si allegié et si gari qu'il puet chevaucier. Ne onques tant qu'il demoura laiens ne se fist connoistre, mais au quart jour aprés que il i fu venus, quant il vit Accalon qui estoit mors, il le fist metre en une biere chevaleresse et dist a .IIII. de cheus qui le gardoient : « Vous le merrés a Camalaoth en tel maniere coume il est orendroit. Et quant vous serés la venus, vous saluerés Morgain ma serour en tel maniere comme elle doit estre saluee et li presentés de par moi cest chevalier que elle amoit de tout son cuer. Et li poés dire que jou en ai fait che que il devoit faire de moi et que j'ai Escalibor, la vraie, non mie la contrefaite, od tout le fuerre. Et sache elle que onques traïsons ne fu si bien vendue coume ceste sera se Diex me donne santé, ja ne savra fuir en si longtaingne terre ne en si estrange. » Ensi lour commande li rois. Et il monterent erraument et emporterent avoec eus le cors del chevalier seur .II. chevaus en une biere biele et cointe et acueillirent lor chemin tout droit vers Camalaoth. Mais ore se taist atant li contes d'eus et retorne au roi Uriien.
Ore dist li contes que li rois Uriiens fu aportés par enchantement dalés Morgain sa feme a cele eure que li rois fu mis en la prison et Accalon el vregiet. Li rois Uriiens sans faille s'esvilla quant il fu mis dalés sa feme, mais il ne fu point esbahis, car il ne li souvenoit pas ne dou roi ne de la nef ne de chose qui li fust avenue devant, coume chis qui estoit encore tous enchantés. Si s'en rendormi maintenant aussi fermement comme il avoit devant fait.
Quant Morgue le vit endormi, elle apiela maintenant une de ses damoiseles, cele en qui elle se fioit plus et a la quele elle avoit plus descouviert de son conseil, se li moustra le roi dormant et li dist : « Qu'en ferons nous ? Jamais ne verrons en aussi boin point de lui occhirre comme orendroit, car se nous orendroit l'ochions, nous n'en serons ja encoupees ne ja nus ne sera si hardis qu'i nous en demant riens. » Et cele respont : « Dame, il n'est riens que je ne fesisse pour vous, por coi je cuidaisse que je le peusse bien faire. Mais certes je ne voi mie comment je le puisse occhirre orendroit qu'il ne s'esvillast anchois, a chou que je sui feble et couarde. Et se il s'esvilloit par aventure anchois que jou l'euusse mort, tous li mondes ne me garandiroit qu'il ne me hounesist del cors et que il ne me fesist de male mort morir. Et pour chou, dame, ne l'oseroie jou emprendre a occhirre, car certes je sai bien que li cuers me faurroit ains que je l'euusse fait. - En non Dieu, fait Morgue, puis que tu ne l'oses emprendre, je l'emprenderai hardiement, car je sai bien que li miens cuers ne faurra pas. Ore me va en cele chambre querre s'espee ki pent a une corne d'argent, et je me viestirai endementiers. » Et cele, qui n'ose refuser cest commandement, dist que ceste chose fera elle bien. Si s'en vait viers la chambre ou s'espee estoit et est moult dolante que sa dame veult ensi faire.
Toutes ces paroles que Morgue avoit dites a la damoisele ot bien entendu Yvains ses fiex, qui se gisoit si pres d'illuec qu'il n'avoit entr'eus deus fors une courtine. Lors saut sus de son lit et se vest tost et isnielement, car il ne cuide ja avoir fait a tans. Et quant il est tous apparilliés, il se quatist pour veoir que sa desloiaus mere feroit. Et elle se fu ja viestue et issue de son lit. Et quant la damoisele fu issue de sa chambre, cele qui l'espee aportoit, Morgue li dist : « Or cha l'espee, si savras comment Morgue set ferir ! » Et cele li baille toute tramblant, et elle la traist dou fuerre, si le voit clere et reluisant. Et lors s'en vait viers le lit et dist a la damoisele : « Or vien avant, si verras fille de roi ferir d'espee ! » Et quant Yvains voit que la chose est a che venue que sa mere veult toutes voies occhirre son pere, il li crie : « Ha ! feme maleuree et plainne de dyable et d'anemi, sueffre toi ! » Lors saut par dessus le lit coume chis qui legiers estoit, si prent sa mere par le brac et li oste l'espee de la main, et li dist moult courechiés et moult dolans : « Certes, se vous ne fuissiés ma mere, mar l'euussiés baillie, l'espee, car jamais aprés ceste ne baillissiés autre, ains en morussiés maintenant ! Et vous l'avés deservi, car vous estes la plus desloiaus chose que je onques veisse, qui volés occhirre en dormant vostre signour espousé, le plus loial et le plus preudomme que je sache el roiame de Logres. Voirement dient voir li chevalier de chest païs, qui dient que vous ne faites se dolour non et desloiauté et ouvrés par art d'anemi en toutes les choses que vous faites. Certes bien a dyables part en vous et bien vous ont li anemi enlachiet, qui de ceste desloiauté faire vous estiés apparellie. Bien en eussiés deservi mort et vilainnie, se il fust qui vous i mesist ! » Lors remet l'espee en son fuerre et giete tout en un vregiet ensamble, si loing coume il onques puet, et commande tout au dyable. Puis redist a Morgain : « Certes, se vous ne fuissiés ma mere, je fesisse tant de vous qu'il en fust parlé a tous jors mais. Mais je non ferai, car je seroie perdus se vous occhesisse et seroit trop grans folie se je m'arme perdoie pour un tel anemi coume vous estes. Et anemis et dyables et desloiaus estes, pour coi je devroie miex estre apielés fiex de dyable comme Merlins, car nus ne vit onques que li peres de Merlin fust dyables, mais je vous ai veut et dyable et anemi droit. Et si fu en vous concheus et de vous issi, de quoi je puis de voir affremer que je sui miex fiex de dyable que che ne soit Merlins. »
Quant Morgue ot que ses fiex est si coureciés, elle s'agenoille devant lui et li dist : « Ha ! fiex, pour Dieu, pardoune moi ton maltalent, et je te creanc que jamais de tel desloiauté ne m'en entremetrai. Et certes j'estoie si courechie que anemis m'avoit si sousprise que je ne savoie que je faisoie. Et Diex t'i amena pour sauver ton pere et moi, car jou l'euusse occhis et m'arme en fust dampnee a tous jors mais. Mais il n'est pas, Dieu merchi, ensi avenu, si te pri que tu choilles ceste chose pour t'ounour et pour la moie, car se tu la descuevres, tu en seras plus viex tenus en quelconques lieu que tu viegnes mais. » Et il dist qu'il s'en taira voirement, car de tant coume il la descouverroit plus, de tant vaurroit il pis.
Ensi laissierent atant cele chose, que plus n'en fu parlé a cele fie. Et quant li rois se fu esvilliés et il se trouva en la chambre, il se commencha a esmiervillier et a sengnier de la mierveille, et demande qui laiens l'a aporté. Et cil qui devant lui estoient li dient : « Sire, nous ne savons. Aussi nous esmervillons nous comment vous estes chaiens venus, que nous nel seuusmes. Mais ou cuidiés vous estre ? - Je cuidoie, fait il, estre avoec mon signour le roi et avoec Accalon en la plus biele nef que je onques veisse, ou nous fumes ersoir couchiet biel et richement et servis de damoiseles beles et courtoises. » Lors vint avant la roine et li demanda ou il laissa le roi. Et il li conte tout ensi coume l'estoire l'a ja devisé. Et quant elle ot ceste nouviele, elle fait samblant que elle soit trop esmaiie. Si dist au roi qu'il se lieve et monte et voist a tout grant gent la ou il laissa le roi Artus, si le remaint a Camalaoth. Et cil fait le commandement de la roine, si monte et se remet en la forest. Et se haste tant de chevauchier qu'il vint a l'iaue et trueve le chierf mort et le braket qui dejouste lui se gisoit, qui encore ne s'en estoit remués. Mais de la nef et des damoiseles ne trouva il nulle nouvielle, si en sont moult a malaise. Il querent le jour et la nuit et l'endemain aprés et loing et pres, mais de querre estoit che folie, qu'il nel trouvaissent pas legierement, a chou que il estoit plus loing d'eus que il ne cuidoient. Et quant il sont anuiiet de querre, il revienent a Camalaoth, moult dolant de chou que il n'aportent nule nouviele. Si sont tout a la court si amati et si coi pour ceste chose qu'il n'en i a nul qui biele chiere i fache, ains sont tuit aussi comme mort, car il ne sevent qu'il peuussent cuidier de ceste aventure, fors qu'il dient communamment que li rois et Accalon ont trouvé auchune aventure qu'il ne pueent pas mener a chief a lour volenté, et il la voellent metre a fin ains qu'il reviegnent a court, et ceste chose, si comme il dient, les fait demourer.
En tel maniere vont devinant cil qui ne sevent la verité. Et nonpourquant il n'a si hardi en toute la court qui toute paour n'en ait, car il se doutent de mesqueanche et de mesaventure, si ne sevent a quoi reconforter fors qu'il attendent de jour en jour qu'il viegne ou qu'il en oïssent nouvieles de lui. Au sieptime jour tout droit aprés qu'il s'en fu partis vinrent a court li quatre chevalier qui aportent Accalon en la biere chevaleresse. Et quant il furent en la court, assés fu qui a l'encontre lour vint pour demander nouvieles se c'estoit chevaliers occhis et qui il estoit, car moult se doutoient tuit de malvaises nouvieles oïr. Et cil dient que c'estoit uns chevaliers occhis que li rois envoioit a court. Lors sont tout moult lié de ces nouvieles et keurent la ou il cuident la roine Gennevre trover, si la truevent en un praiel, moult mate et moult pensive. Et il dient maintenant : « Dame, laiens sont .IIII. chevalier venu qui aportent un chevalier ochis que li rois envoie chaiens. Venés avant, si orrés nouvieles del roi et si saverés qui est li chevaliers. » Et elle s'adreche erramment, moult plus lie que elle n'estoit devant. Et quant elle est venue en la sale, elle trueve que li .IIII. chevalier avoient ja mis a terre le chevalier occhis. Quant il la voient, il la connoissent bien, si le saluent, et elle lour rent lour salus et lour demande erraument qui est li chevaliers occhis. « Dame, font il, il est de ceste court. - Et comment ot il non ? fait elle. - Dame, font il, nous le vous dirons bien, mais que vous faichiés avant venir la roine Morgain, car nous li aportons de par le roi Artus un message. » Et la roine le mande erraument et elle vient au plus tost que elle puet. Et quant li chevalier la voient, il li dient : « Dame, li rois Artus vostre freres vous salue en tel maniere coume il vous doit saluer et vous envoie Accalon en biere, chelui chevalier que vous amiés de tout vostre cuer, et vous mande qu'il a fait d'Accalon chou que Accalon devoit faire de lui. Et saichiés que il a Escalibor, la vraie, non mie la contrefaite. Et vous mande que onques traïsons ne fu si bien vengie coume ceste sera, ja en si estraigne terre ne si lointainne vous ne savrés fuir. »
Quant Morgue ot ceste nouviele, elle connoist bien qu'il pueent bien dire verité. Mais elle respont por soi couvrir : « Certes, signour, vous n'estes mie moult sage chevalier messagier, quant vous cuidiés que mes freres vous ait ceste chose commandé pour moi dire. Saichiés qu'il ne le manda onques fors pour gap et pour envoiseure et pour savoir quele chiere je feroie de ceste chose. » Et quant li autre, qui ne sevent pas comment li affaires estoit alés, entendent comment elle se reskeut hardiement, il ne cuident pas que elle soit de riens coupable pour la biele chiere que elle fait. Si tornent tout a jeu et a envoiseure, et aussi fait la roine, car elle n'osast pas penser la desloiauté si grant comme elle i estoit. Accalon fu mis en terre ou moustier Saint Estevene, qui adont estoit la maistre eglyse de Camalaoth. Onques de tout le jour ne pot faire Morgue biele chiere, car elle avoit tant de duel a son cuer que feme n'en porroit plus avoir pour la mort d'Accalon que elle amoit plus que riens qui adont fust ou monde.
Chelui jour apiela elle .XII. de ses damoiseles, celes de qui elle amoit plus leur compaignie et ou elle se fioit plus, et elle lor dist tout son afaire. Et les ot traites loing en une chambre hors de toute gent et lour dist tout son estre et dist : « Je ne le vous puis celer : je serai morte et malbaillie et honnie del cors se je demouroie tant ichi que mes freres viegne, car il a tout apercheu che que je voloie faire de lui, si me fera destruire, che sai ge bien, que il n'en avra ja mierchi, se il me puet chaiens trouver. Or couvient dont que je m'en aille en itel lieu qu'il ne me sache. - Dame, font elles, chou est voirs, mais ou porra chou estre ? - Che verrés vous bien, fait elle, prochainnement, mais or vous apparilliés et metés toutes vos choses en cofres, car bien saichiés qu'il vous couvenra sempres chevaucier, car je me partirai adont de la court a tele eure par aventure que jamais n'i enterrai. Mais pour chou se je m'en vois ore de son ostel ne demourra mie que je ne li fache encore moult chierement comparer chou qu'il m'a occhis l'omme del monde que je plus amoie. Certes, se je vieng en lieu, il n'a fait d'Accalon que je ne faice de lui faire. » Celes ne l'osent chastiier de teles paroles, car bien sevent que lour chastiemens n'i averoit mestier, mais elles respondent que elles avront si apresté lour afaire ains que la nuis viegne qu'il n'i faurra fors que del monter. Et Morgue dist que elle ne demande plus.
Lors s'en vait a la roine Genneuvre et li dist : « Dame, je vieng prendre congiet a vous, car je m'en irai le matin el roiame de Garlot pour une besoigne qui ne porroit estre faite se je mesmes n'i estoie. Et sachiés que je revenrai au plus tost que je porrai. » La roine, qui ne l'amoit mie moult pour chou que elle n'avoit onques veut bien en li, ne li respont mie chou que elle pense, car elle li euust dit : « Dame, alés ent sans jamais revenir. » Mais elle li dist : « Dame, n'atenderés vous mie tant que vostre freres soit venus ? - Nennil, fait elle, car li besoins i est si grans que je ne porroie en nule maniere remanoir. - Ore en alés, fait elle, a Dieu dont, mais que je vausisse bien, s'il vous pleuust, que vous encore remansissiés. - Je nel porroie, fait elle, faire que je n'i perdisse trop. » Atant se part l'une de l'autre. Et si tost coume il fu anuitié et la lune fu levee, Morgue monte entre li et sa maisnie, et porent bien estre .XXX. a cheval. Si se partent erraument de Camalaoth et entrent maintenant en la forest, car la voie lour i adounoit. Si chevaucierent toute la nuit, mais qu'il dormirent un poi dessus la rive d'une fontainne. Au matin, si tost coume li solaus fu levés, il monterent et se remisent en lour chemin. Et Morgue toutes voies aloit la plus droite voie que elle savoit la ou li rois Artus estoit, car elle ne baoit a nule chose fors que elle peuust avoir Escalibor od tout le fuerre. Tant ala en tel maniere entre lui et sa maisnie qu'a l'abbeie vint. Mais elle fist sans faille remanoir sa compaignie en un boskel qui dalés l'abbeie estoit et vint en l'abbeie toute seule, fors d'une damoisele qui compagnie li faisoit. Et fu droit a eure de miedi.
Quant elle fu laiens descendue, elle demanda que li rois faisoit. Et cil de laiens li disent qu'il cuidoient qu'il se dormist. Et elle s'en vait maintenant en la chambre ou il estoit, si le trueve tout seul, et se dormoit en un lit moult fermement, et tenoit en son poing Escalibor toute nue et li fuerres estoit a ses piés. Et il estoit ensi avenu qu'il l'avoit traite la ou il se gisoit el lit et s'estoit endormis l'espee en sa main. Quant elle voit que li rois tient ensi l'espee, elle pense que elle ne la porroit pas avoir se elle ne l'esveilloit, ne che n'oseroit elle faire, car elle avroit paour qu'il ne l'ochesist maintenant se il la veoit devant li. Lors prent le fuerre et dist que elle s'en tient a moult bien paiie de cestui et dist que Diex l'i amena, quant elle chou emporte que elle desiroit plus a avoir. Si se part erraument de la chambre et met le fuerre desous son mantiel et vint a la damoisele qui l'attendoit dehors. « Montons, dist elle, et alons nous ent erraument, car jou ai si bien faite ma besoigne que je ne le quidai jamais si bien faire. » Lors monte Morgue et la damoisele aussi, et s'en vont la ou il avoient laissiet lour compaignie. Et quant Morgue est a eus venue, elle lour dist : « Montons tout et pensons d'aler viers le roiame de Garlot, car je ne quier plus demourer en cest païs. »
Lors montent et s'en vont tout ensi coume Morgain lour ensegne. Mais il n'orent pas gramment alé que li rois Artus s'esveilla et trouva encore en sa main l'espee tout ensi comme il l'i avoit mise quant il s'endormi. Lors s'assiet en son lit et commencha a regarder ou li fuerres estoit. Et quant il nel voit dessus son lit, il saut sus et le coumenche a querre amont et aval. Et quant il ne le trueve, il s'en vient en une sale qui estoit devant sa chambre et trueve les chevaliers qui compaignie li faisoient et qui devoient garder l'uis de sa chambre que nus ne venist a li. Et il lour demande : « Dites moi qui chaiens a esté tant coume je dormoie. Je sai bien que auchuns i a estet. - Sire, font il, nous ne savons quele dame i fu, car nous ne la connissons mie, mais toutes voies s'i fu elle, u nous vausissiens ou non. - Dites moi, fait il, sa samblance. » Et il li devisent. Et il connoist maintenant que che fu Morgue sa serour et set de voir que elle emporte le fuerre de l'espee, l'une des choses del monde que il plus amoit. Si dist tantost, trop courechiés : « Ha ! Diex, chaiens a esté la desloiaus, la tricheresse, qui emporte che que je miex amoie ! Mais certes tout che ne li vaut riens, car ja ne savra fuir que je ne pense de cachier. » Lors fait metre une sele sour le millour cheval qui laiens estoit et prent armes boines et bieles, car il pense bien que Morgue n'est mie sans grant compaignie et elle li feroit volentiers faire anui, se elle en avoit loisir et pooir, et fait aussi monter un autre chevalier pour lui faire compaignie. Quant il sont ambedui armé et monté chascuns seur boin cheval, il se partent de l'abbeie. Et a l'issir de laiens encontra li rois un vachier qui amenoit bestes a l'abbeie. Li rois li demande : « Vachier, encontras tu une dame qui par chi s'en vait ? - Oïl, sire, fait cil. Il a ja grant pieche que elle issi de chaiens, entre li et sa damoisele qui chi l'atendoit. Et quant elle s'en fu de chi alee, elle s'en ala droit a cel bosquel ou chevalier et dames l'attendoient. Et maintenant que elle fu a eus venue, il acueillirent adont lour voie et s'en alerent tout ensamble. - Quel part ? che dist li rois. - Sire, ceste valee, droit a cel grant arbre que vous veés en cel tertre. Et je cuic que se vous i estiés orendroit, vous les verriés devant vous en la valee par dela. »
Li rois est moult liés de ceste nouviele, si s'en part erraument del vachier et s'en vait grant oirre viers l'arbre cele part ou il cuide trouver Morgain. Et quant il est venus au tertre que cil li avoit devisé, il regarde avant lui en une plaingne et voit a l'entree d'une forest Morgain a toute sa maisnie, mais il ne set mie tres bien que che soit elle. Et neporquant il le cuide erraument, mais che l'esmaie durement qu'il voit la forest si pres d'eus, car il set bien que la se quatiront il et se reponront, se il pueent riens savoir de sa venue. Lors s'en vait grant oirre tout contreval la valee et moult se haste de chevaucier pour savoir s'il les peuust ataindre. Et Morgue, qui bien l'ot veu venir, dist a cheus qui avoec li estoient : « Veés chi mon frere venir a coite d'esperon. Il nous sieut pour nous occirre. S'il nous ataint, nous soumes mort. Et je sai bien pour coi il le fait : c'est pour cest fuerre que Diex maudie ! Mais certes il ne l'avera point, ne il ne autres, ains le meterai ja en tel lieu pour l'amour de lui qu'il ne pourfitera jamais a roi ne a chevalier. » Lors s'en vient a un lac qui estoit illuec en une valee, et estoit li lac moult grans et moult parfons. Et elle prent le fuerre et le gete dedens le lac tant loing coume elle puet. Et il fu pesans, si afondra maintenant a tel eure qu'il ne fist puis bien a houme del monde fors a Gavain, le neveu au roi Artus, a une seule bataille qu'il fist puis encontre Mabom l'enchanteour pour la biele fee qui Marsique estoit apielee. Et celle Marsique li bailla chelui meisme fuerre, si qu'il le porta en la bataille. Mais aprés che qu'il ot la bataille finee ne fu il onques saisis del fuerre ne ne sot puis que il devint, si coume cis contes meismes le devisera apertement quant lius et tans en sera.
Quant elle ot jetet le fuerre dedens le lac, elle dist a cheus qui avoec li estoient : « Se nous ne prendons conroi de nous, nous soumes mort et malbailli, car mes freres vint si grant oirre qu'il nous avra ja tantost aconseus. Et il nous het si morteument que se il nous puet connoistre, il n'en avra ja merchi qu'il ne cope a chascun le chief. » Et il respondent : « Dame, k'en dirés vous ? Nous n'i savons metre conseil. - Se je le peusse, fait elle, mener par enchantement aussi coume je porroie autre gent, il ne veist jamais Camalaoth, car je l'ochesisse maintenant. Mais che ne puis je mie faire, car une damoisele qui est en cest païs nouvielement venue l'a si garni por paour de moi seulement que nus enchantemens ne li puet mal faire tant coume elle demourra en ceste terre. Mais de nous qui chi soumes ferai je bien si grant merveille qu'il en sera parlé tant coume il avra crestiiens en la Grant Bretaigne. »
Lors gieta son enchantement et les fait tous muer en pierre, damoiseles et chevaliers et chevaus, si que se vous les veissiés, vous cuidissiés tout vraiement que il fuissent de pierre naïve. Et aussi orent li vallet qui a pié aloient pierdu lour droite samblance et orent recouvré fourme de pierre. Et li enchans les tenoit si fermement qu'il ne se peuussent mouvoir se on lour caupast les testes, ne d'aus n'issoit ne fus ne alainne, ne plus que se il fuissent tout vraiement de roche naïve. Et aussi fu Morgue atornee, mais non mie que elle ne peuust deffaire son enchantement toutes les eures que elle vausist. Si n'est nus hom qui les veist a celui point qu'il ne deist tout vraiement que che fuissent gent de pierre. Et quant elle les ot si atornés que nus hom qui de tel meismes barat ne fust ne les peuust enterkier fors pour figures de pierre, elle les laissa dallés le chemin en une praerie. Aprés chou ne demoura gaires que li rois Artus vint par illuec, qui venoit moult grant oirre. Se li avint qu'il trespassa cheus qui del chemin estoient assés pres ne nes regarda mie. Et cil qui avoec lui aloit les regarda par aventure. Et quant il les vit, il li fu avis que c'estoient gent de pierre, si s'arreste et en devint tous esbahis. Et lors apiele le roi Artus et li dist : « Ha ! sire, arrestés tant que vous aiiés veut chou que je voi. » Et li rois s'arreste. Et cil li moustre chou qu'il regardoit et dist : « Veés la gent de pierre et chevaus de pierre. Onques mais de tel merveille n'oï nus hom parler. » Et li rois regarde cele part. Et maintenant que il aperchoit che que cil li ensaignoit, il vait cele part pour miex veoir que c'estoit. Et quant il en est si pres qu'il les puet auques remirer, il dist au chevalier qui avoec li estoit, mais anchois se saingne por la mierveille qu'il en a : « Par foi, fait il, c'est Morgue ma serour et toute sa compaignie qui sont mué en pierre. Onques puis que li mondes fu estorés si grant merveille n'avint. » Et lors les commenche a regarder, et eus et les chevaus, et tant que il connoist Morgain et pluiseurs de cheus qui illuec estoient. Si les vait monstrant au chevalier et nommant chascun par son non, et dist : « Veschi Morgain », et dist : « Veschi chelui chevalier », si le nomme. Et ensi en vait nommant tout le plus. Et li chevaliers li demande maintenant : « Sire, le fuerre dont vous parlés, l'avés vous encore chi trouvé ? - Nennil voir, che dist li rois, je l'ai pierdu. Tout est torné a dolour et a mesaventure entre ma serour et sa maisnie. Elle ne fist onques se mal non et a la fin li a Diex moustré, car il l'a confundue, et li et tous cheus qui la sivoient. Or nous retournons, car de chi demourer plus seroit folie. »
Atant s'en retorne li rois, moult iriés de chou qu'il a pierdu le fuerre. Et quant il se fu eslongiés entour demie liue, Morgue redesfist son encantement, si que toute sa maisnie refu maintenant en l'estat et en la maniere qu'il avoient devant esté. Et elle lour demande : « Veistes vous mon frere qui chi fu ? - Nous le veismes voirement, font il, et se nous euussiens pooir de fuir, nous nous en fuissons fui, car nous nel doutons pas petit. Mais nous n'aviens nes poissanche de metre fors nos alainnes, ains estions del tout aussi comme mort. - De che, fait elle, ne vous plaingniés onques, car che vous a sauvé la vie. » Et il le reconnoissent bien. Atant se remetent au chemin et s'en vont droit viers le roiame de Garlot, et tienent lour jornees si bien qu'il i furent la premiere semainne. Mais anchois que Morgue i fust venue li avint il par un matin qu'il trouva a l'entree d'une forest un chevalier qui avoit un homme despoillié tout nu en ses braies et li avoit les iex bendés et le voloit gieter en un puich qui devant lui estoit, et estoit chis puis plains de vermine anieuse. Morgue demande au chevalier, qui encore estoit tous armés : « Dites moi, sire, qui est cil hom qui devant vous est ensi despoilliés ? - C'est, fait il, uns traïtres, uns desloiaus, que j'ai hui repris en une si grant besoigne de felounie et une desloiauté tele qu'il me honnissoit de ma feme, et si estoit li hom del monde ou je me fioie plus. Mais pour sa felounie en est il a sa mort venus, car je le lancherai orendroit en cest puich apriés ma feme que ge i ai getee pour la desloiauté ou je le trouvai. - En non Dieu, fait Morgain, puis qu'il estoit si desloiaus comme vous me dites, il est bien dignes de morir malvaisement et vilainnement. » Et lors parole li autres et dist : « Ha ! dame, pour Dieu, nel creés mie ! Ensi m'aït Diex que je n'en fui onques coupables de che qu'il me met sus. Mais il est li plus desloiaus hom qui onques fust, et par sa desloiauté et par sa traïson m'a il souspris la ou je ne me gardoie de lui et m'a liiet ensi comme vous veés. - Et qui es tu ? che dist Morgue. - Je sui, fait il, del roiame de Logres et chevaliers le roi Artus et de son ostel meesmes. - Comment as tu non ? fait elle. Et il dist qu'il a non Manassés de Gaule. « Manassés, fait elle, par mon chief, je vous connois bien. Vous fustes parens a Accalon de Gaule, l'oume del monde que je plus amai en ma vie. Et pour l'amour de lui vous deliverrai jou de cest peril, si qu'il en sera tout a vostre volenté. »
Lors jete son enchantement, si que li chevaliers se traist arriere si enchantés qu'il n'a pooir de soi tenir en estant, ains chiet a terre tout adens. Et elle vient maintenant a Manassés, se li desloie les mains qu'il avoit liies derriere le dos et li desbende les iex. Et puis li demande : « Manasses, me connois tu ? » Et il respont tout maintenant : « Dame, oïl, je vous connois bien : vous estes la roine Morgue et mes sires li rois Artus est vostre freres. - Or sachés, fait elle, que je ne vous ai mie delivré pour l'amour de mon frere, mais pour l'amour d'Accalon qui fu vostre prochain parent. - Pour qui, fait il, que vous m'aiiés delivré m'est il, Dieu merchi, bien avenu, quant vous m'avés osté de mort. Pour coi je offre et moi et mon serviche a vous et, bien le doi, canques je porroie faire pour vous. - N'en sachiés, fait elle, gret fors a Accalon, car pour l'amour de lui estes vous delivres. Mais ore me dites que vous vaurrés faire de cest chevalier qui ensi vous tenoit court. - Dame, fait il, le miex que je voi si est que je fache autant de lui coume il voloit faire de moi. » Et elle s'i acorde bien, coume celle en qui cuer merchis n'estoit onques entree. « Desarmés le, fait elle, tout asseur, car il ne s'en mouvera ja. » Et cil li oste maintenant toutes les armes qu'il avoit vestues et le despoille tout nu, et puis le gete tout nu el puis a tel eure que cil i morut, car en poi d'eure fu noiiés. Et quant il l'i ot geté, Morgue le fist viestir et armer des armes a l'autre chevalier et li doune un cheval. Et quant il est tous apparilliés et montés, elle li dist : « Or vous pri jou, en guerredon de cestui service que je vous ai fait, que vous ailliés droit a la court le roi Artus, et diras nouvieles de moi laiens. » Et il dist que cest message fera il bien, mais que elle li die comment che fu que li chevaliers qui orendroit fu desarmés n'avoit poissanche de soi mouvoir nient plus que se il fust mors. « Coument che fu fait, fait elle, ne vous dirai je pas. Mais dites a mon frere le roi Artus que je doi bien avoir la poissanche de tant faire, car jou oi pooir de ma maisnie muer en pierre, si qu'il meismes le vit. Et encore li poés dire que plus euusse je fait de lui, se ne fust la Damoisele Cacheresse qui l'a garandi encontre moi que je ne li puis nuire par enchantement. Et cele sans faille set plus de ingromanchie et des enchantemens que tous li mondes ne set orendroit, car li souvrains des devineurs, que elle a mis en terre tout vif, li a apris. Itant li dites de par moi que je li mande. » Et cil respont que cel message fera il bien, se Diex le laisse revenir a la court sain et haitiet. Si se part atant li uns de l'autre. Morgue s'en vait el païs le roi Uriien a biele compaignie de dames et de chevaliers, mais moult est dolante del roi son frere que elle n'a fait morir pour chou qu'il occhist Accalon que elle amoit tant.
Ensi chevauche tant par ses jornees que elle vint el roiame de Garlot. Si ne veistes onques gringnour joie ne gringnour feste que cil del païs li firent quant il la connurent. Et quant on lour dist que elle estoit el païs venue pour remanoir i del tout, si l'ounererent moult tout et toutes, meesmement pour chou que elle estoit serour le roi Artus. Ensi fu venue Morgue el roiame de Garlot et remest en un moult riche chastiel et moult aaisié de toutes choses que on apieloit Tugan. En chelui chastiel establi elle une coustume moult mauvaise et moult anieuse, mais non pas si tost comme elle i vint, anchois fu un poi aprés. Car elle mist en mi la maistre sale de laiens une tombe. Dedens la tombe mist elle un escrit qui estoit en une boiste d'ivoire, et dedens l'escrit estoit devisee la mort le roi Artus et chelui qui le devoit occire, et s'i estoit la mort de Gavain et le non de chelui qui a mort le devoit metre. Et saichiés que elle ne savoit riens de l'escrit, car Merlins, qui jadis li ot baillié tant coume il repairoit entour li, li dist : « Gardés que vous en l'escrit ne veés, car bien sachiés que ja feme n'i regardera qui maintenant ne muire, car il n'est pas otroiié a feme que elle sace la mort ne del roi ne de Gavain devant qu'il soit avenu. » De cele tombe avinrent puis maint mal, ensi coume li contes le devisera apertement, et maint boin chevalier en morurent puis, qui voloient savoir des .II. preudommes la verité et comment il fineroient. Et puis fu il tel heure que Gavains et Hestor de Marés furent a la tombe por garder la, et lors i sorvint Lanscelos qui andeus les euust occhis, a che que il estoient navré et de che k'il s'estoient combatu ensamble, mais il avint qu'il les connut ansdeus et il connurent lui. Et ceste aventure devise ceste ystoire anchois que on kieche a conter la vie de Percheval. Mais ore laisse li contes a deviser de Morgain et de cele aventure et parole del roi Artus.
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In nomine Verbi incarnati. Noverint fideles catholici, quod ego Aldegardis et filius meus Mainardus donamus Deo et beato Petro aliquid ex rebus nostris, que sunt site in villa Seia: hoc est curtilum unum indominicatum, et quicquid ad ipsum curtilum aspicit; terminat autem a mane terra Ramnulfi et Gausperti, a medio die et a sero via publica, a certio terra Sancti Laurentii. Donamus etiam vineam unam in ipsa villa, que terminat a mane via publica, a medio die terra Sancti Petri et Ramnulfi, a sero terra Sancti Petri, a certio terra Girardi. In ipsa etiam vinea donamus alteram vineam, que terminat de duabus partibus terra Sancti Petri, de aliis duabus terra Martini. Cedimus etiam dicto loco campum unum, qui terminat a mane via publica, a medio die terra Vuidradi, a sero terra Sancti Vincentii, a certio terra Petri. Has res jam dictas donamus in tali tenore ut, quamdiu mater mea vixerit, teneat, et post ejus discessum ad jam dictum locum perveniat; in vestitura vero quinque sextarios, et me propter hoc in suum consortium recipiant. S. Aldegardis et Mainardi. S. Martini. S. Rothardi. S. Vuidradi. S. Aalrici. S. Rodberti. S. Gisonis. Actum Seia villa publicæ. S. Mainardi. S. Rainulfi. |
Omnibus, Thomas, decanus Vendopere, salutem in domino. Noveritis quod, in nostra presentia constitutus, nobilis vir Odo de Claromonte miles, recognovit Ermansam, dominam quondam Clarimontis, matrem suam, olim dedisse in perpetuam eleemosynam domui de Moris duo sextaria bladi, unum de frumento, et unum de avena, ad mensuram Vendopere. Quam eleemosynam dictus Odo coram nobis laudavit, volens et concedens, ut fratres de Moris ab his qui terragium ejusdem Odonis, quod habet apud Villam novam juxta Quercum, habebunt, ibidem dictum bladum de eodem terragio infra festum Omnium Sanctorum recipient annuatim. Actum anno Domini MºCCºXLºVIº, mense januario. |
Ego Willelmus, abbas Pontiniaci, notum fieri volo tam presentibus quam futuis quod Johannes de Venosa, et mater sua, assensu Ivonis, vitrici sui et fratrum suorum, Iterii et Odonis et sororis Aaledis, dederunt et in perpetuum concesserunt ecclesiæ Sancti-Petri Autisiodori octo sextarios annonæ in decima de Venosa, quorum quinque sunt avenæ, duo siliginis, unus frumenti. Dederunt quoque domum proximam æcclesiæ de Venosa, cum virgulto et tres solidos census, cum venditione sua et laude, et justicia similiter. Etiam dederunt pratum quoddam quod est juxta pratum Beati-Petri æcclesiæ de Venosa. Abbas autem suscepit in canonicos Sancti-Petri duos filios memorati Johannis. Hoc donum laudaverunt omnes predicti, in presentia nostra, astantibus fratribus nostris Hugone, cantore; Acelino, quondam abbate Regniaci; Rainardo, olim abbate Boniradii; Gauterio, quondam abbate Quinciaci. Affuerunt etiam milites duo, Herbertus Evroart de Chimili; Rainaldus de Lindri. Actum, anno incarnati Verbi Mº Cº LXXº Vº. |
Notum sit omnibus tam præsentibus quam futuris, quod Oddo filius Hugonis, qui frater fuit Abbatis Oddonis, propter quandam vineam quam sibi cuncessit habere Domnus Abbas Stephanus post obitum patris sui, scilicet supradicti Hugonis, seipsum spopondit permanere in servicio, et in fidelitate sancti Petri, et Monachorum sicuti liber. Et tali modo, si ipse absque proprio herede moriatur, qui non sit de ancilla sancti Petri, ipsa supradicta vinea, et quicquid ibi ædificatum fuerit, veniat in jure et in proprietate sancti Petri, et Monachorum, pro anima ejus: sin autem ancillam sancti Petri acceperit, infantes ejus vineam possideant, quamdiu servierint: et per istam pactionem, si circa nos morte præoccupatus fuerit, quasi nostrum Commissum obtinebimus. |
Iam nunc subiungēda est, non ante mortui, sed morientis presbyteri terribilis multis nota visio, quæ audientium mentes digno timore concutiat, ad cauenda æternæ mortis mala, velut vehementi sollicitudinis igne accendat. Apud castrum Liziniacum, quod in Pictauensi pago situm est, nuper quidam presbyter erat, qui sacerdotalis ordinis supercælestem dignitatem, miserrimæ vitæ conuersatione deturpans, non ad animarum quibus præerat curam, sed ad carnis suæ voluptatem explendam, sacro ministerio vtebatur. Qui, iuxta Prophetam, lac gregis sui comedens, eius se lanis operiens absque vlla spe æternorum, mercedibus mercenarij auidissime pascebatur. Mundissimam atque omnia mundantem Christi carnē sanguinem in altaris sacramento frequenter officio, non deuotione sumebat, nec ab immundis tamen carnis operibus sese cohibebat. Cumque vt sus immunda multo tempore in cœno luxuriæ versaretur, suiipsius fœtoribus delectaretur, territus conscientię malo, sicut aliquando mali ad horam compunguntur, familiaritatem quorundā bonorum virorum expetiit, Abbati Bonævallis ac fratribus euisdem monasterij se in amicitia, specie tenus copulauit. Qui longo tempore eum de vitæ emendatione commonentes, vt seculo renunciaret assidue exhortātes, nihil ab eo impetrare præter inanem spem aliquando potuerunt. Nam libenter quæ dicebant audire se fingens, semper eos de conuersione suspendens, de societate sanctorum illorum gloriabatur, nec admonitione vel exemplis eorum a malis retrahebatur. In his itaque aliis perditæ atque perdendæ vitæ suæ actibus perdurans, obstinatione impia iram sibi in die iræ thesaurizans, in morbum incidit, quo post aliquot dies ingrauescente, ad extrema peruenit. Adierat eum visitationis gratia Prior iam dicti monasterij, atque cum eo per aliquantum diei spatium, ipso quoque rogante permanserat. Et ecce nocte superueniente, cum cunctis discedentibus solus lecto eius assideret, clamare terribiliter æger ille ad Priorem cœpit: Succurre, ait, succurre. Ecce duo supra omnē feritatē expauescendi leones in me impetum faciunt, hiāti ore ac rictu feroci per frusta discerpturi, me totum consumere volunt. Deprecare cito Dominū, vt ab his eripiar, antequam morsibus eorum consumar. Dicebat hic tremebat, ac velut deuoraturos fugiens, timore defecto corpori vires addente, retro cedebat. Prior vero vocis illius ac gestus terrore turbatus, non sine multo ipse timore erat. Ad preces tamen ipsa necessitate impellente conuersus, pro misero illo vt poterat Dominum exorabat. Quo orante mutata voce æger; bene, inquit, bene. Recesserunt crudeles bestiæ, per orationes tuas iam vltra nusquam apparent. Et quia vsque ad vltimum spiritum semper compos sui extitit, nec vt quidam morientium solent vel in modico sensu imminutus fuit, conuersus ad Priorem, loqui cum eo de quibuslibet veluti sanissimus cœpit. Cumque tam de his quam de aliis multa inter se verba conferrent, horæ fere vnius spatio elapso, rursum inclamare longe terribilius quam primo exorsus est. En, inquit, en ignis de cœlo vt torrens inundans descendit, super hunc lectum meum veniens, iam iamque me in fauillam vsque comburet. Festina, adiuua, ora, si forte ab hac morte eripi valeam. Et hæc dicens, manibus brachiis opertoria subleuabat, eaque velut aliquid iuuare possent, inuisibilibus ignibus turbatus opponebat. Sed nequicquam. Nō enim corporalia tegmina a spiritualibus incēdiis tegere poterant, quem cælestis vindictæ impia opera exponebant. Prior adaucto timore, denuo ad orationem conuertitur, quantum in tali casu possibile erat, Domini misericordiam deprecatur. Illo vt supra orationi instante, post paululum, patiens gratulationis vocibus preces eius interrupit dicens. Quiesce, iam ab igne tutus sum. Nam dum super me (vt dixi) cum impetu descenderet, interpositus est linteus, vsque ad quem ignis peruenit, sed eum transire non potuit. Iam ab isto periculo ereptus, oro ne a me discedas quousq. quis istorum finis futurus sit agnoscas. Tunc Prior qui tam timore quam hospitandi necessitate recedere volebat, substitit: ab oratione surgens, rursū ei assedit. Cumque eum tantis terroribus anxium consolaretur, vterque adinuicem vt prius colloqueretur, subito ægrotus ad inuisibilia raptus obmutuit. Prior eum raptum ab humanis intelligens, rei exitum præstolabatur. Cum ecce post multum noctis spatium, homo ad se rediit, miserabiliter ingemiscens, ait: Ha! Ha! ad iudicium æternum raptus sum, heu miser! æterna morte damnatus sum. Traditus sum horrendis tortorib. igne inextinguibili cum diabolo angelis eius perpetuo cruciandus. Ecce, ecce, ignita sartago plena bullienti adipe, quam coram me tormentorum ministri detulerunt, eamque ad me frigendū vndique succenderunt. Et cum Prior orationi sicut iam bis fecerat, tertio quoque incubuisset, ille ait: Cessa, cessa pro me orare, nec pro illo vltra fatigeris, pro quo nullatenus exaudieris. Priore vero dicente, Frater redi ad cor, misericordiam dū adhuc viuis a Deo require, ille adiecit. Putas, ait, me vt insanum loqui? Non insanio, sed sana mēte quæ dixi confirmo. Et cucullam Prioris manu tenens, eum interrogauit. Nonne hoc quod manu teneo cuculla tua est? Quo respondente, est, adiūxit. Sicut hæc vestis cuculla est, sicut hoc quod substratum mihi est palea est, sic hoc quod coram cerno ignita sartago est. Et dum hæc loqueretur, gutta inuisibilis ignis de illa quam dicebat sartagine exiens, in manum eius Priore vidente cecidit, mirabile dictu, cutem carnem vsque ad intima ossis consumpsit. Tūc ille acri cum gemitu: en, inquit, indubia rei probatio. Nam sicut ista quam vides de sartagine prolapsa gutta, carnis partem consumpsit, sic cōfestim totum me ignea vorago cōsumet. Priore ad ista stupente, iterum dixit, Ecce sartaginem ipsam ministri infernales propius afferunt, vt me in illam iniiciant, iam iamque manus adaptant. Et post modicum. Ecce linteum in quo iaceo vndique concurrentes accipiunt, me in ignitam sartaginem, æternum frixuram proiiciunt. Hoc velut vltimum vale, mox vt Priori, atque his qui ad hoc horrendum spectaculum conuenerant, dixit, subtracta voce ac reflexa ceruice, puniendum spiritum condemnatis spiritibus tradidit. Tantus vero terror omnes inuasit, vt illico vniuersi aufugerent, neque aliqui in domo vbi cadauer mortis remanserat, remanere auderent. Facto mane, miserum cadauer sepulturæ mandatum est. Post aliquot autem dies, cum ad vniuersos circa positos hæc tam terribilis fama peruenisset, rei veritatē probare volentes, tumulum aperuerunt, atque fossam illam quam in manu adhuc viuentis Presbyteri gutta prænuncia damnationis fecerat, in mortui cadauere inuenerunt. Quæ omnia, secundum quod beatus Gregorius dicit, nullomodo propter se infelix Presbyter vidit, cui nihil visio ipsa profecit: sed quanta cautela sacerdotale officium administrandum, quam reuerenter diuina mysteria tractanda, superna per eum dispositio demōstrauit. Quis enim ad ista non obstupescat? quis tam metuendam diuinæ animaduersionis sententiam non contremiscat? Quis iam in istis non fidem inuisibilium se concepisse, sed ipsa inuisibilia corporis sensibus ex multa parte subiecta esse non cognoscat? Facit hoc pia conditoris miseratio, qui cernens corporalium rerum obiectu, interiorem mentis humanæ oculum excæcatum, quædam de spiritualibus rebus etiam per carnem quibusdam innotescere præstat, vt ad amanda siue timenda inuisibilia, hoc saltem remedio vel admoneat vel compellat. Quid enim apertius ad fidem fidelium instruendā, quam hominem in carne viuentem, hic integra mente colloqui cum hominibus, ibi spiritualia cernere cum spiritibus? Quid sane leones tremendi, quid flammeus torrens, quid ignita sartago aliud quam de veritate rerum inuisibilium nullatenus dubitare, horrendum esse in manus Dei viuentis incidere, male securos admonebant? Neque enim credendum est, alibi quam in præsenti seculo quarumlibet ferarum genera cōmorari, aut vbi nulla metallorum materia est, ferreas sartagines fabricari. Sed quia terror supplicij futuri, non nisi per verba vsitata vel per expertarum rerum imagines, hominibus adhuc in carne viuētibus potest ostendi, placuit Deo per tales corporum similitudines ostendere: quid exutæ corporibus animæ, prauis exigentibus meritis cogantur tolerare. Quæ licet antiquioribus miraculis, patrū temporibus demonstrata sint, voluit tamen etiā nunc diuina miseratio nouis reuelationibus priora confirmare, eos qui vetera despiciunt, velut negligentię somno torpentes, recentibus impulsionibus excitare. Cuius supernæ admonitionis contemptores, tanto se maiore in Dei iudicio cumulo damnationis operiunt, quāto grauiore reatu non solum antiqua, sed ante oculos posita contemnunt. Et quia ad fidei morum ædificationem, varia a diuersis audita probata nostrorum maxime temporum miracula scribere cordi insedit, nolui aliqua negligere quæcunque auditoribus meo iudicio posse videbantur prodesse. |
CIROGRAPHUM + Notum sit cunctis sanctę ęcclesię filiis quod domnus Segwinus Eduensis et Sedelocensis ęcclesię decanus et totum capitulum Sedelocensis ęcclesię canonicorum consensu et consilio venerabilis Stephani Eduensis ęcclesię episcopi, concesserunt Cisterciensis ęcclesię monachis totum fundum qui vocatur Crispiacus in terris, in silvis, in pratis, in aquis. Hunc fundum pro redemptione animarum suarum dederunt eis extoto liberum nichil sibi inde retinentes excepto quod in silva quę vocatur Telei ad proprios usus necessaria accipient eo tenore ut monachi illi annuatim duodecim sextarios annonę medietatem scilicet frumentum ac medietatem hordeum in terra illa natum hisdem canonicis Sancti Andochii reddant et solidos tres. Et ratum fuit coram domno Stephano antistite qui huius rei auctor fuit ut hanc annonam apud Crispiacum in domo monachorum canonici illi annuatim recipiant ad mensuram quę illo tempore quo hęc conventio fuit facta apud Bealnam tenebatur. Denarios autem in festivitate sancti Simphoriani apud Crispiacum accipient. Decimam vero huius terrę tam Sancti Andochii quam Sancti Nazarii canonici voluntate antedicti episcopi monachis prescriptis dimiserunt quantum scilicet ad propriam illorum agriculturam pertinet. Nam si alii licentia monachorum terram illam non ad opus eorundem monachorum sed ad proprium coluerint ille decimam terrę accipiat cuius iuris esse cognoscitur. Hęc facta sunt tempore domni papę Calisti secundi et Hlodowici regis Francorum ac Hugonis ducis Burgundię. Et hii sunt testes : domnus Stephanus Eduensis episcopus, Segwinus decanus, Lambertus cantor, Arnulfus capellanus, Girardus de Arneto, Bertrannus de Monte Scotti, Lambertus prepositus de Sedeloco, Petrus Carbonellus, Reinaldus de Monte Sancti Johannis, Tebertus prepositus sanctimonialium Sancti Andochii, Hugo de Muresaldo. Hęc carta apud Eduam facta corroborata et confirmata est postea in capitulo Sedelocensis ęcclesię coram prescripto episcopo et omnibus illius ęcclesię canonicis. Et ne idem canonici hęc aliquando negare possent domnus Stephanus abbas Cisterciensis cenobii in eodem capitulo omnes canonicos pro huius rei signo est osculatus. Et hii sunt testes : domnus Stephanus Eduensis episcopus, Walterius de Glana, Girardus de Arneto, Bonus Homo capellanus de Monte Sancti Johannis, Hugo de Granciaco dapifer ducis, Lambertus prepositus, Reinaldus de Durnei. Et ne aliquando in posterum inter predictos monachos et canonicos aliqua controversia de prescripto fundo Crispiaco eveniat profitemur clericos monachis non dedisse mansos rusticos et redditus quos in diversis villis tenent qui hactenus ad prefatum fundum pertinuerant sed tantum ipsum fundum Crispiacum sicuti supra notatum est in terris, in silvis, in pratis, in aquis. |
In nomine sanctę et individuę Trinitatis, Bartholomeo abbati de Firmitate, omniumque ceteris ejusdem loci fratribus, Walterus ęcclesię sancti Stephani decanus et archidiachonus, et totuis ęcclesię conventus imperpetuum. Omnibus fidelibus tam presentibus quam futuris notum fieri volumus, quod nos communi consensu capituli nostri dedimus per manum Rodulfi monachi, abbati de Firmitate, et ceteris ejusdem cenobii fratribus, et successoribus eorum imperpetuum, quicquid nos habebamus apud Chilley, et Aymastey, et Clus, eo tamen tenore, ut predicta ęcclesia de Firmitate, singulis annis, in revelatione beati Stephani, ecclesię ejusdem, decem solidos Stephaniensis monetę censuales Bisonti persolvat. Testes : Guido, abbas Cariloci; Petrus, abbas de Caritate; Lucas, abbas de Aceyo; Petrus precentor; Guido thesaurarius; Humbertus subcentor; Deodatus cardinalis presbyter; magister Algrinus; Karolus decanus de Amos, et capellanus de Neblans; Humbertus de Monmoreth; Hugo de Parlisia; Petrus de Cluniaco; magister Guirricus, qui hanc cartam scripsit; frater Petrus, conversus de Firmitate, et faber. Facta autem sunt hęc anno ab Incarnatione domini, Mo Co L VIo, epacta XXVIta, in vigilia revelationis sancti Stephani, in claustro ecclesię ejus Bisontii. |
Domino fratribus Davidi, presbitero. Ego, in Dei nomen, Adalgart et filio suo Adaldrannus vendimus nos vobis vinea qui sunt sitas in pago Matisconense, in agro Laliacense, in villa Seia; terminet a mano terra Sancti Petri, a medio die similiter, a siro Ossipraas, a cercio Sancti Petri. Infra isto terminio, totum ad integrum nos vobis vendimus; accepimus de vobis precium valentem solidos III, et pro ipsa precia faciatis quiquit facere volueris, sine nullum contradicentem. Si quis contradixerit, auri libram solvet, et inantea firma sit. S. Adalgart et Aldrano, qui fierint et firmare rogaverunt. S. Adalbolt. S. Conterio. S. et item Adalbolt. S. Ansherio. S. alio Albolt. S. Gomtart. S. Adaldrico. Data per manu Joanni, presbiteri, die sabati, mense febroarii, annos XIIII tempore Loterio rege. |
Omnibus presentes litteras inspecturis, H. de Ruppeforti, archidiaconus Lingonensis, salutem in Domino. Noverint universi quod Theobaldus dictus Giersenz de Corcellis, personaliter in nostra presencia constitutus, recognovit se vendidisse . . abbatisse et conventui de Vallebaoni sex pecias prati propri—a) Theobaldi, quarum peciarum una sita est in finagio de Breceio in loco qui dicitur ad limittem, altera in eodem finagio in loco qui dicitur ad hastam groselerii, altera in eodem finagio in prato de cornecul, altera in eodem finagio in loco qui dicitur ad falquatam piri, altera in eodem finagio in loco qui dicitur ad treublees et altera ultima in eodem finagio in riparia de Suise, pro novem libris et decem solidis lingonensium, de quibus suum ad plenum recognovit dictus Th[eobaldus] recepisse pagamentum in pecunia numerata. Promittens per fidem suam corporaliter nobis prestitam dictam venditionem firmiter de cetero observaturum et contra de cetero non venturum, sed adversus omnes super dicta venditione legitimam garantiam dictis abbatisse et conventui pretaturum. Hanc autem venditionem laudaverunt et gratam habuerunt Arviseta uxor dicti Theobaldi, Humbeletus, Dominicus liberi dicti Th[eobaldi], promittentes per fidem suam se contra dictam venditionem de cetero non venturos nec in dicta venditione aliquid reclamaturos, abrenuntiantes tam dictus Th[eobaldus], uxor et liberi omni exceptioni et auxilio juris tam canonici quam civilis sibi in hoc facto competentibus. In cujus rei testimonium, sigillum nostrum presentibus est appenssum. Actum anno Domini M° CC° quingagesimo, mense januario. |
Cy gist Alix de Villars dame de Saincte Crois et de Salieres femme fut messire Hugue de Vienne sire desdits lieux qui trespassa l'an mil CCCC et. |
Datum per copiam sub sigillo curie Autissiod. anno Domini M° CCC° XXVIII°, die sabbati post Yemale festum Sancti-Martini, Guido de Turribus, cantor Lemovicensis, subexecutor seu commissarius in hac parte, una cum venerabili et discreto viro Johanni Sapientis canonico Autiss. cum illa clausula et cuilibet eorum insolidum, etiam a reverendo in Christo patre domino abbate monasterii Sancti-Germani Autiss., executore, in hac parte a sede apostolica deputato, una cum quibusdam collegis suis cum illa clausula quatinus vos, vel duo, vel unus vestrum, et tam super subsidio moderato a summo pontifice reverendo in Christo patri ac domino domino T., Dei gratia Autiss. episcopo concesso, super omnes ecclesiasticas personas civitatis et dyecesis Autiss. Omnibus et singulis curatis, presbiteris, capellanis, ceterisque ecclesiarum rectoribus in civitate et diocesi Autiss. constitutis, ad quos presens mandatum nostrum, ymo verius apostolicum pervenerit,.... et mandatis nostris, ymo verius apostolicis firmiter obedire auctoritate nostra, nobis in hac parte commissa, vobis omnibus et singulis qui super hoc a latore presencium fueritis requisiti, in virtute sancte obedientie, et sub penis suppensionis et excommunicationis quas in vos et vestrum quemlibet ferimus, nisi feceritis quod mandamus, districte percipiendo mandamus quatinus ad hoc mandatum nostrum exequendum alter vestrum alterum non expectans moneatis auctoritate qua supra viros venerabiles et discretos Autissiodorensis et Sancti-Prisci, nec non Varziaci et Puseye archipresbiteros et priorem de Andria, Autissiodorensis diocesis, ut quilibet eorum, infra quindecim dies proximos, a die monitionis a vobis, aut altero vestrum, sibi facte, quorum quinque pro primo, quinque pro secundo et reliquos quinque pro tercio et ultimo ac peremptorio termino assignamus, satisfaciat predicto domino Autissiod. episcopo, vel procuratori aut deputato suo, ejus nomine de dicto subsidio, videlicet archipresbiter Puseye de octo libris turon., item archipresbyter Sancti-Prisci de sex libris turon.; item archipresbyter Varziaci de sex libris turon.; et archypresbyter Puseye de octo libris turon.; necnon et prior de Andria de viginti una libris turon. Quas singulares pecuniarum summas quemlibet dictorum archipresbyterorum et prioris tangentis cuilibet eorumdem, attentis facultatibus cujuslibet beneficii eorum, pro dicto subsidio dicti domini Autissiodorensis episcopi imponimus, moderamus et per presentes decernimus moderatas alioquin nos ipsos defficientes in solutione et satisfactione dicte pecunie racione impositionis et moderacionis nostrarum predictarum de dicto subsidio sic a nobis, ut predicitur, factarum, dictis quindecim diebus elapsis, in hiis scriptis excommunicamus, excommunicatos auctoritate nostra nunciorum mandatum nostrum taliter exequentes que a nobis non possint in aliquo redargui, vel puniri, sed pocius amendari. In signum autem dicti mandati nostri per vos diligenter executi presentes litteras sigillis ecclesiarum nostrarum portitori eorumdem reddite sigillatas. Datum et sigillo nostro sigillatum anno Domini M° CCC° XX° octavo, die lune post festum Omnium-Sanctorum. Signé: Humbertus; facta est collacio ad consimiles sigillatas. |
Universis presentes litteras inspecturis. G., decanus, totumque capitulum Senon. ac Albericus Cornuti, thesaurarius Senon., salutem in omnium Salvatore. Notum facimus quod cum inter nos decanum et capitulum predictos, ex una parte, et nos thesaurarium predictum ac etiam plures predecessores nostros thesaurarios Senon., a longis temporibus retroactis, contentio, controversia seu discordia mota fuisset super eo quod nos decanus et capitulum predicti petebamus partitionem fieri seu divisionem de pueris seu liberis procreatis ab hominibus nostris et hominibus dicti thesaurarii matrimonialiter copulatis. Nos, vero, thesaurarius, ex ad verso dicebamus, et plures predecessores nostri dixerant, quod quandocumque homines Thesaurarie Senon. quibuscumque aliis hominibus sive essent homines ecclesiarum, sive comitum, baronum aut militum, vel etiam, cujuscumque alterius matrimonialiter copulabantur, et ex hujusmodi matrimoniis liberi procreabantur, nullus partitionem habebat nobiscum. Immo omnes et singuli liberi sive a viris, sive a mulieribus, hominibus Thesaurarie Senon. cum quibuscumque matrimonialiter junctis procreati, proprii homines thesaurarie Senon. totaliter remanebant et remanere debebant. Nec debebat, aut poterat, quicumque alius dominus in taliter procreatis partem aliquam reclamare; nobis decano et capitulo replicantibus et dicentibus quod licet revera alie ecclesie seu persone extranee in casibus prenotatis partitionem liberorum cum thesaurario non haberent, nos, tamen, eam habere debebamus, quia Thesauraria Senon. est membrum nostre ecclesie; membrumque corpus suum non debet ledere sed juvare; et liquidissime apparet quod si homines nostri matrimonio copularentur suis, et de liberis exinde procreatis inter nos et ipsum thesaurarium non esset facta particio, nos et ecclesia nostra in hoc enormiter lederemur. Tandem, deliberato utrinque consilio, pensatis et consideratis omnibusque tam nos decanum et capitulum, quam nos thesaurarium predictum super predictis movere poterant et debebant, ad pacem et concordiam devenimus in hunc modum: in primis ordinatum est quod, de cetero, homines Capituli cum hominibus thesaurarii seu Thesaurarie Senon. libere matrimonialiter copulabuntur, seu poterunt quandocumque voluerint matrimonialiter copulari, et e converso. Item ordinatum est quod fiat particio de liberis ex hominibus nostris scilicet Capituli et hominibus nostris, scilicet thesaurarii, in matrimonio procuratis: ita, tamen, quod stipiter capita, seu les souches qui nunc sunt, sive viri, sive mulieres, Thesaurarie et nobis, thesaurario, tanquam nostri homines proprii totaliter remanebunt. Item de cetero, de decennio in decennium liberi seu pueri ab hominibus capituli et hominibus thesaurarii in matrimonio procreati, inter capitulum nomine ecclesie Senon., et thesaurarium nomine predicte Thesaurarie in modum qui sequitur partientur: videlicet, quod de qualibet familia seu progenie sic procreati Capitulum capiet unum primo et eliget quem voluerit. Et postmodum, thesaurarius eliget et capiet alium, et sic deinceps quamdiu erit paritas puerorum in familia illa. Et quotienscumque fiet particio sive nunc sive alias in qualibet familia seu progenie, si quis vel que impar fuerit, thesaurario totaliter remanebit. Et ad thesaurarium, nomine dicte Thesaurarie, tanquam homo suus vel sua totaliter pertinebit. Quam quidem ordinationem, tam nos decanus et capitulum quam nos prefatus thesaurarius, ratam et gratam habentes, eam volumus, et quantum in nobis est laudamus ac etiam approbamus, et pro nittimus stipulatione sollempni eam imperpetuum firmiter et inviolabiter observari. Pro quibus premissis firmiter observandis, nos decanus et capitulum predicti, nos et successores nostros et ecclesiam Senon., bonaque nostra et dicte ecclesie dicto thesaurario specialiter obligamus; nosque thesaurarius predictus, similiter nos et successores nostros thesaurarios Senon., bonaque nostra et successorum nostrorum, ac etiam thesaurarium Senon. dicto capitulo propter hoc specialiter obligamus. Renunciamusque, tam nos decanus et capitulum quam nos thesaurarius, omni auxilio juris et consuetudinis, omni exceptioni deceptionis, circumventionis, omnique deffensioni, per que seu per quas posset dicte pacis ordinatio retractari, seu in aliquo impediri. In cujus rei testimonium et munimen nos, decanus et capitulum, ad petitionem dicti thesaurarii, nosque thesaurarius ad requisitionem capituli, sigilla nostra presentibus litteris duximus apponenda. Actum, anno Domini millesimo ducentesimo octogesimo-tertio, die veneris post octabas Penthecostes. |
In nomine sanctæ et individuæ Trinitatis. Universis sanctæ ecclesiæ fidelibus notum sit quod Pontius, filius Theodorici de Montepodio pro sua suorumque salute, Hierosolymam pergens, donavit Deo et Sanctæ Mariæ de Colongiis, monachisque ibidem Deo servientibus quidquid clamabat in cimiterio ejusdem ecclesiæ, duas etiam nundinas quæ vulgo feriæ dicuntur, unam in octavis Paschæ in vigilia et in die, alteram in exaltatione sanctæ Crucis, in vigilia et in die. Donavit insuper idem Pontius prædictis monachis logias feriarum et justitiam earum in omnibus locis supradictæ villæ, et quidquid ad ferias pertinet, sine ulla retentione, exceptis domibus suis. Dedit quoque præfatis monachis furnum supradictæ villæ, et omnes usuarias ejus tam in bosco quam in hominibus. Pro hac donatione pepigerunt ei monachi quod anniversarium illius patris etiam et matris ejus singulis annis honorifice facerent. Ut autem hoc donum stabile et inconcussum existeret, prædictus Pontius et fratres ejus, videlicet Guido, Hugo et Gaufridus coram multis in capitulo de Charitate jurejurando confirmaverunt. Vuillelmus vero qui pro infirmitate corporis absens erat, postea apud Colongias multis videntibus super sacrosanctum altare Dei genitricis, eodem pacto quo fratres ejus hoc donum confirmaverant, jurejurando confirmavit. Postmodum præfatus Pontius et tres fratres ejus, scilicet Guido, Hugo et Gaufridus, de Charitate revertentes, hoc idem in præsentia domni Gaufridi, Nivernensis episcopi et Vuillermi Nivernensium comitis confirmaverunt. Si autem huic donationi aliquis resistere vel eam calumniare in futuro voluerit Pontius et fratres ejus se, pro viribus suis, monachorum fore defensores jurejurando confirmaverunt. Hoc donum laudaverunt et concesserunt uxor supradicti Pontii, et fratres ejus Guido videlicet, Vuillelmus, Hugo, Gaufridus. Hujus rei testes sunt Drogo, præcentor Nivernensis ecclesiæ, Eudo sacrista, Hugo de Buxeria et Guido frater ejus, Vuillelmus de Pero, Vuillelmus de Marriaco, Vuillelmus Garaldus, Gaufridus de Rumiliaco, Vulgrinus, Petrus, Emericus. Actum publice anno ab Incarnatione Domini millesimo centesimo quadragesimo octavo, tempore Ludovici Regis Francorum et Vuillelmi Nivernensium comitis, et Gaufridi Nivernensis episcopi. Drogo præcentor et cancellarius Nivernensis ecclesiæ jussit fieri. |
Gilo, Dei gracia Senon. archiepiscopus, omnibus presentes litteras inspecturis in Domino salutem. Notum facimus quod nos, ex testamento felicis memorie Galteri, quondam archiepiscopi Senon., predecessoris et fratris nostri, instituimus decem vicarios in ecclesia Senon. ibidem perpetuo servituros. Quibus, pro foresta Rabiose ab eodem Galtero acquisite, tenemur annuatim ministrare triginta libras paris. de bursa archiepiscopali, quousque de denariis ex venditione nemoris super terram prefate foreste redigendis emerimus redditus valentes triginta libras paris., annuatim, dictis vicariis assignandos. Capitulum, vero, Senon., pro quarta parte ejusdem foreste, eidem capitulo ex eodem testamento collate, tenetur eisdem vicariis alias triginta libras paris. annuatim de bursa sua propria ministrare, quousque de denariis ex venditione nemoris super terram predicte quarte partis foreste redigendis redditus emerint valentes similiter triginta libras paris., annuatim, ad predicta facienda, et eisdem assignaverint, prout in aliis litteris sigillo nostro sigillatis continetur. Preterea, voluit et concessit idem capitulum ut ad nos et venerabilem virum Guillelmum de Grandi-Puteo, nepotem nostrum, quamdiu nos vixerimus, vel ad superstitem uno duorum nostrum defuncto, nobis vero, duobus defunctis, ad ipsum capitulum pertineat prefatos vicarios instituere, seu eciam amovere. Ita tamen quod quolibet anno, in generali capitulo, quod erit proximo post festum Inventionis beati Prothomartiris Stephani, vicarii qui institui fuerint offerent se paratos vicarias suas resignare, et poterunt conferri aliis, si ei ad quem vicariorum institutio pertinebit videbitur expedire; nec poterit aliqua de dictis vicariis conferri alicui qui aliud beneficium obtineat, sive in ecclesia Senon., sive alibi, ubicumque. Imo, qui ante habens vicariam aliud beneficium receperit, eo ipso vicaria sit privatus. Hoc, tamen, salvo quod canonici Sancti-Cirici nullum aliud beneficium obtinentes poterunt cum prebenda Sancti-Cyrici dictas vicarias retinere. Si, tamen, collatori vicariarum expediens videatur, distribuentur autem cuilibet dictorum decem vicariorum, singulis diebus, quatuor denarii paris., hoc modo: scilicet, ei qui intererit matutinis et laudibus, unus denarius, preter id quod in matutinis alias clericis distribui consuevi; ei, vero, qui hore prime et commendationi mortuorum die qua fiet anniversarium cujuscunque, unus denarius; ei vero qui magne misse et hore tercie vel sexte intererit, unus denarius; ei autem qui vesperis et hore none vel completorii intererit, unus denarius; et vicaria privabitur ex toto qui alibi residebit. Actum, anno Domini millesimo ducentesimo quadragesimo-quinto, mense marcio. |
In nomine Verbi incarnati. Ego, in Dei nomine, nos vuadiatores Adalbertus presbiter, Ermenardus et Raimburgis, donamus de hereditate Dodonis, per commendationem ejus, quæ sita est in comitatu Matisconensi, in villa Dumbinas, hoc est unam vineam; terminat a mane terra Sancti Marcelli, a medio die terra Genzio, a sero terra Altaziæ, a certio muro manufacto. Et in villa Vetiscanio donamus similiter de rebus jam dictis ipsius homini, videlicet unam vineam quam vocant Belosiam, scilicet totam partem ejus quam possidebat Dodo; terminat a mane terra Dominico, a medio die de ipsa hereditate, a sero terra Sancti Petri, a certio via publica. Et in alio loco quem vocant In Navas, donamus iterum de ejus hereditate: hoc est unam tiliam de campo; terminat a mane de ipsa hæreditate, a medio die et a sero et a certio terra Sancti Petri. Infra istas terminationes, totum ad integrum donamus Deo et sanctis ejus Petro et Paulo, et ad locum Cluniaco, cui domnus Odilo abbas videtur preesse, pro anima Dodonis, cui nos fidem fecimus; et fatiant rectores loci illius quicquid facere voluerint in omnibus. Si quis autem contra hanc donationem aliquam calumniam inferre voluerit, vindicare non valeat quod repetit, sed, coactus, tantum et aliud tantum componat. Actum Cluniaco publice. S. Rothardi et Adalberti presbiteri, et Ermenald, et Raimburgis, uxoris ejus, qui fieri et firmare rogaverunt, qui etiam fidem fecerunt. S. Johannis. S. Dodo. S. Constantii. S. Aynaldi. S. item Constantii. S. Stephani. S. Petri. S. Rothardi. Data mense decembris, regnante Hugone rege anno VII. Pontius, levita indignus, scripsit. |
Beatissimo denique confessori Iohanni sistitur, probatissi-
mis ipsius ferrorum catenulis artatur, in quibus se ne-
fandissimus hostis ardere cum magno cruciatu profitetur.
Et cum per horarum signa, laudes Christi preconia fierent,
haec amplius mira et stupenda ore et corpore
confingebat. Interea cum quarto aduentus sui illus-
traretur sole, omnisque fraternitas cum non modico
turbarum comitatu, sacratissimum ageret sollempne,
pro more christiano in ramorum et palmarum officiis, osan-
nam omnibus preconantibus, haec ineffabilibus agitabatur
malis. Tandem ergo dum uespertina a fratribus persolueren-
tur suffragia, ipsaque ad sancto MICAHELIS archangeli
fuisset oraculum illata, demon coepit clamare
ab eodem archangelo se concatenari, et ualentius
ignibus cremari. Sputa quoque mixta pariter cum san-
guine ab ea efferuntur, ut ipsam introrsus grauissi-
me discerpi crederes, et pene mortuam agnosceres.
Ex quo gratia domini leuius habere uisa est, donec mi-
rabili prefata confessoris Iohannis munere, integrae
|
Noble homme Guillaume Monnot escuyer capitaine et chastellain de Viteaux et Huguette Bassot sa femme le 12 fevrier 1434 fonda par devant Laurent Lebault notaire la presente chapelle sainte Anne et sainte Catherine par lui bastie peu auparavant une messe alternativement par deux prestres toutes les sepmaines et les dits prestres chappelains seront par luy et ses successeurs nommez priez Dieu pour eulx. |
In nomine sancte et individue trinitatis, amen. Philippus, Dei gratia Francorum rex. Noverint universi presentes pariter et futuri quod Ansellus de Corteri in presentia nostra constitutus dilectis nostris fratribus Prulliaci de assensu Ermingardis, uxoris sue, omnino quittavit gruariam, usuarium et avenam et quicquid juris habebat in bosco et in tenemento de Eschos, excepta venatione, que vulgo chacia dicitur. Verumtamen a quocumque pertinente ad predictos fratres sive homine, sive cane, sive alio, facta fuerit abatura in chacia illa, abatuus illa erit dictorum fratrum Prulliacensium et canes ipsorum poterunt ire ligati vel soluti, sicut voluerint, sine accusatione; neque dictus Ansellus, neque aliquis ex parte ejus super hoc poterit dictos fratres accusare vel vexare, vel aliquid ab eis exigere. Willelmus autem Columbellus de Castellario tenet a predicto Ansello alteram partem gruarie hujus tenementi, quam dictus Ansellus et uxor sua Ermingardis predictis fratribus laudaverint quocumque tempore eam possent acquirere. Dictus vero Ansellus nobis dixit ex parte Milonis, fratris sui, qui homo ligius est de feodo isto, quod idem Milo ei injunxerat ut coram nobis confiteretur ipsum Milonem hoc concessisse et laudasse. Idem etiam Ansellus in manu nostra hoc fiduciavit bona fide tenendum et nos requisivit ut hoc ipsum confirmaremus. Nos igitur ad petitionem predicti Anselli, ut ista perpetuum robur obtineant, sigilli nostri auctoritate et regii nominis caractere inferius annotato presentem paginam roboramus. Actum Parisius anno ab incarnatione Domini millesimo ducentesimo secundo, regni nostri anno vicesimo quarto, astantibus in palatio nostro quorum nomina supposita sunt et signa; dapifero nullo; signum Guidonis buticularii, signum Mathei camerarii, signum Droconis constabularii. Data vacante cancellaria, per manum fratris Guarini. |
[...]
« Se prenz od tei les treis enfanz
Ne te serrad li fais pesanz. »
Trestot l'engin li ad mostréd
E par parole devisét,
E al partyr si li recorde
Com fermer deit chascune corde.
Quant l'albe pert et cil s'esveille,
Vient al enging, sil appareille ;
Comencier vait a grant esspleit
Ceo que comandét li esteit :
Les cordes freme et les fuz dole,
Puis prent treis clergonez d'escole,
As granz columbes les ajoste
Dont la pesors point ne lor coste.
Il sachent sus la pesantume :
Ne lor costat que une plume.
Les pilers mettent en estant
Ki sunt de marbre ahoege et grant.
Com qu'il seient et lonc et gros,
Ne lor en dolent nerf net os ;
Li quatre font, sanz eols grever,
[...]
Nuls oem nel out ne s'i esmove
Et le miracle a veir n'esproeve.
Chascuns ki'n oït noveler
Vint la merveille sormirer,
Tuit cil d'oltre lo Braz Saint Jorie
[...] uirent la la victorie,
A la pulcele ki ceo fist,
E a son fiz Deu Jhesu Christ
En dirent glorie, grace, onors
Qu'il toz tens aient sanz decors,
Et nos en facent parçoniers
La u li biens est plus pleniers. Amen.
Il ad dedenz Jerusalem
Ki siet dejuste Belleem,
En la citéd u Deus por nos
Sufrit martiries et dolors,
De Nostre Dame une abbeïe
Ki al son nom fud establie ;
L'eglise claiment la latine
Li Surïan et li Ermine ;
[...]
De plusurs omes de parage.
De vielz, de jofnes en i ad,
Selonc que Deus les aspirat.
Granz est la congregations
Qui la meintient devocions.
Li leus de la gent monïal
N'est guaires loing del Ospital :
Endreit la rue est del Sepulchre
U Surïan vendent lu czucre,
Peivre, girofle et gidoal,
Comin, kanele et galingal
E tumiame et licorice
Et scamonie, estrange esspice,
Gengibre, encens, basme et triacle
Fait de un serpen par grant miracle,
Paletre, mirre et aromat,
Et aloein, musgheliat,
Azzor grezzeis et orpiment,
Vert, vermeillon, entoskement,
Esmaragdes, jagonces, jasspes,
Katablatis, boffuz, dïaspes,
Palies ? [...]
P [...] et gonfanom ?.
Molt est diverse la divice
Qu'oem vent en la rue voltice.
L'abeïe est d'antiquitét
U maignent li bonoürét
ANostre Dame obeïssant
En fait, en dit et en semblant.
Sainz est li ordres del mostier
U sont li Deu gomfanonier ;
Genz est del poeple li aporz
Et por les vis et por les morz,
La chose granz, ki la devise,
Ki en almosne i est asise.
Ore avint si qu'a un termine
Orent li moine grant famine,
E lur faillit frumenz et vins,
Oelies et fruiz, peisons marins.
Il nen orent dunt achater
Ne le digner ne le soper.
Dous jorz tuz pleins s'en consirerent,
Qu'onques des boches n'en gosterent ;
A la vïande [...]
[...]
Les soens eshalcet et reclaime.
Deus ki en li prist carnelment
Humanitéd por salver gent,
Quant el'en fist conception
Pulcele, en digne oblation,
S'amor nos laist si deservir
Que ne nos poisse fous bruïr,
Ne faims del secle desorter,
Ne seiz confundre n'acorer,
Qu'od li poissoms, com geol devis,
La glorie user en cel païs
U ja n'avrat, si com geo crei,
Mal ne dolor ne faim ne sei.
Un evesque out en Cappadoce,
Digne prelat de evesqual croce,
Selong l'esscrit par nom Basile,
Ki molt ot ceste vie vile.
Molt amat Deu et or le trove,
Car tot li fait quancqu'il li rove.
De sa deserte ad son loier
En pareïs sanz termeier,
Por toz tens maindre en veritét
E en parfaite caritéd.
Dit est es Deu commandemenz
E fait en est devisemenz.
Un jor errot li cristïens
A icel tens que Julïens,
Li empereres, li tiranz,
Li adversaries soduianz,
Qui Deu guerpist por aveir Rome,
Com l'escripture le renome,
Alat destruire cels de Perse,
Icele pute gent adverse.
Jusqu'as parties de Cesarie
Chevalchat l'ost al adversarie.
Li buenz evesques l'encontrat,
Sil reconut et saluat,
Lui et sa compaignie tote
Qui od lui erent en la rote.
Li reis conut l'evesque aseiz,
Respont contraries et afez :
« Basilie, jeo t'ai sormontét
De bien, d'enors et de bontét.
- Mon voel m'oüses tu vencuz,
Si que cerz fuses de saluz. »
E pur chertét et pur amor
Treis pains presente al boiseor.
D'orge esteient li pain tuit trai
Qu'offert li ad par bone fei,
N'aveit nuls altres simeneals
N'autre de u [...] guasteal.
Li empereres ere fiers ;
Si apelat ses despensiers :
« Pernez, ceo dist, cest pain orgin.
Fols m'aportat lo bléd asnin.
Czo est vïande jumentels ;
En vivre nos ad fait oëls ;
Mais neporquant pernez lo pain,
Si li donez encontre fain.
Ore li rendez fein por l'anone ;
Ne queil en grét ceo qu'il me done. »
Cil prent lo fain entre ses mains
En leu de guerredon des pains,
E dit : « Reis riches, tu mesfais ;
[...]
Quant tu norris tes bestes mues
Si'n fais a Deu descomvenues.
A tun grét sai que m'esscarnis.
Ceo m'as donét que ne fesis. »
Entent Julïens lo regret :
Por poi li queors ne li remet.
Li sancs li montet sus el vis ;
Respont : « Vassal, mar le desis !
Se pois de Perse revenir,
Geo t'en quit faire repentir.
En leu de pain serras poüz
De fein qui ert en prét creüz ;
N'avras nule altre guarison,
Mais de cel povre livreison
Geo te ferai, saches por veir,
El siecle vivre et non valeir.
Ta citét ert tote destruite
Et a grant doel ta gent deduite.
Ne plaindrat mere porteüre
Ne peres nuls s'engendreüre ;
Mere ne plorrat ses enfanz [...] »
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Domino fratribus Leobbar. Ego Durannus et ussor sua Obdela donamus tibi maso uno in pago Matisconense, in agro Igiaco, in villa Igiaco, In Cantra vocat; terminat a mane via pullica, a medio die rio percurrente, a sero et a cercio Sancti Petri. Infra isto terminio, tibi donamus et at unum erem legalem qui de te exierit, et quantum at ipsum curtilum aspicit, quesitum at inquirendum tibi dono, ea tenore quandiut vivatis et unus eres legales teneatis, et po[st] vestrum decessum, Sancti Petri Cluniensi perveniat. Si quis contradixerit, auri uncia yna componat. S. Durannus et ussor sua Obdela, qui fierint et firmare rog[aver]int. S. Deobdadus. S. Enporius. S. Lanterius. S. Ugoni. S. Raynard. Data per manu Joanni, mense marcio, annos IIos rennante Ugoni rege. |
Dilecta uxsore mea, nomen Aigenia, femina. Ego Otbertus dono tibi proter amore et bonavolencia de res meas in pago Matisconense, in agro Rufiacense, in ipsa villa, curtilo et vinea superposito; qui terminat a mane terra Sancti Germani, de duas partes terra Eldino, a cercio terra Eldino et Duran. Infra istas terminaciones, la una medietate ad integrum, et alias res que ad isto curtilo aspicit, campis, vineis, vircariis, silvis, pascuis, aquis, omnia ex omnia, adinquistum, la una medietate ad integrum usque ad inquirendum. Si quis vero, qui contradicere aut calumpniare voluerit, auri uncia II componat, firma permanead, cum stipulacione subnixa. Actum Rufiago villa. S. Otbert, qui donacione et firmare rogavit. S. Itgier. S. Beralt, Otbert, Ritbert, Duran, Godalt, Aignus. S. Arenbert, Aalbert, Arember, Alduin, Axinus. Ego Johannes rogatus scripsit, datavit die dominico, mense octobris, anno VIIII reg[n]ante Lotterio rege. |
I. Ego Giles archipresbiter notifico tam presentibus quam futuris quod Gauterius de Corbertaut dedit Deo et ecclesie sancte Marie Cistercii in perpetuum donum quod fecerat pater ejus et mater de clerico filio suo Petro et de terris et pratis apud Moisiacum. Quod donum calumpniabatur ipse Galterius, sed tandem totum concessit sub censu .V. solidorum in nundinis Belne post festum sancti Remigii et juravit in manu archipresbiteri de Belna Giles garantiam portare in omni loco fratribus Cistercii et ipsi fratres dederunt ei .XL. solidos et hoc laudaverunt fratres ejus Petrus et Siguinus et Damno uxor ipsius Galterii et filius ejus Rainaldus, cui dedit Arnaldus cellerarius .VI. denarios, quos in presenti habebat. Testes: Albertus et Arnaldus cellerarii, Girardus conversus, Giles archipresbiter Belne, Arnulfus de Rueleia, Arnulfus de Varenes, Landricus et Stephanus prepositi, Walterius et Petrus fratres, Hugo Belne, Bernardus de Ville, Rainardus et Milo fratres, Bonus Amicus Liventers, Petrus coca, Henricus presbiter Alosie. Acta sunt hec apud Belnam subter ulmum. |
......... Pierre Lamiche, clerc, garde dou scel de madame la contesse de Flandres, d’Artois et de Bourgoigne, en la prévosté de Molins les Engilbert, salut. Sachent tous que en la présence de Odile Quotignon, clerc, etc., et des tesmoins cy dessous, a esté admenez en jugement Guillaumes le Gros du Rié, prisonnier en la terre et justice de Bunais, pour cause de ce qu’il a esté fatteurs corpables, consentans et aidens de la bature faite en la personne de Jehan le Moez, autrement dit le marchant de Monz en Genebrey, tellement que la mort en est ensuyvie; et à icelluy Guillaume a esté lehue en jugement la confession qu’il ha sur ce faite, parmi la quelle il est trovez consentens, facteurs et aidens du dit omicide, et la quelle confession il n’a en rens contredicte, mais la approvée, cogneue et confessée en jugement en la présence des diz tesmoins et de plusieurs autres saiges existens en court, par devant honorable homme et saige Pierre de Molins, garde de la justice du dit lieu de Bunais pour religieuse personne et honeste frère Jehan de Taloye, segretain de Comagny, maistre et gouverneur de la maison, terre et justice de Bunais. La quelle confession ainsi vehue, lehue et cogneue, le dit prisonnier en son absence a esté juigez et condempnez à estre justicez à mort: c’est assavoir de treyner et de pandre, au quels jugement et condempnation le dit juige et garde de la dite justice de Bunais ha mis et interposé son décret et assentement, et incontinent li dit juigement ainsi fait, maistre Denys, borrel de Nevers, ha icelluy prisonnier pris, et li ha liées les mains par devant comme meurtrier, et ung chevestre mis au col, et incontinent la mené aux forches, et, en la présence du dit juré et des diz tesmoins et de plusieurs autres, le diz prisonnier a esté treynez à la quehue d’un cheval, menez aux forches et panduz comme meurtrier, jusques à ce que complissement de justice en ha esté fait. Du quel accomplissement de justice a esté demandé et requis au diz juré instrument et lettres valens témoignage par le dit juge et garde de justice, li quels juré li ha octroyée pour valoir et proffiter en son leu, etc. Donné le VIe jour du mois d’aoust, l’an MCCC LXVII, en présence des tesmoins à ce appelés, Pierre Lamiche l’ainné, Pierre Lamiche le jeune, Herart de Ville-Morier, Huguenin, Rocheri, Guillaume Lamiche, Mathé du Prestrain, Perronet Rulle, Hugues Lamoignon, Jehan Bertelon, Perrin de Roiches, Johannon de Bresces, Guillaume de la Broce, Jehan du Chasteaul, Bureaul, Chevrot, Guillaume de Villestot, Loys de Marry, escuyer, Jehan du Plassoiz, chastellain de Molins, Huguenin Perrot, Olivier de Chaumettes, etc. P. COTIGNON. |
Alexander episcopus servus servorum Dei, congregationi de monasterio Sancti Rigaldi de Aveiza in perpetuum. Religiosis desideriis ea pietate et benevolentia consulendum atque concedendum est, ut propositum pie devotionis de fructu sue proventionis gaudeat et meritum benignitatis acquirat, quod huic sine difficultate presidia prestat. Igitur venerabilis frater Eustorgius, monasterii Sancti Austrumenii de Alvernio monachus, in silva quadam que dicitur Adveisa, in episcopatu Matisconensi heremum inhabitaverat et desertum loci adusque monasterii et aliquantule congregationis fructum adjutorio divine miserationis et pia roboratione fidelium animarum excoluerat, apostolicam nostram presentiam adiens, intervenientibus fratris nostri Aganonis Augustodunensis episcopi precibus, supliciter postulavit ut idem monasterium in apostolica jura reciperemus et privilegio apostolice tuitionis muniremus, quatenus ille venerabilis locus singulari patrocinio et deffensione Matris omnium ecclesiarum suffultus et roboratus, et felicior in omni bono crescat et securior inter humana temptamenta consistat, cujus precibus sine contemptu pietatis et justicie effectum non potuimus denegare. Notum ergo sit omnibus fidelibus in perpetuum quoniam eidem fratri et carissimo filio nostro Eustorgio, suisque fratribus, cunctisque eorum successoribus, privilegium nostre apostolice tuitionis concessimus, statuentes et expresse decernentes ut ipsum monasterium Sancti Rigaldi de Aveisa et omnia quecumque jure habet aut divina providentia in futurum sibi habenda concesserit ita sub jure et apostolice majestatis protectione consistant, ut nullus imperator, rex, dux, marchio, episcopus, comes seu abbas, vel aliqua persona secularis aut ecclesiastica, magna vel parva, aut invadere, aut molestare, vel in aliquo inquietare, et a statu suo aliquid conditionaliter inde exigendo turbare presumat. His etiam addimus ut nullus in eodem monasterio, nisi per electionem fratrum juxta regulam Sancti Benedicti, abbas constituatur, et episcopus Matisconensis in cujus parrochia est, si gratis hoc est sine pretio licet velit facere, electum a fratribus debeat consecrare et suum regimen sibi commendare. Sin vero pretium exigat pro consecratione, aut aliquo modo canonicam electionem fratrum temptet impedire, ad Apostolicam Sedem pro ordinando et consecrando abbate suo veniant. Si quis vero citra hujus nostre constitutionis et confirmationis paginam nefario ausu agere et venire temptaverit, nisi resipiscat, auctoritate apostolorum Petri et Pauli ac nostra excommunicandum et ab omni consortio fidelium repellendum se esse pertimescat. Qui autem pie venerationis intuitu observaverit, et hic apostolice benedictionis gratiam et consolationem habeat, et eterne remunerationis premium Domino donante capiat. Datum Laterani XVI kal. aprilis, per manus Petri sancte ecclesie Romane presbiteri cardinalis, anno X pontificatus domini Alexandri II pape, Dominice vero incarnationis millº LXX Iº indictione VIII. |
Hic jacet frater Guido Dalmacii quondam prior et hostellarius Trenorchiensis anima ejus requiescat in pace amen anno Domini M CCC XLVII die XII mensis aprilis. |
Reverentissimo domino suo et patri Hugoni abbati, frater B. prior Sancti Licerii, obedientiam cum omni subjectione. Mandavit mihi Sanctitas Vestra quatinus mulam convenientem ad sellam vestram vobis mitteremus. Quia vero in partibus nostris idoneam vobis invenire non potui, triginta aureos optimos per priorem Alariaci vobis transmisi. De cetero noverit Vestra Prudentia episcopum Bigorritanum domui vestre Sancti Licerii per omnia infestum esse, et malas consuetudines ac censualia convivia, que plurimi receptus vocant, tam in ecclesiis quam in obedientiis nostris injuste velle imponere. Quapropter Discretio Vestra provideat aliquod preceptum in litteris vestris aut ex precepto apostolici aut rogatu predicti episcopi, super his mihi faciatis, quoadusque controversiam que inter nos et episcopum illum existit, a presentia nostra vel ab aliquo fratre nostro plenius agnoscatis. Orationibus vestris me commendo, paratus ad servicium vestrum posse nostro. |
Ego Stephanus Dei gratia eduorum episcopus. Notum sit tam presentibus quam futuris, quod Agnes domina de Lucenaco et filii ejus Raimundus, Hugo, Orricus, pro animabus suis et pro anima patris sui Galonis et predecessorum suorum donaverunt et conscesserunt domui Cistercii in elemosina, quicquid habebant in villa que vocatur Vilers et in territorio ejusdem ville, videlicet in hominibus, in pascuis, in pratis, in nemoribus, in aquis nichil omnino excipientes. Unde fratres cistercienses singulis annis a festo Purificationis beate Marie usque ad Cathedram sancti Petri, predicte Agneti vel heredibus ejus ad Lucenacum .VI. solidos divionensium monete persolvent. Hunc vero censum sepedicta Agnes vel ejus heredes nulli poterunt donare, vende>n |
In nomine sancte et individue Trinitatis, ego Hugo, miseratione divina Senonensis archiepiscopus, universis fidelibus, tam presentibus quam futuris, in perpetuum. Quanto in omni religione ecclesiastica et in universa celestis conventus gloriosa republica, virginale decus propensioris est meriti et glorie, tanto majori est a nobis prosequenda et attollenda favore: unde presentes virgines a conventu Juliacensi, ex precepto domni Guilenci, venerabilis Molismensis ecclesie abbatis, precibus et obtentu domine Petronille, Barrensis comitisse, in archiepiscopatu nostro, ad locum qui vulgari consuetudine Frigidus-Mantellus appellatur advenisse, et easdem nos suscepisse gaudemus, sperantes earum precibus et temporali nos prosperitate gaudere, et celestis vite sempiterna gaudia possidere. Nos autem, et vivorum et defunctorum utilitatibus providentes, premissum locum ab omni laice et secularis potestatis jugo penitus absolutum, divine servituti liberum reddimus et mancipamus, salvo videlicet archiepiscopali jure, salvo nichilominus perpetuo Molismensi ecclesie dominio; cimiterium in eodem loco benedicentes, et altare in honorem Domini et gloriose Genitricis consecrantes, quatinus prefixus locus sit domus orationis, sit vivorum refugium, sit sepultura defunctorum. dispensationis igitur nostre gracia, liceat omnibus qui non propter propriam culpam excommunicati fuerint, in predicto loco omne misericordie christianitatis consequi suffragium, ex consensu tamen, et permissione propriorum sacerdotum, defunctis videlicet sepulturam, mulieribus reconciliationem, reis et fugitivis impunitatem. Decrevimus etiam, et sub anathemate statuimus, ut prefatus locus nullatenus antiquo deinceps vocabulo nominetur; sed, ad declarandam circa eundem locum mutationem, dextere excelsi Libera-Vallis appelletur. Notandum sane quod, in adventu predictarum virginum tota patria exultante et sollempni occursu ad tam celebrem processionem confluente, comes Henricus, Guillelmus Nivernensis et Guillelmus, filius ejus, Tornodori comites, et cum eis quamplures barones occurrerunt, scilicet dominus Milo de Erviaco, Ansericus de Monteregali, Milo de Noeriis, et domina Petronilla, Barrensis comitissa, fundatrix premissi loci, que et ipsa easdem sanctimoniales ibi adduxit cum liberis suis Manasse, Teobaudo, Hemensanni, quorum omnium assensu et voluntate presens negotium terminatum est et approbatum. Concesserunt vero prelibati comites ut quicumque, de casamentis suis, pretaxatis monialibus, aliquid vel dare vel vendere voluerit, libere et sine calumpnia possideant. Comes quoque Henricus quinquaginta solidos annuatim eis largitus est. Predicta autem comitissa, premissorum liberorum suorum voluntate et assensu, concessit eis usuarium in nemoribus suis ad omnia necessaria, sicut ejusdem homines habent, et de casamento suo quicquid omnimodis acquirerent libere possidendum. Similiter, Raherius, vicecomes de Sancto-Florentino, concessit eis quicquid de suo casamento habere potuerunt libertate perpetua possidendum. Hoc idem et omnes nobiles, qui ibi convenerant, fecerunt. Nec pretereundum quod dominus Guiardus de Nuevi concessit eisdem, per manum nostram, partem suam decime de omni agricultura que omnino augeri, vel multiplicari poterit in grangia que appellatur Aigremont; et minutam decimam de parrochia de Nuevi, et decimam de Altrevile, et quatuor falcatas prati. Porro Juliacenses concesserunt prefixis sororibus suis, in separatione mutua, septem annuos solidos quos habebant pro Adelina, matre Herberti de Poisuels. Actum est hoc apud Liberam-Vallem, anno Verbi incarnati Mº Cº Lº IXº, die octava apostolorum Petri et Pauli, ciclo solari septimo-decimo; indictione VII, concurrente III, epacta nulla. Affuerunt nobiscum, cum predictis proceribus et vulgo communi, quamplures persone ecclesie nostre: Guillelmus, Senonensis ecclesie prepositus; Odo, decanus; Matheus, precentor; Theo, cellerarius; Guido, Milidunensis archidiaconus; Hugo de Avalone, Stampensis, Manasses, Trecensis, archidiaconi; Robertus, Theobaudus, Gauterius, canonicus. Ut autem hoc ratum et inconcussum permaneat, sigilli nostri auctoritate fecimus roborari, decernentes ut quicunque hanc nostram confirmationem, post secundam aut terciam commonitionem, violare temptaverit, a corpore et sanguine Domini alienus insistens, anathematis gladio feriatur, in membris et corpore diaboli numerandus. Data apud Liberam-Vallem, per manum Fromundi, capellani et vicarii nostri. |
Omnibus praesentes litteras inspecturis, Petrus de Esquantelli, baillivus Aurelianensis et Giemensis, salutem in Domino. Noverit universitas vestra quod cum contentio verteretur inter religiosos viros abbatem et conventum Sancti Benedicti Floriacensis, ex una parte, et Feericum de Castello, militem, ex altera, super quodam nemore sito inter duas vias juxta domum suam in parochia de Ussum, quod idem Ferricus suum esse proprium dicebat, monachis contrarium asserentibus nemus illud ad eosdem sine parte alterius penitus pertinere, et super hoc etiam quod usuagium in vivo et mortuo in omnibus aliis nemoribus eorumdem abbatis et conventus sitis in eadem parochia dicebat se et hospites suos debere habere, tam pro se quam pro animalibus suis, et pro ipsis hospitibus et animalibus eorumdem, et super etiam quadam pecia terrae quae dicitur Haya Quocherelli, quam suam esse dicebat idem Ferricus et monachi ipsam suam esse propriam dicebant, tandem, bonis viris mediantibus, inter dictos abbatem et conventum et ipsum Ferricum talis compositio intercessit quod dicti monachi praedictum nemus, quod situm est inter duas vias communes, secundum quod ab ipsis viis dividitur eidem Ferrico et haeredibus suis quittaverunt et dimiserunt in perpetuo possidendum, ipse vero Ferricus dictum usuagium, si quod habeat in vivo et mortuo in omnibus aliis nemoribus monachorum eorumdem sitis in parochia supradicta, tam pro se et hospitibus suis et animalibus suis et animalibus hospitum suorum, dictis abbati et conventui dimisit penitus et quittavit et quidquid juris et consuetudinis dicebat se habere vel habere poterat in eisdem, et tenetur ipse Ferricus et haeredes sui contra suos hospites et haeredes ipsorum hospitum garentire; si forte hospites ipsi vel haeredes ipsorum hospitum in praedictis nemoribus vellent aliquid juris vel consuetudinis reclamare, quittavit etiam dictis abbati et conventui dictam peciam terrae quae dicitur Haya Quocherelli donavit insuper eisdem monachis insulam quamdam quae sua erat propria, sitam juxta fluvium Ligeris. Haec autem omnia supradicta voluit et concessit uxor dicti Ferrici et promisit, spontanea non coacta, per fidem suam in manu nostra praestitam, quod in rebus praedictis eisdem abbati et conventui a praedicto Ferrico marito suo donatis, et quitatis per se vel per alium nihil jure dotalitii vel alia quacunque de causa de caetero reclamabit vel faciet reclamari. In cujus rei memoriam, ad petitionem partium, praesentes litteras fieri et sigilli mei feci munimine roborari. Actum in assisia de Giemo, anno Domini 1243, mense januario. |
Cvm Monachus vel conuersus, nec sui iuris, nec potestatis existat, nec quicquam propriū debeat possidere, multominus res, si quas habet, alicui dare vel dimittere in extremis, ne tunc culpam contrahat cum a culpa debeat per pœnitentiā relaxari. Ne ergo hoc de cætero fiat districtius inhibemus, sed si qua habuerint, in sui sint dispositione prælati. Quod si quisquam fecerit, quod fecit irritum habeatur, nomen eius non scribatur in Catalogo defunctorum. |